L’architecture agricole une architecture contemporaine ?
CREACH Martin - Rapport d’étude - Mathieu Percebois - Orianne Champavier
Tout d’abord, je souhaite remercier l’ensemble des personnes qui m’ont permis de mener à bien ce rapport d’étude. Je remercie particulièrement mon professeur de rapport d’étude, Mathieu Percebois qui m’a conseillé et accompagné tout au long du semestre. Je remercie également les agriculteurs et personnes du milieu agricole avec qui j’ai pu échanger pour l’élaboration de mon rapport d’étude.
²Introduction
Enjeux architecturaux
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Réversibilité de l’architecture Une architecture agricole pour les architectes
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Des matériaux de construction
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Conclusion
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Annexes
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Bibliographie
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Fils d’un père agriculteur, et d’une mère infirmière, j’ai grandi dans un environnement rural. Depuis petit, j’ai toujours aimé manipuler les matériaux et aider mon père au travail manuel de la ferme. J’aimais produire un travail du début jusqu’à la fin, avoir la satisfaction du travail accompli. J’ai toujours aimé les choses concrètes et manuelles.
Venant d’un milieu rural, je suis attaché à l’environnement et au respect de la nature. L’échelle rurale en architecture est un sujet qui m’intéresse et que j’aimerais potentiellement pousser à l’avenir dans la vie professionnelle. Nous abordons de plus en plus la question de l’environnement en école d’architecture et je crois que l’architecture peut être une solution aux nombreux enjeux d’aujourd’hui et de demain.
Introduction L’agriculture a toujours occupé une place importante dans l’histoire des idées et a constitué un domaine privilégié de la modernité et du progrès. Aujourd’hui, le nombre d’agriculteurs en France est en constante baisse. Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, les paysans formaient encore un tiers de la population française. De nos jours, ils ne pèsent plus dans la démographie française et ont pratiquement tous disparus. Peinant à gérer les limites d’urbanisation en plus des problèmes financiers, les plus petits exploitants agricoles jettent l’éponge et l’agriculture disparaît peu à peu des villages. L’architecture agricole d’après guerre n’a pas connu le succès des constructions traditionnelles dans la question du patrimoine. Les bâtiments étaient principalement conçus comme des outils modernes, sans aucune recherche architecturale, pour répondre à une agriculture principalement basée sur l’augmentation des productions et des résultats. Aujourd’hui, la recherche architecturale est principalement tournée vers l’urbain. Si les historiens et les sociologues du bâtiment ont largement investi les thématiques du logement, des équipements publics et de l’urbanisme sans négliger le domaine des espaces de travail et de l’industrie, on ne peut que noter la rareté des travaux scientifiques dans le domaine de la construction rurale et plus particulièrement agricole. Absents de la base Architecture-Mérimée1 du ministère de la Culture, les nouveaux bâtiments agricoles n’ont pas eu leur place dans l’histoire de l’architecture contemporaine. Moins étudiés que l’habitat des hommes, les bâtiments d’exploitations représentent tout de même de véritables marqueurs de l’évolution des campagnes. Dans le même temps, les pays du monde entier font face à des enjeux majeurs concernant l’environnement, les questions sanitaires ou encore la gestion du territoire. C’est véritablement les modes de vie de leurs habitants qui sont impactés. Je me demande comment, par ses vertus, l’architecture agricoles peut être une des solutions pour réagir face aux problèmes d’aujourd’hui. En quoi l’architecture agricole peut-elle être une architecture contemporaine ? Après avoir présenté les enjeux architecturaux d’aujourd’hui, nous évoquerons l’évolution de l’architecture agricole et ses caractéristiques. Cette architecture, non conçue par des architectes, pourrait constituer une solution pour l’évolution des modes de vie et de construction de demain. 1. Base Architecture-Mérimée : recense le patrimoine monumental français dans toute sa diversité.
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Enjeux architecturaux Des enjeux environnementaux Un des enjeux principaux auquel est confronté l’ensemble du domaine de la construction est l’enjeu environnemental. En effet, la problématique du réchauffement climatique n’est pas nouvelle mais elle est, plus que jamais, d’actualité. La trajectoire actuelle de ce réchauffement tend vers +1.5°C à l’horizon 2050. Et si ce cap aboutit, nous atteindrons inévitablement les +2°C vers horizon 2100, objectif fixé par la COP21 à ne pas dépasser. Des études menées montrent que si cette température est dépassée, cela entraînera des phénomènes irréversibles, comme la fonte du permafrost contenant à lui seul, enfermé dans ces glaces, plus de 4 fois la quantité de CO² émise par l’humanité durant toute son histoire. Si le permafrost vient à fondre, les scénarios les plus catastrophiques sont à imaginer et le problème prend alors une toute autre échelle. Une montée des températures de +5°C serait alors à prévoir. Or si cela a lieu, la planète ne serait capable d’abriter qu’un milliard d’êtres humains car une montée des températures de +5°C implique -70 % de rendements agricoles. De plus, une grande partie des territoires deviendraient inhabitables comme une grande partie des îles et des territoires côtiers en raison de la montée des eaux. Aujourd’hui, on le sait, nos modes de vie sont menacés. Souvent oublié des débats autour de la question écologique, le bâtiment constitue l’un des domaines dans lesquels réside l’une des plus grande marge de progression. Le secteur du bâtiment est responsable de : - 50% du total des ressources naturelles exploitées - 45% de la consommation totale d’énergie - 40% des déchets produits dans le monde - 30% des émissions de CO² - 16% de la consommation d’eau En France, il représente plus de 43% des consommations énergétiques nationales et est responsable de 25% des émissions de CO². Le réchauffement climatique constitue un enjeu actuel majeur dans le monde. Il pourrait entraîner le développement de nouvelles maladies qui nous forcerait à revoir nos modes de vies. C’est la situation que nous vivons actuellement avec l’apparition du coronavirus. Notre façon de vivre est également remise en question par des enjeux sanitaires.
