Novyi Rozdil
de la ville soviétique à la ville ukrainienne
Mathilde Sivré Travail Personnel de Fin d’Etudes 2013-2017 Encadré par Bruno Tanant
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Novyi Rozdil
de la ville soviétique à la ville ukrainienne
Encadrant : Bruno Tanant Membres du jury : Bruno Tanant, paysagiste DPLG Alice Rousille, paysagiste DPLG Natalia Kotchubey, directrice du centre culturel de l’ambassade d’Ukraine Andryi Skhil, député de la Rada d’Ukraine de 2002 à 2012 Diplôme obtenu le 11 juillet 2017 à Versailles avec la mention « félicitation du jury». -3-
En haut, photo prise par mon grand-père en 1995. La maison était celle d’un grand oncle, déporté en Sibérie dans les années cinquante, Depuis, elle est occupée par une famille ukrainienne d’origine russe. Deux photos de la maison prises en août 2016.
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Baboussia,1 Née en 1927, à Kupnovice, en Galicie Hier polonaise, aujourd’hui ukrainienne Sa mère souhaitant y retrouver son mari Elle rejoignit son père, mineur en Lorraine, Hier en France, puis en Allemagne Puis à nouveau dans nos campagnes Dans le bassin cœur d’acier Polyglotte par nécessité Elle y fit sa vie Une fois, deux fois, retourna au pays Y retrouver ses souvenirs d’enfance Sans parvenir à renouer avec ses sens Puis elle rejoignit sa forêt de bouleaux Sans histoire, sans rien dire. Laissant juste des souvenirs A fleur de peau Betula, samovar et icônes Un trident bleu et jaune Hiver 2013, L’Ukraine se re-réveilla, Entre quête ou requête, Rester ou avancer L’aventure s’annonça!
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«Grand-mère» de son vrai nom Genia Bereska ou Eugénie Sivré
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Introduction
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1. Ukraine
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1.1 Histoire de l’Ukraine 15 1.1.1 Un pays flou dans une Europe méconnue 15 1.1.2 Vivre en URSS 25 1.1.3 L’indépendance 29
1.2 Inspiration ukrainienne 39 1.2.1 Musiques 43 1.2.2 Quêtes 45 1.2.3 Voyages 48
1.3 Et le paysage? 57 57 1.3.1 Le paysage dans la culture ukrainienne
1.3.2 Le paysage chez les practiciens
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1.3.3 Workshop en Ukraine 61
2. Villes d’Ukraine
63
2.1 Villes anciennes 67 2.1.1 Kyiv 67 2.1.2 Lviv 75 2.1.3 Trouskavets 81
2.2 Villages 87 2.2.1 Histoires des villages 87 2.2.2 Structures des villages 88 2.2.3 Vie au village 93
2.3 Villes nouvelles soviétiques 2.3.1 La pensée urbanistique soviétique
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99 2.2.2 Villes nouvelles d’Ukraine 103 2.2.3 Critiques des villes nouvelles 141
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3. Novyi Rozdil
3.1 Grand paysage 3.1.1 Une ville isolée
143 147
3.1.2 Entre eau et forêt 3.1.3 Agriculture et village
147 151 153
3.1.4 Accessibilité
155
3.2 La ville 3.2.1 Histoire de la ville
159
3.2.2 Les infrastructures
159 163
3.2.3 Vie à Novyi Rozdil
169
3.3 La friche 3.3.1 Tentatives
177
3.3.2 Déstructurés
4. Devenir d’une ville post-soviétique 4.1 Tirer les traits au loin
4.2 S’accrocher aux collines 4.3 L’entre-deux 4.4 De la saisonnalité dans la ville
Conclusion Bibliographie Remerciements
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177 183
185 178 189 191 198
177 178 180
France - Ukraine En avion : 3 heures En voiture : 24 heures En bus : 48 heures En train : 96 heures A pied : 367 heures
Moscou BiĂŠlorussie Pologne
Russie
Kyiv SlovĂŠnie Novyi Rozdil
Paris
Hongrie
Moldavie Roumanie
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Ukraine,
A la marche de l’Union européenne, 45,5 millions d’ukrainiens post soviétiques occupent un espace de 603 549 km². Irriguée par le Dniepr en son centre, le Dniestr à l’ouest, le Don à l’est, l’Ukraine s’étend du Mont Horvela (2 061m), dans le massif des Carpates, aux plages de Crimée. Son climat continental modéré avec des hivers froid (-5°C) et long (de novembre à mars),des étés doux (25°C) est une grande force pour l’agriculture. Le tchernoziom, le pétrole, le charbon, le minerai de fer, l’ambre, l’or... créent autant de richesses que de difficultés politiques, sociales et financières. Deuxième plus grand pays d’Europe, après la Russie et avant la France, l’Ukraine est pourtant un des pays slaves les plus méconnus. Nourri de préjugés et d’une actualité marquée par des conflits enlisés, ce pays tente depuis son indépendance d’affirmer son identité en Europe. Mais les séquelles de son passé soviétique sont lourdes et demeurent très présentes dans ses paysages. Les ruines, les scories et les anomalies s’y lisent et enlisent le pays. Novyi Rozdil, ville nouvelle imaginée dans l’enthousiasme soviétique des années cinquante pour accompagner l’exploitation à ciel ouvert d’un important gisement de souffre, est à l’image de ce passé incompris, enchâssé entre désillusion et nostalgie. Ville moderne, conçue pour être parfaite, structurée pour être aimée, elle apparait aujourd’hui délaissée. Son parc industriel désormais à l’abandon constitue une plaie ouverte, que ses habitants peinent à refermer. Pour comprendre Novyi Rozdil, il nous faut entreprendre au préalable un détour : l’histoire, la culture et les particularités de l’Ukraine sont indispensables pour appréhender ses traits essentiels. Mais ils se révèlent insuffisants pour saisir son caractère particulier de ville nouvelle. Un tour d’horizon de villes ukrainienne s’impose. Villes anciennes, villages, villes modernes créées ex nihilo par les soviétiques structurent l’espace public et l’habitat, définissent des modes de vie alternatifs, façonnent des atmosphères différenciées. Parmi ces villes, celle de Novyi Rozdil, cimentée à une modernité à déconstruire, se trouve encore en quête d’un avenir post-soviétique.
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Kyiv Lviv Novyi Rozdil
Ivano-Frankivsk
Odessa
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Kharkiv
Dniepro Donetsk
Marioupol
SĂŠbastopol
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1. Ukraine
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Kyiv
Territoire de la Rou’s de Kyiv
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1.1 Histoire de l’Ukraine
1.1.1 Un pays flou dans une Europe méconnue
L’histoire de l’Ukraine est peu connue en France. Les ouvrages à son sujet sont nombreux mais reflètent une grande diversité de points de vue qu’il est délicat de saisir d’un seul trait de plume. Son histoire, très politique, est sans cesse revisité. Dès lors en cerner les traits essentiels n‘est pas chose aisée. Les historiens qu’ils soient ukrainiens, russes, ou américains interprètent certaines périodes de façon très différentes. Les historiens russes et ukrainiens poursuivent dans leurs ouvrages d’histoire la confrontation politique entre les deux pays dans le but d’affirmer avec conviction qui une autorité qui une indépendance dans le vaste jeu de la puissance et de la géopolitique. - Anne de Kyiv et la Rous’ de Kyiv L’un des chapitres les plus discutés est l’héritage de la Rou’s de Kyiv. La Rou’s de Kyiv est une principauté slave qui a régné du 9ème siècle jusqu’au 13ème siècle. Au 11ème siècle, la Rous’ de Kyiv est l’état le plus étendu d’Europe et le plus riche après l’empire byzantin. Le territoire s’étend du Dniepr jusqu’à la Baltique, de la Volga jusqu’aux Carpates. Afin de créer de nouvelles alliances en Europe, le roi de Rou’s, Iaroslav marie sa fille Anne de Kyiv au roi de France, Henri I. On retrouve, dans l’église de Senlis, à 50 km de Paris, ville où Anne de Kyiv construit un monastère, des vitraux représentant le trident ukrainien. Le regard historique sur cette période demeure encore aujourd’hui un thème de confrontation entre les russes, les ukrainiens et les biélorusses. Une polémique éclata après le discours de Vladimir Poutine au château de Versailles le 30 mai 2017. Le président russe vantait les relations anciennes entre la Russie et la France notamment depuis le mariage d’Anne de Kyiv, princesse russe avec le roi de France Henri I. A cette époque, Anne de Kyiv ne pouvait pas être princesse de Russie puisque celle-ci n’existait pas encore. Elle était princesse de la Rous’ de Kyiv.
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-Nation des Cosaques Zaporogues
Empire russe Etat de Pologne Lituanie
Etats Cosaques Maison d’Autriche
L’ Etats cosaques au 17ième siècle
«Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie» de Ilia Répinde 1891 Musée russe à Saint-Petersbourg
Au 14ème siècle, la Rou’s de Kyiv se fragilise et est envahie par les Mongols. La Pologne-Lituanie, le royaume des deux nations, repousse les Mongols et jette son dévolu sur l’Ukraine. Avec la Pologne, le catholicisme s’installe et l’aristocratie se développe : les nobles polonais s’implantent dans les villes alors que, dans les campagnes, les paysans ukrainiens demeurent orthodoxes. Le désir de liberté des paysans visà-vis des Polonais va susciter la création de l’État Cosaque. Ces guerriers arpentent le territoire pour le défendre des puissances voisines : la Russie, la Pologne, la Turquie. Cette période a engendré de nombreux mythes et légendes vantant la force et le courage de ces «chevaliers». Ces histoires sont encore racontées aujourd’hui : « Tout ce que Gogol a écrit sur eux est vrai ! Un sacré peuple ! Personne dans le monde entier n’a ressenti aussi profondément la liberté, l’égalité et la fraternité. » commente Répine à propos de son tableau «Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie» vendu au tsar Alexandre III en 1891. En 1654 après de nombreuses attaques des Polonais, les Cosaques demandent protection à l’empire russe par le traité de Pereïaslav. En 1667, la Russie et la Pologne signent un traité par lequel l’Ukraine est divisée en deux. Une partie devient l’État Cosaque sous protection russe, l’autre partie devient une province de Pologne. Malgré le traité de Pereïaslav, la Russie intègre dans son empire l’État Cosaque, les privant progressivement de leur chère liberté. A contrario, la partie polonaise devient une terre plus libre. Sous les réformes de Joseph II, le servage est aboli et une société civile se développe, notamment dans la ville de Lemberg (dont le nom actuel est Lviv). Dans l’Ukraine « russe », les Cosaques n’ont plus de pouvoir et l’Ukraine devient une région de l’empire russe. Mazeppa, grand cosaque d’Ukraine tente en ralliant la Suède de retrouver l’Indépendance, mais échoue. Ce personnage inspirera Victor Hugo dans son poème au nom du Cosaque : Mazeppa.
