LA DENSITE DU VIDE - Investigation sur l’idée de lieu dans l’oeuvre de Gordon Matta-Clark

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Summer

2012

Investigation sur l’idée de lieu dans l’oeuvre de Gordon Matta-Clark

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Mémoire de Master 1 Théorie de l’Art Contemporain et Nouveaux Medias Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis UFR Arts, philosophie et esthétique Département Arts Plastiques

LA DENSITE DU VIDE Investigation sur l’idée de lieu dans l’œuvre de Gordon Matta-Clark Martina Margini N° étudiant : 11293587 Session Juin 2012 Sous la direction de : Patrick Nardin


Summer

2012

Investigation sur l’idée de lieu dans l’oeuvre de Gordon Matta-Clark

Eté 2012 Numéro 1

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Publication, édition, mise en page par: Martina Margini Première édition: Juin 2012 Paris, France Cover: Gordon Matta-Clark - Hair (1972) Photographie: Carol Goodden

Contenu

Avant propos 7

A propos du format de ce document 12

1. Portrait de famille 14

une histoire de racines et dépaysement

- Matta et sa jeunesse à Paris 15 - New York, ville debout 21 - Une enfance à New York 24 - Matta-Clark versus l’architecture 26

2. La découverte d’un monde 28

D’Ithaca à New York, premières expériences artistiques

- Un art pour et dans le paysagem 29 - Un déclencheur d’énergies 31 - Dans l’esprit d’un sorcier 33 - Une ethnologie urbaine 37

3. SoHo : une communauté en évolution 43

Les aspects sociaux dans le travail de Matta-Clark

- Au bon endroit, au bon moment 44 - La précarité du quotidien 48 - Un engagement social au-delà de l’oeuvre 51 - Le plaisir de partager les expériences (et les repas) 60 en communauté 67 - Interférences créatives entre art et nourriture 62 - Un esprit découpé 67


4. Dépasser les limites 69

Introduction aux prochains points à développer

- Coupures matérielles et immatérielles 70 - Le cycle de vie des oeuvres 73 - Prochains points à développer 79

5. Annexes : Entrevues 80

- Jessamyn Fiore, 82 curatrice des expositions: Food, Thisisnotashop à Dublin et 112 Greene Street : the early years, David Zwirner Gallery, New York

- Jane Crawford, 91 veuve de Matta-Clark

- Marco Pierini, 99 curateur de Gordon Matta-Clark, exposition à Siena, Italie

- Gerry Hovagimyan, 102 artiste, collaborateur et ami de Matta-Clark

- Susan Ensley, 108 peintre, travailleuse chez Food, ancienne fiancée et collaboratrice de l’artiste

- Christian Scheidemann, 112 conservateur chez Contemporary Conservation Ltd., New York

6. Sources 116

Livres et catalogues, articles, sites internet, filmographie

Remerciments 124

Gordon Matta-Clark Conical Intersection (1975)


Gordon Matta-Clark - City Slivers (1976) 6


Avant propos Au début de mes recherches, ce que j’envisageais d’accomplir, était un parcours à travers une expérience artistique singulière. Je trouve intéressant de comparer le travail d’un chercheur à celui d’un archéologue partant pour des régions inconnues, rempli d’espoir pour découvrir un trésor appartenant au passé. Mais il sait bien que l’histoire elle-même ne serait jamais compréhensible si elle était abordée de manière superficielle, sans mettre en relation tout un enchaînement d’objets, d’acteurs, d’événements qui, de façon transversale et parfois inattendue, viennent constituer notre héritage artistique. A mon avis, l’histoire de l’art ne pourrait pas survivre compartimentée en sections autonomes, où la vie personnelle des artistes ne serait jamais prise en compte. Une digne chronologie de l’art nécessite d’être expliquée à travers plusieurs voix, des contextualisations temporelles qui tiennent compte de la société et la politique, sans oublier la localisation géographique et la culture du lieu où on se trouve. C’était en réfléchissant sur ce complexe réseau de notions entrelacées, qu’un jour j’ai découvert la thématique qui, peu après, est devenue le sujet de mon mémoire.

World Trade centre vue depuis West Broadway, fin années ‘70 7


En étant dans ma vie actuelle engagée dans un projet d’édition indépendante qui prévoit la collaboration de plusieurs jeunes artistes des différents pays de l’Europe, c’est tout naturellement que j’ai eu envie de mieux connaître une période si pionnière dans la naissance des collectivités artistiques libres et avant-gardistes qu’est celle de la scène newyorkaise des années 70. En étant un mouvement si diffusé et complexe dans ses influences, j’ai choisi de rester attachée à l’histoire d’un personnage en particulier, notamment une des figures les plus influentes au sein de ses expérimentateurs de SoHo, le sculpteur-architecte Gordon Matta-Clark. Je ne désirais pas limiter mes recherches « d’archéologue » à une statique recherche bibliothécaire sur les pages de vieux livres. Je considère en tout cas cette méthodologie d’étude fondamentale, mais pas nécessairement complète si elle n’est pas contrebalancée par des apports différents, surtout quand on traite d’une histoire de l’art contemporaine, qui vient juste de se dessiner ou est encore en flexible transformation. Mon objectif était donc de rendre actif mon engagement dans le projet, d’où ma décision de partir aux Etats-Unis en janvier et février 2012, avant tout pour explorer le territoire duquel je raconte les histoires, mais aussi pour avoir la possibilité de rencontrer et converser avec des personnages choisis attentivement qui pouvaient m’aider à reconstruire un récit d’une histoire qu’ils ont vécue, directement ou indirectement. Avec une extraordinaire gentillesse, ces per-

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sonnes ont accepté de passer du temps avec moi et répondre à toutes mes questions; pour cette raison, c’est à eux à qui je dois mes premiers remerciements. Ils m’ont permis de me plonger dans la problématique de mon sujet et d’arriver à comprendre nombreuses facettes d’un travail d’artiste qui, pour sa même volonté aussi, fuyait des références institutionnelles statiques. Il s’est révélé donc fondamental pour moi d’avoir

le privilège d’écouter les témoignages de gens qui se sont connectés avec l’artiste et ont vécu dans la même atmosphère vivante et hors limite de l’époque, en écoutant des histoires qu’on ne retrouve pas forcément dans des documents écrits. Sans leur aide, cette recherche aurait sûrement perdu une partie de son authenticité et sincérité.


Dans la structure de ce document j’ai essayé de rendre la lecture le plus fluide possible, tout en citant différents éléments et curiosités d’une histoire pleine de références et curiosités entrelacées entre elles. Les pièces d’un artiste comme Gordon Matta-Clark trouvent difficilement des explications purement esthétiques, il faut forcément aller creuser dans son passé, ses influences, ses rapports sociaux, ses racines, pour arriver à réunir les morceaux d’un travail tant essentiel que dense, des significations et renvois. Ce que cette période de recherche a pu m’apporter, celles sur le terrain mais aussi celles traditionnelles, est une véritable amélioration dans ma capacité à réussir à indaguer sur un tissu complexe d’histoires, et à tirer les conclusions depuis différents points de vue autour d’une problématique commune. Je trouve qu’on peut repérer nombreux textes et documents qui nous éclaircissent sur le travail de Gordon Matta-Clark, mais au final ce que je voulais obtenir, en tant que produit de mes explorations, c’était une vision plus personnelle, suivant une structure originale qui voit alterner des témoignages directs, des pièces de narration historiques, des anecdotes, en reconstruisant un récit raisonné et fluide qui nous aide dans la compréhension des travaux de l’artiste. L’obstacle emblématique à l’étude de l’œuvre de Matta-Clark est notamment l’aspect éphémère de son travail; cela représentait ainsi le facteur qui me captivait le plus. Au final, je peux affirmer que le titre que j’ai voulu donner à cette recherche, La densi-

té du vide, ne représente pas seulement une allégorie d’un travail qui fait notamment recours à la pratique de l’enlèvement dans le procès de création artistique, mais aussi à une constellation de significations pas forcement évidentes du premier coup, englobée dans un travail qui explore des territoires si vastes de la vie quotidienne, de la culture d’un peuple, de la socialité et de l’engagement politique. Avec ce petit préambule, je vais donc démarrer mon récit personnel, qui retrace l’histoire ayant eu lieu dans le New York des années ’60 et ’70, quartier général des nouveaux espaces de création collective, sous la signature d’un artiste emblème d’une époque de remise en cause des procès typiques de la création artistique et où le mot d’ordre était de « Faire et construire des choses, plutôt que chercher à devenir quelqu’un » Martina Margini

Gordon Matta-Clark Wallspapers (1972) au 112 Greene Street

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Le format de ce document

Imaginez la culture underground animant le SoHo des années 60 et 70. Le moyen de communiquer le plus répandu était le bouche-à-oreille; le quartier n’était pas si peuplé et on y connaissait tout le voisinage. La vie culturelle du quartier entre-temps commençait à se développer de manière exponentielle et on s’est vite rendu compte qu’il fallait documenter toutes ces importantes innovations et petites révolutions artistiques qui autrement seraient tombées oubliées.

L’original du magazine Avalanche: couvertures et intérieur

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Le format et la mise en page de ma recherche fait directe référence à la plus célèbre revue artistique new yorkaise Avalanche, qui

narre de manière directe et passionnée des événements artistiques de SoHo. Ce magazine, conçu par Willoughby Sharp et Liza Béar, se plongeait totalement dans la communauté d’avant-garde du moment historique, en étant basé à SoHo, juste au coin du 112 Greene Street; le magazine représentait une version imprimée de ce qui se passait dans l’air dans le quartier, de 1970 jusqu’à 1976. Il se présentait en fait, dans une époque où internet et les rapides réseaux d’échange d’informations n’existait pas encore, comme le porte-parole de cette vague dense d’innovations menées par un groupe de


jeunes artistes fraîchement établis. La spécificité d’Avalanche ne résidait pas seulement dans le contenu de ses pages, mais aussi dans sa matérialité et sa présentation, on la reconnaissait sous la forme d’une petite revue à la forme carrée, affichant un portrait d’un artiste en premier plan sur sa couverture. En traçant un compte rendu inédit et « non-institutionnel » de ce qu’étaient les innovations dans le monde de l’art, du Land Art à la Performance à New York. Les contributeurs d’Avalanche suivaient tous ces mouvements de l’intérieur, pas seulement comme reporters ingénus, mais en participant eux-mêmes aux activités et événements. Comme Gerry Hovagimyan rappelle : « …Willoughby et Lisa étaient vraiment intéressées par ces mouvements underground, ils parlaient et interviewaient les artistes, en discutant de choses qui n’étaient pas du tout formelles d’une certaine façon. Ce magazine était une vraie alternative à tout ce système de critique institutionnalisée et qui n’arrivait à rien communiquer aux jeunes artistes, une information impossible renforcée par le fait qu’il n’y avait presque aucune galerie qui exposait des travaux dérivés de cette culture… ».1 Je vous souhaite donc une bonne lecture, en espérant que mes choix stylistiques et esthétiques adoptées pour la présentation de ce mémoire renforceront tel que voulu la compréhension globale de mes intentions. 1

Gerry Hovagimyan en conversation avec l’auteur, New York, 13 Février 2012

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Gordon Matta-Clark Conical intersection (1975) 12


Liza Béar : Les gens s’intéressent aussi bien au processus de création qu’au résultat iconographique de vos œuvres, n’est-ce pas ? Gordon Matta-Clark : J’imagine que c’est un vide riche de sens.

Splitting the Humphrey Street Bulding, Entretien avec Gordon Matta-Clark par Liza Béar, Décembre 1974, Avalanche

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Portrait de famille Une histoire de racines et depaysement

Roberto Matta - Gordon Matta bebé à coté de la sculpture Objet Invisible de Alberto Giacometti, New York (1943) 14


Il serait grossier de prétendre pouvoir redessiner et comprendre le travail d’un artiste comme Gordon Matta-Clark sans d’abord explorer ses racines, son réseau, son contexte culturel et social, son identité. A partir du moment où je me suis lancée dans ce voyage à la découverte de MattaClark, je me suis rendue compte à quel point ce labyrinthique diagramme des connexions des lieux, personnages, et événements a eu des effets et répercussions non négligeables sur son travail artistique. Une œuvre qui remet en question son caractère communautaire et processuel ne pourrait jamais être conçue, sans avoir en arrière plan, un contexte d’histoire partagée, des trajectoires faites de liens sociaux et culturels qui se saisissent et alimentent de nouvelles collaborations et évolutions processuelles. D’abord à partir des entretiens menés lors de mon voyage aux Etats Unis, auprès de six différentes personnalités2 qui ont bien connu l’artiste à l’époque, ou ont simplement travaillé avec lui ou sur lui, j’ai essayé de reconnecter les différentes parties d’un récit complexe et aux multiples facettes, en allant explorer surtout les questions plus emblématiques et stimulantes, sans d’ailleurs perdre le fil global de ma narration. Mon récit débutera donc en introduisant une figure qui a profondément marqué l’histoire de Gordon Matta-Clark, une présence presque impalpable mais spirituellement forte, celle de son père.

Matta et sa jeunesse à Paris Roberto Matta débarque à Paris avec un bateau marchand provenant du Chili en 1933. Il a 21 ans, il est plein d’espoir et ses poches sont vides. Suite à l’obtention d’un boulot au studio du célèbre architecte Charles-Edouard Jeanneret-Gris (Le Corbusier), il sera chargé durant deux ans, de travailler sur le projet de la Ville Radieuse, un plan utopique pour une agglomération urbaine du futur où toutes les fonctions et services offerts sont bien repartis dans le but de rétablir le rapport perdu entre homme et nature.3

Portrait de Roberto Matta à Chemillieux en 1938 15


Maquette du projet Ville Radieuse, Le Cordusier J’ouvre une parenthèse pour faire une remarque sur la formation parallèle qu’ont suivie père et fils: les deux sont diplômés avec plus ou moins de succès à l’Ecole d’Architecture, et ensuite, en niant tous les principes traditionnels de cette profession, ils décident de se vouer à l’art. Pour Gordon Matta-Clark, les années d’études universitaires (à la Cornell University, Ithaca) se révéleront difficiles; il commencera les études tard, pour les arrêter à plusieurs reprises et y retournant à chaque fois devant le désir de son père 4. Déjà pendant cette période, il manifeste un remarquable éloignement et rejet des tendances modernistes qui envahissent l’ambiance scolaire des années ’60; il explique dans plusieurs de ses correspondances entre amis et conversations ses sentiments négatifs envers ce nouveau style architectural. On peut considérer que

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l’architecture a constitué un « faux départ » pour père et fils, en s’y engageant sans jamais la pratiquer, mais toujours en continuant à circuler autour d’elle dans leur pratique artistique, suivant une direction qu’ils avaient à plusieurs reprises désavouée.5 « Les deux, Matta et Matta-Clark, soit à travers des images, soit des actions, font face à une notion déformée de l’espace. Matta représentait un « espace émotif » dans ses images hallucinatoires - par exemple, le projet d’un appartement publié dans la revue surréaliste Minotaure en 1938. Matta-Clark était également fasciné par « l’idée de transformer cette condition statique et fermée de l’architecture... il désirait la faire évoluer en quelque chose qui intègre... cette relation tendue entre le vide et la surface. » 6

C’est tout à fait intéressant de voir comme dans l’article du Volume IV de Minotaure, écrit par Matta Echurren (ça c’était sa signature à l’époque), on remarque une sensibilité déformé de l’espace, en total refus des conceptions modernistes typiques. Déjà, quand on regarde son dessin Mathématique sensible – Architecture du temps, c’est possible d’y comprendre une appropriation de la mentalité des surréalistes de la part de l’artiste. Dans les paragraphes du texte écrit en addition à ce dessin d’architecture, on trouve une morceau très explicatif : « Laissons de coté la technique qui consiste à mettre debout les matériaux toujours employés et poussons brutalement celui qui les habite, au milieu d’un théâtre final où il est tout, l’argument et l’acteur, la scène et ce silo à l’intérieur duquel il peut vivre en silence parmi les chiffons. Renversons tous les étalages de l’histoire avec leur styles et leurs élégantes gaufrettes afin qu’en fuient des rais de poussière dont la pyrotechnie doit créer l’espace. Et restons immeubles parmi des murs qui circulent, pour nous débarrasser avec les ongles de la croûte rapportée de la rue et du travail. » 7


Cela représente une importante déclaration de malheur envers tout l’univers de l’architecture de l’époque, peut être un délire utopique dans sa façon d’imaginer un monde qui communique entre le réel et l’imaginaire, rationalité et subconscience humaine, recueilli dans un même espace de caoutchouc gonflé et armatures en béton, symbole de dépaysement et de force qui pousse l’homme à réagir à l’espace dont il se trouve. Matta abandonnera l’idéalisme moderniste français, tout comme la pratique architecturale; une fois il lui sera présenté, grâce à un ami, le peintre Salvador Dalí, qui lui donnera en suite la possibilité de rencontrer et d’intégrer l’équipe des Surréalistes et son principal membre, André Breton. Ses travaux, qui ont maintenant évolué vers des compositions reproduisant formes de l’irrationnelle psyché humaine, auront beaucoup de succès dans le cercle des Surréalistes et en 1938, il participera finalement à la grande Exposition Surréaliste. C’est à cette occasion qu’il rencontrera la belle artiste et mannequin Anne Clark, américaine, tombera amoureux d’elle et leur mariage facilitera à Matta son « exil » aux Etats- Unis en 1939.8

Matta Echurren, Mathématique sensible – Architecture du temps, Minotaure n°11, Paris, Primtemps 1938

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Personnalités interviewés: Jane Crawford, veuve de l’artiste, Jessamyn Fiore, curateur de deux exposition sur Gordon Matta-Clark, Gerry Hovagimyan et Susan Ensley, deux artistes qui on collaboré avec l’artiste à l’époque, Christian Scheidemann, conservateur qui a travaillé sur diffèrent pièces de Matta-Clark, Marco Pierini, curateur qui a développé une exposition à Siena sur le sculpteur.

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« L’agence - couloir avec quelques chaises – n’était pas chauffée. On y dessinait avec quelqu’un d’autre. Il n’avait plus d’argent, nous finissions des dessins pour la Cité Radieuse. Le Corbusier passait juste regarder ces dessins. Aucun enseignement, pas davantage de pratique. » Matta sur l’agence de Le Corbusier.

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Dans une lettre envoyé par Matta père à son fils, le 9 Janvier 1962, on peut lire: “Cher Gordon, un joyeux et significatif nouvel an – Depuis que tu crois que ta vie est devenue un parcours sans trajectoire claire d’ici à n’importe quoi – tu nécessites d’un bout, fait qu’il soit l’architecture (rappelle que “no where” peut se transformer en “now here”). Roberto Matta à Gordon Matta-Clark, GMC archive, CCA, Canada.

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En écrivant à sa mère juste six jours après son arrivée à la Cornell, Gordon écrira : « Cette école a été un complet échec. Ca me provoque une forte angoisse, jusqu’au point de me sentir forcé à laisser tout tomber. ». Mais au même temps est encore loin de prendre la décision d’abandonner cette « prison sur la colline » car il admet qu’il se sentirait coupable à le faire, comme si ça s’était effectivement une sorte d’obligation où reconnaissance à rendre à son (absent) père pour obtenir son approbation.

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From Non-uments by Judith Russi Kirshner, Art Forum, Octobre 1985

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Matta, Echurren Mathématique sensible – Architecture du temps, Minotaure n°11, Paris, Primtemps 1938 (adaptation de Georges Hugnet)

« Anne Alpert et Matta ont eu leur premier rencontre en Europe, il est tombé immédiatement amoureux d’elle, qui était dressé avec une joli manteau violet et avait le charme typique d’une mannequin américaine. C’était une période hostile, la deuxième guerre mondiale était à leurs portes, donc ils ont décidé d’émigrer ensemble aux Etats-Unis, après leur mariage » Jane Crawford en conversation avec l’auteur, New Haven, Connecticut, 17 Février 2012

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Malitte, André Breton et Matta à Paris aux années 60 18


Berenice Abbott, Vue de Nuit, New York, 1932 19


New York, une ville debout

Berenice Abbott - Broadway to the Battery (1938) 20

Pendant la période entre 1938-1947, la plupart des membres du groupe des Surréalistes se déplace vers l’hémisphère ouest, en échappant à une atmosphère négative de la guerre qui bouleversait toute l’Europe; ils s’installeront en particulier à New York, qui dans ces décennies ferventes, incarna le rêve d’un lieu où tout est possible, noyau tumultueux et féerique en même temps.


« Derrière la barrière de l’Océan, derrière les douanes et les irlandaises aux revolvers laqués en noir, derrière les fantômes enfermées en blanc qui, sous la lumière pâle de l’aube livide, déchargent dans des voitures blindées les morceaux des sept péchés, vous vous retrouverez à New York, la magnifique, New York, l’éternel Nouvelle, les souvenirs oubliés, ces souvenirs qui reviennent là-bas comme dans les heures de veille, en ces heures mystérieuses où l’âme et l’esprit, enfin libéré de la logique et de la réalité, résoudraient une foule d’énigmes et des problèmes autrement insolubles, hélas oublié, une fois résolus. Le luxe et la richesse dans une apothéose de feux d’artifice, créent dans la mystérieuse New York bizarres paradis... New York, l’éternelle Nouveau, nous attire dans son infinité des parallèles, dans l’improbable kaléidoscope faite des vitrines, des tours transparentes, des bazar merveilleux, des panneaux éclairées entièrement dans les longues nuit d’hiver. Dans cette forêt de verre, d’acier et béton, dans cette extraordinaire et difficile à définir New York vous trouverez, oh voyageur, les gigantesques masques des anciens dieux, la tristesse éternelle des Antinoüs de craie et l’immense solitude du Parthénon dans les nuits d’été, sous le grand ciel tout étincelant d’étoiles. » Giorgio de Chirico, J’ai été à New York, 1938

« New York est une ville debout, sous le signe des temps nouveaux. C’est une catastrophe, mais une belle et digne catastrophe, celle dont un destin trop hâtif a accablé des gens de foi et de courage. Je ne veux pas oublier New York, ville debout, dressée dans le ciel. » Le Corbusier, Le Corbusier : croquis de voyages et études, 1937

Berenice Abbott - Exchange space from Broadway (1934)

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Aux années 40, l’Expressionnisme Abstrait était le mouvement le plus étendu, et les Surréalistes ont clairement apporté leur importante contribution au développement de cette nouvelle manière de peindre. Ils encourageaient ces jeunes artistes américains à poursuivre l’« automatisme », avec lequel l’artiste permet à son unconcius de prendre le contrôle de sa main.9 Les Surréalistes véhiculeront ainsi une vague remarquable de nouvelles tendances et influences dans la culture artistique existante aux Etats-Unis à l’époque.10 Dans cette pétillante atmosphère, le 22 Juin 1943, Anne donne le jour à Gordon et Sébastian. Un événement emblématique pour toute une tradition surréaliste qui voyait la naissance des jumeaux comme chargée de croyances mystiques. Gordon doit son nom au peintre surréaliste Gordon Oslow-Ford,

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grand ami du Matta père. Le nid domestique de la famille Matta à New York pouvait être considéré comme tout sauf orthodoxe, étant un carrefour ouvert à tout un cercle d’artistes européens transplantées dans la mégalopole. Ainsi, après le soudain abandon de Matta de la famille, l’appartement des enfants sera toujours un milieu bohémien où ils entrent bientôt en contact avec les plus grandes personnalités du monde de l’art de l’époque. Comme Jane Crawford (veuve de Gordon Matta-Clark) le rappelait : « ils jouaient aux échecs avec Marcel Duchamp ». En tous cas on peut bien comprendre que le rapport entre les parents des deux jumeaux était tendu et destiné à une rupture imminente. Les opinions de Matta par rapport à la vie en couple, d’autant plus, étaient bien bizarres et reflétaient aussi son carac-

tère individualiste et libertaire, comme rappelle Jane Crawford, ayant une très bonne connaissance du père de son ancien mari Matta-Clark 11 : « Matta avait l’habitude de plaisanter et de dire que son anglais était si pauvre et qu’Anne ne pouvait pas parler français, donc quand ils se parlaient réellement, ils ne se comprenaient pas l’un l’autre et donc il ne l’aimait plus. Il était très cruel avec elle. Il disait que les jumeaux étaient trop de responsabilités pour lui et il a laissé la famille juste avant qu’ils fussent nés, bien qu’il soit resté de quelque façon présent dans leur vie au cours de l’histoire. » 12 Matta est resté à New York durant quelques temps après avoir quitté Anne et les enfants, allant vivre avec Patricia Kane, héritière appartenant à la riche famille propriétaire de la chaîne des supermarchés Walgreen. Anne et les jumeaux étaient par contre hébergés dans un appartement au dernier étage d’un bâtiment, n’ayant que l’eau froide. A l’époque, Isamu Noguchi vivait dans le même immeuble au rez-de-chaussée; avec le célèbre artiste japonais elle aura une liaison amoureuse compliquée. Lors du départ de Matta, l’ambiance domestique de la « famille » restait très attaché à la communauté artistique, de sorte que les garçons ont finalement grandi entourés par un groupe hétérogène d’artistes surréalistes et expressionnistes abstraits, comme des “adults misbehaving” 13, dans une bizarre atmosphère créative et joueuse.

Isamu Noguchi dans son atelier, New York


En 1948, Matta est exclu du groupe Surréaliste car il est soupçonné d’avoir eu une liaison avec la femme du peintre Arshile Gorky (Agnès) et d’avoir ainsi provoqué le suicide de ce dernier (en Juillet 1948). C’est en cette année en fait qu’il décide de rentrer à Paris.

Maître de conférences à la New School of Social Research aux années ‘40, Matta reçoit notamment Jackson Pollock dans ses ateliers et constituera une grande influence pour le peintre.

