Mémoire de recherche Mathilde Rieu

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L’ARCHITECTURE HORS NORMES DU XXIÈME SIÈCLE : LE CAS DU MUSÉE CONTEMPORAIN QUI EXPOSE ET QUI S’EXPOSE

Mathilde Rieu _ Mémoire de recherche Master _ Mai 2017 _ DE MEM A. Jeanroy


Mathilde Rieu # +33631688015 # mathilde.rieu@lyon.archi.fr # 13, Rue Molière 69006 Lyon # Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon # Mémoire de recherche Master Architecture - E0932 # Ens. encadrant : Audrey Jeanroy # Soutenance : Mercredi 24 Mai 2017 #


L’ARCHITECTURE HORS NORMES DU XXIÈME SIÈCLE : LE CAS DU MUSÉE CONTEMPORAIN QUI EXPOSE ET QUI S’EXPOSE


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Avant-Propos A part l’architecture, et même bien avant elle, j’ai toujours été attirée par les autres formes d’art : que ce soit la photographie, la sculpture, la musique ou le cinéma et toutes les autres formes d’innovations techniques ou découvertes. J’ai donc eu l’occasion au cours de mes voyages en France ou à l’étranger de visiter un certain nombre de musées. Au fil du temps, je suis passée par des musées d’art et expositions classiques où l’architecture était en retrait par rapport aux œuvres présentées (Le Louvre à Paris, Les Offices à Florence) puis par des musées d’art, plus contemporains (fin XXe et XXIe siècle) où désormais l’architecture même du bâtiment devient sculpture (Fondation Vuitton et Fondation Cartier à Paris, le Musée Juif à Berlin, ou le musée des Confluences à Lyon). Même pour un non-initié, la différence entre les musées plus « classiques », d’avant les années 60, et les musées contemporains, est désormais évidente rien que par l’esthétique extérieure du bâtiment. Portée au départ par simple goût personnel pour la scénographie, l’art de la mise en scène et la muséographie, c’est finalement la prise de conscience de l’ampleur du phénomène de sa métamorphose qui m’a amenée à m’intéresser à l’institution muséale.

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SOMMAIRE Prologue ............................................................................................ p 06

INTRODUCTION .......................................... ...p 08 Problématique .................................................................................. p 11 Méthodologie ................................................................................... p 12

PARTIE I/ L’ARCHITECTURE DES MUSEES AU XXI ° SIECLE, UN CONSTAT ...p 14 A/ DU MUSEE MONUMENT AUX PREMICES DES MUSEES POST-MODERNES ... p 15 B/ RELATIONS TENUES ENTRE LES DISCIPLINES DE L’ARCHITEC TURE MUSEALE : UNE QUESTION DE DEFINITION ET D’EQUILIBRE ... p 23 1. 2. 3.

L’institution muséale, plusieurs disciplines .......................... p 23 Définitions des concepts liés au musée ............................... p 23 La place de l’architecture ..................................................... p 24

C/ QUEL MODELE D’ARCHITECTURE POUR LES MUSEES DU XXI ° SIECLE ? ... p 27 1. 2. 3. 4.

Les prémices du post-modernisme ...................................... Modestie et immodestie de l’architecture muséale ............. Constat d’une architecture muséale contemporaine : les deux tendances .................................................................... Etude de cas .........................................................................

p 27 p 28 p 28 p 32


PARTIE II/ NOUVEAUX ENJEUX, NOUVELLES ATTENTES, NOUVEAUX CONCEPTS POUR REPONDRE A AUJOURD’HUI ET A DEMAIN ...p 34 A/

LE

MUSEE

COMME

INSTRUMENT

DES

POLITIQUES

URBAINES ... p 35

1.

La culture comme moteur économique : l’amélioration de l’image de marque en perspective .................................. p 35

2.

La culture comme vecteur d’urbanité : le musée, balise territoriale et communicationnelle ...................................... p 40

3.

Etude de Cas ......................................................................... p 48

B/ LE MUSEE COMME INSTRUMENT SOCIAL ...................................................... ... p 51 1.

Le musée comme outils de démocratisation culturelle ....... p 51

2. « Un espace public à revisiter » .......................................... p 57 3. Etude de cas ......................................................................... p 68

C/ EVOLUTION DE LA PRATIQUE ARCHITECTURALE ET SPECIFIQUEMENT CELLE DES MUSEES ............................................................. ... p 71 1. 2.

Le musée, une architecture spécifique ? ............................. p 71 Evolution des techniques, exultation architecturale ............ p 81

3.

L’expression d’un parti pris architectural, reflet de la maîtrise d’œuvre .................................................................. p 82

CONCLUSION

........................................... ...p 87

Bibliographie - Iconographie ............................................................. p 90 Resumé - Mots Clefs


Prologue Guillaume Ethier, chercheur et sociologue en formes urbaines, a entrepris de définir l’architecture iconique. « Caractéristique de la production architecturale contemporaine, spectaculaire, photographiable, cette architecture peut être assimilée à une sorte de sculpture à grande échelle qui vient ponctuer l’environnement urbain pour y créer de nouveaux objets visibles de loin, dans l’espace et dans les esprits ». L’auteur relève que ces nouveaux monuments abritent le plus souvent des programmes culturels, « des musées (…), pas des églises ! » et s’interroge d’ailleurs sur le fait qu’il s’agirait peut-être désormais « du seul type d’institution qui fait consensus dans la société »¹ d’aujourd’hui.

¹ Architectures iconiques, les leçons de Toronto, par G. Ethier, 2015

L’objectif de cette recherche, est de porter un regard critique vis-à-vis de l’objet-musée contemporain ; cela nécessite de connaitre ce qui a préludé à sa conception et les enjeux qu’il poursuit, et implique des recherches sur l’histoire de l’architecture muséale et les rapports qu’elle entretient avec les sociétés. Ainsi, il s’agit de cerner comment l’espace intérieur est pensé dans son rapport à l’exposition et à l’individu qui évolue et déambule parmi les œuvres et de trouver une explication à ce phénomène de prédominance de la forme architecturale sur le contenu de l’exposition, raison d’être du musée qui justifie à priori sa construction. Par quels enchainements de faits et de causes c’est finalement le bâtiment lui-même qui est devenu l’œuvre maîtresse ? Comment et pourquoi cette nouvelle génération de musées, reflétant simultanément la complexité de la société et une simplification de son horizon si on s’en réfère à sa sur-présence architecturale, devient-elle un produit marketing ? Pourquoi le musée ? Le musée d’art contemporain peut-il être à la fois un objet symbolique dans la ville, une identité architecturale forte voire monumentale, tout en proposant un espace d’exposition intérieur performant

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dans lequel les œuvres trouvent toute leur place et sont valorisées ? N’y a-t il pas de risques à terme pour l’institution muséale avec ces nouveaux lieux d’exposition ? J’attends de cette étude qu’elle me permette d’engranger notions et savoirs spécifiques sur l’histoire et la conception des musées, ce qui pourrait m’être fort utile, si, comme je l’espère et le souhaite, j’avais l’occasion plus tard de travailler à la réalisation d’un projet de ce genre. Devant le nombre grandissant de musées qui voient le jour chaque année, tous plus imposants, originaux ou déroutants les uns que les autres, l’idée que je m’étais faite du musée s’est profondément modifiée et va bien au-delà de la définition qu’en donne Le Larousse : un lieu où sont réunies - en vue de leur conservation et de leur présentation au public - des collections d’œuvres d’art, de biens culturels, scientifiques ou techniques. Définir le musée n’est pas chose facile de nos jours et je pense que tout architecte en donne sa propre interprétation. Même si la définition établie par l’ICOM ² (International Council Of Museums) pourrait être considérée comme l’officielle, elle reste évolutive et a été modifiée déjà plusieurs fois afin de rester autant que possible en phase avec la réalité des musées qui évoluent indépendamment. L’institution muséale doit donc remplir les trois rôles suivants : collecter, conditionner et exposer. Cependant cette définition du musée n’est-elle pas aujourd’hui un peu datée et dépassée ? N’irait-on pas, au vu des dernières productions des architectes, vers une redéfinition du musée, de l’espace muséal ? Certes, le bâtiment est souvent indissociable de l’exposition qu’il abrite, des œuvres exposées, choisies, mais aujourd’hui, la tendance est aux projets architecturaux de grande ampleur : les musées sont construits ou rénovés par des architectes célèbres qui donnent libre cours à leur imagination pour créer l’extraordinaire et dans cette course à la monumentalité, le bâtiment devient alors parfois le symbole du musée, au détriment de la collection.

² « Le musée est une institution

permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation », Chapitre 1

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INTRODUCTION Parmi les institutions culturelles, les musées se sont affirmés comme un phénomène majeur dans notre société occidentale. Le musée est une création jeune, environ deux siècles. On lui donna d’abord des formes architecturales connues : temple, palais. La question d’une architecture spécifique est en perpétuelle évolution depuis les années 1970. Au prestige s’ajoutent des notions d’attractivité, de médiatisation, d’économie. Aujourd’hui, les architectures des musées, constructions nouvelles ou réhabilitations, sont éclectiques et visent parfois plus à l’image qu’à la mission. Cela a eu pour effet de susciter l’intérêt de disciplines variées (histoire, sociologie, urbanisme, etc.) qui en cherchant à étudier ces institutions et leurs évolutions, ont proposé une multiplicité de regards, de points de vue et de critiques. Il en ressort notamment, comme dans l’ouvrage : Musées en mutation, rédigé sous la direction de Martine Regourd ³, que l’institution muséale s’écarte de plus en plus de l’attention traditionnelle et exclusive portée sur la primauté de l’artefact. Au-delà d’une prolifération de témoins immatériels, de substituts et d’images digitales dans les expositions, on assiste aujourd’hui à un élargissement de la définition du musée et donc à la naissance d’une nouvelle muséologie, force agissante qui conduit à une vaste reconsidération de son rôle dans la société actuelle. En tenant compte de cette évolution récente du musée, je souhaiterais identifier les différentes fonctions qu’il peut/veut assumer et les différentes formes qu’il peut prendre, simultanément ou séparément.

³ Etude des différents aspects

contemporains du renouvellement de la forme du musée donnant une réponse résolument pluridisciplinaire en raison de la nature même de son objet.

Tout d’abord, il me semble judicieux de distinguer l’architecture de la muséographie. Si l’on conçoit que l’architecture consiste en l’agencement des formes complexes d’un édifice, l’art de les imaginer et de les concevoir, en tant qu’initiés à la discipline, nous savons qu’elle ne se limite pas seulement à ça. Au-delà de l’agencement de formes, elle formule des ambiances, et suppose des déplacements entre ces formes pouvant donner par la suite

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naissance à un musée. La muséographie quant à elle, est une discipline propre au musée qui vient compléter et dialoguer avec l’architecture dans la conception de ce dernier. Il est donc nécessaire de saisir le rôle de chacune, et les interactions qu’elles ont entre elles pour comprendre toute la complexité de l’espace muséal. Aujourd’hui, quel intérêt réel est prêté aux collections et à leur exposition dans ce nouveau statut du musée où le bâtiment est à lui seul un gage d’existence culturelle et de contemporanéité ? Peut-être que cette promotion de l’édifice au détriment du reste repose sur deux tendances qui s’expriment dès le début de la conception. La première promeut la réalisation d’un bâtiment destiné à accueillir une certaine exposition ou une œuvre en particulier, visant à la magnifier. L’autre défend le concept d’un bâtiment, chef d’œuvre d’architecture où l’œuvre doit trouver sa place. Cela pose alors évidemment la question de savoir quels sont les acteurs lors de la conception d’un espace muséal et comment ils travaillent ensemble. Cette conception de l’espace intérieur du musée qui est essentielle soulève quand même une ambiguïté. On relève un équilibre incertain, certes entre l’espace d’exposition conçu et l’œuvre elle-même mais aussi entre l’espace intérieur et l’extérieur du musée. Si l’on reprend la définition du musée de l’ICOM, ce dernier se doit d’exposer un savoir et surtout de le communiquer à un public, l’éduquer. Mais d’autre part l’architecture qui contient ce savoir, imaginée, travaillée et parfois créée pour l’œuvre, ne peut pas simplement disparaître pour laisser place à l’exposition. Si l’on veut donner toute sa place à l’acquisition de cette connaissance il faut pourtant bien que l’espace intérieur créé soit empreint d’une certaine neutralité pour ne pas perturber le visiteur qui y déambule. Par expérience (et probablement par déformation professionnelle j’en suis bien consciente) j’ai pu remarquer que ce n’était souvent pas le cas dans les musées contemporains (ex musée des Confluences). En vérité, aujourd’hui, il me semble que

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pour la grande partie du public des musées, ce que l’on vient voir en premier c’est l’architecture du bâtiment souvent réalisée par des architectes en vogue. On a désormais le sentiment que c’est le musée qui fait office d’œuvre, les rôles s’inversent, on passe de « l’architecture écrin à l’architecture objet ». Mais si cette neutralité intérieure est exigée dans l’image que l’on se fait du musée « idéal », quel rapport suppose-t-elle entre la conception de cet espace intérieur et l’architecture de l’enveloppe désormais « flamboyante » du bâtiment? L’architecture contemporaine peut-elle agir comme vecteur de performance de l’institution muséale, ou bien la détourne-t-elle de sa mission pédagogique éducative ? Ces dernières transformations et complexifications dans la création du musée contemporain trouvent leurs sources dans l’évolution de la société et l’apparition de nouvelles attentes à différentes échelles. Tout d’abord, le public du musée s’est transformé ou du moins élargi ces dernières années (cf : nouvelles lois du 4 Janvier 2002 relatives aux musées mentionnées plus loin) ; il est beaucoup moins averti, et ne se compose plus exclusivement de classes favorisées. Tout le monde va au musée aujourd’hui (Six Français sur dix de plus de 18 ans visitent au moins un monument dans l’année, selon le Crédoc (centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), données 2014), et ce dernier doit donc être accessible à tous et plaire au plus grand nombre. A plus grande échelle, le musée dans la ville est un réel enjeu, tant sur un plan politique qu’économique ou par rapport à l’espace urbain dans lequel il va venir s’implanter, et probablement transformer. Il a également des répercussions au niveau national, voire mondial. Ces évolutions et ces nouveaux enjeux et contraintes qui apparaissent, ajoutés à l’évolution des matériaux et des méthodes de construction, engendrent nécessairement des modifications dans l’architecture muséale qui devient, dès lors, le moyen d’expression privilégié et tendance pour les architectes du moment.

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Problématique De l’institution porteuse de savoirs au nouvel outil marketing en vogue, comment expliquer cette transformation de l’architecture muséale depuis ces dernières années ? Quels sont les nouveaux enjeux et les nouvelles fonctions attribuées aux musées par les différentes politiques, qui interfèrent dans leur conception, et comment ont-ils modifié leur architecture ? A l’inverse, comment l‘architecture particulière, hors normes, de ces institutions culturelles de premier plan, en vient à remettre en cause (ou non) leur propre définition et finalité ? Quel est leur rôle dans la société actuelle ? De l’architecture qui exposait, nous sommes désormais passés à l’architecture qui s’expose. Le musée s’est transformé en un objet architectural, un spot publicitaire géant, puissant outil politique et économique qui doit tenter malgré tout de s’insérer dans un contexte préexistant. Dans cette recherche, l’idée n’est pas tant de critiquer ce nouvel objet en lui-même mais plutôt de constater et comprendre son impact sur une population, une ville, un pays et sur les autres musées. Qu’ils soient réalisés à l’effigie d’une culture en particulier ou simple prouesse architecturale d’architectes, les musées contemporains s’engagent tous à devenir des fournisseurs d’activités culturelles et ludiques censées instruire, mais surtout attirer le plus de monde possible. Dans le paysage muséal contemporain prône désormais le « plaire en vue d’exister » et on n’hésite pas à exporter le concept à l’étranger pour toucher encore plus de monde. Je m’interroge alors sur les répercussions de ces monstres de culture sur les autres petits musées et les risques qu’encourt l’institution muséale, telle qu’on l’a connue jusqu’à ce jour, si l’on poursuit sur cette voie où « l’existence par l’architecture » rabaisse les œuvres architecturales au rang d’objet, outils de notoriété et de communication, plus inhérents au marketing qu’à la culture.

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Méthodologie Mes recherches se sont d’abord basées sur des textes référant à une approche idéologique du musée, voire politique, sociétale et utopique plus qu’architecturale (notamment : Vers une redéfinition du musée, dirigé par F. Mairesse et A. Desvallées ou Mythologie du musée par B. Deloche). Elles m’ont cependant apporté une vision plus large de la muséologie et de ce qu’elle représente dans la société actuelle, ce qu’on attend d’elle aujourd’hui. J’ai pu, grâce à ces lectures, constater alors que le musée est une évidence culturelle, soutenue par de nombreuses institutions. Une réalité sociale concrète, bénéficiant d’une reconnaissance publique cautionnée par le système législatif qui rend, du coup, la prise de recul par rapport au concept muséal plus compliquée. Il en est ressorti néanmoins que l’institution muséale vise moins à refaire l’histoire dans l’imaginaire mais davantage à définir un lieu où le temps ne s’écoule finalement plus. Ensuite, mes recherches se sont portées davantage sur des propos vraiment architecturaux, et sur cette relation compliquée entre l’œuvre exposée et l’espace d’exposition lui-même : l’architecture muséale comme dispositif de mise en valeur et de succession de parcours, de déambulation. Les

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livres-catalogue remplis d’exemples de musées contemporains m’ont aussi permis de compléter mon corpus d’œuvres, et de découvrir de nouveaux plans, en cerner les enjeux de conception et sélectionner des cas pouvant appuyer (ou au contraire défaire) mes différentes hypothèses. J’ai eu l’occasion également de me rendre sur certains sites, évoqués plus loin, ce qui m’a permis d’avoir une vision propre grâce à l’expérience même du lieu et de l’architecture. Mon propos sera, par ailleurs, illustré par des études de cas, soit architecturales à proprement parler, comme l’analyse d’un édifice, soit idéologiques. Les interrogations sur ces nouveaux lieux d’exposition et sur le futur des musées sont des questions très actuelles et à la mode depuis ces dernières années. Elles suscitent de l’intérêt à la fois chez les architectes - qui y voient là une possibilité d’affirmer et d’imposer leur notoriété, ou encore de s’en créer une aux yeux de tous et d’assurer un rayonnement de leur travail au niveau national voire au-delà -, chez les politiques, les historiens, les gardiens de musées, etc. Je n’ai donc pas manqué de ressources, et d’informations en lien avec ce sujet. Cependant, le concept du musée fait débat et il a parfois été difficile de discerner de vraies critiques fondées au milieu d’un nuage d’avis et d’appréciations diverses, pas toujours objectives.

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PARTIE I/ L’ARCHITECTURE DES MUSÉES AU XXI° SIÈCLE, UN CONSTAT


A/ DU MUSEE MONUMENT AUX PREMICES DES MUSEES POST-MODERNES Le musée, une origine antique Le terme musée provient du grec ancien « mousseion » qui désigne le temple des Muses, les neuf déesses qui présidaient, dans l’Antiquité, aux arts libéraux c’est –à-dire : l’histoire, l’éloquence, la comédie, la tragédie, la poésie lyrique et amoureuse, la musique, l’astronomie ou la danse. Dans ces lieux, on se livrait déjà dans l’Athènes du Ve siècle avant JC, aux arts et à l’érudition mais le plus fameux de tous demeure sans conteste le grand Musée d’Alexandrie, vaste complexe abritant une université , une académie et la célèbre bibliothèque que les Ptolémée fondèrent en Egypte au III ème avant JC pour rassembler dans un même espace l’ensemble du pouvoir universel et faire de la ville d’Alexandrie la capitale culturelle du monde hellénistique à la place d’Athènes. Une étape décisive pour l’histoire du musée en France : L’époque des Lumières C’est à l’époque des Lumières et plus précisément dans la seconde moitié du XVIIIème siècle qu’apparait la revendication des milieux éclairés d’une ouverture publique des collections privées, en particulier des collections royales et princières. L’institution muséale se fonde historiquement sur cette demande de publicité assortie au principe d’inaliénabilité à savoir la garantie de la pérennité et de l’indivisibilité des collections. Les événements révolutionnaires que l’on connait avec l’avènement de la République, la saisie des biens de la Noblesse et du Clergé n’ont fait qu’asseoir ces revendications et rendre même nécessaire la réservation ou la création de lieux pour accueillir ces collections à Paris (ex : musée du Louvre ancienne résidence royale) mais aussi en province, suite au décret Chaptal. Ainsi le musée en tant qu’architecture nait dans la foulée de l’institution et prend tout son essor au XIX ème siècle. En effet, l’instauration d’ « un espace public des arts et du savoir » incarné par le musée suggère très vite la création d’une construction qui affirme hautement sa vocation de «bien public». Les nouveaux édifices devaient répondre à deux finalités principales. Tout d’abord, en tant qu’instrument de diffusion de la connaissance, destiné à dissiper l’ignorance, à édifier l’esprit public, à perfectionner les arts, en un mot à favoriser le progrès des sociétés humaines, il doit être un conservatoire de modèles et aussi un outil de formation et de recherche. D’autre part, le musée, et en particulier le musée d’art, doit œuvrer à la formation du goût. C’est donc un lieu voué à l’agrément et au plaisir. Jusqu’au XXème siècle, toutes les 15


institutions adoptent unanimement et respectent ce double programme, scientifique et pédagogique d’une part, esthétique de l’autre.

Portique du Institute of Arts (1927), par Paul Philippe Cret, à Détroit sur lequel on peut lire: «To the knowledge and enjoyment of art»

Cependant, dès la fin du XVIIIème siècle, la faiblesse intrinsèque du projet muséal à savoir que l’objet exposé sorti de son contexte perd une partie de sa destination et donc de son sens, n’a pas échappé à certains comme l’architecte et historien de l’Art Quatremère de Quincy. Il décrit les musées comme «de grands emmagasinements de modèles»⁴, négation même de l’idée de culture, car en suspendant la fonction des objets, selon lui, on entrait en contradiction avec l’histoire et les intérêts de la science et de l’art. Néanmoins, les autorités politiques, arguant qu’elle répondait à une demande sociale impérieuse, ont imposé l’institution muséale. Par son activité de classement, par le catalogage et les comparaisons qu’il permettait, le musée a d’abord contribué à construire une démarche proprement scientifique. En mettant en série les œuvres, en modifiant les perspectives, il découvrait voire « inventait » de nouveaux « objets », concepts, styles ou artistes… De plus, le musée a transformé radicalement la perception de l’art et le sens même de la création artistique. En convergence avec les réflexions philosophiques de l’époque romantique du XIXème siècle, il a fortifié l’idée de l’autonomie de l’art et a œuvré à sa sacralisation. Sa vocation unique étant d’exprimer sa propre essence, l’art devenait ainsi l’ultime forme d’accès à la transcendance dans un monde de plus en plus «désenchanté». Les musées, en isolant les œuvres de leur contexte d’origine et en accentuant de la sorte leur « autonomie », ont contribué largement à l’émergence des termes modernes de « l’œuvre d’art » et, plus encore, du « chef-d’œuvre », cet objet singulier, incarnation d’un absolu de l’art.

