Tome 01 : le designer graphique, façonneur d'espaces à rêver

Page 1

« Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver » Ré-appropriation personnelle de l’espace pour échanger, transmettre et inscrire.

tome un : exploration de la thématique et premières recherches Projet de fin d’études, 2015 - 1017 Marion Poujade Mastère Design Global Recherche et Innovation Spécialité Design Graphique Ecole de Condé, Lyon

Professeurs référents : Roxane Andrès Thomas Balmer



< planche à découper et à conserver >



Remerciements

Je remercie Roxanne Andrès, designer et Docteur en design, qui m’a accompagnée tout au long de cette année, et dont la sensibilité et les conseils m’ont permis d’élaborer mon projet avec passion et curiosité. Je la remercie pour son implication dans le suivi de ce mémoire, pour le temps qu’elle a su m’accorder, et les connaissances qu’elle m’a transmises. Je remercie aussi Thomas Balmer, designer graphique à Guerrilla Grafik, bien qu’arrivé en cours de route, il a su apporter un regard nouveau sur mon travail. Merci tout particulièrement à Pierre Matras, enseignant à l’Ecole de Condé, et mon professeur depuis quatre ans, pour m’avoir fait découvrir le métier de designer graphique, pour m’avoir encouragée à aller jusqu’au bout de mes envies, et pour avoir eu confiance en moi. Enfin, je remercie Olivier Davenas, mon professeur de Philosophie, de m’avoir accordé un temps d’échange sur mon travail, et d’avoir enrichi ma réflexion sur le métier de designer graphique tout au long de l’année à travers ses cours.

3


4

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un


Sommaire

p.06 - Avant-propos p.08 - C’est quoi rêver ? p.10 - Contexte : rêver aujourd’hui p.12 - Introduction p.14 - 01 : le corps comme moyen d’expérimenter le monde > geste, mouvement, empreinte et trace p.28 - 02 : des espaces pour l’expression du rêve > espace public, espace intime p.86 - 03 : apprendre à rêver : la question des outils > des outils pour voir, des outils pour faire p.106 - Problématique et axes de recherches p.108 - Bibliographie et sitographie

5


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

Avant-propos

Mon travail évolue dans l’expérimentation, l’exploration et la traduction du monde qui m’entoure. Ma pratique de la danse et du cirque m’ont conduite à une sensibilité du corps, du geste et du mouvement, que je retrouve dans mon métier et dans le travail de la main. La poésie du geste, les sensations, le regard, les rythmes et les mots sont des ingrédients qui construisent mon travail et qui me permettent de diversifier ma créativité au travers de mes différents projets. Je suis curieuse, et sans cesse à la recherche de nouvelles formes, de nouvelles matières, de nouveaux outils pour alimenter mon exploration. Au cours de ma première année de master, j’ai eu la chance d’effectuer un stage au Canada, dans un studio de direction artistique dont la principale approche était le travail du bois pour la réalisation de structures, ou de décors. Cette expérience m’a enrichie de nouvelles rencontres, mais aussi de nouvelles techniques, de nouvelles façons d’aborder un outil et un matériau. Cette étape a été pour moi une sorte de révélation : si je suis designer graphique, c’est parce que mon métier m’offre la possibilité de ces rencontres, de ces remises en question, de ces découvertes et de ce partage d’une passion commune. En tant qu’étudiante en design graphique, j’apprends à être et à devenir celle que je souhaite, tant d’un point de vue personnel que professionnel. A travers ce mémoire, je souhaite approfondir cette recherche, afin de développer mes valeurs, mais aussi mes envies et mes objectifs. Dans mon travail, la curiosité, le partage et l’apprentissage me poussent à aller toujours plus loin, avec la volonté de retranscrire mes idées et un peu de ma personnalité.

6


A travers ce projet, je veux mettre en avant l’expérimentation et l’expérience qui jouent un rôle important dans le travail du designer graphique. Parce que le designer graphique joue un rôle important dans l’appréhension et la découverte du monde, parce qu’il est capable de donner la parole en proposant des outils, parce qu’il est poésie, j’aimerai participer à amener une part de rêve dans ce qui nous entoure, à questionner le sensible à travers le geste, le toucher, à créer une relation, une histoire entre le designer et l’utilisateur, afin que la vision de notre métier soit plus accessible, et personnelle. Dans une société en manque d’évasion, l’enjeu de ce mémoire est d’ouvrir les yeux sur le visible, de laisser les images s’échapper afin qu’elles soient complétées par le spectateur, qu’elles ouvrent un dialogue. L’objectif est de ré-apprendre à voir les choses avec poésie, de retrouver le regard d’un enfant en donnant du sens à l’émerveillement. Qu’il s’agisse d’une pensée, d’une sensation, d’un espace, d’un souvenir, ce mémoire cherche à faire naître un instant, il nous propose de jouer : d’arrêter de voir le monde dans un sens unique mais de l’appréhender comme une pâte à modeler, avec plusieurs sens de manipulation, et plusieurs faces. Ré-apprendre à voir aide à mieux s’approprier les choses, de manière plus intime. Il faut prendre le temps de laisser aller son regard, de s’interroger sur ce que l’on voit, sur ce que l’on lit, parce que ça nous construit, et ça nous rattache au monde à notre manière en nous amenant à être acteur de notre histoire. A travers cette idée, le design graphique est un outil qui peut transfigurer le réel, qui peut le ré-enchanter, par les images, par les mots, par le sens qu’il construit et rend visible. Le design graphique peut rendre acteur le spectateur, il doit proposer des outils d’expression, d’interprétation, d’identification, d’appropriation, pour libérer la pensée et le geste, pour construire un langage, et transmettre des émotions.

7


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

C’est quoi rêver ?

Ici, je considère le mot « rêver» comme une façon de ré-enchanter le réel. Ré-enchanter le monde, c’est pouvoir se le réapproprier par toutes ses entrées, c’est le vivre avec intensité dans tout ce qu’il est et dans tout ce que je suis. Rêver le monde, c’est avoir un rapport poétique avec lui. Alors, pourquoi rêver ? Pour se libérer des contraintes, pour profiter et ressentir pleinement ce qui nous entoure, pour s’interroger, rencontrer, penser, mais aussi voir, entendre, dire. Je rêve quand je marche mon casque sur les oreilles et que je lis un message inscrit sur le trottoir qui me pousse à regarder droit devant moi et à éteindre ma musique, juste pour y penser, je rêve quand je suis plongée dans mon livre dans le métro et que je descends au mauvais arrêt, sans m’énerver, je rêve quand je rencontre quelqu’un dans la rue et qu’on discute cinq minutes, juste pour savoir où est son chemin... Je crois qu’il est facile de rêver, et que tout peut faire poésie, il suffit d’y être invité, ou de le proposer. C’est ce rêve-là que je pense qu’il est important d’aborder, et que le graphisme peut aider à faire surgir, parce qu’il est nécessaire à vivre bien.

8


« Vivre poétiquement (...) c’est comprendre que notre raison raisonnante et intellectuelle n’est pas la seule, qu’elle est sœur jumelle d’une « raison sensible » (...) autrement dit, une « intelligence du cœur », faite de ressenti , d’intuition et d’émotionnel, (...). Vivre poétiquement, c’est une manière d’être, qui cherche en permanence à comprendre l’envers du décor, la face cachée des choses (...). Cette manière d’être est celle qui permet d’être pleinement présent au monde, de l’habiter donc pleinement et réellement. En même temps vivre poétiquement consiste à reconnaître en soi l’existence de notre moi véritable, l’autre dimension, la vraie, de soi-même, qui fait que chacun est, potentiellement, unique. » Jean-Michel Maulpoix 9


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

Rêver aujourd’hui

On nous répète si souvent de ne pas rêvasser, d’arrêter de rêver, et pourtant, c’est bien dans le rêve que l’on parvient à se projeter, à avancer et à construire sa personnalité. Rêver nous permet de questionner, d’aller voir, d’oser découvrir, rêver nous pousse dans nos envies malgré les obstacles. La réflexion de ce mémoire s’inscrit dans un contexte où ce qui nous entoure, nos envies, nos pensées, nos réflexions, sont « figées ». Nos automastismes nous empêchent de profiter des moments que l’on vit. Cette situation amène une envie d’évasion, de partage, de poésie, d’entraide, de collaboration, de construire ensemble. On retrouve ces idées dans le design graphique numérique, et l’opensource, qui amène à rendre accessibles des outils de création, à diffuser des connaissances, à se ré-approprier ses propres outils. L’apparition de fablabs, d’espaces de co-working, met à disposition des lieux d’échange et d’apprentissage qui sont des «tremplins» dans la réalisation de projets mais aussi dans la rencontre entre différentes pesonnes, activités, compétences et manières de penser. Aussi, de nombreuses associations ou collectifs de designers oeuvrent dans la réalisation de projets participatifs, au travers desquels ils permettent à des individus de s’exprimer en leur offrant des outils qu’ils se ré-approprient, pour laisser libre cours à leur créativité.