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- L’empire russe
Empire russe
Empire Austro-hongrois
Odessa
L’ Empire du tsar au 19 ième siècle
Le sud de l’Ukraine au bord de la mer, encore peu peuplé, est colonisé par la Russie. A la demande de Catherine II, un français, M. Armand-Emmanuel-Sophie-Septimanie de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu, est nommé gouverneur de cette région et fonde la ville portuaire d’Odessa. Au 19e siècle, l’empire russe lance la révolution industrielle. Dans le Donetsk, à l’est, le charbon et le fer sont extraits. Le chemin de fer relie Odessa jusqu’à Balta. Mais l’avancée industrielle est lente dans l’empire russe. Le territoire est grand et les infrastructures sont dégradées par les hivers rigoureux. En 1825 a lieu une tentative d’insurrection contre le pouvoir du tsar. En Ukraine, toujours région de l’empire russe, des intellectuels tentent de se regrouper afin d’affirmer l’identité ukrainienne. Taras Chevtchenko, poète, en est le porte-parole. Dans l’esprit de développer l’état-nation de l’Ukraine, il raconte dans ces poèmes l’histoire des Cosaques et de la Liberté perdue. Ces écrits sont aujourd’hui encore d’actualités. En parallèle de ce mouvement indépendantiste, dans l’empire du tsar, la révolte gronde. Le territoire de l’empire russe est grand, les infrastructures manquent et sont en mauvais état, les usines sont peu productives. La première guerre mondiale éclate, opposant l’empire allemand, l’empire austro-hongrois à l’empire russe.
Russie Soviétique
Ukraine indépendante en 1917 Hetmanant allemand en 1918 Empire Austro-hongrois en désagrégation
Courte Indépendance en 1917
Les révolutions de 1917 mettent fin à l’empire du tsar tout comme la première guerre mondiale met fin à l’empire austro-hongrois. Libérés du joug des grands empires, les ukrainiens déclarent leur indépendance, en mars 1917.Mais les Bolcheviks arrivent en février 1918. Par le traité de BrestLitovsk, afin de terminer la guerre sur le front de l’est, Lénine livre, en mars 1918, l’Ukraine aux allemands. Prise dans un étau entre la Pologne et les bolcheviques, l’Ukraine tente de s’allier à la première mais celle-ci préfère négocier avec les seconds. L’Ukraine se trouve ainsi rattachée à l’Union Soviétique. Commence alors une autre période douloureuse sur le territoire ukrainien.
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Scène de rue à Kharkiv en 1933 du photographe Alexander Wienerberger (Domaine public)
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- L’Ukraine, entre Hitler et Staline A la suite d’une guerre civile, qui oppose les Blancs (monarchistes) et les rouges (bolcheviks), puis d’une sècheresse, une famine cause 20 millions de morts en Union Soviétique. En 1932-1933, une autre famine eut lieu : l’Holodomor (extermination par la faim). Cette famine aurait été orchestrée par le régime soviétique afin d’éliminer la paysannerie ukrainienne. Les récoltes sont saisies ne laissant aux paysans ni de quoi semer, et pire encore, ni de quoi manger. La mort vient alors peu à peu gangrener les campagnes, transformant les scènes quotidiennes en scènes d’horreur : « Dans un village de la région de Kharkiv, plusieurs femmes firent de leur mieux pour s’occuper de leurs enfants. Certaines d’entre elles, formèrent « une sorte d’orphelinat ». Leurs pupilles étaient en piteux état : « Les enfants avaient le ventre ballonné ; ils étaient couverts de plaies, de croûtes ; leur corps éclatait. Nous les sortions, nous les mettions sur des draps et ils geignaient. Un jour, les enfants ont fait brusquement silence, on s’est retournées pour voir ce qui se passait : ils mangeaient le plus petit d’entre eux, le petit Petrus. Ils le dépeçaient en lambeaux, qu’ils mangeaient. Et Petrus faisait comme eux (...) nous avons éloigné l’enfant de leurs bouches affamées et avons pleuré. ». 1 L’Holodomor fit entre 5 à 7 millions de morts, essentiellement dans les campagnes. Lors de cette période, l’Union Soviétique intensifie ses exportations de blé... Aujourd’hui, 24 pays reconnaissent l’Holodomor comme génocide : Andorre, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Équateur, Espagne, Estonie, États-Unis, Géorgie, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Mexique, Paraguay, Pérou, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Ukraine, Vatican. Pour les Russes, cette famine a aussi tué des Russes et des kazakhes et n’est donc pas un génocide. La voix de la France, quant à elle, s’est tue.
Après ces famines, la paysannerie ukrainienne est fortement fragilisée. En 1937, les grandes purges de Staline affaiblissent une autre partie de la population : les intellectuels. Durant ces exterminations, quelques milliers de personnes sont exécutées ou envoyées en Sibérie. En à peine vingt ans près de 10 millions d’Ukrainiens (un quart de la population de 1914) périssent dans la guerre et la famine. Par la suite, le pays se trouve blessé, divisé, fragilisé. L’armée de l’Allemagne nazie découvre l’Ukraine dans cet état. Ces traumatismes expliquent - sans le justifier - pourquoi certains Ukrainiens choisissent alors de collaborer...
1 Timothy Snyder, Terres de sang Edition Gallimard 2012 p 97
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Des enquêteurs soviétiques regardent une tombe ouverte à Babi Yar. Kyiv, Union soviétique, 1944. US Holocaust Memorial Museum
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En 1939, le pacte Germano-soviétique permet de réunir à nouveau l’Ukraine occidentale et orientale. Mais en 1941, Hitler rompt ce pacte et entre en Ukraine dans le but de mettre main sur les bassins pétrolifères de Bakou. Pendant deux années, l’Ukraine est occupée par l’Allemagne. Le 29 et 30 septembre 1941 à Kyiv, les SS rassemblèrent plusieurs milliers de Juifs et les fusillèrent dans le ravin de Babi Yar. Ce fut le plus grand massacre de la Shoah par balles. « Après avoir remis leurs objets de valeur, leurs papiers, les gens étaient obligés de se déshabiller. Puis avec forces menaces ou coups de feu audessus de leur tête, on les obligeait à avancer, par groupes d’une dizaine, au bord du ravin connu sous le nom de Babi Yar. Beaucoup étaient roués de coups. Ils devaient s’allonger sur le ventre sur les cadavres et attendre qu’on leur tire dans le dos. Puis arrivait le groupe suivant. Trente-six heures durant, les Juifs allèrent ainsi à la mort. Peut-être étaient-ils tous pareils dans la mort, mais chacun d’eux était différent jusqu’au dernier instant, chacun avait des préoccupations et des pressentiments différents, jusqu’à ce que tout soit clair, puis tout noir. Certains moururent en pensant à d’autres qu’à eux, comme la mère de la belle petite Sara de quinze ans, qui implora d’être tuée en même temps que sa fille. Une pensée et un souci l’occupèrent jusqu’à la fin : si elle voyait sa fille exécutée, elle ne serait pas violée. Une mère nue passa ses dernières secondes à donner le sein à son bébé. Quand ils le lancèrent vivant dans le ravin, elle sauta après lui, trouvant ainsi la mort. C’est seulement dans le ravin que ces gens se trouvèrent réduits à rien, ou à un nombre : 33 761.»2 En tout 850 000 juifs sont éliminés en Ukraine.
2 Timothy Snyder Terres de sang Edition Gallimard 2012 p 322-323
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Groupe de Tatars de CrimĂŠe en attente du train pour partir en exil, mai 1944 Site internet : http://www.crimea.ijuela.com/
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Les Soviétiques n’ apprécient pas que les Ukrainiens «collaborent», ils déportent 500 000 Ukrainiens en Sibérie, avant la fin de la guerre. Les Tatars de Crimée, accusés de ne pas s’être défendus face à l’Allemagne sont eux aussi déportés en 1944. En deux jours du 18 au 20 mai 1944 environ 180 000 tatars ont été déportés. « La plupart des déportés étaient des femmes, des enfants, des invalides et des personnes âgées, car la majorité des hommes étaient partis sur le front. La mort a touché notamment les vieux, les malades et les enfants. Ceux-ci sont morts épuisés, de soif ou étouffés dans les wagons à cause des longues étapes sans arrêt. Leurs cadavres entraient en décomposition dans les wagons surpeuplés. Aux arrêts dans les gares, très rares et courts, les morts étaient abandonnés dans les champs ou en marge du chemin de fer sans être enterrés.»1 En route, 100 000 moururent. Les autres, ne retournèrent en Crimée qu’en 1991.
C’est cette histoire « 1944 » que Jamala, la gagnante ukrainienne de l’Eurovision 2016 raconte.
«Quand des étrangers viennent ... Ils viennent dans votre maison Ils vous tuent tous Et disent Ce n’est pas notre faute Pas notre faute Où est votre raison? L’humanité pleure Vous pensez que vous êtes des dieux Mais tout le monde meurt N’avale pas mon âme Nos âmes Je ne pouvais pas me réjouir de ma jeunesse, Je ne pouvais pas y vivre Je ne pouvais pas me réjouir de ma jeunesse, Je ne pouvais pas y vivre»
1 Jean-Jacques Marie Les peuples déportés de l’Union Soviétique Edition Complexe 1995 p. 103 - 23 -
Pays satellites de l’URSS
Union des républiques socialistes soviétiques
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1.1.2 URSS À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pertes ukrainiennes s’élèvent à huit millions de personnes. 15,9% des morts de l’armée rouge sont des soldats d’Ukraine. En 1945, les territoires comportant de fortes minorités ukrainiennes et attachés à la Pologne, à la Hongrie, à la Roumanie et à la Russie retournent sont rattachés à l’Ukraine, lui donnant le territoire qu’elle a «aujourd’hui». En 1954, la Crimée alors en République soviétique socialiste de Russie est rattachée à la République socialiste d’Ukraine. La péninsule constitue le prolongement géographique de l’Ukraine tout en étant étroitement tributaire de celle-ci d’un point de vue économique. Il paraissait normal qu’une presqu’ile soit rattachée à sa terre. A cette époque, le rattachement avait peu d ‘impact, car de toute façon les décisions étaient prises de Moscou.
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A la mort de Staline en 1953, l’Union Soviétique entame la reconstruction et la modernisation du pays. L’organisation de l’URSS se fait à Moscou. Chaque République Socialiste Soviétique applique les décisions du parti communiste. Cependant chacune des 15 républiques dispose d’une constitution, d’un drapeau, d’un hymne et de dirigeants locaux. La République Socialiste Soviétique d’Ukraine gère ses universités. La politique de russification impose l‘apprentissage du russe au détriment de l’ukrainien. Cette mesure est perçue, dans certaines régions d’Ukraine, comme un génocide culturel. L’économie planifiée de l’Union est administrée par Moscou. Les objectifs de production à atteindre sont fixés par différents plans. « La planification régionale en URSS se pose pour tâche de découvrir et d’utiliser le plus rationnellement possible toutes les ressources qui se trouvent sur un territoire donné, dans le but d’accroître l’efficacité économique de l’ensemble de la production du pays et de satisfaire le plus complètement possible les besoins matériels et spirituels de la population.» 1 Il existe trois catégories de plans : - Les plans perspectifs de 15 ans, définissent des objectifs globaux et peu précis, sans chiffrage ; - Les plans quinquennaux qui précisaient les grandes orientations, les objectifs à atteindre au bout de cinq ans ; - Les plans annuels corrigent les plans quinquennaux. Dans les années 30, les plans quinquennaux donnent priorité à l’industrie lourde. Des travaux colossaux sont entrepris comme le barrage sur le Dniepr : le DneproGES.