⁴ Lettres à Miranda, De Quincy, 1796

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Le choix d’un modèle architectural pour le musée Tous les musées nouvellement créés ne pouvant prendre place dans des bâtiments préexistants et réaménagés comme le Louvre, la diversité des modèles proposés par les architectes témoigne de leur perplexité face à un projet totalement neuf dont on appréciait mal les enjeux et pour lequel il n’y avait aucun exemple de référence. Si tous les architectes, dans la tradition inaugurée par le XVIIIe siècle, s’entendent pour faire du musée un « monument public » majestueusement inscrit dans l’espace urbain, si tous ou presque sacrifient aux règles traditionnelles de la composition architecturale de l’époque: axialité et symétrie, un débat demeure tout de même quant à la caractérisation architecturale et l’organisation spatiale de cette nouvelle catégorie d’édifice. En cette période les solutions stylistiques utilisées furent extrêmement variées : néoclassique, néogothique, néobaroque…, chacune portant son lot de connotations. Mais c’est surtout au niveau typologique que l’inventivité des architectes s’est manifestée. Palais, temples, thermes, basiliques, monastères, halles… Toute une série de types architecturaux anciens ont été tour à tour essayés; chaque nation marquant sa préférence pour l’un ou pour l’autre. La raison de cette quête typologique était double. En premier lieu, les architectes tâchaient de se référer à un «type idéal», plus ou moins lié à l’imaginaire muséal comme le temple des muses d’Alexandrie, les thermes romains, ou le palais du Louvre qui avaient abrité des collections fameuses. Mais ces derniers offraient aussi des modèles concrets d’organisation spatiale et de formes, à partir desquels il était possible d’inventer. Les volumes intérieurs, quant à eux, étaient directement issus de l’architecture palatiale. Les accès, vestibule et escaliers, prirent des proportions monumentales, tandis que les espaces d’exposition s’articulaient autour d’une succession de galeries et salles. A ces dernières s’ajoutait fréquemment une rotonde qui formait au sein de l’édifice une sorte de sacrarium, à partir duquel s’organisaient les circulations. L’accent mis tantôt sur la vocation pédagogique du musée (hiérarchisation et sélection de chefs-d’œuvre) tantôt sur sa vocation scientifique (exhaustivité historique et classement scientifique) déterminait des choix de distribution et de circulation différents. Pour l’aménagement des salles, une attention particulière était portée à éclairage naturel zénithal ou latéral et à l’équilibre délicat entre décoration murale et valorisation des objets exposés. A la fin du XIXe siècle, le musée est devenu une institution centrale, qui avait acquis une légitimité culturelle et scientifique incontestée. D’un point de vue architectural, il constituait un genre en soi, doté de ses propres conventions, certes variables selon les pays mais recherchant toujours la solennité et la grandeur. Au XXe siècle, l’institution muséale connait une ascension particulièrement irrégulière. Longtemps en décalage avec les attentes d’une société en voie de « massification », le musée figé dans des conventions du siècle passé ne commencera à se moderniser qu’à par17


tir des années 50 pour atteindre son apogée dans les années 70. La première partie du XXème siècle est marquée par un lent déclin des musées européens, dû en grande partie à un contexte politique et historique (suite aux deux guerres mondiales). Si, à cette époque, les musées européens vieillissants ont souvent mauvaise presse auprès des milieux intellectuels, c’est qu’ils se sont cantonnés à la tradition initiée par leurs aînés du XIXe siècle et ont la plupart du temps conservé une physionomie calquée sur les modèles passés sans aucune trace des avancées de la modernité que certains critiques et historiens auraient pourtant voulu leur voir adopter. Le musée continue à être pensé comme un « monument public » inscrit au cœur de la cité. La mise en place d’une ordonnance monumentale, usant de signes architecturaux convenus, demeure un moyen simple de mettre en relief cette destination collective et identitaire tout en permettant l’inscription concrète de l’édifice dans le tissu urbain. C’est pourquoi jusqu’à la fin des années 30, on a eu recours à la rhétorique néoclassique et les architectes ont dessiné des compositions amples, aux masses symétriques, fortement hiérarchisées, multipliant escaliers, portiques, et colonnades. Bien sûr, cette rhétorique a pris, des colorations diverses en fonction des contextes. Quand les Etats-Unis adoptent un style « Beaux-arts » monumental - qui incarne à leurs yeux les idéaux démocratiques fondateurs de la nation américaine et dont l’exemple le plus parfait est la National Gallery de Washington, construite entre 1937 et 1941, par l’architecte John Russell Pope, en Europe, on privilégie encore la typologie du « musée-temple » comme le Palais de Tokyo de Dondel et Aubert (19341937) ou le Musée des travaux publics d’Auguste Perret, (1934-1937).

Palais de Tokyo, par Dondel et Aubert , Paris, réalisé à l’occasion de l’exposition internationale de 1937

La persistance de cette typologie héritée du XIXème siècle s’explique par la dimension patrimoniale de l’institution muséale. A cette époque, les musées étaient encore quasi-exclusivement des collections d’art ancien et véhiculaient une conception de l’art fortement empreinte de conservatisme. Avec leurs proportions grandioses et intimidantes, leurs volumes massifs et aveugles, ces musées constituaient 18


des sanctuaires patrimoniaux introvertis, où régnait une atmosphère sacrée. Le parcours ascensionnel que devait emprunter tout visiteur avant d’y pénétrer représentait une sorte de parcours dévotionnel plus ou moins contraint et hiérarchisé. Même si certains, comme Perret ont tenté de trouver des modes de distribution innovants, jamais les schémas établis à cette période n’ont été remis en cause. Les évolutions majeures au cœur du 20ème siècle : nouveaux fondements du musée Durant l’entre-deux guerres, le musée subit une première transformation. La décoration prend une part plus discrète dans l’édifice pour mettre un terme définitif aux vieux débats sur le sujet et surtout se positionner face au Modernisme qui, lui, revendique cette pratique de l’ornement architectural. L’autre évolution majeure de cette époque est d’ordre muséographique. Rompant avec la tradition du XIXème siècle, les musées procèdent à un redéploiement des collections, à une épuration de l’accrochage et du décor, recentrant enfin l’attention du visiteur sur des œuvres correctement mises en valeur. Paradoxalement, à la même période, les Etats Unis inventent une muséographie analogique : les « period-rooms » qui associent œuvres d’art et objets mobiliers au milieu de reconstitutions artificielles des intérieurs d’époque pour remettre en scène l’œuvre d’art dans son contexte. L’intention didactique était une volonté de démocratisation et d’ouverture des musées à un plus large public. Ainsi, l’American Association of Museums lançait dès 1925 des programmes pionniers, qui exploraient de nouveaux modes de relation avec le public. Les Etats-Unis inauguraient là une politique riche d’avenir, dont l’influence allait se faire sentir les décennies suivantes en Europe. C’est en effet contre l’élitisme inhérent aux « temples de l’art », que s’est bâtie l’architecture muséale des années cinquante et soixante. Dans l’Europe d’après-guerre, période de reconstruction, les efforts se portent essentiellement sur la réouverture des musées, la reconstitution et le réaménagement des collections. En somme, on tâchait d’améliorer l’existant. Cependant, c’est au cours de ces années 50 -60 qu’a lieu la première rupture radicale avec la conception des musées façon XIXème siècle, notamment à travers les musées d’Art Moderne, nombreux à partir de 1950 et dont la conception est le fait d’architectes avantgardistes, qui n’avaient pas eu accès jusque-là, nous l’avons déjà dit, à ce type de réalisation. Une nouvelle ère s’ouvre alors, qui va modifier profondément la physionomie des musées et leur fonction. Deux architectes joueront un rôle déterminant dans cette révolution. Il s’agit d’abord de Le Corbusier dont la réflexion et les écrits remontent aux années 30 et qui échafaude alors un projet d’une nouveauté radicale : le Musée à croissance illimitée, faisant voler en éclats toutes les conventions en la matière. Réduit à sa seule fonction d’ex19


position, le musée imaginé par l’architecte solutionne les problèmes de flexibilité et d’extension qui préoccupaient alors les professionnels. Construit en forme de spirale carrée, il peut, grâce à sa structure modulaire, s’étendre de manière « illimitée »: chaque module - possédant le minimum d’équipement requis pour l’exposition : un pilier, une poutre, un plafond, un élément d’éclairage diurne, un élément d’éclairage nocturne - peut s’additionner aux autres et former ensemble un espace continu. En outre, l’utilisation d’une ossature en béton, délivrant les murs de toute fonction porteuse, offre une totale liberté d’aménagement intérieur. Le Corbusier choisit d’utiliser des parois mobiles, autorisant des agencements variables. Il introduit ainsi le principe de flexibilité et dissout du même coup la spatialité classique du musée, avec ces traditionnelles « salles » et « galeries ». Ce dispositif modulable permet au conservateur une liberté d’accrochage inédite et donne au visiteur la possibilité d’un parcours sans contrainte. Une telle liberté va de pair avec une neutralité maximale de l’espace d’exposition afin de susciter un véritable « face à face » entre le spectateur et l’œuvre d’art. En pliant le musée au credo fonctionnaliste dont il était le principal propagandiste, Le Corbusier en a fait un pur volume, immaculé, sans décoration ni ornement, centré sur sa fonction et, pour cela, totalement coupé de l’extérieur. Le musée devint ainsi une « machine à exposer ».

Musée à croissance illimité, par Le Corbusier, Sans lieu, 1939. Maquette du concept, Fondation Le Corbusier.

L’architecte Mies van der Rohe, en élaborant le projet d’un Musée pour une petite ville (1942-43) propose une solution plus fluide encore. L’édifice se résume ici à une grande boîte de verre dans laquelle les murs, libérés de leur fonction porteuse reçoivent les tableaux tandis que les sculptures semblent flotter, isolées, dans l’espace abstrait et dégagé de la pièce. La sensation d’un continuum spatial n’avait jamais aussi clairement été mise en œuvre pour un musée et l’autonomie des œuvres jamais aussi radicalement affirmée. A l’inverse de 20


celle de Le Corbusier, la proposition de Mies se caractérise par sa transparence et une ouverture sur l’extérieur et le paysage qui la rendant plus accueillante et engageant un dialogue inédit entre art et nature. Deux tentatives originales, à l’aube de la modernité A la fin des années trente, les nouveaux principes issus des réflexions de Le Corbusier et Van Der Rohe ont trouvé une première application à travers la construction du Museum of Modern Art (MoMA) de New York. En effet, Alfred H. Barr Jr., qui était directeur du MoMA depuis sa fondation en 1929, voulait élever un nouvel édifice qui serait en accord avec la collection qu’il devait abriter. Deux jeunes architectes, Philip Goodwin et Edward Durell stone ont alors imaginé un édifice en hauteur, relativement sobre, aligné sur ses voisins et qui arborait en façade un mur-rideau, terminé par une toiture plane et débordante. On peut dire que l’aspect général tient davantage à celui d’un immeuble de bureaux ou celui d’un grand magasin qu’à celui d’un bâtiment à vocation culturelle. Les quatre étages d’exposition adoptaient un plan libre, transformable à volonté à l’aide de divisions mobiles. Ce premier exemple de musée moderne est resté isolé car l’élan initié à New York s’est vu stopper net par la seconde guerre mondiale qui a sans doute différé le succès des « modernes » d’une bonne décennie.

Guggenheim, F.L. Wright, New York 1959. Galerie d’exposition circulaire.

Au début des années quarante, l’édifice remarquable mais atypique de Frank Lloyd Wright, le Guggenheim Museum de New York (1943-1959), est sans doute la première « icône » de l’architecturale muséale du XXe siècle. Abritant une collection d’art moderne, l’édifice, de forme tronconique, se développe en spirale à partir d’une rampe hélicoïdale de plus de 400m de long enroulée sur cinq niveaux autour d’un spectaculaire vide central. Pendant un temps on a cru voir là, un exemple parfait de musée moderne. Or le parti 21


architectural, inédit, n’était pas sans poser de lourds problèmes muséographiques. Les murs et le sol de la rampe d’exposition inclinés ont tout de suite rebuté les artistes, qui les trouvaient inadaptés. Le musée allait aussi à contre courant des recherches initiées par Le Corbusier : le parcours était unique, il n’y avait ici aucune flexibilité des espaces d’exposition et les œuvres, placées dans des alcôves le long du mur de la rampe, devaient recevoir un éclairage diurne exclusif… Plus que tout cela, le principal reproche portait sur la trop grande « présence » de l’architecture, qui était à elle-même son propre spectacle et éclipsait les œuvres de la collection. C’est pourquoi, l’œuvre de Wright, magnifique mais trop singulière et surtout partiellement inadaptée à sa fonction, n’a pas eu de succès à cette époque. La tendance dominante de l’après-guerre et de la deuxième moitié du XXème reste la typologie initiée par Le Corbusier et Mies Van Der Rohe. Le musée temple ou palais cède la place à la « machine à exposer », aux « boîtes » et « hangars » de toutes sortes. La modernité se targuait de répondre enfin aux besoins des conservateurs comme à ceux du public. Dès lors, le musée a affirmé ostensiblement sa vocation de contenant et d’enveloppe au service d’une exposition et s’effaçant devant elle, il devenait alors une simple architecture dont la finalité ultime résidait dans le face-à-face du public et de l’œuvre. Ces « boîtes », plus ou moins ouvertes, plus ou moins opaques ou transparentes, plus ou moins discrètes ou sculpturales n’en étaient pas moins fonctionnellement neutres. Il a donc fallu les aménager. Grâce aux potentialités structurelles et constructives du béton et de l’acier, les espaces intérieurs ont été libérés des contraintes habituelles et des cloisonnements fixes. La liberté d’agencement presque totale a entraîné aussi la dissolution de la volumétrie classique de la « salle » au profit d’une spatialité ouverte et fluide offrant de véritables promenades architecturales. En outre, cette flexibilité autorisait une certaine polyvalence des lieux, qui pouvaient être reconvertis à l’occasion en salle de spectacle ou de cinéma, afin de faire vivre l’institution en dehors des horaires habituels. Certains, tels Mies van der Rohe à Berlin ou Lina Bo Bardi à Sao Paulo, ont poussé la logique à son terme et ont créé un espace totalement libre, sans le moindre cloisonnement, où les œuvres étaient, en quelque sorte, exposées dans leur « nudité ». A cette fin, Lina Bo Bardi a inventé d’élégants « socles-cimaises », constitués d’une haute lame de cristal trempé soutenue par un bloc de béton apparent, au sommet desquels les tableaux paraissaient flotter. Le rapport du spectateur à la collection comme à l’œuvre isolée s’en est trouvé fortement modifié. Le parcours, ni contraint ni imposé, et la neutralité des espaces d’exposition, avaient pour mission de favoriser une confrontation directe, immédiate avec l’œuvre. On n’aura guère poussé plus loin le concept d’une architecture au service de sa fonction d’usage. 22


B/ RELATIONS TENUES ENTRE LES DISCIPLINES DE L’ARCHITEC TURE MUSEALE : UNE QUESTION DE DEFINITION ET D’EQUILIBRE Comme nous avons pu le voir précédemment, pendant les dernières décennies du XXe siècle, les musées et centres d’art contemporains ont connu une vive évolution : redéfinition, modernisation, expansion, en réponse aux attentes des sociétés contemporaines, elles-mêmes transformées. La pluridisciplinarité est considérée comme l’une des innovations les plus marquantes de cette évolution. Elle a contribué au renouveau du concept muséal et a participé à l’invention d’un nouveau genre d’édifice culturel.

1.

L’institution muséale, plusieurs disciplines

Concevoir un musée ne relève-t-il pas d’abord d’un architecte ? Les centaines de musées qui ont vu le jour dans le monde depuis les années 1980 semblent pourtant tirer largement leur image de leurs architectures. Mais si l’architecte sait user de ses talents pour mettre en forme des espaces de relations entre des publics et des œuvres d’art, la complexité grandissante des programmes muséologiques - liée notamment à la diversification des offres et des activités du musée comme nous le verrons ensuite - conduit à l’intégration d’intervenants, de pratiques et de concepts nouveaux dans le processus de conception muséographique. Dans le sens commun, le terme muséologie est utilisé pour désigner tout ce qui touche au musée, et la muséographie se définit comme un « corps de techniques et de pratiques appliquées au musée ». Depuis lors, ces concepts ont évolué au même rythme que l’institution muséale qui s’est transformée considérablement. Ainsi, le nouveau terme de scénographie, emprunté aux arts du spectacle est apparu dans le langage de la conception du musée.

2.

Définitions des concepts liés au musée

Si l’on se réfère à leurs usages les plus courants aujourd’hui, on peut définir ces termes comme suit: Mise en espace et en mots d’un discours, la muséographie est une activité intellectuelle au cœur même du processus de création d’une exposition. Tournée vers l’application pratique, celle qui consiste à définir ou à décrire et analyser la conception d’une exposition (qu’elle soit 23


permanente ou temporaire) dans sa structure, son fonctionnement, elle ne peut se penser sans réfléchir aux contenus, aux objets exposés. C’est aussi le résultat de cette activité : on parlera de la muséographie d’une exposition pour désigner sa conception, son agencement, sa structure mais il convient également de ne pas négliger les conditions de conservation des œuvres quand différents matériaux et supports entrent en jeu. On appelle muséographe la personne qui conçoit et établit le programme muséographique d’expositions et qui souvent coordonne l’ensemble des compétences liées à la production d’expositions. Son rôle peut être tenu par le conservateur du musée, le commissaire d’exposition, ou par un muséographe extérieur. La scénographie regroupe les aspects formels, matériels et techniques de l’aménagement de l’espace d’exposition : cimaises, vitrines, éclairage, couleurs, … La scénographie vient créer une atmosphère, une architecture au sein du parcours muséographique en élaborant une ambiance générale autour du propos, propice à la séduction et à l’information du public. Emprunté au monde du théâtre, le terme renvoie à une représentation du monde dans un espace de jeu et d’interactions. « C’est une œuvre d’esprit, le résultat d’une démarche intellectuelle et artistique ». On ne peut la réduire à de la décoration, qui utiliserait les objets de la collection uniquement en fonction de critères esthétiques. Le recrutement d’un scénographe extérieur, qui peut aussi être muséographe est souvent de rigueur, hormis dans quelques musées d’envergure qui possèdent un service dédié à cela. Mais alors où commence la scénographie et où se termine la muséographie ? La confusion est courante, elle crée même souvent des tensions entre les différents intervenants pouvant aller jusqu’à nuire à la qualité des expositions. Les scientifiques peuvent-ils s’impliquer dans les questions de scénographie et les scénographes peuvent-ils influencer le scénario scientifique de l’exposition ? La question des limites de leurs interventions est assez délicate et les solutions, dépendantes du type de musée, de la nature de la collection, de la taille de l’équipe, et des moyens mis à disposition, se trouvent au cas par cas. Les limites entre les différents termes énoncés ne sont pas toujours très nettes et on constate une certaine perméabilité entre ces concepts. En effet, leur récente évolution, à l’image de celle des institutions muséales qui s’opère depuis quelques années, est encore source de confusions.

3.

La place de l’architecture ?

Georges Henri Rivière, muséologue français, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires à Paris, a joué un rôle important dans la nouvelle muséologie contemporaine et dans le développement des musées à l’échelle mondiale au sein du Conseil international des musées (ICOM). Dans l’un de ses articles, 24


il souligne «l’importance capitale de la priorité du programme muséologique sur le programme architectural, lequel doit traduire en espace le premier, en respectant les fonctionnalités définies, l’affectation des surfaces, les flux de circulation prévus, etc.» ⁵. Cela ne signifie pas que l’architecte n’est qu’un simple exécutant, mettant en forme un concept de musée élaboré par un muséographe, mais c’est dans ce processus de va-et-vient supposé entre les disciplines que le dialogue entre muséographie et architecture prend tout son sens. Pour Rivière, le programme muséographique est suffisamment détaillé pour préciser les différentes unités structurelles du musée, leurs articulations en terme d’espace et de circulation, les surfaces, les exigences essentielles par rapport à la présentation et la conservation des objets,… La programmation architecturale cède donc le pas à la programmation muséologique, qui se targue de hiérarchiser les fonctions, analyser leurs rapports et leurs exigences, tant du point de vue des effectifs que du point de vue matériel, en vue de déterminer des objectifs mieux définis et adaptés aux nouveaux musées contemporains. En définitive, c’est la programmation qui permet aux muséologues de définir plus clairement les objectifs et c’est à l’architecture de proposer une solution structurelle et spatiale au musée contemporain.

⁵ Processus du programme et du

projet pour la construction d’un musée, par G. H. Rivière, 1974

A certaines occasions pourtant, des architectes ont été chargés de mettre en scène eux-mêmes, grâce à leur architecture, les collections. Le Chichu Art Museum (2004, Japon) de Tadao Ando, construit pour et autour d’œuvres de Monet, Turrell et De Maria, ou encore le Museo nacional de Arte Romano de Mérida (1985) de Rafael Moneo Vallès, écrin imposant d’une collection archéologique locale, constituent des exemples rares d’architecture spécifiquement muséographique. Toutefois, comme nous le verrons juste après, de tels partis pris ne sont pas sans risque.

Museo nacional de Arte Romano, Rafael Moneo,Mérida, 1985. 25


Chichu Art Museum, Tadao Ando, Japon, 2004.

Ainsi, les relations entre l’architecte, chargé de la construction d’un musée et son concepteur (muséographe, directeur de musée, ...) sont souvent décrites comme difficiles, voire conflictuelles. Pourtant, les réussites en matière de construction muséale semblent reposer en grande partie sur l’établissement d’un dialogue entre les deux parties, et ce, le plus en amont possible dans l’élaboration du projet. Il s’agit de définir clairement auprès de l’architecte le programme muséologique à mettre en œuvre et de lui préciser les exigences particulières du musée en matière de présentation et de conservation notamment. Ces exigences, qui varient fortement d’une collection à l’autre, sont souvent largement ignorées par les architectes. En effet, dans la réalité des choses, il arrive fréquemment que le bâtiment qui abritera toutes les fonctions du musée, soit conçu, si ce n’est construit, avant que le programme muséographique ne soit même défini. Seules quelques lignes générales : fonctionnalité, superficie, coûts maximums, sont fixés à l’avance ⁶. Le cas particulier des musées issus de concours exacerbe la chose encore davantage : les candidats doivent soumettre un avant-projet sur la base d’un cahier des charges très écourté et de toute évidence, sans possibilité de dialogue avec le concepteur du musée. Cependant, le résultat de ce dialogue architecte–muséographe, prouve au vu de certaines créations contemporaines qui font, semble-t-il, le bonheur des visiteurs, qu’audace architecturale et respect de la fonction muséale peuvent aller de pair. Mais pour une réussite, combien de réalisations qui répondent davantage aux édiles et à leur désir de spectaculaire pour attirer l’attention sur leur ville plutôt qu’aux attentes des conservateurs ?