10


« arrête de rêver ! »

Le designer graphique offre la possibilité de prendre une direction, il rend lisible et visible un message, une narration, il amène à rencontrer, à partager et à apprendre de soi-même. Tous ces exemples mettent en avant le désir de transmettre, de diffuser son savoir mais surtout sa passion, afin de créer ensemble, pour approfondir son travail et sa réflexion. Les projets participatifs, questionnent souvent l’espace public, sa poésie, son partage, ils sont portes-parole d’un imaginaire commun, d’une pensée qui a laissé place à la créativité et à sa diffusion afin de modifier nos perceptions quotidiennes. Dans ce contexte, les designers sont des médiateurs, des véhiculeurs de message, de rêves collectifs ou personnels.

11


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

Introduction

Le rêve est issu de la capacité à penser et à transformer la réalité, il s‘ancre dans une réalité qui est la notre. Rêver nous permet d’enfreindre les règles établies en nous ouvrant les champs des possibles. Le rêve est poétique, il est créatif, il est bercé d’envies, de souvenirs, d’images, de mots, d’émotions et de sensations. Il nous permet d’accéder à une connaissance sensible du monde, à travers notre corps, en se créant un territoire personnel et singulier. Le rêve est un ingrédient ou une base que l’on retrouve souvent dans tous les arts, que ce soit la peinture, l’écriture, la danse... Les artistes s’en inspirent, ou nous invitent à y entrer, à créer notre espace de rêve. L’artiste se nourrit des éléments de sa vie, sans en être forcément conscient, les techniques qu’il utilise nous éloignent de la réalité formelle, mais font apparaitre une certaine vérité, une interprétation soutenue d’émotions, de pensées ou de questionnements. A travers leurs travaux, les artistes nous donnent accès à leur vision du monde, ou nous aident à construire la notre. Ils nous invitent à ouvrir les portes de notre imaginaire, à laisser aller nos pensées et nos ressentis, nous devenons nous-même récepteurs et acteurs de l’environnement autour de nous, et nous le montrons à travers notre corps. Le monde nous donne accès au rêve, et notre corps nous ancre dans le monde, donc notre corps est directement lié à cet espace du rêve. Dans les exemples qui vont suivre, nous allons voir la présence du corps dans le travail artistique, comme moyen d’exprimer une vision du monde, comme moyen de raconter, de dessiner. C’est par notre corps que nous prenons conscience et connaissance de notre environnement, alors comment l’utilisons nous, comment l’expérimentons-nous ?

12


*

« C’est ce pouvoir de rêve qui lui fait apercevoir dans toute existence, même médiocre, une solitude et une poésie » Essais de psychologie contemporaine, Paul Bourget, Edition André Guyaux, 1885 (p.249)

13


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

14


> Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

15


1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

*

« Le monde s’imprime en nous par des gestes que nous rejouons à notre tour »

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

Merleau Ponty

L’homme traduit et retranscrit les rythmes, les couleurs, les sons, les mouvements pour mieux se les approprier. Il apprend et étend sa connaissance du monde par le geste, qui fait office de passeur entre un dehors et un dedans. Le corps est le lieu d’une production imaginaire, le geste est l’expression physique d’une intériorité. Le geste donne un mouvement, et c’est par cette « mécanique » et les sensations qui l’accompagnent que nous apprenons à nous connaître dans l’espace qui nous entoure. Pour accompagner ces notions, j’ai choisi de présenter des références issues du monde de la danse, de la peinture, ou encore de la poésie, car elles placent le corps, la main, les mots, au coeur de la connaissance et des émotions. Nous allons voir comment le danseur fait l’expérience du corps en mouvement, à travers la notion de trajet, de connaissance de soi et de l’autre, puis comment le corps-instant, le corps-actif, peut-il se substituer à lui-même par la trace, l’empreinte, qui témoigne d’un passage, d’un instantané, en créant une écriture.

16


« Je ne sépare la main ni du corps ni de l’esprit. Mais entre esprit et main les relations ne sont pas aussi simples que celles d’un chef obéi et d’un docile serviteur. L’esprit fait la main, la main fait l’esprit. Le geste qui ne crée pas, le geste sans lendemain provoque et définit l’état de conscience. Le geste qui crée exerce une action continue sur la vie intérieure. La main arrache le toucher à sa passivité réceptive, elle l’organise pour l’expérience et pour l’action. Elle apprend à l’homme à posséder l’étendue, le poids, la densité, le nombre. Créant un univers inédit, elle y laisse partout son empreinte. Elle se mesure avec la matière qu’elle métamorphose, avec la forme qu’elle transfigure. Éducatrice de l’homme, elle le multiplie dans l’espace et dans le temps. » Éloge de la main, Henri FOCILLON (1881-1943), 1934 17


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

*

Le Contact Improvisation, dialoguer par le toucher, Suzanne Cotto, Muriel Guigou, Aline Lecler et Isabelle Uski, article publié sur le site internet Laboratoire du Geste « Un art du mouvement basé sur l’écoute de soi, de l’autre, de l’environnement et de l’instant présent, pour le plaisir de créer, de se surprendre, » I.ÜSKI La danse-contact (ou improvisation contact) est une discipline venant des Etats-Unis, révélée par le chorégraphe Steve Paxton, qui nécessite une forte écoute et une grande connaissance de l’autre. Elle se base sur des points de contact physique pour entrainer une exploration de mouvements improvisés ensemble, par les danseurs. Les corps s’adaptent et jouent avec la gravité pour traduire une émotion, c’est un dialogue par le toucher. « la réactivité du corps dans l’espace entre le réel physique et l’imaginaire (...) la sensation du juste instant.» (Suzanne Cotto). Ici le corps, par le toucher, instaure une relation de confiance, une connaissance de l’autre, qui permet un échange accordé de gestes et de mouvements. Mon corps se laisse guider mais guide aussi l’autre, permettant d’écrire un dialogue, une histoire qui fait sens, sans qu’il n’y ai eu besoin de préparation.

18


*

Trisha Brown, danseuse et chorégraphe américaine, figure importante de la danse post-moderne L’artiste a longtemps hésité entre devenir danseuse, ou artiste plasticienne. Dans son travail, elle se sert de lieux insolites comme espaces de représentation (toits, rue, etc), la base de ses mouvements est tirée de dessins géométriques carrés dans lesquels elle trace d’autres lignes. Cet exercice lui permet de «distribuer le mouvement dans le corps, et d’organiser le corps dans l’espace». Elle explique « je déplace le corps comme je déplacerai un crayon ». La suite de sa réflexion l’a amenée à créer des chorégraphie qu’elle danse munie de fusains qui tracent au sol la ligne de son évolution dans l’espace. Le corps a travers l’empreinte et la trace, sculpte un langage, il prend place dans l’espace de manière visuelle, rendant compte des mouvements : le corps, l’espace (le monde), l’un et l’autre se répondent à l’intérieur d’une chorégraphie qui rend visible l’autre.

19


20

Comment écrire la musique ? Quels sons je garde, quels sons j’enlève ? Est-ce que l’on peut garder un même outil pour différentes musiques ? A travers cette expérimentation, je laisse aller mon geste à ce que j’écoute, en fermant les yeux je laisse mon corps ressentir la musique pour guider ma main. Les rythmes prennent forme visuellement à travers la ligne. Le geste est un vecteur dans la transcription d’un son, d’une histoire, qui est traduite intimement, à travers les émotions et les ressentis.

Expérimentation plastique

Le geste en musique

Travail sur le laisser aller : quelles sont les ressentis, les émotions, comment s’inscrivent-ils ?

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement


21


Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

*

« Anthropométrie de l’époque bleue (ANT 82) » 1960, Yves Klein (Pigment pur et résine synthétique sur papier monté sur toile) «Technique des pinceaux vivants». Ces oeuvres sont le résultat d’une performance où se confondent sujet, objet et médium. Le savoir-faire du peintre disparait alors, le corpstampon se soustrait à lui-même en ne laissant que sa trace pour le rendre visible. Nouveau réalisme = nouvelle approche perceptive du réel, oeuvre « à la mesure du corps ».

22


*

« Par la voie des rythmes » Henri Michaux, 1974 Dans son oeuvre, le poète/peintre utilise le signe graphique comme une transcription visuelle du langage du corps, il imagine le mouvement. Le signe devient alors langue et poésie, la trace du corps dans l’écriture devient la production de la gestualité. Le corps devient le vecteur de la production de l’imaginaire, il s’investit dans la perception et la construction du monde. « Le geste est une phrase ».

23


Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

*

« Dessins variables » Maïte Álvarez, ( machines à dessins de Marisol Godard Lopera) Ateliers (et communication) de dessins participatifs qui questionnent le rapport entre l’homme et la machine. L’artiste a imaginé des machines à dessiner qui se basent sur le geste de la main. Les participants peuvent ainsi expérimenter les machines, sous certaines contraintes de composition graphiques, et créer leur propre tracé.