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Julien Levy, galeriste pionnier de la scène américaine pendant les années ’30 et ’40, décrit sa vision du peintre chilien : « Matta fait son irruption sur la scène de New York comme s’il considérait ce pays une sorte de continent noir, son Afrique, où il pouvait échanger marchandises improbables, le charme des indigènes et entretenir éblouissantes désillusions... Pour moi, il était sans doute le plus fertile et moins fiable des jeunes surréalistes. Nouveau venu dans le cercle surréaliste, Matta était recommandé par André Breton... Il est rentré dans ma galerie avec une attitude confiant, exubérant, et excité. Il m’a montré un portfolio des dessins au crayon explosifs, attestant qu’il pouvait arriver à terminer assez toiles pour lancer une exposition entre les prochains deux mois, si j’étais intéressé ... Lui et son épouse, Anne, avaient trouvé un petit appartement à l’eau froide à Patchin Place, dans le pittoresque quartier Village. J’avais aussi récemment déménagé dans le Village à Grove Street, on était donc voisins et on a commencé à se voir fréquemment hors des heures de travail... Quelques années après, j’ai découvert qu’il avait quitté Anne car elle l’avait soumis à l’indignité de devenir père : « Je l’envisage comme une sorte de demi castration », a-t-il dit, « Je considère la paternité comme une indignité envers mes testicules, et ça c’est la raison pour laquelle je suis en train des perdre mes yeux, car mes boules inférieures sont montés aux boules oculaires ». J’ai après constaté qu’Anne avait donné naissance à deux un-identiques jumeaux. »

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Jane Crawford a aussi réalisé en 2004 un film documentaire sur l’artiste, Matta: the eye of a surrealist, produit par Persistent Pictures

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Jane Crawford en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012

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13 Une possible traduction en français serait : “des adultes mal-élevés”

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Un enfance à New York Dans les années suivantes les deux frères habiteront au 107 W 11th St., dans le Greenwich Village, Anne Clark épousera en 1950 Hollis Alpert, un critique cinématographique et écrivain américain, et démarrera une carrière en dessinant des costumes pour des spectacles théâtrales. En 1974, lors d’un entrevue avec Liza Béar, Matta-Clark rappellera cet appartement et la typologie des relations sociales que la morphologie de ces bâtiments favorisait, en surlignant la dimension verticale de ces rapports : « Mon premier appartement à New York se trouvait sur LaGuardia Place, avant que NYU s’empare de tout le quartier. Ce bâtiment était intéressant car mes premiers contacts avec les autres habitants ne se sont pas faits dans la rue, mais de fenêtre à fenêtre, selon cette habitude typiquement italienne de traîner à sa fenêtre. J’ai rencontré comme ça pas mal de monde. Bizarrement, je ne me souviens pas tant des planchers, des toits, des abris, que des ouvertures vers d’autres espaces, vers le royaume de parfaits inconnus. Un monde ponctué de fenêtres…ça me fascine et c’est une des raisons qui m’ont poussé à emménager ici. »14

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Saul Leiter, Haircut, New York, 1956


Toujours en racontant son expérience personnelle et subjective dans le contexte newyorkais, dans une entrevue suivante en 1977, il parle de son attraction vers les endroits délabrés et abandonnés : « J’ai grandi à New York dans ce genre d’environnement. Dans les années 1950 et 1960, tandis que la ville se transformait en une mégalopole de verre et d’acier, bâtie dans un style international, de nombreuses zones jadis résidentielles étaient laissées à l’abandon. Ces quartiers subsistaient comme les tristes témoignages du principe : « Exploit it or leave it. »15 Mais Gordon Matta-Clark dans son enfance n’avait vécu qu’à New York, dans ses premières années de vie la mère Anne avait amené son frère Batan et lui au Chili pour une année, en 1944, à fin de rendre visite à la famille élargie des Matta. A partir de la fin des années ’50, ils commencent à voyager régulièrement, souvent vers l’Europe, pour passer les vacances dans une des multiples résidences de Matta père, en France ou en Italie. En tous cas, MattaClark revendiquera toujours son esprit et sa nationalité incontestablement américaine, de façon positive mais aussi sarcastique et critique. Malgré ses racines notamment chiliennes, il reste toujours esthétiquement très éloigné de tout l’héritage artistique du peuple où de sa tradition picturale, comme ainsi celle de son père. Par contre, ce qu’on peut bien noter est la réflexion d’un passé dense de croyances et rites typiquement sud-américains dans la conceptualité des premières œuvres de Matta-Clark, celles réalisées pendant sa jeunesse. Il y a, dans

l’esprit de l’artiste, une constante scission entre deux parties : la dualité de la naissance des jumeaux et leur caractère extrêmement opposé, les deux parents qui se séparent, la volonté d’exprimer ses origines et la culture de son peuple mais au même temps le rejet de tout ce qui avait affaire avec son père, de plus en plus absent et insensible à ses épreuves d’acceptation. Les vies du père et fils peuvent sembler comme deux lignes parallèles, qui parfois dans l’histoire se trouvent plus proches et arrivent à partager quelque faibles instances mais sans jamais se toucher. Il s’agit d’une histoire des tensions créatives, de fierté, de désir de reconnaissance, un rapport totalement étrange et impersonnel, qui a profondément signé la vie de Matta-Clark, ses relations avec ses proches et le contenu de ses œuvres.

Splitting the Humphrey Street Bulding, entretien avec Gordon Matta-Clark par Liza Béar, Décembre 1974, Avalanche magazine, p. 34-37

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Entretien avec Gordon Matta-Clark par Jane Crawford, peu après la réalisation d’Office Baroque, Centre Culturel International, Anvers, Septembre 1977

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Gordon Matta-Clark Chinatown Voyeur (1971) - Movie Stills

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Matta-Clark versus l’architecture

Gordon Matta-Clark Tree Dance (1968) 26

Le rapport entre Gordon et son père sera toujours controversé, Matta dédaignait profondément l’idée de paternité, ainsi que son rôle même de père pour tous ses enfants et en particulier pour les jumeaux. Toutefois, ils se retrouvèrent liés par un sentiment artistique (mené et développé à travers différents moyens par les deux) qui démontre une vocation commune vers la représentation des « choses qu’on ne peut pas voir » : le père cherche à rendre visible les rapports qui s’entrelacent entre les gens, le fils plutôt sur la révélation des énergies sortant des espaces que lui-même modifie et transforme.16 A 19 ans, ne sachant pas clairement quelle direction prendre dans sa carrière universitaire, il décidera, sous le conseil de son père, de s’inscrire à la faculté d’architecture. Cette décision forcée du coté de Matta, qui lui avait aussi donné contact avec plusieurs personnalités importantes dans le secteur


aux Etats-Unis, provoquera en lui une profonde crise.17 En 1962, il débute ses études à la Cornell University à Ithaca (NY), et juste après six jours suivant son arrivée, il déclare: « Cette école a été un complet échec. Ca me provoque une forte angoisse, jusqu’au point de me sentir forcé à laisser tout tomber. ». voir note 2 A cause des pressions issues de sa situation scolaire, il décide donc en 1963 de passer une année entière à Paris (où il sera soumis à une période de traitements suite à un grave accident de voiture qu’il a eu avec des amis de collège), il cherche alors à rentrer dans des écoles de cinéma à Londres et Paris, mais sans succès. Il étudie alors la littérature française à la Sorbonne et rejoindra un studio d’architecture pour une brève expérience en tant que stagiaire à Rome, jusqu’à son retour aux Etats-Unis, finalement motivé à porter à terme ces trois longues années qu’ils lui restent pour obtenir son diplôme en architecture. Pendant cette période universitaire, il réussit à obtenir de bonnes notes, malgré ses difficultés avec la rédaction et ses litiges avec certains de ses professeurs, avec qui il ne partageait pas sa vision de la vie et de l’architecture18. Sans encore le savoir, il prendra le meilleur choix, car pendant sa dernière année à Ithaca, il aura l’opportunité de rencontrer des personnes qui influenceront énormément son avenir dans l’art et la sculpture. 6 Jane Crawford, Crossover references in the work of Roberto Matta and Gordon Matta-Clark, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p. 214

Voir note 4. Lettre écrite par Matta à son fils à l’occasion du nouvel an, GMC archive, CCA. 7

Gordon Matta-Clark Tree Dance (1968) - Movie stills 27


La découverte d’un monde D’Ithaca à New York, premières experiences artistiques

Une cascade à Ithaca et une rue de SoHo 28


Long, Robert Morris, Hans Haacke. Tous fut censés concevoir des pièces au sein ou à proximité de la galerie d’art de la Cornell University, et la plupart d’entre eux choisit d’opérer dans le paysage, en improvisant souvent leur projet une fois sur le terrain.

Un art pour et dans le paysage En Juin 1968 Gordon Matta-Clark obtient son diplôme, il décide de rester proche de son université pour une autre année en compagnie de ses colocataires, eux aussi étudiants. Durant cette année, deux de ses amis dirigent une activité qui mélange librairie (bookstore) et vente de nourriture naturelle à bon marché; l’union de l’accès à la culture et la possibilité de partager des moments autour d’une table représentera un incroyable élément déclencheur des activités communautaires de cette période. Surtout, cela représentera une influence essentielle pour les idées du jeune artiste et ses futurs projets newyorkais. Juste une année plus tard, en 1969, il assistera et participera activement à l’exposition « Earth Art » (Février 1969) organisée par l’artiste indépendante/curateur/entrepreneur Willoughby Sharp19, qui lancera, quelques mois plus tard, le magazine Avalanche en collaboration avec Liza Béar. Les artistes invités sont tous impliqués dans la création de sculptures processuelles qui interagissent et s’intègrent avec le paysage. Parmi eux on retrouvera Robert Smithson, Dennis Oppenheim, Jan Dibbets, Richard

On pouvait donc situer les travaux présents à l’événement comme des pièces créées « in situ »; ils étaient conçus spécifiquement pour cette exposition et, pour cette raison, la majorité de ces artistes séjournaient et passaient pas mal de temps au Campus de Cornell, afin d’avoir le temps de créer et d’installer leurs œuvres. Comme résultat, on peut noter que Earth Art n’a pas seulement inspiré Matta-Clark pour les modèles artistiques qu’elle proposait, mais ça lui a servi comme une véritable entrée dans le monde de l’art de New York. 20 Pendant les semaines de préparation des pièces, il participe activement à la réalisation, en aidant l’artiste Dennis Oppenheim dans la construction de Beebe Lake Ice Cut. Mais encore plus importante est sa rencontre avec Robert Smithson, avec lequel il passera beaucoup de temps à discuter dans son atelier et qui lui apprendra les principes théoriques de sa pratique. Smithson représentera toujours un grand point de départ pour de nombreuses idées de Matta-Clark, pour plusieurs aspects de sa pratique : la décadence progressive, la perte d’intérêt vers la production d’ « objets d’art » à l’avantage de la révélation d’un procès artistique en train de se faire. Dans les travaux d’artistes participant à cette fraîche vague de nouvelles tendances, il y a aussi une réappropria-

Gordon Matta-ClarkRope Bridge, Ithaca (1968) Dans cette pièce crée en 1968, Rope Bridge, Matta-Clark demontre déjà un attraction vers l’univers du Land Art, en integrant son travail au milieu du territoire de Ithaca et en y modifiant la percetion.

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tion de matériaux pauvres, au cycle de vie déterminé, de substances décomposables. Ces éléments sont spécifiquement choisis pour leur esthétique « dégénérative », pour leurs caractéristiques changeantes et instables, leur naturel vieillissement. En même temps, dans le monde de l’art, la temporalité se fera de moins en moins fixe et stable; on y introduit de nouveaux moyens pour réaliser les œuvres, à travers happening, performances, événements, l’image traditionnelle d’une œuvre « à voir » se fait progressivement faible, l’art se révèle pour sa nature « autre » et elle surpasse les schémas typiques, mais non sans y retrouver des obstacles.21 En 1969, Robert Smithson et sa compagne Nancy Holt discuteront publiquement de leur activité, dans une vidéo appelée East Coast West Coast. Dans leur intervention, ils remarquent leur propre non-appartenance au système de l’art newyorkais et ils expriment le désir de pouvoir travailler simplement couché sur l’herbe en regardant les nuages qui passent dans le ciel. Ils répliquent qu’ils ignorent le ‘système’ et célèbrent les costumes simples et naturellement écologiques des indiens américaines22. Au final ils dirigent leur intérêt vers la culture biologique et ses pratiques alimentaires salutistes. On voit donc rentrer dans la philosophie de Smithson des instances authentiquement environnementales, conjointement à l’architecture et l’urbanisme, l’information, le travail et l’ensemble de la sphère publique.23

Dennis Oppenheim et Gordon Matta-Clark Beebe Lake Ice Cut (1969) 30

Travailler avec des situations données de l’environnement amènera Matta-Clark à l’élaboration de sa propre recherche artistique, qui le conduira à explorer toujours plus à fond la nature profonde des lieux et leurs caractéristiques, spécifiquement orientée vers le milieu urbain.

Earth Art, Andrew Dickson White Museum of Art at Cornell University, Ithaca, New York, February 11th – March 16th, 1969 19

Voir Object to be destroyed, Pamela Lee, MIT Presse, pag. 38

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21 Notamment la difficulté des artistes à insérer leur travaux dans l’espace “institutionnalisée” du marché de l’art, comme les galeries d’art et les musées, qui au débout avaient vraiment du mal à réussir à accepter ces type des oeuvres comme vendables. 22 On peut rappeler un certain intérêt et influence dans les travaux de Robert Smithson vers les anciens habitants des territoires américaines, voir les indiens. Spiral Jetty serait en fait été crée après une visite de l’artiste à la Great Serpent Mound, en Ohio, un monument censé avoir été crée par des indigènes préhistoriques, encore pas précisément daté.

East Coast, West Coast, Nancy Holt and Robert Smithson, 1969, 22 min, b&w, sound. Electronic Art Intermix Archive, New York. 23


Un déclencheur d’énergies Toutes les personnes qui sont rentrées en contact avec lui remarquent son incroyable pouvoir de catalyseur social, d’instigateur, son habilité dans la conversation et dans la communication avec les gents. Dennis Oppenheim, artiste qu’a suivi Matta-Clark de ses débout sur la scène artistique, rappelle : « Il ne détenait pas une personnalité asservie. Il menait de très rapides échanges verbales et une élévation très surprenante dans les concepts qu’il exprimait »24 Lors de ma rencontre avec Jane Crawford, la veuve de l’artiste, je lui ai demandé juste en occasion de mes premières questions, qu’est-ce qui l’attirait le plus dans la personnalité de Gordon. Voici sa réponse : « Il possédait une énergie et un enthousiasme extraordinaires, il était une véritable force de la nature, comme une tornade. Il n’y avait rien d’autre que vous pourriez faire, mais rester la bouche ouverte quand

il parlait... Il était si charmant et il avait tellement d’idées que parfois ses pensées et raisonnements arrivaient tous dans une phrase, et il était totalement impossible pour les gens d’essayer de répéter ce qu’il disait. Il semblait comme un « raid », vous deviez être là face à lui quand il parlait, pour bien comprendre ce qu’il disait, autrement vous seriez perdu et il vous serait inutile d’essayer d’en saisir le sens. Une chose qui était vraiment impressionnante de sa personnalité était également sa générosité, il parlait avec tout le monde. J’avais l’habitude de me plaindre avec lui, car même quand il allait simplement acheter le journal, il revint une heure plus tard avec des gens ramassés dans la rue, et parfois j’étais tellement ennuyée! Il recueillait toute sorte de gens, de sans-abri aux étudiants; une fois il est rentré chez nous avec un physicien nucléaire, avec qui il avait conçu une idée de projet… mais la chose fondamentale est qu’il aimait vraiment avoir des gens autour de lui et connecter avec eux. »25 « L’esprit de Gordon travaillait en cycle accéléré. De cette façon, quand il parlait, il oubliait des mots, ou des phrases entières, pour revenir après à rebours pour retrouver une pensée qu’il avait laissée derrière soi. Un tas des gens disait qu’ils ne le comprenaient pas. Il m’a fallu un an à moi aussi pour comprendre ce qu’il disait, et là aussi ce fut difficile pour moi car je perdais souvent beaucoup de morceaux de la conversation pendant la journée et pour finalement donner un sens à tout, tu devais l’écouter durant toute la journée. »26

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C’est avec un charme explosif et un enthousiasme qu’il retourne finalement à New York, après une période d’absence due à ses études à Ithaca. Il déménage dans un loft au 131 Chrystie Street, à partir de l’été 1969. New York se trouve à cette époque à son apex, l’atmosphère est épuisante, la chaotique densité des événements politiques et culturaux qui ont pris place ici dans les dernières décennies semblent avoir absorbé toutes les « énergies positives » de la mégalopole et maintenant elles se dispersent vers d’autres lieux, comme par exemple le mouvement hippy qui migrera de l’East vers la West Coast.

Il ne sera pas long avant de pouvoir lire son nom dans les magazines d’art et avant qu’il commence à se faire connaître parmi les habitants des jeunes artistes du quartier de SoHo. Par contre, la transition depuis la tranquille campagne d’Ithaca à la bruyante New York avait provoqué en lui une certaine angoisse psychologique, comme ses amis de l’époque le rappellent :

Mary Heilmann, sa compagne à l’époque : « Il avait un fort sens du destin et était toujours inquiet pour son frère Batan28, il ne parlait pas de ses soins de cortisone, mais je savais pour sa maladie d’Addison car sa mère avait dit qu’il allait mourir… »29

Ted Greenwald, poète et ami : « …il arrivait à New York avec l’idée qu’il était un homme mort. Il avait une mentalité imprévisible, il vivait au jour le jour »27

24 Dennis Oppenheim, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.192 25 Jane Crawford en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012 26 Carol Yorke Goddenn, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.193 27 Ted Greenwald, interviewé par Richard Armstrong, in Diserens, Gordon Matta-Calrk, p.401 28 Notamment affecté de problèmes psychologiques depuis son enfance, il avait tout à fait un caractère opposé a celui de Gordon, il avait un esprit timide et complexe. Il était artiste aussi, comme la plupart des membres de la famille Matta, et il choisit le moyen privilégié pour s’exprimer dans la peinture.

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29 Mary Heilmann, interviewé par Richard Armstrong, in Diserens, Gordon Matta-Clark, p.397


Dans l’esprit d’un sorcier La force physique et relationnelle de l’artiste ne manquait pas de se révéler solide, mais on peut constater un virement dans le champ d’action de ses projets, en pivotant son activité vers un domaine plus lié à l’ésotérisme et les sciences alchimiques. Je tiens aussi à préciser que ce nouvel intérêt demeurait probablement dans une forte influence transmise par toute cette nouvelle tendance du Process Art, qui lentement gagnait son accès dans les galeries d’art, je cite par exemple le travail de Alan Saret, Eva Hesse et un jeune Richard Serra. Tous ces corollaires de situations l’ont conduit à créer des « objets » qui refusaient un état fixe et toutes conditions de stabilité; ils se présentaient comme des mélanges ingouvernables, emblèmes de la transmutation des substances. Dans une entrevue faite par Cindy Nemster à Matta-Clark (Juillet/Septembre 1970) et jamais publiée30 , il décrit très bien ses intentions par rapport à ces expérimentations

Gordon Matta-Clark Photo Fry (1969) John Gibson Gallery

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: « La question c’est le changement, mais plutôt de chercher à démontrer ce procès à travers des machines ou des appareils technologiques, je préfère qu’il devienne une expérience psychique et de pure conscience d’esprit. » et à propos de ses dessins représentants une nature visionnaire et utopique : « ils contiennent des indices vers certaines idées spatiales. Pour croître au milieu d’environnement plus fertile, une riche série d’ingrédients et d’activités, pour garder une communication plus naturelle avec le procès naturel. Le procès se configure comme un vrai théâtre, où un micro-théâtre »

Robert Rauschenberg - Untitled (Gold leaf on canvas) (1952)

Gordon Matta-Clark - Photo fry (1969)

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Dans la bibliothèque de Gordon, on peut constater que la moitié des livres conservés est dédiée au sujet de l’alchimie, parmi ceux-ci il y en a un écrit par l’anthropologue français (ami du Matta père) Claude Lévi-Strauss, il s’agit de « Le cru et le cuit », appartenant à l’ensemble des volumes Mythologiques. Cet ouvrage prend en considération l’évolution des mythes, comme ils ont émergé depuis les rites de certaines cultures primitives des Amériques, en mettant en lumière surtout ceux qui prévoient des cérémonies de préparation des aliments. Le titre se réfère à deux pôles conceptuels abordés dans le livre : le cru représente la nature non contaminé, le cuit est au contraire le monde des artefacts transformés par les être humains. On peut y lire, juste au débout: « Les catégories éphémères, comme celles du cru et du cuit, le fraîs et le pourri, l’humide et le brûlé, etc., peuvent seulement être définies soigneusement par des observations ethnographiques, comme elles peuvent cependant être utilisées en tant qu’outils conceptuels avec lesquels on peut éla-

borer des idées abstraites et les combiner en forme de propositions. »31 Gordon concentre spirituellement son travail sur les traditions qui ont toujours eu affaire avec la préparation et transformation des matériaux32, il adhère conceptuellement au récit énoncé la même année par Germano Celant qui, en parlant de l’Arte Povera en Italie, soutient que l’artiste rénove sa connaissance du procès de changement de la nature, pas seulement en tant qu’être vivant, mais aussi en tant que producteur de choses extraordinaires; il organise les choses vivantes de manière magique. C’est clair que l’observation et la découverte des réactions naturelles de la part des artistes représentait une véritable fascination, comme aussi le fait de ne pas faire appel à la construction des objets mais plutôt à la modification des qualités des éléments déjà existantes, en recherchant toujours de trouver des surprenantes mixtures inédites et inattendues. De cette façon, Matta-Clark commence ses recherches dans le domaine comme un sorcier33, dans son loft à Crystie Street. Il achète au supermarché des aliments de tous types et place ses expérimentations alchimiques à la découverte des transformations et transmutations organiques des ces compostes dans un grand chaudron. Ses recherches se fondent sur le concept de life cycle, en tant que cycle de vie des organismes. Ces « cérémonies/rituels conviviaux et primitifs » se matérialisent souvent par des performances et happenings, où simplement


dans l’organisation de grands dîners où tout le groupe d’amis est invité à partager autour de ce grand chaudron un repas collectif (à l’occasion comestible). Le coté rituel dans ce type de happening artistique représente une évolution importante dans la carrière de Gordon Matta-Clark, comme aussi le caractère processuel de ces événements, le changement des propriétés des éléments utilisés dans la pièce et leur dégénération sont évidemment graduels. C’est grâce à Dennis Oppenheim que Gordon exposera la première fois chez John Gibson, où il intègre l’exposition collective « Documentations » au cours de l’été 1969, où il a installé/performé Photo-Fry. « Il a amené une grande et vieille poêle, il a entamé le feu et commencé à faire frire des photos dans de la graisse. Ma galerie est restée ouverte pendant tout l’été, avec ce truc géant qui diffusait une odeur terrible ! » témoigne John Gibson. A la fin de l’année, avec pas mal de surprise, de nombreux amis de Gordon commencent à recevoir par la poste de bizarres petites boîtes qui contenaient ces photos-frites qui représentaient (de manière presque illisible) des sapins de Noel tous incrustées avec des fines feuilles en or (jetées sur la photo au moment de sa brûlure); toujours dans la boîte, écrit au crayon noir, on lisait des vœux personnalisées.

Gordon Matta-Clark - Incendiary Wafers (1970-71)

Autres expérimentations qui sortent de la même attraction alchimique, les grandes feuilles exposées à la Bykert Gallery en Septembre 1970, portant le nom de Museum.

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En Septembre on pouvait lire dans les colonnes d’Art Forum, par Rober PincusWitten : « Dans le travail de Gordon Matta-Clark la métaphore de la jungle est représentée par un enchevêtrement de vignes enfilées au-dessus de casseroles d’agar, où les organismes semblent se coaguler, se multiplier et solidifier. Dans un coin obscur de la chambre on trouve un microscope pour examiner la structure cellulaire de ces compostes. »34 Dans le premier numéro du magazine Avalanche, publié en automne 1970, on retrouvera révélé la liste des éléments utilisées : “Les ingrédients de la pièce Museum de Gordon Matta Clark présentée à la Bykert Gallery en Juin sont les suivants: agar-agar, eau, dextrose, triptone, le glycérol, huile de baleine, NaCl, sucre, lait animal, V-8, jus de canneberge, huile de maïs, levure, chocolat Coucou, bouillon de poulet; le matériel de la structure : vignes de feuilles d’or locales, casseroles galvanisés, crochets à vis, punaises, feuilles de la magie noire en plastique; souches connues: Mucors-racemosus, Rhizopus-Apophysis, Aspergillus Niger, Penicillium notatum, et Streptomyces Griseur.” 35 A partir de son arrivée à New York, jusqu’en 1972, Matta-Clark poursuivra ses études alchimiques, représentations non conventionnelles de l’entropie. C’est le cas aussi d’une autre mixture d’agar-agar avec d’autres substances variées, qui soudain a pris feu et explosa pour des raisons inconnues; depuis ce phénomène, la pièce a pris l’ironique nom d’Incendiary Wafers.

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On peux en lire des extraits dans : Elizabeth Sussmann, The mind is vast and ever present, You Are The Mesure, Whitney Museum of the Arts, 2007, p.13 30

Pour une meilleure compréhension de l’utilisation des matériaux périssables, je vous conseille de lire l’interview avec Christian Scheidemann, placée dans les annexes de ce texte. 31

32 Cindy Nemser, The alchimist and the phenomenologist, Art in America, n.LIX, March/April 1971, p.100

Ted Greenwald raconte que Gordon avait aussi placé un annonce dans le Village Voice pour rechercher un “alchimiste”, Matta-Clark interviewé par Cindy Nemster en 1970, sauf dans l’intervention par Tina Kukielski, In the spirit of a vegetable, You Are The Mesure, Whitney Museum of the Arts, 2007, p.35 33

34

Art Forum, Septembre 1970, p.75-76

Thomas Crow, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.29 35

Berenice Abbott - Seventh Avenue Looking South from 35th Street


Une ethnologie urbaine Déjà depuis ses premiers pas dans le monde de la création artistique, on voit émerger dans le travail de Matta-Clark une attention centrée sur les aspects de la phénoménologie organique, pour cela on retrouvera nombreuses pièces impliquant le concept de la nature. Les riches archives de dessins conservées au Centre Canadien d’Architecture témoignent d’une véritable attraction surtout envers les arbres, comme aussi Jane Crawford le remarque : « Quand Gordon a commencé à dessiner des arbres ils pouvaient être n’importe quoi, ils ne devaient pas forcément être arbres; il était intéressé par la force et l’énergie que ces organismes pouvaient transmettre. Certaines fois ils ne ressemblaient pas véritablement à quelque chose de réelle, mais plutôt à de simples motifs… Tu dois regarder ses interventions sur les bâtiments de la même façon : comme s’ils étaient des dessins à trois dimensions qui permettent à l’énergie de les parcourir de manière inédite. »36 A mon avis, dans cette première période newyorkaise, l’artiste a pu développer et transmettre dans ses travaux plastiques des influences de plusieurs types, en suivant

une nouvelle façon de présenter et intégrer ceux ci dans le contexte de la métropole de New York et la communauté artistique de SoHo. Ses œuvres, qui font appel à la nature et à la manifestation de sa puissance, sont à identifier dans sa tendance à chercher des solutions pour un développement durable et la recherche d’une manière, souvent poétique et lyrique, pour célébrer la force d’une nature qui lutte contre les artifices humains qui envahissent les grandes villes et qui nous suffoquent. Comme son inquiétude et éblouissement bouleversaient dans un premier temps son retour à New York, ses forts idéaux antimodernistes (obligatoirement appris pendant les « grises » années universitaires) prennent maintenant pied à travers des projets qui attaquent le paysage urbain contaminé qui l’entoure. Il commence à travailler avec des arbres, des débris, des objets trouvés, afin d’animer un débat sur les conditions de vie dans une ville écrasante, où des vertigineuses barrières verticales d’acier et de glace font leur chemin vers le ciel. SoHo à l’époque était un quartier dans l’ombre dans l’ensemble de la glamoureuse et pétillante île de Manhattan. Il s’élevait au milieu, entre deux des plus importants pôles économiques de la ville, Midtown et Wall Street business center.37 Depuis la décennie de 1880, ce quartier était occupé par des manufactures de textiles, qui souvent occupaient de manière inapproprié et non soignée des bâtiments entiers en laissant de

Gordon Matta-Clark Carmen’s Fan #4, 1971 et Energy Tree, 1973-1974

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Jane Jacobs

nombreux espaces complètement à l’abandon. Le quartier a vécu une période de forte crise pendant les années 60 à cause des politiques d’aménagement de la ville soutenues par Robert Moses (connu pour son amour pour les voitures plutôt que pour les hommes), qui voulait la construction d’une géante autoroute sectionnant le voisinage en deux et dispersant la petite communauté des activités commerciales et les familles qui hébergeaient à l’époque dans le quartier de SoHo. Le projet de l’Expressway, finalement présenté en 1959, prévoyait une connexion entre Long Island et le New Jersey, en passant (et abattant) à travers Chinatown, Little Italy, SoHo, Lower East Side, South et Greenwich Village. En 1960 le City Planning Commission a évalué que 416 bâtiments devaient être rasé (avec 2000 unités d’habitation déménagées) et un nombre d’environ 800 commerces relocalisés.

