Lieu d’Êtres Marion Lihoreau
« L’existence est traversée de lieux, tout comme elle en occupe. » *
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Paquot Thierry, Demeure terrestre. Enquête vagabonde sur l’habiter, Besançon : Les éditions de l’imprimeur, coll. « Tranches de villes », 2005, p.15
« Avant, il n’y avait rien, ou presque rien ; après, il n’y a pas grand chose, quelques signes, mais qui suffisent pour qu’il y ait un haut et un bas, un commencement et une fin, une droite et une gauche » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.18
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« On disait : "On va dans les trous de bombes". On n’appelait pas ça la Petite Amazonie. »
« L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.21
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« Ils ont comblé pour les constructions, avant c’était plus creux. Ils prenaient le sable de la Loire. J’avais pas été au régiment encore. Il y avait des jardins le long du chemin de fer, le café Robinson, après le pont Résal. Il y avait aussi une petite ferme où on allait chercher des fleurs pour ma mère. »
« Je dois être le plus vieux né à Malakoff, il ne doit pas y en avoir d’autre. Ça fait 57 ans que j’habite Malakoff, du Vieux à la cité. Mon père travaillait aux chantiers, ma mère chez Lulu. »
« Quand on est arrivé à la cité, on était paumé. On était habitué aux petits appartements du quai Malakoff. On habitait dans une maison, il y avait le rez-de-chaussée et deux étages. On louait un étage. »
« Bien noter que la ville n’a pas toujours été ce qu’elle était. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.84
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« Je suis né en 1948, rue de Cornulier. Après c’est devenu rue de l’Indre, puis allée de l’Indre. La maison existe toujours. Qui dit qu’un jour ce sera pas foutu en l’air ? » « Mais c’est la ville ! Si on veut que Malakoff fasse partie de la ville de Nantes, il faut accepter qu’il y ait des constructions et que ça devienne de la ville un peu normale, sinon c’est le grand ensemble qui est à l’écart des choses ! »
___ Ouest France, lundi 03 novembre 2008
C’est l’ultime opération de démolition d’habitat dans le quartier de Malakoff, à proximité de la gare et du centre-ville de Nantes. « Il a fallu faire exploser des barres Troisédifiées semaines seront d’habitation dans l’élan projectifnécessairessoixante, pour mais déconstruire partiel‑ des années qui, vingt et trente ans plus tard,barre n’avaientcourbe pas lement une d’imrésisté au mal-vivre de leurs résidants. » meuble située rue d’Angleterre. 103 logements vont ainsi être détruits par une pelleteuse de 35 mètres de haut. Le chantier, d’un coût de 1,5 million d’euros, va produire 23 000 tonnes de gravats. 89 familles ont déjà été relogées à Nantes. Ces travaux vont permettre le passage d’un nouvel axe de circulation reliant Malakoff à l’île de Nantes, via un nouveau pont à haubans sur la Loire, qui sera inauguré en 2010. *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.121
« J’en ai des photos avant la démolition. Il faudrait que je mette le nez dedans, mais ça me fait du mal de les revoir. J’en ai même une où on voit la baignoire de ma mère, pendant qu’ils démolissent. J’aime pas le nouveau Malakoff. C’est pas les gens, ils sont gentils, c’est les murs. C’est trop lisse, trop propre, j’étouffe. »
___ Ouest France, lundi 03 novembre 2008
C’est l’ultime opération de démolition d’habitat dans le quartier de Malakoff, à proximité de la gare et du centre-ville de Nantes. Trois semaines seront nécessaires pour déconstruire partiel‑ lement une barre courbe d’immeuble située rue d’Angleterre. 103 logements vont ainsi être détruits par une pelleteuse de 35 mètres de haut. Le chantier, d’un coût de 1,5 million d’euros, va produire 23 000 tonnes de gravats. 89 familles ont déjà été relogées à Nantes. Ces travaux vont permettre le passage d’un nouvel axe de circulation reliant Malakoff à l’île de Nantes, via un nouveau pont à haubans sur la Loire, qui sera inauguré en 2010.