24


*

« Le corps nous installe dans le monde, à travers le corps et par lui nous devenons un individu capable d’agir sur lui-même et sur le monde, par le même médiateur corporel à tous les âges de la vie. » « Du mouvement au geste, le corps est langage », Philippe Kostka

25


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

1. Le corps comme moyen d’expérimenter le monde

Geste, mouvement, empreinte et trace Le corps dans la connaissance de l’environnement

Dans l’apprentissage du monde, et la connaissance (ou découverte) de soi, les exemples que nous venons de voir placent le corps en mouvement au centre de la recherche. C’est par le geste que nous apprenons, que nous intégrons et que nous transmettons. Rêver est un moyen de s’approprier une partie du monde, un moyen de le transformer ou de le voir autrement. Ici, le corps n’apparait alors plus comme tel, corps physique concret, mais incarne un espace propice au développement de l’imaginaire. Par ses gestes, qu’ils soient visibles dans l’espace, ou lisibles à travers la trace, l’homme crée un paysage, ou un message à interpréter, qui part de lui et s’ouvre aux autres. Il prend conscience de son corps, mais aussi de son corps dans l’espace, en mouvement. Le corps dévoile, et se dévoile, laissant un espace libre aux pensées et à l’interprétation. Il traduit des sensations, des émotions, des images, qui amènent à une nouvelle lecture et à une nouvelle compréhension du monde.

26


*

« Le geste est inimitable (...) car ce qui est inimitable finalement, c’est le corps » Roland Barthes

27


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

28


> Espace public, espace intime Des espaces partagĂŠs, des espaces pour se confier

29


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Nous avons vu que le corps peut entretenir un rapport avec le monde qui nous amène à différentes possibilités d’interprétation, et donc à différents espaces à rêver. Par notre corps nous produisons des gestes, et ces gestes nous permettent de construire une histoire, ils sont le lien entre notre corps et son environnement, comme un dialogue en mouvement qui évolue en fonction des situations, des émotions, des ressentis. La notion d’espace m’a fait m’interroger sur les notions de temps, et de lieux. Où rêvons nous (où ne rêvonsnous pas) ? A quel moment ? Comment ? Pour commencer, je me suis intéressée à l’espace (il-)limité, que l’on partage et que l’on découvre, l’espace dans lequel nous évoluons tous à notre manière, un lieu de passage et de rassemblement, qui nous offre la possibilité de nous exprimer ou de donner cette possibilité aux autres acteurs de l’espace : l’espace public ; les rues, les murs, les jardins, les places, etc. Cet ensemble des territoires au travers desquels nous déambulons tous les jours, qui nous poussent à être observateurs, acteurs, créateurs, médiateurs. Ces lieux constituent un ensemble d’espaces propices à l’élaboration du rêve, puisque nous les traversons, nous les observons et nous interagissonts avec ou au travers. En tant que designer, je m’intéresse à mon rôle au sein de ces espaces, et j’ai donc étudié plusieurs exemples qui témoignent de la place du designer dans la création de ces espaces et dans leur appropriation par les habitants, quels sont les moyens, et les outils qu’ils utilisent pour tenter d’offrir un regard poétique, identitaire, engagé sur la ville et ses territoires.

30


« Notre regard parcourt l’espace et nous donne l’illusion du relief et de la distance. C’est ainsi que nous construisons l’espace : avec un haut et un bas, une gauche et une droite, un devant et un derrière, un près et un loin. Lorsque rien n’arrête notre regard, notre regard porte très loin. Mais s’il ne rencontre rien, il ne voit que ce qu’il rencontre. L’espace c’est ce qui arrête le regard, ce sur quoi la vue bute : l’obstacle, des briques, un angle, un point de fuite. L’espace, c’est quand ça fait angle, quand ça s’arrête, quand il faut tourner pour que ça reparte. Ça n’a rien d’ectoplasmique, l’espace ; ça a des bords, ça ne part pas dans tous les sens, ça fait tout ce qu’il faut faire pour que les rails de chemins de fer se rencontrent bien avant l’infini. » Espèces d’espaces, Georges Perec, chap. 13: « L’ espace », Paris, Éditions Galilée, (1974/2000), pp. 159/160. 31


2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

01

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

espace public : la rue

J’ai commencé mes recherches sur les espaces publics «porteurs d’imaginaire» en m’intéressant au street art, ou, comment pirater la ville ? On surnomme les street-artistes, les « hackers de villes », car ils mettent en place une double lecture visuelle, une autre réalité du quotidien. En s’appuyant sur les formes dominantes, ou les plus petits détails, en jouant avec les signes qui surgissent dans les rues, ils créent des images ou des messages qui interrogent, qui surprennent, ou qui entrainent simplement un sourire. Ces artistes de rue nous offre leur propre interprétation de la ville, en nous encourageant à nous aussi, rêver nos espaces, les transformer, les humaniser. Nous avons vu tout à l’heure le rôle du corps en mouvement dans l’appropriation du monde, et je pense que cette idée est à rattacher à l’activité du street artiste au sein de l’espace public. Pour ses créations, le street artiste met en mouvement son corps, en s’emparant d’espaces urbains qui relèvent parfois du défi, de la performance, il va jusqu’à se mettre en danger pour choisir et définir l’emplacement parfait pour accueillir son oeuvre, aux yeux de tous (ou presque). Ses réalisations prennent donc place dans toutes sortes d’endroits publiques, qui obligent parfois le corps du passant (spectateur, lecteur, observateur) à se mouvoir lui-même pour lire, comprendre et ressentir. Le graffeur met en mouvement une pratique, il met aussi en mouvement un support. La notion de mouvement est importante, car on la retrouve dans la volonté du graphiste de «faire bouger en faisant».

32


*

« Dont Stop Laughing », série You better Stop Project « Press to Reset your Life », série Traffic Light Button Project Martin Parker, 2001 / 2002 Ce street-artiste français prend les panneaux signalétiques comme support pour ses réalisations, qui parfois lui échappent, entrainant avec elles un mouvement reprenant son travail ( cf : You Better Stop Project). Dans ce projet, il « pirate » plus de deux mille panneaux à l’aide de stickers. L’humour est son arme pour appeler le regard du passant, et briser ses automatismes, en lui exposant des outils simples et accessibles (stickers) qui sont ré-utilisés, rendant cette forme d’expression en ville participative.

33


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

34


*

« la répétition des gestes et la saturation du décor conduisent à ne plus voir, à s’absenter de sa propre existence. Ils (les street-artistes) exigent un réveil collectif, une ré-appropriation civique et intime du réel. » Extrait du chapitre « hackers de villes » du livre Street Art, Poésie Urbaine, de Sophie Pujas

35


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

Poèmes sur panneaux publicitaires, Robert Montgomery, 2011 Le street artiste Ecossais placarde des poèmes engagés ou rêveurs, sur des panneaux publicitaires grand format. Il utilise une typographie grasse, en capitale et blanche sur un fond noir. Cette utilisation du support publicitaire amène le passant à un nouveau rapport à la publicité et à l’affiche, remettant en cause une forme d’autorité.

36


A travers leurs oeuvres, les street-artistes souhaitent faire naître un instant, un arrêt sur image de la ville que l’on croit connaître. Ils brisent les habitudes en offrant un nouveau regard, en surprenant, en sollicitant le passant. Les panneaux de signalétique ou d’affichage urbain sont des espaces tentant et facile à s’approprier. Ils sont observés sans arrêt, mais ne communiquent ni sensibilité, ni questionnement, ni poésie. Ils imposent des règles, au lieu de laisser aller la pensée et les idées. Le street art m’interpelle en tant que designer graphique, parce qu’il est un acte engagé, en rapport direct avec un spectateur, un acteur, de l’espace où l’on circule. Le street art parle par l’image, par les mots, et invite à une ré-appropriation du réel, comme le font certains artistes ou designers que nous verrons plus tard.

37


REPORTAGE En se balladant en ville, ici à Lyon, on croise de nombreux graffitis qui prennent place sur les murs, les sols, ou le mobilier urbains. Selon les quartiers et les lieux l’ampleur de ces «images» change, le style, la technique et le message qui en ressort aussi. J’ai réalisé un reportage photographique, afin de créer un échantillon d’images, classées en fonction de la technique utilisée. Les oeuvres photographiées sont ainsi triées en quatre familles : premièrement la typographie. Les graffitis prennent la forme de mots ou de phrases, lisibles, qui invitent à s’arrêter un instant pour lire, et laisser aller la réflexion sur le message. Parmis les images que j’ai sélectionné, j’ai remarqué que les lieux où prennent vie ces paroles sont assez discrets, obligeant parfois le corps à être en mouvement, à se baisser pour lire entièrement le message. En bas d’un mur, dans les recoins d’un escalier, enclavés entre quelques carreaux, les mots ne sont pas affichés à la hauteur du regard. Sans être réellement cachés, ils se montrent timidement, pour les plus attentifs et les plus curieux d’entre nous. Les techniques utilisées sont le pochoir, l’autocollant, ou la typographie manuelle, qui permettent une intervention rapide, en conservant la lisibilité et la qualité de l’oeuvre. Selon les propos, les messages n’ont pas tous le caractère engagé que portent la plupart, mais ils invitent à s’arrêter un instant, à lire et à laisser aller sa pensée. Ils informent, ils protestent, ils permettent un sourire, ou sont simplement poésie. Cette forme de street art laisse parler et s’exprimer la ville. Ensuite, j’ai sélectionné des images qui jouent avec les formes du mobilier ou des objets urbains. Cette manière de s’appuyer sur l’existant, nous amène à voir autrement ce qui compose l’espace autour de nous. Teintées d’humour, ces images nous font esquisser un sourire lorsque notre regard les croise, elles humanisent ou personnifient les formes du paysage urbain. Enfin, j’ai regroupé des photographies de visuels collés, sous forme de papiers découpés ou de volumes sculptés. Cette technique permet d’obtenir un résultat détaillé, précis, et offre de grandes possibilités graphiques. Cette dernière catégorie, « ramène l’art » dans la rue dans ses pricipales formes, la peinture, la sculpture, le dessin, ce sont de véritables oeuvres qui sont exposées. Rarement signées, ces propositions restent anonymes, ce qui apporte finalement encore plus de « magie » et d’intimité dans le lien entre artiste et spectateur. Chacun de ses exemple reste un message personnel que propose un artiste, aux visiteurs. L’artiste inscrit une parole, il s’exprime au sein de l’espace public, rendant alors visibe et lisible une idée, une vision. Bien que n’attendant pas de réponse des acteurs de l’espace public, l’artiste nous propose de voir les choses autrement, il ouvre la possibilité de «dire», ou de «voir», il s’approprie les espaces en les rendant aussi plus personnels pour les autres. L’ensemble de ces actions créent une véritable poésie publique, qui carctérise et identife un lieu, un quartier.