⁶ La muséologie, histoire, développement et enjeux actuels, par A. Gob et N. Drouget

26


C/ QUEL MODELE D’ARCHITECTURE POUR LES MUSEES DU XXI° SIECLE ? 1.

Les prémices du post-modernisme

Le musée, indépendamment de son propos, s’inscrit dans l’œuvre architecturale et porte donc la marque d’un style, d’une tendance, relatifs à une époque comme toute autre réalisation architecturale. Les musées modernes reflètent ainsi les principes dudit style, à savoir une harmonie entre la structure et la fonction. Mais si dans les années 60 le bâtiment - boîte, à la façade plus ou moins aveugle, s’est avéré être le modèle de prédilection de certains architectes de renom, cette situation va radicalement changer. Dans les années 70, apparaît un nouveau principe de formalisme qui modifie complètement la relation forme-contenu et structure-fonction en vigueur jusqu’alors. Cette nouvelle tendance s’oppose ainsi à l’architecture moderne qui appartient alors déjà au passé. L’époque post-moderne lance une architecture nouvelle qui met sa technique, son langage et ses idéaux au service des musées, tout comme l’avait fait en son temps et à sa manière le modernisme. D’autre part, les années 70 font rupture dans l’évolution muséale en ce qu’elles marquent le début de l’entrée dans l’âge de l’inflation muséale. Ainsi, les musées entrent dans une ère de profonde mutation. Suite aux préoccupations des décennies précédentes, les pouvoirs publics et les professionnels de la culture ont sérieusement réinterrogés les moyens de transformer enfin le musée en ce moteur dynamique, organe vivant de la ville, qu’il n’a jamais vraiment été jusqu’à présent. La solution envisagée est de redéfinir d’abord la hiérarchie de ses missions en insistant notamment sur sa vocation culturelle, reconnue désormais comme centrale. Les deux musées réalisés par Mies Van der Rohe (MoMA) et Frank Lloyd Wright (Guggenheim New York) n’illustrent-ils pas l’hésitation et la tension permanente de l’architecture muséale entre le souci d’offrir aux œuvres d’art un cadre neutre afin de les rendre autonomes et sublimes, et la volonté de faire sens par la mise en scène de l’espace et du public lui-même? Ce débat, a traversé le temps. Il divisait déjà les architectes lors du concours lancé en 1814 pour la Glyptothèque de Munich : Martin Wagner proposait un édifice « sans ornement, strictement adapté à sa fonction » (M. Wagner), alors que Leo von Klenze, vainqueur du concours, l’emporta avec un bâtiment à la façade monumentale et au riche décor intérieur, chaque salle y étant décorée dans un style révélant celui des œuvres exposées. Cette recherche de «consonance formelle entre architecture et contenu, susceptible d’accroître la réceptivité par le vi27


siteur et la qualité didactique de l’exposition»⁷ questionne souvent la modestie de l’architecte par rapport à son acte de création.

2.

⁷ Musées, Architectures 1990-

2000, par L. Basso Paressut, 1999, p. 9-52

Modestie et immodestie de l’architecture muséale

La complexité grandissante du phénomène muséal, son caractère de plus en plus polymorphe et du coup flou, ne peut plus générer de réponse unique à l’heure actuelle. De fait, il arrive fréquemment que des projets dérapent vers une forme de démesure, où la notion d’«archisculpture» et la tendance au déconstructivisme de notre époque, s’expriment pleinement. Certains architectes ont, quant à eux, refusé cette ostentation et ont suivi, à l’inverse, une ligne architecturale plus minimaliste, perpétuant les idéaux de transparence et de simplicité de la mouvance moderne comme le Musée d’art contemporain du XXIe siècle, par Sanaa (2004, Japon) par exemple. Mais cependant, d’une manière générale de nombreux projets récents ont été l’occasion d’une «gesticulation architecturale» de la part de leur architecte. Aujourd’hui, le musée pose une question intéressante aux architectes: celle du rapport entre l’œuvre exposée et l’œuvre architecturale dont ils sont maîtres. S’offrent alors à eux, deux façons différentes de voir et concevoir les choses : produire une architecture agressive de par sa position dominante sur les objets exposés qui par conséquent s’effacent ou une architecture plus discrète, qui aurait l’élégance de ne pas concurrencer les collections exposées. Le choix s’avère effectivement compliqué quand les futurs concepteurs font face en parallèle aux édifices tels que le Guggenheim de Gehry, qui illustre l’impact potentiel de l’institution culturelle quand elle se matérialise comme chef d’œuvre architectural. Ainsi, voilà qu’après une longue période moderniste où le fonctionnalisme, certes peu loquace, triomphait, l’architecture semble désormais vouloir renouer avec le désir de faire parler l’édifice. En effet, combien de bâtiments dits postmodernes cherchent aujourd’hui à afficher, de façon plus ou moins subtile, leur destination et leur existence même ? Mais alors, musée réceptacle des œuvres ou œuvre d’art luimême ? Si l’on constate que dans certains cas, le musée-bâtiment prend le pas sur les œuvres qu’il contient, on doit aussi reconnaitre que la qualité esthétique et le caractère du bâtiment constituent des atouts importants pour un musée à l’heure actuelle. Parfois cependant, une architecture trop marquée peut paraitre lointaine, inaccessible et provoquer un phénomène de rejet. C’était le cas avec les musées néoclassiques, cela peut se reproduire avec l’architecture contemporaine.

3. Constat d’une architecture muséale contemporaine : les deux tendances 28


LA MACHINE À EXPOSER (Form follows Function, L. Sullivan)

Pour certains, le musée spectacle pèche par orgueil et le « geste de l’architecte » est un geste de trop: «Je conçois le musée de l’avenir comme un hangar pourvu de tous les moyens techniques et non comme un monument » ⁸. En effet, les exemples de musées-hangars ne manquent pas : ce sont des bâtiments industriels ou des entrepôts réaffectés en musée, le plus souvent d’art contemporain. Mais ils font foi aussi parmi les constructions nouvelles qui adoptent une structure simple et sans fioriture pour offrir, au muséographe et aux œuvres, de vastes espaces neutres. Emblèmes d’une culture qui prend de plus en plus de pouvoir, ces édifices se targuent de créer et mettre en forme de nouvelles valeurs sociales soi- disant plus acceptables. Tout comme le projet utopique du Corbusier, le musée machine, boîte, entrepôt, se veut flexible, modulable, adaptable aux exigences de la présentation des collections et peut grandir en surface au rythme de l’augmentation de ces dernières.

⁸ Introduction, par JP. Foulon, 2001, dans Architecture et musée, p. 16

Neue Galerie, Mies van der Rohe, 1968.

LE MUSÉE SPECTACLE Pour d’autres, le musée doit être une œuvre d’art, digne des objets prestigieux qu’il contient ; de cette manière, il renforce son activité et contribue aussi à créer un climat de visite tourné vers l’émotion, le plaisir et la délectation. Le Guggenheim Museum de Bilbao (F. Gehry, 1999) est sans doute l’archétype de cette architecture muséale qui se veut sculpture. On peut aussi citer les œuvres déconstructivistes de Daniel Libeskind, comme le Musée royal de l’Ontario à Toronto par exemple. Ses édifices asymétriques en acier et en verre, aux sols penchés et aux murs sans angles droits troublent, déstabilisent et charment les visiteurs. 29


D’une autre manière, le Museum für Kunsthandwerk (R. Meier, Francfort, 1985) est un édifice d’une extrême qualité architecturale. Très largement ouvert sur l’extérieur, il crée une ambiance lumineuse très agréable. Mais pour certains, Meier n’a nullement pensé aux objets et aux collections du musée. Or, il se trouve que c’est lui-même qui en a conçu toute la scénographie, et en particulier les vitrines, dans la même lignée géométrique que le bâtiment. Cependant, cela présente, en effet, l’inconvénient de n’offrir aucune possibilité d’évolution, aux responsables du musée. Toucher à une partie de la structure-scénographie reviendrait à déséquilibrer l’ensemble.

Museum für Kunsthandwerk, R. Meier, Allemagne, 1985.

Ainsi, le musée temple est un sanctuaire, il prône un recueillement devant des œuvres qui n’ont pas encore perdu leur aura, et le musée sculpture est une curiosité ; il est à lui seul une distraction. Durant des décennies, la muséologie et l’architecture ont évolué côte à côte mais souvent séparément. Aujourd’hui encore, certains architectes pensent pouvoir se passer de toute indication au regard des programmes muséographiques qu’abritera leur construction, dans la mesure où, à leurs yeux, l’exposition n’est qu’une notion abstraite et surtout secondaire. Certains muséologues de leur côté, ne participent au projet architectural que pour justifier leurs intentions et pouvoir profiter de leur future notoriété. Dans ces conditions effectivement, l’aspect purement esthétique et architectural l’emporte sur l’exposition et nuit à la présentation des collections. A présent, la situation évolue, doucement, à mesure que les contacts se multiplient entre la muséologie et l’architecture. Il faut nécessairement établir le dialogue pour amplifier le programme, le charger des éléments positifs de la création architecturale et pour, dans le même temps, rectifier les erreurs et les dysfonctionnements du projet. Bâtir un musée, c’est construire une muséographie, c’est interroger la place de l’espace dans sa relation significative avec les contenus qu’il accueille. 30


Longtemps, les musées se sont refermés sur eux-mêmes comme une coquille, préservant leur contenu à une élite: le musée à croissance illimitée du Corbusier est un musée fermé tout comme le Guggenheim de Wright. À l’inverse, beaucoup d’architectes contemporains prônent désormais une architecture muséale ouverte, dans laquelle l’œuvre d’art est un élément de la vie quotidienne. L’intégration visuelle, et parfois physique, du musée dans l’espace public, n’est-ce pas aussi un geste de modestie ? Le Corbusier a dit, avec la radicalité qu’on lui connaît : « Le musée n’a pas de façade, (…) le visiteur ne verra que l’intérieur du musée », or aujourd’hui, on ne voit au contraire souvent que l’extérieur de l’édifice. Un musée, en effet, est souvent une opération prestigieuse et exceptionnelle où l’expression d’une personnalité peut se développer plus que dans d’autres projets et il advient souvent que le contenant (bâtiment, architecture intérieure, scénographie) prenne le pas sur le contenu (collection). La difficulté dans la conception d’un musée, nous l’aurons compris, est de concilier son caractère esthétique et sa fonctionnalité. Elle ne peut être surmontée que par une définition rigoureuse et détaillée du projet muséal en amont et par une attention soutenue de l’architecte à l’égard des différentes fonctions du musée dès le début de sa conception.

31


4.

Etude de cas: La philosophie de Jean Nouvel

Dans « Musées à venir » Jean Nouvel, qui a déjà fait ses preuves dans le domaine muséal (de l’Institut du monde arabe au Louvre Abu Dhabi), et son mentor Claude Parent, qui lui n’a construit aucun musée mais pose un regard critique face à ces grandes machines culturelles, nous offrent bien plus qu’un simple catalogue de projets non aboutis, mais nous dévoilent leur réflexion prospective sur la question du musée. Né de l’exposition présentée du 14 Janvier au 28 Février 2016 à la Galerie Azzedine Alaïa, le propos de cet ouvrage s’articule autour du dialogue entre les deux architectes et huit de leurs projets, croisés, non réalisés, mais qui tout d’un coup à l’occasion de cette exposition, prennent vie. Le dialogue entre les deux architectes s’engage dès 1971, avec leurs participations respectives au concours pour le centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Quand l’un joue le jeu muséal en imaginant un entrelacement de lignes, reflet du caractère pluridisciplinaire du lieu, l’autre s’y refuse catégoriquement et propose un « tumulus urbain planté d’arbres ». Si effectivement, les propositions de Jean Nouvel tâchent la plus part du temps de prendre en compte l’environnement et de s’y intégrer de la manière la plus subtile et juste possible, alors que celles de Claude Parent semblent davantage décontextualisées, il y a toutefois certaines correspondances dans leur conception de l’édifice muséal : à l’instar du projet pour le Guggenheim de Guadalajara proposé par Nouvel, ce monolithe en équilibre incertain au-dessus du ravin évoque sans conteste la décontextualisation théorisée par Parent. Les lignes obliques qui organisent la scénographie aménagée en diagonales, viennent déstabiliser le visiteur en créant une rupture et en empêchant tout cheminement imposé.

Dessin du projet imaginé par Jean Nouvel pour le Centre Georges Pompidou, 1971

Projet imaginé par Jean Nouvel pour le Guggenheim de Gadalajara, 2005 32


Comme tant d’autres architectes actuels aujourd’hui, Jean Nouvel compte plusieurs musées à son actif, déjà réalisés ou en projet. Depuis l’institut du monde arabe à Paris en 1987, Nouvel a signé successivement la transformation de l’ancien charbonnage de Mons-Frameries en musée des sciences, le PASS en 2000, l’extension du Museo Reina Sofia à Madrid en 2001, le musée archéologique de Vesunna à Périgueux en 2003, le musée du Quai Branly à Paris en 2006, et le musée National du Qatar à Daho en 2012. Aussi, le trop fameux Louvre d’Abou Dhabi est en perspective. A cette diversité de situations et de thématiques muséales répond une grande variété de solutions architecturales, dans une volonté de dialogue avec le contexte. Au PASS par exemple Jean Nouvel a laissé les bâtiments de l’exploitation minière en l’état en symbolisant ses ajouts d’un bardage métallique en contraste avec le bêton des structures industrielles. Tandis qu’à Périgueux, le musée est un cube de verre en acier recouvrant les vestiges de la maison romaine. Ce refus d’un « style Nouvel », identifiable au premier coup d’œil se démarque du caractère stéréotypé des réalisations contemporaines d’une Zaha Hadid ou d’un Frank Gehry par exemple, qui, à peu de choses près, construisent toujours les mêmes musées, variant parfois seulement l’échelle. S’agit-il alors d’une autre forme de cette modestie de l’architecte chez Nouvel? Peut-être, mais ce dernier peut aussi être au contraire trop présent comme au Quai Branly où le maître d’œuvre lui a confié une mission vaste incluant la scénographie, voir la muséographie. «La chance de ce projet c’est qu’on connaissait la collection. Et l’autre c’est d’avoir pu avoir toutes les missions, du paysage architectural à la muséographie» Jean Nouvel La polémique autour du Musée du Quai Branly est à cet égard très claire et directe: on a reproché à Jean Nouvel d’être tombé dans une scénographie de parc à thème, privilégiant un imaginaire « exotique », faussement mystérieux (très sombre) et tropical, signalée un peu partout pour son ascendance « coloniale ». Ainsi, dès avant son ouverture, le musée s’est trouvé sous le feu des critiques, particulièrement pour son penchant plus qu’esthétique et la main mise architecturale de sa conception qui porterait préjudice à la compréhension des objets et du propos. Mais le succès populaire du Musée des arts premiers atteste malgré tout que de telles muséographies, toutes outrancières qu’elles soient, n’en suscitent pas moins une large adhésion du public.

Musée du Quai Branly par Jean Nouvel, Paris 2006. Espace scénographique intérieur. 33


PARTIE II/ NOUVEAUX ENJEUX, NOUVELLES ATTENTES, NOUVEAUX CONCEPTS POUR REPONDRE A AUJOURD’HUI ET A DEMAIN Conscients de cette évolution, on se demande naturellement la cause d’un tel bouleversement dans l’architecture muséale. Cette mutation effective des musées du XXIème siècle s’explique dans la transformation de la fonction même du musée qui s’opère depuis ces dernières années. Dès lors, c’est un entrelacement entre des préoccupations économiques, sociales et culturelles qui s’établit et qui semble définir, de manière directe ou non, l’architecture des musées d’aujourd’hui.


A/ LE MUSEE COMME INSTRUMENT DES POLITIQUES URBAINES Depuis les années 80, la culture -et l’institution muséale en particulier- est devenue un instrument de choix pour les puissances publiques dans le cadre de vastes programmes de régénération urbaine. Si la conception d’un musée se fait généralement et avant tout en cohérence avec une collection, elle est également intimement rattachée à un territoire. Ainsi, le choix de l’implantation géographique d’un musée suggère en amont de longues réflexions afin de définir les lieux les plus propices à accueillir ces espaces culturels (bassin de populations, villes en essor, quartiers à développer). En effet, il s’avère que l’implantation d’un musée sur un territoire peut avoir des retombées notables en termes d’image et de redéploiement économique, ce qui n’est pas passé inaperçu auprès des élus des villes.

1. La culture comme moteur économique : l’amélioration de l’image de marque en perspective. UN CONTEXTE DE MONDIALISATION Se faire une place sur la scène mondiale et à moindre échelle La mondialisation, terme apparu au XXème siècle, et dont l’intérêt s’est généralisé au cours des années 90, désigne un phénomène à la fois économique et culturel, résultant notamment d’une libération, et par conséquent, d’une intensification des échanges entre les différents pays du globe. Ce processus s’applique aussi bien à l’économie qu’aux communications (flux d’informations et flux de personnes grâce aux nouveaux transports). Ainsi, il met en connexion, presque immédiate, les villes de ces pays intégrés au système, qui deviennent alors les nœuds d’un réseau d’échelle mondiale. Il s’agit là de la vision d’un monde qui évolue peu à peu vers un « village global » ⁹. Ces nouvelles fenêtres ouvertes entre les métropoles mondiales permettent la diffusion d’images et de modèles (économique, urbain, etc.) et donnent la possibilité aux villes, à la fois de s’autoévaluer, mais aussi et surtout de se comparer entre elles. Il existe à ce jour un panel exhaustif de métropoles, variées de par leur taille, leur « spécialisation » ou leurs ambitions, qui tâchent, chacune à leur manière d’exister sur la scène internationale. Même s’il est fréquent qu’en parallèle la cohésion interne de ces villes soit mise à mal, la visibilité de ces territoires à l’extérieur, à différentes échelles, devient aujourd’hui une exigence. Pour y parvenir, elles se spécialisent, et redoublent d’efforts financiers et communicationnels afin

⁹ The Medium is the Massage, par

Marshal McLuhan 1967 Le titre originel du livre était The Medium is the Message (Le Médium est le Message) mais une erreur lors de l’impression aurait transformé le « e » en « a » : Le Médium est le Massage. McLuhan aurait décidé de laisser le titre tel quel pensant que l’erreur correspondait bien au message qu’il voulait faire passer dans le livre. Aujourd’hui, une interprétation a fait de ce titre un jeu de mots multiple entre « message » et « massage », « Mess Age » et « Mass Age » (l’ère de la confusion et l’ère de la masse, en anglais) 35


de se bâtir une « image de ville » de rayonnement international. La diversification des activités de ces métropoles devient donc un outil de taille dans la concurrence mondiale, et s’oppose au modèle de la ville industrielle monofonctionnelle d’après-guerre, maintenant dépassé. Au-delà des enjeux économiques entre sièges sociaux, d’autres «fonctions urbaines» semblent également être assimilables à la création de liens interurbains à travers le globe. Cependant, si cette pluralité de domaines s’avère être nécessaire, il s’agit également pour les villes de mettre en avant un secteur en particulier, afin de se créer et de véhiculer une image singulière auprès du monde et d’attirer ainsi des investisseurs ou visiteurs potentiels. Ainsi, les regards n’étant plus tournés sur des territoires (continentaux, nationaux) mais sur les entités urbaines elles-mêmes, une lutte s’est instaurée entre les villes, sur les atouts qu’elles pouvaient mettre en avant pour devenir attractives et c’est ainsi qu’a débuté la concurrence interurbaine qu’on connaît aujourd’hui. Les métropoles ne sont alors plus uniquement des pourvoyeuses de services pour leurs habitants, elles sont de véritables entrepreneurs, s’investissent, prennent des risques pour conquérir de nouveaux marchés et attirer des investisseurs, des entreprises, de nouveaux habitants et des touristes. En résumé, de par le contexte de mondialisation, on assiste ces dernières années à un renforcement des dialectiques de concurrence entre territoires et à leur quête acharnée d’attractivité. Les collectivités locales sont mises alors elles aussi en concurrence au sein même du territoire national dans une économie mondialisée. D’autre part, l’augmentation des politiques ségrégatives (jusqu’à la ghettoïsation de certains territoires parfois) pose la question du « comment faire société, du vivre ensemble » ¹⁰. Une certaine conviction humaniste, impose alors la culture comme vecteur décisif de réconciliation et d’éducation pour répondre à la fracture culturelle et sociale corrélée à la fracture spatiale.

¹⁰ Musées en mutation, Un espace public à revisiter Sous la direction de Martine Regourd, 2013, p. 285

LA CULTURE, UNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE La culture au cœur de la ville est une histoire à la fois millénaire et contemporaine et s’applique à bien des domaines. Elle questionne à la fois les fonctions et les ambitions propres à la ville mais aussi celles relatives à l’évolution de nos sociétés, applicables à l’échelle mondiale. A l’échelle urbaine, la culture se manifeste à travers les nombreux équipements qui la diffusent : établissements scolaires, bibliothèques, auditoriums, musées, etc. «Mais il s’agit là de bien plus que d’investissements physiques. La ville doit se montrer innovante, attrayante et créative en matière de style de vie, de culture savante et de mode. » David Harvey¹¹.

¹¹ L’urbanisation du capital, David Harvey, 2004, Actuel Marx, n° 35

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S’il s’avère que l’utilisation de la culture dans les métropoles dépasse la simple intervention architecturale comme nous l’explique David Harvey (un des géographes contemporains les plus importants) dans son étude sur l’impact du capitalisme sur les villes, dans le contexte actuel, on constate actuellement chez un nombre grandissant de métropoles une forte tendance à la requalification des centres villes par le biais des équipements culturels, et des musées en particulier. Aujourd’hui, cette notion de culture est intimement liée au phénomène d’accumulation des ressources humaines et financières au sein des villes. Pour conserver et accroître une économie prospère et connectée avec le monde entier, les métropoles concentrent les capitaux, par le biais des grandes entreprises, des investisseurs, des habitants : travailleurs et consommateurs quotidiens, mais aussi les ‘’idées’’. Pour ce faire, elles doivent se montrer novatrices et capables de produire suffisamment de nouveauté pour être attractives aussi bien sur le plan professionnel que touristique. En effet, un territoire dynamique et productif en termes d’idées et d’innovations est attrayant pour les nouvelles sociétés et les travailleurs, mais suscite aussi la curiosité de touristes potentiels. La ville place alors la culture comme un propulseur des plus efficaces pour son rayonnement et son dynamisme économique, ainsi que sa prospérité future. Ainsi, derrière des premiers idéaux civilisationnels et patrimoniaux, l’expression de la culture dans la ville contemporaine répond à des considérations politiques et économiques mais découle aussi de la concurrence entre capitales ou villes d’importance et semble s’exprimer parfois par simple mimétisme culturel. « Un musée est devenu l’ornement nécessaire de toute ville qui se respecte, et les étrangers pourraient se demander s’il existe un hôtel de ville sans musée. Cette pullulation rapide des collections d’art dans nos provinces est à coup sûr un des plus singuliers phénomènes de ces temps-ci. » Philippe de Chennevières ¹².