Travail de recherches personnelles réalisé lors du Concours IMPACT 2019, en groupe avec Théo RICARD, Léo GRIMONET et Léo CHANFRAY
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Mathieu Lucas - Artiste engagé dénonçant les pratiques humaine nocives pour l’environnement, la cause du réchauffement climatique Photos prises lors d’une exposition à Pierres Vives, Montpellier
Enjeux architecturaux Des enjeux sanitaires La question de l’hygiène a toujours été au coeur des préoccupations dans le domaine de l’architecture. Elle est fortement liée à la qualité de l’air qui circule dans les bâtiments. Un des exemples frappant fut lors de la lutte contre la tuberculose au siècle dernier. C’est une maladie se transmettant par voie aérienne, par des gouttelettes contaminées par la bactérie qui restent en suspension dans l’air. Au début du XXè siècle, pour éloigner les enfants de cette maladie, des écoles en plein air furent créées. L’objectif était d’éduquer les enfants à ciel ouvert, où il pouvaient bénéficier d’une bonne qualité d’air et profiter du soleil. Dès 1908, les écoles de plein air se multiplièrent en Europe en s’adaptant à la culture du pays d’implantation. Elles constituaient un moyen pour lutter contre la propagation de cette l’épidémie, la tuberculose est la maladie infectieuse la plus mortelle après la grippe. A cette époque, la réduction du nombre d’habitant par logement était évoquée, ainsi que la distanciation sociale et en ce qui concerne les architectes, les grands espaces, la lumière et l’air frais étaient une priorité. Nous nous retrouvons aujourd’hui confrontés à des enjeux similaires. Actuellement, l’enjeu sanitaire est la préoccupation de l’ensemble des pays. En effet, le COVID19 qui touche le monde entier depuis plus d’un an a boulversé nos modes de vie. Tout le monde est impacté de près ou de loin par cette pandémie. Si le port du masque et la distanciation sociale sont devenus obligatoires, l’importance du renouvellement de l’air dans les édifices revient au premier plan. Cela a bien-sûr des influences sur les constructions d’aujourd’hui et de demain. Les qualités d’air et d’eau dans les bâtiments deviennent de plus en plus essentielles et exigeantes. La surpopulation qui s’accroît dans les villes ne facilite par la qualité d’air respirable par chacun et renforce la proximité des individus. Afin de limiter la propagation du virus actuel et des futures maladies, la solution ne serait-elle pas de revoir nos modes de vies en habitant plus éloignés les uns des autres, dans des espaces plus aérés ? Cela reviendrait par conséquent à habiter dans la périphérie des villes et accélérerait l’étalement urbain qui aujourd’hui gagne du terrain sur les campagnes.
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Ecole ouverte Amsterdam https://www.espazium.ch/fr/actualites/batir-pour-une-education-en-exterieur https://www.espazium.ch/fr/actualites/batir-pour-une-education-en-exterieur https://www.pinterest.ca/pin/851672979508381340/ https://www.pinterest.ca/pin/851672979508381345/
Enjeux architecturaux Des enjeux urbains Parallèlement aux enjeux environnementaux et sanitaires, les villes font face à des enjeux d’étalement urbain. Celui-ci continue sa progression sur nos campagnes. Cela est dû à la construction de quartiers pavillonnaires composés de maisons individuelles. Ces dernières représentent 57% des logements français et il en pousse encore plus de 130 000 nouvelles chaque année, alors que trois millions de logements en France sont inhabités, notamment dans les villes. La maison individuelle en tant que logement de masse est apparue dans les années 70. L’aménagement périurbain résulte en premier lieu d’un choix contraint, inscrit tant dans des politiques de l’habitat que dans les politiques foncières. Sur le territoire français, 80% des lotissements de maisons individuelles sont implantés en périphérie des villes, et 20% en zone dense. Plus l’éloignement des centres s’accroît, plus le coût du foncier baisse et les surfaces de parcelles s’agrandissent. Ce phénomène s’explique par la moindre valeur des terres agricoles. Les espaces non bâtis font l’objet de la convoitise des lotisseurs. Au total, 5% de la superficie des départements perdent ainsi chaque année leur vocation agricole et l’équivalent d’un département disparaît sous le bitume tous les 10 ans en France. La moitié des sols ainsi urbanisés sont à l’origine les meilleures terres agricoles, historiquement proches des villes. Toutes les 15 secondes, une quantité équivalente à une piscine olympique est coulée en béton dans le monde, soit 6 milliards de mètres cubes par an. La Chine a consommé plus de ciment en 3 ans que les États Unis durant le dernier siècle. L’ensemble des dispositifs et des procédures d’aménagement du territoire ont considérablement modifié les paysages ainsi que les rapports entre l’agriculture et le bâti. Ainsi, face à ces différents enjeux liés les uns aux autres, l’architecture doit s’adapter afin d’y répondre et de permettre une meilleure qualité de vie des individus. L’architecture agricole par ses caractéristiques pourrait d’une manière ou d’une autre être détournée de son domaine principal pour servir ces enjeux.
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1970 - 2000 : Caen, Rennes, Nantes : tois exemples de croissance urbaine radiocentrique La ville franchisée, David Mangin, Editions de la Villette.
Réversibilité de l’architecture agricole Évolution après la seconde guerre mondiale Construits selon des savoirs-faire traditionnels autrefois, les bâtiments agricoles d’aujourd’hui se présentent sous la forme de constructions industrielles. Leur architecture est marquée par une forte simplicité volumétrique et guidée par l’économie et l’optimisation des rendements. On ne peut qu’être frappé par leur homogénéité. Maladroitement dissimulés dans les paysages, ces bâtiments sont fréquemment contestés. Ainsi, les liens qui unissaient le bâti et le territoire ont disparus. Après guerre, les formules de la construction rurale changèrent. Pendant que les vétérinaires et agronomes s’intéressaient à l’évolution de l’élevage et des cultures, les constructeurs en bâtiment vendaient la simplicité de mise en œuvre des blocs de béton manufacturés (parpaings, agglos,...), les possibilités structurelles de la construction métallique, les nouveaux modes d’assemblage des charpentes en bois,… Il en résultait de nouvelles formes bâties étroitement liées à la transformation des pratiques agraires. Dans le domaine de l’élevage, l’arrivée de la stabulation libre1, en fut un exemple frappant. Si l’élevage des ruminants en liberté débuta dans des bâtiments traditionnels, délaissés par la mécanisation, rapidement, les éleveurs s’équipèrent de constructions légères, plus amples, combinant charpentes métalliques ou bois et bardages « simple peau ». Le bâtiment est devenu un outil de travail, une «usine» dans les champs, alors qu’auparavant, il constituait un patrimoine à long terme se transmettant de générations en générations. La modernisation de l’agriculture s’est doublée d’une transformation des campagnes. Autrefois, majoritaires dans les espaces ruraux, les agriculteurs ne représentent plus aujourd’hui qu’entre 3 et 4% de la population active. Ils possèdent pas moins de 52% du territoire pour nourrir une population en croissance constante. Aussi bien dans les hangars que dans les serres agricoles, les questions de la fonctionnalité et de la construction furent centrales dans l’invention des nouvelles pratiques. Ainsi, la volumétrie ne laissa rien présager des conditions d’élevage, ni des équipements utilisés dans la production.
1. Stabulation libre : Les animaux ont libre circulation et accès à leur stalle tout en restant regroupés à l’intérieur d’un parc couvert ou non.
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Modèle d’une ferme traditionnel
Publicités de bâtiments standardisés, adaptés aux différentes filières.