Comme nous l’avons vu dans l’analyse, le street artiste cherche l’emplacement approprié pour y laisser son message. Parfois, les travaux s’installent sur des supports qui interrogent la méthode de réalisation. «Comment atteindre ce mur ?», «Comment ça tient ?» Ou encore, «je suis passée ici tous les jours et je n’avais jamais remarqué». Parce que souvent, l’oeuvre intervient dans un espace «indice», parfois caché, ou simplement disposé dans une direction vers laquelle nous n’avons pas l’habitude (ou pas pris le temps) de regarder. Par cette manière de créer, le street artiste bouleverse nos habitudes, il nous amène vers une nouvelle gestuelle pour «mieux voir», une gestuelle qui nous surprend, qui nous entraine. Il nous permet d’avoir de nouvelles images d’un espace que l’on croit connaitre, il nous fait re-visiter les endroits que l’on a déjà traversé un million de fois, il fait vivre le quotidien parce qu’il est spontané, mouvant, et qu’il laisse un passage. On peut considérer le street art comme une manière, aujourd’hui, de laisser une trace permettant une forme d’appropriation de l’espace, de son lieu de vie. Le tag est une manière que d’affirmer que l’on appartient à cette ville, ou à ce quartier, et que l’on y est attaché. « le street art pourrait être envisagé comme une pratique qui transforme un espace neutre, objectif, en un espace vécu, subjectif ».


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

« Blanche Neige », Malte Martin, Fontenay-sous-Bois, 2002 Le designer Malte Martin retranscrit le conte de Blanche Neige en seulement quatre mots : rêve, nuit, blanche et neige. Ces quatre mots aux lettres découpées dans de la tôle, sont suspendus par des fils transparents et jouent de leur sens en modifiant leur ordre, devenant chacun à leur tour sujet, verbe ou complément, de la phrase. L’intervention est donc mouvante, change son sens au fil des jours, appelant ainsi à chaque fois le passant à une nouvelle lecture du conte.

44


45


2. Des espaces pour l’expression du rêve

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

*

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

« Une affiche se met droit, devant les gens, entre l’émetteur et la personne. Ça s’interpose. C’est cela qui fait sa force et y compris, à mon avis, sa valeur mythique au plan démocratique. C’est-à-dire que c’est quelque chose qui est là où on ne l’attend pas. Qui se met sur un mur dont on n’a rien demandé. Alors que, de plus en plus, on est dans un système qui demande de l’affiche, qui choie l’affiche, qui la met sous verre, qui lui enlève de la force, qui lui enlève de la violence et puis, surtout, ce système la met dans une logique d’acceptation automatique – et donc de refus.» Pierre Bernard (Collectif Grapus)

Finalement, ce que l’on peut aussi noter de ces actions, de ces interventions, c’est le message « libre » qu’elles mettent en place. A l’inverse de la publicité, les messages ici offrent un choix, une possibilité, un espace à penser, que l’on est complètement libre de concevoir. Ils ne manipulent pas, ils n’automatisent pas, mais au contraire, ponctuent l’espace public de paroles et d’images, qui rythment, surprennent, ou modifient nos trajets et nos mouvements. Cette forme d’intervention, dans ce qu’elle a d’opposé à la publicité (séductrice) et ses stéréotypes, rappelle par exemple le collectif Grapus, et ses affiches engagées pendant Mai 68. Dans le sens où le design graphique rend service, et ne contrôle pas, il est en rapport direct avec le réel, avec le quotidien, la rue, les gens. Le design graphique est politique, il sensibilise, il indigne, touche, émeut, met en garde, il révèle une réalité propre à une ou plusieurs personnes, qu’il affiche ou scénographie dans un espace public. Le designer graphique, dans son travail, propose d’adhérer à une cause, il influe sur le réel, il accompagne les rapports des individus, entre eux ou avec ce qui les entoure sans jamais s’imposer, sans contrôler ou décider « à la place de ». Le design graphique est un outil que le designer doit utiliser au profit de l’autre.

46


« Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? » Affiche du collectif Grapus, 1975

47


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

On voit aujourd’hui beaucoup de collectifs ou d’associations de designers qui mettent en place des projets de «design social», design participatif, qui ont pour but de créer et d’offrir des outils «pour dire», afin de laisser la parole à des individus, ou encore de les accompagner dans une démarche qui est la leur. Ces interventions visent aussi bien un groupe précis d’individus, par exemple les enfants, qu’un groupe plus global tels que les habitants d’un quartier. A travers un message, une revendication, elles permettent d’amener de nouvelles pratiques expérimentales, de diffuser la création et ses outils. Notre rôle de designer graphique est de mettre en images, en mots, sur supports, de façon poétique, les idées et les pensées qui émergent autour de nous, par les autres. Intégrer directement les acteurs concernés à notre processus de création devient alors un acte engagé, «vrai», à travers lequel on offre la possibilité aux utilisateurs d’exprimer différemment leurs idées, et de les faire surgir par des moyens qui leurs étaient inconnus. Diffuser les créations, les narrations graphiques dans l’espace public permet de construire un ou des espaces(-temps) propice(s) à la reflexion, au rêve, qui offrent la possibilité de se créer un territoire personnel, social, il propose « un morceau de monde » à construire et à s’approprier. L’outil « pour dire » amène aussi à créer à plusieurs, à échanger, à réfléchir ensemble, et donc à faire apparaitre et diffuser un message commun à partir du geste. Il décloisonne les pratiques artistiques.

48


*

« Le designer, acteur de la transformation sociale », Plateforme Social Design, site internet Social Design est un site sur lequel sont répertoriés différents projets de design social, qui présentent des ateliers participatifs oeuvrant à la création d’espaces de rencontres, de partage et d’échange. Les designers mettent en place des systèmes ou des dispositifs qui permettent aux habitants de prendre part à la fabriquation de la ville, de la société et de leur environnement. Permettre un point de vue critique sur ce qui nous entoure. Créer des outils que les acteurs concernés peuvent s’approprier. Les designers resituent leur travail au coeur du projet en lien avec les acteurs concernés et avec une vision du monde actualisée. Ils s’intéressent aux problématiques de groupes, de collectivité, aux usages.

49


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

« La Mutothèque », Aux Mille Lieux, Clémence Passot, Alice Lancien, Lucinda Groueff, Paris Projet réalisé dans le cadre de l’arrivée du tramway, et donc d’un espace en chantier, sillonné par des barrières vertes et grises. Après des rencontres et des entretients avec les habitants et les passants, les designers ont souhaité transformer la géographie du lieu. A l’aide des acteurs du lieu, ils ont réalisé une série d’affiches, supports in-situ pour partager une lecture, une vision de la mutation du quartier.

50


*

« Chantier graphique ouvert au public, Danube », Fabrication Maison Réalisation de l’identité visuelle et d’une signalétique accessible afin de favoriser l’orientation et de donner une meilleure visibilité aux associations qui parcourent le quartier et qui le dynamisent. Le projet s’est élaboré à l’aide de rencontres au sein de l’espace public, les supports ont été réalisés à plusieurs, de manière participative en réunissant les jeunes du quartier. Ainsi a pu émerger une identité visuelle collective, propre à chacun des habitants, et iniatrice de partage, d’échange et de transmission.

51


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

« Do-it yourself Regeneration », Studio Public Works Group A bord d’un camion, les membres du studio sillonnent la ville et vont à la rencontre des habitants pour regrouper des conseils, des idées our s’impliquer dans la vie de quartier. A chaque échange, une image est produite, faite à la main à l’aide d’autocollants et d’une grille. Ici, les designers laissent la parole aux habitants du quartier en les accompagnant par leurs propres outils avec la liberté de se les approprier.

52


53


54

En jouant avec les lettres des noms des quartiers lyonnais, trouver une série de mots définissant chaque « initiale » du nom. Le nom du quartier est alors identifiable à travers une phrase, sorte de citation urbaine poussant le spectateur au jeu à travers son quartier. Cette expérimentation pourrait prendre la forme d’un projet mieux construit : à travers des interviews d’habitants, récolter certains mots catégorisant le lieux et reconstruire chaque nom, en gardant les témoignages propres à chaque quartier.