¹² Les musées de province, par Phi-

lippe de Chennevières, Gazette des Beaux-Arts, 1865, 118-31

Les musées sont devenus au cours de ces dernières années le moyen privilégié pour une ville d’exprimer ses ambitions et son pouvoir d’innovation. Ils sont aujourd’hui porteurs d’enjeux et d’attentes qui dépassent l’atmosphère feutrée des galeries d’autrefois. Leur impact sur l’économie locale et sur l’industrie touristique notamment, en a fait des attractions phares au service du développement du territoire, en grande faveur auprès des décideurs locaux. En effet, le musée étant un parfait vecteur de symboles et d’idéologies, il devient un instrument au service du pouvoir, une manifestation de l’agir politique d’un territoire et de ses priorités. Utiliser la culture pour exercer une influence n’est pas une idée neuve. Pendant 37


des siècles, les rois de France ont encouragé les arts pour embellir leurs palais mais aussi pour séduire leurs alliés et impressionner leurs ennemis. Plus tard, après la première guerre mondiale, les Etats et spécialement les Etats totalitaires : l’URSS de Staline, l’Italie mussolinienne ou L’Allemagne nazie ont souvent utilisé les arts pour servir leur propagande. En France, les présidents de la Cinquième République ont fait naître la tradition, voire l’obligation d’accomplir une grande œuvre muséale pendant leur mandat. Ainsi, depuis le président Georges Pompidou à l’initiative de cette tradition (avec le Centre Beaubourg 1977), chaque président français (à l’exception des deux derniers en date) s’est investi dans un projet muséal par passion personnelle ou par manœuvre politique mais surtout par souci de faire rayonner la France auprès des autres nations. A titre d’exemple, les Grands Travaux lancés par François Mitterrand - renommé le Président Bâtisseur – dans les années 80 ont donné naissance à des projets d’équipements culturels majeurs tels que la Pyramide du Louvre (1985- 1989) ou l’Institut du Monde Arabe (1987) ou encore la Bibliothèque nationale de France (1994) à Paris mais également dans de nombreuses autres villes du Pays (ex : le Louvre Lens décidé sous le mandat du président Chirac, inauguré en 2012).

Carte des musées de France. Données issues du site data.gouv. fr et provennant du Ministère de la culture et de la communication. Le chiffre de 3 000 musées est souvent évoqué, mais il peut s’étendre à 10 000 si l’on englobe tous les «musées» et lieux d’exposition.

A l’échelle de l’espace urbain, l’usage particulier des territoires et les pratiques locales en rigueur constituent une mise en scène de l’attractivité des villes et contribuent à la fabrication d’une image de ville singulière. La culture devient un outil diplomatique. Ainsi, depuis les années 70, les grandes villes multiplient les projets d’équipements pu38


blics culturels dans un but de promotion internationale face à la concurrence culturelle planétaire (Ex : En 2013 inauguration du Mucem à Marseille l’année où la ville est promue capitale européenne de la culture). LE MUSÉE, EXPRESSION D’UN TERRITOIRE DYNAMIQUE ET ATTRACTIF Au cours du temps, de par son insertion dans la société, par l’estime et le respect qu’il suscite, et l’efficacité de son discours, le musée est devenu un vecteur important de l’action politique, dans le sens le plus noble du terme et œuvre au service d’une idéologie affirmée. L’institution muséale n’est plus un simple lieu de conservation des œuvres, il est un acteur important de la vie culturelle locale voire nationale. Le musée s’inscrit d’abord dans un contexte socio-culturel et économique local et régional avec lequel il interfère directement et priorité. Et même si la dimension politique du projet muséal ne se manifeste pas uniquement au niveau de l’Etat, concevoir un musée exige, d’une part, une réflexion (plus globale) sur l’aménagement culturel du territoire et la définition des ambitions de ce dernier, mais cela suppose aussi, en amont, une évaluation de son contexte international Aujourd’hui, cet entrelacement, cette perpétuelle confrontation des problématiques humaines et culturelles locales avec les enjeux économiques mondiaux, caractéristique de la ville contemporaine (postmoderne) rend indubitablement très complexe la conception muséale. . La mondialisation secoue aussi la culture et touche par conséquent les musées et leurs commanditaires qui doivent aiguiser leurs stratégies pour faire face à la concurrence culturelle locale, nationale puis planétaire. Il s’agit alors pour le musée d’être le plus original possible (de par son propos (expositions) ou son architecture) afin de devenir le plus attractif possible et ne pas souffrir de la concurrence. Mais il lui incombe aussi d’évoquer simultanément l’histoire d’un territoire et ses créations, son évolution. Le choix du nom du musée est également révélateur de cette volonté. En effet, le nom est naturellement le premier élément qui permet d’identifier l’établissement : d’abord l’édifice en tant que tel, son contenu, mais aussi et surtout son territoire. On pourrait citer à titre d’exemple le MUCEM, Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée, situé sur le port de Marseille, premier port français, deuxième port de la Méditerranée et cinquième port européen. Le MUCEM évoque à lui seul Marseille, cette cité qui depuis l’antiquité est un important port de commerce et de passage, ce qui a fait d’elle une ville cosmopolite, lieu d’échanges culturels avec l’Europe du sud, l’Afrique du nord et le proche Orient. Le nom de Musée des Confluences, à Lyon est sans équivoque et réfère « presque naïvement » à sa situation particulière au confluent entre le Rhône et la Saône (Cf. Etude de cas). Ainsi le nom du musée doit-il répondre aux 39


nouvelles exigences communicationnelles liant musées et collectivités locales et marquer l’adéquation caractérisant patrimoine et territoire. En parallèle, si la culture permet de diffuser une certaine pensée politique, les constructions architecturales, comme celles du musée lui donnent de la visibilité, en exposant dans l’espace public ce qui vaut la peine d’être vu et apportent en même temps une plus-value symbolique à la ville. La société publicise ses préoccupations par la forme ; il n’est donc pas étonnant que les élus politiques des villes fassent désormais presque systématiquement appel aux plus grands architectes du moment, les mettant même en concurrence par l’intermédiaire de concours internationaux, afin que ces derniers imaginent et mettent en œuvre un musée à la hauteur des ambitions du territoire en question. Le recours aux grands architectes du temps, surnommés également les Starchitectes, pour la réalisation de ces nouveaux édifices encourage encore davantage cette mise en avant de certains territoires par des événements culturels alors très médiatisés. Ces structures pérennes, conçues par des architectes de renom, que sont les musées d’aujourd’hui utilisent leur programmation mais aussi leur architecture comme médias et mettent ainsi sous les feux de la rampe, un temps donné, un territoire. Dans la mesure où l’identité des villes repose désormais sur ces institutions culturelles, entre autre chose, comment peut-on alors concevoir de nouveaux musées, visibles du monde entier tout en tenant compte des singularités locales ? Le musée comme objet culturel doit répondre à un double défi : un défi urbain, par son rôle de repère dans la ville qu’il vient structurer mais aussi un défi en terme d’image dans la quête de visibilité et d’attractivité des territoires. Le va et vient entre ces deux objectifs questionnent le rôle du musée dans l’espace urbain ainsi que son emplacement et son architecture.

2. La culture comme vecteur d’urbanité : le musée, balise territoriale et communicationnelle. RÉGÉNÉRATION URBAINE ET DÉCENTRALISATION Le musée comme nouvelle polarité dans

la

ville

Comme nous l’avons vu précédemment, depuis les années 80, la place de la culture dans le développement économique des villes a profondément évolué et a pris de l’ampleur. La culture agit désormais comme levier dans un nombre grandissant de requalifications urbaines elle est, de nos jours, l’outil privilégié et largement déployé pour résoudre les problèmes urbains. Considérée comme l’élément moteur du processus de transformation (physique et sociale) des territoires, et notamment des espaces «déprimés» (Cultural Policy and Urban 40


Regeneration: The West European Experience Bianchini et Parkinson, 1993) en particulier, cette régénération culturelle des villes s’est imposée comme LA stratégie de développement urbain, toujours dans une optique de redynamisation et de marketing territorial. Chronologiquement, la régénération urbaine est passée d’une simple rénovation d’équipements et de tissus bâtis alors obsolètes, à une restructuration de la forme urbaine en elle–même, entraînant un renouvellement de l’image et des bases économiques de la ville en question, afin de parvenir à termes à une plus grande mixité et équité sociales. C’est dans le cadre de ces vastes programmes de régénération urbaine que viennent alors s’inscrire les nouveaux musées. En effet, à l’heure où ils sont appelés à la rescousse du développement territorial, ils deviennent les vecteurs d’une image politique de la ville, mais aussi un outil touristique important pour le redéploiement économique : leur rayonnement attire les touristes et les investisseurs et leur implantation, en plus de créer des nouveaux emplois (en particulier dans le domaine du patrimoine), engendre souvent le développement de son périmètre proche par de nouveaux pôles économiques qui profitent de son attractivité : hôtels, restaurants, centres commerciaux ou encore de nouveaux projets de logements. Aujourd’hui, l’enjeu pour les constructeurs de la ville, tels que les urbanistes ou les architectes mais aussi les élus locaux, est de composer avec les nouvelles stratégies concurrentielles visant à placer une ville sur la scène mondiale. Mais la ville moderne que l’on connaît a subi une transformation d’échelle et de spatialité majeure au cours du XXème siècle, certes, à cause du phénomène de mondialisation qui a progressivement modifié l’échelle à laquelle se pense la ville et a complexifié sa planification urbaine mais également, avec l’apparition des politiques de décentralisation. La décentralisation politique d’abord, marquée par le désengagement des Etats et la mise en concurrence des territoires, puis celle de la culture, mettent en avant la prise de conscience des conséquences du développement d’un « centre » unique (ville entière ou centre historique d’une ville) qui pourrait faire basculer l’équilibre socio démographique par son hyper concentration des sources d’attractivité : emplois, savoirs et ressources financières. Ainsi, la culture et les nouveaux musées s’exportent en dehors du cœur historique des grandes métropoles. On se tourne désormais vers les banlieues ou vers les villes de province. Dans les grandes villes, on tâche de sortir du centre et de revitaliser des quartiers en désuétude, souvent trop imprégnés d’une ancienne activité de la ville, la plupart du temps industrielle. Non seulement en raison des politiques de décentralisation, mais aussi dû à la rareté des terrains disponibles (et de leur prix) dans les grandes villes historiques, et par volonté des collectivités territoriales de sauvegarder leurs patrimoines en paral41


lèle, les musées neufs sont le plus souvent construits dans les villes moyennes, même si elles ne sont pas toujours bien équipées pour les accueillir. Dans les grandes cités, les nouvelles institutions muséales investissent généralement les édifices anciens (ex : la gare d’Orsay à Paris) ou les sites/bâtiments industriels (ex : les entrepôts Lainés à Bordeaux ou le musée de la Sucrière à Lyon). Cependant, quelle que soit la position adoptée, elle s’inscrit dans l’intention véhiculée depuis les années 60 de rendre la culture accessible à tous et partout.

Musée Würth, Jacques et Clément Vergély, France, 2008. Construit en pleine zone industrielle, face au siège social de Würth.

Avis d’un anonyme. Source: www.tripadvisor.fr

Par conséquent, le musée contemporain est devenu une sorte d’idéal par lequel les pouvoirs publics espèrent résoudre à l’aide de dépenses pharaoniques : des problèmes d’attractivité et de développement économique, des questions d’aménagement et de revitalisation du territoire, dans des villes sinistrées par les crises à répétition, comme c’est souvent le cas dans les régions industrielles. L’effet Bilbao, chers à certains faiseurs de ville, ne semble pas s’être complètement dissipé depuis la fin des années 1990 au point qu’il fait toujours référence dès qu’il s’agit de mesurer la réussite d’implantation d’un équipement culturel destiné à régénérer un territoire urbain. Nombre de musées, notamment d’art contemporain, aujourd’hui très prisés les élus locaux, obéissent à ces motivations. Ainsi voiton depuis ces dernières années, fleurir par centaines des projets somptueux dans des endroits improbables, souvent excentrés, dans 42


l’espoir que l’implantation d’un musée dans ces quartiers en déshérence aura automatiquement des retombées territoriales positives. Pour parvenir à ces objectifs, le choix du lieu d’implantation du futur musée est complexe et requiert d’être plus stratégique que la simple sélection d’un quartier industriel en déclin aux abords d’un centre-ville. Il paraît dans un premier temps nécessaire de trouver un site dont la surface et/ou la morphologie permette son insertion et, dans un futur proche ou lointain, son développement ou celui de son environnement, dans l’hypothèse où le musée réussirait à atteindre ses objectifs d’attractivité. En effet, la présence d’un musée qui jouit d’une excellente renommée peut faciliter et inciter à l’implantation de nouveaux équipements, qu’ils soient culturels ou non. Cependant, il est important de trouver un site facilement accessible depuis le centreville et pas trop excentré, ne serait-ce que dans l’imaginaire collectif. Il s’agit de trouver alors un juste milieu entre un espace trop près du centre-ville mettant le futur musée en concurrence directe avec les institutions déjà présentes dans le cœur historique, et une situation trop excentrée qui ne lui permettrait pas d’être vraiment attractif et le mettrait en échec par rapport à la revalorisation de son environnement. La situation idéale pour les nouveaux musées est donc un espace un peu en recul mais facilement accessible depuis la ville afin de bénéficier de ses transports en commun, de ses axes routiers et aussi de sa dynamique de centre urbain. Cette position stratégique, profite certes au développement du musée et de son périmètre proche, mais elle lui confère aussi une position d’articulation, de lien avec « ce qu’il y a plus loin » (banlieue proche, campagne, autre ville), ce qui permet aussi à la ville d’étendre, si ce n’est son territoire, au moins son rayonnement. Le musée contribue donc à transformer d’anciens pôles industriels en nouvelle polarité dans la ville contemporaine ; il devient un point de repère, autant physiquement que dans l’imaginaire collectif. Dans les régions marquées par des paysages fortement détruits par l’industrie, notamment, et pénalisées par cette image peu attrayante, l’ouverture à la culture par l’implantation de musées fait désormais partie intégrante des tactiques élaborées par les acteurs en charge des politiques urbaines. Diverses orientations sont retenues par ces derniers : patrimonialisation de l’héritage (industriel) ou volonté de faire table rase sur le passé. Nous pouvons néanmoins souligner que ces choix relèvent d’un même objectif : améliorer l’image de marque des territoires et des villes concernés. Surgissent alors les questions que suscitent les relations des musées avec la diversité de ces territoires, proches ou lointains : installé dans un quartier de centre-ville, comment un musée (municipal ?) se fait-il l’écho de toute la ville ? Et à l’inverse, à quel territoire s’adresse un musée (national ?) situé en périphérie urbaine ?

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RENVOYER UNE IMAGE ESTHÉTIQUE, ATTRACTIVE ET SINGULIÈRE Quand on parle du musée, on pense souvent aux musées « d’Art » alors qu’ils ne représentent qu’une typologie de musée parmi tant d’autres. Mais le musée qui nous intéresse ici, c’est le musée « cultivateur », pour reprendre l’expression de Francis Duranthon, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, le musée « qui laboure son territoire et le rend fertile ». Dans ce contexte de concurrence, de plus en plus rude entre les villes, chacune cherche à véhiculer son image, une image positive afin d’attirer de nouvelles populations. C’est pourquoi, depuis les années 80, les fonctions de marketing et de communication ont pris une place considérable dans le paysage urbain et donc dans la conception muséale : les élus, à travers le musée, cherchent à vendre leur ville en lui donnant une image attractive. La culture et les musées contribuent à améliorer l’image de marque des territoires souvent situés dans les vieilles régions industrielles. En parallèle, l’étiquette architecturale fait vendre un projet et facilite la tâche au public en lui indiquant ce qui est beau à voir. Elle offre aux villes l’occasion d’améliorer considérablement la qualité de leur cadre bâti à partir et autour du projet muséal. Le concept d’image revêt alors ici deux dimensions complémentaires : - L’image interne : celle ressentie depuis l’intérieur de la ville, par ses habitants et les organismes locaux. Elle renvoie à l’histoire, aux symboles et à la perception de l’évolution de la ville. - L’image externe : celle perçue depuis l’extérieur et qui permet de juger de son attractivité. Ainsi, ces nouveaux musées, monuments qui marquent le lieu et le temps par leur seule présence, aspirent à refléter une contemporanéité en perpétuelle évolution tout en s’intégrant dans un contexte historique et architectural singulier. # ARCHITECTURE CONTEXTUELLE, UNE ARCHITECTURE D’EFFACEMENT ?

Ce premier parti pris suppose l’intégration du musée dans une architecture locale, avec la reprise d’éléments qui évoquent le site en question : les matériaux, industriels souvent, puisqu’on l’a vu les espaces urbains encore fortement marqués par l’industrie sont les lieux de prédilection de ces nouveaux musées, réinterprétation de formes architecturales locales, etc. L’architecture finale du musée présente alors des attributs qui sont vraiment propres au lieu d’implantation et rappelle son histoire. Le choix de ce type d’architecture muséale, au-delà de se faire le porte-parole d’un patrimoine local, peut être vu comme un acte politique contre la délocalisation et au service du développement du territoire en question. C’est en tout cas la vision que l’architecte Rudy Ricciotti avait lorsqu’il a imaginé le MUCEM. Son but était de reconquérir un territoire, fort 44


d’un riche passé historique et de remplir de fierté les Marseillais en leur offrant, à travers ce musée une nouvelle vision de leur ville.

MUCEM, par Rudy Riciotti, France, 2013. Le musée est relié par une passerelle à un autre emblême de la ville auquel les locaux sont très attachés: le fort, puis le port.

L’application d’un développement axé sur la culture de la ville dans la conception muséale permet de véhiculer alors l’image d’une ville entière, d’un système de fonctionnement et d’une politique urbaine homogène, plutôt que celle du centre-ville lui-même. Ainsi, les villes tendent à s’autonomiser en diffusant l’image d’elles-mêmes avant l’image de leur pays. Cependant, ce parti pris architectural ne fait pas l’unanimité auprès des architectes ni même auprès des élus locaux. On croirait faussement qu’une architecture pleine de sagesse, respectueuse de l’environnement urbain, parfaitement adapté à son usage ne peut que susciter l’adhésion immédiate de tous les acteurs des politiques urbaines. Au contraire. A trop vouloir se fondre dans l’esthétique environnante plutôt que d’opérer une rupture monumentale avec son contexte, le musée risque de sembler démodé sinon dépassé par les nouvelles formes architecturales de projets naissants qui sont plus à même de représenter la renaissance culturelle de la ville. # ARCHITECTURE « LANDMARK », UNE ARCHITECTURE DE RUPTURE.

Cette stratégie de conception répond à une question récurrente quand il s’agit de l’architecture muséale et de la conception de l’espace urbain en général : comment attirer et retenir les populations sur un territoire ? Ainsi, dans les années 1980-1990, on assiste à la montée en puissance de la communication et du marketing urbain qui vise à promouvoir les territoires et inciter les investisseurs à participer à l’économique locale. Faire circuler une image valorisante, contemporaine et distinctive du territoire devient un impératif et le musée 45


en est l’instrument privilégié. La communication est pensée comme partie intégrante de la conception muséale, pas tant pour valoriser le projet à posteriori mais comme une démarche intégrée à l’action urbaine, toujours dans l’espoir de redorer l’image du territoire. La fonction iconique de l’architecture a été extraordinairement bien illustrée dans le cas du projet muséal du Guggenheim par Frank Gehry à Bilbao en 1998. L’effet Bilbao comme on le surnomme désormais, est né de la rencontre d’un site urbain en pleine transformation, d’une volonté politique, d’une stratégie d’entreprise culturelle et, surtout, d’une architecture provocante. Cette intervention urbaine et architecturale sur la ville de Bilbao s’est particulièrement fait remarquer par son impact sur l’économie de la ville dans son intégralité ce qui, conséquemment, a valorisé l’image de la cité aux yeux du monde entier. Encore aujourd’hui, cette configuration attise la jalousie de certains architectes et le désir d’élus locaux fort nombreux à rêver d’une reproduction de l’expérience. Cet écho est dû au fait que le Guggenheim de Bilbao soit à la fois le conteneur surprenant et provocant d’une exposition et une manifestation chatoyante de son territoire et de lui-même, se signalant aux yeux de tous. L’intérêt dans cette démarche de conception du musée est de donner une nouvelle image de la ville. Elle a pour but d’attiser la curiosité d’un plus grand nombre de populations en marquant d’autant plus les esprits par le contraste apparent entre l’architecture du nouveau projet et le paysage environnant. D’où l’utilisation du terme Landmark: utilisé en géographie, qui signifie point de repère distinctif dans un environnement dense, pour définir ces constructions. Cette stratégie reflète la phénoménologie de l’existence par l’architecture et met en exergue le caractère publicitaire et spectaculaire des architectures muséales contemporaines, destinées à l’identification d’un territoire ¹³.

¹³ Musées en mutation, Valérie Co-

lomb, Maître de conférences en science de l’information et de la communication, architectes DPLG, 2012, p.285

Guggenheim, par Frank Gehry, Espagne, 1997. 46


# UN MIX DES DEUX STRATÉGIES ?

Ainsi, l’architecture muséale balance dans ce «double mouvement de distinction et de rétroaction sur leur contexte d’implantation»¹⁴. Les édifices construisent un rapport complexe avec l’environnement urbain dans lequel ils s’insèrent : ils le réinterprètent afin de produire une architecture qui puisse à la fois l’incarner et s’en démarquer. Si le bâtiment public est une balise urbaine et symbolique, un repère spatial qui contribue à la lisibilité de l’espace urbain, le musée oscille entre une architecture banalisée qui déhiérarchise la fonction muséale au sein de la ville et une esthétique ostentatoire contemporaine qui permet une affirmation de l’institution. Force est de constater que cette dernière tendance devient aujourd’hui une constante dans la réalisation des musées actuels. Ils s’offrent ainsi une plus-value symbolique et font figure d’icônes dans le paysage urbain contemporain. En fin de compte, qu’il s’agisse de la réutilisation du patrimoine industriel ou le choix d’un design particulier, l’objectif systématique poursuivi par les différents acteurs des politiques urbaines interférant dans la conception du musée, est de s’appuyer sur une architecture de prestige capable de véhiculer une image forte de la ville. En ce sens, l’édifice culturel devient un véritable outil des politiques de marketing pour les villes concernées.

¹⁴ Architectures iconiques, les leçons de Toronto, par Guillaume Ethier 2015

New Museum of Contemporary Art, par SANAA, New York, 2007.