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Stabulation libre et salle de traite, 1958
Réversibilité de l’architecture agricole Le hangar : un bâtiment outil Après la seconde guerre mondiale, l’arrivée de la révolution immobilière donnait un nouveau statut aux bâtiments d’exploitations : celui de bâtiment outil. Les fonctions auxquelles ils répondaient s’accompagnaient d’un renouvellement des formes bâties. L’acier et le béton allaient remplacer les briques ou les moellons. Tout juste si le bois était encore envisagé pour les hangars avant que la charpente métallique ne se généralisât dans la plupart des régions. Les pentes de toiture seraient alors réduites tandis que le recours systématique à la tôle, en couverture et bardage, optimiserait les structures. Le renouvellement incessant des réglementations et des pratiques a entraîné l’abandon de plusieurs bâtiments agricoles, qui ne font pas le poids face au modèle standardisé du hangar. Ce nouvel équipement faisait la une des journaux agricoles et bénéficiaient d’une promotion commerciale : « Le hangar métallique, c’est selon les besoins, un parapluie, une grange, une étable, un garage, une remise, une écurie, qui ne craint l’usure du temps, qu’on adapte aux lieux et aux circonstances, qu’on transforme. L’acier est le seul matériau qui permette une telle souplesse ; c’est le seul qui permette une construction rapide : le hangar métallique est, en conséquence, le meilleur marché. » Pour les constructeurs c’était «achetez le bâtiment et faites ce que vous voulez en dessous». Les exploitations furent directement impactées par les nouveaux modes de productions dus à la mécanisation et à l’apparition d’engrais. Dans le domaine des grandes cultures, la taille croissante des engins pesât sur l’organisation des espaces de travail. Les agriculteurs durent repenser les volumes des bâtiments notamment pour le stockage des récoltes. Dans le domaine de l’élevage, le développement des cultures fourragères et de l’ensilage1 marqua l’évolution du parc immobilier. Inadaptées à la mise en place de la stabulation libre (annexe 1) et à l’augmentation des troupeaux, les étables furent repensées ou abandonnées laissant place aux structures flexibles et souples. Dès lors, le bâtiment ne serait plus considéré comme un patrimoine destiné à être légué aux générations futures, mais comme un outil de travail économique, adaptable et polyvalent. Les constructions traditionnelles furent en contradiction avec la recherche d’efficacité des nouvelles structures. Le savoir-faire de l’artisan, le partage des compétences transmises de génération en génération étaient balayés au profit de constructions industrialisées implantées selon un protocole technique. En trois générations, allant du grand-père au petit-fils, le hangar avait considérablement évolué. 1. Ensilage : méthode de conservation des fourrages ayant contribué à l’industrialisation de l’agriculture ainsi qu’au développement des élevages intensifs.
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REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
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Axonométries personnelles représentant un hangar polyvalent, adaptable à tous les programmes.
REALISE A L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ETUDIANT
Réversibilité de l’architecture agricole A l’opposé des poulaillers et des porcheries, les étables allaient s’ouvrir sur l’extérieur. Alors que pendant des siècles, ces bâtiments avaient été assimilés à des lieux de protection et de chaleur, on découvrait que le bétail pouvait vivre librement dans des locaux aérés, voire même en plein air la majeure partie de l’année. D’un point de vue économique, trois facteurs étaient mis en avant : la diminution de la charge de travail de l’éleveur qui permet d’augmenter la taille du troupeau, l’allègement des coûts d’investissement qui ouvrait des possibilités de construction plus importante, enfin l’augmentation de la production qui améliorait directement le niveau de vie des exploitants. Un argument de poids s’y ajoutait, l’amélioration de l’état sanitaire des troupeaux. Le développement de la stabulation libre sous abris léger est l’une des grandes révolutions d’après guerre dans le domaine du bâtiment d’élevage. La rusticité de ces élevages concourait au maintien des animaux en bonne santé. Les bêtes bénéficiaient d’une atmosphère saine, de la possibilité de mouvement, de la lumière et de l’ensoleillement direct. La nécessité d’une surface double de celle occupée par les bâtiments classiques imposa l’utilisation de vastes structures. Pour optimiser leur utilisation et répondre aux évolutions très rapides de l’agriculture, leur conception devait permettre aisément une redistribution des locaux intérieurs, la modification de cloisonnements,… La solution du hangar, modulable, adaptable à tous les modes de production, fut une solution pour répondre à l’évolution du travail. Tous les techniciens s’accordèrent sur les qualités de ces structures légères et standardisées. Le fait qu’il y ait peu d’éléments porteurs permettait de supprimer les obstacles à la circulation des engins et favorisait le stockage du matériel ou des légumes. L’ossature assurait une grand flexibilité d’aménagement intérieurs. Constitués d’une simple toiture sur poteaux ils reçurent, dans le langage courant, la dénomination de parapluie marquant l’évolution par rapport aux bâtiments classiques supportés par leurs parois périphériques. Des modèles types étaient conçus en fonctions des différentes utilisations : hangar à forte pente pour stocker les moissons, hangars pour le matériel, hangars pour les stabulations libres avec des appentis sur les côtés. Au final, relevant plus de l’infrastructure que du bâtiment, ces constructions minimales et fonctionnelles imposèrent une transformation radicale de l’architecture des bâtiments agricoles, que l’état accompagna par une large action de diffusion. L’utilisation d’une structure légère, montre que des solutions simples et économiques peuvent répondre aux impératifs fonctionnels et économiques d’une exploitation. C’est par ce moyen que de petites exploitations ont pu se moderniser et développer leurs équipements.
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Photos personnelles prises dans une étable à vaches laitières - PLOUVORN, Bretagne
Réversibilité de l’architecture agricole La serre L’habitat et la serre sont liés depuis longtemps. Au XIXè siècle les serres se présentaient sous forme de jardin d’hiver dans les logements de l’aristocratie. Ce sont des bâtiments remarquables associant défis techniques et expérimentation formelle. Le développement de la serre se fait avec l’apparition en Europe de nouvelles plantes venant d’Amérique, d’Asie ou d’Afrique, parmi lesquelles la pomme de terre et la tomate qui se sont inscrit véritablement dans nos coutumes alimentaires. L’importation de ces plantes exotiques entraîne la mise en œuvre de bâtiment permettant de reproduire leur climat d’origine. L’objectif est de capter la lumière naturelle et de se protéger du gel lors de la saison froide. Cela va favoriser le développement des serres qui apparaissent au XVIIIè siècle. Dans un premier temps, elles sont construites en structure bois et bénéficient de peu de surfaces vitrées, à cause du mode de fabrication artisanal du verre qui ne permet pas économiquement de bénéficier de grandes ouvertures. Les progrès de la sidérurgie au siècle suivant permettront de créer des bâtiments associant une structure fine et d’importantes parois et toitures vitrées qui vont constituer une nouvelle image de la serre. La serre permet par son microclimat d’en profiter en toute saison. La luminosité qu’elle procure, l’ampleur de son volume, ou encore la qualité d’air y circulant, sont autant de facteurs qui font qu’elle est convoitée par de nombreuses personnes. Les plus fortunés ne souhaitent construire leur habitation que par l’utilisation d’une serre qui prolonge leur espace de réception, un jardin d’hiver. Lors des beaux jours, les plantes en pots sont sorties à l’extérieur de la serre qui s’utilise, par son volume généreux et lumineux, comme un espace de banquet, de bals ou de réception. «La serre en été devient une galerie que l’on peut décorer de peintures et de meubles faciles à enlever pour faire place en hiver aux orangers», (précise Jean François Blondel (1705-1774) dans son livre De la distribution des maisons de plaisance et de la décoration en général, 1737). Les serres connaissent alors une domestication par un usage différent selon la période hivernale ou estivale. Au fil des années, les serres évoluent et le montage de la structure devient de plus en plus facile et modulable. Les fabricants deviennent de plus en plus nombreux et les différents modèles se commercialisent très rapidement.