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Pendant ces années, SoHo était nommée la « Wasteland of New York », le marché immobilier n’était pas du tout intéressé à y développer une quelconque business et pour cette raison les coûts de location des appartements et locaux étaient véritablement peu élevés. Les bâtiments iconiques qui constituaient l’esthétique du quartier étaient décorés par des façades en fonte (cast-iron) et caractérisés par la largeur et hauteur de ses grandes salles envahies de lumière. Menacés par les mesures d’effacement d’une partie d’un tel héritage historique et pour la survie de leur voisinage, résidents et commerçants commencent à se regrouper pour créer des syndicats de protestation et trouvent le support nécessaire pour faire face pour leur avenir. Jane Jacobs, anthropologue et activiste longtemps impliquée dans la critique des nouveaux modèles d’urbanisme

agressif des villes occidentales, se fait porte parole de ces mouvements. Pendant toute le décennie de 1960, ce groupe a lutté et organisé manifestations et pétitions contre ce projet, en recueillant le soutien d’une bonne partie de la communauté artistique de l’époque (dans le collectif Artists Agains Expressway on pouvait trouver Robert Rauchensberg, Frank Stella, Leo Castelli, Donald Judd, Barnett Newmann, etc…) qui à ce moment là, commençait à s’y intéresser et à aménager dans le quartier. Finalement en 1969, après une grande assemblée ayant lieu au Whitney Museum, on verra la fin de cette croisade et à cette occasion, pour la première fois, on verra l’utilisation du nom SoHo pour qualifier ce quartier qui s’érige au sud de Hudson Street, comprenant 43 blocks et à l’époque près de 450 habitants.


Comme déjà énoncé dans les précédentes lignes, je qualifiais SoHo comme « a shadow presence », une quartier en ombre où, petit à petit, nombreux groupes de personnes découvraient les énormes espaces disponibles, les prix ridicules des loyers et commençaient à occuper ces lieux de façon souvent abusive et illégale. Au début des années 60, les artistes payaient en moyenne entre 70 dollars le mois pour louer un espace d’environ 1000 m2 (habituellement des lofts), sans chauffage, ceux-ci étaient appelés dans le langage commun « lofts in raw conditions », caractérisées par leurs surfaces brutes, laissées inaltérées par les propriétaires des usines qui les occupaient auparavant.38

lies, de sorte que lorsque les flics arrivaient, ils pouvaient tout cacher ; pendant la nuit ils devaient aussi bien garder un effet blackout. Fondamentalement, la ville ignorait le problème ; une autre chose importante à remarquer c’est que New York n’avait absolument plus d’argent à cette époque, elle était proche de la banqueroute (entre les années 60 et 70), à un certain point qu’ils ont décidé de créer un programme qui concédait aux artistes des allégements fiscaux pour habiter dans ces espaces et de les convertir en habitations. Ce qui se passait alors, c’est que même s’ils n’avaient pas les compétences, ils les apprenaient et réussirent à transformer plein d’usines en maisons, aussi ma mère et mon père l’ont fait (nda. Jane

Crawford, la veuve de l’artiste, et Bob Fiore, artiste et réalisateur). A mon avis, les artistes de la génération de Gordon ont vraiment eu de la chance grâce à cette combinaison de facteurs qui leur ont permis d’obtenir des espaces parfaits pour l’art à bon marché et une situation où ils

Lors de mon échange avec Jessamyn Fiore, curatrice et écrivain qui a dédié deux expositions et une publication au travail de l’artiste Gordon Matta-Clark, j’ai eu l’occasion de surligner certains points de la situation de ce quartier d’artistes à l’histoire complexe et intéressante. « La situation de la ville à cette époque était en fort changement, il y avait cette énorme quantité de bâtiments vides occupés par des usines, souvent des manufactures textiles. Puis ces commerces ont commencé à quitter le quartier et à laisser ces énormes espaces, les artistes étaient alors attirés par ces espaces car ils étaient absolument idéaux pour y réaliser de l’art. Ce qu’ils faisaient était de les louer à buts commerciaux mais en fait ils y vivaient, en mettant toutes leurs affaires personnelles sur une série de pou-

L’intérieur et l’extérieur des lofts de SoHo en 1970 39


pouvaient même vivre et travailler avec peu d’argent, toujours en restant très ignorés par les autorités, parce qu’ils avaient d’autres préoccupations majeures. » 39 C’est tout à fait ce qui démontre aussi certaines opinions d’artistes, comme Suzanne Harris, artiste et grande amie de Gordon Matta-Clark, qui disait: « Nous n’avons pas besoin du reste du monde. Plutôt que d’attaquer un système qui est déjà là, nous avons choisi de construire notre monde. » 40 On ne retrouve pas les mêmes sentiments auprès de tous les habitants du quartier à l’époque, on verra en fait comme MattaClark se battra toujours pour essayer de démarrer un débat constructif afin d’améliorer la situation de SoHo, mais aussi bien des autres quartiers dégradés et oubliés. On peut dire qu’il était fier de faire partie de ce quartier, de la qualité des personnes qui l’habitent et de leur envie de faire et construire une vraie collectivité.

Paula Cooper Gallery, 1976, NY et le Gallery Building sur Spring Street 40

Dans une entrevue, il remarque : « Je pense qu’une des choses les plus intéressantes de SoHo, le ghetto artistique de New York, c’est que les gens se décarcassaient pour créer leur propres espaces. Tous ces gens qui bossaient d’arrache-pied n’étaient pas seulement des artistes, ils étaient également les propriétaires de ces espaces. » 41 Ce monde commence alors à se peupler et se développer dans un espace à caractère industriel, mais en accueillant dorénavant des fonctions et des services comme on en retrouve dans les autres quartiers largement habités de la ville de New York. SoHo voit alors lentement fleurir des dizaines de petits commerces et lieux où sortir le soir, pour discuter autour d’un verre des derniers événements artistiques. Vivre et travailler dans une communauté qui continuait encore à être assez petite et intime, facilitait vivement l’esprit de collaboration, l’envie de se rencontrer. Pour les artistes en particulier, ça représentait un

carrefour culturel et d’échange qui a remarquablement signé un virement culturel, soit dans la manière elle-même de faire de l’art, soit dans les moyens pour la diffuser et l’exposer. Ces espaces vierges et en même temps contaminés par une caractéristique digne d’authenticité et une prééminence pittoresque, devenaient peu à peu les quartiers généraux de la création artistique d’avantgarde, jeune et indépendante. La particulière qualité et diversité du paysage urbain, la vitalité donnée par les nombreuses sous-cultures, la proximité à la scène artistique d’avant garde, représenteront le succès mais aussi l’écroulement d’un quartier comme SoHo, comme il témoigne l’exil diffusée de cette scène artistique pendant les années ’80. La croissance de ce district en tant que lieu incontournable du marché de l’art a été extraordinaire : dans les années 60, il n’y avait même pas de galeries, en 1968 ils ont ou-


vert celles de Richard Feigen et Paula Cooper, jusqu’au 1975 où désormais le quartier était presque surpeuplé et comptait sur son territoire un nombre d’environ 84 galeries pour la vente de peinture et sculpture. En 1976, le plus grand vendeur d’art de New York, Leo Castelli, ouvre une annexe dédiée à l’art contemporain dans ce quartier, désormais devenu branchée. 42 En tous les cas, en focalisant surtout sur la période qui nous intéresse, celui de début de SoHo en tant qu’épicentre artistique, on voit l’importance avec laquelle la dimension sociale a joué sur les événements artistiques arrivés dans les années successives. SoHo devient la nouvelle bohème et vivre une vie d’artiste était la raison pour y être. Art, musique, cinéma, dance et théâtre trouvaient une dimension atypique et favorable pour se développer et contaminer sans forcement devoir respecter les impositions des institutions artistiques traditionnelles. Comme Gerry Hovagimyan l’observait dans sa description du quartier lors de son arrivée : « SoHo c’était une scène fortement underground à l’époque. Le problème essentiel de l’art conceptuel c’est justement qu’elle ne s’adaptait pas aux règles du marché de l’art de l’époque. Comment peut-on faire remarquer le début et la fin d’une œuvre ? Où se trouve l’originalité de l’objet ? Ca c’était le problème fondamental. » 43 C’est dans l’atmosphère de SoHo que Matta-Clark trouve le parfait contexte pour développer de nouveaux réseaux sociaux, à travers son insertion dans un groupe d’ar-

Prince Street, SoHo, années 70

tistes variés et motivés à développer artistiquement ce quartier laissé à l’abandon par les institutions, mais cachant une fascinante activité souterraine et indépendante. La riche collectionneuse (et son futur vendeur) Holly Solomon, après avoir entendu parler de l’artiste, fait sa première visite à son atelier/studio juste au moment de sa majeure floraison alchimique. A ce moment, elle reconnaît un véritable intérêt pour cet artiste et commentera : « J’ai jamais visité un studio plus élégant dans ma vie, avec ses mur en briques et un chaudron géant pour cuisiner des algues. Il y avait un sens de justesse incroyablement subtil. J’ai ressenti d’être en face à un homme au bon goût. » 44

A partir de ce moment Holly Solomon devient la galeriste de Gordon et en même temps, elle trouve en lui le parfait guide vers le SoHo underground en train de fleurir durant ces années. A la fin de 1969, Matta-Clark réalise pour Holly et Horace Solomon le renouement d’un loft au 98 Greene Street, qui deviendra un des premiers espaces indépendants qui organise un programme de performances, lectures de poésie, concerts, installations temporaires, qui se chevauchaient souvent entre eux. Ici, Gordon mettra en place une installation qui prévoit l’utilisation de la nature (Christmas Tree), mais cet espace a également donné une visibilité à d’autres artistes comme Laurie Anderson, Robert Mapplethorpe, Robert Kushner, etc...

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Il faut surligner que ce couple de collectionneurs et mentors des artistes se distinguaient par une attitude différente des autres marchands d’art. Madame Solomon surtout, aimait participer à la vie sociale du quartier et s’engageait à créer une sorte de grande famille élargie avec les artistes, en développant des rapports d’amitié plutôt que de simples contrats froids pour la vente de leurs œuvres. « Les autres galeristes nous invitaient pour être part de l’entratainement, les Solomons nous regardaient comme des invitées et nous nourrissaient très bien. » disait Kushner.45

36 Jane Crawford en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012 37 Jane Jacobs, Le Déclin et la vie des grandes villes américaines, traduit pas Claire Parin-Semenaud, Random House, 1961

Pour plus d’informations sur les caractéristiques des lofts newyorkaises : Charles R. Simpson, SoHo, the artist in the city, University of Chicago Press, 1ere edition, 1981 38

Jessamyn Fiore, en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012 39

40 Alan W. Moore, Collectivities: Protest, CounterCulture and Political Postmodernism in New York City Artists Organizations 1969-1985, Ph.D., City University of New York, 2000, p.47 41 Gordon Matta-Clark lors d’un entretien avec Judith Russi Kirshner à l’occasion de la réalisation de Caribbean Orange, Musée d’Art Contemporain de Chicago, 13 Février 1978

Gerry Hovagimyan en conversation avec l’auteur, New York, 13 Février 2012 42

43 Gerry Hovagimyan en conversation avec l’auteur, New York, 13 Février 2012

Portrait de Holly Solomon et premiere événement au 98 Greene Street Loft en 1971 par Bill Beckley 42

44 Holly Solomon interviewé par Joan Simon, dans Gordon Matta-Clark: A Retrospctive, p.24 45 New York Times, Holly Solomon, Adventurous Art Dealer, Is Dead at 68, 10 Juin 2002


SoHo: une communauté en évolution Les aspects sociaux dans le travail de Matta-Clark

Gordon Matta-Clark à l’entrée du 112 Greene Street Workshop 43


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Au bon endroit au bon moment

mandé : « Qu’est-ce qu’on va faire de cet espace ? ». Les grandes salles se présentaient constituées des surfaces brutes, contaminées par le temps et portant le traces de leur précédente occupation industrielle. Le sous-sol était encore plus sauvage, mais en réalité avoir affaire avec ce lieu donnait aux artistes une liberté illimitée, leurs interventions modifiaient la vision de l’espace, et en même temps l’espace contaminait leurs créations. La chose la plus stimulante était la possibilité de pouvoir vraiment faire ce qu’ils voulaient sans avoir la préoccupation de devoir conserver l’espace immaculé. C’est pour cette raison qu’on voit ici se développer une activité similaire à celle des galeries d’art, en exposant des pièces et installations dans ses murs, mais aussi une sorte d’espace privilégié pour la création ; le 112 Greene Street était donc principalement, comme ils l’appelaient entre eux, un workshop (atelier).

C’est arrivé très naturellement que ce collectif ambitieux d’artistes trouve finalement un lieu approprié pour pratiquer, exposer et faire parler de sa propre production artistique. Jeffrey Lew achète en 1968 avec sa femme Rachel, un des ces grands bâtiments occupés précédemment par des usines de textile, situé au 112 Greene Street. A cette époque, le lieu était véritablement en ruine, ils ont d’abord essayé de transformer les étages supérieurs en appartements habitables, car l’activité commerciale a continué à occuper le rez-de-chaussée et le sous-sol pour un certain temps. Quand ils ont emménagé, le couple s’est franchement de-

L’élasticité à la base de l’aménagement de ce lieu permettait aux artistes déjà insérés dans le groupe, comme aussi à tous ceux qui étaient intéressés, de pouvoir contracter et stipuler, une durée entre laquelle ils pouvaient installer leurs pièces. Le 112 Greene Street était un lieu unique et inédit car ça permettait aux pièces de sortir, aux gens de rentrer, ses murs étaient poreux de sorte que chaque chose qui se passait à l’extérieur pouvait se connecter et être en relation avec les travaux développés à l’intérieur, et viceversa. Jeffrey Lew, qui était supposé, étant le propriétaire du bâtiment, s’occuper de la gestion de l’atelier, ne faisait finalement pas grand chose pour faire entendre sa voix, ou


les résultats étaient très peu satisfaisants. Il se contentait de laisser les expositions avoir lieu, dans un esprit diffusé « d’anarchie productive ».46 Un groupe intéressant et motivé d’artistes investira le lieu de façon atypique et communautaire, en établissant des proches rapports d’amitié, dans un sentiment globale d’être comme dans une grande famille, où aucune personne travaillait en réfléchissant seulement à sa propre carrière ou en cher-

chant la notoriété, mais diffusait plutôt un extrême altruisme et disponibilité à la collaboration. Le groupe se composait principalement de : Tina Girouard, Gordon Matta-Clark, Jeffrey Lew, Alan Saret, Richard Nonas, Suzanne Harris, Carol Goodden, Jene Highstein, Larry Miller, Keith Sonnier, Richard (Dickie) Laundry.

« Tout a commencé au débout des années 1970, j’habitais alors au sous-sol du 112 Greene Street et je faisais déjà de petites interventions ça et là. Au départ, mes interventions ne touchaient pas à la structure : je me contentais de travailler à l’intérieur d’un espace particulier. Puis, je me suis mis à considérer le lieu comme un tout, comme un objet. »

Le 112 Workshop a été pour Gordon Matta-Clark une étape fondamentale dans sa carrière :

Dans les locaux contaminés du workshop, Matta-Clark trouve alors le bon endroit pour développer ses recherches sur l’espace,

112 Greene Street Workshop 45


en poursuivant ainsi dans la création de ses traditionnelles expérimentations contemplant la croissance organique. En fait, pendant les années 1970-71, on peut compter un certain nombre d’œuvres exposé dans les murs du 112 Greene Street : Cherry Tree, Winter Garden, Time Well. Entre les trois œuvres qui ont été conçues pour l’exposition d’ouverture du 112 workshop, une des plus significatives fut Cherry Tree, dont l’auteur parlera ensuite dans une entrevue à Donald Wall en 1976 : « En 1970 j’ai creusé un trou dans la cave du 112 Greene Street, je voulais qu’il soit si profond pour arriver jusqu’aux fondations afin de libérer, par ce simple trou, les forces énormes, comprimées et emprisonnées dans le bâtiment. » 48 Dans ce trou, qui mesurait presque deux mètres de profondeur, il a planté un cerisier. Quand Gordon avait finalement obtenu des fleurs par cette petite plante qui montait du sous-sol, il a organisé une fête pour célébrer la floraison, un peu comme un vernissage de la pièce. Il y avait une femme qui était si bouleversée par l’œuvre que pendant la soirée elle a retiré ses vêtements et s’est détendue sur l’herbe. Gordon était heureux, car il aimait que chacun puisse interpréter la pièce de manière personnelle.

Gordon Matta-Clark - Cherry Tree (1971) 46

A cause de l’ambiance, pas véritablement propice à la croissance naturelle d’un quelconque organisme végétal, l’arbre mourra 3 mois après son implantation. L’artiste alors fera évoluer sa pièce vers un travail plus hermétique, Time Well, qui, en couvrant tout


le trou fait précédemment avec du béton, évoquera en quelque sorte un tombeau. On voit déjà, dans les travaux de MattaClark, une certaine expression de la répression qui peut symboliser l’enfermement, le sous sol, la croissance d’organismes dans des ambiances inadéquates, le refus.49

L’espace à disposition pour les artistes au 112 Greene Street workshop: en bas Nancy Wilson-Pajic. vue de l’installation New York, 1974

46 Voir conversation avec Jessamyn Fiore sur l’organisation du 112 Greene Street, entrevue en annexe

Splitting the Humphrey Street Bulding, entretien avec Gordon Matta-Clark par Liza Béar, Décembre 1974, Avalanche magazine, p. 34-37 47

48 Les découpes de Gordon Matta-Clark, par Donald Wall, publié dans Arts Magazine, Mai 1976 49 Voir conversation avec Jessamyn Fiore sur la nature dans l’œuvre de Gordon Matta Clark, entrevue en annexe

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Robert Smithson - Partially Buried Woodshed (1970)

La précarité du quotidien Ce qui me paraît évident c’est la conscience progressive dans la dialectique des travaux de Matta-Clark vers le procès cyclique et irréversible de la croissance et de la mort, comme pour évoquer les théories sur l’entropie beaucoup étudié par son ami Robert Smithson, qui juste dans ces années concevait Partially Buried Woodshed (Janvier 1970) et Hotel Palenque (1969-72), deux exemples emblématiques du cycle de la décadence des structures et la phénoménologie du procès temporel. Les œuvres qui suivent mettent en lumière leur coté social et engagé. Quand on pense au travail de Gordon Matta-Clark, on se

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souvient toujours de ses travaux qui prévoient la compromission de l’architecture des bâtiments à la recherche de nouvelles perspectives et le détournement des lieux, mais rarement on prend en considération ses inspections au niveau de la socialité et de l’environnement dans lequel il travaille. C’est toujours une sorte d’alchimie qu’il cherche à créer : il explore scrupuleusement les changements d’un paysage urbain en profonde évolution, celui de Manhattan, les zones d’ombre de la ville et ses activités souterraines et métropolitaines, un cycle irréfreiné de transformations qu’investissent tout ce qui les entoure. En analysant les procès créatifs de MattaClark dans ces années tumultueuses, je souhaite pouvoir redessiner une certaine conformité entre ses principes et quelques énoncés qu’on peut retrouver dans les fondements de l’Arte Povera, mouvement qui à partir de la fin des années ’60, a commencé à se développer en Italie. Depuis la définition que Germano Celant donne à cette tendance, on peut dire que ça se développe depuis d’art conceptuel, qui se battait contre l’art traditionnel, en refusant ses techniques et supports pour utiliser plutôt des matériaux « pauvres » (comme la terre, le bois, le fer, les chiffons, la plastique, bref tout sorte des résidus naturels et industriels), avec l’intention d’évoquer des structures originelles du langage de la société contemporaine, en corrodant ses habitudes et conformismes sémantiques. Une autre caractéristique clé du mouvement, c’est l’utilisation de l’installation et de la

performance comme moyen communicatif, afin de mettre en relation l’œuvre avec son contexte. 50 La définition d’Arte Povera est quelque chose de très instable et complexe, car elle est toujours en train de se faire et est miroir et réagit à partir d’une période historique précise; en créant une pluralité de réfractions, sa compréhension se trouve dans le quotidien. En adoptant une pratique de rapport au contexte, plus qu’un système pour faire de l’art, il s’agit d’une « tension » créatrice. A partir des impressions données par cette description d’un mouvement italien, qui a eu pas mal de résonance internationale à l’époque, j’ai essayé de mettre en relation ce qu’il pourrait avoir en commun entre le travail de Matta-Clark, qui allait prendre forme à l’autre bout de l’océan. En fait, souvent les œuvres qu’il conçoit

juste après sa « période alchimique » ont des éléments récurrents : l’utilisation des matériaux trouvées, les débris de la ville, les objets en train de se défaire où la mise en scène d’une destruction volontaire, la contemplation et mise en valeur des procès organiques et naturels. Jene Highstein, artiste et ami de MattaClark disait : « Il jouait avec le quotidien. Il jouait avec la figure du clochard. Il jouait avec les déchets. Finalement il jouait avec tous ces objets qui faisaient partie de notre culture. » 51

Germano Celant, Arte Povera, Electa, 2011 Jene Highstein, interviewé par Elisabeth Sussmann, 9 Septembre 2005 50 51

Robert Smithson Hotel Palenque (1969-72) 49


Robert Smithson, Floating Island (1970) Gordon Matta-Clark Island on the Hudson (1970-71) Floating Island realisée par le Whitney Museum en 2005 à New York

En 1970 Smithson dessine Floating Island, un jardin flottant qui puisse être entraîné par des remorqueurs autour de l’île de Manhattan : dans l’esquisse du projet on voit un instable petit bois de saules et chênes qui parcours les eaux du fleuve et fait face aux gratte-ciel de l’industrie, l’information et la finance. Le projet sera réalisé posthume en 2005 par le Whitney Museum of American Art, dans la même période où on pouvait aussi trouver les Gates de Christo au Central Park. Un curieux parallèle peut être fait avec un dessin qui date 1970-71 de Gordon Matta-Clark, Island on the Hudson. Il s’agit finalement d’une simple variation; l’artiste a toujours revendiqué pendant sa vie, la volonté de construire des parcs publics dans des lieux abandonnées de la ville, avant tout pour les rendre accessibles à la communauté et en suite pour transformer l’aspect décadent de l’espace urbain et ses zones inutilisées. Cette convergence des intentions entre les deux artistes ne fait que remarquer l’influence que l’un a eu sur l’autre, et notamment comment Smithson a été maître pour le jeune Matta-Clark.52

Randy Kennedy, It’s not easy making art that floats, The New York Times, 16 September 2005 52

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Un engagement social au-delà des oeuvres A mon avis, on peut bien noter un côté politiquement engagé dans le travail de Matta-Clark. En tous cas, il me paraît difficile de croire que cet artiste aurait pu rester insensible à toute une atmosphère de dense énergie politique comme celle des années 60 et 70 surtout dans la ville de New York. Il faut rappeler aussi le rôle important que jouaient les femmes dans ces type de collectif artistique, elles avaient lentement réussi à gagner leur place et reconnaissance par rapport à leurs collègues, en démontrant un fort caractère et parfois une incroyable maîtrise et avant garde dans la conception de leur pièce. On peut penser, dans le groupe du 112 Greene Street, à Suzanne Harris (une sorte de Matta-Clark au féminin), Tina Girouad, Trisha Brown et Laurie Anderson (dans la dance, performance et la musique), etc…

John Fekner - Enfants armées dans le South Bronx,années 70

Les problèmes de la société contemporaine furent le point de départ pour la plupart de ces artistes pour concevoir leur pièces, en donnant leur interprétation; ils proposa-

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Trisha Brown,Woman walking down a ladder (1973) Laurie Anderson, Laurie Anderson Playing Viophonograph, (1977)

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ient des solutions possibles où simplement montraient une réalité diffuse et contaminée, souvent cachée. Jessamyn Fiore rappelle un projet exemplaire à ce sujet: « Larry Miller réalisait une pièce vraiment intéressante au 112 workshop, ça mettait en évidence le problème des clochards et sans abri. Dans cette période il travaillait dans une organisation similaire à l’armée du salut, sur la Bowery, où il créait des oeuvres d’art. Un jour il a trouvé cette collection énorme des couteaux et lames séquestrées par l’armée, il décide donc de prendre des photographies des blessures que les personnes montraient sur sa propre peau provoquées par ces lames. Finalement il les accroche au mur et aligne tous ces objets et photographies, ça créait une image tellement puissante et viscérale qui frappe l’observateur. Sans devoir forcément rentrer dans ce type de démonstration d’une réalité où on prétend de forcer la communication d’une morale éthique, comme pour dire ‘faire comme ça, ça ne va pas, voici la solution’, cette œuvre présente simplement ce que c’était la réalité de la ville, la société où l’on vit et qui on doit reconnaître. » Toujours en travaillant dans le sous sol du 112 Greene Street Matta-Clark conçoit l’œuvre Winter Garden : Mushroom and waistbottle recycloning cellar. A cette occasion, il commence à cultiver des champignons juste à coté d’un rassemblement de bouteilles de verre dans un espace laissé vide dans une vieille cage d’ascenseur. Une autre œuvre née du même esprit est Glass Plant, où des bouteilles de Soda et Coca Cola ont été fondues avec un simple brûleur Bunsen

Gordon Matta-Clark - Mushroom and waistbottle recycloning cellar (1971)

afin de créer des lingots ayant la forme du brique. Il explore ainsi les qualités intrinsèques du matériau en lui-même, le verre : fragile et solide au début, liquide au milieu du procès et finalement devenue une masse compacte et durable, il y a encore une recherche quasi alchimique dans son travail, sujet qui se révèle encore très cher à l’artiste. Encore une fois on voit l’adoption de la part de Matta-Clark du feu comme un élément purificateur, clarificateur et qui amène les objets à des états autres (Photo Fry), comme stabilisateur, pour fixer l’état des substances volatiles. Et aussi on peu voir le feu comme une forme d’énergie en soi-même (Incendiary Wafers, Museum), avec le pouvoir de redonner la vie aux choses (Glass Plant). En tous cas, Matta-Clark sans doute ne néglige pas le coté rituel qu’il y a dans l’utilisation


de cet élément dans ses procès artistiques, aspect toujours présente dans toutes les pièces d’un artiste. Il démontre tout à fait sa forte influence depuis les anciens rites sacrés de l’Amérique du Sud, mais aussi par les techniques de brûlages surréalistes et la signification alchimique même de l’élément du feu : une force destructrice pour les anciens grecques, Héraclite identifiait dans le feu l’origine de l’univers, pour les tribu indienne c’était enfin une substance nécessaire pendant les sacrifices pour extirper le mal et les démons.