Faut-il raser les grands ensembles ? Longtemps taboue, cette question a trouvé un nouveau souffle avec le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, qui ambitionne de détruire 200.000 logements d’ici 2008 et faire ainsi de la restructuration des quartiers dégradés une priorité nationale. C’est ainsi qu’à Nantes, dans un quartier au cœur de la ville, en bordure de Loire, 294 appartements seront détruits. Pour le bien du quartier, les institutions bienveillantes vont détruire ce qui constitue pourtant le cœur de l’intimité des familles : leur logement.
A-t-on seulement pris le temps d’entendre la voix de ceux qui habitent ces logements ? A-t-on, un instant, prêté attention aux mots qui disent qu’on est bien, là où on habite ? « Je ne quitterai pas mon logement maintenant. Je suis bien, il y a du soleil, pas de vis à vis comme ici, les voisins sont sympas. »
Avec vue sur Loire – Interview de Nelly Richardeau et Sophie Averty –
Quel a été le point de départ de votre documentaire ? Sophie Averty : Le grand projet de ville (GPV), où ont été annoncées pour la première fois les démolitions des tours à Malakoff, a été présenté le 12 septembre 2001. Fin 2002, nous avons décidé de suivre – avant, pendant et après leur relogement – plusieurs familles de locataires de la Banane, le plus emblématique des immeubles du quartier, détruit à l’été 2004. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? Sophie Averty : Nous avons été surprises par la qualité des intérieurs, qui étaient loin d’être insalubres. Nelly Richardeau : Pour certains habitants, la destruction a certes été une opportunité de départ. Mais, d’autres étaient vraiment attachés à leurs logements, exposés plein sud, sur les bords de Loire et à cinq minutes du centre-ville. Cela a été un déchirement de partir, même pour ceux relogés sur la butte Sainte-Anne. À Malakoff, ils avaient leurs repères. Quelles conclusions tirez-vous de la destruction de la Banane ? Sophie Averty : La détruire était un non-sens. Ce n’était peut-être pas la solution la plus adaptée en ces temps de pénurie. On aurait pu garder le même parc, et abattre des cloisons pour concevoir des logements plus spacieux. C’est ce que propose notamment dans le documentaire l’architecte Jean-Philippe Vassal, qui avait été chargé par le ministère de la Culture d’une étude sur les alternatives à la déconstruction. Nelly Richardeau : On s’aperçoit que le malaise des quartiers ne vient pas du bâti, mais bien de la misère sociale. Pourtant, les subventions du grand projet de ville vont d’abord à la destruction, pas à l’accompagnement social des habitants. D’ailleurs, l’architecture de l’ex-Banane est la même de l’autre rive de la Loire, à Beaulieu, mais personne ne songe à démolir là-bas les immeubles. Peut-être est-ce aussi parce qu’ils ne sont pas habités par les mêmes populations. Le message que porte votre documentaire est-il entendu ? Sophie Averty : Les démolitions programmées sont aujourd’hui remises en cause, comme à Trignac ou bien encore dans la banlieue parisienne. Nelly Richardeau : Mais ce discours dérange. Après sa première diffusion sur France 3 mi-janvier, notre documentaire n’a jamais été reprogrammé, en dépit de ses excellents scores d’audience et contrairement à ce qui était prévu. Alors qu’il devait passer partout dans l’Ouest, il a été également cantonné à une diffusion sur l’estuaire de Nantes / Saint-Nazaire.
___ Recueilli par Guillaume Frouin
« Habiter signifie “ être-présentau-monde-et-à-autrui ”. […] Loger n’est pas habiter . L’action d’habiter possède une dimension existentielle. […] Habiter c’est […] construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre. […] C’est parce-qu’habiter est le propre des humains […] qu’inhabiter ressemble à un manque, une absence, une contrainte, une souffrance, une impossibilité à être pleinement soi » ___ Thierry Paquot, Michel Lussault, Chris Younès (dir.), Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, 2007.