Construction du DneproGES dans les années 30, à proximité de Zaporijia sur le Dniepr en Ukraine. Domaine public
1 Commission franco soviétique d’information économique réciproque octobre 1969 cité dans l ‘aménagement du territoire de l’europe de l’Est
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Le dégel ( 1953-1964). Après les années de crise, l’URSS tente de rattraper le retard, sur les Etats-Unis et développe les industries et l’agriculture. Cependant, l’industrie légère conserve les objectifs de l’industrie lourde et crée des incohérences entre l’offre et la demande. Cette économie engendre l’ouverture d’un marché noir. Fonctionnalité des vêtements soviétiques Robes du quotidien, 1959 (Modeli sezona)
Brejnev (1964-1982) Au cours de cette période, le niveau de vie s’améliore. Mais les habitants ont quand même recours au marché noir, à la débrouillardise. Des réseaux d’entraide se forment. L’industrialisation de masse ne propose pas beaucoup de choix aux consommateurs. L’offre en voiture, meubles... demeure peu diversifiée. L’URSS n’est pas pour autant enfermée dans une bulle. De nombreux échanges ont lieu afin de promouvoir les idées du socialisme; les domaines d’échange portent le plus souvent sur les métiers créatifs : architecture, mode, ingénierie technique... C’est ainsi que la maison Dior accueille des délégations soviétiques à Paris, afin de développer la mode soviétique. Il y a cependant une incohérence, car s’il faut innover pour développer le socialisme soviétique, toute «embourgeoisement» est interdit.2
La production automobile en Union soviétique : un choix limité de modèles Source : La vie quotidienne en URSS - Présentation
Les nombreuses contradictions entre l’offre et la demande, la créativité et la normalisation ont, dans un certain sens favorisé le déclin de l’URSS.
L’année 1986 change la vie de nombreuses personnes et d’une certaine façon, transforme l’Europe. Le 26 avril 1986, à une heure vingt-trois minutes, le réacteur numéro quatre de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Situé à 100 km en amont de la capitale Kyiv, les retombées radioactives sont concentrées à proximité de la centrale aujourd’hui zone d’exclusion. Les localités situées autour de la centrale sont évacuées. 250 000 personnes quittent leur logement. 784 000 ha de terrains agricoles et 694 000 ha de forêts sont abandonnés. Aujourd’hui, Tchernobyl est un site de recherche scientifique et un lieu touristique.
Le réacteur numéro quatre après l’explosion Source ; Associated Press
2 Larissa ZAKHAROVA, Vie quotidienne en Union Soviétique
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«L’Ukraine sort de l’URSS» Les trois doigts levés au ciel représentent le trident ukrainien : l’ emblème national. Domaine public
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1.1.3 L’indépendance 1985-1991, Gorbatchev et Peretroïska Dans les années 80, la Chine, le Japon, la RDA, forts de leur industrialisation tentent de dépasser l’économie de l’URSS. Afin de contrer cette guerre économique et restructurer l’organisation de l’Union soviétique, plusieurs réformes sont mises en place. Plus de libertés sont données aux agriculteurs et aux entreprises. En 1989, les détenus politiques sont libérés. Ils retournent dans leurs pays respectifs et s’organisent pour défendre leurs droits. Le 16 juillet 1990 le Parlement adopte la Déclaration sur la souveraineté de la République d’Ukraine. Elle est proclamée le 24 aout 1991, date qui deviendra celle de la fête nationale. Le 1er décembre 1991, 90,5 % des électeurs ukrainiens votent par référendum en faveur de l’indépendance. Le 8 décembre 1991, la dislocation de l’URSS est actée par l’Accord de Minsk signé par les dirigeants russes, ukrainiens et biélorusses. Le 25 décembre, le président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev annonce sa démission à la télévision. Le lendemain, l’URSS est dissoute. Mais la chute de l’URSS, n’est pas synonyme de paix et de liberté pour l’Ukraine. Le chemin est encore long...
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Les débuts de l’indépendance
L’indépendance une fois acquise, une phase de construction particulièrement délicate s’engage. Il faut façonner une nation malgré tous les clivages du XXème siècle, les différences culturelles, restructurer l’économie, réformer l’agriculture. L’envie de rejoindre l’Europe émerge, mais les alternances de gouvernements, pro-européen et prorusse retardent les mesures en ce sens. De plus, le manque de structure de gouvernance provoque des dérives. Les privatisations permettent à quelques personnes, dont des membres du gouvernement, de s’enrichir, créant des inégalités profondes entre les oligarques et la population. La crise économique perdure et aggrave le phénomène de corruption qui gangrène le pays. En signant le Mémorandum de Budapest en 1994, l’Ukraine s’engage à restituer l’arsenal nucléaire soviétique à la Russie en échange de la protection de cette dernière, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, la Chine et la France. L’Ukraine a respecté sa part du contrat ; les têtes nucléaires sont désormais en Russie. De fortes disparités culturelles fragilisent la société ukrainienne. Durant la période soviétique, de nombreux russes se sont installés en Ukraine. Certains retournent en Russie, d’autres y restent. Les crises économiques et la corruption rongent la vie des gens. Certaines infrastructures sont abandonnées, les routes se dégradent, les inégalités se creusent entre ville et campagne, entre banlieue et centre-ville, entre voisins... Les ruines, l’abandon, la nostalgie, la mélancolie et le malheur entrent peu à peu dans la vie des gens bloquant toutes perspectives d’avenir. De nombreuses personnes quittent leur pays, immigrent en France, en Allemagne ou en Pologne afin d’y travailler.
Les inégalités se lisent dans l’espace public. Ici à Ivano-Frankivsk en août 2016
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Manifestation du MaĂŻdan, le 1 dĂŠcembre 2013 Noussa Gnatoush
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- Maïdan, ou la «Révolution de la Dignité» De par sa situation géographique et son histoire, l’Ukraine est tiraillée entre l’Union Européenne (EU) et la Russie.... Les différents présidents au pouvoir, après l’indépendance, montrent bien cette tendance. Le premier président ukrainien M. Leonid Kravtchouk et le troisième, M. Victor Ioutchenko veulent se rapprocher de l’UE, le second, M. Leonid Koutchma et le quatrième, M.Viktor Ianoukovitch se révèlent proches de la Russie... Ce dernier, après avoir promis de signer l’accord avec l’UE, opère un revirement total et se rapproche de la Russie. Ce revirement engendre une crise dans le pays en 2014 qui se répercute sur le reste de l’Europe. Ce refus indigne d’abord des étudiants qui manifestent sur la place de l’Indépendance Maïdan, à Kyiv. La police riposte violemment et le mouvement de protestation s’amplifie unissant une grande partie de la société civile. Les revendications portent sur la lutte contre la corruption et le rapprochement avec l’Union européenne. Le 21 février 2014, les forces de l’ordre, les Berkuts, tirent à balles réelles sur les manifestants et causent 90 morts. Ils sont désormais appelés la «Centurie Célèstes». Après ce massacre, le président Ianoukovitch s’enfuit... en Russie. Le gouvernement provisoire est nommé et des élections sont préparées. La manifestation du Maïdan, par son importance et sa diffusion via les réseaux sociaux a eu un impact fort à l’Ouest. L’espoir de voir naître une nouvelle Ukraine, plus proche des valeurs européennes, inspire de nombreux jeunes artistes. A l’est, la proximité, historique et culturelle, de la Russie voit avec réticence le rapprochement entre Kyiv et l’UE. La propagande russe est omniprésente. Le mouvement prend moins d’ampleur.
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- L’annexion de la Crimée Le rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne ne fait pas partie des plans du président russe, qui aimerait beaucoup que l’Ukraine reste dans son giron. Le 27 février 2014, des hommes armés occupent les bâtiments du parlement en Crimée. Le 28 février, des soldats verts, sans insigne, arpentent les rues de Sébastopol. Le soupçon se porte très rapidement sur la présence de l’armée russe en territoire ukrainien, ce que la Russie dément. « Pour savoir si ces hommes sont russes ou ukrainiens, il suffit de leur demander l’heure. S’ils répondent à l’heure russe, c’est qu’ils sont russes.». Le 16 mars , 96,6 % des participants à un «référendum» se prononcent en faveur d’un rattachement de la Crimée à la Russie. La péninsule devient officieusement russe. L’annexion de la Crimée à la Russie, au-delà des arguments historiques - «avant 1954, elle était russe alors elle doit le redevenir» - et culturels, de nombreux artistes russes ont peints les côtes de Crimée, est surtout un enjeu stratégique, lié à la présence du port maritime de Sébastopol. Le 2 mai 2014, une tentative d’occupation de la ville d’Odessa, russophone, échoue. Elle provoque un incendie dans la maison des Syndicats et la mort de 40 personnes. Odessa reste ukrainienne.1
1 Les six dates-clés qui ont fait basculer la Crimée vers la Russie Article de presse France TV info du 18/03/2014 - 34 -
- Le Donbass, une guerre sans fin Le président Poutine, continue sa campagne de déstabilisation afin de dissuader l’Ukraine de rejoindre l’Union Européenne, il déclenche une guerre dans le Donbass, région minière. En Avril 2014, des mêmes hommes vêtus en vert arpentent les rues de Slaviansk dans le Donbass. L’armée ukrainienne, intervient. Une guerre est déclarée contre des «séparatistes pro-russes».
L’aeroport Prokofiev en 2012 et en 2014 Source : Ukraine Today
En trois ans 10 000 personnes sont tuées. Les infrastructures sont détruites. Ainsi l’aéroport de Donetsk, construit en 2012 pour accueillir l’Euro 2012 est ruiné. Le conflit s’enlise et perdure. 435 000 personnes ont trouvé refuge à l’ouest du pays. Cette situation de guerre donne lieu à des tensions entre l’Occident et le régime de Vladimir Poutine, accusé de déstabiliser la région par le gouvernement de Kyiv et par la communauté internationale.
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Transnistrie
Annexion de la Crimée
L’Europe en 2017, l’Union Européenne et l’Union Eurasiatique
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Guerre du Donbass
L’Ukraine doit se battre contre sa voisine la Russie mais elle doit aussi se battre contre elle même. La guerre, «l’annexion», la corruption sont autant de facteurs qui provoquent une crise économique et fragilisent le pays. Les conditions de vie de la population à l’Est comme à l’Ouest se dégradent.