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Sébastien Charles Giraud (1819-1892), huile sur toile, Paris, 1864. Au milieu du XIXè siècle, la princesse Mathilde Bonaparte reçoit ses invités dans le jardin d’hiver de son hôtel particulier.
Réversibilité de l’architecture agricole Au début du XXè siècle, la guerre mondiale et la crise économique marquent la fin des serres privées et des jardins d’hivers. L’usage de la serre devient essentiellement professionnel et notamment une affaire des maraîchers. Dans les années 1970 Le terme «serriste» apparaît avec la pratique de la culture hors-sol. Les serres se sont techniquement sophistiquées au fil des années et représentent aujourd’hui de véritables outils mécaniques légers et économiques par leur structure acier et leur peau en polycarbonate. Elles se ressemblent toutes et sont produites en séries. Pouvant abriter aussi bien des légumes que des fleurs ou autres plantes, tout est calculé pour offrir un confort optimal à la plante, leur grand hauteur permet d’obtenir une amplitude thermique optimale. La mécanique mise en place permet d’ouvrir les parois en toiture afin de gérer l’air intérieur ou encore d’étirer un film l’été qui va protéger les plantes de la surchauffe causée par le soleil. C’est un domaine où la recherche est constante, tous les éléments sont en constante amélioration, les systèmes d’ouvertures, la structure, les plastiques et les systèmes de condensation. L’amélioration du plastique au cours des années a permis une légèreté de la structure et une meilleure entrée de lumière. Légère, fine et transparente, la serre représente un espace capable de produire un climat remarquable et contrôlable. L’utilisation du toit comme principale source de lumière naturelle constitue un atout de la serre agricole. Par son enveloppe protectrice en relation avec l’environnement, elle permet de transformer un premier climat moyen en un second parfaitement adapté à l’usage qu’on souhaite en faire. J’ai eu la chance de pouvoir visiter une serre à tomate près de chez moi en Bretagne. Dès l’entrée dans les bâtiments d’exploitation, la chaleur s’est faite ressentir ainsi que l’ampleur des volumes. En effet, l’ensemble du personnel était en t-shirt. Le confort thermique de la tomate se situe à 25°C quand il est de 20°C chez l’homme. Tout est réglé au degrés près et au pourcentage d’humidité. La serre en constamment en échange avec le climat extérieur et l’air intérieur était facilement respirable et agréable. Ainsi la serre agricole comme le hangar sont caractérisés par une structure fonctionnelle guidée par une économie de moyen et légèreté offrant des espaces flexibles. Ces structures principalement conçues par des techniciens vont constituer une source d’inspiration pour certains architectes.
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Photos personnelles prises dans une serre à tomates - CLEDER, Bretagne
Une architecture pour les architectes Une architecture non conçue par les architectes...
Durant la révolution agricole de la seconde partie du XXè siècle, les architectes n’ont eu aucune emprise sur l’évolution des bâtiments d’exploitation. En effet, le fonctionnalisme marqué de ces édifices interroge sur l’influence des théoriciens de la construction dans ce domaine. Les bâtiments modernes, conçus comme des enveloppes sous lesquelles prenaient place des équipements, n’ont fait l’objet d’aucun investissement architectural. De nombreuses notions étaient oubliées dans la conception, telles que l’étude des sites, la recherche sur les proportions et les volumes ou encore le caractère culturel qu’un architecte aurait pu apporter. De leur côté, les architectes furent attirés par la construction des villes, peu d’entre eux continuèrent à s’intéresser à la ruralité, encore moins au domaine agricole. Dans les années 1970, de nouvelles opportunités se présentèrent à eux, tandis que le nombre d’agriculteurs diminuait. En 1977, la loi sur l’Architecture rendit leur intervention obligatoire, à quelques exceptions près notamment pour les bâtiments d’exploitation. La profession d’architecte s’intéressa peu à ce type de construction, au point de se désintéresser de la modernisation constructive qui toucha l’agriculture. L’écart social entre les professions était mis en avant et posait problème. Parallèlement, avec le soutien de l’État, la Fondation de France finança la mission « Bâtiments agricoles et paysages ». De jeunes concepteurs furent sollicités pour inventer de nouvelles formules, plus respectueuses des sites et de l’environnement. Les concours d’architecture organisés pour valoriser les démarches pluridisciplinaires, les rapports d’activité des architectes conseillers missionnés en CAUE1, les fonds du ministère de l’agriculture, témoignent de l’ampleur des tentatives menées pour rapprocher les intérêts des différents acteurs de la construction agricole. Cependant les aides concernant l’architecture ne furent que temporaires. Ainsi, les concepts de l’insertion paysagère se généralisèrent tandis que le monde agricole abandonnait ses ambitions architecturales.