« Il y a deux ans, nous nous sommes unies, habitantes, autour d’un idéal : créer du lien et inventer de nouvelles façons de faire vivre quartier. «notre La ville est là. Elle est notre espace et nous n’en avons pas d’autre. » * Nos objectifs : prendre part activement à la transformation de notre cadre de vie, aménager sur l’espace public, des espaces équilibrés entre végétal et urbain qui favoriseraient la rencontre, l’échange, le partage, et la prise d’initiatives d’habitantes et d’habitants . Avec une méthode : intégrer localement les différents aspects d’un projet, nouer des partenariats, tisser des liens et des relations de proximité autour d’enjeux communs et à toutes les échelles. Avec un outil, l’espace public : espace d’égalité de tous les citoyens, où tous exercent la pratique active de la citoyenneté, un lieu où toutes les différences trouvent leur place au service du bien commun. » Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.85
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« Il y a deux ans, nous nous sommes unies, habitantes, autour d’un idéal : créer du lien et inventer de nouvelles façons de faire vivre notre quartier. Nos objectifs : prendre part activement à la transformation de notre cadre de vie, aménager sur l’espace public, des espaces équilibrés entre végétal et urbain qui favoriseraient la rencontre, l’échange, le partage, et la prise d’initiatives d’habitantes et d’habitants . Avec une méthode : intégrer localement les différents aspects d’un projet, nouer des partenariats, tisser des liens et des relations de proximité autour d’enjeux communs et à toutes les échelles. Avec un outil, l’espace public : espace d’égalité de tous les citoyens, où tous exercent la pratique active de la citoyenneté, un lieu où toutes les différences trouvent leur place au service du bien commun. »
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Comment trouver ma place dans cet espace privé-collectif ? Espace où je n'habite pas, dans lequel je n'ai ni repère, ni souvenir. Mais, espace qui vit à travers l'occupation de ses habitants. En travaillant sur un quartier en mutation, j'expérimente la ville et son espace, pensé par des spécialistes et géré par des politiques. J'ai commencé ce projet en me promenant à Malakoff pour me familiariser avec son organisation et sa temporalité. Je l'ai appréhendé en le photographiant, en rencontrant des habitants. Et parce-que ce sont eux qui font usage de leur quartier, je me suis intéressée à leurs points de vue sur leur espace de vie. Le dispositif du carré de moquette rouge, de quatre mètres sur quatre, est un élément visuel dans le décor : il me permet d'être repérée. C'est un dispositif symbolique : un « chez-moi » à Malakoff. C'est un espace de lecture : personnalisé par soixante-deux formats A5 contenant chacun une citation d'ouvrages questionnant l'espace et la manière dont on l'expérimente. J'ai choisi ces citations parce-que, sorties de leur contexte, elles pouvaient trouver, ou non, leurs références à Malakoff. En invitant les gens à les lire, je cherche à susciter des réactions. Elles sont un moyen de les interroger sur leur quotidien, et surtout, de les écouter.
Photographie : David Lino
« Ou bien s’enraciner, retrouver, ou façonner ses racines, arracher à l’espace le lieu qui sera vôtre, planter, s’approprier, millimètre par millimètre, son "chez soi" » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.96
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Photographie : David Lino
Photographie : Namou
Photographie : Namou
l’habiter — à savoir « la façon dont les individus sont dans l’espace »
« faire avec de l’espace »
l’espace doit être envisagé comme une condition et une ressource de l’action.
___ Thierry Paquot, Michel Lussault, Chris Younès, (dir.), Habiter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philosophie, 2007, p.104
_ Ce tapis rouge est le point de départ de mon expérience. Je pensais avoir choisi les citations pour les habitants, je l'ai finalement fait pour moi. Si je n'ai récolté que peu de « contributions », nos simples discussions constituent pour moi une noble matière à transposer dans cette restitution éditoriale. La seconde matière est le résultat de visites guidées de Malakoff avec des petites filles, à qui j'ai confié des appareils jetables, après avoir lu et discuté des citations.