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Contra spem spero Fuyez au loin, oh mes pensées ; lourdes nuées d’automne Car voici revenu le printemps lumineux ; Pourquoi faut-il donc que mes jeunes années S’écoulent dans la peine et l’écho des sanglots ? Non, à travers les larmes, je garde le sourire Et je chante au milieu des malheurs, Sans espoir, je veux espérer quand même, je veux vivre : fuyez, pensées qui m’accablez ! Sur notre terre si dure et si aride, Je m’en irai, semant des fleurs brillantes, Dans la neige glacée je planterai des fleurs Et les arroserai de mes larmes amères. Et l’écorce puissante des glaces Fondra sous mes pleurs brûlants, Pour moi alors des fleurs pourront éclore, M’annonçant enfin un heureux printemps. Sur la pente abrupte de la montagne, Comme on porte la croix, je porterai ma pierre, Et m’élevant avec la charge énorme J’entonnerai quand même un chant de joie. Dans la nuit infinie et sombre, Mes paupières jamais ne s’abaisseront, Et mes yeux guetteront l’étoile des rois mages Qui domine les nuits de son brillant éclat. Oui, à travers les larmes, je garde le sourire Et je chante au milieu des malheurs, Sans espoir, je vais espérer quand même, Je vais vivre : adieu, pensées qui m’accablaient ! Lessia Oukrainka, 18901
1 Traduit par Kaléna Houzar - Uhryn Première parution : Bulletin Franco-Ukrainien, N° 16, décembre 1963
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1.2 Inspiration ukrainienne
Et pourtant, malgré la crise, la guerre, la révolution du Maïdan, a porté une branche de la société La génération des 20-30 ans tente de faire avancer le pays. Instagram, Facebook, YouTube, sont des outils de communication permettant d’échanger avec des pays étrangers. L’objectif est de faire connaître l’Ukraine mais aussi de découvrir l’ailleurs. Cette génération ukrainienne - résolument européenne -désire faire évoluer le pays vers des valeurs démocratiques : la liberté ne serait plus un rêve mais une réalité. Portés par leur amour du pays, ils sont prêt à le défendre, non pas par les armes mais par leur créativité et leur humour: c’est l’art qui sauvera l’Ukraine. Musique, art, littérature, mode... Ce sont ces petites choses qui donnent envie de se battre contre les malheurs de l’Ukraine, qui poussent à se retrouver dans des situations particulières, à 1 600 km de la France, à réaliser des choses improbables.
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1.2.1 Musiques La Révolution et la guerre ont été, malgré l’horreur, le terreau d’une nouvelle vague artistique. De nombreux chanteurs et groupes musicaux se sont appropriés les chants anciens et les musiques traditionnelles, patrimoine culturel de leurs aïeux, et les ont fait renaître en composant des versions plus contemporaines. Les paroles évoquent amour, rage, politique. Une inspiration pour la réparation d’un pays en quête d’identité. Ces musiques sont diffusées sur les réseaux sociaux afin de faire rayonner la culture ukrainienne dans le monde.
Au début, les chants étaient ceux du Maïdan, pour pleurer les morts, Plyve katcha des Picardiyska Tertsiya, Puis d’autres styles se sont ajoutés à la playlist : Avec humour et dérision pour Serduchka, Didzio et Olya Polyakova Avec rage et consternation pour les Dakh Daughters Parce que l’Ukraine peut aussi être techno et folklo avec Onuka, Réveiller les esprits endormis et libérer les musiques anciennes avec DakhaBrakha, Les Panivolka, unissent féminisme et tradition. Et le boy Band national : Okean Elzy entraîne toute une Génération au son de «Stavay» (lève-toi) Et puis n’oublions pas les deux princesses de la pop Elles ont renversé l’image de l’Ukraine en Europe grâce à leur victoire à l’Eurovision. Avec Ruslana, le monde a appris qu’un pays s’appelait «Ukraine» Avec Jamala, le monde a appris où était l’Ukraine. Ils chantent en ukrainien, en russe, en anglais, en français. Ils chantent, car comme le dit Lessia Oukrainka, « le chant est notre seul bien, on peut tout comprimer hors la voix de l’âme ». Un chant qui s’entend même dans le paysage. Le dimanche.
En partant du haut, de gauche à droite: Ruslana, Onuka, DakhaBrakha, les Dakhs Daughters, Olya Polyakova et sa couronne étrange, Folknery, Panivolka, Dzidzio, The Hardkiss, Okean Elzy, Jamala et Verka Serduchka.
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Dark Vador à Odessa Reuters
J’ai toujours pas vraiment compris, Pourquoi à Odessa Dark Vador a remplacé Lénine Gagnent-ils au change? Quand l’un apporte ses idées révolutionnaires Et l’autre lutte contre la rébellion. Mais après tout, Vador s’est longtemps laissé désirer Dans ce pays où Leïla n’a vu jour Que lorsque le régime est tombé. Vador, sans dire son dernier mot A bien tenté de se faire connaitre Arpentant les rues d’Odessa avec ses soldats De la mer d’Azur, en passant le Dniepr Il s’est bien présenté à la présidence Mais que dire, le pays est-il vraiment prêt au changement?
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1.2.2 Quêtes
Looking for Lenin de Niels Ackermann et Sébastien Gobert
En Ukraine; Ce pays où Lénine part Que devient-il? Dans quelle quête insensée se sont-ils lancés ? A travers monts et marais, Routes délavées et paysage sans chaîne Trouver Lénine endormi derrière un hangar, Fracassé, cadenassé, caché Chercher pour ne rien trouver Finalement juste bien s’amuser. Désormais chacun peut trouver sa quête en Ukraine et à jamais y rester...
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Vyshyvanka Edulcorée, rafistolée Colorée, fine ou grossière La broderie à travers le temps A travers les âges Symbolique entre houblons, soucis, étoiles et cercles Pour comprendre la jeunesse, la guérison, l’innovation et l’harmonie Dans ce pays mouvementé Exister, c’est porter La Vyshyvanka unique par sa région Par son propriétaire Prêt à emporter le monde avec elle
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Littérature décalée
L’écrivain Andreï Kourkov russe, mais ukrainien Dans ses romans traduit Une Ukraine complètement décalée Marrante, loufoque et attachante Un univers où un pingouin se promène à Kyiv Un homme se retrouve président de la République Les chats ressuscitent et Le voyage dans le temps est normal La mafia côtoie honnêtes gens Les prostituées se repentissent et à Lviv Jimi Hendrix réunit KGB et hippies.. Des romans absolument pas apolitiques Des fictions proches de l’irréel Qui ne sont pourtant pas loin de la réalité... Histoire de dire, qu’en allant en Ukraine, il est obligé d’offrir A son retour, (si on revient) plein de choses à raconter
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1.2.3 Voyages Paris -Trouskavets, 24 heures (dont 4 heures d’attente à la frontière) Mini-bus 80 euros l’aller + 1 euro le kg
Tracer dans le paysage Ne s’arrêter que quand la course ne le demande Et l’envie d’aller aux toilettes Sacha a sorti le whisky Igor, les tomates Bogdhan a chanté Et Lessia nous a rejoint Traverser les frontières De la place Jourdain à Trouskavets Embrasser l’Europe et parler avec le sourire Pour se faire comprendre Et quand l’Ukraine est arrivée Sacha a sorti la vodka Igor, le pâté et le pain Bogdhan a chanté Lessia a pleuré Et en chœur ils m’ont dit «Welcome to Ukraine»
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Paris
Lviv
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Novyi Rozdil - Lviv, 1 heure 30 Les Mashrutkas, 1,37 euros
Entre les routes tonitruantes, les allées soviétiques Le bus se remplit, se vide Je ne sais pas où descendre La poussière dans la rue, les pavés colorés Ma voisine ne sait pas où je descends Les immeubles gris, les églises dorées Les deux grand-mères ne savent pas où je descends L’argent passe de main en main Tout le monde descend Je ne descends pas Il pleut, il fait froid Il fait beau, il fait chaud Hey, tu descends là! Je descends Mais, je ne sais pas où je suis
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Lviv - Kyiv et Kyiv - Lviv, 5 heures Train 15 euros l’aller ( avec deux thés)
Dormir dans le tumulte du train Le voisin chante, le voisin boit Puis vient la lumière du matin Le soleil illumine la ville aux toits d’or Le train accélère, entrer dans la capitale C’est entrer dans le cœur du pays Le jour, éveillé, le paysage danse L’horizontalité frappante entre en discordance Le thé est chaud, le sourire en prime Tranquillité jusqu’à ce que la guerre nous rattrape. Le paysage défile, avec les couleurs du drapeau, Les bouleaux se mélangent Aux ruines d’hier Les vaches isolées, et la vodka sur le bord de chemin Villes et villages Campagne et forêt A travers l’Ukraine, Le train jaune et bleu A travers l’Ukraine Le train des ukrainiens.
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Lviv
Kyiv
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Lviv-Paris, en passant par Cracovie, Berlin et Bruxelles. 48 heures ( dont 10 heures dans une station essence en Pologne) Bus Eurolines, 100 euros
Traverser les pays Comme on traverse les villes Confondre les langues et parler avec le sourire Manger, hongrois, polonais, ukrainien Débattre de la France, de l’Allemagne, de la Russie Puis vient le changement, les adieux Et arrivent les nouveaux On retourne dans la danse Parler, anglais, allemand, flamant On rit dans toutes les langues Et on boit pour l’Europe Les ruines et les usines s’accumulent Les champs s’enlisent Le paysage défile, toujours plus vite Europe
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Paris
Lviv
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Aquarelle de Taras Chevtchenko
«Que les âmes cosaques, Errent en Ukraine, Ce pays immense Où, d’un bout à l’autre, règne la joie. Comme cette liberté passée, Le Dniepr est vaste comme une mer, Les steppes s’étendent à perte de vue, les rapides grondent Et les tombeaux sont des montagnes. Là est née et s’est exaltée La Liberté cosaque » Taras Chevtchenko 1845
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3. Et le paysage ? 1.3.1 Le paysage dans la culture ukrainienne L’industrialisation massive du pays au cours de la période soviétique, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les difficultés de gestion des déchets, ménagers et militaires, sont les principaux facteurs de la forte pollution observée en Ukraine. Pour contrer ces problèmes, des mesures de protections des ressources naturelles sont prises, notamment avec la création de parcs nationaux pour protéger et développer la biodiversité. C’est dans ce cadre-là, qu’en 2004, le ministre de la protection de l’environnement naturel d’Ukraine, Sergii Poliakov, signa la Convention européenne des paysages. L’Ukraine s’engage ainsi à « veiller à ce que les objectifs liés à la protection et à la durabilité de la diversité biologique et paysagère soient incorporés dans les divers aspects de la politique gouvernementale, en particulier sous la forme d’une agriculture, d’une sylviculture et d’une gestion des bassins fluviaux, d’un tourisme « vert », de moyens de transport et de modes de production énergétique et industrielle respectueux de l’environnement »1
Billets de Hryvnia
Cet engagement se joint au rapport particulier que les ukrainiens nouent avec le paysage. Celui-ci pourrait se nourrir en partie de l’héritage culturel de Chevtchenko, le poète. Taras Chevtchenko, a commencé son parcours comme peintre paysagiste. C’est en étudiant à Saint-Pétersbourg qu’il comprit la beauté des paysages d’Ukraine. Il représenta dans ses tableaux des scènes de vie rurale ukrainienne, puis dans ses poèmes il raconta les paysages. La représentation des paysages s’inscrit dans le patrimoine culturel ukrainien en s’inspirant de ses poèmes. Le paysage est gravé sur les billets de Hrivnia, (monnaie nationale créée après la chute de l’URSS) et sur le drapeau national : le jaune représente les champs de blé ; le bleu, le ciel. Dans la culture plus contemporaine, le paysage est présent dans de nombreux clips de musique traditionnelle, montrant, les montagnes des Carpates, les champs de blé, les villes, les villages…
Le drapeau ukrainien
En ukrainien, il y a deux termes qui signifient paysage : пейзаж et ландшафт . (Respectivement prononcé : paysage et landschaft) qui viennent du français et de l’allemand. 1 Discours de Sergii Poliakov lors de la signature de la Convention européenne des paysages le 14 juin 2004.