Gordon Matta-Clark - Glass Plant (1970-71)

Deux pièces qui évoluent dans une même tendance processuelle sont l’ensemble des travaux élaborés pour l’événement Under the Brooklyn Bridge, conçu en collaboration avec Alanna Heiss (future directrice du PS1) et le projet Open House/Dumpster Duplex. Plus de 40 ans sont passés depuis l’événement qui a eu lieu en Mai 1971, en dessous du Brooklyn Bridge, à l’occasion du 88éme anniversaire de la construction du pont. L’inspiration globale de ces interventions, organisées par Alanna Heiss et Gordon Matta-Clark, était donnée par l’espace brut et sauvage du front de mer de Manhattan qui entourait la partie occidentale du pont. Les matériaux utilisés par les artistes dans leurs travaux étaient souvent des simples objets trouvés sur place où des débris et déchets qui peuplaient la ville. Dans le complexe, les interventions étaient étalées sur trois jours, avec une closing ceremony finale au quatrième jour. Entre les 20 artistes participants on trouvait : Carl Andre, Tina Girouard, Jeffrey Lew, Keith Sonnier, Gordon Matta-Clark, Jene Highstein, Sol Lewitt, Richard Nonas and Dennis Oppenheim. La performance de Matta-Clark se compose de deux pièces différentes : Jacks et Fire Child. L’entière intervention évolue d’une enquête de terrain mené par l’artiste avec son appareil photo, en documentant la situation du lieu. Il s’est bientôt rendu compte que cet espace laissé à l’abandon était peuplé par des clochards qui s’arrangent avec leurs propres moyens et ingéniosi-

Intervention de Richard Nonas pour Under the Brooklyn Bridge 53


té afin de se construire des abris. Gordon développe une certaine empathie pour ces hommes qui résoudent des problèmes pareils avec un tel stoïcisme et une telle habileté. En étant lui-même familier aux difficultés de trouver toujours des lieux pas chers où habiter, il décide donc d’essayer de trouver des solution structurelles à ces constructions si faibles et précaires. Dans son premier essai, il construit Jacks (documenté par des photographies de Carol Goodden), en utilisant les carcasses des voitures amassées au dessous du pont, un abri qui démontre déjà une certaine résistance à la pluie. Il développe ensuite Fire Child (vidéo), qui se compose d’une performance qui voit la construction d’un mur entièrement constitué de déchets trouvés,

Gordon Matta-Clark Garbage Wall (1970-71)

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renforcés et supportés par une structure en grille métallique. Ce mur prend le nom ironique de Garbage Wall, et constitue le premier prototype d’œuvre reproduisable inventé par l’artiste. Cette pièce avait déjà été présentée un an auparavant en face de la St. Mark’s Church dans l’East Village, pendant une performance assez singulière où l’artiste exprimait son refus pour la situation de la ville à travers le recyclage des objets : « Je travaillerai, mangerai, et je me nettoierai, ça sera mon rôle dans ce performance… Je devrai éventuellement louer un container pour recueillir au final le mur et tous autres objets. L’effet global doit faire référence au cycle de vie d’une maison de rue, qui naisse et après redevient à son état de déchet. »53

Gordon Matta-Clark Fire Child (1971) - Movie stills


L’événement du Brooklyn Bridge a été difficile à développer vu les restrictions et négligence de l’institution municipale de la ville et d’autant plus gêné par les gangs qui peuplaient le lieu et qui avaient confondu les œuvres avec des marques d’un groupe rival. En fin de compte, l’atmosphère festive du programme a réussi cependant à demeurer intacte et attirer beaucoup des personnes, pas seulement intéressées par les œuvres d’art, mais aussi pour les spécialités culinaires offertes par le Demolition Banquet, qui comprenait un porc rôti préparé par Gordon Matta-Clark (Pig Roast, vidéo), des performances de Philip Glass et Mabou Mines, films de Rudy Burckhardt et un fête dansante.

Gordon Matta-Clark Garbage Wall (1970-71)

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Gordon Matta-Clark - Fire Child (1971), Pig Roast (1971), Tina Girouard, Jene Highstein et Bill Bollinger (1971)

Gordon Matta-Clark Pig Roast (1971)

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A part la réussite de l’événement en tant que fête collective, le Brooklyn Bridge Event représente un fascinant virage de tendances dans le monde de l’art : les gens sont portés à réfléchir, travailler ou simplement admirer des œuvres développées dans des espaces urbains négligés et oubliés. Alanna Heiss, juste un an après, fonde l’Institute for Art and Urban Resources, qui se présente comme une institution fondée sur la notion de « donner la possibilité à la communauté artistique de s’impliquer dans le paysage urbain, de sorte que les lieux abandonnés et désaffectés de la ville puissent finalement devenir des espaces significatifs et réévaluées ». On voit encore comment pendant les années qui suivirent, le centre s’est engagé à convertir des vieux bâtiments désaffectés en ateliers ou espaces d’exposition, incluant ainsi, en 1976, la structure du PS1 à Long Island (Queens), ancienne école abandonnée. 54


PS1, Long Island, NY

Un autre projet intéressant développé par Matta-Clark juste un an après les évenements du Brooklyn Bridge, en Mai 1972, est Open House. La pièce est aussi connue avec le nom de Dumpster Duplex, se situant juste au milieu entre 112 Greene Street Workshop et 98 Greene Street (Solomons’ loft). L’idée principale de cette structure exprime toujours la générosité de l’artiste, qui fait appel à l’élaboration de solutions pour résoudre les problèmes sociaux assez diffus dans la ville. Comme disait Jane Crawford dans ses commentaires à l’œuvre : « The idea was to make this throw-away house for these throw-away people »55. Avec ses connaissances dans le milieu architectural et son incroyable envie de réaliser des travaux qui prévoient la collaboration d’autres personnes, il loue une benne à

ordures et collectionne un bon nombre de portes et éléments structurels depuis ses explorations dans les maisons abandonnées du South Bronx. Il complète ainsi la morphologie de l’espace de la benne à son intérieur, en reproduisant des couloirs liés par des portes, à ciel ouvert. Le fait de n’avoir pas réfléchi à couvrir la pièce en dessous, se révéla crucial, car le jour de la présentation du projet au public les conditions météo étaient les pires. Gordon trouva alors une solution simple en appelant Tina Giraud et lui disant d’aller chercher la plus grande quantité de parapluies qu’elle pouvait trouver. Finalement la journée évolue dans une sorte de performance détendue qui prévoit l’interaction entre les participants et les danseurs, qui improvisent un ballet avec l’aide de parapluies colorés. La deuxième fois que l’artiste reproduit la pièce, il construit une structure similaire

Gordon Matta-Clark Open House (1972) 57


Gordon Matta-Clark Open House (1972)

avec un toit au dessus et là haute il décide d’y cuisiner un barbecue, avec l’intention de capter l’attention des passants avec l’escamotage de la nourriture. Il voulait fortement motiver la participation de la communauté, facteur fondamental pour la réussite de ses œuvres et sa satisfaction personnelle.

53 Note de Matta-Clark sur son journal de bord, Archive of Estate of Gordon Matta-Clark

Depuis le site internet de MoMa, New York [http://momaps1.org/about/] 54

« Créer des maisons à perdre pour des gents à perdre » 55

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Le plaisir de partager les expériences (et les repas) en communauté La communauté artistique de SoHo avait l’habitude de se rencontrer aussi hors des collaborations artistiques pour faire des soirées dans leur grands lofts, cuisinier et manger, c’était comme si la nourriture pouvait constituer une autre type de socialité, où tout le monde pouvait participer et profiter d’une bonne atmosphère et un moment d’intime partage collectif. Cette emphase sur la nourriture arrivait du contingent du sud du group, personnes comme Tina Girouard, Richard Laundry, Keith Sonnier, beaucoup d’artistes venaient du sud des Etats Unis, où il y a une véritable culture pour la cuisine et le rituel d’avoir un repas ensemble. Quand ils ont amené cet esprit à New York, les autres artistes étaient véritablement frappés de voir à quel niveau ça pouvait représenter une voie de socialiser autrement, de façon à la fois active, participative et créative.56

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Carol Goodden rappelle dans une de ses interventions par rapport à sa relation avec Matta-Clark: « Une fois j’ai organisé une fête chez moi et j’ai demandé à tous les présentes d’amener des fleurs. Toutes les typologies des fleurs sont arrivées, Gordon avait apporté des fleurs comestibles. On a donc parlé beaucoup de nourriture et de cuisine et il a remarqué que j’aurais du ouvrir un restaurant. Ca c’était la genèse de Food (1971), cette fête a marqué le début aussi d’un rapport intense de frère/sœur, mère/fils, mari/épouse, meilleurs amis, entre nous deux. » 57 Food ouvre ses portes en Septembre 1971, presque un an après 112 Greene Street, et en fait ça représente véritablement une « extension » du premier espace, ils sont des lieux liés par un sorte de rapport frère-sœur (brother and sister places). Auparavant, le groupe a toujours eu l’habitude de faire aussi autre

chose dans les espaces où ils pouvaient travailler et réaliser de l’art librement, et c’était juste un passage évolutif naturel pour eux d’avoir leur propre restaurant. Comme j’ai déjà remarqué, SoHo à l’époque était fortement déserté, le peu de personnes qui habitait ici, cherchait et nécessitait des lieux où sortir, aller manger, passer du temps ensemble. En plus, les artistes avaient fortement besoin de gagner de l’argent, donc Food a réussi à englober tous ces besoins en un corps unique. Food devient une scène permanente toujours disponible pour Matta-Clark et son cercle d’amis, ainsi qu’un fournisseur de repas fraîches, pas chères et sains pour le voisinage des locataires des lofts du quartier. Il y a une ludique philosophie festive derrière l’organisation de l’espace tout entier, qui se mélange avec les rituels de créa-

Gordon Matta-Clark Food (1972) - Movie stills


tion de la communauté artistique, et qu’on pout trouver soit dans la cuisine, soit dans la clientèle du lieu. « Art nous nourrit, littéralement et métaphoriquement »58 est le slogan inventé par Matta-Clark afin de décrire le concept de Food. Le restaurant offre bien plus qu’un simple service de dîner, et ça fait partie du jeu d’avoir la possibilité de se retrouver au milieu d’une performance de danseurs ou d’un repas avec un chef invité (évidemment artiste, en occasion des guest chef days) à la fois comestible et sûrement non conventionnel. « Matta-Clark voit Food comme une single grande sculpture, il avait personnellement dessiné tout l’ameublement à l’intérieur et fait un film sur le lieu avec Robert Frank, Suzanne Harris, Gordon Matta-Clark, Danny Seymour, Bob Fiore (au tournage) et Robert Capa (qui s’occupait du son). A un certain point il a même cherché de vendre l’entière idée de Food à Leo Castelli en tant que œuvre d’art, malheureusement sans succès.

56 Jessamyn Fiore, en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012 57 Carol Yorke Goodden, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.193-194

“Art can feed us, literally and metaphorically”, FOOD: an exhibition by White Columns, October 3, 1999 – January 2, 2000, Westfalisches, Munster, 1999, p. 5 58

L’entrée du restaurant Food: Tina Girouard, Carol Goodden et Gordon Matta-Clark 61


Yves Klein - Le vide 1. En 1958, Yves Klein organise à la galerie Iris Clert à Paris l’exposition Le Vide : l’espace de la galerie est débarrassé de tous objet (comme incarnation du vide, du néant) nécessaires à la méditation et chers à la philosophie bouddhique. Un an plus tard l’artiste Arman lui répondra par Le Plein (1960), où il recueille toutes sortes d’objets dans l’espace de la galerie Iris Clert.

Interférences créatives entre art et nourriture

Food représente un bon exemple dans le milieu des expérimentations transversales et alternatives, mais il ne faut pas croire que ceci était un cas isolé et anomal. Nourriture et art se rencontrent souvent dans l’histoire de l’art contemporain. L’acte de manger ou de boire, de préparer et servir un repas, donne aux artistes la chance d’explorer des thèmes communs iconiques: le corps, l’identité, le commerce, aux limites entre l’art et la vie. Voici une liste de quelques moments du XX siècle où manger et de boire ont joué un rôle important dans la création de l’art, ou sont devenus œuvre d’art eux-mêmes.

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Plus de 2.500 parisiens participent au vernissage de l’exposition d’Yves Klein en 1958, intitulée La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée, ou simplement Le Vide. En attendant dans la queue (Klein permet seulement à dix personnes à la fois de rentrer dans l’espace d’exposition), les invités boivent des cocktails de Cointreau, de gin, et de bleu de méthylène. Pas seulement l’artiste règle le flux de corps qui a accès à la galerie, mais il a également contrôle sur le flux de substances sortant du corps de ces mêmes visiteurs, car ces cocktails peignent leur urine de bleu.

Exposition Le Vide d’Yves Klein, galerie Iris Clert à Paris


Daniel Spoerri - Restaurant Spoerri / Eat-Art 2. En Mars 1963, Daniel Spoerri monte un groupe de dix tables à la Galerie J à Paris, connue à l’époque en tant que Restaurant de la Galerie J. A un certain moment choisi au hasard, l’artiste interrompt le repas de ses hôtes, afin d’enlever les tables pour les conserver à cet état. Sale, avec la vaisselle pleine de grasse, les couverts, nappes et la verrerie venaient collés, les restes des plats sont laqués et retournés à leurs places. Spoerri renverse alors les tables sur leurs côtés et les affiches comme des « assemblages » qu’il appelait Fallenbilder ou Snare-pictures. Spoerri ouvre successivement son propre restaurant à Düsseldorf en 1968 (Restaurant Spoerri) où il crée une série de 365 Snare-pictures, en 1970 il installe sa galerie Eat-Art, à l’étage du bâtiment.

Spoerri explique en 1966 le concept de ses Snare-Pictures comme suit: « Il s’agit des objets trouvés dans des positions aléatoires, en ordre ou le désordre (sur des tables, dans des boîtes, des tiroirs, etc.), il sont après fixés (« emprisonnées ») comme ils se trouvent à l’origine. Seulement le plan est modifié: puisque le résultat est appelé « tableau » ce qui était horizontal devient vertical. Pour simplifier: les restes d’un repas sont fixés à la table à laquelle le repas a été consommé et la table est accrochée au mur.

Tom Marioni, The act of drinking beer with friends is the highest form of art

Daniel Spoerri, Snare Picture

Tom Marioni - The act of drinking beer with friends is the highest form of art 3. C’est durant les années soixante que Tom Marioni, alors jeune artiste, convaint George Neubert, conservateur du Musée d’Art de Oakland, que de faire la fête avec les amis constitue une « sculpture sociale ». Pour The act of drinking beer with friends is the highest form of art (l’acte de boire la bière avec les amis est la plus haute forme d’art), à partir de 1970, Neubert ramasse quelques boissons alcooliques et rencontre Marioni accompagné par 16 de ses copains au musée un lundi, un jour où le musée reste fermé

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au public. Le groupe boit, s’amuse, et à la fin de la soirée, ils laissent toutes les bouteilles de bière sur le sol, que tous les visiteurs du musée le jour après pouvent apprécier et contempler en tant qu’œuvre d’art. The act of drinking beer with friends is the highest form of art devient un projet que Marioni poursuit jusqu’à présent, il sert encore de la bière à des amis à l’occasion des les mercredi soir où il les accueille dans son atelier de San Francisco.

Café Al à Los Angeles

Allen Ruppersberg - Café Al

4. Les visiteurs du Café Al, situé près du centre ville de Los Angeles, et qui ont profité les jeudis soirs pendant trois mois dans l’automne 1969 du restaurant, concordent que le diner était si efficace comme s’il était dans les affaires depuis longtemps. Les décors et ameublement du lieu, avec ses nappes aux carrés, carte postales colorées et photos autographiées, sont tous sortis de l’imaginaire l’artiste Allen Ruppersberg. Les repas, préparés par Al en personne et servis par un personnel de serveuses, ne ressemblent à rien d’autre qu’un dîner normal à tarif moyen. Le café servait de la bière et le café, mais il y avait certains plats pas de tout

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comestibles, comme le « petit plat de pommes de pin cônes et feuilles ». Les menus inhabituels de Rupperberg naissent de ses sculptures précédentes faites avec la terre, et représentent une réponse originale aux tendances lancées à l’époque par le mouvement Earth Art. Les plats qui sortent de la cuisine de Café Al donc ne sont pas forcément de véritables repas mais surtout des œuvres d’art conceptuel, le plat “Patti Melt”, par exemple, est une photographie de la chanteuse Patti Page, distribué sur des marshmallows toastés. Plus tard en 1971, Ruppensberg


reconvertit une maison de deux étages, située sur le Sunset Boulevard à Hollywood, en un hôtel entièrement fonctionnel pour une période d’environ un mois. Juste avant son ouverture, l’artiste envoit des brochures publicitaires de l’hôtel qui proposent des séjours dans des chambres aux décors uniques et nommées sous une identité spécifique, comme la « Jesus Room » et la chambre nuptiale. Ces projets anticipaient toute une génération des artistes qui trouve notoriété à partir des années ’90, comme Rirkrit Tiravani-

Rirkrit Tiravanija - Untitled 1992 (Free)

Rirkrit Tiravanija Untitled 1992 (Free) et reconstruite en 2007 avec une copie de Open House de Gordon Matta-Clark (1972), David Zwirner Gallery, New York.

ja, Carsten Höller, Felix González-Torres, Philippe Parreno, etc., sous une tendance artistique identifié sous le nome de « Art relationnelle » où aussi « Art participative ». 5. Un des artistes qui a exploré les interactions sociales et culturelles qui peuvent naître de la rencontre entre alimentation et art récemment est Rirkrit Tiravanija. Pour Untitled 1992 (free) il a cuisiné du riz au curry dans les cuisines de la 303 Gallery à New York, en l’offrant gratuitement au public. Untitled est en suite devenu synonyme de « l’esthétique relationnelle », défini par Nicolas Bourriaud (curateur français

qui à notamment forgé le terme) comme « une théorie esthétique où les pièces sont jugées sur la base des relations humaines qu’elles représentent, produisent et incitent »59. En bref, Tiravanija a crée une situation qui encourage l’interaction sociale, où des inconnus partagent la table et le repas et, heureusement, une conversation.

59 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Presses du réel, 1998

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Gordon Matta-Clark rĂŠalise le documentaire sur le restaurant Food

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Cette période, fondamentale pour le développement dans l’échelle des interventions de l’artiste qui jusqu’à présent s’était occupé que d’objets, marquera aussi une importante décision, miroir de sa difficile reconnaissance identitaire.

Un esprit découpé De retour sur le sujet de restaurant Food, ce lieu représente véritablement un espace pionnier dans la carrière de Matta-Clark, car c’est ici qu’il accomplira officiellement (avant de ses cuts dans le sous-sol du 112 Greene Street Workshop) sa première intervention dans la coupure des bâtiments. Même si encore à petite échelle les intentions peuvent se retrouver assez clairement dans sa volonté « d’ouvrir la structure des immeubles et modifier la perception des lieux ». Pendant la période de restructuration du local, juste avant son ouverture, MattaClark trouve un morceau de mur qu’il fallait enlever. Il décide alors de créer « a wall sandwich » (un mur sandwich), en coupant une section horizontale à travers le mur et la porte. Il en est tombé amoureux. C’est comme ça qu’il commence ses cutting pieces. »60

L’histoire derrière le nom acquis par l’artiste dans l’évolution de sa carrière reflète en fait le conflit personnel et relationnel avec l’invisible figure de son père et le manque de reconnaissance qu’il lui démontrait pendant tous les années de sa jeunesse. On peut retracer une période en particulier où Gordon Matta a vécu un basculement dans sa propre identité et pris la décision de la modifier en raison précise de sa situation familière. A fin du mois de Septembre 1971, juste après l’inauguration de Food et suite au boycott collectif des artistes à l’invitation à la 11eme Biennale de San Paulo61, il part avec Jeffrey Lew et Carol Goodden pour un voyage en Amérique du Sud. La polémique étendue de Matta-Clark se développe alors dans un désir de monter un événement alternatif à Santiago, en retraçant en même temps le parcours de ses racines familiales. Finalement il n’arrive pas à rencontrer son père, qui était censé arriver de Paris, et il n’arrive pas non plus à instituer un festival des arts alternatifs, mais il réussit à accomplir un travail pionnier et révélateur de tout ce qui se succédera dans son parcours artistique. Invité par le directeur du musée des Beaux Arts de Santiago (Chili), Nemesio Antúnez, il pratique une intervention architecturale

Gordon Matta-Clark Splitting (1974) 67


et les vestiges de ce travail, aussi appelé Bellas Artes Cutting, 1971, ont été montré récemment au public pour la première fois lors de l’installation de « Undoing Spaces », une exposition sur le travail de l’artiste, lancé en Novembre 2009. Mais l’histoire de ce premier building cut est bien intéressante, en fait pour longtemps on a cru qu’il ne restait plus trace d’aucun bâtiment touché par les interventions de l’artiste. Pour beaucoup de temps l’intervention de Santiago est demeurée oubliée, car sa position dans le musée ne facilitait pas la découverte accidentelle. C’était l’artiste chilien Frederico Assler, qui installait à l’époque sa propre exposition dans le musée, le premier à raconter à la veuve de Matta-Clark, Jane Crawford, qu’il avait rencontré Matta-Clark en 1971 et il lui avait montré où le travail était localisé. L’intervention de Bellas Artes est donc l’une des premières coupes de l’artiste et l’unique intervention sur des bâtiments qui a échappé à la démolition. De retour de l’Amérique du Sud, il prendra la définitive décision de changer son nom, en ajoutant à celui de son père le nom de jeune fille de sa mère, Clark. Un choix si marqué pourrait être d’abord justifié par son désir de couper les ponts avec un père qui négligeait toute attention vers son fils et toute la famille en général, et qu’il a failli rencontrer au Chili; et en même temps, il représente un geste typique des cultures sud américaines d’avoir un nom de famille qui intègre les noms des deux parents (le vrai nom du père était en effet Roberto Matta-Echaurren).

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Déjà pendant l’été du 1971, durant le renouvellement des locaux de Food, Gordon cherche à changer son identité62, quelques uns de ses dessins d’arbres montrent une signature faite de bizarres initiales où les formes rappellent des lettres chinoises ou des hiéroglyphes. Il ne veut certainement pas être identifié sous le nom de son père, Matta, et utilise donc différents noms. Par exemple dans sa performance et vidéo Fresh Air Cart en 1972, qu’il développe avec Juan Downey (un autre artiste performer chilien), il utilisera le nom inventé de « George Smudge ».

Carole Goodden, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.194 60

Les artistes protestaient contre les graves problèmes causés par le régime dictatorial répressif du pays 61

Carole Goodden, in Corinne Diserens, Phaidon Press, 2003. p.195 62

Gordon Matta-Clark Fresh Air Cart (1972) Movie stills


Dépasser les limites Introduction aux prochains points à développer

Gordon Matta-Clark pendant la réalisation de Circus-Caribbean Orange (1978)

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Coupures matérielles et immatérielles Dans ses recherches artistiques, MattaClark fait toujours référence à un art au service de la socialité, qui tient compte des problématiques de la ville où on va intervenir, en analysant le tissu social dans lequel elle s’intègre et éventuellement génère une situation particulière. En tant qu’ancien étudiant d’architecture et urbanisme, sa façon d’interpréter le monde qui lui entoure est profondément sensible à une situation si critique et dramatique de la ville de New York, néanmoins la nécessité d’agir afin de l’améliorer. Son inclination personnelle et sa formation lui ont appris à s’occuper de ce gendre des choses, surtout de la négligence et de l’abandon, car si ces éléments sont encore présents dans une ville, ils sont forcement emblème d’une passivité et ambiguïté juridique et bureaucratique. Les lieux qu’il investi pour la création de ses pièces sont souvent abandonnées, ouverts et

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Gordon Matta-Clark pendant la réalisation de Splitting (1974)


disponibles sans aucun avis d’interdiction à l’accès où signalétique de tout sorte, toute la ville semble complice de l’anarchie qui y règne. Dans une situation pareil il dit « je suis de l’avis que chaque artiste où personne consciente peut avoir le droit, s’il le désire, d’aller dans ces lieux et les améliorer, de transformer leur état de criminalité à une condition significative et intéressante ».63 Par exemple, étant donné la situation du Pier 52, le lieu où Matta-Clark a réalisé la coupe Day’s End, une des solutions envisageables, sinon l’unique, était de transformer sa structure en une œuvre d’art, une espèce de sculpture faite d’eau et de lumière, un parc tranquille, ouvert à l’amusement public, plutôt qu’un lieu gaspillé fermé. Dans la déconstruction d’un bâtiment, les gestes de l’artiste font référence à son adversité à plusieurs aspects envers la condition sociale. D’abord, il cherche à ouvrir un état de clôture conditionné par une industrie immobilière qui dissémine des « boîtes urbaines et suburbaines » comme contexte pour y faire installer un consommateur passif et aliéné. Le fait que la majorité de ses interventions sur des bâtiments ait été accomplie dans des ghettos noirs renforce d’un coté la dimension sociale de ses pièces. Mais il n’a jamais voulu mettre en question que la situation de réclusion dans laquelle héberge les pauvres; au contraire il accuse au même temps le rafinnement et l’auto-emboîtement des quartiers des classes socio-économiques plus élevées. Avec son travail, Matta-Clark réagit à un état de privatisation, de propriété privé et d’isolement toujours moins accessible.

Le titre d’un article paru sur la revue italienne Modo en automne 1977, est tout à fait intéressant car en définissant la pièce Day’s End, au Pier 52 à New York, il l’identifie comme « Une intervention de cosmétique architecturale soulignant la décadence urbaine de la ville de New York » Dans ces paragraphes, Matta-Clark, en conversation avec l’auteur Franco Raggi, répond comme suit à un question sur la temporalité de ses interventions : F.R. « Jusqu’à quand vous entendez poursuivre ce travail ? » G.M.C. « Jusqu’à quand quelqu’un arrivera nous arrêter. » Ce travail commencera en fait vers la fin de mois d’août et sera interrompu après quelque jour par la police.64 On est alors face à une multiplicité de problématiques, qui font de cette deuxième période d’activité de l’artiste (comme j’oserais le définir) un bon sujet pour une multiplicité des débats. Par exemple la question de la légalité dans la ville de New York, où comment la situation urbaine a influencé les interventions des artistes dans les année 70. Matta-Clark utilisait la métropole comme un terrain de jeux, il provoquait et éveillait une discussion autour de thèmes délicats touchant la société américaine. Gordon Matta-Clark Day’s End (1975): cycle de vie de l’oeuvre: la pièce réalisé, de gents qui profitent du soleil a coté de la jetée, la demolition de l’oeuvre

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Gordon Matta-Clark Pier In/Out (1973)

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En déboutant son activité de coupure des bâtiments, Matta-Clark ne creuse pas simplement dans des sols ou à travers des fenêtres, mais plutôt il excave dans les matériaux qui constituent la ville, en cherchant de trouver l’essence des lieux, leur esprit perdu, les libérer de leur état de captivité et de leur redonner une nouvelle perspective, leur donner un nouveau souffle. C’est un geste iconique, dramatique et spectaculaire, quasi théâtral, voué à un activisme urbain et social, un acte libérateur et parfois brutal mais en adoptant une agressivité symbolique et conceptuelle. En même temps, ses coupes relèvent une partie cachée des surfaces architecturales, j’aime bien prendre comme exemple l’œuvre Pier In/Pier Out, faite en 1973, œuvre synthétique et explicative de ses actions. Cette pièce qui constitue la vraie problématique qu’analysent ses travaux est toute à fait une exploration sur les qualités de l’effet positif/ négatif qui elles génèrent. Il faut constater que les morceaux qu’il enlève des bâtiments « attaqués » n’est pas le vraie cible de ses actions mais c’est plutôt la valeur du geste et le discours conceptuel qu’il annonce. Pour cette raison ma recherche a pris le nom de La densité du vide, pas seulement car je trouvais intéressant le travail que Matta-Clark dans sa brève carrière a accompli sur les enlèvements de sections de structures, mais plutôt pour l’intense double interprétation (parfois aussi multiple) de ses démarches. Le vide dont je parle est le vide physique laissé par le quasi manque totale des témoignages de ses plus importantes œuvres, le vide psy-

chologique qui bouleverse son esprit traîné de différents cotés, le vide métaphorique finalement dense des significations et une conception qui représente un ensemble des pièces qui brûlent d’énergie et de corporalité, même sans faire appel à d’éclatantes escamotages scénographiques. Tous ces sujets qui demanderaient beaucoup plus des pages pour être proprement examinées, intégreront la prochaine partie de ma recherche, à compléter l’année prochaine. Beaucoup de ces thèmes en tous cas sont déjà présents dans ce mémoire, car ils se trouvent abordés lors des entrevues que j’ai réalisées sur le terrain américain, mises en annexe.