« [...] retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.105
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« L’air a changé. Quand j’ouvre ma fenêtre le matin, ça ne sent pas pareil qu’avant. »
« Si je fais le devant, comment je fais le derrière ? »
« Le quartier. Qu’est-ce que c’est qu’un quartier ? T’habites dans quel quartier ? T’es du quartier ? T’as changé de quartier ? T’es dans quel quartier ? » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.79
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« Pourquoi ils disent toujours Pré Gauchet avec Malakoff ? C’est parce-que c’est à côté ? »
« La porte casse l’espace, le scinde, interdit l’osmose, impose le cloisonnement : d’un côté il y a moi et mon "chez moi", le privé, le domestique, [...] de l’autre côté, il y a les autres, le monde, le public, la politique. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.52
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« Ou bien, d’une manière plus systématique, s’interroger, en un moment précis de la journée, sur les positions qu’occupent, les uns par rapport aux autres et par rapport à vous, quelques uns de vos amis : recenser les différences de niveaux (ceux qui, comme vous, vivent au premier étage, ceux qui vivent au cinquième, au onzième, etc.), les orientations, imaginer leur déplacement dans l’espace. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.113
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« Le premier étage il ne voit pas les jeux à cause d’un immeuble, alors qu’au 6è, on voit tout ce qui est à droite, gauche, en face, EXETERAT... »
« Ils ont plus urbanisé que réhabilité. Quand je prends l’apéro sur mon balcon, maintenant j’entends les voitures. »
« On sait que [le terme de réhabilitation] désigne des opérations de mise en valeur et de restauration d’éléments urbains, jugés dignes d’être intégrés dans des projets mieux adaptés à notre époque » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.118
« Ils ont plus urbanisé que réhabilité. Quand je prends l’apéro sur mon balcon, maintenant j’entends les voitures. » « Ils ont changé les fenêtres en 2000, sept ans après, il foutaient tout en l’air. » « On en a chié toujours pendant les travaux, à cause du bruit, et puis on n’était plus chez nous. Je squattais dans la salle à manger. La poussière, c’était indigne. C’est là que j’ai fait mon AVC, je gueulais tout le temps. Je suis un gueulard. » « Dans l’ensemble c’est bien ce qu’ils ont fait avec les travaux, mais ça arrive à être saloper. Ça vieillit mal. Mais il ne faut rien dire. Ils ont changé les sanitaires, mais la peinture est plus minable que celle que j’avais faite avant. Chez certains ça a dû faire du bien. Je veux pas dire que c’est un château chez moi mais je suis un bonhomme et je fais mon ménage tous les jours.»
« La répétition effraie les uns qui n’y voient que la preuve d’une existence banale, sans surprise, sans avancée, d’autres la souhaitent comme un territoire ami, une contrée accueillante, un chez soi. » *
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Thierry Paquot, « Le quotidien urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.19
« J’ai déjà vu l’intérieur de cette tour, c’est ma préférée. Il y a deux toilettes, deux salles de bain, trois chambres, deux salons, un balcon et une cuisine. C’est trop classe, c’est le luxe là-bas. »
« Observer la rue [...]. Noter ce que l’on voit. [...] Rien ne nous frappe. Nous ne savons pas voir. [...] Se forcer à écrire ce qui n’a pas d’intérêt, [...] La rue : essayer de décrire la rue, de quoi c’est fait, à quoi ça sert. Les gens dans les rues. Les voitures. Quel genre de voitures ? Les immeubles [...] » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.70
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« Jusqu’à la Maison des Haubans c’est Malakoff, par là je ne sais pas si c’est toujours Malakoff. »
« On vit quelque part : dans un pays, dans une ville de ce pays, dans un quartier de cette ville, dans une rue de ce quartier, dans un immeuble de cette rue, dans un appartement de cet immeuble. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.97
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« Tu vois, j’habite ici, au 3e étage.»
« Ç’aurait été un espace sans fonction. Ça n’aurait servi à rien, ça n’aurait renvoyé à rien. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.47
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« C’est comme une maison, mais elle est grande, il y a deux étages. »
« Après on voit un tout petit peu la banane qui est derrière. »
« Habiter un lieu, est-ce se l’approprier ? Qu’est-ce que s’approprier un lieu ? À partir de quand un lieu devient-il vraiment vôtre ? Est-ce quand on a mis à tremper ses trois paires de chaussettes dans une bassine de matière plastique rose ? [...] Est-ce quand on a tendu les fenêtres de rideaux à sa convenance, et posé les papiers peints, et poncé les parquets ? » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.36