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Aménagement paysager d’une avenue à Lviv. Réalisé par la mairie de Lviv.
Projet à Kyiv de restauration de la rivière Lybid. Par l’agence d’architecture : Cullmann Workshop Le financement est issu d’une organisation participative.
Aménagements réalisés par le service espaces verts de la mairie de Kyiv.
Transformation d’un terrain vague en parc. Projet participatif coordoné par l’agence Micto-Sad. (http://misto-sad.com.ua)
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1.3.2 Le paysage chez les practiciens Du côté praticien, la pensée paysagère, selon des professionnels interrogés, est aussi très peu développée. La première raison est le manque de demande due à la crise économique. Ensuite le manque de sensibilité politique lié à la question du paysage freine les commandes. Qu’est-ce qu’un paysage ? Un paysagiste ? Pourquoi un élu a-t-il besoin d’un paysagiste ? Ensuite, les universités sont peu enclines à l’innovation, par manque de ressources budgétaires. Les enseignants, formés à l’école soviétique, transmettent à leurs propres étudiants des idées proches de celles qu’on leur a inculquées il y 20 ou 30 ans. Comment innover, transformer l’espace si les techniques employées sont encore celles utilisées en URSS ? La dernière raison est la difficulté de mener à bien un projet à cause d’une administration particulièrement lourde et complexe. Surtout lorsque les informations nécessaires à la conduite d’un projet paysager sont onéreuses ou peu disponibles : « On a attendu trois ans avant d’avoir les courbes de niveau de la ville de Kyiv. Ils les avaient, mais ne voulaient pas les donner…». La profession se dirige alors vers le marché privé où la demande est plus importante. Le paysage reste au jardin.
Cependant depuis la révolution du Maïdan, les choses tendent à évoluer. A Kyiv, la sensibilisation a commencé. L’enjeu est d’offrir plus de nature dans la ville, retravailler les berges bétonnées des rivières, reconnecter la ville au Dniepr, trouver un futur aux friches industrielles... Des actions liant la concertation avec les habitants et professionnels (bénévoles) se développent, comme la création du parc de la Centurie céleste sous l’initiative de Zhenya Kuleba (Micto-sad). Ce terrain situé en plein centre-ville est une friche. Après la révolution, la volonté est de créer un lieu de mémoire où les larmes et les bougies laissent place à un parc ouvert à tous. Des actions qui devraient se développer tant les villes d’Ukraine sont émaillées d’espaces peu valorisés mais appréciés des habitants. La question du bénévolat se pose alors chez les professionnels : travailler gratuitement pour faire avancer les choses ? Ou se battre pour avoir la rémunération d’un travail qui tarde à venir ?
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Photo : Margo Didichenko
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1.3.3 Workshop en Ukraine C’est en voulant prendre une voie de traverse qu’un architecte ukrainien, Viktor Zotov et un urbaniste suisse Urs Thoman, ont créé, à Kyiv, une école des études urbaines CANaction (pouvoir l’action). Les étudiants déjà diplômés sont : architectes, urbanistes, designers, géographes, sociologues... L’école favorise les échanges pluridisciplinaires. La formation propose à des étudiants issus de formations variées d’étudier sur une période de six mois une ou plusieurs villes d’Ukraine. Afin d’offrir des regards extérieurs à des jeunes professionnels, les intervenants, viennent d’Europe et du monde entier. Ces études permettent de faire un constat sur l’état des villes et sur la façon dont il est possible de les faire évoluer. Le directeur de cette école m’a offert l’opportunité d’y animer, avec mon encadrant Bruno Tanant, un workshop et ainsi de mieux comprendre la façon de procéder et de penser de jeunes professionnels ukrainiens. Le workshop, réalisé sur deux jours, avait pour thème la relation que le Dniepr entretient avec la ville, séparé par une autoroute. Lors de la première esquisse, les projets des quatre équipes (de une à trois personnes, essentiellement des architectes de formation) se focalisaient sur le passage de l’autoroute entre la colline et la ville. Les participants se sont rendu compte que les quatre équipes ne pouvaient pas traiter le même sujet et que cette façon de procéder relève plus de l’architecture que de l’aménagement paysager. Sans doute, l’idée de recouvrir l’autoroute a été nourrie par les nombreuses propositions d’agences internationales, consultées par les autorités locales pour l’aménagement de ce même site. Le deuxième jour, jour de rendu, les quatre équipes sont parties dans quatre directions différentes en travaillant à l’échelle de la ville afin de trouver quels étaient les potentiels d’action : - Faire vivre le Dniepr dans la ville ; - Créer des îlots dans la ville (en lien avec les iles du Dniepr) ; - Quelle est la place de la colline dans la ville ; - Kyiv, ville de la forêt. Les difficultés, de la langue, de la méconnaissance du site, de la différence culturelle et/ou professionnelle n’ont pas été des obstacles aux échanges. Bien au contraire, cela a permis de se concentrer sur les propos tenus. Le dialogue s’est déroulé autour des thèmes liés à la politique, à la nature en ville, à l’écologie et aux usagers. L’enjeu de ce workshop était de donner une grande liberté de penser le futur, en fonction de la culture ukrainienne (quels usages?) de l’histoire particulière (que fait-on de l’héritage soviétique?). Un bien lourd objectif qui, à force de workshops, d’échanges, permettra de développer de nouvelles idées pour l’Ukraine de demain. Le workshop a été pour moi l’occasion d’animer un groupe de jeunes professionnels - diplômés - , avant même de l’être moi-même, et de comprendre qu’un enseignant apprenait énormément de ses élèves. - 61 -
Les toits de Lviv
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2. Villes d’Ukraine Ville d’hier, ville d’aujourd’hui Ville du passé, ville endormie Corruption, destruction Poésie et sensation Poussière, discordance Rappel à l’ordre Elément du passé, histoire fracassée On cherche, on s’appuie, on avance Doucement, mais sûrement
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Les paysages d’Ukraine, dans leurs diversités, se nourrissent de trois catégories d’espaces urbains : les villes anciennes, celles qui existaient avant l’indépendance, avant l’URSS. Ces villes sont ancrées dans leur territoire depuis des siècles et ont vécu, subi, les différentes périodes de l’histoire du pays. Elles sont des centres culturels, touristiques et économiques. Ce travail présente trois villes anciennes : - Kyiv, la capitale ; - Lviv, l’occidentale ; - Trouskavets, la station thermale. - les villages, composés de maisons individuelles et de lopins de terre présentent un modèle de vie traditionnel où l’agriculture vivrière revêt une importance capitale. - les villes nouvelles qui, malgré leur apparence délabrée, sont récentes. Elles sont le fruit d’une ambition politique de l’URSS. Vestige de ce temps révolu, elles sont très présentes dans le paysage ukrainien. Certaines sont isolées, d’autres sont proches d’agglomérations anciennes. Les unes et autres sont dépourvues d’imaginaire propre. En dépit de leurs esthétiques datées, elles offrent des services publics (crèches, écoles, lycées, cantines, hôpitaux, centres culturels (ex-maison du peuple)) qui contribuent à y stabiliser la population malgré la déprise économique.
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2.1 Villes anciennes 2.1.1 Kyiv Enflammée et sage Ouverte et fermée Tout a commencé ici Penser à ce mois de février Secouée à ces morts Seule, perdue dans ces rues. Que comprendre ? Une ville de rires et de larmes Une ville d’hypocrisies et de surprises Humour de rue, étrangeté urbaine, artistes en fond Caché derrière ses façades, le malheur réside Les couleurs d’un renouveau imposent Sucrerie, douceur et chocolat Les peupliers dansent là où Lénine résidait Sur terre, sous terre On se perd Des boutiques à touristes au café à emporter L’or des ancêtres brille sur les toits Et le Dniepr encore une fois gronde sa rage
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Auberge de jeunesse : 5 euros Parc florale : 0,04 euro Collier en perle : 5 euros Restaurant : Last Barricade de 2 à 12 euros (Bonne chance pour trouver l’entrée)
« Kyiv brillait de mille feux alors que Moscou n’était qu’un simple village de pêcheurs ». Au début, la ville s’installe sur la colline et domine le Dniepr et la plaine. A l’époque de la Rous’ de Kyiv la cité connaît son apogée : elle est un important centre commercial entre la mer baltique et la méditerranée, elle est aussi un haut lieu de l’orthodoxie depuis la construction de la cathédrale SainteSophie (1041). Puis les siècles passants, les guerres et les bouleversements géopolitiques perturbent le rayonnement international qui fut le sien au XIème siècle. La Seconde Guerre mondiale a ravagé Kyiv. Après la guerre les bâtiments ont été reconstruits dans le centre afin d’accueillir de nouvelles populations. Durant la période soviétique, la ville s’est étendue sur l’autre rive du Dniepr. Des canaux d’irrigation ont permis d’édifier de nombreux immeubles. Kyiv est divisée en deux secteurs: le centre historique sur la colline et l’espace soviétique dans la plaine. Le Dniepr parsemé d’îles, coule au milieu. Il crée un lien d’accroche ou de séparation. Dans la partie «historique», l’urbanisme soviétique a aussi légué son héritage. Des cheminements sont creusés dans le sous-sol pourfaciliter le passage des piétons. Dans ces espaces une vie souterraine s’est installée, parfois plus dynamique que la vie en surface...