1. CAUE : Conseil d’Architecture d’Urbanisme et d’Environnement
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Une architecture pour les architectes En 1948, Louis Govin1 avait mis en avant le caractère pluridisciplinaire que nécessitait la conception des bâtiments agricoles. Pour lui, ces bâtiments formaient un tout complexe dont l’étude et la composition réclamaient des connaissances tant agricoles que techniques, qui exigeaient une étroite collaboration de l’Agriculteur, de l’Ingénieur et de l’Architecte. Le rôle de l’architecte est d’assurer la composition d’ensemble. Son travail consiste à employer les bons matériaux, à maîtriser les différentes échelles à donner aux bâtiments en fonction de la destination et du site. Il assure l’inscription dans le paysage des constructions. Dans les années 1960, un communiqué du CNHR2 intitulé « les architectes au service du monde rural » avait clairement affirmé que la responsabilité du recours aux architectes ne relevait pas de leur volonté mais de celle des coopératives d’habitat rural. En effet, l’apport d’un architecte était indispensable pour encadrer l’équipe de conception des bâtiments d’exploitation, il fallait une équipe pluridisciplinaire. A l’évidence, l’objet principal de la prescription et de la recherche ne résidait plus dans l’architecture, mais dans l’organisation fonctionnelle, avec comme objectif une augmentation des rendements. Grâce à l’économie engendrée par les nouveaux procédés constructifs, le concept contemporain de bâtiment agricole se rapprocha définitivement de celui d’un outil. Les bureaux de dessin établissaient des plans types à partir des principes arrêtés par les ingénieurs après leurs visites sur le terrain. On se trouvait face à une particularité de la construction agricole. Le programme étant exprimé selon des termes agronomiques, il excluait, de fait, l’intervention de concepteurs non spécialisés, dont les architectes. Ainsi, l’architecte était constamment exclu de toute réflexion architecturale lors de la conception des bâtiments agricoles. Cependant, certains architectes ont abordé la question de la construction rurale, c’est le cas de Le Corbusier qui s’intéressait à l‘aménagement rural. En 1934, il mit en place ses théories pour une réorganisation agraire en promouvant son concept de Ville radieuse à l’aménagement des campagnes pour créer le village radieux. L’idée était de créer une village coopératif qui repose sur une agriculture commune. Le modèle de la cité radieuse fut repris pour les habitations, un immeuble vertical équipé du confort moderne et disposé sur pilotis. Le Corbusier conçut également les bâtiments d’exploitation selon un modèle d’ossature standard qui facilitait une production en série. Ce type de projet, proposant de faire table rase, n’a jamais abouti et une fois de plus les architectes, malgré leur volonté pour certains, ne représentait qu’un faible poids dans le domaine de la construction rurale. 1. Louis Govin (1914-2001) - ingénieur du génie rural, s’impose comme grand diffuseur du hanger dans la construction rurale. 2. CNHR : Centre National de l’Habitat Rural
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Le corbusier, la ferme radieuse
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https://piaceleradieux.com/la-ferme-radieuse-et-le-village-cooperatif/ https://piaceleradieux.com/la-ferme-radieuse-et-le-village-cooperatif/ http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=5725&sysLanguage=en-en&itemPos=155&itemSort=en-en_sort_string1%20&itemCount=216&sysParentName=&sysParentId= https://www.pinterest.fr/pin/97601516915205284/
Une architecture pour les architectes ... mais au service des architectes. Certains architectes d’aujourd’hui se servent des modes de construction de l’architecture agricole pour concevoir leur projet d’architecture. Ils en ont trouvé les qualités afin de les utiliser à bon escient. Agence Perraudin Architecture (1980) Mention spéciale - Équerre d’argent 1987 Prix international de l’architecture en pierre 2001 Son travail est tourné vers une architecture soucieuse des problèmes environnementaux. Gilles Perraudin est connu pour son travail sur la pierre. Le premier détournement d’une serre agricole en habitation a été réalisée en 1984 par Gilles Perraudin et Françoise-Hélène Jourda, dans une réflexion architecturale associant comportement thermique et économie de construction. Le projet est situé à Lyon, sur la colline de Fourvière. Le maître d’ouvrage souhaitait construire de manière préfabriquée en raison d’un budget limité. Tout de suite, les architectes avaient pour ambition de créer un habitat en relation avec l’environnement, ventilé naturellement, apte à capter le soleil comme à s’en protéger. Ce sont des qualités qui caractérisent les serres agricoles. Le concept était de construire «une maison dans la maison». Une « maison de bois » se compose des espaces privatifs tandis que la « maison de verre », en double hauteur, accueille les pièces de jour. Cette organisation permet d’optimiser la taille du volume et d’y placer les espaces privés. La maison de bois crée un espace intime performant thermiquement, chauffable facilement durant la saison froide. L’objectif est de vivre avec le climat. Quelle que soit la saison, l’usage suppose de traverser la maison de verre et de s’exposer ainsi au microclimat de cet espace tampon en relation forte avec l’extérieur. Ce projet est innovant et pionnier dans le sens où la serre est aménagée, mais non modifiée, utilisée tel qu’elle est présentée dans le catalogue de l’entreprise, sans qu’aucun équipement technique ne soit convoqué pour assurer son bon fonctionnement dans sa nouvelle destination de maison individuelle. Ainsi, la maison bénéficie d’une lumière naturelle abondante et d’une ventilation naturelle constante, contrôlable par l’habitant lui-même par les ouvrants en toiture et en façade.
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https://ofhouses.com/post/613172554797056000/776-jourda-perraudin-fran%C3%A7oise-h%C3%A9l%C3%A8ne-jourda https://www.cupastone.fr/gilles-perraudin-architecte-pierre/
Une architecture pour les architectes Agence Lacaton & Vassal Architectes (1987) Prix Pritzker1 2021 Dans une réflexion sur la qualité d’habiter et l’économie, les architectes souhaitent inventer de nouveaux espaces plus spacieux et plus ouverts que les standards, inadaptés au mode de vie actuel.
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, réalisent en 1993 la Maison Latapie. Située dans un quartier pavillonnaire près de Bordeaux, ce projet est construit pour une famille ayant deux enfants. Le projet est guidé par l’intention de sortir des standards de l’habitat établi par les constructeurs de maisons individuelles, la volonté d’offrir la plus grande et agréable maison possible en respectant le petit budget disponible. Cet objectif de maison bénéficiant d’une surface importante, ouverte, ensoleillée dans une enveloppe budgétaire réduite, conduit les architectes à chercher des systèmes constructifs autres que ceux traditionnellement utilisés pour l’habitat individuel. Les bâtiments industriels semblaient être une solution, c’est ainsi qu’il choisissent de détourner le modèle de la serre agricole. L’objectif est de construire double en doublant la surface du logement par l’ajout d’une serre constituant le jardin d’hiver. Ce dernier, fabriqué en ossature métallique légère, offre un volume double hauteur à l’interface entre l’intérieur et l’extérieur du logement. La relation entre l’habitation et le jardin se fait au niveau du rez-de-chaussée par de grands panneaux ouvrants. Cette mobilité des façades de la serre et de l’habitation offre à la maison une surface variable selon les saisons. La serre, sans dispositif particulier, n’est pas habitable. Elle vient compléter un ensemble et non le remplacer. Les architectes offrent aux habitants deux fois plus de surfaces pour le même budget de départ. Le projet est constitué de deux volumes, un premier volume classique isolé et chauffé recevant le programme souhaité par les habitants, et un second volume, son double hors standard, la serre. Peu coûteux et plus généreux, ce volume transparent intermédiaire avec le jardin assure le comportement bioclimatique de la maison et favorise des usages variés.