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« Nous vivons dans l’espace, dans ces espaces, dans ces villes, dans ces campagnes, dans ces couloirs, dans ces jardins » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.13
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« On peut même se laisser aller rêver » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.13
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« Qu’est-ce qu’ils vont faire ici ? Ce serait bien un parc d’attraction ! » « Qu’est-ce qu’ils vont faire à la place du LIDL ? Un Parking ? J’ai pas été aux réunions. »
« Le nom des rues ne m’est presque jamais étranger, les caractéristiques des quartiers me sont familières » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.86
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« Les immeubles sont à côté les uns des autres. Ils sont alignés. Il est prévu qu’ils soient alignés, c’est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas alignés » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.65
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« Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.13
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« J’habite au bout, dans le XVIe de Malakoff. »
« Choses que, de temps à autre, on devrait faire systématiquement Dans les immeubles en général : essayer de se souvenir, dans le cas d’un immeuble neuf, de ce qu’il y avait avant » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.62
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« De ma fenêtre avant je voyais la patogeoire où j’allais quand j’étais petite, maintenant je vois Pôle Emploi. »
« Le mur n’est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare – pour montrer que le site est parfait : des autres lieux où les autres vivent, la présence de la Loire, apaisante, et il n’est plus qu’un support » * la nature avec la Petite Amazonie, le Crapa sur le bout de l’île Beaulieu, le parc de la Roche. – pour montrer les différentes facettes du quartier : ses infrastructures (la poste, la mairie, le centre médico-social, l’Intermarché...), la réhabilitation des immeubles, les nouvelles constructions... – pour montrer la mixité : l’église Saint-Marc, la Mosquée Assalam, la Maison des haubans plus laïque. Je n’ai pas sciemment mis d’« humains » sur mes photos, ce sera peut-être le sujet d’un autre cadre. Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.55
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Bonjour, Suite à notre conversation sur le tapis rouge à côté de l’arrêt de bus Écosse, je vous fais part de mes petites réflexions. Nous habitions à Orvault, commune plutôt résidentielle, et quand j’ai dit à mes amies que j’allais habiter Malakoff, elles ont été très étonnées. Nous sommes ici depuis deux ans et demi et nous nous plaisons beaucoup. Il faut accepter d’être multiples et s’enrichir mutuellement, même si c’est parfois difficile. Pour en revenir à mon panneau, je l’ai fait pour plusieurs raisons : - parce-que je n’avais pas « d’illustration » pour ce cadre, tout simplement. - pour « honorer » ce quartier si décrié.
– pour montrer que le site est parfait : la présence de la Loire, apaisante, et la nature avec la Petite Amazonie, le Crapa sur le bout de l’île Beaulieu, le parc de la Roche. – pour montrer les différentes facettes du quartier : ses infrastructures (la poste, la mairie, le centre médico-social, l’Intermarché...), la réhabilitation des immeubles, les nouvelles constructions... – pour montrer la mixité : l’église Saint-Marc, la Mosquée Assalam, la Maison des haubans plus laïque. Je n’ai pas sciemment mis d’« humains » sur mes photos, ce sera peut-être le sujet d’un autre cadre.
« On ne pense pas assez aux escaliers. [...] On devrait apprendre à vivre davantage dans les escaliers. Mais comment ? » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.54
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« Ça me fait rire de lire ça maintenant. Pour monter chez Mamadou, l’ascenceur était trop long à arriver alors on a pris les escaliers. On ne l’aurait pas fait s’il avait été plus rapide. »
« "Étant donné un mur, que se passet-il derrière ?" Jean tardieu » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.55
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« Lire ce qui est écrit dans la rue, déchiffrer un morceau de la ville » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.71
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« Tu sais ce que ça veut dire toi "division foncière" ? »
« J’ai rencontré beaucoup d’espaces inutilisables, et beaucoup d’espaces inutilisés. Mais je ne voulais ni de l’inutilisable, ni de l’inutilisé, mais de l’inutile. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.48
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« De plus, la rue est ce qui permet de repérer les maisons. Il existe différents systèmes de repérage ; le plus répandu, de nos jours et sous nos climats, consiste à donner un nom à la rue et des numéros aux maisons » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.65