Expérimentation urbaine

Mots-mêlés du quartier

Travail sur la connaissance et la vision d’un quartier : jouer avec les codes établis

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier


Garibaldi

terreaux

Gare aux rires

Toujours en raccord,

incessants balançant

rĂŠvision etonnante aux

adroitement les

usages X

diverses indignations !

.

55


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

A travers les exemples précédents, le designer joue un rôle de médiateur entre un désir ou une pensée collective, et son espace de diffusion ainsi que sa forme. Pour chacun de ces projets, le designer crée des outils qu’il met au service des acteurs d’un lieu, afin que soient créées une parole, une image, qui interviennent dans notre environnement quotidien et qui instruisent ou interrogent en arrêtant le regard. Il nous pousse à la réflexion. Il prend part aux situations quotidiennes, les questionnent afin de leur (re-)donner du sens. Le designer aide à concevoir un imaginaire collectif et partagé, qu’il rend visible et lisible dans un espace définit. Il permet le voyage de la pensée, le mouvement du regard, d’une manière amusante ou poétique. Le designer transforme l’espace autour de nous en modifiant ou en ré-interprétant les codes établis, afin de « bouleverser » nos perceptions, et nos ressentis, il nous propose de voir autrement le cadre de vie et les situations dans lesquels on évolue. L’espace de mise en scène de l’intervention est un espace perçu qui articule l’organique et l’imaginaire. Il peut être partagé, repris, car il donne des «indices», des «clefs», avec lesquel(le)s le lecteur / spectateur peut se diriger et se positionner. Il induit de nouveaux regards, et donc de nouveaux mouvements qui entrainent de nouveaux gestes.

56


Aujourd’hui, nos espaces sont surchargés d’images « pauvres », publicitaires, nous dictant des manières d’être et de fonctionner, qui figent les idées et les gestes. Ces images sont aussi très éphémères, elles tournent, elles changent, elles fuient les réels questionnements, elles ne sont que séductions et faux désirs, fausses pensées. Le design graphique, engagé, va à l’encontre de cette position publicitaire : « Une affiche, c’est la prise de possession d’un message public par un individu, artiste, ou pas artiste, technicien, mais en tout cas graphiste. C’est un objet public qui lui appartient intimement, puisque c’est sa création. C’est l’investissement individuel dans un acte d’échange collectif. » ( Pierre Bernard du collectif Grapus ) Finalement, au-delà d’aider à mettre en mots et en image ces rêves partagés, le designer graphique réfléchit à une manière de «léguer» ses outils et ses techniques au service d’une envie de s’exprimer. Il met aussi en place une sorte de chorégraphie, dans le sens où il bouscule les trajectoires, il perturbe les regards. Il se place en temps qu’accompagnateur mais aussi transmetteur («émetteur»), d’un savoir, d’un apprentissage, d’une gestuelle.

57


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

« La Phrase », Laboratoire intégral Ruedi Baur, 2015 Pour Mons 2015 capitale européenne de la culture, Karelle Ménine et Ruedi Baur ont créé le projet «La Phrase» : écrire sur tous les espaces de la ville une phrase de 10km de long. La phrase est un corpus d’oeuvres d’auteurs de Mons et d’ailleurs. Le but du projet : sortir les mots des livres, inscrire la littérature directement sur le territoire en proposant ainsi un nouvel espace de lecture, un nouvel espace à imaginer. La phrase nous fait redécouvrir la ville, en l’accompagnant de poésie, de culture, et se transforme, s‘agrandit jour après jour, ré-adaptant ainsi nos trajets, modifiant nos habitudes.

58


Nous venons de voir comment l’espace public pouvait devenir matière à construire et à rendre visible un imaginaire collectif, une vision d’un lieu ou d’un espace. L’espace qui se construit et se dévoile m’amène forcément à réfléchir cette notion selon une autre échelle. Lors de la première partie, nous avions évoqué la place du corps dans l’interprétation et la retranscription du monde qui nous entoure, nous venons de voir comment le designer pouvait, à l’échelle de la rue, de la ville, mettre en place des espacestemps où les pensées, les émotions et les images construisent ensemble un imaginaire collectif, une ré-appropriation du monde. Qu’en est-il du rôle de designer dans l’appropriation du monde, au sein d’un espace plus personnel, plus intime ? Le corps peut évoluer dans un espace, en son centre, mais il peut aussi contenir un espace, beaucoup plus petit, entre ses mains : le livre. L’espace que je contiens peut finalement finir par me contenir, comme nous le montre « La Phrase » de Ruedi Baur, le designer peut jouer avec les échelles d’espaces. Le livre est un échapatoire pour rêver, il convoque notre imaginaire. La façon dont les mots prennent place sur la page, la façon dont nous tournons les pages où dont notre regard est entrainé, amène finalement une gestuelle qui indique que nous réceptionnons là aussi une idée, une vision, que nous interprétons et que nous nous ré-approprions. Mallarmé disait, l’objet-livre est un «instrument spirituel», qui ouvre l’accès au domaine de l’esprit, du rêve et de l’imaginaire. A travers plusieurs références, nous allons voir comment les artistes ou designer se sont emparés de l’objet-livre, afin de le redéfinir, de l’expérimenter, pour architecturer des espaces visuels qui nous offrent une nouvelle vision et donc une nouvelle interprétation de l’histoire.

59


2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

02

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

espace intime : le livre, la page, la lettre

L’écriture est la production lisible de la gestualité. Elle met en place un langage composé de signes, qui s’articulent entre eux pour donner un sens « défini ». Le livre offre un «morceau d’espace» que je peux prendre en main, que je peux manipuler et transformer si j’y suis invité. Nous lisons partout, à la maison, en ville, dans le métro ou la voiture, le livre nous permet de nous évader, de lâcherprise, et nous donne l’impression de vivre un rêve éveillé. Le format du livre, la couleur et l’épaisseur de son papier, mais aussi la façon dont le texte prend possession de la page, amènent le lecteur à une double lecture : au-delà de la narration, de ce qu’il est écrit, le lecteur met en place sa propre interprétation du texte, à travers un espace organisé pour lui donner la liberté de rêver. Le sens des mots, ainsi que leur forme, ont alors un rôle d’outil, dans la transmission d’une retranscription d’idées, de sons, de rythmes, entre l’écrivain, et son lecteur. Le designer graphique manie et construit le texte afin d’établir au mieux une relation d’échange avec le lecteur. Nous avons vu précédemment que la manière dont le designer graphique façonnait un espace (public) et les éléments contenus, participait à la réception du message, et permettait « le passage d’une part de rêve», nous allons voir maintenant comment certains poètes, artistes ou designers graphiques, redonnent vie au texte, en appuyant son sens, et sa mélodie, au travers d’une composition graphique, qui architecture et façonne l’espace de la page, en proposant des espaces propices à l’imaginaire, à l’enchantement des mots et de leur sonorités.

60


*

« Livres Paysages » Fanette Mellier, 2011-2012 Documents papiers informant sur l’association Les Trois Ourses, fondée par des bibliothécaires, et proposant des livres artistiques pour les enfants, des expositions, et des ateliers. Les livrets sont conçus de manière à tenir debout, formant ainsi de réels espaces, créant des signes en volume. Chaque livret a été réalisé en deux versions : l’une informative, avec du texte, l’autre «graphique», c’est à dire qui n’a gardé du texte que quelques signes qui composaient les lettres, offrant ainsi un «paysage» de signes abstrait, à imaginer. Le therme « paysage » définit bien le résultat car le livre sort de lui-même, se met debout et expose ses pages devenues images, visions.

61


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

*

Différents travaux de Sam WInston, artiste «sculpteur de mots» L’artiste anglais explore les possibilités du langage écrit : d’après des collectes de données ou d’analyses en programmation informatique, il sculpte ensuite, avec ses mains, les phrases, il crée des images ou des livres qui interpellent notre regard sur la forme et le sens des mots, ou encore par l’échelle de l’objet qu’il conçoit. Pliage, dessin, découpe, gribouillage, apparaissent alors sous nos yeux, comme une « microchirurgie du texte afin d’en révéler son essence et donc d’en avoir une compréhension nouvelle ». L’artiste donne à voir la part sensible du mot, son expression plastique sensible.

62


63


64

A travers cette expérimentation, je veux montrer qu’il est possible de jouer avec les mots, de transformer leur fonction première, modifier la certaine « réalité » qu’ils portent en eux. J’ai choisi de prendre pour exemple, des morales de fables de Jean de la Fontaine, pour le caractère sérieux, et éducateur du message. En changeant l’ordre des mots devenus petits objets individuels, la phrase inverse son sens, donne à lire une nouvelle idée qui fait sens. Au-delà de changer de place dans la phrase, les mots sortent aussi du livre, physiquement, laissant à voir des pages blanches, vides. Cette expérimentation, qui fonctionne comme un jeu, a pour but de « dé-coincer », de désorganiser le langage formel, en laissant parler l’imagination, en amenant à s’interroger sur la façon de faire passer un message ou une idée.

Expérimentation éditoriale

Ils n’en font qu’à leur tête !