L’architecture iconique peut se décrire assez simplement. Il s’agit d’un édifice culturel spectaculaire créé afin qu’une ville se transforme sous cette impulsion nouvelle. De nombreuses villes occidentales ont adopté cette stratégie de régénération urbaine, s’inspirant de l’expérience de Bilbao qui avait su insuffler du renouveau à son territoire d’implantation. Mais au-delà de la stratégie politique et économique à laquelle ils répondent, si les édifices iconiques que représentent aujourd’hui les musées sont emblématiques de la production architecturale contemporaine, ils sont aussi le reflet de la société dans laquelle ils sont érigés. 47


3. Etude de cas, Le Musée des Confluences à Lyon: un remake de Bilbao La genèse projet du Musée des Confluences a particulièrement été influencée par le mouvement de décentralisation qui s’amorce en France dans les années 70-80. L'agglomération urbaine de Lyon est à la recherche d'une dimension et d'une organisation territoriale à la hauteur des métropoles européennes avec lesquelles elle veut rivaliser. Au fur et à mesure que l’espace urbain lyonnais s’étale, la métropole se restructure à travers de nouveaux lieux de centralité: après l'hyper-centre historique que constitue la presqu’île, la Part-Dieu, pôle commercial et administratif, et le quartier Gerland, caractérisé par industrie et le tertiaire, le projet de Perrache et Confluence est la nouvelle grande opération de rénovation urbaine qui permettra un recentrage de la ville sur ce site particulier de confluence entre Saône et Rhône. Bien qu'occupant une place très importante sur les plans géographiques et symboliques, ce site unique qu’est le confluent a été longtemps délaissé, isolé notamment par la gare de Perrache et les axes autoroutiers. Aujourd’hui, ce territoire, en marge jusqu’alors, est apparu comme un site à forts enjeux pour le Grand Lyon. Elément significatif de la porte sud de Lyon et nœud de communication, il s’avère être un lieu stratégique dans la mise en valeur du site fluvial certes, mais aussi un tremplin pour le ré-enchantement prochain de la Vallée de la Chimie. À la fin des années 1990, plusieurs projets d'aménagement urbain se sont succédés pour transformer cette centaine d’hectares de friches industrielles en véritable quartier de ville. Les choix majeurs de ces dernières années ont consisté à redonner à la zone sud de la presqu’île, marquée encore aujourd’hui par son passé industriel, une vie sociale nouvelle. Ainsi, depuis quelques temps maintenant, le touriste de passage ou le Lyonnais de souche, découvre un tout nouveau paysage urbain dans le prolongement du Lyon historique et au bout duquel trône le Musée des Confluences. Cette architecture de Coop Himmelb(l)au, implantée à la rencontre entre les deux fleuves, s’affirme comme un lieu privilégié, symbolisant la convergence des savoirs, des sociétés et des cultures. Ouvert sur un lieu singulier et extraordinaire, le musée fait office de plaque tournante entre l’espace urbain et le paysage environnant, prolongeant enfin de ce fait la ville jusqu’à l’extrémité sud de la presqu’île. Ainsi, le concept architectural du projet vise une continuité entre la ville, le musée et son parc tourné vers la vallée, garantissant alors une transition fluide entre paysage urbain, et paysage naturel. D’autre part, les courbures du bâtiment expriment le dynamisme qui résulte de la confluence entre Saône et Rhône. Dès la fin des années 60, le conseil général du Rhône étend son action culturelle aux musées. En 1991, il signe avec la ville de Lyon une convention de transfert, qui lui confie la création d’un muséum d’histoire naturelle. Le budget culturel du département passe ainsi d’environ 400 milles francs à 10 millions. Tandis que cette collectivité envisage en 1999 la création d’un musée Guggenheim avec le soutien de son maire Raymond Barre, en 2001, une autre version, moins ambitieuse celle-là, sera envisagée sous le mandat de Gérard Collomb. En effet, ouvert au public en 1997, le musée de Bilbao, de par sa couverture médiatique mondiale et les conséquences économiques et urbaines générées, nourrit les espoirs d’autres 48


villes partout dans le monde et devient un modèle de concept pour l’architecture muséale : se faire visible par une spectacularisation de la forme. Le Musée des Confluences à Lyon ne fait pas exception à la règle et présente de nombreuses similitudes avec le projet de Bilbao. Le contexte et le lieu d’implantation du musée rappellent déjà ceux de la ville espagnole: une ancienne zone industrielle aux abords du centre-ville, sur les rives de la Ria Nervion. Tout comme Lyon et sa vallée de la chimie, ce fleuve côtier serpentant sur une douzaine de kilomètres jusqu’à la mer, offre les meilleurs terrains, c’est-à-dire les plus plats, occupés très tôt par les activités portuaires et industrielles. Par ses formes arrondies et déconstruites, ses matériaux typés industriels, l'utilisation des 4 éléments et son esthétique générale, le Musée des Confluences semble aussi vouloir tendre à reproduire la célèbre architecture de Frank Gerhy. Mais la conception du musée Lyonnais tient d’abord compte des réalités du site dans lequel il s’inscrit, de son emplacement dans la ville et du programme qui lui a été fixé, ce qui pourrait justifier la création de cet édifice hybride. Le bâtiment, aux dimensions grandioses, se compose de trois grands éléments : le cristal, qui définit le hall d’entrée, vitré, transparent, ouvert sur la ville et sur le paysage environnant, le nuage, tout en mouvement, conçu pour recevoir les expositions, en suspension au-dessus de la base, et enfin, le socle, contenant l’ensemble des autres espaces et regroupant tous les équipements techniques. Pour le Musée des Confluences, la logique de communication et de symbole a présidé au choix du terrain qui se devait d’être singulier, autant que peut l’être le confluent entre le Rhône et la Saône. Le caractère exceptionnel du lieu appelle alors une architecture remarquable, comme un déterminisme de site. Ainsi, les quelques arguments sur les logiques urbaines ou opérationnelles ont été peu soutenus alors qu’en revanche, les critères sur l’impact de l’architecture et de son image sur l’identité du territoire ont été centraux dans la conception du musée. Le département du Rhône, initiateur de la renaissance de l’ancien musée Guimet d’histoire naturelle de Lyon, a effectivement eu pour volonté de lui offrir un bâtiment à l’architecture ambitieuse et aérienne. Ce geste est bien à la fois culturel et politique. Evidemment, « l’effet Bilbao » ne peut être nié puisque d’ores et déjà, le bâtiment tend à devenir un des emblèmes de la ville de Lyon, mais a-t-il autant d’impact ? Il n’est pas sûr que cet étrange vaisseau spatial comme cabossé par un accident d’atterrissage, qu’est le musée des Confluences devienne un jour le symbole de la ville de Lyon. Beaucoup critiqué lors de sa construction et dénigré lorsque le public a eu vent de son surcoût démesuré, le musée, aujourd’hui actif depuis quelques années, ne fait pas l’unanimité auprès du public et ne semble pas générer encore une nouvelle dynamique urbaine, potentiellement durable. Il n’en reste pas moins vrai que cet édifice, posé au confluent du Rhône et de la Saône, est une magnifique réussite du courant déconstructiviste de l’architecture postmoderne. Ce musée est qualifié cependant de porte de Lyon par son caractère structurant et symbolique sur la ville. Cette qualification participe encore davantage à la survalorisation de l’hyper-centre qui symbolise à lui seul l’agglomération mais il est tout de même plus flatteur de dire que l’entrée de Lyon est un musée plutôt que le couloir de la chimie. 49


Musée des Confluences, positionné à l'extrémité sud de la presqu'île lyonnaise, tourné vers la vallée de la chimie, continuité entre la ville et le parc, par le musée, par Coop Himmelb(l)au, France, 2014.

Accueil Confluences, par Coop Himmelb(l)au, France, 2014.

Accueil Guggenheim, par Frank Gehry, Espagne, 1997. 50


B/ LE MUSEE COMME INSTRUMENT SOCIAL Les musées, de plus en plus nombreux, rivalisent pour attirer toujours plus de visiteurs. Une compétition permanente d’installe entre eux mais aussi avec les autres établissements voués à la culture et aux divertissements : publics ou privés, populaires ou élitistes, petits ou grands, les lieux de consommation culturelle se multiplient dans l’espace urbain. Les habitants et les visiteurs occasionnels se retrouvent submergés par l’offre débordante de loisirs divers et variés. Ainsi, dans ce contexte concurrentiel, les musées s’ingénient à proposer une offre originale à la fois exigeante, accessible, savante et ludique tout en s’efforçant de répondre aux nouvelles attentes de notre société.

1.

Le musée comme outil de démocratisation culturelle.

LE MUSÉE, UN INSTRUMENT SOCIAL Bien qu’obnubilés par des questions de fonctionnalité, les musées ne se pensent pas uniquement comme une réponse concrète à un problème d’aménagement. L’implantation d’un musée sur un territoire est souvent perçue en charges d’investissements que cela représente mais elle engendre pourtant un impact économique et social bénéfique non négligeable sur son environnement. La création d’un musée est un atout économique indéniable, grâce notamment aux retombées directes de la billetterie, voire de la boutique, ou du restaurant, qui sont des gains directs pour la ville mais aussi grâce aux multiples emplois qu’elle génère de façon directe ou indirecte : gardiens, hôtesses, métiers liés au patrimoine, emplois de la restauration, et de la vente, etc. Cependant, l’institution muséale répond à une ambition plus haute et plus noble, qui transcende le simple outil fonctionnel : elle est investie d’un rôle social. Par son identité même et les missions qui lui sont conférées, le musée est générateur de « société » et de liens entre les populations. En effet, l’institution muséale a pour fonction principale celle de transmission de génération en génération, de diffusion d’un patrimoine et des valeurs symboliques sur lesquelles il repose : expression d’une identité locale, régionale ou nationale. En parallèle, le musée se veut un espace de plaisir et de sérénité grâce aux collections qu’il expose ; c’est là sa vocation culturelle stricte et, initialement, désintéressée. Par ailleurs, l’implantation même du musée au cœur de la ville reflète cette volonté d’un accès démocratique à la culture et de son intégration pérenne à la vie de la cité. En effet, face à une fracture sociale qui prend de l’ampleur, le musée ne peut plus être pensé uniquement comme un lieu de re51


¹⁵ Diversification et activités com-

cherches, réservé à un petit nombre de privilégiés. Il tente de s’affirmer aujourd’hui comme un lieu où se nouent de nouveaux liens sociaux, un espace catalyseur et promoteur de lien sociétal ; et de fait, il est devenu un instrument de politique sociale et de développement ¹⁵. Autrefois issu du regroupement de différents cabinets de curiosités et autres collections privées appartenant à une élite, le musée était seulement accessible, au mieux, à un public d’initiés. Aujourd’hui, où l’on recherche l’accès à la culture du plus grand nombre ¹⁶, force est de reconnaître que les institutions muséales n’attirent encore que certaines classes de la population et cherchent activement à élargir leur public.

merciales dans les musées : une comparaison internationale, par Denis Bayart et Pierre-Jean Benghozi. Rapport de recherche rédigé pour le Ministère de la Culture, Juin 1992, Centre de Recherche en Gestion de l’École Polytechnique, Paris

¹⁶ Article 2 de la loi du 4 Jan-

vier 2002 relative aux musées de France : Les musées de France ont pour missions permanentes de: a) Conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ; b) Rendre leurs collections accessibles au public le plus large; c) Concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture; d) Contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.

Quels moyens d’action et de sensibilisation ces structures culturelles peuvent-elles inventer et mettre en place pour prohiber l’exclusion d’une partie de la population et honorer leurs missions précisées dans l’article 2 de la loi du 4 Janvier 2002? QUELS ÉCHOS AUPRÈS DU PUBLIC ? # « MUSEOMANIA » CHEZ LE PUBLIC

La fréquentation d’un musée est une donnée essentielle afin de juger de l’importance de ce dernier et de son attractivité au sein d’un espace urbain. Ainsi, de nombreuses études sont réalisées chaque année, menées notamment par la direction générale des patrimoines du ministère de la culture. Celles-ci ont révélé d’ailleurs que depuis une vingtaine d’années, la visite du musée est devenue une pratique culturelle plus démocratique qui s’est étendue à toutes les classes d’âge, sur tous les territoires. L’ob52


jectif de l’institution muséale défini par la Loi du 4 Janvier semble alors se réaliser, même si de grandes disparités demeurent encore. En effet, les musées sont aujourd’hui confrontés à une Museomania (muséomanie : fait de société apparu dans les années 80) de la part des publics, qui, en une vingtaine d’années, a fait doubler leur fréquentation. La hausse du niveau de vie, le développement du temps libre, la baisse des coûts des transports et l’ouverture des frontières peuvent expliquer cette augmentation des flux touristiques à laquelle on assiste depuis quelques années. Pour avoir un ordre d’idée, le tourisme international est passé de 25 millions de personnes en 1950 à 500 millions en 2000, 900 millions en 2008 à plus d’un milliard en 2012 et il augmente encore. Comment expliquer un tel phénomène? Aux raisons citées précédemment, il faut certainement ajouter les programmations et les expositions très médiatisées, les politiques de réhabilitation des grands musées légendaires : Louvre, Musée d’Orsay, British Museum, Metropolitan Museum of Art, etc … qui attirent toujours les foules, et l’impact de certaines mesures tarifaires probablement.

Diagramme de l’évolution des entrées totales des cinq musées nationaux français accueillant plus d’un million de visiteurs chaque année. Source: Fréquentation des établissements publics sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication: 34 millions d’entrées en 2009.

Près de cinquante ans après la publication de L’amour de l’art ¹⁷ par Pierre Bourdieu et Alain Darbel qui s’interrogeaient déjà sur la nature des publics des musées et leurs motivations à fréquenter ces institutions culturelles, les nombreuses études sur le public des arts et sur les pratiques culturelles identifient un nombre restreint de facteurs associés à la fréquentation des musées d’art.

¹⁷ L’amour de l’art. Les musées d’art Européens et leur public, par P. Bourdieu et A. Darbel, 1966.

# UN ATTACHEMENT SYMBOLIQUE ET UNE CONSOMMATION RAISONNÉE

En premier lieu, les musées répondent à une demande sociale qui voit dans ces institutions des valeurs sûres et un moyen de trouver des références et des repères que le monde et la société d’aujourd’hui détruisent. Le présent est instable, le futur incertain, replonger dans un passé idéalisé, en quête d’un art de vivre oublié peut être tentant. Rappelons aussi que le musée a pour objectif prin53


cipal de réunir les différentes cultures et les différentes populations. Réceptacle d’une rencontre poétique et éducative entre l’œuvre et les spectateurs, le musée inspire la paix; il a pour vocation d’éclairer les similitudes et les différences de culture, ce qui anime et soude les êtres. Il génère ainsi auprès des populations un réel attachement, un engouement symbolique pour cette « noble » institution. D’autre part, un des facteurs qui pourrait expliquer cet accroissement de la fréquentation, serait l’augmentation de la consommation des ménages d’aujourd’hui, liée à une amélioration, somme toute relative, du niveau de vie. En effet, les consommations culturelles occupent une place croissante dans les dépenses des ménages. Depuis les vingt dernières années, ce domaine a connu, après celui de la santé, le taux de croissance le plus fort. Pourquoi ? Pour beaucoup, cette dépense n’est pas qu’économique, notamment en raison de ses résonances symboliques et idéologiques. La consommation culturelle dans l’esprit collectif représente une dépense moins « culpabilisante » que du simple shopping par exemple, dans le sens où elle permet de s’émerveiller et de s’instruire de manière plus ludique. En effet, certains voient dans cette ruée pour les musées un désir de liberté, une réaction contre l’enseignement traditionnel et un besoin d’autodidactisme guidé par une grande curiosité. Paradoxalement à cette consommation individuelle visant à s’auto-éduquer, on assiste à l’apparition d’une consommation culturelle plus collective : les individus cherchent avant tout à partager une émotion et privilégient alors la dimension collective de l’institution.

Répartition de la fréquentation des établissements en 2009. Source: Fréquentation des établissements publics sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication: 34 millions d’entrées en 2009. # LE TOURISME D’ARCHITECTURE

Aujourd’hui, les réalisations contemporaines, et celles des musées en particulier, viennent de plus en plus marquer visuellement les grandes métropoles à travers des projets toujours plus 54


audacieux et clairement revendiqués comme tels par leurs concepteurs. Ces grands architectes mondialement connus et reconnus, nouvelles stars contemporaines de l’art , attirent les foules en créant l’événement. Ce phénomène récent, qui marque la fin du XXe et ce début de XIXe siècle, a généré une nouvelle motivation touristique: le tourisme d’architecture contemporaine ou l’ « architourism ». Le terme d’ « architourism » pour qualifier ce type de pratique touristique récurrente dans les pays anglo-saxons, est apparu pour la première fois, en 2002, lors de l’exposition « Architourism : Architecture as a Destination for Tourism » (Architourism : l’architecture comme destination touristique) au Temple Hoyne Buell Center (Columbia University New York). C’est, semble-t-il, la recherche de l’authentique, l’exotique, le spectaculaire ou l’évasion, ces quatre thématiques prônées par l’architecture contemporaine qui motivent le touriste et sont susceptibles de lui faire entreprendre ce voyage. Ce phénomène du XXIe siècle, impulsé par L’effet Bilbao de 1997, démontrant la capacité d’un projet architectural imposant à susciter une nouvelle économie touristique, marque un tournant décisif pour l’architecture contemporaine qui s’est vue dès lors investie de ce rôle. L’« architourism », transforme les réalisations de l’architecture contemporaine en destinations touristiques potentielles et l’audace et le talent de leurs concepteurs font de ces musées contemporains, les cathédrales du XXI ème siècle. # UNE ÉDUCATION ET UNE OUVERTURE À LA CULTURE PLUS ACCESSIBLE

Suite à la loi du 4 Janvier 2002, le musée est désacralisé, démystifié et son architecture moins intimidante qu’elle pouvait l’être encore jusqu’ au milieu du XXe siècle et devient donc plus accessible. Le public, qui subit l’abattage médiatique, franchit de plus en plus la porte du musée et se diversifie. Aujourd’hui on distingue généralement trois grandes catégories de visiteurs: - Le Grand public : qui définit le public dans toute son hétérogénéité. Il correspond à un ensemble très diversifié de visiteurs, à la fois locaux et étrangers, de toutes nationalités et de tous milieux sociaux. Il comprend aussi le public familial qui vient en petit groupe. - Le Public spécialisé : composé d’amateurs érudits, d’étudiants ou de chercheurs qui disposent déjà de connaissances qu’ils viennent approfondir, en accédant aux collections du musée. - Le Public scolaire : qui désigne les groupes d’enfants et d’adolescents venant au musée à l’occasion d’une sortie scolaire dans le cadre d’activités d’apprentissage et/ou de détente. Pour le musée, remplir efficacement ses missions, telles qu’elles ont été définies selon l’arrêté du 4 Janvier, exige de connaitre, voire de choisir le public auquel il s’adresse. Cependant, à l’heure actuelle, rares sont ceux dont le projet est explicitement ciblé sur un public précis. La plupart des musées ne se soucient pas de privilégier une 55


partie du public et préfèrent viser une population aussi large que possible dans l’espoir d’accroître inlassablement leur fréquentation. Ainsi le public continue d’affluer au musée. Il est attiré par des expositions qui lui parlent davantage car elles sont en rapport avec la société et la culture modernes qu’il connaît ou tout simplement parce qu’elles sont plus à sa portée grâce à des scénographies qui s’éloignent de l’accrochage traditionnel et immergent le spectateur dans l’univers historique et social de la dite collection. La vulgarisation de la culture dans sa forme de diffusion pédagogique et ludique des connaissances a également rendu le savoir plus abordable et attrayant pour un public non-expert comme les enfants, qui rechignaient à aller au musée quand il était encore trop élitiste. La proposition « participative » de certains musées (ex : panneau d’expression pour les visiteurs, livres d’or, etc.) dans le but de favoriser ce contact avec le public en le plaçant au centre de la proposition expo- graphique, les rend d’autant plus attractifs. D’un point de vue pratique et concret, l’amélioration de l’accessibilité physique au musée a elle-aussi contribué à l’augmentation de sa fréquentation. Tout d’abord, comme nous l’avons vu précédemment, le musée contemporain se situe généralement dans un lieu stratégique par rapport à la ville. Situé non loin du centre, le musée est à minima relié au reste de l’espace urbain par les réseaux de transports en commun. Plus en retrait, il se trouve généralement près de grands axes routiers qui le desservent directement et facilitent ainsi l’accès des visiteurs extérieurs. Enfin, la multiplication de ces édifices culturels sur la totalité du territoire permet d’imaginer qu’il y a toujours un musée à proximité d’où que ce soit, ce qui fait que même les populations les plus excentrées y ont accès sans avoir à parcourir d’innombrables kilomètres. Par ailleurs, avec les nouvelles mesures règlementaires des pouvoirs publics comme la mise en place de l’agenda d’accessibilité programmée (Ad’Ap), les personnes à mobilité réduite voient de plus en plus souvent leur accès au musée facilité et gagnent en confort (installation de rampes ou d’ascenseurs). Ces interventions profitent également aux personnes âgées et aux familles avec poussettes et permettent ainsi de mettre un terme définitif à l’exclusion involontaire de ces populations. Enfin la question de la gratuité pour certaines catégories de visiteurs joue une part considérable dans la croissance de la fréquentation des musées. La modulation des tarifications pour y accéder fait partie des dispositifs mis en place dans l’optique de démocratiser la culture. L’instauration de cette politique qui ouvre le musée à un panel social élargi : étudiants, enfants, enseignants, personnes âgées, chômeurs, familles nombreuses ou encore les tarifs de groupe, a favorisé le développement d’une familiarité du public avec le musée et en a rendu possible l’accès aux catégories sociales les moins favo-

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risées. Toutefois, la gratuité ne suffit pas à renouveler les publics et profite souvent aux visiteurs déjà adeptes du musée. Il faut donc déployer d’autres actions pour étendre encore le nombre des visiteurs. Depuis les années 80, une pression grandissante s’exerce sur les musées pour qu’ils attirent de nouveaux publics. Il apparait donc important de mieux connaître les motivations des visiteurs grâce à des analyses sur la fréquentation de ces musées, ces dernières servant aussi d’outils de communication interne et externe vis-à-vis des médias. Cependant, ces institutions restent vues encore par une infime partie de la population. La plupart des gens ne profitent de ces bâtiments que depuis l’extérieur et peu nombreux sont ceux qui ont la chance de pouvoir y pénétrer malgré les efforts pour attirer un plus large public.

¹⁸ La mort vive, par Fernand Ouellette, 1992

“Les musées sont les endroits les plus vivants du monde. On dirait une concentration d’humanité”. Fernand Ouellette ¹⁸ C’est pour nous autres, architectes, un véritable défi que de faire qu’ils deviennent pour le plus grand nombre comme pour le poète canadien Fernand Ouellette : « les endroits les plus vivants du monde », « une concentration d’Humanité ». Comment proposer une offre bien conçue et originale à même d’attirer et d’accueillir un public hétéroclite et nombreux, à une époque où la mode est au renouveau permanent ? Quelles actions de proximité les institutions muséales peuvent-elles mettre en place pour promouvoir l’intérêt de la citoyenneté dans les valeurs patrimoniales ?