63 Franco Raggi, Il Molo 52 a New-York, Modo n°3, Septembre-Octobre 1977, page 70-71 64

Ibid


Le cycle de vie des oeuvres Je souhaite ouvrir une dernière parenthèse à propos du cycle de vie des œuvres de Gordon Matta-Clark. Je profiterai d’un extrait très explicatif sur ce sujet issu de ma conversation avec l’artiste Gerry Hovagimyan où il narre de l’œuvre/performance Graffiti Truck, réalisé en 1973, l’an où le deux se sont connus. « Un jour Gordon a acheté à une vente aux enchères de la police un grand van qu’il a conduit jusqu’au South Bronx, après avoir collecté tous les enfants dans la rue il leur a fait peindre et écrire sur la voiture avec des bombes aérosol. Puis il a ramené le van au Greenwich Village, où il avait lieu une exposition vraiment terrible, une sorte de collection des peintres de la dimanche, car il voulait exposer son « travail » (le camion) en tant qu’œuvre d’art. Après avoir rempli le formulaire les responsables ont lui nié l’amissibilité du projet, car il n’était pas cohérent avec l’esprit de la manifestation. Gordon a alors déplacé son camion dans le coin de La Guardia Place, au carrefour entre 6th Avenue et Avenue of the America, où il y avait une vente de petits tableaux, des aquarelles. Il a écrit a coté de la voiture « Gordon Matta-Clark

exhibition at the corner », il a pris un chalumeau oxhydrique et il a commencé à couper des pièces du camion pour les vendre aux gents. A un certain point la police l’a du arrêter car l’idée de Gordon pouvait devenir très dangereuse à cause du réservoir d’essence était plein. Ca s’était finalement le point de l’entière action : ‘‘Continuer à faire et à créer jusqu’à quand tu ne peu plus le faire où tu est forcée à t’arrêter, pour arriver à épuiser l’œuvre, la performance, l’action’’. »

Gordon Matta-Clark Graffiti Truck, 1973 73


Au final, l’essence du travail de Gordon Matta-Clark est exactement cela, faire vivre ses œuvre, animées par l’énergie véhiculé par lui même et par sa force créative. L’objet ne représente plus en lui le but premier de son travail, la discussion qu’il démarre c’est beaucoup plus étendue. Elle se constitue à partir des idées, des expériences, des inspirations et tout ce qu’elles peuvent générer. Ce qu’est surprenant des réalisations de Gordon en tant qu’artiste, c’est que aussi s’il est décédé en 1978, ses pièces ne semblent pas de tout « achevées ». Il y a une sorte de singulier point d’interrogation autour de ses pièces et les artistes contemporaines ont l’opportunité de les emprunter à fin de poursuivre cette conversation, même 35 ans après sa mort.

65 Gerry Hovagimyan en conversation avec l’auteur, New York, 13 Février 2012

Jessamyn Fiore, en conversation avec l’auteur, Westport, Connecticut, 17 Février 2012 66

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Gordon Matta-Clark Graffiti Truck, 1973


Gordon Matta-Clark documente son travail Bronx Floors: Threshole 1972 75


Gordon Matta-Clark Bronx Floors: Double Doors 1973

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Gordon Matta-Clark Splitting (1974)

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Prochains points à développer : - Les building cuts : l’art illégale, la diffusion des graffiti à New York, la subculture (Bronx Floors, Pier In/Out) - Travailler sur les bâtiments dans leur totalité, le groupe Anarchitecture, l’idée de propriété (Fake Estates) - Cas spécifique des travaux plus célèbres : Splitting (1974) et Day’s End (1975) - Les voyages en Europe : l’expérience en France et en Italie - Depuis 1976 : changement de perspective, de l’horizontale à le verticale, l’attraction vers le sous-sol, la mort du frère Batan - Conclusions générales : quel est le futur pour un artiste comme Gordon Matta-Clark : quel héritage (aussi posthumes) on peux reconnaître ?

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Entrevues Introduction aux prochains points à développer

John Fekner Ronald Reagan au South Bronx New York 1980 80


- Jessamyn Fiore, curatrice des expositions: Food, Thisisnotashop à Dublin et 112 Greene Street : the early years, David Zwirner Gallery, New York

- Jane Crawford, veuve de Matta-Clark

- Marco Pierini, curateur de Gordon Matta-Clark, exposition à Siena, Italie

- Gerry Hovagimyan, artiste, collaborateur et ami de Matta-Clark

- Susan Ensley, peintre, travailleuse chez Food, ancienne fiancée et collaboratrice de l’artiste

- Christian Scheidemann, conservateur chez Contemporary Conservation Ltd., New York

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Entrevue avec Jessamyn Fiore, curatrice des expositions: Food, Thisisnotashop à Dublin et

112 Greene Street : the early years, David Zwirner Gallery, New York Westport, Connecticut, 17/02/2012 Je voudrais débuter cette entrevue en parlant de la première exposition que vous avez développée à Dublin chez Thisisnotashop, sur le sujet du restaurant Food. Je suis devenue co-directrice de Thisisnotashop, un petit espace d’art alternatif, au début de 2007. Ce type d’endroit existait déjà depuis des années, mais ils n’étaient pas trop publicisés à Dublin. Il y avait 1 ou 2 espaces de recherche, et il était étonnant de voir quel point on ignorait au sujet de ces lieux, mais en même temps on disposait d’un si grand nombre d’artistes talentueux qui cherchaient un lieu où exposer, afin d’arriver à faire partie du monde de l’art et obtenir reconnaissance. L’exposition au sujet de Food avait comme premier but de montrer les travaux de Matta-Clark (qui n’avaient auparavant jamais été exposés en Irlande), mais aussi d’informer les gens sur les possibilités d’usage de ces types de centres d’art alternatif et établir leur potentiel ainsi que leur valeur au sein de la communauté artistique. J’ai donc choisi Food comme exemple car j’y ai trouvé une idée accessible et source d’inspiration, un restaurant qui peut aussi être vu comme une œuvre d’art, qui devient un lieu pour accueillir événements,

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un espace de rencontre, un lieu de travail pour ceux qui le cherchent, ainsi qu’un restaurant simple et économique pour avoir un repas ensemble. Ce lieu a vraiment servi toutes ces différentes fonctions et il était un bon point de départ non seulement pour présenter le travail de l’artiste mais aussi pour montrer à la ville de Dublin quelles étaient les potentialités de ce type d’idée. Au final nous avons réussi à mettre en scène une bonne exposition dans un espace si petit et en utilisant des matériaux assez pauvres, nous nous sommes concentrés autout de cette idée. Nous avons collaboré avec un espace appelé The Back Loft, qui ressemble un peu aux loft newyorkais de l’époque, où nous avons eu une « Food dinner ». J’ai invité ma mère, Jane Crawford, à donner une conférence à l’Ecole Nationale d’Art et Design de Dublin, afin que les étudiants aussi puissent être introduits à Gordon et plus tard, au loft, nous avons organisé un dîner collectif en invitant aussi des artistes et personnalités du monde de l’art et nous avons cuisiné le Gumbo, un des plats traditionnels de Food. On voulait récréer l’atmosphère du restaurant de SoHo, son avant-gardisme et son esprit créatif, pour introduire ce type de conversation dans la ville de Dublin et

faire comprendre qu’il est possible de faire valoir dans ces types des espaces une sorte de communauté. Je trouve que cette exposition a représenté un catalyseur formidable pour introduire dans ce pays l’activité de Gordon ainsi que Thisisnotashop, pour comprendre comment on peut interpréter aujourd’hui ce type d’idée et de l’adapter afin de la transformer en une inspiration concrète pour le travail de ce type d’espace. J’ai grandi parmi des œuvres de MattaClark, mais ce n’était que lorsque j’ai commencé à travailler pour Thisisnotashop que j’ai vraiment fait face au défi de gérer la programmation et la vie d’un espace d’art alternatif, ayant très peu d’argent, et en même temps des artistes merveilleux avec qui l’on travaille, puis avoir toujours à se battre pour obtenir la reconnaissance du monde de l’art. Ce fut le moment où j’ai commencé à regarder en arrière, à tout les projets de Gordon comme une sorte d’inspiration, surtout ses premières œuvres, l’espace de Food et 112 Greene Street. Je trouve que cela pourrait aider beaucoup de gens qui travaillent dans ce domaine, que ce soit en tant qu’organisateurs, conservateurs ou artistes. De quelle façon, à votre avis, un espace comme Food a-t-il contribué au dévelop-


pement artistique personnel de ses participants ? Je trouve que Food décroche toujours plus d’attention que 112 Greene Street historiquement, mais ce sont vraiment deux espaces connectés, comme un frère et une sœur ; plusieurs personnes que j’ai interviewé pour mon livre m’en ont toujours fait remarquer. La communauté artistique de SoHo avait l’habitude de se rencontrer aussi hors des collaborations artistiques pour faire des soirées dans leurs grands lofts, cuisinier et manger; c’était comme si la nourriture pouvait constituer un autre type de moyen de socialisation, où tout le monde pouvait participer et profiter d’une bonne atmosphère et d’un moment de partage intime et collectif. Cette emphase sur la nourriture arrivait du contingent du sud du group, personnes comme Tina Girouard, Richard Laundry, Keith Sonnier. Beaucoup d’artistes venaient du sud des Etats Unis, où il y a une véritable culture pour la cuisine et le rite d’avoir un repas ensemble. Quand ils ont amené cet esprit à New York, les autres artistes étaient véritablement frappés de voir à quel niveau ça pouvait représenter une voie pour socialiser autrement, de façon à la fois active, participative et créative.

Je crois que Gordon soit juste allé plus loin que cela, avec la création de Food qui a commencé à se révéler partie fondamentale de sa pratique artistique, de laquelle il absorbe beaucoup d’idées. Il y a en fait dans le travail de Matta-Clark cet incroyable sens de générosité, d’utilité et ritualité -facteurs qu’on peut bien retrouver à la base de la création d’un lieu comme Food-, qui représentait une façon immédiate de rentrer en connexion avec des personnes, de s’impliquer dans quelque chose, voir les repas comme un rituel collectif plutôt qu’une nécessité. Quand il a déménagé dans son premier studio-loft à New York sur Christie Street, il a commencé à faire cette série de pièces avec l’Agar-agar, en mélangeant de la gélatine et autres matériaux. Finalement, il s’agissait plutôt de détruire des choses, en ajoutant des débris, des restes, les laissant fermenter dans ce grand chaudron suspendu où il cuisinait. Gordon invitait tout le monde à sa maison en disant d’apporter un poisson, puis il les cuisinait dans ce chaudron. Il a toujours été un expérimentateur, plusieurs fois ce qu’il cuisinait était complètement non comestible, mais cela n’en était pas vraiment le point, celui-ci étant plutôt le rituel et

la participation des personnes impliquées. 112 Greene Street a ouvert en Octobre 1970 et Food en Septembre 1971, à mon avis le second était en réalité une extension du premier. L’atelier est devenu le point de rencontre principal pour tout ce groupe d’artistes, dont on pouvait trouver Gordon Matta-Clark, Jeffrey Lew, Alan Saret, Tina Girouard, Richard Nonas, Suzanne Harris, Carol Goodden… Ils créaient et montraient ses œuvres dans cet espace, c’était une extension naturelle de leurs « food parties » d’avoir leur propre restaurant. SoHo à cette époque était presque désert ; il y avait beaucoup de vieilles manufactures, Robert Moses voulait même construire une autoroute à travers le quartier, beaucoup de personnes interrogées m’ont dit qu’il y avait plus d’environ 500 personnes vivant dans ce quartier, et quand ils sortaient la nuit, ils étaient les seules personnes dans la rue et à cause de cela il n’y avait pas beaucoup des magasins là-bas. Les gens avaient besoin d’endroits pour sortir le soir où aller manger, les artistes avaient besoin d’autres petits boulots pour assurer un soutien économique et Food représentait un moyen pour certains de gagner de l’argent. La particularité la plus intéressante de Food, c’était sûrement son approche car son objectif n’était pas de devenir un

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restaurant de succès, mais plutôt de créer une plate-forme accessible à tous pour libérer ces énergies créatrices ; c’est grâce à ça qu’il est devenu un lieu de performance tout comme un lieu de rencontre. Je pense que beaucoup de son succès est arrivé par le fait qu’il incorporait toutes ces choses dans un corps unique. Gordon a exécuté son premier building cut pendant le renouvellement de Food. Avant son ouverture au public, il a aussi réalisé une série de photographies avec Cosmos Andrew Sarchiapone et un film dirigé par Robert Frank. Il est extrêmement intéressant de noter commnte tous ses travaux sont tant fondés, enracinés et orientés vers la communauté, mais aussi comment en même temps il arrivait à développer sa pratique individuelle, et réussir à balancer les deux et leurs différents objectifs. Je trouve qu’à l’époque, aucune personne pouvait vraiment comprendre réellement ce qu’il faisait, mais maintenant on peut clairement reconnaître la relation entre sa production personnelle - pièces individuelles et celles collectives - les travaux en groupe.

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Quel type de travaux les artistes faisaient pour supporter leur vie ? La vie était-elle difficile à New York à l’époque ? Ils travaillaient principalement dans le renouvellement des lofts. La situation de la ville à cette époque était en fort changement ; il y avait cette énorme quantité de bâtiments occupés par des usines, souvent des manufactures textiles. Puis ces fonctions ont commencé à quitter le quartier et à délaisser ces énormes espaces ; les artistes étaient alors attirés par ces espaces car ils étaient absolument idéaux pour y réaliser de l’art. Ce qu’ils faisaient était de les louer à but commercial mais en fait ils y vivaient, en mettant toutes leurs affaires personnelles sur une série de poulies, de sorte que, lorsque les flics arrivaient, ils pouvaient tout cacher. Pendant la nuit ils devaient aussi bien garder un effet black-out. Fondamentalement, la ville ignorait le problème. Une autre chose importante à remarquer c’est que New York n’avait absolument plus d’argent à cette époque, elle était proche de la banqueroute (entre les années 60 et 70). A un certain point, ils ont décidé de créer un programme qui concédait aux artistes des allégements fiscaux pour habiter dans ces espaces et les convertir en habitations.

Ce qui se passait alors, c’est que même s’ils n’avaient pas les compétences2, ils les apprenaient et réussirent à transformer plein d’usines en maisons, ma mère et mon père l’ont aussi fait (nda. Jane Crawford, la veuve de l’artiste, et Bob Fiore, artiste et réalisateur). A mon avis, les artistes de la génération de Gordon ont vraiment eu de la chance grâce à cette combinaison de facteurs qui leur ont permis d’obtenir des espaces parfaits pour l’art à bon marché et une situation où ils pouvaient même vivre et travailler avec très peu d’argent, toujours en restant très ignorés par les autorités, parce que ces derniers avaient d’autres préoccupations majeures. SoHo est tellement changé aujourd’hui ; le quartier est peuplé par ces penthouses multimillionnaires bâtis audessus des toits, c’est effrayant, comme s’il y avait une deuxième New York au-dessus des bâtiments normaux qu’on voit depuis la rue, constituée de maisons hyper chères sur le sommet des édifices originaux qui caractérisent le quartier. Je crois que maintenant il doit y avoir la boutique de Stella McCartney à la place du 112 Greene Street… A quoi ressemblait l’espace du 112 Greene Street tout au début de son activité?


Jeffrey Lew achète en 1968 avec sa femme Rachel, un de ces grands bâtiments occupés antérieurement par des usines de textile, situé au 112 Greene Street. A cette époque, le lieu était véritablement en ruine. Ils ont d’abord essayé de transformer les étages supérieurs en appartements habitables, car l’activité commerciale a continué à occuper le rez-de-chaussée et le sous-sol pour un certain temps. Quand ils ont emménagé, le couple s’est franchement demandé : « Qu’est-ce qu’on va faire de cet espace ? ». Les grandes salles se présentaient constituées de surfaces brutes, contaminées par le temps et portant les traces de leur précédente occupation industrielle. Le sous-sol était encore plus sauvage, mais en réalité avoir affaire à ce lieu donnait aux artistes une liberté illimitée, leurs interventions modifiaient la vision de l’espace, et en même temps l’espace contaminait leurs créations. La chose la plus stimulante était la possibilité de pouvoir vraiment faire ce qu’ils voulaient sans avoir la préoccupation de devoir conserver l’espace immaculé. C’est pour cette raison qu’on voit ici se développer une activité similaire à celle des galeries d’art, en exposant des pièces et installations dans ses murs, mais aussi une sorte d’espace privilégié pour la création ; le 112 Greene Street était donc principale-

ment, comme ils l’appelaient entre eux, un workshop (atelier). Quelques personnes, qui à l’époque rentraient peut-être par hasard au 112 Greene Street, témoignent qu’il était parfois difficile de reconnaître les œuvres d’art parmi les débris du lieu. La chose la plus stimulante et différente était son unicité, car SoHo à l’époque possédait sur sa surface seulement une ou deux galeries commerciales, OK Harris et Paula Cooper Gallery, tous les autres espaces d’exposition étaient vers Uptown et Midtown. L’élasticité à la base de l’aménagement de ce lieu permettait aux artistes déjà insérés dans le groupe, comme aussi à tous ceux qui étaient intéressés, de pouvoir contracter et stipuler, une durée entre laquelle ils pouvaient installer leurs pièces. Le 112 Greene Street était un lieu unique et inédit car il permettait aux pièces de sortir, aux gens de rentrer, ses murs étaient poreux de sorte que chaque chose qui se passait à l’extérieur pouvait se connecter et être en relation avec les travaux développés à l’intérieur, et vice-versa. Jeffrey Lew, qui était supposé en tant que propriétaire du bâtiment de s’occuper de la gestion de l’atelier, ne faisait finalement pas grand chose pour faire entendre sa voix, et les résultats éta-

ient très peu satisfaisants. Il se contentait de laisser les expositions avoir lieu, dans un esprit diffusé « d’anarchie productive ». Il y avait ce sentiment de liberté, de désir de faire quelque chose pour ajuster et modifier la situation de la ville où tous ces artistes habitaient. Il s’agissait pas de “Art for art’s sake”, ils n’étaient pas modernistes, ils voulaient mettre en relation leur projets à un contexte plus étendu, explorer de façon transversale plusieurs pratiques pour communiquer leur intentions, à travers la danse, la performance, la vidéo, etc… Faire de l’art représentait pour ces artistes un outil pour exprimer leur position par rapport aux problématiques de la ville. Est-ce qu’on peut trouver une sorte d’engagement politique qui se reflète aussi dans les travaux de Matta-Clark ? Il me paraît difficile de croire que MattaClark aurait pu rester insensible à toute une atmosphère de dense énergie politique comme celle des années 70 surtout dans la ville de New York: il y avait le mouvement pour les droits, le mouvement féministe… Il faut rappeler le rôle important que jouaient les femmes dans ces types de collectif artistique ; elles avaient lentement réussi à gagner leur place et reconnaissance par rapport à leurs collègues, en démontrant un fort caractère

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et parfois une incroyable maîtrise et avant garde dans la conception de leur pièce. On peut penser, dans le groupe du 112 Greene Street, à Suzanne Harris (une sorte de Matta-Clark au féminin), Tina Girouad, Trisha Brown et Laurie Anderson (dans la danse, la performance et la musique), etc… D’un autre coté je crois qu’il faut analyser la situation au niveau individuel, car je ne vois pas tant d’engagement politique dans l’art comme il y en avait eue aux années 60 et 90. Nombreuses pièces montraient parfois des solutions créatives par rapport à une situation particulière du contexte et sont encore liées à des questions sociales déjà abordées dans les années précédentes. Je trouve le travail de Gordon assez pionnier en ce qui concerne la problématique des sans-abri et du recyclage, des thèmes encore d’extrême actualité aujourd’hui. Ses pièces, telles que Garbage Wall, Open House, Fresh Air Cart, Glass Plant, montrent clairement les espaces vides, les débris de la ville à l’abandon, l’énorme problème des sans-abri, l’architecture de la ville qui se démontrait un échec. Gordon essayait d’analyser ces problématiques et trouver des solutions, en cherchant d’utiliser ce qui fait partie de notre quotidienneté de façon inattendue et surprenante, avec des projets très simples mais au même temps solides. Il

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révèle comment les artistes peuvent réussir à se rapporter aux gros problèmes de la société, offrant des possibilités créatives avec son incroyable générosité. Larry Miller réalisait une pièce vraiment intéressante au 112 workshop, qui mettait en évidence le problème des clochards et des sans-abri. Durant cette période, il travaillait dans une organisation similaire à l’Armée du Salut, sur la Bowery, où il créait des oeuvres d’art. Un jour il a trouvé cette collection énorme de couteaux et lames séquestrés par l’armée. Il décide donc de prendre des photographies des blessures que les personnes montraient sur sa propre peau provoquées par ces lames. Finalement il les accroche au mur et aligne tous ces objets et photographies, créant une image tellement puissante et viscérale qui frappe l’observateur. Sans devoir forcément rentrer dans ce type de démonstration d’une réalité où l’on prétend de forcer la communication d’une morale éthique, comme pour dire ‘faire comme ça, ça ne va pas, voici la solution’, cette œuvre présente simplement ce que c’était la réalité de la ville, la société où l’on vit et qu’on doit reconnaître. Je trouve que nombreux artistes du 112 Greene Street reflétaient d’une manière où d’une autre ces réalités ; avec leur habitu-

de de rencontrer dans cette sorte de communauté, expérimenter et donner voix et forme aux nombreuses problématiques qui se présentaient dans la société à l’époque, ça représentait cela aussi une sorte d’action politique. Ils travaillaient hors du système commercial, en créant leur propre réseau et explorant nouvelles formes pour réaliser des œuvres de façon multidisciplinaire. Cela pourrait être vu comme une expérimentation exclusivement utopique éventuellement destinée à la disparition, mais je crois que tous ces moments étaient assez chargés politiquement. Il y avait une sorte d’esprit radical dans le questionnement sur le système en créant un nouveau système, quelque soit son succès. Comment ces artistes se rapportent-ils au marché de l’art et aux difficultés d’inscrire leur travail dans le monde de l’art ? A l’époque c’était différent de ce que c’est maintenant. Le facteur fondamental, important, est que le marché était beaucoup plus petit, donc même si on avait ce groupe d’artistes relativement inconnus réalisant des œuvres non-commerciales au 112 Greene Street, vous y verriez également venir y exposer certaines des plus importantes figures de l’art : Carl Andre, Dennis Oppenheim, Christopher Burden, Vito Ac-


conci, mais aussi Richard Serra (qui au 112 a réalisé la vidéo Prisoner’s Dilemma, avec la participation de Leo Castelli). Il y avait donc une certaine prise de conscience de la situation artistique et ainsi une atmosphère d’énorme changement dans l’art en général. Lorsque j’ai interrogé Vito Acconci, il observait que, au début de l’art des années 1970, tout a commencé à changer. Les galeries étaient des endroits où l’on pouvait acheter des peintures et des sculptures, c’est ainsi que les galeristes ont appris à bien connaître tout ce qui a à que faire avec sculptures et peintures. Soudainement, les artistes ont commencé à créer quelque chose qui ne s’identifie pas avec la sculpture où la peinture, mais ils sont véritablement des choses complètement inédites. D’Acconci déclarait: « fondamentalement, on a appris aux galeristes comment ils pouvaient vendre nos œuvres et c’est ce qui s’est passé à partir des années 70 et a continué jusqu’aux années 80, quand ils ont finalement compris comment les vendre, mais il y eu certainement cette période de transition. Je pense que ces espaces qui ont commencé à ouvrir à SoHo aux années 70 ont pris le risque dans le choix de vendre ce type d’art. ». Puis il y a la question du rôle des marchands d’art à l’époque, une question toujours

d’actualité aujourd’hui : combien avaientils en même temps des collaborateurs, de conservateurs ? les lignes de démarcation se révèlent très floues. Par exemple, quand Holly Solomon ouvre son espace en 1969, le 98 Greene Street, Gordon a aidé son mari et elle dans la rénovation et cela a été un des premiers espaces alternatifs, plus centré sur la performance, mais toujours un endroit où les artistes avaient la possibilité de mettre en scène leur pièces et de rencontrer d’autres artistes. Elle a été toujours très impliquée dans ce qui se passait jusqu’au jour où elle a ouvert sa propre galerie commerciale. Elle a choisi des artistes issus de 112 Greene Street, les a inclus dans sa galerie et a vendu leurs œuvres. Elle a représenté Gordon jusqu’à sa retraite, au début des années 90. Elle travaillait, vivait et était amie de ces artistes et prenait le temps de bien comprendre leur travail, ce qui lui a permis d’être en mesure de vendre leurs œuvres. En ce moment il y a un sorte de changement aussi dans ce qui était l’art commercial, ça a même changé le rôle des galeristes, car maintenant il y avait un dialogue qui se passait, une sorte de communication, et les relations avaient changé. Un autre facteur essentiel est représenté par le magazine Avalanche, qui est absolument important. C’était un projet de Liza Bear et Willoughby Sharp, ils étaient basés avec leur bure-

au à SoHo, au coin du 112 Greene Street, ils ont organisés une série de spectacles vidéos au 112 et le magazine était vraiment la représentation imprimée de ce qui se passait dans le quartier, pas seulement pour ce qui était écrit dedans, mais aussi avec sa matérialité et sa présentation. Dans quels cas spécifiques, en particulier dans sa première production, peut-on reconnaître l’attraction et la dévotion de Matta-Clark vers la nature ? Plusieurs des premiers dessins qu’on a inclus dans l’exposition à la David Zwirner Gallery représentaient des arbres, ce sujet était assez cher à l’artiste et d’influence fondamental pour toute sa production artistique, il a fait plusieurs fois des propositions pour la construction des parcs publics, jardins communautaires, il avait aussi cette idée de créer un « guerrilla garden » dans l’espace d’un loft. L’intérêt dans la nature et le monde organique est d’importance capitale dans ses projets. Rachel Lew m’a raconté une histoire très drôle sur la pièce Cherry Tree, où MattaClark voulait transformer le sous-sol industriel et crasseux du 112 Greene Street en jardin au milieu de l’hiver. Il a donc creusé un grand trou qui mesurait presque deux

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mètres de profondeur, où il a planté un cerisier. Quand Gordon avait finalement obtenu des fleurs par cette petite plante qui montait du sous-sol, il a organisé une fête pour célébrer la floraison, un peu comme un vernissage de la pièce. Il y avait une femme qui était tant bouleversée par l’œuvre que pendant la soirée elle a retiré ses vêtements et s’est détendue sur l’herbe. Gordon était heureux, car il aimait que chacun puisse interpréter la pièce de manière personnelle. A mon avis, on peut aussi retrouver des instances du monde naturel dans ses coupures architecturales. Il intervenait sur des bâtiments obsolètes et abandonnés n’ayant plus de fonctions précises, afin de chercher de les requalifier et leur redonner une vie, en faisant rentrer à l’intérieur la lumière et l’air, pour arriver à voir ces espaces avec des nouveaux yeux. Je crois que si jamais il avait survécu, ces éléments naturels seraient probablement revenus dans ses travaux, car sa personnalité était profondément liée à la nature. Sa participation à l’exposition Earth-Art a eu beaucoup d’influence pour lui, aussi comme l’avoir rencontré Dennis Oppenheim et Robert Smithson au tout début de sa carrière en tant qu’artiste.