1. Prix Pritzker : considéré comme le prix Nobel d’architecture
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https://www.lacatonvassal.com/index.php?idp=25 @Philippe Ruault - https://www.lacatonvassal.com/index.php?idp=25
Une architecture pour les architectes
Pour les deux architectes qui explorent par la suite ce dispositif dans de nombreux projets d’échelles diverses, l’adjonction de cet espace « en plus » est la clé d’un logement confortable offrant à la manière d’habiter une flexibilité, une liberté et un plaisir qui font défaut à la production standard dictée par les normes anciennes inadaptées aux modes de vie d’aujourd’hui. C’est le cas à Mulhouse, lorsque le duo d’architecte réalise la Cité Manifeste en 2005. Implantés sur une friche industrielle, ces logements HLM proposent des ambitions qui dépassent les normes imposées. L’objectif est de se détacher de celles-ci qui exigent des surfaces de logements réduites, de proposer de nouvelles typologies s’adaptant aux modes de vie actuels. Les architectes veulent offrir à ces logements les qualités d’une maison individuelle, d’une villa. Pour ce faire, ils souhaitent détourner un bâtiment d’activité en logement. Ils choisissent de s’approprier le modèle de la serre agricole telle qu’elle est commercialisée. Ce qui les intéresse c’est l’ampleur que le volume dégage, pouvant offrir de grandes surfaces sans cloisonnement et ainsi une liberté d’usage de la part de l’habitant. Le but n’est pas de construire des habitations, mais d’abord de mettre en place une structure efficace pour ensuite y placer les logements. En proposant des hauteurs sous plafond et des surfaces très supérieures aux normes, le projet se détache véritablement de l’image de l’habitat social. L’ensemble est constitué de 14 logements en duplex, traversant sur une profondeur de 20m par une continuité en tout point entre les terrasses extérieures et le logement intérieur. Ils sont composés d’un jardin extérieur en rez de chaussée et d’un jardin d’hiver accolé au séjour ou à une chambre à l’étage. Ces jardins d’hivers peuvent se fermer complètement augmentant ainsi considérablement la surface intérieure des logements. Ils permettent aux habitants de contrôler eux-mêmes les flux d’air intérieurs et la lumière naturelle. Le modèle de la serre agricole venant s’implanter en ville pour créer de nouveaux logements où en agrandir d’anciens, offre de nouvelles qualités d’habitat pour nos modes de vie actuels. La serre constitue un volume entre l’intérieur et l’extérieur dont les caractéristiques produisent plusieurs qualités améliorant ainsi le confort des habitants.
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https://www.lacatonvassal.com/index.php?idp=19 amc-archi.com/article/anne-lacaton-jean-philippe-vassal-laureats-du-pritzker-price-2021,73818
Une architecture pour les architectes Lacaton et Vassal se sont une nouvelle fois servit des techniques de la serre agricole afin d’agrandir directement des tours urbaines étant en mauvais état. C’est la cas de la Tour Bois-le-Prêtre à Paris. Elle a été construite par Raymond Lopez entre 1959 et 1961. Elle comprenait à l’origine 96 appartements en location répartis sur 16 étages, soit une hauteur de 50 m. En 1990, une première réhabilitation technique a lieu, pour améliorer l’isolation thermique du bâtiment. Mais cette dernière a aussi eu pour conséquence une diminution des qualités de l’ensemble des logements qui sont devenus beaucoup moins lumineux à cause de nouvelles fermetures. L’agence Lacaton & Vassal a travaillé sur ce projet à la suite du concours organisé pour le renouvellement urbain du quartier en 2005. Au lieu de détruire la Tour, ils font le choix de restaurer l’existant et d’ajouter de nouvelles surfaces préfabriquées en façade pour offrir de nouveaux espaces totalement appropriables aux habitants. Ces modules supplémentaires sont constitués d’un jardin d’hiver et d’un balcon, permettant une nouvelle circulation dans les logements et faisant office de tampon thermique. Ainsi, les habitants ont vu leur facture de chauffage diminuer de 50% depuis la rénovation. Les deux architectes travaillent à la création d’un «habitat abordable pour tous», apportant plus de confort, de lumière et de vues, sans pour autant impacter le budget. Ils dénoncent la logique de démolition-reconstruction des grands ensembles soutenue par l’État, qui se fait au détriment de réhabilitations profondes. Pour cette réhabilitation, ils ont été en concertation continuelle avec les habitants, ce qui leur a permis de connaître leurs envies et besoins. Il était demandé d’ouvrir les appartements pour permettre une meilleure ventilation et une plus grande entrée de lumière. En conséquence, la structure porteuse a été conservée mais la façade légère enlevée et remplacée par des éléments préfabriqués de 3 m de profondeur, regroupant un jardin d’hiver et un balcon. Ils vont jusqu’à doubler la taille des logements et sont totalement appropriables. Les vitres sont protégées par des rideaux et permettent ainsi à l’habitant d’avoir un contrôle total sur son logement. De plus, l’ensemble de l’immeuble a été réorganisé et l’on passe ainsi de 3 à 7 types d’appartements. Ainsi, par l’utilisation du modèle de la serre une nouvelle fois, la qualté de vie de ces logements s’est véritablement améliorée en leur offrant plus d’espace et davantage de lumière naturelle, cette fois-ci en travaillant directement sur une tour existante. La serre constitue donc un atout pour les enjeux architecturaux.
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https://www.lacatonvassal.com/index.php?idp=56
Une architecture pour les architectes De son côté, le hangar agricole peut également être détourné de son domaine principal qu’est l’agriculture. On l’a vu, constitué d’une simple structure offrant une liberté d’usage et de circulations, il est assimilé à un outil abritant différents programmes. Herzog & De Meuron (1978) Prix Pritzker 2001 Leur démarche est faite d’expérimentation et de recherche artistique, aussi bien dans le choix des matériaux que dans l’expression visuelle. Ils cherchent à mettre en relation l’extérieur et l’intérieur de façon poétique et concrète. En 2012 Herzog et De Meuron réalisent le Parrish Art Museum à Water Mill à New York aux États-Unis. L’objectif des architectes était de l’insérer le plus possible dans le paysage en s’inspirant de ce qu’il se fait dans l’environnement proche, pour cela ils se sont approprié le modèle du hangar agricole. Le musée est aménagé de façon à optimiser sa fonctionnalité, on retrouve l’usage du hangar agricole qui est principalement fonctionnel. En effet, ce bâtiment abrite dix galeries organisées selon une trame structurelle dont les cloisons sont modulables et peuvent être réarrangées pour accueillir différentes expositions. L’ensemble offre des dispositions fonctionnelles idéales. Pour ce bâtiment, constitué de deux hangars identiques accolés, les architectes ont souhaité suivre les méthodes de construction locales et utiliser des matériaux simples, facilement accessibles, pour la structure du bâtiment. On retrouve l’identité du hangar métallique représentée par la structure primaire poteaux poutres. La structure secondaire supportant la toiture est elle constituée de pannes en bois. Celles-ci débordent sur l’extérieur créant un abri qui entoure le bâtiment et renforçant l’interaction intérieur et extérieur. Un banc continue tout au long de la façade permet de voir la pairie proche. Son orientation EST-OUEST lui offre une entrée de lumière naturelle venant du nord et pénétrant dans les espaces d’expositions. Ce bâtiment tout en longueur établit une forte relation à l’environnement grâce à la mise en place de grandes parois vitrées offrant une vue dégagée sur le paysage. Le volume du hangar se prolonge en extérieur et permet de créer un espace public couvert pour les visiteurs.