¹⁹ Musées en mutation, un espace

2.

public à revisiter, sous la direction de Martine Regourd, 2012

Un « espace public à revisiter » ¹⁹

L’espace du musée influence les comportements physiques du public. Le lieu devient alors un cadre dans lequel les pratiques des individus vont s’inscrire. Chaque comportement déployé par l’individu traduit l’expérience et la relation qu’il entretient avec l’espace dans lequel il se situe. Mais cette relation va bien au-delà : vers des échanges et des rapports mutuels. L’institution quitte progressivement son statut d’autorité pour tisser un lien de proximité avec un public qui ne se limite plus aux visiteurs à proprement parler mais s’étend à tout un chacun, même à distance, du moins c’est son objectif. Elle essaye de s’adresser à tous les publics et s’attache à répondre aussi bien que possible aux nouvelles attentes des visiteurs. Pour bien accueillir ces dizaines de millions de visiteurs annuels, toujours plus nombreux et exigeants, des dispositifs et des actions ciblées ont été adoptés. Chaque musée de France dispose désormais d’un service ayant en charge les actions d’accueil des publics, de diffusion, d’animation et de médiation culturelles.

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Publicité pour le Musée l’Homme, Paris, 2015

LE MARKETING AU SERVICE DE LA MÉDIATION : VERS L’ENTREPRISE CULTURELLE ? Les missions sociales du musée, et en particulier sa vocation démocratique, impliquent que les responsables ne peuvent se contenter des visiteurs qui fréquentent spontanément le musée : il faut accroître, fidéliser et diversifier le public et attirer désormais le « non-public », celui qui n’a pas pour habitude d’aller au musée. Il doit alors mettre en œuvre une politique volontariste qui va vers le public, qui cherche à gagner celui-ci à sa cause, à l’attirer, puis le faire revenir. Cette ouverture vers le public, le musée la concrétise d’abord à travers une politique de communication adéquate, qui traduit sa volonté d’ouverture, d’accueil, une image qui invite le visiteur. Cette pratique se répand rapidement dans les musées, et s’accélère dans les années 60 : les musées doivent émerger dans un environnement désormais concurrentiel. Dès lors, la médiation, l’une des trois missions assignée aux musées par l’ICOM, se double d’un objectif de communication. # COMMUNICATION AUTOUR DU MUSÉE

Il semblerait que le développement des médias explique en grande partie le phénomène de mutation des musées puisqu’il induit considérablement l’augmentation de leur fréquentation. Aujourd’hui, la médiation est un des aspects essentiels de la vie des musées et nombreux sont ceux qui possèdent un service lui étant entièrement dédié. Ainsi, la communication est devenue une préoccupation centrale dans ces établissements. La collection du musée est faite pour être connue, les enrichissements de ces collections méritent d’être communiqués. Communiquer c’est aussi faire connaître la spécificité d’un musée, son positionnement par rapport aux autres musées. C’est affirmer l’identité de son territoire mais c’est aussi le moyen de faire en sorte que les habitants du territoire en question de reconnaissent dans leur musée. 58

de


Malgré des réticences déontologiques d’usage de l’institution vis-à-vis du marketing, les musées le pratiquent en fait depuis très longtemps à travers leur boutique de souvenirs d’abord, et ses produits dérivés qui font office d’ambassadeurs et contribuent à sa notoriété (surtout quand ils sont offerts), mais aussi à travers le design graphique. Dès le début du XXème siècle, certains d’entre eux sollicitaient déjà des graphistes pour leurs affiches. Quelques musées se lancent alors dans des campagnes publicitaires ambitieuses dans l’optique de conquérir de nouveaux publics, notamment ceux qui naturellement n’osent pas franchir les portes de ce type de lieu culturel. Grâce à des phrases d’accroche pertinentes ou des références cultes, et délivrant généralement un aperçu plus clair du contenu de l’exposition, les publicités ont pour ambition de renouveler l’image du musée. Placardées dans des lieux stratégiques comme le métro ou sous forme de grands panneaux d’affichage près des axes routiers, et répandues sur tout le territoire, elles touchent un maximum de monde et incitent à la visite les publics locaux comme les visiteurs étrangers.

Publicité pour le Musée d’Orsay, Paris, 2015

Les sites internet des musées et leur apparition en parallèle sur les réseaux sociaux témoignent aussi de cette volonté de dialogue et d’échange dans le quotidien. L’institution se met à l’écoute du public, notamment d’un public jeune et dynamique, qui peut contribuer par ses commentaires ou par ses suggestions, à faire évoluer le musée. Mais surtout, Twitter, Youtube, Instagram, et Facebook sont devenus des outils de communication privilégiés pour les musées car ils permettent de diffuser des informations rapidement, à un large public.

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«Inspirant et magnifique @CentrePompidou !! J’aime Paris. Je me sens tellement éclairée», Tweet de la célébrité Kim Kardashian à propos du Centre Pompidou lord d’un de ses passage à Paris, 2017.

Mais la volonté d’ouverture des musées se manifeste le plus souvent dans des actions plus spécifiques et ponctuelles qui les insèrent davantage dans la vie sociale. Parmi ces événements médiatiques figurent notamment les expositions temporaires, faciles et populaires. Elles constituent désormais un des moyens privilégiés pour attirer les visiteurs et relancer leur intérêt. Elles sont d’ailleurs largement soutenues par les élus qui trouvent à travers ces actions médiatiques porteuses l’occasion de toucher de façon répétée un large public. La culture devient même un alibi pour créer des événements qui attirent l’attention des médias et par conséquent, suscitent l’intérêt du public et l’amènent à fréquenter le musée. # UNE ARCHITECTURE MÉDIATIQUE ?

Aujourd’hui, les musées contemporains sont aménagés et pensés pour être plus attirants. L’architecture même de l’édifice est conçue dans l’objectif de plaire au plus grand nombre de par sa modernité, de séduire et de faire parler d’elle. « A l’heure de la circulation en temps réel des données, l’architecture semble bien au contraire définitivement passée de l’autre côté de l’écran. La plupart des bâtiments conçus […] ne sont pas des machines à communiquer, mais l’objet même de la communication. Ce ne sont plus des supports d’image, comme dans les années quatre-vingt-dix, mais des icônes en soi, imaginées, dès l’origine, de manière à circuler dans les revues et magazines, à la télévision et sur Internet ». Valéry Didelon ²⁰

²⁰ L’architecture crève l’écran, par Valéry Didelon, in Criticat n°5, mars 2010, p.110-121

La notion d’architecture médiatique devait à l’origine élargir le terme classique d’architecture. L’idée n’est pas nouvelle; elle date du début du XXe siècle mais est réellement devenue populaire dans les années 70 quand on a commencé à réfléchir à la manière de promouvoir et mieux coordonner la vie en société. Comment peut-on, grâce à l’architecture, créer des espaces sociaux et des identités urbaines ? Aujourd’hui, on parle davantage d’architecture médiatique quand elle est associée à des technologies modernes. A l’instar du projet culturel Greenpix en Chine ou du musée Kunsthaus à Gratz en Autriche, les 60


façades des bâtiments, ici lumineuses, composées et animées par des LED, se suffisent à elles-mêmes pour « communiquer le musée » au reste du monde. Sans aller nécessairement jusque dans ces excès, il semblerait que l’architecture muséale, ou du moins son esthétique extérieure, tende désormais à se suffire à elle-même pour attirer les foules. En effet, au sortir de la première guerre mondiale, au-delà de l’identité culturelle, naît la notion d’identité visuelle. Aujourd’hui, suite à l’émanation du marketing, cette identité visuelle s’exprime sous la forme de logos. Qu’attendent les élus de nos jours lorsqu’ils décident de l’implantation d’un musée dans leur ville ? Ils espèrent le prestige, une visibilité et un rayonnement toujours plus grands, mais surtout, ils aspirent à redonner une image plus dynamique de leur territoire. A l’heure où les marques tiennent lieu d’identité dans notre société, un logo explicite et design semble incontournable pour atteindre ces objectifs et envisager l’appropriation de cette identité par le public. Il est intéressant de voir alors que les logos des musées évoquent souvent de manière sensible le lieu, ou l’architecture des lieux culturels qu’ils représentent. Le Centre Pompidou (cf. Etude de cas) est ainsi symbolisé par une représentation stylisée de sa façade tandis que le logo du Louvre évoque de son côté l’expérience visuelle (imaginaire) de la pyramide, s’ouvrant sur le ciel de Paris. Dépassant alors son statut d’outil de médiation (outil de communication), l’architecture du musée devient un outil médiatique (outil communicant) en réponse aux nouvelles exigences de notre société contemporaine.

Logo Musée Guggenheim, New York, 1959. Logo Musée Beaubourg, Centre Pompidou, Paris, 1977

En définitive, il s’agit pour le musée de s’ouvrir vers le public, de lui présenter une image plus avenante et de l’accueillir. L’image rébarbative des musées d’autrefois, plus classique, qui pouvait rebuter un large public est révolue. Il s’agit maintenant de rendre le musée plus vivant, de l’animer, de lui donner un nouveau souffle. Toucher un public n’est cependant pas chose facile. Une approche simplement axée sur le marketing n’est pas suffisante : la publicité, la promotion ne séduiront pas durablement un public plus large si le « produit-musée » n’est pas lui-même modifié. 61


²¹ Dictionnaire des politiques cultu-

« NOUVEAUX PUBLICS, NOUVEAUX LIEUX, NOUVEAUX CONTENUS » ²¹

relles de la France, par Waresquiel 2001.

Ce slogan résume à lui seul les nouvelles orientations du musée. Pour être en mesure de diffuser la culture au plus grand nombre, les musées ont dû s’adapter et évoluer de manière à accueillir une population grandissante. La fonction du musée s’est modifiée au cours du temps et il est évident que les visiteurs n’y cherchent plus les mêmes choses. En conséquence, le musée n’offre plus les mêmes services et dépasse la simple activité de préservation et de présentation de la culture. Le public devient alors l’instrument de mesure de la performance culturelle tout en étant le destinataire d’une offre de produits et de services en développement continu. La programmation architecturale d’un nouveau bâtiment doit donc intégrer aujourd’hui les différentes formes d’interventions organisées et imaginées suite à cette démultiplication et diversification du public contemporain. # EMPLACEMENT, AMÉNAGEMENTS EXTÉRIEURS, PARVIS

Comme évoqué précédemment, l’emplacement du musée doit être optimal. En sa qualité de symbole d’une ville, il doit si possible disposer d’un emplacement central, mais il est difficile de créer un nouveau musée dans un centre déjà saturé. Si ce décentrement des musées peut parfois poser des problèmes (connexions avec le centre-ville par exemple), il contribue néanmoins à la structuration de nouveaux espaces péri-urbains, mais surtout, il engendre souvent la naissance d’un nouvel espace public dynamique dans la ville. En parallèle, lorsqu’on interroge les visiteurs sur place, il apparaît qu’un certain nombre, pour ne pas dire la majorité d’entre eux, viennent au musée car ils ont été attirés en premier lieu par son architecture et l’ambiance qu’il s’en dégage, avant même sa collection. Ainsi, autour du musée, le public afflue sans pour autant entrer dans l’édifice. Il déambule autour de lui, investit l’espace public et se l’approprie le temps d’un moment de contemplation. Cela confirme alors le fait que le musée ne se pense plus comme un simple réceptacle détaché de son environnement mais se conçoit, selon son ambition d’interactivité avec le monde qui l’entoure, dès l’aménagement de l’espace extérieur. Si le musée se veut un lieu vivant de culture et non un abri monumental pour les collections, la disparition de l’esthétique trop ouvertement classique et intimidante du musée doit disparaître, au profit d’autres pratiques, visant à dynamiser l’institution. L’osmose souhaitée entre l’institution et la société devient alors un thème récurrent et se manifeste d’abord par l’inscription soignée du bâtiment dans l’espace urbain. Afin de promouvoir une interaction maximale entre le bâtiment et son environnement et du coup le public, les espaces extérieurs au/du musée suscitent dé62


sormais un vif intérêt auprès des commanditaires et des concepteurs. En effet, l’environnement proche de l’édifice, cet espace de transition entre l’agitation de la ville et l’espace muséal est important. Prenant la forme d’un parvis, délimité ou non, ou d’une simple allée, l’accès au musée fait office de préambule à l’expérience muséale qui attend le public et le prépare à la visite en lui donnant envie. Il peut être vu aussi comme un continuum de l’édifice, reflet de l’atmosphère générale du musée et travaillé de manière à susciter un premier intérêt auprès d’un public encore non-initié à l’expérimentation du musée (le fameux « non-public ») qui peut quand même lui aussi profiter de cette ambiance. Cet espace occupe une place de plus en plus importante dans les programmes architecturaux : les architectes des musées deviennent alors des paysagistes et des urbanistes pour concevoir un environnement en cohérence avec le musée, dans le prolongement de la visite et catalyseur de nouvelles interactions et appropriations urbaines (au même titre qu’une place publique de centre-ville ou des quais aménagés). Ainsi, il n’est pas rare de retrouver devant les musées contemporains des espaces verts, de grandes esplanades ou du mobilier urbain (bancs, escaliers) incitant le public à s’arrêter, occuper l’espace et prendre son temps, ce qui confère à l’environnement immédiat de l’édifice l’atmosphère d’un lieu de vie de qualité et partagé. En ce sens la visite n’est plus l’unique rapport possible avec le musée.

Musée de la Romanité, Nîmes, Elizabeth de Portzamparc, 2017. Situé sur la place des arenes de Nîmes, place centrale de la ville, le coeur du projet renfermera un jardin archéologique, ouvert à tousau moyen d’une rue traversante jusqu’à la place. # LES ESPACES INTÉRIEURS : LE HALL D’ENTRÉE ET L’EXPOSITION

La porte du musée franchie, le hall d’entrée livre au public une première idée du lieu où il se trouve, parfois différente de celle envisagée depuis l’extérieur. L’ampleur, voire « l’hypertrophie », des espaces d’accueil des nouveaux musées, en cohérence avec l’architecture et l’atmosphère générale des bâtiments, contraste radicalement avec l’exiguïté réservée à ces mêmes espaces par le passé. Aujourd’hui, l’enjeu est avant tout de concevoir un lieu agréable et accueillant et dont l’organisation est facilement lisible pour le public. L’installation 63


d’une borne d’accueil ou encore la mise en place d’une signalétique directionnelle claire relève aussi de cette volonté de lisibilité. Par ailleurs, de plus en plus d’espaces hors billetterie (non payant d’accès) sont aménagés pour les visiteurs curieux, leur permettant d’avoir un aperçu global des richesses du musée, en guide d’amuse-bouche.

Hall d’entrée, Musée des Confluences, Lyon, Coop Himmelb(l)au, 2014.

Pour ce qui est du cœur même du musée, à savoir l’exposition, il est important que sa conception attache une attention toute particulière à la présentation des collections; l’attractivité des musées tient à cette capacité de donner à voir et de valoriser des objets uniques ou rares, voire précieux. Le parcours est un élément essentiel de l’exposition: plus qu’un simple itinéraire de visite à suivre, il participe aussi grandement à sa compréhension. Les articulations et les enchainements entre les différents espaces d’exposition de la collection, déterminés par le parcours, permettent de mieux saisir la logique du message, l’histoire que tente de transmettre la collection. En plus du cheminement intellectuel qu’il propose, le parcours prend en compte le cheminement propre du visiteur à travers les salles du musée. L’expographie se doit de respecter la liberté du visiteur qui suit son propre itinéraire au milieu de l’exposition. Le parcours ne peut donc pas être strictement linéaire (malgré le fait qu’il facilite l’orientation) mais doit être structuré et souple à la fois. De cette façon il induit naturellement la progression dans l’exposition tout en laissant la liberté au visiteur qui peut choisir de laisser de côté certaines parties sans pour autant perdre le fil du discours. Pour aider à cela, ce souci de préserver la liberté du visiteur et d’assurer son confort doit se retrouver tout au long du parcours par le biais de la signalétique, idéalement conçue par un bureau spécialisé. Il convient de donner aux visiteurs, parfois peu habitué au musée, des informations claires et concises afin de le guider dans sa 64


promenade et sa découverte. Pictogrammes, courts textes de présentation, indications d’orientation pour accéder aux commodités ou rejoindre les lieux clés du musée, titres ou numéros de salles, tous ces éléments contribuent à orienter des visiteurs en quête d’autonomie. Cela suggère alors, dans l’optique de traiter équitablement tous les publics du musée, de créer une signalétique simple et directe, compréhensible par tous, y compris par les publics étrangers (donc au minimum bilingue anglais) et de mettre en place des moyens de communication adaptés pour les personnes en situation de handicap.

Signalétique Musée national Adrien Dubouché, Limoges, Rénnové en 2012, par Pierre-Henri Mayeux architecte du bâtiment d’origine, puis Boris Podrecca (architecte) et Zette Cazala (muséographe), signalétique par l’atelier ter Bekke & Behage. Composée d'éléments en porcelaine, cette signalétique vient unifier les différents espaces du parcours et redonne une qualité contemporaine à ce matériau.

Toutefois pour être véritablement durable aujourd’hui, le projet muséal doit proposer des services nouveaux et intégrer notamment les dernières fonctionnalités numériques à l’exposition. A l’instar de la tablette interactive, ces plateformes multimédia représentent un outil pédagogique plus ludique qui privilégie une médiation plus individuelle et modulable dans le but spécifique de venir soutenir les visiteurs dans leur appropriation personnelle du savoir. Enfin, des espaces à vocation spécialisée sont aménagés tout au long de l’exposition. Ce sont des lieux de pause, de repos qui favorisent soit la prise de recul par rapport à l’exposition soit une contemplation plus confortable de la collection. Le parcours se retrouve ainsi ponctué de mobiliers : bancs, fauteuils, canapés, poufs, coussins per65


mettant au visiteur de suspendre le temps, au gré de ses envies, et de choisir lui –même le rythme de son itinéraire et de ses découvertes.

Palais de Tokyo, Espace d'entredeux, Paris, Réhabilitation Lacaton et Vassal, 2013. # LES NOUVEAUX PROGRAMMES

La multiplication des objectifs ainsi que l’augmentation et la diversification du public de ces institutions, le tout couplé à la concurrence vis-à-vis des autres moyens d’accès à la culture et aux collections, (internet notamment) ont amené à la diversification des activités du musée pour conquérir et répondre aux nouvelles attentes des visiteurs. En effet, les demandes d’un public de plus en plus diverse, liées aux nouvelles tendances de consommation de notre société, non seulement remettent en cause le rôle de l’institution muséale, mais requièrent la création et l’implantation d’équipements particuliers à l’intérieur du musée. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, cafétérias, restaurant et boutiques sont devenus des activités incontournables au musée. Leur rôle d’animation de la vie culturelle et leur attractivité auprès du public ne sont pas négligeables. Elles contribuent à rendre la visite plus confortable pour le visiteur surtout lorsque le parcours des expositions présentées est long, comme c’est souvent le cas dans ces nouveaux musées immenses.

Terrasse restaurants et brasseries, MUCEM, Marseille, Rudy Ricciotti, 2013. 66


Les musées contemporains mettent en œuvre de multiples activités d’animation de natures très variées. Certaines sont rattachées directement aux activités propres du musée mais s’adressent à un public ciblé comme par exemple des ateliers, des salles pédagogiques ou des auditoriums, pour accueillir les enfants et les groupes scolaires (ou non). D’autres s’inscrivent quant à elles dans le développement de la médiation culturelle et sont accessibles directement depuis l’extérieur: bibliothèques, salles de projections, salles de spectacles, etc. Ainsi, le public qui se rend au musée n’y va pas nécessairement avec l’intention de voir une exposition particulière, il y vient avant tout pour se divertir. Le musée devient un véritable lieu de vie où l’on peut facilement passer une journée entière sans s’ennuyer tant les activités ou les animations y sont nombreuses.

Centre Pompidou, Le Studio, Metz, Shigeru Ban & Jean de Gastine, 2010. Le musée se compose également d'un forum (accueil, potentiel lieu de réception) et d'un auditorium (conçu pour accueillir des rencontres, des conférences ou des projections de film).

Ces modifications dans les objectifs de l’institution muséale et les conséquences de tels bouleversements sur sa composition, sa conception, ici retracées sommairement, montrent un profond renouvellement de l’offre culturelle. L’esthétique extérieure de l’architecture muséale déplace autant les foules que les collections intérieures. Alors, on prolonge le plaisir avec une librairie, une boutique, une cafétéria, des aires de repos, de verdure et de méditation mais surtout, on ravale les façades, on redore les salles, on peaufine les stucs et les plafonds, on éclaire et on aère le musée d’autrefois.

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3.