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Je pense qu’il y avait une sorte de décalage dans l’architecture, dans la façon d’occuper l’environnement urbain, comme vous pouvez voir clairement depuis la pièce Day’s End. Cette pièce reflète parfaitement contexte de la ville de New York, la jetée sur le fleuve, il voulait créer un jardin public dans ce Pier, un jardin fait de lumière conceptuelle, mais qui pouvait être utilisé de la même manière qu’un jardin traditionnel. La mort du frère jumeau a-t-il eu des influences sur les derniers projets de Gordon ? Par exemple ses explorations du sous-sol ? Je crois qui s’il aurait eu plus de temps dans sa vie c’aurait été aussi possible qu’il développe ce parcours. Il était beaucoup intéressé à l’exploration des tunnels. La pièce qui reflète le plus directement l’impact de la mort du frère sur sa personnalité et son travail est City Slivers, qu’il a réalisé juste après son décès. Si tu regardes tout la vidéo du début à la fin, tu verras que d’abord la perspective est celle de la rue puis la perspective change et tout semble tomber vers le bas et il y a des morceaux d’une poésie, sur le thème de la chute, qui apparaissent en vertical et ces mots sont dédiés au frère. Evidemment la mort de Batan a eu une

énorme influence sur lui, sa perspective change et on peux noter dans ses derniers travaux un transition depuis l’horizontalité à la verticalité… Quelle était la relation entre Gordon et ses parents ? Toutes les personnes que j’ai interviewées ont des opinions différentes sur la relation qu’il avait avec sa famille, il y toute sorte d’interprétations. Mais finalement, ce qu’il faut faire est de regarder dans la correspondance écrite qu’il avait avec son père et sa mère pour mieux comprendre quels étaient vraiment les bouleversements, les problématiques et ses sentiments par rapport à ses relation familiales. Et aussi il faudrait aller voir les tableaux réalisées par Batan, qui se trouvent actuellement chez Federica Matta, à Paris, si tu as jamais la chance de te mettre en contact avec elle. Il faut remarquer que tous les enfants de la famille Matta étaient des artistes et si tu regardes les dessins de Batan, tu peux bien comprendre, par exemple, la claustrophobie et peur du monde qui parcourait son esprit et ses travaux. Matta père était aussi beaucoup absent dans la vie des jumeaux et il a commencé à passer un peu de temps avec eux seulement


depuis leur adolescence. Gordon passait les vacances d’été chez son père et Malitte in Panarea quand il avait déjà 14 ans, et si on regarde l’échange de correspondance entre Anne et Matta on peux voir qu’elle fait référence à l’impossibilité de gérer son fils Batan, pour cette raison les deux frères passeront l’été en Italie. La relation entre père et fils a toujours été pleine de tension, Matta n’a jamais reconnu et approuvé leur carrière artistique, spécialement celle de Gordon et Batan. Vous avez remarqué une importante problématique : le problème de transférer dans le contexte d’une exposition des œuvres qui n’existent plus matériellement. Était l’artiste, à votre avis, concerné par la survivance de ses pièces ? C’est un travail tout à fait complexe car Matta-Clark n’est pas un artiste producteur d’objets. Je trouve que l’exposition développée par Lorenzo Fusi à Siena trouvait des bonnes solutions au problème de montrer un travail si « inconsistant » matériellement, pour réaliser une exposition sur Gordon il faut d’abord bien présenter le contexte sociale dont il opérait. C’est pour cette raison que j’ai aimé l’idée de Fusi d’utiliser souvent des projections de films dans le parcours de la visite, en ob-

scurcissant les salles et projeter des lumières spotlight sur les objets à illuminer. La chose intéressante des films et photographies de l’artiste est qu’il ne présente pas seulement de façon documentaire les œuvres qu’il produit, mais il cherche à travers ces différents mediums de recréer le sentiment propre de l’œuvre, l’émotion de la réelle expérience physique en la parcourant, de voir les choses avec une autre perspective. Au final, l’essence du travail de Gordon Matta-Clark est exactement cela, faire vivre ses œuvres, animées par l’énergie véhiculée par lui même et par sa force créative. L’objet ne représente plus en lui le but premier de son travail, la discussion qu’il démarre c’est beaucoup plus étendue. Elle se constitue à partir des idées, des expériences, des inspirations et tout ce qu’elles peuvent générer. Ce qui est surprenant des réalisations de Gordon en tant qu’artiste, c’est que même s’il est décédé en 1978, ses pièces ne semblent pas du tout « achevées ». Il y a une sorte de singulier point d’interrogation autour de ses pièces et les artistes contemporains ont l’opportunité de les emprunter afin de poursuivre cette conversation, même 35 ans après sa mort. Je trouve que le développement d’une exposition est beaucoup lié à l’espace dont on

expose et au goût du curateur. Je catégorise mon travail comme artist-based, j’aime bien démarrer mes recherches d’après le travail même des artistes et construire ensuite des hypothèses pour le montrer avec cohérence. Avec le travail que j’ai fait sur 112 Greene Street, j’ai simplement creusée la surface de souvenirs et témoignages du lieu, en mettant l’accent sur le travail de Gordon, mais en tous cas je voyait pas cette exposition comme quelque chose de définitive, c’était plutôt une façon de présenter et introduire aux gents ce monde extraordinaire. Mon but n’était pas celui de créer des limites où fournir des définitions didactiques, mais plutôt j’essayais de créer une plateforme depuis laquelle j’espère que autres curateurs auront l’envie de poursuivre ce travail de recherche et élargir ce que j’ai présenté. L’exposition 112 Greene Street n’est que le sommet d’un iceberg, on pourrait créer une entière rétrospective avec le matériel sur Matta Clark et 112 Greene Street, parfois aussi en mentionnant le futur qu’a eu et ses développements (en 1978 le lieu a déménagé dans un autre quartier et a pris le nom de White Columns). Ma famille et ma mère en particulier est très dévouée à la protection du travail de Gordon, en s’assurant qu’il sera reconnu et pas oublié dans le futur ; on s’est largement bat-

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tu pour lui faire obtenir la notoriété qu’il détient maintenant. Pas beaucoup d’artistes ont cette chance, et le problème n’est pas la qualité de leur travail, mais les circonstances. Par exemple, je trouve l’œuvre de Suzanne Harris une incroyable source d’inspiration, elle est morte un an après Gordon, quelqu’un la décrit comme son alter-ego au féminin à cause de sa incroyable énergie, le charisme et ses idées. J’ai eu le privilège d’avoir accès à son archive hébergée par Jene Highstein et ça m’a coupé le souffle. Aucune personne s’occupe de ça par contre, et son travail pour l’instant reste presque inconnu, je me suis vite rendue compte de l’importance de montrer le travail de ces artistes et de faire parler d’eux, pour ne pas les oublier.

Vue de l’exposition 112 Greene Street: the early years David Zwirner Gallery, NY

Larry Miller Carrot piece (1970)

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Entrevue avec Jane Crawford veuve de Gordon Matta-Clark Westport, Connecticut, 17/02/2012

Est-ce que vous pouvez présenter vousmême et votre histoire avant votre rencontre avec Gordon ? Je suis arrivée à New York en 1966 pour fréquenter le Fitch College. Mes études étaient concentrées sur l’histoire de l’art et l’école possédait un des plus avant-gardiste musées de la ville à l’époque, le premier à montrer, par exemple, les films d’Andy Warhol en tant qu’œuvres d’art. Elayne Varian, directrice du secteur contemporain du Fitch College Museum of Art, m’a permise de travailler avec elle en tant que son assistante pendant mes études et cette plate-forme m’a permise de connaître un nombre de jeunes artistes comme Robert Morris, Andy Warhol, Robert Smithson, Dennis Oppenheim, et de suivre parallèlement pendant une certaine période le travail d’Eva Hesse, qui a représentée une incroyable influence pour moi. Puis, une fois diplômée, j’ai passé 4 années à travailler pour une galerie qui vendait des graphiques, que j’ai quittée pour rejoindre une galerie bien plus avant-gardiste qui promouvait que des installations d’artistes comme Allan Kaprow, Dennis Oppenheim, Les Levine. Fondamentalement quand tu rentrais dans ce type de galerie il y avait rien de matériel à vendre. J’ai connu

une grande quantité d’artistes intéressants, qui étaient tout à fait connus par la presse et les gens, mais ils trouvaient toutefois d’énormes difficultés à obtenir la bienveillance de la part des musées et des galeries. C’est à ce point là que j’ai connu Gordon. La propriétaire de ma galerie était Mary Lee Johnson (de la famille qui a crée l’entreprise Johnson & Johnson), elle ne connaissait pas trop le monde de l’art mais toutefois elle est arrivée à s’engager avec la plus avant-gardiste des galeries, sans avoir vraiment idée de ce qui se passait. Les artistes qui travaillaient pour la galerie recevaient un « salaire » d’environ 30,000 dollars annuels, qui était comme le paradis pour eux car ils étaient toujours sans argent. Ils trouvaient ce projet génial et ont demandé à la propriétaire de pouvoir inviter d’autres artistes à rejoindre la galerie; elle fut d’accord. Après avoir réfléchi tous ensemble sur une liste possible des meilleurs artistes de New York, ils n’arrivaient encore pas à concorder sur un artiste. L’unique sur lequel ils étaient tous d’accord était Gordon Matta-Clark, donc j’ai été envoyée chez lui, à son loft, en lui proposant de travailler avec la galerie. Il a donc fait une proposition : il voulait creuser dans le sol de la galerie, sur 57th Street et Madison Avenue, pour créer un tunnel sous le terrain qui arrivait jusqu’au

bâtiment d’àcoté, qui se trouvait à être la Chase Bank of New York. Évidemment ça n’as pas marché. A ce moment-là j’ai décidé de quitter la galerie pour créer la Foundation of Art Performances and Projects, afin d’aider tous ces artistes rencontrés Downtown qui cherchaient désespérément de l’aide pour réussir dans le monde de l’art. Pour le projet j’ai réuni environ 40 artistes, aucun entre eux produisait des objets, de Laurie Anderson à Allan Kaprow, de Vito Acconci et Chris Burden. Gordon était aussi entre eux. On avait pas mal de succès en Europe, mon rôle était celui d’informer aux musées et aux galeries sur comment ils pouvaient inviter et gérer ce genre d’artistes, en essayant de trouver des solutions pour les exposer même s’il n’y avait aucun objet. C’était un boulot extrêmement intéressante, on gagnait presque rien et je me comparaît à une pimp de l’art (souteneur) ; je recevais que le 10% de tout que les artistes gagnaient donc au fond c’était rien, on était tous beaucoup pauvres mais au moins on s’amusait. Quelle chose vous a le plus attiré de la personnalité de Gordon ? Il possédait une énergie et un enthousiasme extraordinaires, il était une véritable force de la nature, comme une tornade. Il n’y

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avait rien d’autre que vous pourriez faire, mais rester à bouche ouverte quand il parlait... Il était si charmant et il avait tellement d’idées que parfois toutes ses pensées et raisonnements arrivaient dans une phrase, et il était totalement impossible pour les gens d’essayer de répéter ce qu’il disait. Il semblait comme un « raid », vous aviez à être là face à lui quand il parlait, pour bien comprendre ce qu’il disait, autrement vous seriez perdu et il vous serait inutile d’essayer de saisir le sens. Une chose qui était vraiment impressionnante de sa personnalité était également sa générosité, il parlait avec tout le monde. J’avais l’habitude de me plaindre avec lui, car même quand il allait simplement acheter le journal, il revint une heure plus tard avec des gens ramassés dans la rue, et parfois j’étais tellement ennuyée! Il recueillait toute sorte de gens, de sans-abri aux étudiants ; une fois il est rentré chez nous avec un physicien nucléaire, avec qui il avait conçu une idée de projet… mais la chose fondamentale est qu’il aimait vraiment avoir des gens autour de lui et se connecter avec eux. J’aime bien faire toujours une comparaison entre la façon dont il dansait et son approche à la vie. La manière dont il dansait était une métaphore de comment il vivait, Avec plein de grâce et d’éloquence, mais en

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même temps énergique. Si on regarde ses travaux on peut remarquer que la gravité ne l’affectait pas de la façon dont elle pourrait nous affecter tous. Est-ce qu’on peut parler un peu des parents de Gordon, quels étaient les rapports entre eux ? Anne Alpert et Matta ont eu leur premier rencontre en Europe, il est tombé immédiatement amoureux d’elle, qui était dressé avec un joli manteau violet et avait le charme typique d’un mannequin américaine. C’était une période hostile, la deuxième guerre mondiale était donc à leurs portes, et comme beaucoup d’autres artistes européens et juives, ils ont décidée d’émigrer ensemble aux Etats Unis, après leur mariage. Grâce à ce mariage Matta n’a pas eu de difficulté à laisser le pays et rejoindre un groupe désormais devenu nombreux d’artistes européens à la fin des années 30. En plus, il était un des rares à parler anglais entre eux. Anne donne au jour deux jumeaux en 1943. Matta avait l’habitude de plaisanter et de dire que son anglais était si pauvre et qu’Anne ne pouvait pas parler français, donc quand ils se parlaient réellement, ils ne se comprenaient pas l’un l’autre et donc il ne

l’aimait plus. Il était très cruel avec elle. Il disait que les jumeaux étaient trop de responsabilités pour lui et il a laissé la famille juste avant qu’ils fussent nés, bien qu’il soit resté de quelque façon présent dans leur vie au cours de l’histoire. Anne était très impliquée dans le monde de l’art en tous cas. Aux années 40, l’Expressionnisme Abstrait était le mouvement le plus étendu et le nid domestique de la famille Matta à New York pouvait être considéré comme tout sauf orthodoxe, étant un carrefour ouvert à tout un cercle d’artistes européens transplantés dans la mégalopole. Ainsi, après le soudain abandon de Matta de la famille, l’appartement des enfants sera toujours un milieu bohémien où ils entrent bientôt en contact avec les plus grandes personnalités du monde de l’art de l’époque. Matta est resté à New York quelque temps après avoir quitté Anne et les enfants, allant vivre avec Patricia Kane, héritière appartenant à la riche famille propriétaire de la chaîne des supermarchés Walgreen. Anne et les jumeaux étaient par contre hébergés dans un appartement au dernier étage d’un bâtiment, n’ayant que l’eau froide. A l’époque, Isamu Noguchi vivait dans le même immeuble au rez-de-chaussée ; avec le célèbre artiste japonais elle aura une liaison amoureuse compliquée. Lors du départ de


Matta, l’ambiance domestique de la « famille » restait très attachée à la communauté artistique, de sorte que les garçons ont finalement grandi entouré par un groupe hétérogène d’artistes surréalistes et expressionnistes abstraits, comme des adults misbehaving », dans une bizarre atmosphère créative et joueuse. À votre avis, ces artistes ont-ils eu une influence substantielle sur ses travaux futurs ? Selon Gordon, son parrain spirituel était Marcel Duchamp ; il a eu une forte influence sur son enseignement artistique. Dans sa production artistique, on peut voir beaucoup d’hommages directs ou indirects à l’œuvre de Marcel Duchamp, même si seulement comme une vague influençant mais sa conceptualité est toujours là. C’est pour le fait que Gordon a grandi avec tous ces artistes, qu’il est devenu un artiste avec chaque cellule de son corps, contrairement à beaucoup d’autres qui doivent travailler durement pour arriver à se définir « artiste ». Il n’y avait pas autre chose au monde qu’il aurait pu être sauf artiste, et il était très à l’aise avec ça, car presque toutes les personnes qui l’entouraient étaient des artistes,

y compris les membres de sa famille et ses amis. À différence des autres artistes qui pratiquaient leur travail de façon très sérieuse, il était aussi sérieux par rapport à ce qu’il produisait, mais en même temps il aimait bien jouer et plaisanter au niveau artistique. Il a été également inspiré par d’autres artistes contemporains, comme Robert Smithson et Anthony McCall. Ses œuvres se composent de nombreuses couches et beaucoup de personnes demandent parfois de la possibilité de recréer certain de ces pièces, mais ma réponse est toujours non, car tout le monde peut prendre une tronçonneuse et couper un bâtiment. Ce qui diffère, c’est sa longue recherche sur le contexte, qui représente l’aspect plus vulnérable de ses travaux artistiques et aussi le point crucial comme partie du processus de création. Quelle était la relation entre lui et son frère Batan ? Depuis leur naissance, entre les deux jumeaux, Gordon était clairement le plus sociable et à l’aise en public, son frère par contre était son parfait antithèse. Batan en fait était extrêmement timide, au caractère récessif, il n’avait pas trop des amis et n’était pas trop brillant à l’école.

C’était naturel pour Gordon de s’occuper de son frère, peu après des symptômes en lui ont évolué dans des problèmes plus graves, il a commencé à entendre des voix et il a aussi quitté l’école. Ses parents aussi s’occupaient de lui, il a aussi cherché au moment donné de vivre tout seul, ils avaient lui acheté un loft que Gordon avait renouvelé. Mais ils se sont vite rendu compte que Batan n’était capable de vivre tout seul, donc il a vécu pour un quelque temps chez Matta et son épouse Malitte Poli. Le jour dont il est mort, Sebastian était chez Gordon. On était censé dîner tous ensemble, alors que Gordon est sorti pour aller au marché et moi j’étais sur ma route pour arriver. De retour de l’épicerie, il a découvert que son frère était tombé de la fenêtre au 6ème étage, où il s’était jeté, on ne sait pas encore. Il avait ce problème qui lui portait à entendre des voix, et le téléphone était si près de la fenêtre, je crois qu’il a essayé de répondre au téléphone et d’une quelconque façon, ces voix lui ont dit de se jeter. Mais à ce point il ne fait pas aucune différence. Sa mort, pour Gordon, était dévastatrice. Est-ce que vous pouvez m’expliquer mieux le projet élaboré par Gordon pour le Mur de Berlin ?

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L’Académie de Beaux Arts de Berlin fera sortir en Avril cette année une publication qui parle aussi de cette pièce. Quand Gordon réfléchissait sur cette œuvre, j’étais préoccupée car il pensait aller là-bas et faire sauter une partie du Mur, j ‘étais évidemment beaucoup contrariée. Je savais que les allemands ne rigolent pas sur ces questions et quand on est arrivés à Berlin d’autres artistes allemands qu’on a connu sur place lui ont déconseillé d’accomplir une telle absurdité. C’est comme ça que, comme tu peux voir d’après le film, il a conçu cette pièce qui prévoyait l’affichage des publicités et des graffitis sur le Mur. Toutes ces affiches étaient des entreprises qui avaient des forts intérêts dans la séparation Est/Ouest, ils étaient en fait en train de commercialiser le Mur à leur profit. Il s’agit d’une chose que j’arrive quand même difficilement à comprendre, mais les allemands comprenaient bien comment les Etats Unis et l’Angleterre avaient des gains à maintenir cette division de l’état depuis la IIème Guerre Mondiale. Ça c’était principalement le but critique de l’œuvre. Alors on peut dire que le travail de Matta-Clark possède parfois une sorte d’engagement politique ?

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Absolument. Tout ce qu’il faisait était de nature politique en cause. Il était vraiment un homme du peuple, très socialiste. Je pense que les coupes qu’ils faisaient étaient très dramatiques et théâtrales, les américains et les européens retiennent cela parmi ses plus grandes pièces, mais maintenant que je viens de terminer un tour de l’Amérique du Sud pour une exposition et j’ai remarqué qu’ils ne sont pas trop fascinés par sa sculpture et cuts, mais sont plutôt concernés par ses œuvres qui ont plus à faire avec la socialisation ; ils y trouvent tout la beauté et l’énergie de son travail. Par exemple, Garbage Wall, la pièce conçue pour les sans-abri et reproductible par n’importe qui, le Dumpster Duplex et Glass Plant, où il a fondu des bouteilles de Coca et de bière trouvées dans les déchets, tout ça peut bien être vu comme un ensemble d’éléments architecturaux que chacun peut utiliser pour en construire des structures, à la fois des maisons, si on ne dispose pas d’argent. Quand on a reconstruit Garbage Wall au Chili c’était magnifique car tous les enfants amenaient leur jouets cassés pour les insérer dans le mur, comme des Barbie sans tête où des locomotives en bois. Finalement ça a créé un grand contraste avec toute l’am-

biance qui enrobait la pièce, en s’agissant d’une salle très classique avec ses sculptures de marbre du Musée de Beaux Arts. Garbage Wall et Dumpster Duplex sont les deux uniques pièces qu’on peut reproduire ? Dumpster Duplex a été reproduite environ 12-15 fois à différentes occasions, car l’idée a la base du projet c’est d’en faire une « throw away house » pour ces « throw away people » , il s’agit en fait d’un libre espace d’habitation, pour quelqu’un qui n’a pas un abri et qui ne reçoit pas l’attention de personne. Une chose intéressante c’était que le jour du vernissage de la pièce les conditions de météo n’étaient pas les meilleures, ça a donné à Gordon l’idée de mettre des parapluies au-dessus de la structure, pour en créer une sorte de toit. Tina Girouard avait ramassé une grande quantité des parapluies partout à cause de la pluie et avec ça le groupe d’artistes présent a improvisé une sorte de danse. Gordon pendant la durée de cette ludique performance passait la camera avec laquelle il tournait un film, à toutes les personnes qu’il trouvait dans la rue, aussi aux inconnus qui étaient seulement de passage et jamais vu auparavant. Mon mari, Bob


Fiore (un réalisateur de vidéo artistique et pour le cinéma), était dans les alentours à ce moment là donc il a participé aussi au tournage et il apparaît aussi dans la vidéo. La pièce a été faite deux fois par Gordon, la première était Ope House et la deuxième Dumpster Duplex, juste en face du 112 Greene Street. A cette occasion il a bâti aussi une couche supplémentaire en bois au dessous de la structure, où il a cuisiné un barbecue. Il était de l’avis que la nourriture était une extraordinaire façon de créer une convivialité et faire rassembler du monde, pas seulement les connaisseurs du monde de l’art. Il pensait qu’en sentant le parfum de la bonne nourriture, des personnes qui passaient par hasard dans la rue se seraient arrêtés pour voir de quoi il s’agissait. De cette façon il cherchait la participation des gents, les introduire à l’art et à l’échange d’idées, pour lui interagir dans une communauté était de première importance, pour sa personnalité mais aussi pour la réalisation de ses projets. J’ai entendu que récemment une coupe de Gordon encore en vie a été découverte au Chili, c’est vrai ? Oui, nous avons trouvé cette pièce à Santia-

go récemment. Gordon y est allé en 1971, voyageant à travers l’Amérique centrale et du Sud avec Jeffrey Lew. A ce moment le Museo Nacional de Bellas Artes était en plein renouvellement de ses locaux et Gordon demandait au curateur, Monsieur Altunas, s’il pouvait faire quelques coupes au bâtiment et il a obtenu le permis. C’était au moment de l’exposition que j’ai organisé dans ce musée en 2009 qu’un monsieur à l’étage est descendu pour venir me dire qu’il avait connu mon mari à l’époque quand il était là. Il a commencé à me raconter l’histoire de cette pièce, par exemple, celle racontant que le curateur l’a appelé d’urgence lui disant : « Tu dois venir ici au musée immédiatement ! Il y a un fou qui est en train de couper mon musée ! ». Et finalement en arrivant au musée, il voit Gordon couper des parties du mur et Jeffrey travailler sur le sol… Quand j’étais là-bas, l’exposition prenait place dans la Sala Matta, car son père est largement célébré ici, et il s’est révélé que la salle que Gordon avait coupé n’était pas vraiment une partie du musée, mais plutôt un petit couloir qui terminait avec des escaliers qui donnaient sur les espaces dédiées à la cuisine utilisée par les employées du musée. Cette cuisine était un espace privé mais le couloir pouvait être vu depuis la grande salle centrale du musée, un espace haut presque 4 étages, dans ce lieu Gordon

a coupé le mur jusqu’au plafond et il a placé une vitre là haut pour permettre à la lumière d’illuminer cet espace sombre. Ensuite il a enlevé des parties du mur, où se trouvaient des tuyaux et un trou pour l’air climatisé. Dans ces espaces vides, il a inséré des miroirs, de façon à ce que lorsque tu regardes, ça gênerait de la désorientation à cause de la combinaison entre l’ouverture vers le ciel et les miroirs plus en bas. Heureusement pendant toutes ces années ils ont conservé cette œuvre intacte, sans jamais chercher à l’abattre, elle était complètement recouverte de plywood. En occasion du vernissage, je me suis félicitée avec eux en tant que détenteurs de l’unique coupe architecturale encore existante réalisée par Gordon, David Zwirner disait que sa valeur maintenant pourrait être d’environ un million de dollars. Ils étaient tellement surpris et évidemment ils ne la recouvriront non plus avec du plywood! En réfléchissant sur les premières pièces de l’artiste, quelle était la position que Matta-Clark prenait par rapport à l’illégalité de la plupart de ses interventions? Il a appris avec le temps qu’il ne lui était pas pratiqué de demander le permis aux autorités et il se révélait plus facile de juste rentrer

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et faire ce qu’il devait faire. Les quartiers de la ville où il opérait, spécialement le South Bronx, étaient vraiment désolés, je peux maintenait les comparer au Vietnam, c’était des voisinages très dangereux, il y avait nombreuses bandes qui se baladait, les bâtiments étaient en ruine et la police arrivait là bas en plusieurs car ils avaient peur aussi. Gordon n’a jamais eu l’impression que la pauvreté était une maladie où quelque chose dont on devait avoir peur et vouloi s’en enfuir. Il était extrêmement fasciné par l’architecture du lieu, ces maisons et appartements étaient bâtis avec les meilleurs espoirs et l’optimisme de construire quelque chose d’utile et confortable, mais la situation a beaucoup évolué et tout le monde a commencé à abandonner ces lieux de façon que tous ces bâtiments sont devenus comme des épaves d’une quotidienneté vécue et soudain interrompue. Gordon aimait bien l’évolution de ces habitations, leur entropie. New York était à la limite de la banqueroute et la ville n’avait pas d’argent à investir pour renouveler ces bâtiments. Il adorait se balader partout dans la ville et observer ce qu’elle était en train de devenir, sa métamorphose, il s’appelait « un archéologue urbain », qui creuse dans les couches des surfaces pour découvrir com-