Le bord du Dniepr fin du 19ième siècle ( La légende de la carte est en français)
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Le Dniepr et la forêt
Le centre historique
L’urbanisme soviétique
Les zones industrielles
Le tissu pavillonaire
Les axes routiers et ferrés
Composition de la ville de Kyiv 0
3 km
N
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La place dans les années 1977 Newsparky
La place de l’Indépendance, Maïdan, est un exemple parfait des représentations des décisions d’aménagements controversées en Ukraine. Comme le pays, son histoire a connu de nombreuses péripéties. Si elle est une place classique au XIXème siècle, la période soviétique a laissé son legs. Après la deuxième guerre mondiale, la place est reconstruite dans un style stalinien. La poste centrale et la maison des syndicats sont des exemples de cette architecture Aujourd’hui, elle est une place particulièrement «capitaliste». Le lieu est réaménagé en 1976, puis en 2001 sans réelles concertations avec les professionnels et les habitants. Il incorpore un centre commercial sous-terrain. La surface est jonchée d’objets déséquilibrant l’harmonie d’ensemble: coupoles et corridors en verre destinés à éclairer le centre commercial, sculptures allégoriques, bassins, mobiliers urbains de styles variés et boutiques amovibles. Le tout représente bien le capharnaüm que l’on peut trouver dans de nombreuses villes d’Ukraine. Le manque d’idées fortes, de convictions, les contradictions se lisent dans l’espace public et particulièrement sur cette place qui symbolise le changement de la société.
La place en août 2016
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2.1.2 Lviv
Couleur effacée Regard rassuré Vente sur le trottoir Framboises, pommes et myrtilles Le rire s’échappe des rues La musiques, des Carpates à John Lennon. Les étales accueillent Les touristes amusés, contemplent Angela, Donald et Vova A l’honneur Rivière cachée d’un opéra élégant Une voiture sur les toits Et la banlieue arrive De parc, en forêt Vient la linéarité insaisissable De l’Ukraine d’hier... Portée par le gris, la ligne Les avenues remplacent les rivières Et quand tout s’échappe Les champs arrivent Offrant l’horizontalité frappante - 75 -
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Auberge de jeunesse : 5 euros Gâteaux de miel : 1 euros Couronne de fleurs : 5 euros Restaurant (House of Legend) : 5 euros Amitié sincère : gratuit
Lviv, Leopold, Lwow, Lemberg, Léopoli... Cette ville aux nombreux noms est un signe du multiculturalisme de cette région d’Ukraine. Lviv fut capitale de Galicie, région de l’Empire Austro-Hongrois, ville de Pologne, ville de Finlande, ville de Pologne à nouveau, ville d’URSS et pour finir ville d’Ukraine. Tantôt polonaise ou austro-hongroise, puis annexée par l’Union soviétique en 1939, la Galicie se sent européenne. Ces changements se lisent dans le paysage. Pour s’en convaincre, il suffit de se perdre dans le vieux Lviv, entre les vestiges architecturaux de l’époque Habsbourg, les splendeurs fanées de la noblesse polonaise, qui y résidait voilà deux siècles, ou les églises gréco-catholiques qui jalonnent la cité. Son architecture fait la fierté des ukrainiens, une ville où il y a à voir. Dans la vielle ville piétonne, les échoppes de touristes, les cafés étranges, les brasseries, transforment l’espace public en lieu de vie moderne. La rivière polluée a été recouverte au XXème siècle pour laisser place à un espace public, elle accueille à chaque fête un sapin pour Noël, un œuf géant pour Pâques et des attractions pour les enfants. Derrière la poussière qui s’incruste dans les pavés, se cachent des couleurs qui seront peut-être un jour ravivées. Le centre, touristique est aussi source d’inspiration pour comprendre les attentes des générations plus jeunes : vivre comme des européens. Mais quand vient la banlieue, le contraste est fort, le décor change, l’univers troque couleurs et fantaisies pour retrouver l’urbanisme soviétique rigide et froid. Alors les grandes avenues prennent place avec le gris des bâtiments, les magasins minuscules et les trottoirs défoncés rappellent que «oui, le chemin est encore long...».
La banlieue de Lviv est avec ses bâtiments soviétiques, août 2016 La place centrale de Lviv, août 2016
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La forêt
Le centre historique
L’urbanisme soviétique
Les zones industrielles
Le tissu pavillonaire
Les axes routiers et ferrés
Composition de la ville de Lviv 0
4 km
N
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2.1.3 Trouskavets
Légérement isolée Et pourtant bien aimée Du charme polonais au calme soviétique Aujourd’hui, trop délaissée Pour briller Se laisse quand même Porter par son parc Sa musique et ses restaurants
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Les ukrainiens aiment Trouskavets. C’est une ville calme, située dans une forêt de sapins au pied des Carpates. Cette ville d’eau est localisée à cent kilomètres au sud de Lviv. La ville compte quatorze sources minérales, elle accueille chaque année 200 000 touristes et curistes. À la fin du XIXème siècle Trouskavets, sous domination polonaise, est une station balnéaire renommée de l’Europe. On venait ici de Vienne, Cracovie, Prague, Varsovie et Berlin pour rétablir sa santé. A cette période la ville a développée des infrastructures, édifiée des hôtels, des pensionnats et des villas originales. Les années soviétiques ont détruit en partie ce patrimoine et transformées les sanatoriums en hôtel à plusieurs étages à l’architecture imposante. Mais Trouskavets reste la ville de repos où Russes et Ukrainiens viennent se soigner et profiter de l’air pur des Carpates. Puis à l’indépendance, de nouveaux hôtels toujours plus hauts, hétéroclites, sont construits. La ville s’est développée sans cohésion, tel un fourbi. Le centre de Trouskavets héberge des sources d’eau. Un grand parc piétonnisé et fermé à la circulation occupe l’espace public. De nombreuse échoppe de souvenirs y sont installés ainsi que des espaces récréatifs. La promenade dans le parc invite à la flânerie. On y croise des dresseurs d’aigle, des musiciens chanteurs et des jeux forains. L’espace central est vivant et joyeux. Mais hélas un escalier majestueux en travaux est déjà en ruine. Les oreilles sont choquées par les annonces publicitaires incessantes d’une radio…
Hotel 3 étoiles 14 euros Glace : 0.20 euro Couronne de fleurs : 5 euros Restaurant : Babylon Kolyba «Demandez Shlashlik, Vareniki» (La meilleur viande du monde) 5 euros Eau de source : gratuit Vyshyvanka : 30 euros
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Composition de la ville de Trouskavets Etangs
Forêt de conifères
Parc paysager
Industries
Hôtels
Maisons individuelles
Bâtiments soviétiques 0
1 km
N
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Pâture
Culture
Habitation avec parcelle potagère
Chaque villageois obtient un salaire du Kolkhoze. Cependant, ce dernier est trop faible, les kolkhoziens ont le droit de cultiver, sur leur temps libre, un lopin de terre pour s’auto-alimenter et vendre si besoin le surplus de leur production à la coopérative. Ils peuvent posséder au maximum un demi-hectare de terre, une vache, deux truies, 10 ovins , 20 ruches et de la volaille.
Exploitation du Kolkhoze Organisation du village en URSS
Surface pour la communauté
Lopins de terre alloués aux habitants
Les terres des kolkhozes sont paratagées entre les anciens travailleurs du village.
Organisation du village après l’indépendance
Lopins de terre au bord de la route entre Lviv et Novyi Rozdil, août 2016
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2.2 Villages 2.2.1 Histoire des villages Après la collectivisation des années trente, le système d’exploitation agricole est partagé entre les Sovkhozes et les Kolkhozes. Le premier est une ferme d’état, où les employés sont considérés comme des ouvriers industriels. Ce type de structure est surtout développé en Sibérie. Le Kolkhoze quant à lui, est une coopérative agricole où les terres, les outils, le bétail étaient mis en commun entre les villageois. En Ukraine, les Kolkhozes étaient plus nombreux. A la chute de l’URSS, il a fallut repenser ce système. L’un des premiers actes de la réforme agraire est l’intégration dans les codes ruraux de l’existence légale de la propriété privée. Avec les réformes foncières de 1991, les kolkhozes doivent céder 15% de la surface exploitée au bénéfice de la communauté, controlé par le conseil de village. En 1995, la loi impose le partage des terres des ex-kolkhozes et sovkhozes. Chaque ancien travailleur reçoit alors une part foncière, appelée «paille», non définie par le cadastre. Leur surface théorique dépend de la taille de l’ancienne structure et du nombre d’habitants. Un moratoire est mis en place interdisant la vente des terres agricoles. Les différentes réformes ont eu pour conséquence de voir apparaitre dans le paysage, trois types de structures d’exploitation économiquement différentes: - les exploitations agricoles qui produisent essentiellement des céréales, du colza, du tournesol... - les exploitations familiales de 50 hectares. Elles ont été attribuées en 1992 aux villageois qui possédaient une formation en agronomie. Ces exploitations rencontrent des difficultés liées au manque d’équipement agricole. Ainsi des parcelles ne sont plus cultivées par manque de moyens et deviennent des friches. - les lopins de moins d’un hectare qui fonctionnent comme des parcelles de maraichages, (légumes, pommes de terre, lait, viande...) Elles permettent d’offrir une certaine résilience alimentaire aux villageois mais aussi aux populations urbaines. Nombreux sont les cultivateurs qui vont vendre leur production dans des marchés en ville. Les lopins de terre, représenteraient, « la moitié de la valeur ajoutée totale de la production ukrainienne, (...) dans le secteur de la production laitière, de la production de viande blanche et dans le maraîchage. 90% de la production de pommes de terre serait issue des lopins.»1
1
Hubert Cochet, Agriculture de lopin et agrobusiness en Ukraine
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2.2.2 Structures des villages Le village ukrainien sont pour la plupart structurés autour d’une rue unique. Le village - rural Il s’étale le long d’une route et prend parfois de l’épaisseur. Les villages sont isolés et les habitants vivent presque en autarcie. Cette vie au village est possible grâce à la solidarité présente entre voisins. Les maisons sont proches, mais séparées par des parcelles jardinées. Poules et oies vaquent dans la rue. Ce type de village est ancien, mais existe encore aujourd’hui. Beaucoup de maisons sont en bois.
Ce village se serait développé ainsi afin de faciliter le passage du bus pour aller à l’exploitation du kolkhoze. Les maisons ont certainement été construites à cette même période. Le jardin est organisé pour développer la production potagère.
Le village - urbain De construction plus récente, le village urbain ressemble à un quartier résidentiel, Les villas ont été construites à partir des années 80 : la perestroïka assouplit les règles d’accès à la propriété. Le village urbain conserve un usage agricole, mais les parcelles cultivées sont plus petites. Les poules se promènent encore dans la rue.
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Composition du village de Rudnyky Etang, production de poissons
Forêt, production de bois et champigons Prairie ou pâture
Culture de céréales
Lopin de terre
Ancien Kolkhoze Habitations
0
1 km
N
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Pommes de terre
Potager Citrouilles Aneth Ails Oignons Carottes Betteraves Framboises Tomates Choux Haricots Poivrons
Maison pour 5 personnes Cuisine Chambre parentale Salle-à-manger + chambre Salon + chambre (canapé convertible)
Projet : installer une salle de bain avec toilette dans la maison.