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35 https://www.herzogdemeuron.com/index/projects/complete-works/326-350/349-parrish-art-museum/image.html https://www.ideomagazine.com/herzog-et-de-meuron/
Une architecture pour les architectes Thomas Randall-Page (2014) Le travail du studio est principalement tourné vers l’architecture mais il exerce aussi dans la scénographie, le design, la construction de bateaux ou encore de ponts. L’architecte est fasciné par les matériaux, l’artisanat et les procédés de fabrication. En Angleterre, dans le Devon, Thomas Randall-Page a rénové un hangar agricole pour y créer un atelier pour son père sculpteur, Peter Randall-Page. Le bâtiment appartenait à son père depuis 2011. Il sert d’espace de stockage et d’archives dont des gravures, des dessins et des sculptures en pierre. L’architecte a choisi de conserver l’aspect extérieur du bâtiment et les origines agricole et d’y placer les nouvelles fonctions, ici comme une boite qui s’ouvrirait et se révélerait lorsqu’on y entre. Le père souhaitait que l’espace intérieur bénéficie d’un apport important de lumière naturelle par de grandes ouvertures offrant une relation directe avec l’environnement extérieur du bâtiment. Cela se fait par des parois coulissantes et des ouvertures manuelles en façades qui permettent à l’usager de gérer luimême ses ambiances lumineuses. Le bâtiment est continuellement en mouvement, les choses peuvent s’ouvrir et se fermer. Le hangar a été transformé en atelier d’artiste. Dans la composition intérieure, le plan est divisé en trois zones, de stockage, de studio et d’espace d’archives. L’ensemble est disposés en différents niveaux. Les archives sont isolées hermétiquement et dissimulées derrière un mur. Le reste de l’aménagement est en grande partie ouverte. Les espaces d’expositions et de stockage sont simples et non chauffés. L’atelier est surélevé par des poteaux en bois offrant un espace de salon en dessous. Connu sous le nom de «studio d’hiver», cette pièce dans une pièce est enveloppé dans un liège foncé et chauffé par un poêle à bois. Une grande partie de la charpente, du toit et du bardage bois du hangar existant ont été conservés. De plus, des matériaux locaux ont été utilisé pour réaliser l’ensemble. Par ces différents exemples, on constate que les bâtiment d’exploitations peuvent avoir une seconde vie par leur rénovation. Ils peuvent s’adapter à différents domaine d’exercice, pas seulement à l’agriculture. C’est en cela que réside leur principal atout, ils sont adaptables à tous les programmes.
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https://www.archdaily.com/960146/art-barn-thomas-randall-page?ad_source=search&ad_medium=search_result_projects http://www.thomasrandallpage.com/Art-Barn
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Des matériaux de construction Des matériaux agricoles pour la construction En plus d’utiliser des techniques de constructions agricoles pour concevoir leur bâtiments, les architectes peuvent également utiliser la matière première venant directement des fermes agricoles. Trop souvent oubliés, ces matériaux naturels constituent une grande richesse pour la construction. Atelier Desmichelle (2007) - Corentin Desmichelle L’architecte cherche à concevoir des projets soucieux de l’environnement en utilisant les matériaux les plus sains et les plus économiques. Son agence est spécialisée dans l’emploi de matériaux biosourcés et la conception passive. En 2014, des agriculteurs ont souhaité réaliser leur maison avec leur propre matière première produite par leur exploitation agricole. Ils souhaitent implanter leur habitation sur la partie haute de la prairie, orientée au sud d’où l’on domine leurs champs d’orge qui s’étendent jusqu’à la forêt voisine. C’est pourquoi ils ont songé à une construction de type longère, d’un seul niveau et dont la façade étirée tout en longueur serait couverte de baies vitrées afin d’offrir une vue panoramique depuis l’intérieur. Leur objectif est de construire en paille porteuse, la paille de leur orge récupérée à la fin de leur moisson estivale. De taille régulière, facilement manipulables, les bottes de pailles rectangulaires sont détournées de leur premier usage pour devenir un matériau de construction gratuit et disponible en grande quantité. Superposées en quinconce comme des briques, autoportantes, surmontées d’une charpente en bois, elles forment la base constructive de la maison. Ce qui va devenir l’habitat paysan vernaculaire de ces régions. Ce projet a démontré les nombreuses vertus de cette technique. La mise en œuvre simple et rapide est l’un des gros avantages de la paille porteuse qui permet un chantier propre, sec et rapide grâce à l’absence d’ossature bois. De plus, la paille est un excellent isolant thermique naturel. Dans cette maison, les façades déperditives (nord, est, ouest) sont composées de bottes de pailles de 90cm d’épaisseur enduites de terre, et la façade sud est entièrement vitrée afin d’avoir un apport de chaleur naturel.
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https://www.atelierdesmichellearchitecture.fr/maisonm https://topophile.net/auteur_autrice/corentin-desmichelle/
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Des matériaux de construction DB Chanvre (2009) - Daniel Bayol Son agence, créée en 2009, est spécialisée dans la conception utilisant des matériaux biosourcés, notamment le béton de chanvre.
Un autre exemple de construction en matériaux biosourcés et agricoles, à Vidauban dans le Var (83), est réalisé en béton de chanvre1. L’emploi du chanvre dans la construction des bâtiments est récent, les premières maisons arrivent en France vers les années 1980. Pour se lancer dans la construction en béton de chanvre, Daniel Bayol a décidé de réaliser sa propre maison afin qu’elle serve de vitrine pour la diffusion de ses idées constructives. La maison est implanté dans un quartier pavillonnaire, s’adapte parfaitement aux conditions climatiques du site. Fermée au nord et orientée plein sud, elle bénéficie des apports du soleil direct. Reprenant les couleurs rose pâle de l’habitat local traditionnel elle ne se différencie en rien de ses voisines. Dans l’ensemble des constructions de maisons, le confort hygrométrique est aussi important que le confort thermique, et il est trop souvent négligé. Un air trop sec ou trop humide n’assure par un confort de vie convenable pour l’habitant. Le béton de chanvre permet de réguler naturellement l’hygrométrie de la maison. En effet, il absorbe et évacue l’humidité pour assurer une teneur en humidité optimale à l’intérieur du logement. La journée, il rafraîchit naturellement la maison grâce au principe d’évapo-transpiration. Le mélange chaux chanvre utilisé pour les murs assure une parfaite isolation entre l’intérieur et l’extérieur. Cet exemple illustre le fait d’utiliser le bon matériau au bon endroit. En effet, en construisant avec des matériaux contextuels, l’architecte est convaincu que le bâtiment résistera et se mariera parfaitement avec le site. Ainsi, les matières premières produites par les fermes comme la paille et le chanvre constituent de vraies ressources pour les modes de construction de demain et répondent particulièrement aux enjeux environnementaux.
