L'Araignée Bamum

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1 « …La morphologie du continent a contribué à son isolement relatif : il s’agit en effet d’un bouclier très ancien, d’un socle continental consolidé pour l’essentiel depuis environ 600 millions d’années (fin du Précambrien). Il n’a subi depuis lors que des oscillations verticales, des bombements de grande ampleur ou des cassures. Ses contours lui donnent une forme massive, avec des côtes rectilignes et peu hospitalières, à quelques exceptions près. » Encyclopædia Universalis

2 « La mygale est une araignée tropicale noire, velue, de la famille des Mygalidae. Elle vit sous terre et est utilisée dans le cadre de rites divinatoires. Pour cette raison, elle est symbole de sagesse, de connaissance et du lien avec l’autre monde. Elle est consultée pour savoir si une guerre sera victorieuse ou si une chasse sera un succès. Elle peut aussi être consultée pour des questions privées. » Yaëlle Biro, Le Léopard et l’araignée dans la mythologie et l’art du grassland camerounais.

3 Il y a quelques mois, alors que je m’ennuyais, un souvenir est venu interrompre le vagabondage habituel de mon esprit. J’ai regardé par la fenêtre, à attendre que les images se reforment.

Voilà : j’étais mentalement revenu quelques années en arrière, à un moment de ma vie où le hasard des rencontres m’avait mené du côté de Marseille.

4 C’était le début de l’été.

Je revenais dans ma ville natale pour travailler au Musée d’Art Africain, Océanien et Amérindien. On m’engageait pour aider aux derniers préparatifs d’une exposition. Une des équipes du musée avait collecté pendant deux ans des documents concernant un ancien royaume du Cameroun et le résultat de ces recherches devait être présenté au public en septembre.

Nous étions en juin, je me mis au travail.

5 Cela n’avait rien de désagréable. Je quittais le plus souvent mon bureau dès le milieu de l’après-midi. J’allais alors me baigner dans un creux du rivage, dans le sud de la ville. Je visais ensuite la terrase d’un café pour têter un milk-shake, poursuivre des lectures.

6 J’ai vécu comme ça les cinq mois où je suis resté dans la ville, évoluant sans souci dans un monde anthropoïde, entre la blancheur des collines et une mer très bleue. Chaque jour, je regardais les masses rocheuses, je plongeais dans l’eau.

7 Au musée, j’explorais l’histoire du royaume bamum, et plus particulièrement de son dix-septième roi.

On m’avait assez vite laissé voir la réserve où étaient gardées les pièces de l’exposition, le conservateur en personne servant de guide. (C’était une femme assez discrète au demeurant, si l’on fait exception d’une courte couette asymétrique qu’elle tressait, selon ses humeurs, tantôt derrière l’oreille droite, tantôt derrière l’oreille gauche.)

8 La réserve formait le cul-de-sac d’une enfilade de salles d’archives, au rez-de-chaussée du musée. C’était une pièce étroite, grêle. Ses murs, d’un jaune sale, lui donnaient cet air d’abandon, ce bonheur d’existence propre aux lieux négligés.

Le trésor se trouvait dans des caissettes plates que le conservateur m’avait ouvert une à une. Des photographies, des dessins et des manuscrits qui ne ressemblaient à rien de ce que j’avais vu jusqu’alors.

9 Les textes, surtout, m’avaient intrigué.

Rédigés sur un papier dont les dimensions approchaient celles d’une boîte de cigarillos belges, ils utilisaient un alphabet étrange, le shü-mon, inventé par un roi bamum à la fin du dix-neuvième siècle.

Le conservateur me précisa qu’une majorité des feuillets provenaient d’un même manuscrit, où le roi avait voulu rassembler toute l’histoire du royaume bamum depuis sa fondation.

Je ne le compris pas tout de suite. Mais c’est cette même histoire que, maintenant, à mon tour, je raconte.

10 « Je poserai les limites de ce royaume avec du sang et du fer noir.

La guerre, c’est mon affaire. » Roi Mbouombouo, Histoire et coutumes des Bamums

11 À la fin du dix-septième siècle, quelque part à l’est du fleuve Mbam, le désir d’un homme mit fin à la répétition des héritages.

Nchare était cet homme, Tikar le royaume où il vivait.

Le prince Nchare savait qu’il ne recevrait pas le pouvoir de son père. Alors, il abandonna son domaine, prit ses femmes, ses serviteurs, et partit vers l’ouest pour faire la guerre. Il traversa le fleuve et alla jusque dans un pays où il mit le sang à ses pieds, l’esclavage dans son ombre. Il s’appropria les terres, le nom des gens.