Etude de cas: Le Centre Georges Pompidou, Paris

Le Centre Georges Pompidou fête cette année ses 40 ans. Issu d’un concours, le projet architectural que l’on connait a été choisi parmi 681 propositions et ce sont, de jeunes architectes à l’époque, Renzo Piano et Richard Rogers qui ont été sélectionnés contre toute attente. En effet, en 1977, la construction de ce nouveau centre d’art moderne fait scandale. Le côté spectaculaire de l’édifice, après tant d’années de neutralité architecturale, suscita beaucoup d’incompréhension et de rejet parmi les architectes qui le surnommèrent d’ailleurs « la raffinerie ». Jugé excentrique par certains et révolutionnaire pour d’autres, le centre Pompidou choque autant qu’il fascine. Après 40 ans, le centre Pompidou étonne toujours autant, mais après les réticences et les critiques du début, aujourd’hui, la population s’est habituée et l’apprécie. Construit sur un ancien parking sauvage en plein milieu de Paris, voisin de Notre Dame et de l’Hôtel de ville, le centre Beaubourg fait désormais partie intégrante du paysage. Son architecture remarquable, identifiable de loin dans le paysage urbain, la plus atypique de Paris d’ailleurs, est désormais copiée dans le monde entier. Deuxième plus grande collection d’art moderne après le MoMA à New York, le centre Pompidou attire les foules du monde entier, mais la première œuvre d’art que l’on découvre, c’est le bâtiment lui-même. Son architecture atypique attire l’œil du visiteur dès l’extérieur. En effet, l’édifice, suspendu par des câbles en aciers, arbore toute sa structure porteuse, ainsi que ses circulations qui ont été rejetées à l’extérieur, visibles, par conséquent, de tous. Lors de la conception du musée, les architectes avaient pour volonté de tout montrer et de rien cacher au public, permettant ainsi, grâce à cette morphologie, de donner plus de place à l’exposition et de libérer les volumes intérieurs. Ainsi, l’édifice exhibe « tous ses organes » aux passants : sa tuyauterie et ses gaines électriques colorées répondant chacune à un code couleur, ses passerelles métallique et son fameux escalator. Toujours dans cette logique de « laisser voir », les architectes, au-delà d’offrir un maximum de place aux espaces et aux activités du musée, ont favorisé une architecture permettant une interaction maximale du bâtiment avec son environnement. Ainsi, la façade ouest du bâtiment, complétement vitrée, donne l’image d’une continuité du musée dans la ville ; depuis la place, on se sait plus si on est à l’intérieur ou à l’extérieur du musée. A L’intérieur, les grandes façades vitrées ouvrent le regard sur l’espace urbain, le visiteur est projeté dans la ville, l’art s’ouvre sur la rue, et depuis le parvis on peut déjà apercevoir l’aménagement intérieur du bâtiment ou découvrir une exposition. A l’instar de l’eau, de l’air et de l’électricité, symbolisés respectivement par les couleurs verte, bleu et jaune des tuyauteries, le public est lui aussi un élément vital pour le musée, symbolisé par la couleur rouge (les circulations). En effet, comme aime le répéter Jérôme Marie-Pinet, intendant général du Centre Pompidou, la philosophie de l’édifice est de permettre et favoriser l’accueil de tous. C’est un lieu pour s’instruire, se cultiver, se détendre, 68


se divertir et, pourquoi pas se restaurer, qui attire un très large public (plus de trois millions de visiteurs l’an dernier) et des populations très variées : très jeunes, plus âgées, des personnes plus ou moins sensibles à l’art moderne, des groupes, des familles, des étrangers, etc. Il génère tout ce brassage de populations pour des raisons très variées : boutique, restaurant chic, bibliothèque gratuite et ouverte à tous (elle fait d’ailleurs souvent office de refuge pour les personnes en difficulté), ateliers pour les enfants, réagencement mensuel des expositions (suscite de nouvelles curiosités, et appelle le visiteur à revenir), événements divers (spectacles, concerts, cours de yoga) etc. Le musée Pompidou est un projet qui génère une véritable place urbaine. Au lieu de remplir la ville et de la saturer, il la structure et créé de l’espace. Ainsi, la grande esplanade qui lui sert de parvis prend parfois des airs de station balnéaire où les gens se rassemblent pour flâner, pique-niquer, jouer de la musique, … Cette place, La Piazza, partie intégrante du musée et empreinte de l’atmosphère qu’il dégage devient un véritable espace de vie, de rencontres, d’échanges et de partage, à l’écart de l’agitation urbaine environnante. Aussi, depuis les terrasses du Centre Pompidou on peut admirer la plus belle vue panoramique sur la capitale sans subir toutefois les inconvénients de la cohue parisienne. L’édifice lui-même, aménagé sur un peu moins de 100 000 m², répartis sur dix niveaux (soit environ 7500 m² par plateau), fait figure de « ville dans la ville ». Autre que ses espaces d’exposition, qui n’équivalent finalement à peine qu’au tiers du volume global du bâtiment, le Centre Pompidou présente de nombreux équipements afin de diversifier son public et de répondre à ses nouvelles attentes. Un grand hall d’entrée occupe la moitié du rez-de-chaussée et redirige les visiteurs vers les différents espaces du musée : la bibliothèque (près de 10000m² à elle seule), les deux cinémas, les deux boutiques, les trois librairies, des salles de spectacles et de projection, des cafés, le restaurant Le Georges, les espaces réservés aux enfants ou aux personnes malvoyantes, ou encore ses trois terrasses panoramiques. L’événement créé pour le 40ème anniversaire du Centre Pompidou et l’attractivité qu’il a généré témoignent de l’engouement du public pour l’édifice. En effet, à cette occasion, le Centre a accueilli plus de 50000 personnes, un record depuis sa création. Ainsi, on peut dire, si l’on reprend les mots de Jérône Marie-Pinet, que pour « ce lieu, qui se veut vivant, où l’on se rencontre, on échange, et que chacun s’approprie », la mission est réussie et le pari d’une osmose entre l’institution muséale et la société, relevé. Le Centre Georges-Pompidou fait doublement charnière dans l’histoire de l’architecture muséale. Une charnière du point de vue esthétique d’abord, entre le musée moderne, «machine à exposer», et le musée «spectacle». Si par ses aménagements intérieurs (morphologie des espaces en salles et galeries, clarté des agencements de volumes, circulation fluide) il s’inscrit encore dans le modèle du musée moderne, sa façade, elle, le classe incontestablement dans la catégorie des musées post-modernes. D’autre part, il est aussi une charnière idéologique et politique entre un musée au service de la culture et un musée qui met la culture au service de la société et de l’économie. 69


Ci-dessus Calendrier sur Asphalte (esplanade), ĂŠvennement par Pierre Leguillon, Paris, 2009.

Ci-contre Relation du Centre Pompidou avec le bâti existant environnant, Paris, Renzo Piano et Richard Rogers, 1977. Ci-dessous, Affiche des 40 ans du Centre Pompidou, Paris, Renzo Piano et Richard Rogers, 1977.

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C/ EVOLUTION DE LA PRATIQUE ARCHITECTURALE ET SPECIFIQUEMENT DE CELLE DES MUSEES

De façon évidente, l’institution muséale veut trouver dans l’expérimentation de ces nouvelles formes architecturales un moyen d’afficher et d’extérioriser l’avant-garde artistique des collections contemporaines qu’elle présente : événement visuel hors norme, d’une échelle souvent démesurée à l’image de la démesure d’un nouveau culte, celui de l’art, si ce n’est celui de ses commanditaires. La conception d’un musée doit alors composer avec des contraintes nombreuses et contradictoires liées aux nouvelles missions qui lui sont confiées, mais ces difficultés sont autant de challenges qui attirent les architectes et leur permettent d’exprimer toute l’étendue de leur talent.

1.

Le musée une architecture spécifique ?

Cette volonté de démocratisation de l’accès à la culture et au musée a modifié la physionomie de l’institution. Dorénavant, le musée n’est plus un simple conservatoire et devient aussi un lieu d’activités dans lequel les stratégies d’accueil, d’informations et d’animations, associées à des événements culturels ponctuels jouent un rôle primordial. L’architecture de ces institutions culturelles est donc en perpétuelle redéfinition, afin d’adapter le « contenant » aux programmes et à l’environnement évolutifs du musée. RÉINTERPRÉTATION ET ÉVOLUTION DES FONDAMENTAUX DU MUSÉE Pendant des décennies, on a admis que tous les musées du monde devaient obligatoirement présenter les mêmes caractéristiques architecturales: une façade composée d’un portique surmonté d’une frise faisant référence aux beaux-arts, un escalier d’honneur intérieur monumental, des salles d’exposition en enfilade, disposées symétriquement par rapport à l’escalier, des suspensions en verre stylisées, etc. Cette conception de l’architecture muséale a largement évolué aujourd’hui. Chaque nouveau projet révèle désormais l’ambition de ses concepteurs de trouver des solutions architecturales originales. Les premiers musées publics ont emprunté aux habitations privées des formes d’espaces pouvant faire office de lieux d’exposition : la salle qui est inspirées des cabinets de travail, abrite les peintures tandis que la galerie, lieu de déambulation, accueille les statues. S’y ajoute la 71


rotonde à coupole qui, au-delà de sa fonction de distribution, revêt une valeur symbolique faisant du musée « le monument de la mémoire et le temple laïque de tous les savoirs » ²². C’est ainsi, que la forme du temple à coupole et galerie, avec façade à portique et colonnades s’est imposée comme le modèle de référence pour tous les musées des Beaux-arts. Au milieu du XIXe siècle, l’ère des expositions universelles ouvre de nouvelles perspectives et le plan des musées tend à s’organiser désormais autour de grands halls vitrés, inspirés des palais de l’industrie des expositions universelles : « A la centralité de la rotonde des « musées - temples », qui faisait référence à l’Antiquité, se substitue peu à peu la centralité de la « halle-basilique », de fer et de verre, qui exprime des valeurs contemporaines et de progrès » ²³.

²² Musées. Architectures 1990-

2000, par L. Basso Paressut, 1999, p. 9-52

²³ Musées. Architectures 1990-

2000, par L. Basso Paressut, 1999, p. 9-52

Galerie Musée des Arts Appliqués, Budapest, par Odon Lechner 1896.

Si la forme des constructions muséales a longtemps été axée sur la conservation des collections, elle a évolué à mesure que se développaient les nouvelles fonctions de l’institution. Les nouvelles ambitions du musée apparues pendant la seconde moitié du XXe siècle: multiplication des expositions temporaires, prise en compte de l’accueil du public et création de services en lien (cafétérias, boutiques…etc.), ont conduit à des modifications architecturales majeures, multipliant par le fait, les contraintes de programme. On peut souligner cependant que ces nouvelles fonctions ne sont pas hiérarchisées, et par conséquent, en termes d’organisation spatiale, l’affectation des espaces disponibles doit se faire globalement, en fonction des priorités définies dans le projet du musée. Les espaces d’accueil ou la cafétéria ne doivent cependant pas prendre l’ascendant sur la répartition des surfaces, tout comme les réserves, essentielles pour l’exercice de conservation, 72


Coupe Est-Ouest du New Museum of Contemporary Art, par SANAA, New York, 2007. Répartition des surfaces et des fonctions du musée selon les étages de l'édifice.

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doivent être intégrées correctement au projet. A titre d’exemple, les projets de rénovation de musée qui se sont multipliés dans le dernier quart du XXe siècle, ont presque tous eu pour moteur un nouveau besoin d’espace, et de surface d’accueil particulièrement. Les réserves et les locaux techniques ont eux aussi été rénovés. Leurs espaces d’exposition ont quant à eux gagné en qualité plutôt qu’en superficie. Ainsi, les nouveaux musées se sont emparés de l’ensemble des problématiques architecturales actuelles, en fonction du contexte et des nécessités. Délaissant les typologies jusque-là utilisées, leur architecture affiche un éclectisme déroutant, que certains qualifieront de postmoderne, mais qui dépasse largement les débats de style. Il est certain que parmi les activités liées à la muséologie, la conservation est une de celles qui a progressé le plus et qu’on juge maintenant indispensable. Par conservation, il faut désormais comprendre, non seulement, restauration, mais également sauvegarde des collections. Cette activité réfère donc directement à deux espaces, voués respectivement au stockage et à la présentation. Les objets d’une collection se détériorent inévitablement, mais dans un environnement peu favorable, cette détérioration est d’autant plus importante et plus rapide. Grâce à une collaboration établie entre l’architecte et le restaurateur, les architectes ont progressivement pris conscience de l’importance des éclairages et de la gestion de l’humidité dans l’espace d’exposition. Il ne faut pas oublier non plus que les exigences des collections ne sont pas les mêmes pour le muséographe et pour les visiteurs. C’est ce dilemme, dans le cas des lieux d’exposition et des installations muséographiques, qu’il a fallu prendre en compte au stade de la conception spatiale des bâtiments. NOUVEAUX CONCEPTS SCÉNOGRAPHIQUES Les exigences nouvelles de conservation associées à la volonté de rapprocher l’institution du public afin, selon l’expression de Mies Van der Rohe « d’abattre la barrière qui sépare l’œuvre d’art de la collectivité vivante » ont contribué à porter une attention particulière aux dispositifs d’exposition. Ces derniers se sont d’autant plus transformés et diversifiés, que le travail muséographique s’est professionnalisé : conservateurs, designers, scénographes, artistes travaillent aujourd’hui de concert. L’organisation de la collection et les conditions matérielles d’exposition sont la matière d’une intense réflexion en amont. # MURS, CLOISONS, CIMAISES

Le mur est un élément fondamental avec lequel travaille l’équipe de conception du musée : il est avant tout un élément de la structure architecturale du bâtiment qui abrite l’exposition. 74


A ce titre, il est important de souligner que la configuration des espaces d’exposition n’offre pas toujours la souplesse que l’on souhaite. Certain nombre d’éléments architectoniques limitent la liberté du créateur : bâtiment existant, murs porteurs, chaleur, éclairage. Pour le scénographe, le mur est à la fois support, séparation ou guide : il délimite l’espace des pièces de l’exposition, ses ouvertures déterminent la circulation des visiteurs, semblable à la cimaise, il est le support des œuvres et des documents d’information ou encore l’appui des vitrines. Bien qu’elles ne devraient idéalement pas dicter le programme muséographique ni le parcours de visite, les contraintes architecturales pèsent évidemment dans les choix de mise en exposition, mise en scène. Mais heureusement, l’aménagement des salles d’exposition ne se limite plus désormais à l’utilisation judicieuse de la structure rigide architecturale. De nombreuses solutions existent pour se jouer des espaces trop strictes imposés par la forme architecturale : on les subdivise et le remodèle dans ses trois dimensions et on induit un nouveau cheminement sortant de l’ordinaire pour le visiteur. Muséographie du Mupop, Montluçon, installé dans deux hôtels particuliers rénovés par l’architecte Philippe Tixier avec Bruno Morel architecte, ingénieur, architecte du patrimoine, Pascal Payeur scénographe et l'entreprise générale GFC. Les deux bâtiments sont reliés par une extension moderne en béton qui abrite l’entrée du musée. Alliance entre tradition et modernité qui correspond à celle qu'on trouve dans les collections du musée. D'autre part la muséographie de l'exposition se développe de manière totalement indépendante par rapport au bâtiment de forme biscornue.

# LES VITRINES UN ENJEU DE TAILLE

Ainsi Les vitrines destinées à protéger les objets précieux de petite tailles ou fragiles adoptent des formes variées, aussi nombreuses que les projets architecturaux ou les programmes muséographiques auxquels elles sont dédiées. Depuis les années 80 et les progrès technologiques Leur design, tout en respectant les normes de sécurité et de préservation des œuvres s’est allégé: les espèces de « coffres forts », très présents visuellement, ont cédé la place à des vitrines plus légères et transparentes. En effet, aujourd’hui les nouvelles tendances architecturales, soutenues par l’essor des techniques de construction, visent à l’effacement visuel des contenants par la création de volumes surdimensionnés en adéquation avec les volumes des salles. Toutefois, il demeure que ce qui prélude à la conception d’une vitrine, c’est avant tout les désidératas du conservateur. 75


La muséographie de l’antenne du musée des Arts Premiers au pavillon de Sessions par le cabinet Wilmotte et associés, inaugure une nouvelle ère dans l’aménagement muséographique: ici, la vitrine conçue comme une véritable architecture tend à sacraliser l’objet par un dispositif minimaliste: peu d’objets exposés à l’intérieur d’un écrin de verre extra-blanc et anti reflet , doté d’ une armature métallique ultrafine. L’avantage de cette proposition est de donner au visiteur une visibilité maximale.

Vue sur la grande salle d'exposition dédiée aux sculptures africaines, antenne du musé des Arts premiers au pavillon des Sessions, Musée du Louvre, Paris, 2000. Muséographie par Wilmotte & Associés.

D’une manière générale, on trouve dans les musées contemporains, des vitrines de toutes formes : centrales, murales, posées au sol, suspendues ou encastrées ou encore des vitrines tables, parfois spécifiquement adaptées à l’œuvre ou se présentant comme de simples écrans de protection. Leurs dimensions sont aussi très variables : elles vont de celles d’une petite cloche en verre à celle d’une salle tout entière. Cependant, rien ne remplace la qualité de la relation directe voire brutale qui unie alors le visiteur à l’objet, lorsque l’on peut s’en passer. # L’ÉCLAIRAGE DANS LES MUSÉES

L’éclairage est devenu un élément incontournable de la scénographie muséale : on attend qu’il mette en valeur les éléments exposés encore plus que de les rendre visibles. Il est le plus souvent géré depuis le plafond par un système flexible permettant d’installer des sources lumineuses en tous points de l’espace. Un bon éclairage n’implique pas nécessairement le recours à une forte intensité lumineuse car c’est l’éclairement relatif qui compte. La mise en valeur des objets s’obtient par un éclairage plus marqué et ponctuel que la lu76


mière ambiante. Cependant, l’éclairage direct est à proscrire et doit céder le pas à l’éclairage indirect, en tous points plus avantageux : une lumière plus douce et plus diffuse, pas de reflets intempestifs ni de chocs thermiques sur les objets. Les nécessités de la présentation au public et celles de la conservation sont parfois antinomiques, le choix entre les différents systèmes d’éclairage doit alors résulter de l’examen des contraintes et de la recherche d’un équilibre entre celles-ci. Le souci d’une visibilité parfaite des œuvres a conduit certains architectes à travailler la maîtrise de la lumière naturelle qui est pour la muséographie à la fois la pire et la meilleure des choses. Ils ont mis en place à cette occasion toute une série de dispositifs architecturaux destinés à en réguler ou moduler les effets comme l’emploi de vitrages thermolux de la MoMA, de New York), les stores à lamelles, le verre dépoli, le paralume au niveau du toit au MuMa du Havre, les puits de lumière, les corniches, etc. Les musées « plus opaques » à savoir ceux dont le mur physique et visuel est plus présent, plus affirmé, ont le souci inverse d’essayer de capter au maximum la lumière et de la rediriger. Marcel Breuer a utilisé dans ce but des fenêtres orientées en biais pour son Withney Museum. L’éclairage indirect, par réflexion est aussi très utilisé. Le maitre incontesté dans l’utilisation de ce procédé demeure le Kimbell Museum réalisé par Louis I. Kahn en 1972 au Texas. Les voûtes en béton qui constituent la couverture de ce bâtiment sont ouvertes à leur sommet par une longue fente. La lumière diurne, violente et crue, qui entre par ces ouvertures est immédiatement déviée par des réflecteurs métalliques qui la renvoient sur les voûtes, produisant ainsi une lumière argentée diffuse d’une qualité assez exceptionnelle.

Kimbell Museum, Texas, 1972, Kahn. Lumière naturelle diffuse et homogène.

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LA FLEXIBILITÉ DES ESPACES D’EXPOSITION Avec cette ambition nouvelle du musée de mettre la culture à portée de tous et de promouvoir aussi toutes les cultures, y compris les plus contemporaines, le domaine de ce qui est « muséalisable » a donc atteint ces derniers temps un développement maximal. Un site archéologique ou l’œuvre d’un cinéaste, le mobilier design ou la dentelle, la dernière Mercedes-Benz ou les phénomènes de l’immigration, tous les sujets semblent être abordables et pouvoir être abordés entre les murs du musée. On peut y voir la confirmation de l’emprise grandissante du sentiment patrimonial sur nos sociétés, mais cela suppose surtout une certaine adaptabilité des éléments muséographiques. Les aires d’exposition permanente, qui ont marqué de tout temps la physionomie du musée, ont également subi une évolution dans les années 60 caractérisée par deux tendances : elle se compose désormais le plus souvent d’un grand espace, pouvant être découpé selon les besoins, et de petites salles, conçues pour mettre en valeur la spécificité d’une collection particulière ou plus à l’échelle pour œuvre singulière. L’architecture muséale complète ensuite cette division de l’espace par des modes inédits et divers de distribution. Les expositions temporaires, par la publicité qu’elles génèrent autour d’elles et l’attrait qu’elles exercent sur le grand public, nous l’avons déjà dit, occupent désormais une place stratégique dans la vie et dans l’organisation spatiale de nos musées. Elles requièrent à cet égard des exigences particulières et bénéficient d’installations modernes. # LE WHITE CUBE

En effet, beaucoup de nouveaux musées, et en particulier ceux d’art contemporain, ont privilégié les salles blanches, immaculées, héritées de la muséographie des années cinquante et soixante, pour y installer leurs collections. Le « white cube », comme l’a nommé en 1976 le critique Brian O’Doherty, est ainsi devenu, semble-t-il, la nouvelle norme implicite du musée contemporain. L’unanimité apparente autour de nouveau procédé ne repose pas uniquement sur un effet de mode : le « white cube » est avant tout une solution de compromis. Il permet de concilier la nécessité de murs et de cimaises fixes afin de garantir de bonnes conditions d’exposition tout en proposant une forme de souplesse par son fond blanc, couleur qui à priori s’accorde avec tout et donc avec n’importe quelle œuvre. Aussi, lorsque Brian O’Doherty parle de l’espace de la galerie, il met en avant son caractère clos. Il émet alors l’hypothèse que ce cube blanc pourrait être retenu comme « l’archétype de l’art du vingtième siècle » ²⁴. Et pour appuyer son propos, il rappelle qu’il n’en fut pas toujours ainsi: dans les salons du dix-neuvième siècle, en effet, de multiples toiles, de nature et de formats diverses, couvraient un même mur du sol au plafond.

²⁴ White Cube – L’espace de la

galerie et son idéologie, par B. O’Doherty, 2008, p. 36

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Galerie 1, Centre Pompidou, Metz, Shigeru Ban & Jean de Gastine, 2010. # CRITIQUE DE O’DOHERTY

« Pour le meilleur et pour le pire, le “White cube” est la seule convention majeure à laquelle l’art ait dû se soumettre. Sa pérennité est garantie parce qu’il n’y a pas d’alternative. » ²⁵ B. O’Doherty, 1976.

²⁵ White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, par B. O’Doherty, 2008, p. 36

Au-delà de ce constat autour du nouvel outil pour l’exposition, l’auteur Brian O’Doherty nous livre dans ses écrits une analyse plus profonde des implications idéologiques liées au White Cube. Ainsi, selon lui, il serait totalement faux de croire que cette nouvelle convention muséographique est un espace neutre. L’auteur nous démontre au contraire à quel point « l’organisation de l’espace d’exposition obéit à des lois rigoureuses : le blanc vaut abolition de tout signe du passage du temps, de toute référence au monde extérieur, mouvant et bruyant ; l’espace vierge entourant l’œuvre et la séparant des autres a pour fonction de lui permettre de respirer », et pourvu alors de toutes ces caractéristiques, il devient un espace lourd en charge symbolique et idéologique : « quelque chose de la sacralité de l’église, du formalisme de la salle d’audience, de la mystique du laboratoire expérimental s’associe au design chic pour produire cette chose unique : une chambre d’esthétique » ²⁶. Ainsi, la réflexion menée, dans les années 70 - 80, par Brian O’Doherty sur l’espace d’exposition est assujettie à une critique virulente et sous-jacente de l’idéologie dominante du White Cube, qui mêle étroitement modernisme artistique et capitalisme économique. L’auteur entend dénoncer dans son livre les effets négatifs de ce phénomène dans sa traduction spatiale à savoir : un cube blanc au milieu de la galerie dans son rapport avec l’exposition des collections et enfin dans sa relation avec le visiteur.

²⁶ White Cube – L’espace de la

galerie et son idéologie, par B. O’Doherty, 2008, p. 36

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# L’ANTI – WHITE CUBE ?

Une mode en chassant une autre, les années 80 signèrent la fin de cet idéal de flexibilité. Confrontés à des nécessités de conservation ainsi qu’à des collections de plus en plus riches, les conservateurs ont décidé de rompre avec cet impératif qui paraissait, quelques années auparavant, incontournable. La période « blanc de blanc », découlant du principe du White Cube, qui a imposé sa loi austère à la muséographie entre 1945 et les années 2000 est, semble-t-il, passée ou du moins plus aussi dominante. Aujourd’hui la scénographie regagne du terrain aussi bien dans les collections d’arts anciens que dans les expositions contemporaines. « … c’est l’extrême hégémonie. On observe un règne du cube blanc dans la plupart des grands musées d’art moderne et contemporain, mais on parle peu des détails qui font souvent beaucoup plus que le blanc en soi : le sol, le cartel, l’éclairage, le plafond. Il existe autant de cubes blancs que de musées d’art moderne et contemporain dans le monde. Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le fait qu’un accrochage n’est pas un simple alignement d’œuvres sans fondement. » ²⁷ Laurent Le Bon directeur du centre Pompidou Metz , 2011.