Compost Jardin d’agrément Balançoire Puits Remise Niche du chien
Poulailler Enclos (ancienement pour une ou deux vaches) Lapins
Maison de la grand-mère Salle de bain
Jardin des fleurs Cassis Groseilles Framboises Mûres
Toilette au fond du jardin Verger Cerisier Pommier Poirier Mirabellier Noyer Vigne
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Poulailler Porcherie
Pommier Poirier Noyer
Citrouilles Aneths Ails Oignons Carottes Betteraves Framboises Tomates Choux Haricots Poivrons
Maison pour 6 personnes Extension de la maison pour installer une salle de bain et des toilettes à l’intérieur
Jardin d’agrément
2.2.3 La vie au village Chaque jardin a son histoire, son originalité, le plus souvent composé d’un potager, d’un verger, d’un espace d’agrément planté de fleurs, d’une basse-cour, de lapins, de cochons, de vaches. Cette micro-économie vivrière permet de faire vivre une famille composée de deux à trois générations. Certains foyers vivent de façon organisée et indépendante. Les parents sont salariés en ville, pendant ce temps, les grands-parents s’occupent des activités agricoles et des enfants.
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Village démesuré, linéarité impressionnante. Chaque parcelle est un spectacle Des formes, des couleurs Les fruitiers appellent. Les grand-mères enchantent Les clôtures émerveillent Baboussia promène sa vache en laisse. Viens le cris de joie des enfants, Se promenant pour aller voir les parents, Courant dans les champs à travers les chevaux attachés. Un vélo et à jamais la fantaisie marque les lieux. La chèvre attend devant la maison Son lait dès la sortie est une nouveauté. Les poules se mélangent aux lapins, Les roses aux pivoines. Travailler dehors Après la journée à l’usine Dans la sidérurgie, dans un bureau En ville à la campagne Rentrer se reposer? Ou rentrer travailler la terre Biner, sacler, laisser pousser Arrosser, laver, sécher Regarder la lune, pour planter Esperer la pluie, mais pas trop Esperer le soleil, mais pas trop Passer son temps dehors Week-end en famille A ramasser les pommes de terre Avec les amis on échange la bête Motorisée ou animale Puis la porte s’ouvre La chaleur enveloppe L’amour, et le festin Le sourire et la lueur d’espoir Sur la table, mille plats forment un tableau Odeur, papilles émoustillées Leurs noms sont une évasion Varieniki, Rholubsi, borch et schalshclik Mais qui parle de vodka ? L’horilka prend la relève et quand la chance est là Le Samohone étonne Quand l’ivresse nous réunit La langue ne séparant plus Entonne les chansons d’hier Oubliant solitude et routine
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Monument soviétique à Kyiv, érigé en 1949 par l’Armée soviétique.
Avenue de l’indépendance à Kyiv, érigée en 1949.
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2.3 Villes nouvelles soviétiques 2.3.1 La pensée urbanistique soviétique La pensée urbaniste soviétique s’est librement inspirée de la littérature marxiste avec comme grand principe fondateur l’abolition des rapports entre la ville et la campagne. A la création de l’URSS, l’idée est de réfléchir à la ville socialiste parfaite. «Nous devons atteindre la fusion de l’industrie et de l’agriculture, basée sur la rigoureuse application de la science, combinée avec l’utilisation du travail collectif, et par l’utilisation d’un plan d’aménagement plus diffus pour le Peuple. Nous devons mettre fin à la solitude, à la démoralisation et à l’enclavement du village, de même qu’à la malsaine concentration des foules dans les cités ». (Lénine) 1 1917-1930 Les concepteurs des années 1920 tentent de réfléchir à l’idéal de cette ville socialiste à travers les idées du constructivisme et du rationalisme. La ville doit être la plus fonctionnelle possible. Durant cette période, de nombreux architectes européens échangent avec des architectes soviétiques pour développer et partager sur le projet comme Walter Gropius (co-fondateur du Bauhaus).
Route
Zone industrielle
Parc
Ville
Chemin piéton
Schéma selon la pensée de Milioutine. Un parc sépare la zone industrielle et la ville. Les cheminements piétons sont différents des routes.
1930-1956 Dans les années 1930, l’ingénieur, Nikolaï Milioutine (18891942) publie un livre « Sotsgorod » (villes socialistes) présentant ses concepts inspirés des doctrines marxiste fordiste et léniniste et de la ville linéaire de l’espagnol Arturo Soria y Mata. Dans cet ouvrage, il réfléchit à un système de ville où la vie du piéton est facilitée. « La ville soviétique doit être honnête et simple dans ses formes, comme est honnête et simple la classe ouvrière ; diversifiée, comme l’est la vie ; seuls les éléments dont sont composés les édifices doivent être standardisés et non les édifices eux-mêmes ; économique dans le matériau utilisé et l’entretien et non dans l’espace et le volume ; joyeuse, comme l’est la nature. Enfin, elle doit être commode, claire, hygiénique.»2 Milioutine préconise de minimiser le temps de déplacement entre l’habitat et le lieu de production. Un espace vert doit aussi séparer la ville de la pollution industrielle. Milioutine n’aura pas mis ces théories en pratique. Staline au pouvoir, il faut montrer la grandeur soviétique face à l’architecture des gratte-ciels américains. La tendance est donc de suivre le mouvement de la hauteur en construisant des gratte-ciels (Les 7 sœurs de Moscou) et des monuments rocambolesques, abandonnés devant tant de démesure comme le Palais des Soviets à Moscou. En Ukraine, l’architecture stalinienne est présente sur l’avenue de l’Indépendance de Kyiv . 1 Joris DANTHON L’urbanisme en Urss : histoire et caractéristiquesRegards sur la ville 2012 2 Caroline MOTTA L’expérience soviétique des villes nouvelles : évolution d’un paysage urbain Dossier les villes de l’Est Revue regard sur l’Est 2007 - 99 -
D’après la thèse « La préfabrication en URSS : concept technique et dispositifs architecturaux» de Natalya Sopolova
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1956-1991 La période Krouchtchévienne (1953-1964) A la mort de Staline en 1953, la construction de la démesure cesse. Afin de tourner la page sur les années d’horreur stalinienne, Krouchtchev interdit la fantaisie dans l’architecture, car son coût est trop important. Les plans quinquennaux ont comme objectifs de réduire le déficit de logement en 20 ans. L’URSS se lance dans l’industrie de l’immobilier. Afin de gagner en rentabilité, la construction standardisée se développe en entrant dans de l’urbanisation de masse. Les immeubles sont construits en préfabriqués, normés, testés et envoyés partout en URSS. La planification urbaine se fait à partir de micro-raïon (unité de voisinage) qui fait primer la communauté sur l’individu. Le micro-raïon est composé d’un complexe d’immeubles de logements et de services (Écoles, jardins d’enfants, crèches, jardins, aires de sports, commerce de proximité…). Chaque habitant doit avoir le nécessaire à proximité, afin de travailler plus efficacement. Le système de raïon permet d’offrir une vie proche de l’autarcie, sans utiliser la voiture. La période Brejnévienne (1966- 1982) Durant cette période, suite à l’intensification de l’industrie automobile, la possession d’une voiture est plus courante. Les villes soviétiques s’éloignent des centres urbains. La surface au sol reste inchangée, mais la hauteur des bâtiments augmente. La densité est plus importante. Afin de respecter les plans quinquennaux du parti, le potentiel de certains espaces, géologique, physique, est le terreau de la création de nouvelles implantations industrielles. Pour construire, développer ces industries, dans des espaces déserts, il faut accueillir de nouvelles populations dans ce que l’on appelle «les villes nouvelles soviétiques ». Celles-ci sont construites selon les principes de l’urbanisme socialiste.1
1 Lydia COUDROYde LILLE. Relire la ville socialiste. Histoire urbaine, Sociétéfrançaise d’histoire urbaine (SFHU), 2009, p.6.
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Varach
Pripyat Slavoutytch
Netichyn
Oukrainka
Novyi Rozdil
Sievierodonetsk Novodnistrovsk
Svitlodarsk Vouhledar YoujnooukraĂŻnsk
Zelenodolsk Enerhodar
Nova Kakhovka Teplodar
Youjne
Tchornomorsk ChtcholkinĂŠ
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2.3.3 Villes nouvelles soviétiques en Ukraine Une ville nouvelle, par définition est «une localité surgissant dans un lieu nouveau ou sur la base de localités existantes au moment de l’implantation d’un complexe de production et caractérisée par un accroissement brutal de sa population.»1 En URSS, les villes nouvelles résultent d’une politique planifiée visant à développer une économie. Ainsi entre1 200 et 2000 villes nouvelles sont construites. De tailles variées, isolées ou à proximités des métropoles. Certaines d’entre elles furent des villes fermées, comme Fokino en Russie. Ces villes n’étaient pas inscrites dans les statistiques ou sur les cartes, elles cachaient des complexes militaires ou industriels. D’autres villes ont été abandonnées, comme Pripyat, ville de Tchernobyl ou Adoulyar dans la région de Moscou. La chute de l’URSS a engendré la fermeture des activités militaires ou industrielles. Par manque de reconversion, les habitants n’ont pas d’autres choix que de partir. En Ukraine, dix-huit villes sont référencées. Parmi elles dixsept sont habitées. Une est abandonnée : Pripyat s’est vidée de sa population après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Sa ville de remplacement est Slavoutych. Chtholkiné est en Crimée occupée. Svilodarsk se trouve sur la ligne de front dans le Donbass. A peu près 576 000 ukrainiens vivent dans ces villes, sans compter toutes celles qui se sont développées autour des grandes agglomérations, Kyiv, Lviv, Kharkiv…. L’absence de chiffre précis pointe la carence d’études réalisées sur le sujet. La question mériterait d’être étudiée. Actuellement, le milieu universitaire accorde de l’importance aux recherches sur le patrimoine historique ukrainien.
Légende pour les cartes qui suivent : Etendue d’eau naturelle
Etendue d’eau industrielle
Cette partie présente le dessin de 18 villes-nouvelles répertoriées en fonction du nombre d’habitants. Elles ont vocation à loger les habitants au moment de l’implantation d’un complexe industriel: industrie maritime, chimique, centrale nucléaire, hydroélectrique, thermique. Les photos montrent des vues générales de ces villes. Elles sont postées par les habitants sur internet. Devant le nombre de clichés disponibles ou l’absence, le choix s’est porté sur ceux qui offrent une vue générale. Le dessin de chacune de ces villes permet de comprendre comment elles sont implantées dans leur territoire, offrant à ces villes érigées sur un même modèle et construites de préfabriqués une singularité.