Ces choses faites, Nchare devint le premier roi des Bamums.

12 À l’ouest et au nord s’élevait une chaîne de montagnes. À l’est partait un vaste plateau. Au sud naissait une forêt, puis des marécages, de longues plaines, et enfin la mer.

Tel était le royaume que Nchare s’était donné.

13 Le manuscrit de Histoire et coutumes des Bamums est aujourd’hui encore conservé dans le palais des rois bamums, à Foumban.

Il s’agit d’un document de 548 pages qui rassemble, dans un ordre qui lui est propre, un curieux mélange de récits historiques, d’anecdotes incongrues et d’énumérations de lois. Les contradictions y sont nombreuses, les chronologies suspectes, les intentions masquées.

Les illustrations qui accompagnent le texte sont elles aussi inattendues. Portraits de rois, dessins de batailles, elles évoquent à la fois la sophistication de certaines bandes dessinées modernes et la naïveté d’un dessin d’enfant.

En d’autres termes, Histoire et coutumes des Bamums ne correspond pas aux canons des livres d’histoire occidentaux.

14 On estime que son texte fut rédigé durant les dix années qui précédèrent la mort de Njoya. Selon certains historiens, les derniers paragraphes ont été apportés en 1933, quelques semaines avant la disparition du roi.

Ensuite, la désagrégation du pouvoir royal conduit le manuscrit vers l’oubli. L’enseignement de l’alphabet shü-mon est interdit par l’administration coloniale française et la noblesse bamum en abandonne l’usage.

Après quelques années, plus beaucoup de monde ne s’intéresse au livre de Njoya.

15 Cette occultation dure en fait jusqu’à la fin des années quarante. Elle ne cesse qu’avec l’arrivée à Foumban du pasteur Henri Martin.

De cet pasteur, je ne sais presque rien. Un bouquiniste, en me vendant un jour un recueil de récits bibliques en langue bamum, m’a fortuitement permis d’obtenir une trace tangible de l’homme. À l’intérieur de l’exemplaire, édité par la mission protestante française de Douala en 1950, se trouvait effectivement cette dédicace : avec mes sincères remerciements H. Martin

16 Martin avait été vraisemblablement envoyé dans le pays bamum afin de poursuivre l’évangélisation commencée quarante ans plus tôt par des pasteurs suisses. Tâche compliquée, puisque le pays s’était dans l’intervalle presque complètement converti à l’Islam. Mais Martin se dévoua. Il apprit la langue bamum, entreprit la traduction de textes bibliques, se lia aux gens de Foumban.

C’est sans doute ainsi qu’il découvrit l’existence du manuscrit de Njoya. À l’aide des quelques personnes qui pouvaient encore déchiffrer l’alphabet du roi, il décida qu’il le traduirait.

17 La version française de Histoire et coutumes des Bamums a été publiée en 1952 par le centre du Cameroun de l’Institut Français d’Afrique Noire.

Il m’a fallu trois ans d’attente avant de trouver un des exemplaires de cette édition rare.

18 Je l’ai depuis parcouru à plusieurs reprises, tant je reste perplexe devant un texte qui, encore une fois, forme un bric-à-brac stupéfiant où sont expliqués les oracles de l’araignée, les préséances des nobles, le sort réservé aux fuyardes bamilékés, les punitions infligées aux tueurs de léopard, le montant de l’impôt, la gestion des chèvres, la distribution du travail dans les palmeraies, la généalogie des rois.

19 On y apprend par ailleurs comment guerres et complots ont servi là aussi à l’ouvrage des légendes. (Tel roi trahit ses frères afin de régner sans partage, tel autre tue ses ennemis par surprise au cours d’une fête. Une reine mère complote contre son fils. Des princes meurent sous les armes de serviteurs. Un jeune roi est fracassé contre un arbre. Un autre fait tuer quatre-vingt-dix reines adultérines.)

20 On y découvre des histoires incongrues, telle celle du premier amour du roi Nsangu.

(Nsangu n’était encore que prince lorsqu’il aima pour la première fois. Celle qu’il aimait mourut. Nsangu hérita après du pouvoir de son père et devint riche de centaines de femmes. Mais il continua à pleurer celle qu’il avait perdue. Un jour, il demanda à huit de ses épouses et à neuf de ses serviteurs de se rendre dans le village où il avait connu sa bien-aimée. Il leur demanda de s’y lamenter pour lui, puis de prendre le chemin où elle et lui avaient l’habitude de se promener. Ils y choisiraient une petite pierre, qu’ils ramèneraient à leur roi.)