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ment les personnes habitaient les lieux. Il disait : « On est tout dressé avec une peau, qui est l’évidence de notre existence dans l’espace », la couleur qu’on décide utiliser pour peindre notre mur, couche sur couche nous permets de découvrir la complète histoire des gents qu’on habité le lieu et leur civilisation. Pour cette raison il creusait dans les murs, les plafonds et les sols du South Bronx, en cherchant de ré-humaniser ces bâtiments abandonnés, de redécouvrir leur histoire cachée. Au même temps il exprimait ainsi sa désapprobation vers les décisions du gouvernement de l’Etat de New York, qui par exemple faisait sortir les personnes avec maladies mentale des hôpitaux psychiatriques car ils n’avaient plus d’argent pour payer leur frais médicales, la guerre en Vietnam, le nombre énorme de personnes sans-abri qui occupaient les rues et dont aucune personne s’occupait ou se préoccupait. Il était vraiment énervé avec l’hypocrisie dominante de l’époque. Quelles étaient les idées à la base de sa performance à la Clocktower Gallery, Clockshower ? Gordon aimait Charlie Chaplin, Buster Keaton et l’humour muet. Alanna Heiss était

à l’époque une grande amie de Gordon et elle était aussi la directrice de cet espace artistique appelait Clocktower Gallery, à ce moment il cherchait des bâtiments à couper mais vu que cette tour était trop petite pour faire une intervention structurelle, il a décidé d’aller dehors en explorant les possibilités pour faire de l’art hors du white cube, il était en continue exploration des alternatives possibles. A l’origine cette pièce de performance prévoyait être faite toute nue, mais il y avait des bâtiments de bureaux tout autour de la cloche et quelqu’un a du avoir appelé la police car ils sont tout de suite arrivés en lui ordinant de descendre et se redresser. Quand on a commencé à restaurer ses films, on a découvert un nombre d’environ 19 pellicules, une grande quantité entre eux n’a jamais été terminée. Il y a une grande quantité de travail là-dedans et j’ai décidé de ne pas les toucher en tant que cinéaste, je les ai laissés comme ils étaient. Quelle était sa vision du monde de l’architecture et pourquoi a-t-il décidé d’abandonner ce type de carrière ? Il était fortement engagé politiquement et l’architecture pour lui était profondément basée sur l’argent. Tu as nécessairement à


savoir qu’avoir affaire avec personnes riches et pour lui s’était insupportable, il voyait ce monde qui se construit autour de l’argent comme non honorable. La pièce pour le Pier 52 à New York devait être une sorte de jardin public dans les premières idées de Gordon, le lieu était abandonné et il voulait le requalifier avec quelque chose de beau, son but c’était vraiment de transformer tous ces terribles quartiers de la ville dans des lieux fonctionnels et accessibles, comme aussi le South Bronx, où il avait planifié d’aller à la nuit tombée et construire des jardins. Je crois que si sa vie lui avait permis de vivre plus longtemps, ses projets auraient pu aller dans cette direction, en laissant la nature sortir de ces espaces négligés et oubliés. Il a commencé à recycler beaucoup avant l’arrivée massive du mouvement écologiste, il détestait les modernes gratte-ciel bâtis en verre et acier où tu peux ressentir l’impression d’« eux contre nous », il voulait tout au service de la collectivité. Si on regarde son travail, ses pièces se déroulent souvent dans une évolution constante, il revisitait beaucoup ses idées, beaucoup de ses œuvres ne sont pas tout à fait abouties, elles continuent de changer, le processus était un point très important pour lui. Quels facteurs depuis sa formation ar-

chitecturale émergent depuis son travail et de quelle façon ?

jeux entre espace ouvert et fermé produits par la coupe, les souffles d’air…

Je crois qu’étudier l’architecture donne à l’esprit ce type d’agilité mentale dans la pensée, le langage et la méthodologie qui permet de voir les choses non plus de façon linéaire mais plutôt tridimensionnelle. Quand Gordon a commencé à dessiner des arbres, ils pouvaient être n’importe quoi, ils n’étaient pas forcément des arbustes, il était simplement intéressé à voir comment l’énergie pouvait se diffuser à travers les choses.

La sculpture (building cut) a besoin du regard afin de s’activer, car elle signifie rien en soi-même en tant qu’objet. Elle s’oppose à toutes ces sculptures qu’on peut retrouver dans les musées, qui ne bougent pas, les pièces de Gordon rendent le spectateur partie fondamentale du projet et ça c’est l’élément qui distingue son travail de toute la sculpture traditionnelle.

Si on regarde ses coupes aux bâtiments dans la même façon, on peut voir un dessin en trois dimensions qui permet à l’énergie de rentrer et sortir d’un bâtiment de façon inattendue. J’aime parler de la peur, car quand tu te promènes dans un espace qui n’est pas familier, qui n’est pas un musée où tout est encore très contrôlé, mais tu te trouves dans un autre endroit où tu ne sais pas à quoi attendre, ce sentiment de certitude et sécurité se baisse et tes sens deviennent plus aigus. Quand tu rentres dans un building cut, il s’agit aussi de le typologie de relation qui tu a avec l’artiste : tu a confiance en lui ou pas ? Si tu l’as alors tu en rentres et tes sens sont beaucoup plus forts et aigus, tu regardes beaucoup plus la lumière et les

Ce qu’il faisait c’était d’alimenter un dialogue avec les autres artistes, en ajoutant sa voix à la conversation. Je crois que ses travaux chez 112 Greene Street étaient d’importance fondamentale car il a commencé à créer des pièces en trois dimensions, et à travers la danse en plus il expérimentait l’espace de façon différente des autres sculpteurs. L’art et la sculpture sont des pratiques de préférence individuelles, l’architecture est un travail fait des collaborations, celui de la performance aussi. Dans une mixture des pratiques et des propositions il découvrait nouvelles façons de interagir avec différents champs d’action et acteurs. Quel est, selon vous, l’héritage d’un artiste comme Gordon Matta-Clark ?

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Une chose intéressante sur Gordon c’est qu’il pensait que Conical Intersection était sa meilleure pièce, car les personnes pouvaient voir de qui il s’agissait depuis la rue. Mais il pensait d’avoir échoué dans tous ses autres projets, il est resté de cette opinion jusqu’à sa mort. Par exemple, Office Baroque était censé d’être une coupe qui s’ouvrait sur la rue mais les autorités lui on pas permis de le faire finalement. Il a jamais considère ce qu’il a fait un succès car il était toujours le résultat d’un compromis, pour Documenta il voulait construire une maison entre différents cheminées, mais là aussi ils ont refusée sa proposition, car aucune entreprise voulait lui donner leur cheminées. Quand il est mort il affirmé que lui aussi était un complet échec et que je pouvais jeter tout qu’il avait fait dans sa vie et j’aurais pas du conserver aucun de ses projets car ils seraient jamais était si excellents pour résister dans l’histoire. Evidemment je ne l’ai jamais fait, à mon avis beaucoup de ses pièces sont plutôt des propositions, il a donné des exemples que les gens peuvent recueillir et interpréter à leur manière, c’était une invitation pour les améliorer. Vous étiez déjà mariées quand il a découvert d’avoir un cancer ?

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On ne connaissait aucune personne mariée, et nous aussi, on aurait jamais célébré notre mariage s’il n’était pas malade. On l’a fait car pendant le temps où il était beaucoup malade son père est arrivé à New York et il voulait faire une fête pour lui, évidemment on a répondu qu’on n’était pas vraiment motivée pour en avoir une… Alors il nous a dit qu’on devait se marier, Matta s’est marié tant de fois, et finalement il nous a convaincu et on a dit « Allez, nous allons le faire ! ». On s’est marié, je crois dans le temps de 15 heures et en étant le monde de l’art à l’époque si petit la nouvelle s’est diffusé assez rapidement que tout le monde s’est présenté le lendemain. Il a été fou, mais tout ce grand événement c’était finalement pour son père, qui voulait une fête. C’est clair qu’en tout cas on s’aimait beaucoup, mais on était pas mal contre tout ce qui était institutionnel et le mariage n’était pas du tout dans nos projets. Vous avez collaboré au développement des expositions sur le travail de MattaClark, quelles ont été les difficultés de montrer et transmettre aux gents ses pièces ? Les pièces plus commerciales de Gordon étaient ses photographies en Cibachrome,

mais ses travaux engagés dans le social et la politique n’avaient pas trop de succès en Europe et aux Etats-Unis. Il y a deux années que la Pulitzer Fondation de St. Louis a développé une exposition sur sa vie et tout était présentés de manière très minimaliste, avec ce programme de sensibilisation communautaire très intéressante auquel j’ai participé. On a travaillé avec des jardins communautaires et des personnes handicapées pour créer des objets en recyclant des matériaux. Mais j’espère que dans un futur proche ce type de travaux sociaux et communautaires achevés par Gordon sera finalement accepté aussi par les institutions américaines et européennes.


Entrevue avec Marco Pierini curateur de Gordon Matta-Clark, exposition à Siena, Italie Modena, Italie, Février 2012

Comment vous et Lorenzo Fusi avez orchestré à quatre mains cette exposition ? D’ou est née votre collaboration et votre internet pour le travail de Gordon MattaClark ? Notre collaboration démarre depuis une longue et solide rapport d’amitié et estimation entre nous. Quand, en janvier 2009, j’ai été appelé par le Palazzo delle Papesse de Siena, j’ai fortement désiré qu’il soit Fusi à m’aider en tant que curateur. Ensemble on a travaillé à la perfection, en se balançant le travail entre les compétences de les deux en tous les occasions, exposition comprise. Il y des cas, comme celui de Gordon MattaClark, qui se montrent assez inexplicables. La plupart des connaisseurs du monde de l’art en Italie ont une grande estime de l’artiste, mais aucune personne avait jamais organisé une exposition sur lui dans notre pays jusqu’à présent. Il nous est tout à fait semblé naturel alors d’en développer une, je pourrais pas expliquer exactement nôtres motivations sinon l’obstinent silence qui couvrait l’œuvre de l’auteur depuis longtemps et notre admiration vers son travail. A votre avis, un pays comme l’Italie aurait jamais pu comprendre au fond le travail d’un artiste qui dramatiquement violait ce qu’il représente notre sacré patrimoine

architecturale ? Il y pourrait jamais être existé un Matta-Clark italien ? Pourquoi pas ? Nous avions eu des hérétiques aussi. Toutefois, bien qu’il soit influencé par la culture européenne, Gordon reste sans doutes un artiste américain, aussi si ses recherches ont eu un développement étendu au niveau internationale. Sous la base des photos qui documentent l’exposition, j’ai pu noter que les ambiances du parcours sont assez sombres. C’était cela une choix lié à un quelconque référence à l’artiste ? Non, c’était une choix issue de la présence des projecteurs disséminées un peu partout dans le parcours de l’exposition et donc de a nécessité de filtrer de quelque façon la lumière naturelle. En autre la présence de beaucoup des pièces en papier nous à obligé pour des raisons de conservation à régler et baisser l’intensité de la lumière. En hypnotisant une possible carrière poursuite jusqu’à nous jours de l’artiste, quel type d’impact pourrait avoir à nos jours une de ses intervention sur des bâtiments neufs et non (comme d’habitude) sur des structures destinées à l’abattement ?

Je n’arrive pas à imaginer des potentielles persécutions de carrières artistiques interrompues par le décès prématuré de l’artiste. Je ne le trouve pas juste car il serait comme poser un limite aux infinies capacités créatives d’un artiste. Soit pour le cas de Gordon, soit aussi pour Francesca Woodman, de laquelle je me suis longtemps intéressé, j’oserai pas avancer des hypothèses sur « Qu’est-ce qui se serait passé si… ». Toutefois l’estime de laquelle, à partir des années 80, Gordon Matta-Clark a pu recueillir auprès les artistes, les architectes, les critiques d’art, les penseurs, ne semble pas s’être explicité dans un contexte concret, néanmoins en architecture. Récemment il m’est arrivé d’étudier la possible (ou impossible) muséologie des œuvres conçues par Matta-Clark. Je fais référence surtout aux pièces comme Museum et Incendiary Wafers. Plutôt que des pièces traditionnelles, ils représentent des vrais expérimentations alchimiques. Comment arriver à exposer un tel objet, destiné à un inévitable dépérissement déjà depuis sa genèse et laquelle image change avec le passer du temps ? Chaque œuvre est par sa propre nature matérielle destiné au dépérissement, quelqu’une entre eux prendra des millions

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d’années pour se détruire, autres naissent déjà préparés à la décomposition, victime de leur propre caractère processuel, la mutation. Je crois que les travaux de MattaClark soient uniques. Les feuilles, les pellicules, les photographies, les sculptures, les actions, les témoignages écrites sont à lire comme des fragments d’une seule œuvre indivisible, plutôt que pièces indépendantes (aussi si certaines entre eux possèdent toutes les caractéristiques et la force pour les être). Depuis quelle influence naisse selon vous l’attraction qui montre Gordon vers le monde naturel, en étant toujours un citoyen des grandes villes ? Il démontre dans certaines de ses pièces un forte volonté écologiste. Le recyclage, le réutilisation, la valorisation des déchets, tous ces facteurs sont inséparables de la volonté de préserver l’environnement naturel. Elles ne représentent pas que des simples choix esthétiques. Comment vous voyez et interprétez l’affirmation de son collègue Lorenzo Fusi quand il dit « rétablir un valeur aux lieux désaffectées, industrielles et oubliées de la ville à travers des interventions comme les cuttings »?

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D’une cote je crois qu’il y ait le rédemption à travers l’art. Un édifice abandonné, désaffecté et en ruine, acquérait une nouvelle vie car il devient un œuvre d’art. En parallèle – comme on apprend depuis l’expérience de SoHo – ce n’est pas seulement la production des pièces qui modifie un ambiance, mais aussi leur présence et leur travail sur le site qui achevé le but de la requalification des certains quartiers de la ville. Dans le parcours d’exposition, j’ai pu noter qui vous avez donné beaucoup d’espace aux dessins de l’artiste, des pièces à mon avis moins connus par rapport à ses building cuts. Quel était votre but avec ça ? Notre objectif était double. De ma parte, simplement, de montrer la qualité des dessins de Matta-Clark, souvent oubliée et reliées aux marges du discours. D’un autre coté on avait le désir de faire connaître avec une majeure amplitude les idées de l’artiste et son procès créatif. Car beaucoup de ses œuvre ne sont représenté que dans ces esquisses et ont jamais été réalisées pendant sa vie, elles sont resté figées au niveau conceptuel, ébauchés. Quelqu’un des vidéos sont aussi présents, comme déjà mentionné, dans la

rétrospective. Quelles étaient vôtres choix esthétiques par rapport à ce support ? Moi et Fusi sommes convaincus que, pour ce qui concerne les vidéos, il était de fondamentale importance de garder une esthétique originale et authentique des pièces. Pour cette raison on a opté d’utiliser, dans la plupart des cas, pour l’utilisation de la pellicule et du projecteur car il nous semblait nécessaire de respecter la matérialité de ces support, ses dimensions originaux et même le son de l’appareil. Il a été pas possible pour tous les vidéos l’utilisation du projecteur, pour raison d’exposition où des coûts parfois, mais on est encore aujourd’hui heureux du résultat de notre choix et de la possibilité de montrer plus de la moitié de ces pièces dans leur esthétique originelle. Sur la base de ses connaissances par rapport au relation entre Gordon et son père Matta, comment ait il influencé sa carrière artistique ? En étant le fils d’une personnalité si forte comme celui de Roberto Matta il me semble impossible une manque des influences au niveau artistique et personnel sur l’artiste. Si tant que l’atmosphère cosmopolite que Gordon respirait depuis don enfance, à eu des effets remarquables dans sa pro-


duction. Toutefois le rapport entre père et fils ont toujours été extrêmement tendus et compliqués, Matta n’a jamais dépensé une seule bon mot à l’égard de son fils, aussi après sa mort précoce. Quels sont finalement les limites d’une production si tant immatérielle à nos jours ? Quels sont les obstacles qui se posent au niveau de l’exposition d’un ensemble parfois éphémère et processuel des pièces comme ceux de Matta-Clark ?

Vue de l’exposition Gordon Matta-Clark SMS Contemporanea, Siena

Je crois de pouvoir y reconnaître les limites, comme aussi je pense Gordon les connaissait, autrement : quel est la vrai nature de la pièce Splitting, par exemple ? S’agit-il du vidéo, des photographies, où du cutting qui n’existe plus ? Mais ceci est un problématique incontournable dans toute ce qui est art conceptuelle et post-conceptuelle. A mon avis ce qui reste de la production artistique de Matta-Clark est très varié, parfois il s’oriente plus vers des documents où des témoignages, autre fois vers des objets. En recueillant tout ensemble on a cherché de faire émerger la force de ses actions, l’énergie de sa pensé et ses idée, que aujourd’hui demeurent dans l’histoire et la mémoire, mais représente encore un terrai de recherche fertile et d’extrême actualité.

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Entrevue avec Gerry Hovagimyan artiste, collaborateur et ami de Matta-Clark New York, 13/02/2012

Starting from the very beginning of your New Yorker experience, in which year did you first arrived in the city and how did you get in touch with SoHo’s artistic underground scene? I was born in Plymouth, Massachusetts. My father lived in NYC, my parents got divorced when I was 6 years old and I went to live with my mother in Boston, also if I was always in New York. At Philadelphia College of Art I first met Gordon, he came down as visiting artist. A lot of artists, including my teachers, were showing in New York City. 112 Greene Street was a very hot bit of underground activity at that time, it was around 1968-69 and the place begins to be well known. Gordon I think was 7 or 10 years older than me. What was the image of SoHo at that time? It was totally underground, but you have to think about what was the art world like at that time. Until those years, artistically speaking, NYC was very small, we had maybe 10 galleries, uptown on 57th street, maybe 3 of them showing experimental artists and avant-garde art. So there were basically no places for new artists, only one place showed performances, that was

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the Kitchen. Especially in SoHo, when 112 Greene Street started there was nothing, it was very underground. At that point the highest tendencies were a second generation of Abstract Expressionism, color field painting, minimal painting and sculpture, some conceptual art and maybe some Fluxus, but it all just started around the same time. How did you got into this collective artist space, as it was 112 Greene Street, and established this friendship with Gordon? When I moved to New York, I got a loft in Fulton Street, I was working at a frame shop at 110 Greene Street, the right next door, but I knew about 112 Greene Street, I already been there for openings… Willoughby Sharp and Liza Bear had a place called 98 Greene Street loft and they used to do performances there, I’ve been to a couple of those. Jeffrey Lew owned the top floor, the ground floor and the basement of the building, on the others there were artist like John Chamberlain, another Brazilian artist, a dance group… Jeffrey basically lived in the basement, when Gordon and Alan Saret came over, Jeffrey decided to turn the ground floor into an experimental underground gallery, and this was the ’69… But I didn’t arrived there until 1973.

You also did a piece at 112 Greene Street, could you tell me more about that? How did you got the space for your installation there? It was Control Designators, that consisted in a sort of visual site line, with targets and word signs that kind of complete sentences in English which would be like “when, was, what, where”, and they’re just all over the wall like an horizon line. Basically it’s about the space in between the conversation, then there was a number system that was 0 to 9, quite like a computer system, with visual and verbal communication, that involves also the movement. It was a conceptual system in a defined place, a coded system. What were the main channels of communication of this underground artistic movement? They distributed, all around the East Coast, this magazine called Avalanche, so basically everybody knew what was going on there. It was mostly an alternative system, it had his own “generational magazine”, which was kind of funny because it had this strange format, they were little and square journals. Willoughby and Liza were really concerned about those underground movements, talking to the artists, interviewing them, and


they were talking about things, which were totally not formal in a certain way. What happened was that you had a lot of institutionalized system of critique and magazines, but all of that was not addressing anything at the younger people, and in addition there were no art galleries showing avant-garde and young artists. What about the piece you performed in at 112 Greene Street, Prisoner’s dilemma by Richard Serra? I was playing my role of the prisoner together with Spalding Gray, this is before he was famous (with the Wister performance group), Suzanne Harris sang the national anthem. This piece was one of my first performances. Richard set up this scenario, saying: you’re going to be two prisoners, we’re gonna set up a game system and the system is this game theory called the Prisoner’s dilemma. Two prisoners are put into two separate rooms; they are each questioned about a crime. They’re told: if you confess, your friend is going to jail, but you’ll go free; if you both confess, you both go to jail; and if neither one of you confess you both go to jail. It depends on who confesses first…

There was actually no script, it was total improvisation, apart from the national anthem at the beginning, and everything else was improvisation. There were around 300 people inside 112 Greene Street when we were filming, so much people that Richard put those huge video monitors hanging off of the wall, the whole hall was filled up. Just 15 minutes before the performance he said to us: « Ok, you two guys are the bad guys, the criminals, this is what happens… And we were just keeping it going, which was interesting and funny… It was just: “Let’s do something, what the hell!” » Were there some political issues in the decision of playing this game? Absolutely, starting with the national anthem and the choice of this emblematic game. I think Richard’s brother was a lawyer, and there were some discussions about interrogations and all other kinds of police interventions. Robert Bell came out with this book on the game theory, that became the standard of the interrogation process, that finally is not a mere interrogation scheme but more like a system, a computer system, and they also use it for statistics for financial marketing, that’s how the game theory develops then… So it was a serious performance, but fun as well.

Were those artists really worried about the art market? How did they arrive to pay their rent without having the full approbation by the critique/institutional system? The first thing was that there was no art market and no galleries for us. Essentially, you couldn’t make a product because that makes no difference… I mean that there were so many artists at that time that there was just no way. Even when the galleries started opening downtown, like Holly Solomon, Castelli, Sanvent, the problem was that they already had artists. So Gordon was lucky because he got into Holly Solomon’s, Alan Saret was at Piper Gallery, but all the other artists were working outside art through their lives. What everybody did was construction works, we fixed and renovated all SoHo’s lofts, all of us. Gordon too worked for a construction company; he also had some business partnership with Dennis Oppenheim in terms of buying buildings and lofts, because that’s what people were doing. Some people, like Jeff Koons, came and started doing sales and there was a point where he went down to Wall Street, lots of people were thinking then about getting a job in Wall Street…

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For the opening of Splitting, Gordon rented a school bus and went through there for the pic-nic and opening, but basically it was a very small section of the NY avantgarde interested people, that anyway would fit in Max’s Kansas City bar, it wasn’t as big as that… They were out of the commercial circuit, the big names… they had their own magazine, Avalanche. I think they still don’t get to Gordon his due, there are so many things still to explore about him and few people has deeply researched on and displayed… The essential problem of conceptual art is just that it didn’t fit into market, how can you describe where the piece begin and where does it end? Where is the original object? And that’s the discussion and it always has been. The easiest thing for the art world is paintings, now cibachrome and photographs have taken over paintings, but as the default thing for the market… then comes sculpture, that is already a little more difficult. But I still think that about the 60% of art is painting, the 20% is photography and the rest 20% is everything else.

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What was the situation of New York City at the time? I remember people saying, “New York City is dead”. The city was very trashy, a lot of the middle classes families and industries left. There was so much abandon that the artists started to move in, like in SoHo and the East Village, the buildings were so cheap that they figured out how to take advantage of this system. What was always happening in Soho was that lots of the guys who owned the building, sometimes sweats shops or manufacture of clothes and those commerce were occupying the ground floor, but in a six stories building artists started asking “Hey, may I rent one of the floors up above?”, because it was abandoned. Talking about places like 112 Greene Street, are there in New York some other examples of this kind of spaces that survive or took example from that? Essentially you have Gordon and his generation, which kind of settle SoHo, then younger people went to the East Village, I also had a gallery there, but everybody had galleries, because you could get storefronts for 75 dollars a month, so you showed there all of your friends… At one point there were like 300 galleries in the East Village,

just in a short slice of time – like from 1982 to 1988 – and then the whole scene died. From there we passed different period of this “gallery migration”, from East Village, Lower East Side, and then all those people moved over to Broadway in SoHo, then to Chelsea and in the meantime people went also to Williamsburg and Brooklyn, they made a scene over there, in Dumbo and underneath the Manhattan Bridge. They figured out that this is quite a real estate development thing, so now they want artists to move there, like on Orchard Street, the Bowery, but the latest scene now for young artists is in Bushwick. For answer your question about collective art groups: there are lots of them, creating collaborative spaces. But in the meanwhile there are different things going on in my opinion: one is that you have a kind of a lifestyle (“I want to live like a bohemian artist”) that means there are boutiques, restaurant, design, fashion around this alternative lifestyle, the second thing that happens is that you want to make art, but there you find no galleries to show your pieces and you arrive to build your own place and you do something, often with a bunch of other artists. Now with Internet is so much easier to get connected and create collaborative workspaces and networks, that’s why I started


working with Internet in the nineties, for me that was exactly this social space I needed. You collaborated with Gordon MattaClark on some of his pieces, would you like to tell me more about them? Originally Gordon was doing positive/negatives forms in sculpture. I consider personally the piece Pier In/Pier Out an icon. He basically went with Jene Highstein to the pier and then cut out this shape, put it on a pedestal and the issue was that he had the piece, but what was the best way of exhibiting it? The real issue was not then the piece on the pedestal but the act of cutting a piece out of a structure and changing the whole signification of it. So the photograph was for the market, in aim of documenting of the process… that is finally the most important part of the creation. What he did another time was very funny. He went down at the auction one day and bought from the police this truck that he drove to the South Bronx, he collected all the kids around the truck and made them write on this with spray cans. The funnies part was that after he took the van down to Greenwich Village, where there was this really terrible art show, kind of Sunday painters exhibition, and asked them if he

could show his work (the truck), so he filled out the form but they said no… this was not the kind of artwork they used to show. Then he went around the corner to La Guardia place, between 6th avenue and Avenue of the Americas, they had a show at the corner of the street, and the people were selling their little prints, their watercolors. He went there and set his truck up, got his oxidized cutting torch and wrote down “Gordon Matta-Clark’s exhibition at the corner”, and with the torch he cut out pieces of the truck and sell them. Then finally the police came over and stopped him because it was really dangerous for the full gas tank. The pictures now don’t show it but that was the whole part of the piece. It was all about keeping it going until you can’t do it anymore. His question was “What are we gonna do with this?” For the piece of Bronx Floor he went with Manfred Hecht into totally abandoned buildings in the South Bronx, and then cut them up. He had no license to do any of this stuff, and Manfred didn’t want to deal with it anymore, he said it was too dangerous, there were junkies, kids and other people that went inside those buildings and he simply didn’t want to do this… But basically the idea came because of this fact that there were so much abandoned buildings in

New York City at that time, so people start questioning what we’re going to do with those derelict structures. One day Gordon went to Holly’s and said: “Listen, do you have a house I can cut?” and she said she had a house on her property in New Jersey that was about to be tear down. What is incredible about what he did then with the work Splitting was on the block foundations: he literally took out 3 bricks of blocks to drop the house back. So basically what happens with that house, which is really unbelievable, is that you walk up the stairs and everything is normal but then you come to the part where it split and the house is falling away from you, this split was about 6 inches or 7 inches wide and arrives maybe at 14 inches at the top. You feel a real disorientation when going up and step over to the split where the whole house is falling back, the whole idea of the house as we know it, stable, secure, it changes your perception, the language and the form. The piece Day’s End was totally illegal, we didn’t had any permission. New York City was in a total state of abandon, nobody cared; plus those were places of meeting for homosexuals, junkies, outcasts… This Pier we choose for the making the artwork was abandoned, there was a lock on

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the door, then Gordon put his own lock. So everyday, for like 2 months, we went there, we chain sawed, cut torches and holes. We made lot of noise and no one ever came, and the only thing we had was our little lock. From the moment Gordon got a grant from New York City Council for the Arts, he used all the money to pay and hire all his artist friends and musicians to come and help him doing this work. We were at least 10 people working there at different times. He was basically doing the first initial cuts and then leaves the completion to one of us, then return to see if everything is ok or if something has to be modified. For doing the front cutting he hanged off from the metal structure on this chair, a swing like we called it, doing this double cut… So it was a very dangerous work at the end. The place was huge, I think it was about 100 feet tall (30 meters), the cut was made at about 60 feet (18 m). At the time we were working on the Pier, Gordon said that he was going to Paris because he was invited for the Biennale (of 1975). He was searching for artist to help him doing the artwork and I suddenly said “I want to come with you!”, and he just reply that if I could find the tickets to come over, then he could get me a place to sleep and some money, and that was the deal, we

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just had a great time. For the commissioned work at the Paris’ Biennale they gave him this building and we together started thinking about what to do with that. We had 2 weeks permit to be there, at a dinner party I started talking about Anthony McCall “Line describing a cone”, this projector that draws a circle on this wall and in doing it creates the form of a cone projected in the space in between, Gordon then said that this was actually a good idea, and we finally decided to realize a cone intersecting the building! We then had to decide the way to do it, we decided to make the initial point of this cone starting up above the roof and the main part of the circle behind the frontal wall. What we did was intersecting this projected cone into the space of the building in between the point and the circle, previously on the 5th and 6th floor, then we went to the 4th and the 3rd floor. The structure was all made of plaster, it was a building of the 16th century, the walls were all around 2,5 feet thick (75 cm), and we were chopping through the walls and then through the floors until we arrived to the final circle in the front façade. What Gordon did, and not everyone understands, wasn’t to make the draw and say:

“Ok, this is what I’m going to do”, he didn’t know what he was going to do! But better he said “Let’s try to do this and see what happens”, the drawing were done in progress, not previously and they depended all on the progress of the works, nothing was certain and stable. Thus we were working with hand tools, there was this demolition site right next door so we push all the detritus right there and the guys that were doing the demolitions with big machines they kept on laughing and say “Hey, we can take the building down for you in two minutes! What are you doing with your hands?!”. Because we didn’t have electricity, they didn’t gave it to us and everything should be all by hands, so we were chopping and chopping, push out and push out. I think Gordon at the beginning gave them as little information as possible, he said “We’re going to make a few minor adjustment cuts… We’re going to make an artwork, it’s a movie set”. And that’s also what he told to the people that passed by, and also to whom who passed during the elaboration of the Pier 52 cut (at the opening he obtained from the police a film permit to be there and don’t let them ruin the ceremony).