Sortir le mot-objet du livre, le manipuler pour en changer le sens.

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier


faut

courir il

;

partir

de ne

point

sert

65

Ă

rien

.


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

66


Ils n’en font qu’à leur tête !

67


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

*

« La cantatrice chauve » Massin, 1964, éditions Gallimard, (texte Eugène Ionesco) Dans son livre, Massin utilise la typographie en tant que « médium de transcription phonétique », afin de retranscrire au mieux les scènes et le jeu des acteurs dans l’espace de la page (comme espace sur scène). Il joue avec la taille, la graisse, le contraste, les blancs l’inclinaison des caractères, pour faire vivre les rythmes des dialogues et des gestes. Par l’écriture, Massin « donne à entendre le texte ».

68


Nous venons de voir l’impact du graphisme dans la lecture des mots, de quelle manière il accompagne la libération de l’imaginaire, comment est-ce qu’il met en place des espaces rythmés entre lecture, réception et imagination. Dans certains des exemples, l’acte du corps très présent au travers de la disposition des phrases, amène le lecteur à suivre le rythme du texte, des mots, la musicalité devient lisible. Les silences sont marqués, les différents tons aussi. Le designer graphique (ou l’artiste) donne l’impression que la main écrit en même temps que la bouche parle, et l’on pourrait comparer cette situation à celle du danseur, qui laisse aller son corps au rythme de sa pensée et de ses émotions. Le graphisme présent dans ces exemples nous rappelle aussi le rythme présent dans la poésie en générale. Sans qu’elle ne soit réellement «mise en page», dans la manière dont elle s’articule, se lit ou se regarde, la poésie nous invite à une rythmique qui accompagne sa réception et sa compréhension. Comme disait Michaux, « le poème propose un faire pour se refaire », le lecteur peut s’approprier le laisser-aller de son imagination à travers l’expérience du poète. La poésie est libre, elle transgresse les règles de mise en page habituelles, elle surprend, elle choque, elle imagine, elle crée, elle montre, elle fait entendre... La poésie c’est apprendre à voir autrement qu’à son habitude.

69


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Au delà du livre, je m’intéresse à la poésie car elle répond à une partie des notions abordées dans les précédentes parties : la poésie est geste, dans l’intention qu’elle dégage, dans la façon dont les mots sont organisés, dans sa réception, dans sa retranscription du monde et de ses rythmes. La poésie propose un espace à imaginer, l’espace n’est pas forcément l’espace autour de moi, public, collectif, mais il est un espace intime, celui de la page, du papier que l’on tient entre ses mains. Une fois investie par le designer, la page devient une surface transformée, un espace orienté en fonction du positionnement des signes. La surface se dessine à travers le déplacement des lignes, le designer graphique construit donc un vocabulaire de formes qui participe à investir l’espace d’intervention. La poésie libère mon imaginaire, laisse s’échapper mes mots et mes émotions. La poésie « permet le passage de...», dans le sens où à travers son écrit, elle échange avec le lecteur des ressentis, des émotions, des mouvements, qui l’amènent à être dirigé personnellement dans la réception du texte. Les mots et les lettres peuvent être ressentis en écho avec la danse, et le mouvement du corps, car ils donnent à voir des pages où l’écriture est dansante, mouvante, où elle évolue dans l’espace de la page comme un corps dans l’espace quotidien. Le mouvement des mots oeuvrent dans la connaissance et l’interprétation personnelle du monde, de ses objets, en mettant en avant et en image le sens des mots. La poésie donne à chacun la possibilité de se construire un monde personnel, et donc de ré-organiser sa relation au monde réel.

70


*

« Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard » 1897, Stéphane Mallarmé Cette expérimentation du poète est l’un des tout premier poèmes typographiques de la poésie française, dans sa composition et son utilisation des caractères. Désenchanté par le monde dans lequel il vit, Mallarmé rêvait de créer «le Livre» qui révolutionnerait les esprit et comblerait le regard. Avec son oeuvre, il ré-invente la manière de faire et d’écrire la poésie, laissant jouer les mots et les indices. « La rupture produite par cette écriture singulière consiste dans la prise en considération de l’espace de la page comme élément intrinsèque de la composition. »

71


72

Après l’étude du poème La Grasse Matinée, j’ai voulu retranscrire la narration à travers les ressentis et les émotions du personnage principal, un sans-abri qui a faim, et déambule parmis les vitrines de la ville. Cette expérimentation joue avec les rythmes de lecture au travers d’un livre ou d’une affiche grand format, et interroge les notions du mouvement, et du temps. Le graphisme s’intègre complètement à l’objet, jusqu’à « disparaitre », jusqu’à devenir in-détachable de l’objet qu’il soutient. Le poème prend forme dans le grammage du papier qui diminue au fil de la narration et des pages, et donc dans la transparence qui s’accentue au fil de la découverte de la chute.

Expérimentation éditoriale : ré-édition d’un poème de Jacques Prévert

La Grasse Matinée

retranscription d’émotions et de ressentis à travers la composition typographique

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier


73


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

74


La Grasse MatinĂŠe

75


76

Comment retranscrire un mot ou une émotion à travers le papier et l’objet éditorial ? Quels sont les éléments graphiques avec lesquels il est possible de jouer pour rendre une narration plus sensible, plus intime ? Dans les expérimentations qui suivent, j’ai travaillé sur les notions « montrer cacher - dévoiler - protéger - deviner - manipuler - toucher - ressentir », afin de trouver des systèmes de pliage, d’impression, ou encore de reliure, pour appuyer une idée à travers le geste que le façonnage nous « oblige » plus ou moins à avoir.

Expérimentations éditoriales : nauncier de petits carnets

Protéger les mots

Le papier et le livre pour se confier, récolter et dévoiler

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier


Dans cette première micro-édition, j’ai voulu travailler sur la translucidité du papier pour lire un texte ou voir une image. En utilisant un papier japonais très fin et légérement translucide, j’ai confectionné un petit carnet dont les pages ne sont pas détachées. J’y ai dessiné les signes graphiques, à l’intérieur de la page, de manière à ce qu’elles apparaissent par transparence à la lecture des pages, mais sans qu’on ne puisse réellement voir l’encre, sans que l’on ne puisse toucher l’objet dessiné.

77


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

78


Protéger les mots

Dans ce deuxième carnet, j’ai expérimenté des systèmes de pliage, et de reliure, qui permettent de cacher, de masquer ou de protéger un contenu. La reliure au fil permet de fermer une page pliée, et ainsi garder secretèment ce qui se trouve à l’intérieur. Dans cet exemple, j’ai disposé des boutons de rose séchés dans un pliage que j’ai ensuite cousu de manière à « enfermer » les boutons. Par transparence on a un peu accès au contenu, mais on ne discerne pas bien les roses, par contre, on les devine par le parfum qu’elles dégagent ou par le volume qu’elles créent quand les doigts entrent en contact avec la feuille.

79


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

80


ProtĂŠger les mots

81


Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Les différents pliages forment par endroits des pochettes, dans lesquelles on peut glisser, ou cacher quelque chose.

82


Protéger les mots

Un dernier carnet expérimental propose une lecture sans filtre : l’impression sur un papier translucide (type calque) offre une lecture intégrale du texte dès la première page. Mais certains mots sont à l’envers, d’autres recouverts... il faut manipuler et jouer avec les pages pour re-construrie le texte.

83


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

2. Des espaces pour l’expression du rêve

Espace public, espace intime Des espaces partagés, des espaces pour se confier

La poésie, qu’elle soit dans les mots, à travers le corps, ou dans l’espace qu’elle crée, fait toujours écho au geste, et apporte une nouvelle façon d’observer et d’appréhender l’environnement. Nous l’avons vu, nos rêves s’établissent à partir des choses que nous connaissons, et c’est par nos gestes que nous accédons à une lecture du monde, à un regard nouveau. La poésie qui se met en place est alors une manière d’entrer dans l’histoire, de se laisser porter par l’imaginaire. Je pense qu’il est important pour le designer graphique de travailler à l’apprentissage et à la transmission de ce rapport poétique au monde, par le geste, une poésie vue comme un outil, afin d’éveiller le regard et la connaissance de soi-même, des autres, de ce qui nous entoure. Dans les différentes références analysées, que ce soit dans l’espace collectif ou dans l’espace intime, le design graphique devient un outil «permettant le passage du rêve», un outil manuel qui offre un nouveau regard, une nouvelle interprétation d’un espace, d’un texte, d’une pensée.

84


*

« La poeticotherapie guerir par la poesie », Lucie Guillet, éditions Jouve, 1946 Dans son livre, Lucie Guillet incite le patient, malade mental, à lire des vers afin de se laisser gagner par un « fluide poétigue » bénéfique. On entend maintenant le terme de « bibliothérapie », qui signifie le fait de soigner par la lecture. L’acte de lecture est une résistance, à toutes les situations qui nous dépassent.