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« Les frontières sont des lignes. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.100
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« Si tu habites dans cet immeuble tu peux aller derrière les grilles. Sinon tu ne peux pas, tu peux juste être dans la rue. »
« Espace neutre, non encore investi, pratiquement sans repères » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.88
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Photographie : Marion
« Le mobilier urbain, les panneaux de signalisation, les bancs publics sont la marque du confort de la ville » *
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Thierry Paquot, « Le quotidien urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.27
« [...] on commence à prendre possession de la ville. Cela ne veut pas dire que l’on commence à l’habiter. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.88
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« Qui dit qu’un jour ils vendront pas ? Le terrain vaut de l’or. Aussitôt qu’il y a une place libre on construit. Y’en a qui ont dû s’en mettre dans les poches. Ils ont eu des aides et on continue de payer en plus. Ils sont menteurs. »
« personne ne vit exactement comme ça, bien sûr, mais c’est néanmoins comme ça, et pas autrement, que les architectes et les urbanistes nous voient vivre ou veulent que nous vivions » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.44
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« S’il y avait un banc ici, peut-être que je m’assoirais dessus. »
« Comme un mot ramené d’un rêve restitue, à peine écrit, tout un souvenir de ce rêve » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.33
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« J’allais dans le temps au parc de Malakoff, quand j’avais un chien. J’allais aux champignons aussi. Y’en a qui disent qui n’ont pas à becter, mais aux saisons, il y a des pissenlits, des escargots, des champignons... » On allait pêcher des grenouilles dans ce qu’ils appellent la Petite Amazonie, et dans la Loire pour pêcher des poissons : du sandre, du brochet, du gardon, du poisson-chat, du mulet, de l’anguille... On mangeait de la civelle une ou deux fois par semaine. Y’avait pas mal de trucs : de la menthe pour faire des infusions, du tilleul aussi sur le quai Malakoff. Le long de la ligne de chemin de fer il y avait des mûres. »
« Il n’est même pas nécessaire de fermer les yeux pour que cet espace sucité par les mots [...] s’anime, se peuple, se remplisse » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.22
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« Pour aller en ville, on y allait à pinces. Pour aller à l’école, on traversait le Vieux Malakoff, à pinces, pour rejoindre la Manufacture, quatre fois par jours ! Maintenant il faut les emmener à l’école en bagnole. J’ai jamais eu de voiture, toute ma carrière, c’était à mobylette. » « Sur le Vieux Malakoff, un monsieur venait entraîner son cheval de course. »
« Avant, j’habitais dans la tour en face. Ils m’ont déménagé pendant les travaux, mais ils n’ont pas pris en compte que j’étais handicapé. J’habitais l’appartement 59, et aujourd’hui j’habite toujours l’appartement 59 mais au 16e étage. »
« Notre champ visuel nous dévoile un espace limité : quelque chose de vaguement rond, qui s’arrête très vite à gauche et à droite, et qui ne descend ni ne monte bien haut. En louchant, nous arrivons à voir le bout de notre nez ; en levant les yeux, nous voyons qu’il y a un haut, en baissant les yeux, nous voyons qu’il y a un bas ; en tourant la tête, dans un sens, puis dans un autre, nous n’arrivons même pas à voir complètement tout ce qu’il y a autour de nous ; il faut faire pivoter le corps pour tout à fait voir ce qu’il y avait derrière. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.109
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« Une ville qui sait entretenir, réparer, adapter, faire place aux nouveaux besoins et aux nouvelles habitudes sans faire table rase, bref s’enrichir "au fil du temps" [...] » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.127
« Et puis un quartier ça s'aménage progressivement. On n'a pas fait les choses une fois pour toutes, jusqu'à la nuit des temps. Enfin, vous savez bien que ça se modifie avec les habitants, les gens qui habitent vraiment le quartier et qui disent "attendez, ça ne marche pas comme ça !". — Bien sûr, nous on le vit tous les jours. »
« Essayer de classer les gens : ceux qui sont du quartier et ceux qui ne sont pas du quartier. » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.71