21 On y lit enďŹ n l’histoire tragi-comique du dernier roi des Bamums, Ibrahim Njoya.

22 « Nsangu était un homme svelte. » Histoire et coutumes des Bamums

23 La mère de Nsangu, après que son fils fut devenu roi, avait dérogé aux règles coutumières en se donnant des amants. Deux garçons lui en étaient venus. Ceux-ci grandirent, puis atteignirent leur âge d’homme, lorsque Nsangu fut blessé à une jambe au cours d’un combat. La blessure était grave, on pensa la mort du roi certaine.

L’envie de ses demi-frères en crût d’autant. Leur mère les encouragea à prendre le pouvoir. Spéculant sur la mort, les trois ensemble préparèrent un complot.

24 Mais le hasard déjoua ces plans. Contre toute attente, Nsangu se rétablit de sa blessure.

Lorsqu’il découvrit le complot, sa mère et ses demi-frères avaient déjà formé tant d’alliances avec les nobles et les serviteurs du palais qu’il ne pouvait plus s’opposer à eux.

25 Nsangu réfléchit, assombri par la rage, désespéré par l’étau formé. Le royaume risquait d’échapper à sa lignée au profit des deux bâtards engendrés par sa mère.

Une seule chose pouvait, selon lui, renverser son malheur : trouver la mort en compagnie de ses demi-frères. Oui, c’est ce qu’il ferait. Il conduirait une bataille contre les Nsos et, profitant de cette occasion, il mettrait fin à tout.

26 Selon les historiens, la guerre contre les Nsos eut lieu vers 1889. Elle se passa comme Nsangu l’avait souhaité. Au moment de l’affrontement, le roi retourna ses partisans contre ses demi-frères et leurs alliés. Mille cinq cents Bamums s’entre-tuèrent. Les guerriers nsos n’eurent qu’à observer les combats.

Les survivants apportèrent la nouvelle du désastre dans le royaume. Les guerriers bamums avaient été vaincus. Nsangu et ses frères étaient morts. La tête du roi avait été emportée par l’ennemi.

27 Peu avant de partir pour la bataille, Nsangu avait désigné le fils qui lui succéderait. Sa progéniture comptait déjà plusieurs hommes accomplis, mais il leur préféra un autre fils, qui n’était qu’un enfant. À la mort de son père, Njoya devint le dix-septième roi des Bamums.

28 « Au début de la guerre, Gbetnkom réunit les gens pour qu’ils aillent brûler le palais. » Histoire et coutumes des Bamums

29 Son père mort, Njoya ne fut pas pour autant tout de suite roi ; la coutume exigeait qu’il donne au préalable naissance à un garçon. Sa mère, Njapundunke, reçut donc le royaume en régence.

La grand-mère de Njoya fut la première victime de ce nouvel ordre.

Histoire et coutumes des Bamums affirme que la vieille femme se pendit en apprenant les morts simultanées de Nsangu et de ses deux autres fils.

Il est plus probable que des serviteurs de Njapundunke étranglèrent la dangereuse belle-mère dans son sommeil.

30 Les secondes victimes furent des nobles qui, mécontents de la décision de Nsangu, se réunirent en secret pour choisir un successeur plus âgé que Njoya.

Njapundunke, l’ayant découvert, demanda à son amant Gbetnkom de la défaire de ces nouveaux ennemis. Gbetnkom les fit tous assassiner.

31 Les mois passèrent, sans que plus rien ne change. Njapundunke et Gbetnkom jouissaient du pouvoir mis dans leur voix. Les mois passèrent encore, et Njoya devint père d’un premier garçon.

Gbetnkom, qui régnait sur le royaume depuis plusieurs saisons, ne put s’en réjouir. Alors, il se rebella. Et s’enfuit du palais.

32 Très vite, les chefs voisins s’allièrent à Gebtnkom. Njapundunke, folle de rage, comprit que son amant avait profité de la régence pour s’assurer secrètement le soutien des villages du royaume.

Foumban fut assiégée et dut renforcer ses défenses. La guerre retrouvait ses droits dans le pays bamum. Nul ne le savait encore, mais ce serait la dernière fois.

33 Foumban tenait à l’abris de ses murailles, mais ne pouvait briser le cercle armé qui la dominait depuis les collines voisines. Coupée de ses terres, la ville s’affaiblissait un peu plus chaque jour.

Deux années passèrent ainsi. Un air de plus en plus lugubre rôdait le long des cases du palais. Njoya voyait son pouvoir s’enfuir, sa mort s’annoncer.

C’est alors qu’il décida d’appeler les Peuls à son secours.