²⁷ Faut-il souhaiter la fin du White

Cube ?, Article rédigé par Myriam Boutouille, Connaissance des Arts, 2010

Du coup, en réaction au « white cube », certaines muséographies ont réhabilité l’usage de la couleur et ont parfois même renoué avec l’ambiance « rouge pompéien » chère au XIXe siècle. Le musée des Beaux-Arts de Rouen par exemple, sur décision de son directeur, s’est ainsi récemment engagé dans une politique de redéfinition chromatique complète de la totalité de ses salles d’exposition. D’autres institutions encore ont plutôt porté leurs efforts sur un travail scénographique de mise en contexte des collections. Une nouvelle muséographie est ainsi née, variée et vivante, et surtout particulièrement sensible à une mise en valeur singulière des objets et des œuvres.

Le musée des Beaux-Arts, Rouen, rénové en 1988-1992 par l’atelier d’architecture Chantal Bernier-Bernard Torchinsky et Andrée Putman (architecture d'intérieur). Laurent Salomé directeur du musée prend résolument le parti de recolorer le musée (rompre avec la tendance du "mur blanc"). En créant des ruptures nettes de couleurs d’une salle à l’autre, il rythme le parcours et réintroduit du sens historique par le pouvoir suggestif et symbolique des couleurs. 80


Il est en tout cas intéressant de constater la discordance fréquente entre ces espaces intérieurs standards et impersonnels, et les gestes architecturaux extérieurs, plus ou moins flamboyants ou pompeux.

Fondation Louis Vuitton, Paris, F. Gerhy, 2014, Espace d'exposition intérieur.

Fondation Louis Vuitton, Paris, F. Gerhy, 2014, Esthétique et forme extérieures du bâtiment.

2.

Evolution des techniques, exultation architecturale.

Ces trois dernières décennies, l’explosion extraordinaire de la demande de création de musées assortie des nouvelles missions dont on les a investis a constitué une opportunité formidable pour la création architecturale contemporaine. La grande liberté offerte aux architectes avec la rénovation de leur programme faisant la part belle à l’image et au prestige, en ont fait nous l’avons dit, un lieu privilégié de l’expression architecturale. 81


L’architecture muséale, favorisée tout à la fois par les nouveaux outils informatiques de conception, le progrès technique et des matériaux de construction de plus en plus performants est devenue cette «exultation» formelle non seulement des volumes extérieurs et des façades, mais aussi des halls d’entrée, voies de circulations et espaces d’exposition, qui exhibent fièrement leurs proportions gigantesques. On a pu ainsi imaginer et construire des structures porteuses hyperstatiques complexes, qui ont permis d’échapper aux formes conventionnelles imposées jusque-là par les limitations techniques. En un mot, les formes se sont libérées. Le caractère dominant de cette architecture contemporaine est justement de revendiquer une esthétique libérée et singulière. Cette tendance est apparue avec la création du centre Pompidou de Piano et Rogers en 1977, dernier prototype du musée moderniste. Il a initié le genre de ces « musées spectacle ». Mais l’exemple le plus fameux reste le musée Guggenheim, construit à Bilbao par Franck O. Gehry (19911997). Sa sculpturale et somptueuse parure de titane, en partie inutile puisqu’elle abrite une série de volumes vides, lui a valu, à elle toute seule, la notoriété médiatique et est à l’origine d’une régénération urbaine très réussie, considérée d’ailleurs, comme un modèle du genre. Enfin, les nouveaux musées, en cherchant à abattre les barrières entre l’œuvre d’Art et la collectivité ont trouvé symboliquement avec l’utilisation importante de l’acier et surtout du verre, (qui laisse deviner à tout un chacun l’intérieur des bâtiments), le moyen d’ouvrir la culture au monde.

3. L’expression d’un parti pris architectural particulier, reflet de la maîtrise d’œuvre Pour beaucoup, le musée, c’est d’abord un bâtiment, et plus ce dernier est remarquable, plus le musée sera connu et reconnu. Désormais, le musée est sommé de faire image et de communiquer sur cette image. A la fois nouvel objet de prestige rayonnant pour les territoires et argument de vente auprès des touristes, la construction d’un édifice visant à abriter un musée reste un exercice périlleux auquel s’essayent aujourd’hui bon nombre d’architectes prestigieux. LE CHOIX DE L’ARCHITECTE Le choix de l’architecte pour la création d’un musée est une étape déterminante et une des plus difficiles pour les maîtres d’ouvrage qui n’ont pas toujours la compétence attendue pour cela. Quel profil choisir ? Un jeune architecte ? Un architecte local ? Un architecte confirmé ? Le recours à un jeune architecte peut présenter un risque pour les commanditaires mais donne aussi une chance à une nouvelle 82


créativité. Cependant, malgré le recours aux concours pour se donner une liberté de choisir entre plusieurs architectes et plusieurs projets, les maîtres d’ouvrage des nouveaux musées semblent préférer se fier à un architecte confirmé. C’est en effet la tendance naturelle auprès des commanditaires qui se sentent ainsi rassurés quant à la notoriété certaine de leur futur édifice, garantie par des architectes réputés, placés alors en position de vedettes. Par conséquent, le fossé se creuse de plus en plus dans la course à la création muséale entre des architectes jusquelà ordinaires n’ayant pas encore eu l’occasion de faire leurs preuves et les architectes « extraordinaires », mondialement connus désormais. Définie comme « avant-gardiste, unique, énigmatique, monumentale, reconnaissable par le public, en rupture avec son contexte d’implantation et destinée à devenir célèbre » ²⁸, l’architecture iconique des musées aurait alors comme propriété fondamentale d’être produite par un petit nombre d’architectes réputés qui lui confèrent ainsi des formes et des pouvoirs symboliques.

²⁸ «À quoi servent les starchi-

tectes?», La Vie des idées, par Christophe Camus, 1er janvier 2016

STAR-SYSTÈME ET STARCHITECTES Dans le contexte de la mondialisation et d’une économie concurrentielle et mondialisée, la pratique de l’architecture n’échappe pas au star-système. Le star-système, phénomène qui fonde tout sur la renommée d’une vedette ²⁸, a toujours existé, mais depuis les années 80, une nouvelle forme d’architecture est apparue héritée de ce phénomène et du système spéculatif mondial : la star-architecture ou architecture du spectaculaire, produite par un starchitecte avec de très gros moyens financiers. Ainsi, le monde d’aujourd’hui a basculé dans une économie du spectaculaire qui promeut systématiquement l’architecture la plus originale possible, celle qui prétend se défaire totalement des contraintes usuelles du genre, pour ne pas dire de la discipline architecturale tout entière, telles que le coût, la gravité et la fonctionnalité entre autre chose. Cette nouvelle raison d’être de l’architecture, qui s’acharne à sortir des schémas de répétition et de routine de la production ordinaire (D. Libeskind, 2002), et s’engage dans un vocabulaire bouleversant les géométries et les rapports entre art et architecture (Z. Hadid, 2004), est incarnée par des stars comme Hadid, Libeskind, Nouvel ou Gehry - architectes théoriciens avant d’être particiens. Ces grands noms de l’architecture, personnalités pseudo-marginales font primer l’œuvre et le geste architectural avant tout. Comme l’a lui-même déclaré le président du jury Pritzker 2004, Lord Rothschild, nous sommes entrés dans une époque « obsédée par la célébrité, où le tape-à-l’œil est le lot commun des stars de l’architecture. Au final, qu’importe l’œuvre tant qu’elle est l’expression singulière du caractère d’un architecte qui ose sortir des sentiers battus ». Dans leur ambition à créer une image, les architectes mêlent deux désirs qui s’articulent plutôt bien : celui d’illus-

²⁸ Définition Dictionnaire Universalis

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trer la ville, autrement dit de la pourvoir en images fortes dans une perspective de promotion (du ludique en particulier), et la volonté d’inscrire leur propre image de strarchitecte dans l’espace public par un style architectural très personnel et individualisé, tel un logo. La puissance économique favorise et stimule donc l’innovation et la construction architecturale. Les héritiers de ces starchitectes et autres praticiens abordent les années 80 avec les poches remplies de projets et l’envie de créer des objets uniques et autonomes. Certes, l’extravagance architecturale a son prix et il est impossible d’imaginer construire de tels bâtiments sans investir des sommes considérables, mais rapidement ces promoteurs de nouvelles formes d’architecture croisent le chemin de clients partageant leurs aspirations et prêts à dépenser des centaines de millions d’euros pour réaliser leur projet.

Extension du Musée Royal de l'Ontario, Toronto, Daniel Libeskind, 2004.

Riverside Museum, Glasgow, Zaha Hadid, 2011

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« MUSEOMANIA » CHEZ LES ARCHITECTES Ce phénomène s’est tout de suite étendu naturellement et inévitablement au domaine de l’architecture muséale. Aujourd’hui, le projet muséal et les grandes institutions culturelles de manière générale sont même devenus les fonds de commerce de ces grands architectes. La conception et la construction des musées sont des formes d’expression architecturale particulières, c’est pourquoi elles ont toujours fasciné l’architecte ; le rapport entre l’édifice et la culture y est clair et évident. En fait, la construction des musées répond à une demande, un besoin social qui justifie, plus ou moins, leur nombre démesuré, et leur aspect souvent inutilement spectaculaire. Mais surtout, le design d’un musée permet aux architectes de jouer avec des formes et des styles architecturaux différents ; il leur laisse la possibilité d’exprimer librement leur créativité sans qu’ils aient à craindre d’être freinés dans leurs élans par des contraintes budgétaires. Ainsi, comme le remarque bien le critique Jane Holtz Kay, « les musées modernes sont devenus la toile sur laquelle peint l’architecte ». « En tant qu’architectes, nous devons faire des musées qui soient des œuvres d’art pour procurer du plaisir aux visiteurs. » Richard Meier Les finalités du musée ayant évolué ces dernières décennies, la physionomie de l’édifice ne pouvait pas rester celle de l’institution muséale à l’époque du pur fonctionnalisme. Et si désormais cette quête du spectaculaire dans l’architecture muséale s’accompagne souvent d’un étalage de moyens plastiques et financiers -jugés par certains inutiles au regard du sujet traité-, les esprits ne s’échauffent plus autant aujourd’hui. Habitué aux provocations de l’art contemporain qui n’a plus le beau comme visée, le public s’accommode des extravagances des architectes qu’il trouve somme toute esthétiques et s’est habitué à cette nouvelle architecture muséale, fleuron de l’architecture contemporaine et résultat d’expériences architecturales avant-gardistes.

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CONCLUSION / Jusqu’aux années 1940, l’architecture du musée se contentait d’être l’expression monumentale d’un contenu et d’une fonction. Ce conservatisme culturel que véhiculait alors l’institution, se reconnaissant dans l’historicisme ambiant de l’époque, ne fut pas remis en cause pendant plusieurs décennies. Lorsque les musées se sont finalement ouverts à la modernité, l’architecture a activement participé à leur transformation. En effet, déplorant l’inefficacité architecturale et sociale des institutions de l’époque, les architectes, de connivence avec les conservateurs, ont mené une révolution « fonctionnaliste » dans l’objectif ultime de renouveler le rapport des visiteurs aux œuvres et à la Culture en général. Ainsi, la perspective de transformation de la société par l’architecture et l’urbanisme que prônait le mouvement moderniste s’est transmise aux musées, qui ont vu pour la première fois leur esthétique clairement repensée et modifiée. Depuis les années 70 - 80, l’architecture s’est ainsi vue confier un nouveau rôle, étroitement lié à la récente prétention médiatique des musées. Bien qu’attentives aux nouveaux critères de conservation ou aux tendances muséographiques, et toujours concentrées sur l’attention à porter aux publics, les constructions récentes nous confirment le primat du geste architectural dans le projet muséal contemporain. Ainsi, à travers ce retour au « monumental », c’est la capacité de l’architecture à faire « image » et à communiquer une certaine vision du monde et de la société que l’on recherche et qu’on encourage. De fait, l’architecture du musée est devenue matière de prédilection pour l’innovation architecturale contemporaine. Aussi, ce renouvellement des typologies architecturales de ces institutions trahit les changements permanents de paradigme. Les musées sont en effet passés en quelques années du statut de temples austères, introvertis et réservés à une élite, à celui d’institution cosmopolite, omniprésente, et assumant pleinement sa fonction sociale, pour ne pas dire d’attraction. La transition progressive du musée « sanctuaire », vers le musée « machine » ou « usine », jusqu’aux architectures « hors normes » du musée contemporain atteste de l’évolution constante des fonctions et des finalités que l’on veut bien lui prêter. L’architecture de ces derniers est donc en perpétuelle mutation et redéfinition afin d’adapter continuellement le « contenant » au programme, en termes d’enjeux, et à son environnement en instabilité permanente. Au-delà des transformations physiques, l’évolution et la diversification des fonctions et des activités du musée ont mené à une remise en question de son identité même. Sa subordination aux impératifs de l’industrie culturelle et de la mondialisation l’a enrôlé dans une quête au profit incessante, l’obligeant parfois à se détourner de 87


ses principes fondateurs. Ainsi les instances du musée contemporain privilégient une programmation reposant davantage sur « l’événementiel » et les stratégies médiatiques plutôt que sur des expositions scientifiques jugées « rébarbatives » et finalement moins attractives. Cette mutation des musées résonne de différentes manières auprès de la population. Les regards portés sur cette institution parfois divergent, parfois se croisent. D’un côté, il y a les optimistes, qui se réjouissent de l’évolution permanente de l’institution qui s’évertue à rester connectée à la société au service de laquelle elle se place. Ils voient dans l’instabilité du musée - causée entre autre par la concurrence culturelle de notre époque et les reproches, ou pire, l’indifférence des publics - une force dynamique pour l’institution qui la pousse à se remettre en question en permanence. «L'instabilité est un atout du musée » ²⁹ affirme ainsi Joaquim Pais de Brito, directeur du Museu nacional d'Etnologia de Lisbonne ²⁹. En effet, le musée est une affaire, une réalité publique, elle peut et même elle doit être discutée, débattue et défendue. En revanche, la nouvelle hiérarchisation des objectifs du musée raffermit la critique formulée par de nombreux observateurs. Ils voient ici le risque d’un égarement des musées dans des dérives mercantiles, abandonnant parfois leur vocation première d’éducation culturelle, de délectation et de plaisir artistique. Ainsi, un récent rapport gouvernemental britannique (DMCS : Department for Culture, Media and Sports) a préféré mettre en avant l’impact économique des musées plus que leurs fonctions d’éducation, de conservation et de recherche.

²⁹ Communication lors d’un

séminaire à Lisbonne, par Pais de Brito, 2014.

QUE RETENIR DE CETTE ARCHITECTURE ?

La démocratisation de la culture, l’éducation artistique et les enjeux esthétiques demeurent au centre du questionnement des musées, pour une grande partie. Toutefois, mettre l’accent sur quelques projets un peu caricaturaux génère l’étude et la comparaison par idéaux-types et permet d’afficher le tournant entrepreneurial qu’ont pris les administrateurs de musées ces dernières années. Mais que peut-on, en effet, vraiment retenir du musée des Confluences à Lyon, des édifices de Gehry, à Paris et à Bilbao ou encore du Musée Juif de Libeskind, tant ces réalisations sortent de notre ordinaire? Qu'est-ce qu'une étudiante en architecture peut apprendre de ceux qui occupent systématiquement le devant de la scène architecturale mondiale ? Peut-être qu’en plus d'être inutile, le starsystème fait barrage et nous détourne des vrais débats d’architecture et des expérimentations dont la profession a pourtant besoin. Vis-à-vis même du métier d’architecte, il génère et entretient une fracture entre les architectes dits ordinaires et les stars internationales de l’architecture à l’origine de ces projets, candidats et lauréats favoris des grands prix d’architecture.

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Dans les musées contemporains aujourd’hui, la plus grande œuvre d’art exposée c’est bien souvent l’édifice du musée lui-même et au vu de la croissante fréquentation des musées ces dernières années, le public ne s’y trompe pas. Ce qu’il vient admirer désormais, avant toute chose, c’est le bâtiment, à l’instar de Musée Juif de Libeskind à Berlin, qui attirait déjà les foules alors que les collections n’étaient pas encore installées dans le bâtiment. Quelle pourrait être alors l’évolution de ce musée – œuvre d’art dans les années à venir ? La perspective d’un musée qui n’aurait d’autre finalité que de s’exposer lui-même, un musée sans œuvre ? Les architectes en ont peut-être déjà rêvé mais il ne s’agirait alors plus d’un musée puisqu’il entrerait en contradiction directe avec sa propre définition. Cependant, les musées du XXIe siècle, gages de contemporanéité, offrent une promesse d’avenir et s’annoncent comme les préludes à un nouveau chapitre du grand livre de l’histoire de l’institution muséale.

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Bibliographie OUVRAGES - Mythologie du musée, de l’uchronie à l’utopie par Bernard Deloche, Edition le Cavalier Bleu, 2010, Collection Myth’O - Musées en mutation. Un espace public à revisiter par Jacques-Philippe Saint-Gerand, sous la direction de Martine REGOURD, Edition L’Harmattan, 2013, Collection Gestion de la culture et du secteur non lucratif, Université de Toulouse . - Publics et musées, la confiance éprouvée par Joëlle Le Marec Edition L’Harmattan, 2007, Collection communication et civilisation - Vers une redéfinition du musée ? Sous la direction de François Mairesse et André Desvallées Edition L’Harmattan, 2007, Collection Muséologies - L’exposition, théorie et pratique, par Claire Merleau-Ponty et Jean-Jacques Ezrati Edition L’Harmattan, 2005, Collection Patrimoines et Sociétés - Le musée, un institution dépassée ? par André Gob Edition Armand Colin, 2010, Collection "Eléments de réponse". - Architecture muséale, Espace de l'Art et lieu de l'Oeuvre, par Isabelle Alzieu Edition Pu. de Pau, 2012, Collection Figures De L'art, Numéro 21 - L'art de concevoir et gérer un musée, par Claude Mollard et Laurent Le Bon, Edition le Moniteur, 2016, Collection culture et communication. - Confluences, Génèse d'un musée, dirigé par Hélène Lafont-Couturier et Bruno Jacomy, Edition Flammarion, 2014. - Jean Nouvel / Claude Parent, Musées à venir, sous la direction de Donatien Grau, Edition Actes Sud, Association Azzedine Alaïa, 2016 - Inside the White Cube, Edition Palimpseste, par Yann Sérandour, Edition JRP Ringier, 2009, Collection C. KELLER. - White cube - L'espace de la galerie et son idéologie, par Brian O'Doherty, Edition JRP Ringier, 2008, Collection Lectures Maison Rouge

ARTICLES -

D'ARCHITECTURES 253 - Mai 2017, Dossier Faire et dire l'architecture autrement, PARCOURS, p76-85.

- Article paru dans le 20 Minutes Lyon, Eh oui, les musées meurent aussi, par Benjamin Chapon, 2 Décembre 2016

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THESES, MEMOIRES, RECHERCHES -

Les musées, un outil efficace de régénération urbaine ? par Bruno Lusso

-

L'architecture saisie par les médias, par Jean-Louis Cohen

-

De la raison au canard, ques dit l'architecture monumentale ? par Françoise Gaillard

-

Quand le musée s'expose, par François Gaillard

-

Muséomanie, par Philippe Gérard

- Le MoM (Museum of Museum), recherche et projet créé en 2009 par Stéphane Déplan, Eléonore Pano-Zavaroni et Jeremy Glatre.

ARTICLES EN LIGNE - Résumé de Thèse: Le passage du musée par Jean Louis Deotte, thèse de doctorat ès Lettres, philosophie, soutenue en décembre 1985 à l'Université de Paris VIII. - L'effet musée, par Hélène Hatzfeld et Antoine Loubière https://www.urbanisme.fr/l-effet-musee/dossier-397 - Mise en scène et coulisses du star-system architectural : la théâtralisation des vedettes et ses paradoxes, par Géraldine Molina https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ESP_156_0197 - Les outils pédagogiques dans les musées : pour qui, pour quoi ? par Anik Meunier https://ocim.revues.org/648 - Les médiateurs culturels dans les musées, par Elisabeth Caillet http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1994-05-0040-005 - Les logos de musées : entre marketing et médiation, par Gwenaëlle De Kerret http://www.e-marketing.fr/Thematique/etudes-1000/Tribunes/les-logos-de-musees-entre-marketing-etmediation-250891.htm#q2Z1DZZWrXu2ovpH.97 - Les musées se remettent en scène, par Valérie Duponchelle et Ariane Bavelier http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2012/12/07/03015-20121207ARTFIG00707-les-musees-se-remettent-en-scene.php - Architecture muséale : une figure de l’art de la ville "Du British Museum à la spirale du Victoria & Albert Museum à Londres", par Isabelle Alzieu https://caliban.revues.org/1757

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SITOGRAPHIE http://www.louvrelens.fr/ https://barbaravousenditplus.wordpress.com/2015/12/05/la-campagne-de-pub-geniale-du-musee-dorsay/ http://beaubourgassc2.canalblog.com/ http://www.fondationlouisvuitton.fr/ https://www.guggenheim-bilbao.eus/fr/ http://www.museedesconfluences.fr/ http://www.louvre.fr/louvre-abu-dhabi http://www.newmuseum.org/building http://www.centrepompidou-metz.fr/

VIDÉOS - Explositions, un pétard mouillé ? XIIème cycle de conférence du CAUE du Gard du 28 février 2015. Intervenant François Confino. https://www.youtube.com/watch?v=Su5ijiQR-eE - Reportage 66 Minutes: Grand format : Beaubourg, secrets et trésors d'un monument http://www.6play.fr/66-minutes-p_825/grand-format-emission-du-23-avril-c_11679120

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MUSEOLOGIE ARCHITECTURE MUSEALE ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - STARSYSTEME - CULTURE

RESUME / De l’architecture qui exposait, nous sommes désormais passés à l’architecture qui s’expose. Ces dernières transformations et complexifications dans la création du musée contemporain trouvent leurs sources dans l’évolution de la société et l’apparition de nouvelles attentes à différentes échelles. Tout le monde va au musée aujourd’hui, et ce dernier doit donc être accessible à tous et plaire au plus grand nombre. A plus grande échelle, le musée dans la ville est un réel enjeu, tant sur un plan politique qu’économique ou par rapport à l’espace urbain dans lequel il va venir s’implanter, et probablement transformer. Ces évolutions et ces nouveaux enjeux et contraintes qui apparaissent, ajoutés à l’évolution des matériaux et des méthodes de construction, engendrent nécessairement des modifications dans l’architecture muséale qui devient, dès lors, le moyen d’expression privilégié et tendance de l'architecture contemporaine. ABSTRACT / From the architecture that exposed, we've now moved to the architecture that is exposed. These last transformations and complexifications in the creation of the contemporary museum find their sources in the evolution of society and the appearance of new expectations at different scales. Everyone goes to the museum today, so it must be accessible to everyone and appeal to the biggest number. On a larger scale, the museum in the city is a real issue, both politically and economically, or in its relation with the urban space in which it's gonna set up, and probably transform. These evolutions and new challenges and constraints that appear, added to the evolution of materials and methods of construction, necessarily create modifications in museum architecture, which then becomes the favorite way of expression of the contemporary architecture.

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