1. béton de chanvre : mélange de chanvre et de liant à base de chaux
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http://db-chanvre.com/ https://www.maison-travaux.fr/maison-travaux/materiaux/lin-bois-et-chanvre-des-fibres-batisseuses-72936.html#item=1
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Des matériaux de construction Des matériaux du site pour la construction En plus des matériaux agricoles qui peuvent être utilisés pour des systèmes constructifs, les matériaux présents sur site constituent une matière première intéressante pour la réalisation de nouvelles constructions. Atelier CAZ’ECO (2018) - Clémence Cazenave L’architecte est dans une démarche d’éco-construction et de réalisations de maisons passives en utilisant des matériaux biosourcés, naturels et locaux. Elle pense le projet dans sa globalité, tant dans sa construction que dans sa déconstruction et favorise la réutilisation des matériaux. Un premier exemple, à Savenay en Loire Atlantique (44), est réalisé à partir de roseaux du Golfe du Morbihan. L’objectif de l’architecte était de réutiliser un matériau régional et naturel qui a connu beaucoup de succès historiquement grâce à ses qualités. Le roseau est un matériau possédant plusieurs propriétés pouvant être mis en œuvre de différentes manières dans la construction. Ses fibres végétales font qu’il constitue un excellent isolant. Il peut également être utilisé en façade. En effet, ce matériau poussant dans la marais, il est par nature hydrophobe. D’où son utilisation comme couverture des chaumières en France. Ici, c’est à la verticale qu’il est utilisé, pour constituer le bardage extérieur de l’habitation. Afin faciliter la pose, un mélange entre roseaux et bardage bois a été utilisé. Le roseau est choisi à la fois pour l’isolation (en bardage dans les murs et en vrac dans les caissons), pour l’étanchéité et la finition. C’est un matériau adapté pour résister au climat breton. Sa durée de vie est aujourd’hui estimée à 80 ans en fonction des différentes conditions climatiques. Cette maison contribue à la revalorisation des savoirs faire constructifs traditionnels qui disparaissent peu à peu de nos régions à cause de la standardisation des maisons individuelles.
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https://www.cazeco.fr/
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Des matériaux de construction Caracol Architecture (2007) Prix national des architectures en terre crue 2013 L’agence réalise ses projets selon une conception bioclimatique autour des matériaux tels que la terre crue, le bois et les fibres végétales.
Dans la région de Grenoble, les terrains agricoles sont vastes et la terre crue du sol représente une véritable richesse naturelle. Pour ce bâtiment réalisé en 2011, le propriétaire, paysan-maraîcher bio, souhaitait avoir un hangar agricole et son logement sur le lieu de son exploitation. Les architectes ont décidé de s’inspirer d’une technique de construction traditionnelle locale, l’utilisation du pisé1. Ils souhaitent couler la terre pour en faire du béton et utiliser du bois et de la paille pour assurer un confort bioclimatique. Dans la composition, le bâtiment est séparé en deux parties bien distinctes. Au rez-de-chaussée, les légumes sont conservés au frais sur un sol de terre crue compactée, et le logement du propriétaire est disposé à l’étage, bien isolé. La technique du pisé consiste à compacter la terre entre des banches, couche après couche, pour réaliser des murs porteurs. Cette technique, respectueuse de l’environnement, affiche un bilan carbone nul. Elle permet de produire un bâtiment sain aussi bien dans la qualité de l’air qu’au niveau de l’empreinte écologique des matériaux. La façade sud en terre crue capte la chaleur du soleil grâce à son inertie et la redistribue la nuit dans le logement par déphasage. Ce mur de 30 cm d’épaisseur régule également l’hygrométrie du bâtiment. Le groupe d’architecte propose à ses clients de participer à la construction de leur maison, d’une part pour réduire le coût de main d’œuvre et d’autre part pour qu’ils réalisent eux-mêmes leur futur lieu de vie en étant encadrés par des professionnels. Ce projet permet de rétablir un lien entre le bâti et le territoire en utilisant des matériaux directement issus du site et amorce l’idée d’habiter, produire et consommer au même endroit.
44 1. pisé : mélange d’argile et de granulats
http://www.caracol-architectures.com/projets/ https://www.facebook.com/architecturesenterre/
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Conclusion Après avoir énoncé les différents enjeux architecturaux d’aujourd’hui, nous avons vu que l’architecture agricole, par sa légèreté, sa réversibilité et son faible coût économique peut être détournée de son principal domaine d’exercice, l’agriculture, pour servir les architectes d’aujourd’hui dans leurs projets. De plus les matériaux agricoles et issus du site peuvent constituer une ressource de matière première intéressante pour la construction et pour répondre d’une part aux enjeux environnmentaux en limitant les transports, l’importation et l’exportation. La serre permet, par son adjonction aux bâtiments, d’apporter plus d’espace, d’air sain et de lumière naturelle au logements. Tant le hangar agricole que la serre, ils apportent une circulation d’air optimale et un renouvellement de l’air permanent par de grandes parois coulissantes pouvant s’ouvrir et ainsi ventiler l’ensemble des bâtiments. Agrandir les logements, à la manière de Lacaton et Vassal par des jardins d’hiver calqués sur le modèle de la serre permet de rénover l’ensemble des barres urbaines dont beaucoup de logements ont trop peu de lumière. La serre n’est pas un modèle qui fonctionne qu’avec l’étalement. Elle peut se superposer afin d’agrandir et de densifier les villes de manière économique, légère et saine. Ainsi, la réhabilitation de ces barres d’immeubles réduirait le nombre de logements non habités en ville et ainsi freinerait d’autre part le phénomène d’étalement urbain. Ces dispositifs offrent une qualité de vie supérieure aux logements et peuvent être une des réponses pour les enjeux sanitaires et également urbains d’aujourd’hui. De plus, on l’a vu, le nombre d’agriculteur est en constance baisse. Que faire des bâtiments agricoles délaissés ? La solution ne serait-elle pas de les réhabiliter en espaces culturels au sein même des campagnes à la manière de Thomas Randall Page, en y plaçant le studio de sculpture de son père, ou encore d’Herzog et De Meuron pour le Parrish Art Museum ? Le hangar adaptable à tout les programmes constitue un véritable atout pour la revalorisation des campagnes. Ainsi, par ses caractéristiques, l’architecture agricole, en lien permanent entre la ville et la campagne, pourrait être une des nombreuses solutions pour répondre aux enjeux que nous connaissons aujourd’hui et qui touchent l’architecture dans son ensemble. Dans cette logique, l’architecture agricole pourrait donc se présenter comme une architecture contemporaine. « L’architecte n’invente rien, il transforme la réalité. Il part de modèles qu’il modifie pour résoudre les problèmes qu’il rencontre », Alvaro Siza. La solution à l’avenir ne serait-elle pas de revenir aux modèles des générations passée, en l’adaptant à nos modes de vie d’aujourd’hui, comme le retour au jardin d’hiver et aux matériaux de construction locaux et traditionnels ? Afin de répondre davantage aux enjeux que nous connaissons, ne faudrait-il pas habiter, produire et consommer au même endroit de manière à retrouver un lien entre bâti et territoire?
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Annexes
Stabulation libre
Bibliographie Pour l’élaboration de ce rapport d’étude, j’ai essentiellement utilisé des livres afin de m’informer sur le sujet : - Histoire de l’architecture agricole, 1945-1999. La modernisation des fermes - Hervé Cividino, édition Le Moniteur - Nouvelles architectures agricoles - Hervé Cividino, édition Le Moniteur - La ville franchisée : forme et structure de la ville contemporaine - David Mangin - Serre et habitat - Olivier Darmon, édition Ouest-France. - Le tour de France des maisons écologiques - Mathis Rager / Emmanuel Stern / Raphaël Walther, édition Alternatives
ENSA MONTPELLIER
2020 - 2021