35 Les Peuls vivaient à deux cents kilomètres au nord. C’était un peuple redouté dans la région des hauts plateaux à cause de ses cavaliers. Depuis plusieurs générations, les guerriers peuls menaient des razzias avec une férocité constante. Même les farouches Bamums, n’ayant jamais réussi à les vaincre, se bornaient à repousser leurs incursions en creusant des fosses, en hissant des palissades, en fichant des lances dans le sol.

35 Aussi, l’entourage de Njoya contestait sa décision. Demander l’aide des Peuls était selon eux trop dangereux. Leurs guerriers pouvaient en profiter pour prendre possession du royaume, réduire les Bamums en esclavage, ravager le pays.

Njoya était roi et décida en roi. Il ordonna à deux marchands bamums de partir vers le nord pour transmettre aux Peuls sa demande d’aide et ses promesses de récompenses.

36 Les Peuls reçurent les deux marchands. Mais les partisans de Gbetnkom ayant envoyé leurs propres émissaires et les Peuls hésitaient, ne savaient quel parti favoriser. Leur décision prise, près d’un millier de cavaliers partit en direction du royaume bamum.

Avec pour ordre de soutenir Njoya.

37 La bataille décisive eut lieu quelques jours après. Elle est entrée dans les mémoires sous le nom de « Bataille de Gbetnkom », ou encore de « Bataille de Manga », nom du village où Gbetnkom et ses alliés s’étaient rassemblés.

Njoya sortit vainqueur de l’affrontement.

Selon Histoire et coutumes des Bamums, la cavalerie peul et les guerriers du roi massacrèrent trois mille deux cents rebelles.

Désormais, Njoya était roi.

38 Gbetnkom fut capturé vivant.

Les serviteurs de Njoya creusèrent un trou dans lequel ils plantèrent un pieu. Ils y attachèrent le traître, qui pleurait et suppliait. On recouvrit son corps de latex et de poudre. On lança une torche enflammée.

Une fois le corps brûlé, on remplit le trou de terre.

39 Les Peuls ramenèrent plusieurs prisonniers dans leur pays pour en faire des esclaves.

Njoya ajouta les présents suivants : quatorze pointes d’ivoire, cent soixante-cinq mille noix de kola, cent quarante-trois jarres d’huile, sept femmes, cinquante et une chèvres, deux cent quatorze sacs de sel et d’autres choses moins importantes.

La reine Njapundunke donna pour sa part : treize sacs de sel, dix paquets de sel, trente-cinq jarres d’huile, quarante-trois corbeilles de noix de kola, dix chèvres, trois femmes, une grande pointe d’ivoire.

40 Après la bataille, le roi avait interrogé ces cavaliers sur l’origine de leur courage.

Les Peuls ouvrirent en guise de réponse les pages usées d’un Coran, expliquant que de là venait leur force. Ils révélèrent au roi des Bamums la suprématie de Dieu sur toutes les autres croyances.

Le roi regarda le livre. Il annonça qu’il serait lui aussi musulman.

Plus secrètement, il se promit d’inventer une écriture pour faire lui aussi un livre, et nourrir ainsi sa force, la gloire de son rang.

41 « Le roi appela beaucoup de gens et leur dit : — Si vous dessinez beaucoup de choses différentes et que vous les nommiez, je ferai un livre qui parlera sans qu’on l’entende.

— A quoi bon ! répondirent les gens, quoi qu’on fasse on ne réussira pas.

— Si vous réfléchissez bien, cela réussira, reprit le roi.

— Non ! Cela ne peut pas réussir.

— Allez et réfléchissez bien ! » Histoire et coutumes des Bamums

42 « Sa Majesté l’empereur d’Allemagne, roi de Prusse, Sa Majesté l’empereur d’Autriche, etc.. et roi apostolique de Hongrie, Sa Majesté le roi des Belges, Sa Majesté le roi de Danemark, Sa Majesté le roi d’Espagne, le président des États-Unis d’Amérique, le président de la République française, Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes, Sa Majesté le roi d’Italie, Sa Majesté le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, etc.., Sa Majesté le roi du Portugal et des Algaves, etc.. , etc.., Sa Majesté l’empereur de toutes les Russies, Sa Majesté le roi de Suède et de Norvège etc.. , etc.., et Sa Majesté l’empereur des Ottomans, « Voulant régler, dans un esprit de bonne entente mutuelle, les conditions les plus favorables au développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions d’Afrique, et assurer à tous les peuples les avantages de la libre navigation sur les deux principaux

fleuves africains qui se déversent dans l’océan Atlantique ; désireux d’autre part, de prévenir les malentendus et les contestations que pourraient soulever à l’avenir les prises de possession nouvelles sur les côtes de l’Afrique, et préoccupés, en même temps, des moyens d’accroître le bien-être moral et matériel des populations indigènes, ont résolu, sur invitation qui leur a été adressée par le gouvernement impérial d’Allemagne, d’accord avec le gouvernement de la République française, de réunir à cette fin une Conférence à Berlin. » Préambule de l’Acte Général du 26 février 1885 de la Conférence de Berlin

43 Le révérend Sigismund Wilhem Koelle était au service de la Church Missionary Society quand il s’embarqua en 1847 pour l’Afrique.