Just after Paris we went to Milan, where we almost did this Arc de triomphe for workers (that he also called The working men’s arch). The site was a factory complex in Milan, Gordon elaborated some superposed forms inspired by Fibonacci’s numeric system, with spirals that went in different directions. The problem was that there were a bunch of communist that occupied the building, young Marxists essentially, in aim to build there a youth center, hospital, community center. Anyways we went there, we did our presentation, we showed slides, and then asked if they wanted us to cut that to publicize their project. The problem was that somehow the police heard about it and the day before we were supposed to go in, they arrived there and got them all out of the place, saying there were drugs addicts, junkies…

idea of exhibition, this very precious space, making this rope passing through not only the gallery’s halls but also through the offices. This installation was temporary, but the other cut he did on the floor of the gallery has a funny story, Gordon didn’t like it at all and wanted me to fill it up. It was this very fancy Italian polished cement floor, when we cut the floor we cut also the electricity by error… then we fixed it up in a hurry, cementing it. Salvatore Ala was really

upset because we did this piece and cut all his floor and left, but after he was saying to everyone that he has got a Gordon MattaClark’s cut in his gallery!

Richard Serra Prisoner’s Dilemma (1974)

Then, always in Milan, we did an intervention in Salvatore Ala’s Gallery. It was a typical Milan’s building, with the inner court and the rooms developing from this enclosed garden. Ala had this big expansive alarm system, because of the artworks, and what Gordon did was putting this steel cable through the entire gallery and out into the courtyard. What happened was that Ala couldn’t have his alarm system on, so this totally negated all the space and the

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Entrevue avec Susan Ensley peintre, travailleuse chez Food, ancienne fiancée et collaboratrice de l’artiste New York, 15/02/2012

Tell me a little about your story, how you came to New York and how did you get in connection with SoHo based artists in the 70s. I’m originally from Virginia; I came to New York when I was 20 years old because I had a fellowship from the Whitney Museum for an artist studio program. I was the youngest around Gordon. In March of 1972 than I started working at Food restaurant, one of the few restaurants in SoHo, to gain my life and actually if you see the movie about it I appear quite a lot of times. Working there and taking part of this Whitney’s studio program, led me to quickly met all the artist scene of that time: Philip Glass, Dicky Landry, Tina Giraud, Gordon and Carol Goodden (who owned the restaurant and was his girlfriend), I shortly became friend to everyone. It was really fantastic, going to parties, meeting John Chamberlain, Robert Rauschenberg… Across the street were I lived, Spring Street, I would have met like 6 artists, maybe one man that did labor workings and that’s it... that area wasn’t really crowded like today, and everybody knew everyone. At that time I was also dancing with Julie Judd (wife od Donald), it was a very open world, I had also my first museum show

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when I was 20 thanks to a prize given to me by Thomas Hass, who was the curator of contemporary art at the Metropolitan Museum, I was young but I took my work very seriously. I had previously an offer for a solo show at the Corcoran Galley of Art’s annex but the deal was that I had to move to Washington and stay there, but I said no. How was the work at Food? Well, I did salads and sandwiches, we were all artists doing the cooking, there was Philip Glass’ wife, JoAnne Akalaitis (director of Mabou Mines) that was cooking too… I remember dancers from Vermont coming once a week just to make the bread… I think it was hard for Carol because she wanted to keep on her life as a dancer and photographer. She sell the restaurant in 1974 and turned it over to a woman manager, who stole the money and didn’t pay any of the bills and Carol sadly lost the place, the landlord then took it over and expand it, just until 1980, that it became a woman’s clothing boutique. As I know you are a quite polyhydric artist now, what were your main practices in the seventies?

Now my works are mostly paintings. But at the beginning I was interested in everything, starting from the dance, which I studied since I was 6, then I arrived dancing at Merce Cunningham Company with David Gordon. I was very opened to do things, then I met Dan Graham, and started to do performance related art, I featured in some of his pieces (Body Press, Helix/Spiral)… But at the end all the things were connected, people were dancing at 112 Greene Street and then you probably would had art on the walls and the floors, everything was possible. Although life seemed expensive to me, but actually it wasn’t at all, for example I was making at Food 33 dollars a week and I was living of (and making) 1500 dollars a year. Finding an apartment was not hard because nobody wanted those kind of places, the rent was about 75-150 dollars/month, but maybe above you you had a sawing machine factory probably 24 hours a day, or a dance studio that was your friends’… but they were jumping on your head! But we accepted that thing, at the beginning SoHo, as I said, was a pretty little group of people, and after those first times things started to change. Philip Glass for example did my first plumbing, then after some times he quit and became a taxi driver. Later


I moved to commercial film making which I couldn’t sustain for very long. Then I met my husband who took care of me, and after he died he left all those paintings and I was just thinking of re-starting to paint again. Was independent artists’ scene of New York already developed at the time you arrived there? The galleries were already established in West Broadway, the 420 West Broadway with the Sonnabend Gallery with Leo Castelli, OK Harris, then there was the Kitchen in SoHo. I did also a piece there in 1975 with Gordon, it was called Watch Out, he did the 9 photographs of the performance. It took place in one glamorous building across the street and one very ordinary looking one, I put in the first one all scene of rich people and in the other one scenes of poor way of life, and it was life an ode to films, as they were extracts from movies. In the movie appears also Julian Schnabel, who was my roommate at the time. It was in this occasion that Gordon met Schnabel for the first time. How did SoHo neighborhood changed during the developing of this artistic underground scene?

It was so wonderful of being part of this small community of working and exhibiting artists. I remember Greene Street, from Houston to Canal, 5 blocks distance, there was only 1 streetlight, it was a very dangerous district. A few years later that I was living in SoHo by myself, I felt like many people who wanted to be part of this were moving here, so I moved out to Read Street, Tribeca. After that I’ve been for a while staying just outside SoHo area, on the Bowery, Spring Street, Mulberry Street… Coming back after all those years living properly in SoHo, I actually liked it, because it seemed to have became a real neighborhood again, although if it is now made by very wealthy people. It was quite a bargain living here, we were just like the poor people, you know Steven Spielberg lives across the street, you can’t compare yourself to all those people who gain 2 millions a year. But I like it anyway because it is a real neighborhood, people are living, there are lots of stores going on, I think there is no other areas where people are happier to be in the city like on the street, because people are coming to SoHo because they want to. At the end it just seems like it shifts, typically what happens in the United States is that when you got an area that is not developed and the artist will go there, then

who appreciate it next are the architects, then other people also start to come and this helps revaluating this area, in terms of business and real estate market. Were the artists worried about the art market? I remember when I was with Gordon he received over 14.000 dollars in grants, that was a lot of money for that time, for doing his work. All the artists, I believe, they had something to fall back on, they mostly had a family that would help them with money if they were in bad circumstances. Everybody seemed poor but if you think that when I was with Gordon my income was 1500 a year and he had 14 thousand dollars of grants plus other money, it was vastly different. One year I asked my parents if they would loan me 150 dollars and they wouldn’t do it, so I lived without the heat… in my huge loft with no heat. So the other people at 112 Greene Street had also other jobs? Well, a lot of them did construction works, me too. They were painting, put on sheep rock, we worked very hard, also the women. Doing this work for so many years I learned things about building and architecture

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by default. My husband, that was a former architect who became a painter, always said that I was a better architect than he was and I never studied it, just practiced. Would you like to tell me about your collaboration in Gordon Matta-Clark’s projects? I was with Gordon from the period of Splitting until the piece at Les Halles, Conical Intersect. I became an assistant to Gordon because I had to work and Gerry Hovagimyan and other men were doing the hard works. I worked on the piece of the Pier too, Day’s End, this Pier I remember it for being covered by pigeon droppings, it was a huge space, like 100 x 200 feet space (30 x 60 meters), it was August… I had my whole body covered from head to toes. I was with Gordon when he found this Pier, it was a long time he was looking around for one good location for his piece and then finally he found this one and choose it because it was locked by the city, so then he broke the lock and put his own lock on. After he did the Project Lutze, which was destroyed in a fire that Lutze’s set. She was really an amazing catalyst in the art world, she was an art dealer and an actress, until a certain point when she became too al-

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coholic. She hired Gordon and gave him a commission to do something into her apartment and he really didn’t know what to do. I suggested him, as an ode to Blinky, to make a triangle at the door, he made it… his own way of course. I regret haven’t had the opportunity to assist to various opening of pieces I worked on, like the ones of Splitting or Day’s End, because I was working at that time and have to show up there. But anyway I visited the house inside before the opening, it was only me, Gordon, Holly and Horace Solomon, who were the art dealers and owners of the house. The house was pretty old, so it wasn’t really a prefabricated house, I can only imagine how much toxic substances Gordon must have inhaled working on them, he was wearing mask but still those materials are very dangerous. I think his cancer was an environmental cancer, his mother died for the same cancer. He already knew that he was ill when we broke up, he said the break up was making him ill. I was barely 24 when I was with him, and apart from my husband it was one of the longest relationship I ever had. I didn’t want to be mean to him, but I knew I broke his heart and after he died

I had nightmares for a year, I was devastating. SoHo, after I arrived began to change, and it was changing so quickly and at a certain point I was really fed up, it was all becoming very commercial and the epicenter of the commercial at the epoch was West Broadway. This is when I conceived The Laughing Piece, in 1976. On Saturday afternoon, the most crowded moment, I did this laughing piece and Susan Gibson helped me, so did René Block and Gordon. We placed very great speakers at René Block’s gallery and above Susan Gibson’s gallery because we wonted to hide them, the recording was of 3 different laughs with location from Grand Street to Houston Street and it was so loud that you could hear it East and West 3 blocks away. I wanted to express two different meanings in one time: one was the contagious pleasure of laughing and the other side the people that complained because they were interpreting it as a noise, mostly the ones that were doing commercial business, they hated it. The people were really upset and tried to remove those speakers but they couldn’t find the one that was hidden in Gordon’s apartment, because he just left the house! So the piece kept going on for an hour and a half finally.


What was the relationship between Gordon and his relatives, as far as you know? I think I am the only girlfriend of Gordon who had deepest relationship with his twin brother Batan. Batan had some mental problems, he was very fragile, that really touched me, he was a very good artist, very smart and funny, he was just a real character. He was living in New York with his mother Ann, I spent a lot of time with Ann during the years (at the end of her life I was one of the 3 caretakers of her, between Jane Crawford and another girlfriend of Gordon). When I was with Gordon he always lied about his age, he was actually 7 years older than me and I was a little bit afraid of older men. For example I was with him when I was 23 and he was 30 but he told me he was 27! But what happened one day was that I asked Batan how old was him of it came up and he said he was 31… I was confused, you know, Gordon said he was 27, and he reply to me that Gordon didn’t want people to know how oldest he is! Nobody knew his real age, until after he died. What Gordon reply to me when I told him about his brother he said: “Oh, you know he’s crazy!”. I think there was some sibling rivalry between them, Batan was a

very serious artist, he was the introverted and Gordon was really and instigator and a catalyst, they were opposite but they loved each other very much, it was a really beautiful relationship. When I first met Gordon he was also very close to his mother, but after Batan jumped out of the window, that was the beginning of his relationship with Jane, his mother began to drink too much and then Gordon got sick and she just couldn’t handle it, it was so dreadful. Gordon was blaming his mother for not taking care of Batan, this is what Jane said. Jane never had the possibility to have a great relationship with Ann because of Gordon view of her, but I stayed a lot with her during the times when she was sick. Ann Alpert was an incredible artist too, she told me that when she met Matta he was still an architect and she encouraged him to be an artist. Gordon was also estranged from Matta when I met him, I suggested him to try to re-establish a good relationship with him and needed to work that out. He started to do that during the time I was with him, I remember they first met in Milan, during Gordon’s visit to the city, I obliged him to see his father alone, because at first he wanted me to be with him. Matta had this

big personality, a very charming and clever person, he said one time “You can’t choose who your parents are, but you can choose the person you marry”. As an older person now I think that the one with Gordon was quite an ideal relationship for me, but I was very young. When we went to Paris in the occasion of the Biennale in 1975 I fell in love with this other guy, I broke up with him before starting this new love affair but I didn’t want him to know about that, because I didn’t want to hurt him. This other man lived just across the street of Conical Intersect, he was Marc Petitjean, the filmmaker of this Paris’ piece. He never left Paris, but would come visit me, and after he begun to send me his new girlfriends… My view on this is very free. I remember still the night at Dennis Oppenheim’s party where Gordon went with Jane (Crawford), I was actually at the party when they became more close, he and Dennis were firstly kind of fighting over her, but I was really glad that at the end she ended up with Gordon and I was deeply happy to finally see him happy again.

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Entrevue avec Christian Scheidemann conservateur chez Contemporary Conservation Ltd., New York New York, 16/02/2012

Why did you decided not to continue working under the institution’s control for starting your own independent studio? I first arrived in Hamburg when I got off this position at the Hamburg Kunsthalle, which is one of the main museums of the city, it shows from 14th century art to contemporary artists. There I knew so many conservators that were frustrated in museums, it was still a good and well recognized position but at the same time there was no reward, no personal satisfaction or interest in what you do personally. Some of the museum conservators even hated art, they saw art as a problem. What is the main difference between dealing with the conservation of contemporary art and classical pieces? Conservation of contemporary art is more about social network, so it’s very communicative. The artwork is the object, which is probably the center, but then there are lots of figures around the artwork, like the owner, the artist, the shipper, the museum, the buyers, etc… I knew that for a certain period you also

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ran a gallery in Hamburg. What was this place like? Well it was not a gallery established to make business. I rented this factory with some friends and we invited some artists that we knew to show their work, sometimes sell them, then we produced catalogues. It was in the middle between an art space and a commercial gallery. This was the first time when artist started asking: “How can I achieve this problem?” or “How can I make this better?” I quote an extract from a past lecture you held in 2010 in Amsterdam: « As conservators, we are bound to respect this artistic attitude without prejudice the artist is always right - and take flaws as a challenge rather than a “problem”. Collaboration between the artist and the conservator in this ‘pre-natal’ stage of the artwork has since long been beneficial for both, artist and conservator. » Thinking about a possible intervention on Matta-Clark’s artworks, how could a possible dialogue be established since the artist is no more alive? My theory is actually that “The artist is always right” during the various steps of fabrication, whatever he/she does is ok,

even if the work does not hold up that’s ok too, they could still decide to ask someone about the possible conservation of the piece or change it as they want. Then, after the artist is dead, after the artwork is executed, then the artist is not right. At this moment there are other figures that gain importance such as conservators, the artwork becomes a piece of history, you have to deal with what is legal or not. As long as the artwork is inside the studio it is still in his “puberty” phase, the artist can return back on what he did, changing things, but then after a while the work must be completed and this is very important because, as conservators, we have to find the point of originality. Sometimes this originality moment is when photos are taken on a catalogue, for example, the collectors would come and say: “This is how it looked in the catalogue, and now I want to make it look like in the catalogue”. It is not as the traditional art, where the painting left the artist’s studio and they were pretty finished. Although there are stories of Renoir or Degas who were invited at the collector’s homes and when the owner of the piece was not present they took out their brush and modify their work. That still happens now but we, as conservators, have to find one point of unconditional originality, then the artist can always


say to not be satisfied of how the piece look after that, and this will be a matter of negotiation if he can still work on it or not. What about those pieces where we can’t really define a point of stability? What is the piece to save from the deterioration if the object consists more in a process and is not meant to resist in time? This is very close to religion, you have to see something and then you believe something, you better believe what you see. It’s not only the object, you need some background information: in which context this piece was made, if it was a collective or individual work... You have to consider that in the sixties nobody was making art in proper terms, they were more “making things”, but it was not strictly related with art, only when those things were sent to a gallery then this was considered art. In the case of Gordon Matta-Clark it’s important to know that he liked to experiment, as he did with his works with Agaragar, and that he loved to cook. I spoke recently with one person that was one time at his apartment, there was an opening of an exhibition and they cooked things in this huge bowl that was the same one where he

fried his photos and did other experiments. I think the idea of ephemeral is that they took the presence, they served as a vehicle of understanding, of history, you then see those objects remaining from those performances as the witnesses of the time. Did you ever have the feeling of having gone too far with your conservation interventions on a piece? One important thing about conservation is that your interventions have to be completely reversible, so that if anyone thinks that this is a wrong decision you can always turn back to what was before. When I operate on one piece I always propose 1 or 2 suggestions and I explain this to the artist so that he understands my points, often they are not interested about the conservation of their works, they are more interested in creating art not in the follow up of their pieces. I think that young artists are not so much interested about the conservation of their works when they’re in their early career… I spoke one time to Jeff Koons and he is one of those artist who don’t care about the future of their work, some other artists are more interested about the ageing, if the piece would became horrible or beautiful with

the time, Matthew Barney is like this for example. There was this case, when I worked on a Matthew Barney’s Cremaster 2, and I took care of many loans from collectors for the installation. The morning before the opening I saw this cabinet of Henry Houdini full of fingerprints. Knowing that everything in Barney’s works is very clean and polished I asked him “Should we clean this?” and he said no, that those were the fingerprints of Henry Houdini that show how he struggled to get out of this water cage. After this I thanked him to letting me know, otherwise for me dirt is dirt and it has to be removed. This was an example of how we use dirt and dust to tell a story, in this case the one of Houdini. So you are allowed to remove dirt, but not if it is used as an artist’s material, then it becomes very precious, that’s when I started to investigate more about dust in contemporary art. What is the main challenge of dealing with experimental contemporary art? You have first of all to try to understand the whole object, so it necessary to do researches, to read, to talk to artists. It is quite difficult generally, there are some works that unless would be totally misun-

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derstood and treated in the wrong way, maybe they are technically perfect but they somehow look wrong, because the artist’s attitude is missing. That’s why I think is good to be specialized in a bunch of artists, so that you can well understand all the aspect of their artworks. Another thing we have to do often is to redirect the expectations of the collectors who probably own a piece and they want it to be pure, which is impossible, and some times there is nothing to do because it is unmanageable. We have to make them understand that not everything is possible and things are not forever. Most of our clients are galleries, privates and auctions. What is your experience with the works of Gordon Matta-Clark? I operated on many works by Matta-Clark. I worked on Bingo for a lapse of 15 years, every time the work was moved or displaced from one place to another I had to be there to control and make sure that everything is fine, stable and doing some conservation treatments. The actual difficulty is to divide what shows the condition of the house where the piece was taken from and what shows damages from handling from one institution to another. Some people after he died handle and transport in the

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wrong way the artwork and it broke up, so we wanted to get the piece back to his original form, tell the story of how it was cut out. We had images from one show that Matta-Clark did in Warsaw, Poland, so those photographs were testifying one of the last show he did when he was alive, the intervention he did on the piece finally, and this is our original point of the piece’s life. What we focalized on was to show the process made to obtain the piece, how it was cut, his sharpen edges. I worked also on the 4 corners of Slitting’s house, where I dealt again with dust and dirt. I wrote an article about that in the Whitney Museum catalogue of the exhibition You Are The Measure. There must have been some people that cleaned up the piece from the dust it has on it, it was Jane Crawford that notified that: it was not important to show the architecture of the piece but the “biology” of the architecture. Everybody usually says that he cut the house in two but that’s not true, he removed one inch of wall from the house and it was not the result of one only cut, but of the two of them. The other thing was that he didn’t know exactly what to do, he discussed with the man who was working with him how to really divide the house and they arrived to the solution of lowering the basement foundations: this was a process.

Have you previously had to deal with edible and decaying materials in artworks? One interesting artist was Dieter Roth, he worked with chocolate but previously also with other edible and decaying materials, he was one of the first artist in the 70s to work with chocolate, cheese, yogurt, to play with the smell and he was interested in the process of decay, not in the stability of his pieces or the still life. Some colleagues says that you can’t do anything but I personally think that you can ameliorate the presentation of the work by slowing down the decay process, cooling the air so the transformation doesn’t reveal so fast, the process is inevitable but it can be slowed down. The interesting thing to show is the process of degeneration, then if you arrive and see the artwork that is already decayed, then it is no more attractive.


Gordon Matta-Clark You are the measure exhibition MOCA Los Angeles (2007-2008)

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Sources

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Gordon Matta-Clark Clockshower (1974)

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Thomas Hoepker, dans le métro de New York, années 70 121


Filmographie Tous les vidéos consultées ont été repérés auprès de: - Light Cone, 157, rue de Crimée, Atelier 105, 75019 Paris, France - Electronic Arts Intermix (E.A.I.), 535 West 22nd Street, 5th Floor, New York, NY 10011, Etats Unis Plusieurs vidéos par Gordon Matta-Clark sont en tous cas disponibles sur internet: Matta-Clark, Gordon, Food, 1972, UBUWEB. [http://www.ubu.com/film/gmc_food.html] Matta-Clark, Gordon, Virtual Circuit [http://www.virtual-circuit.org/art_cinema/Clark/ Intersect.html] : - Conical Intersect, 1975. - City Slivers, 1976 - Tree Dance, 1971 - Splitting, Bingo/Ninths, Substrait, 1974-76 - Day’s end, 1975 - Fresh Kill, 1972

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Gordon Matta-Clark Conical Intersection (1975)


Steven Siegel, on the Bowery, 1978 123


Remerciements Je souhaite citer ici toutes les personnes qui ont donné une contribution importante, directe ou indirecte, à la réalisation de cette recherche. D’abord, je veux remercier infiniment toutes les personnes qui ont répondu favorablement à ma demande de les interviewer. Les rencontrer et avoir la possibilité d’échanger nos réflexions par rapport à mes recherches a représenté et a largement étendu mes connaissances et mes compétences dans le travail d’enquête sur le terrain. Merci donc à Jessamyn Fiore, Jane Crawford et Bob Fiore pour la chaleur et l’hospitalité avec lesquelles ils m’ont accueillie dans leur maison en Connecticut et le temps qu’ils m’ont dédié. Merci à Gerry Hovagimyan et Susan Ensley pour avoir partagé avec moi leurs souvenirs de jeunesse vécue dans le SoHo des années 70, pour m’avoir introduite à leur activité en tant qu’artistes, ça représente une grande inspiration pour moi. Merci à Christian Scheidemann, de Contemporary Conservation Ltd. Notre intéressante conversation a été pour moi la découverte d’un monde qui jusqu’à présent m’était encore très inconnu, celui de la préservation des œuvres d’art. J’ai extrêmement admiré la professionnalité et la passion avec lesquelles vous avez créé cette entreprise. Je veux démontrer ma gratitude aussi à Marco Pierini; merci de votre grande disponibilité et gentillesse, l’attention que vous avez porté à mon travail et le temps dédié à notre échange d’informations par mail. Une profonde reconnaissance à toutes les personnes qui m’ont aidée dans ma recherche de sources chez Light Cone, Paris et Electronic Art Intermix, New York. Un voyage de recherche comme celui que j’ai accompli aux Etats-Unis, par contre, n’aurait jamais pu se dérouler sans le soutien et la compagnie de Nicola Bonetta, merci pour la patience et l’ouverture d’esprit. Finalement je remercie tous mes professeurs qui ont permis de développer énormément mes connaissances dans le secteur de l’art contemporain pendant cette dernière année, et surtout je tiens à remercier la persévérance de Patrik Nardin dans le suivi de mes recherches, avec ses constructives remarques et critiques. Merci aussi à la fondamentale aide de Jennifer Tu-Anh Phan, Yasmine Tashk et Fanny Le Gac qui ont eu la patience de relire mes textes, je vous remercierai jamais assez pour avoir rendu mes écrits compréhensibles. Merci à ma famille, leur soutien et l’admiration qu’ils ne manquent jamais de démontrer envers mon travail ; merci à mes amis aussi, ceux qui sont toujours à coté de moi à Paris, mais aussi à ceux qui se trouvent un peu partout dans le monde pour porter à terme leur projets, ils représenteront toujours une incroyable inspiration pour moi. Martina

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Ugo Mulas, New York

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Gordon Matta-Clark, Office Baroque, 1977


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