85


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

86


> Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

87


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

Finalement, le designer graphique prend la place de transmetteur de connaissance, de savoir, de désir. Si on parle de transmission dans un premier temps, alors on peut parler d’apprentissage dans un second temps. Comment le designer graphique peutil se placer dans un contexte d’apprentissage ? Quel est l’apport du design graphique dans la transmission des savoirs ? Est-ce que l’on peut parler de transmission du ou par le design graphique ? Comment le designer crée-t-il l’espace à rêver ? Tout comme nous l’avons vu dans la deuxième partie, ici aussi le designer crée des outils qui lui permettront à lui ou à d’autres de transmettre des savoirs. Le designer est alors convoqué à réfléchir un dispositif, un outil à prendre en main, accessible pour l’usager qu’il cible. Cette manière de travailler place le designer en lien direct avec le récepteur du projet, car pour savoir comment transmettre un savoir à d’autres, il faut s’imprégner et comprendre le fonctionnement de l’autre : comment peut-il intégrer, s’exprimer, utiliser cet outil, comment va-t-il se le ré-approprier ? La réflexion prend donc la forme d’un échange entre designer et récepteur, qui conçoit des hypothèse, les vérifie, rebondit, etc. A travers des ateliers, des dispositifs, ou de réels outils manuels, le designer graphique invite l’utilisateur à prendre un main sa créativité, pour libérer son expression, ses désirs, et lui donner les moyens d’explorer et d’élargir ses connaissances.

88


L’acte de transmettre contient certaines nuances : transmettre n’est pas forcément en lien avec un savoir, ou une connaissance précise. Si l’on comprend le mot « transmettre » comme « permettant le passage de » , le designer graphique accompagne alors un apprentissage en « transmettant » une part de rêve, de poésie, une part d’humour, de doute, de bien-être. Dans ce cas là, au travers d’une initiation, d’une pratique, le design graphique touche à l’émotionnel, à la sensation qui soutient et teinte l’apprentissage. La façon dont le designer graphique façonne un espace et les éléments contenus participe à la réception du message, il permet donc le passage d’une proposition personnelle dans l’interprétation du lecteur. Dans les exemples qui vont suivre, nous pourront voir que des designers se sont penchés sur la question de l’apprentissage du livre, de l’écriture ou des lettres chez les enfant en milieu scolaire, ou encore sur l’appréhension et la connaissance du monde par les sens, par la culture. Quels ont été leurs outils ? Comment ont-ils abordé le monde de l’enfance, cet espace d’expérimentations capable de se libérer des contraintes ? Quel imaginaire de l’objet ont-ils fait échlore chez l’utilisateur ?

89


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

*

« Les Prélivres » Bruno Munari Travail sur la matérialité pour faire comprendre la structure même du livre en établissant la différence entre une feuille et le livre à travers sa reliure. Le designer a ainsi réalisé une série de douze livres proches de l’objet, jouant sur les matériaux (laine et carton, mousse, feutrine, poil, bois, plastique, etc.), sur les formes et le mouvement (bonhomme, agrandissement, rétrécissement, etc.) et sur les couleurs (feuilles monochromes, transparents, etc.). Ce sont avant tout des livres tactiles que l’enfant doit manipuler et explorer sans retenu. Peu à peu, il va comprendre et prendre conscience des multiples possibilités qu’ils offrent. À travers ces livres, Munari cherche à faire entrer l’art dans l’univers de l’enfant mais aussi à faire découvrir l’invisible, ce que l’on ne voit pas et qui pourtant est contenu en tout objet.

90


*

« Série Graphique » Fanette Mellier, 2015 Création du kit pédagogique réalisé par le centre national des arts plastiques. Ce kit propose à des collégiens de découvrir le design graphique, il comprend un livret destiné aux enseignants, et des affiches à accrocher aux murs. Ces livrets se proposent de devenir un terrain de jeu, ils appellent à l’échange et à la discussion entre professeur et éléve. Le kit est une manière pour le designer graphique de transmettre ses outils, ses astuces, c’est un ensemble de propositions, qui rendent l’élève curieux et capable de s’exprimer à son tour, à sa manière.

91


92

Le livre s’ouvre, se construit et se déconstruit, dans plusieurs sens, de manières différentes. Je peux le moduler comme j’en ai envie, jouer avec les couleurs, les plis et les superpositions.

Expérimentation éditoriale

Livres-cabanes

Un livre n’a pas forcément la forme d’un livre

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire


93


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

*

« Ductus» Marion Di Sante ( Projet de Fin d’Etudes ) Ductus est une démarche expérimentale entre design et pédagogie. Sur la forme, c’est un dispositif pédagogique autour des gestes d’écriture pour des enfants âgés de 3 à 5 ans. Ductus s’articule autour de quatre thématiques: reconnaître les formes, s’approprier les gestes, imaginer des tracés, composer des lettres. Cet ensemble d’ateliers entend faire découvrir la dimension expressive du langage tout en favorisant la capacité d’imagination de chaque enfant. Le designer ne crée pas un outil à usage personnel, mais il se questionne sur la conception d’un outil capable de venir en aide aux enfants, un outil qui accompagne le processus d’apprentissage et le facilite.

94


*

« Les Normographes» Lucile Bataille Cet intérêt du designer graphique dans l’apprentissage de l’écriture chez l’enfant est présente dans différents projets comme aussi dans les Normographes, de Lucile Bataille, un outil en bois qui permet d’appréhender les bases de l’alphabet, afin d’initier au langage.

95


96

Quel rôle peut jouer le designer dans l’apprentissage de l’alphabet ? Typostamp propose d’observer différemment la lettre-objet, afin de ne plus la voir seulement comme un signe qui compose un mot, mais comme un ensemble de signes qui peuvent fonctionner indépendemment des autres, et donc avec lesquels on peut s’amuser à imaginer et construire des images.

Expérimentation plastique

Typostamp

Aller au-delà de la lettre, décomposer les formes

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire


Pour illustrer cette recherche, j’ai choisi de travailler sur la lettre « H ». J’ai d’abord décomposé le caractère en quatre formes géométrique (carré, rectangle), puis j’ai modéliser ces formes en volume, afin de créer quatres tampons, que l’on peut aussi utiliser comme normographes.

97


Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

98


Typostamp

Chaque tampon propose une texture différente, qui offre une matière ou un motif unique une fois déposé sur le papier. Cette expérimention a pour objectif de transgresser les codes établis, en montrant que l’on peut modifier ou transformer nos habitudes, et que chaque objet ordinaire, peut révéler de nouvelles image. Ici, la typographie se détache de ce qu’elle est, pour proposer un ensemble de signes qui peuvent construire un paysage graphique. Les tampons sont une invitation à voir et utiliser autrement l’alphabet et les mots.

99


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

*

«Mallette Pédagogique Jean Pedrizet» Structure Bâtons (studio) Conception d’une malette pédagogique à l’image de Jean Perdrizet, figure de l’Art Brut, inventeur et créateur Dignois. La malette est utilisée comme une véritable boîte à outils, entre enseignants et élèves. Une partie à destination des élèves qui comprend des archives personnelles, des outils de dessins et des jeux pédagogiques réalisés pour cette occasion. Une autre pour les professeurs qui contient un inventaire, une médiathèque, d’autres jeux pédagogiques ainsi que des cahiers répartis en thématiques permettant à la mallette d’être utilisée selon les objectifs qu’aura défini au préalable l’enseignant.

100


*

« Atelier de design à l’école », L’Atelier des chercheurs, Pauline Gourlet, Juliette Manicini Série d’ateliers organisés sur une année, afin de faire découvrir aux enfants les différentes facettes du design graphique, typographie, mise en page, mais aussi animation, design industriel, etc. Pour chaque projet, différents outils et techniques ont été mis en avant, le dessin, le travail de maquelle, la photographie, ou encore le collage. Le choix de ces différents supports à permis aux élèves de développer la réflexion de leur production, seul ou à plusieurs. Ici, le designer graphique interroge la créativité dans l’apprentissage, d’une manière plus globale, en proposant de retranscrire des savoirs, des connaissances, que l’on a aquises et que l’on est aidé à retranscrire d’une manière personnelle. Le graphisme sert de cadre, d’ingrédients à utiliser, à mélanger pour créer.

101


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

Les enfants sont des individus qui arrivent facilement à mettre en place le rêve. Leur spontanéité, leur curiosité, leur innocence, les poussent à s’inventer des histoires, à investir l’espace qui leur est donné. Dans la rue, ou sous leur couette, les enfants sont capables de laisser leur imaginaire prendre possession de leur esprit, mais il faut les en encourager. Les exemples précédents étaient intéressants dans «l’espace de rêve» qu’ils proposaient : l’apprentissage de l’écriture ou de la lettre, la découverte et la compréhension du livre, sont des sujets que l’on pourrait penser «sérieux», et très cadrés. Or, amener les enfants à un apprentissage créatif de ces disciplines, permet finalement de leur faire découvrir ce qu’il y a au-delà. En mettant en place ces outils, le designer montre à l’enfant ce qu’est son métier, ce qu’il est possible d’inventer, de créer, comment le jeu de l’imagination peut-il nous faire re-découvrir les mots, les espaces. Le designer graphique montre à l’enfant qu’il est possible de rêver un peu, partout, et de s’amuser. L’exemple suivant s’inscrit à la suite de ces propos, en démontrant que la même initiation peut-être faite à des adultes. Comme nous l’avions vu dans l’espace collectif, l’adulte laisse sa créativité et ses rêves s’installer lorsque nous lui proposons des outils pour s’exprimer. Ici, il exprime visuellement un «apprentissage culturel» personnel.