Le navire le mena jusqu’en Sierra Leone, où convergeaient alors d’anciens esclaves affranchis. Installé à l’Institut de Fourah Bay, Koelle découvrit cette mosaïque d’ethnies que les heurts de l’histoire avaient rassemblée dans Freetown. Pour son bon plaisir, il décida d’en tirer profit. Il entreprit une étude des langues africaines.

Le résultat de ses recherches, intitulé Polyglotta Africana, fut publié en 1854 par la Church Missionary House of London.

44 C C’est par le truchement de ses notices biographiques — le révérend avait l’habitude de prendre des notes sur ses informateurs — qu’un livre mentionne pour la première fois l’existence des Bamums.

Nyamse (rebaptisé Thomas John), Changara (rebaptisé William Parker) et Mjonde (rebaptisé James John) étaient d’anciens esclaves que la marine anglaise avait débarqués à Freetown. Interrogés par le révérend sur leurs origines, ils répondent qu’ils viennent de loin, de l’intérieur des terres, et qu’ils vivaient dans des villages détruits par un roi puissant, dont Foumban est la capitale et le pays bamum le royaume.

45 S. W. Koelle n’était ni militaire ni géographe. Il ne se souciait de ce que lui rapportaient ses informateurs que dans la mesure de ses fiches. Il ne chercha donc nullement à en savoir davantage sur ce mystérieux royaume. A fortiori, il ne fit aucune tentative pour partir à sa découverte.

Quelque part en Afrique, dans l’intérieur des terres, un royaume était puissant et faisait la guerre. Le révérend écrit cela, rien que cela. Et c’est ainsi que l’Occident, dans son dispositif de sciences et de chrétienté, fait entrer les Bamums dans l’histoire de ses livres.

46 Au même moment, l’Europe intensifiait sa conquête de l’Afrique. À la fin, la multiplication des affrontements fut telle que le chancelier Bismarck proposa en 1884 l’organisation d’une conférence internationale pour fixer des règles plus cohérentes.

Dans le traité qu’elles signaient trois mois plus tard, les nations européennes organisaient le partage du continent africain. La liberté de commerce sur les grands bassins fluviaux était garantie et la possession d’un territoire n’était désormais reconnue qu’à la condition de son occupation effective.

47 En quelques années, de nouvelles frontières se dessinèrent sous les compas et les règles des cartographes militaires. L’Algérie, le Sénégal, le Congo et Madagascar pour la France. Le Nigeria, le Soudan et la Côte-de-l’Or pour les Anglais. L’Allemagne, tardivement lancée dans ces entreprises coloniales, dut se contenter de territoires épars, presque laissés pour compte.

L’ouest du Cameroun fut de ceux-ci.

48 Le six juillet 1902, à la tête d’une vingtaine de tirailleurs africains, des représentants de l’empire germanique atteignaient pour la première fois les portes de Foumban. Il s’agissait du lieutenant Sanders, du capitaine Ramsay et du commerçant Habisch.

Un demi-siècle s’était écoulé depuis le livre du révérend Koelle, dix-sept ans depuis la conférence de Berlin. Njoya avait remporté la bataille de Manga huit ans plus tôt.

Le voisinage des belliqueuses chefferies bamilékés et la protection naturelle des hauts plateaux avaient permis au royaume bamum d’être préservé jusqu’à cette date.

Mais, désormais, un nouveau monde s’ouvrait.

49 « Les Bamums dirent au roi : Faisons la guerre aux Blancs — Non, répondit-il, les Blancs sont mes amis !

Ainsi les Blancs s’installèrent au pays des Noirs.

Tous les rois qui ont voulu s’opposer aux Blancs ont été vaincus.

Bamums, dit le roi, vous voyez, si j’avais agi en insensé, les Blancs nous auraient vaincus.

Voyez-vous ?

— Tu as raison, roi Njoya, répondirent les Bamums, nul ne peut te contredire, ta sagesse est supérieure à celle de nous tous. » Histoire et coutumes des Bamums