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« Ce parking est réalisé mais il est provisoire, parce-qu'on va faire des travaux de réaménagement de tous les parkings derrière Tchécoslovaquie. Et comme on va supprimer, pendant le temps des travaux, les parkings ici, on fait des parkings provisoires. Et après on remet les parkings. Et après... — On va construire. Ouais, on va construire. Mais oui, on va construire... — Nantes Métropole va construire un petit immeuble de bureaux. — Et voilà ! — Si ce n'est pas très haut, ça va. Il ne faut pas que ce soit trop haut. — Ça ne gênera pas, c'est pas du tout devant les bâtiments. Ce sera à R + 4 / 5. »
« Voir ce que l’on a toujours rêvé de voir. Mais qu’a-t-on toujours rêvé de voir ? » *
Georges Perec, Espèces d’espaces (1974), Paris, Galilée, 2000. p.104
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« Pourquoi ils ont coupé l'arbre, maman ? Il était trop beau. » « Pour construire ici on va enlever des arbres. Mais on en garde là, on va en replanter ici. »
« Mais qui, des urbanistes, élus et personnels communaux, accorde toute l’attention qu’il mérite à un recoin urbain ? » *
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Thierry Paquot, « Le quotidien urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.27
« Si vous voulez moi je dis des trucs, mais on ne m'écoute pas. Il faut remonter à la ville pour dire tous ces trucs. — C'est un conseil citoyen ! — Exactement ! Je crois que Madame le maire est sensible à tout ça. Sans déconner hein, les élus ils veulent vous entendre. »
« Le projet ne "fait sens" que s’il s’adosse à la mémoire, à ses acquis, à ses épreuves [...]. La mémoire ne fait sens que si elle favorise des choix de société susceptibles de construire l’avenir. » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.113
« La mémoire intervient ainsi comme composante nourricière du lien social, apportant un peu de rêve collectif et de transcendance. [...] Mémoire et projet mettent en jeu des zones différentes de l’être social. » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.109
« Dans sa vie personnelle la plus intime, chacun de nous, quel que soit son âge, ne peut se penser comme être que s’il prend conjointement en compte son expérience passée et son horizon futur » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.110
« Le temps est une catégorie bien plus mystérieuse, bien plus implacable que l’espace. S’il est bien banal, encore que justifié, de penser la ville en termes d’espace, la penser dans la durée du temps représente un effort autrement exigeant, et non moins fécond. » *
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Jean Chesneau, « Mémoire urbaine et projet urbain », dans Le quotidien urbain : essais sur les temps des villes / dir. Thierry Paquot, Paris : La Découverte / Institut des villes, 2001, p.109
« Vous vous rendez compte quand même, que quand on a démarré les travaux – ou plutôt quand on a commencé à parler sérieusement de la transformation de Malakoff, sur laquelle on a commencé à travailler – c'était en 2002. Donc, j'imagine un gosse qui avait dix ans, il en a vingt trois aujourd'hui, vous vous rendez compte ? Voilà, c'est long. Quand on parle des immeubles qui seront là, ça ne va pas se terminer avant 2018 / 2019. — C'est vrai, on vit dans les travaux, c'est un vrai problème. »
Lieu d'Êtres a été réalisé dans le cadre de mon projet de diplôme à l'ECV Atlantique, et présenté le 08 juin 2015 à Nantes.
_ Je remercie : _Pour leurs contributions : Aya, Céline, Carine, Claudine, Jean-Claude, Jean-Paul, Jean-Pierre, Larbi, Louiza, Nabil, Namou, Nelly, Mamadou, Monic, Salma et Salma _ Pour leur aide : Ambition Jeunesse et Mehdi — coordinateur de projet — , Bruno Savin, Catherine Loget, David Lino, Émilie Lemoine, Jeanne Chauveau, Mahdiya Hassan-Laksiri, Marielle Gibouleau, Marion Féron, Nolwenn Couëtoux, Patrick Bernier et Olive Martin, Ronan le Régent et Sophie Trentesaux _Pour leur accompagnement : Marie-Laure Viale et Stéphane Pauvret _Également : Tous les habitants de Malakoff et autres acteurs du quartier avec qui j'ai pu échanger lors de la réalisation de ce projet.
_ Lieux d'Êtres sera présenté à Malakoff au courant du mois de juin 2015.
_ Quartier populaire de Nantes, le grand ensemble de Malakoff subit une réhabilitation urbaine depuis une quinzaine d’années. Le Grand Projet de Ville du Nouveau Malakoff, voilà le nom donné par la ville à cette opération : désenclavement, mixité sociale, nouveau pôle économique mais surtout requalification des espaces urbains. Le quartier fait aujourd'hui la fierté de la métropole. Après la quantité d’images institutionnelles que j’ai pu voir, j'ai décidé de m'intéresser au point de vue des habitants, en adoptant une position de l'intérieur. À travers une installation sur l’espace public invitant à la lecture, je leur propose de s’exprimer sur (les changements de leur espace de vie et sur la manière dont ils l’habitent. _ Lieu d’Êtres est une expérience immersive, favorisant la découverte des éléments constituant l'identité de Malakoff. Lieu d’Êtres est un dispositif poussant à la rencontre et à la communication. Lieu d’Êtres est un espace transitoire, un prétexte à vérifier par moi-même ce qui se passe à Malakoff, ce qui se dit de Malakoff, ce qui s'y vit.