102


*

« Entrer en jeu. La part du faire dans la création graphique» Virginie Diner et Emilie de Castro (projet de diplôme), 2013 Les deux étudiantes, à travers ce projet, ont souhaité redéfinir les méthodes de travail du designer graphique. Elles ont rédigé un manifeste, autour de l’idée de construire son propre matériel à associer avec d’autres outils, pour créer de nouvelles formes visuelles. Elles ont choisi le contexte de l’exposition pour appliquer leurs idées de créer avec et pour les autres, en proposant des médiations participatives : livret-catalogue à remplir avec des images et des textes que l’on a choisi, des tables avec des tampons dans le but de créer une « parodie d’art moderne », ou encore la possibilité de produire sa propre affiche de l’exposition. Leur démarche s’est ancrée dans l’élaboration et la création d’outils facilement manipulables par le public, et pouvant servir à chacun de manière singulière, pour créer une certaine personnalité, ou intimité entre l’exposition et le visiteur (dans ce qu’il en retirera).

103


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

3. Apprendre à rêver : la question des outils

Transmettre des techniques, des outils Outils pour voir, outils pour faire

Rêver le monde, faire poésie, c’est transformer l’espace dans lequel on vit, dans lequel on interagit avec les autres, c’est apprendre à voir autrement que ce que je vois habituellement. A travers la poésie des mots, des gestes, j’ai un nouveau regard sur mon environnement. Le designer graphique participe à l’élaboration de ce regard poétique, il participe à sa transmission en analysant des situations, en pensant des outils, en rendant des individus acteurs de leurs espaces de vie. L’ensemble des exemples que nous avons vu nous montre le rôle du designer lorsqu’il s’agit de transmettre, d’échanger, de partager cette poésie : cette manière de pratiquer, ces interventions participatives, engendrent plusieurs notions que j’ai retenu pour la suite de ma réflexion.

104


Tout d’abord, le designer crée des outils qui ne sont pas pour lui mais à destination des autres. Dans son projet, il prend en compte l’implication de l’utilisateur, il lui offre la possibilité de s’approprier un ou plusieurs outils qui vont lui permettre de façonner l’espace qu’il imagine, qui lui sera identitaire, et qui lui permettra de s’exprimer, de rêver. Dans la proposition de ses outils, le designer interroge le geste du corps, ou de la main. Il invite à prendre conscience de son corps dans la connaissance du monde qui nous entoure, afin de construire son propre territoire, personnel, identitaire. En impliquant le geste et l’utilisateur lui-même, le designer graphique assume et met en place un certain hasard qui appaitra dans le processus créatif. Ce hasard, parfois «erreur» devient une sorte d’affirmation d’une liberté, qui s’oppose à l’organisation et à l’uniformisation. Enfin, les notions d’apprentissage, de transmission, d’échange, de partage sont présentes dans la volonté du designer d’appréhender et de concevoir son métier. Il propose de s’emparer d’outils ou de techniques afin d’être soi-même acteur et créateur de nos espaces, de nos envies, de nos pensées. Ce sont ces notions que je souhaite développer dans la suite de mon projet, car elles sont les ingrédients, selon moi, du processus d’élaboration de l’imaginaire que le designer graphique peut mettre en place.

105


Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

Problématique et axes de recherches

Au cours de cette recherche, nous avons pu définir la notion de rêve associée au design graphique : rêver c’est avant tout regarder un morceau de ce qu’il se passe autour de nous, « un morceau de monde », puis c’est le transformer, le traverser, le personnaliser, pour se l’approprier et se façonner un espace à penser. Rêver c’est prendre conscience de soi, de son corps, de ses envies, de son histoire, de sa ville. Rêver, c’est faire poésie. Parce que la poésie fabrique des images, joue avec les mots, retranscris les sons, nous parle à nous, nous interroge. En ça, le design graphique peut devenir un outil d’apprentissage et de mise en place de cette poésie. Nous avons vu d’où pouvait surgir le rêve, quels étaient les espaces propices à son élaboration, l’espace collectif, public (qui me contient et dans lequel j’évolue), l’espace intime, personnel (que je contiens et que je peux moduler), et enfin quels étaient les outils du designer pour transmettre cette part de rêve. Le rêve s’ancre dans la vie quotidienne, il est un moyen de voir autrement, de transformer l’ordinaire. A la suite de ce premier tome et des notions abordées, je souhaite donc continuer à travailler sur ces deux « échelles de territoires » : l’espace public, qui fait référence à l’espace extérieur, l’espace de circulation, l’espace collectif, puis l’espace intime, l’espace personnel, qui fait référence à sa propre histoire, à sa perception de l’environnement.

106


*

« Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont, en traçant des lignes, en disposant des mots ou en répartissant des surfaces, on dessine aussi des partages de l’espace commun. C’est la manière dont, en assemblant des mots ou des formes, on ne définit pas simplement des formes de l’art mais certaines configurations du visible et du pensable, certaines formes d’habitation du monde sensible. » Jacques Rancière

Pour la suite de ma réflexion, j’ai développé trois axes qui vont me permettent d’orienter mes réponses à la problématique : Comment le design graphique participe-t-il à l’élaboration d’un regard poétique sur le quotidien ? Pour donner un cadre et un contexte à cette recherche, j’ai choisi de m’orienter sur l’espace du quartier, qui est pour moi représentatif du quotidien, et au sein duquel les réflexions soulevées dans ce tome vont pouvoir prendre forme. Le quartier sera donc étudié sous différents angles : - le quartier, un espace à re-dessiner : réappropriation par le geste, l’ordinaire, et l’imaginaire - le quartier, un espace pour échanger : ré-établir le dialogue, les mots, la correspondance - le quartier, un espace à protéger : des frontières poreuses, une mémoire à construire Dans ce deuxième tome, nous verrons le rôle du designer dans l’élaboration d’outils pour apprendre à voir et retranscrire, pour libérer le langage, et pour rendre visible dans l’espace et dans le temps.

107


Bibliographie - Bachelard (Gaston), Le droit de rêver, Paris, PUF, 1943 - Barthes (Roland), Le plaisir du texte (précédé de Variations sur l’écriture), Paris, Éditions du Seuil, 2000

Le designer graphique, façonneur d’espaces à rêver - tome un

- Beaulieu (Denyse), L’enfant vers l’art, Une leçon de liberté, un chemin d’exigence, Paris, éditions Autrement, 1997 - Danse et pensée. Une autre scène pour la danse, ouvrage collectif, Germs-surl’Oussouet, éditions GERMS, 1993 - De Certeau (Michel), Giard (Luce), Mayol (Pierre), L’invention du quotidien, tome 2, habiter, cuisiner, Paris, Editions Gallimard, 2015 - Faure (Pierrick), Machine à faire, mémoire de fin d’étude DNSEP, 2014 - Focillon (Henri), Éloge de la main, Angoulême, éditions Waknine Marguerite, 1934 - Format(s), revue annuelle Pli, Paris, 2016 - Insolant’image (Siakowski Marina, Ollivier Anne-Leïla), Paroles d’habitants, Village II, Vieux Village, Villeneuve, La Viscose, La Luire, Echirolles, édité par le centre du Graphisme d’Echirolles, 2008 - Michaux (Henri), Par la voie des rythmes, Saint Clément de rivière, Fata Morgana, 1974 - Parish (Nina), Le corps et le mouvement dans les livres composés de signes d’Henri Michaux, Textyles, 29 | 2006, 44-52. - Sophie Pujas, Street Art, poésie urbaine, Paris, Tana éditions, 2015 - Tout pour plaire, production graphique, ouvrage collectif, Paris, auto-édition Tout pour Plaire, 1993 - .txt2, ouvrage collectif (Ecole Supérieure d’art de design Grenoble-Valence, et éditions B42), Paris, éditions B42, 2015 - Vincent Veschambre, Une mémoire urbaine socialement sélective, Les annales de la recherche urbaine N°92

108


Sitographie

- https://www.anpu.fr - http://www.demainlaville.com - http://www.pensonslematin.fr/ - http://revesurbains.fr/ - Adagas (Laurence), Design graphique - Espace - Danse, (Mémoire DNAP), 2013 http://ateliers.esapyrenees.fr/ http://ateliers.esapyrenees.fr/2012-2013/laurence/ - Géraldine Brausch, Réflexions sur l’appropriation de l’espace ; Quand le street art et le rapport à la ville deviennent des enjeux du secteur socio-culturel, Collection Culture en mouvement - 2014 http://orbi.ulg.ac.be http://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/176179/1/Appropriation%20de%20 l%27espace%20-%20G%C3%A9raldine%20Brausch%20CDGAI%202014.pdf - http://www.plateforme-socialdesign.net/ : « transmettre, faire lien, découvrire la ville » : http://www.plateforme-socialdesign.net/fr/decouvrir/transmettre - Villard (Marie-Anne), Poétique du geste chez Henri Michaux : mouvement, regard, participation, danse, (thèse dans le cadre d’un doctorat en Lettres et Arts à l’université de Grenoble), 2012 https://halshs.archives-ouvertes.fr/ https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00919040/document

109


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.