Forêt
Industries
Villages
1 Caroline MOTTA L’expérience soviétique des villes nouvelles : évolution d’un paysage urbain Dossier les villes de l’Est Revue regard sur l’Est 2007 - 103 -
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Sievierodonetsk
Localisation : Oblast de Louhansk Date de création: 1934 Raison de sa création : Construction d’une usine chimique Population : 109 466 (2013) Densité : 3 3736 hab./km2 Superficie : 2 930 hectares
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2 km
N
Облака над городом-5 (Nuages sur la ville) N.Skuridika - mars 2010
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Tchornomorsk
Localisation : Oblast d’Odessa Date de création: 1950 Raison de sa création : Construction d’un chantier naval Population : 59 825 (2013) Densité : 2 393 hab./km2 Superficie : 2 500 hectares
0
2 km
N Tchornomorsk airbro - juillet 2014
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Enerhodar
Localisation : Oblast Zaporijia Date de création: 1970 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire Population : 54 708 (2013) Densité : 862 hab./km2 Superficie : 6 350 hectares
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2 km
N
Enerhodar Une vue de la ville à partir du tuyau TPP Chiots - septembre 2007
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Nova Kakhovka
Localisation : Oblast de Kherson Date de création: 1952 Raison de sa création : Construction d’une centrale hydroélectrique Population : 47 852 (2013) Densité : 215 hab./km2 Superficie : 22 270 hectares
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2 km
N Nova Kakhovka Serge Wolf - janvier2017
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Varach
Localisation : Oblast de Rivne Date de création: 1973 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire Population : 41 849 (2013) Densité : 3 700 hab./km2 Superficie : 1 131 hectares
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2 km
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Varach Corner MBagyinszky - septembre 2011
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Youjnooukraïnsk
Localisation : Oblast de Mykolaïv Date de création: 1976 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire Population : 40 555 (2015) Densité : 1 663 hab./km2 Superficie : 2 438 hectares
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2 km
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Yuzhnoukainsk from helicopter Kyivman - avril 2007
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Netichyn
Localisation : Oblast de Khmelnytsky Date de création: 1980 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire Population : 36 741 (2013) Densité : 557 hab./km2 Superficie : 6 592 hectares
0
2 km
N
Нетішин зверху Vue de Netichyn digr - septembre 2007
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Youjne
Localisation : Oblast d’Odessa Date de création: 1978 Raison de sa création : Construction d’une zone portuaire Population : 32 154 (2016) Densité : Superficie :
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2 km
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C высоты птичьего полета (Vue plongeante) Павел Юрьевич - avril 2009
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Novyi Rozdil
Localisation : Oblast de Lviv Date de création: 1953 Raison de sa création : Construction d’une usine chimique Population : 28 797 (2013) Densité : 1309 hab./km2 Superficie : 2200 hectares
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2 km
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Novyi Rozdil Taras Shevchenko Avenue Alexander Kulyk - mars 2016
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Slavoutytch
Localisation : Oblast de Kyiv Date de création: 1986 Raison de sa création : Remplacement de la ville de Pripyat (Tchernobyl) Population : 24 826 (2013) Densité : 1 192 hab./km2 Superficie : 2 082 hectares 0
2 km
N Slavoutytch Ondrey Civin - avril 2017
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Oukrainka
Localisation : Oblast de Kyiv Date de création: 1967 Raison de sa création : Construction d’une centrale thermique Population : 15 644 (2013) Densité : 2 647 hab./km2 Superficie : 591 hectares
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2 km
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Sans titre 23yearsyoung – sept. 2010
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Vouhledar
Localisation : Oblast de Donetsk Date de création: 1964 Raison de sa création : Exploitation des mines de charbon Population : 15 357 (2013) Densité : 2 898 hab./km2 Superficie : 530 hectares
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2 km
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Вид на город со стороны больницы (Vue depuis l’hopital) ssslllyyy - mai 2013
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Zelenodolsk
Localisation : Oblast de Dnipropetrovsk Date de création: 1961 Raison de sa création : Construction d’une centrale thermique Population : 13 947 (2013) Densité : 840 hab./km2 Superficie : 1 659 hectares
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2 km
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У нас на районе (Notre raïon) klyuchnikk – mai 2013
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Svitlodarsk
Localisation : Oblast de Donetsk Date de création: 1970 Raison de sa création : Construction d’une centrale éléctrique Population : 12 164 (2013) Densité : 1 308 hab./km2 Superficie : 930 hectares
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C высоты птичьего полета (Vue plongeante) Павел Юрьевич - avril 2009
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Chtcholkiné
Localisation : Crimée Date de création: 1978 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire (construction abandonnée) Reconversion en station balnéaire Population : 11 184 (2013) Densité : 327 hab./km2 Superficie : 3 420 hectares 0
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Chotklino g.Schelkino i9 - mai 2007
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Novodnistrovsk
Localisation : Oblast de Tchernivtsi Date de création: 1973 Raison de sa création : Construction d’une centrale hydroélectrique Population : 10 729 (2014) Densité : 1513 hab./km2 Superficie : 709 hectares
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Novodnistrovsk Demoxy - août 2007
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Teplodar
Localisation : Oblast d’Odessa Date de création: 1983 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire (construction abandonnée) Population : 10 204 (2013) Densité : 3 401 hab./km2 Superficie : 300 hectares 0
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Teplodar ....Pioneer... - novembre 2010
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Pripyat
Localisation : Oblast de Kyiv Date de création: 1970 Raison de sa création : Construction d’une centrale nucléaire Tchernobyl Abandonnée depuis 1986 Population : 0 (2013) Densité : 0 hab./km2 Superficie : 13 000 hectares 0
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Шістнадцятиповерхівка СРСР (Intraduisible) Vasiliy Gapienko - mai 2011
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2.3.3 Critiques des villes nouvelles Dessiner, les villes, chercher les photos sur internet, se perdre avec street view et voir qu’au final, de Lviv à Donetsk, de Tchernobyl à la Crimée, l’atmosphère est proche. Nous pouvons imaginer une sensibilité identique de la banlieue de Saint-Pétersbourg à Vladivostok…
- Ce magasin est miniscule -Parfait pour notre micro-quartier Paru dans Krokodil n°11, avril 1966 (Revue satirique soviétique)
Les mêmes places austères et disproportionnées, les mêmes immeubles préfabriqués, les mêmes arbres, les mêmes trottoirs blancs, la même végétation qui cache les bâtiments… L’ennui se nourrit de la monotonie des formes, des couleurs... La globalisation industrielle de l’immobilier qui rend les villes banalisées était déjà critiquée du temps de l’URSS. Mais aujourd’hui, les travaux universitaires et artistiques sont très faibles. Mais les études occidentales arrivent toujours à la même conclusion : quelle attitude avoir face ces villes ? Font-elles partie du patrimoine soviétique ? Quelle est la place du patrimoine soviétique à l’heure du décommunisme ? Les villes nouvelles construites sous l’ère soviétique peuvent être agréables à vivre une fois rénovées. Ainsi, Bratislava, ville soviétique, située dans la banlieue de Vienne, désormais capitale de la Slovaquie, est devenue acceuillante. Mais la Slovaquie, pays de l’Union européenne, a mobilisé les moyens financiers importants pour rénover sa capitale. Les villes ukrainiennes ne disposent pas d’une telle manne financière. Les éventuelles rénovations des villes nouvelles ukrainiennes soulèvent de nombreuses questions : Doit-on tourner la page en les déconstruisant ? Doit-on les figer, car leurs conceptions prônent les idées socialistes et que les habitants s’y sentent bien ? Ou doit-on les rénover ?
- Enfin, on ne se perdra plus! Paru dans Krokodil n°17, avril 1967
A ces questions, on peut répondre au cas par cas. Car si ces villes se ressemblent toutes, elles ont au fond chacune des particularités à révéler et sont en attente d’un devenir. Parmi ces dix-huit villes, j’ai choisi d’étudier, Novyi Rozdil (page 121-122). Elle est l’une des premières villes construites et son étude permet d’apprécier le panel architectural des différents plans quinquennaux. Sa balance « ville-industrie » est déséquilibrée. L’industrie s’est arrêtée et la ville est en attente de devenir. Quel futur peut-on donner à une ville qui a perdu son industrie, dans un pays en pleine crise géopolitique, économique et sociale ? Un critère plus personnel a aussi guidé mon choix. Novyi Rozdil se situe à proximité du village natal de ma grand-mère.
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3. Novyi Rozdil
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Lviv
Kupnovice
Massif de Kolodnytsya
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Novyi Rozdil Khodoriv Jydatchiv
Trouskavets
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Carpates
Ivano-Frankivsk
Moukatchevo
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3.1 Grand paysage 3.1.1 Ville isolée La vallée du Dniestr est située dans la partie occidentale de l’Ukraine entre les Carpates et le massif de Kolodnytsya. La vallée, argilo-limoneuse, est très souvent inondée. Des canaux d’irrigation et des digues ont été installés afin de favoriser la culture des terres et la vie. Mais le manque d’entretien, après l’indépendance de l’Ukraine, a transformé les parcelles en friches, rendant la lecture du paysage plus complexe, mais pas moins poétique. La vallée abrite de nombreuses villes dans son lit majeur. Sambir, Trouskavets, Ivano-Frankivsk, situées au pied des Carpates, elles se sont enrichies grâce aux activités touristiques. Mikolaïv et Stryï ont pu se développer grâce à la la route E471 qui relie Lviv à Moukatchevo de l’autre côté des Carpates. Cette route entretenue est très empruntée pour les transports de marchandises et par les habitants qui rejoignent Lviv pour travailler. C’est à 12 km de cette voie, entre la forêt de Kolodnytsia et le Dniestr, que la ville de Novyi Rozdil est bâtie en 1953. Aujourd’hui elle est isolée car les infrastructures routières vétustes ne sont pas rénovées, l’accès à la ville est difficile. Le temps nécessaire pour parcourir les 12 km est de vingt minutes dans des conditions éprouvantes car de nombreux nids de poule abîment la chaussée.
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Novyi Rozdil
Krups’ke
Rozdil
La friche 200 hectares
Berezyna
Dem’yanka-Naddnistryans’ka
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Horishnje
Dolishnje
Hranky-Kuty
Rudkivtsi Berezdivtsi
Pidhirtsi
Pidhirtsi
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1. Les retenues d’eaux sont nombreuses. Elles permettent la pratique de nouvelles activités comme la pêche, la baignade, la promenade. Ce lac, noyé dans la forêt est très apprécié. L’eau n’est pas polluée.
2. La forêt est gérée en futaie de charmes. Le sous-bois est clairsemé.
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3.1.2 Entre eau et forêt Novyi Rozdil est situé dans un cadre naturel agréable, entre la forêt et le Dniestr. Les espaces boisés et les lieux insolites comme les bassins formés par l’infiltration des puits d’extraction du soufre par les eaux du fleuve sont fréquentés et appréciés, quoique peu accessibles.
3. Les bassins formés par l’infiltration des puits d’extraction sont difficilement accessibles. Ces espaces sont des atouts paysagers à valoriser, malgré la pollution du site.
4. Les surfaces comblées des puits d’extraction sont devenues des horizontalités frappantes. Le terril, véritable montagne dans la linéarité du paysage entre en contraste.
5. Le Dniestr, en aval de la ville, est isolé par la friche industrielle. Ses bras morts et son emprise souterraine ont un impact sur l’agriculture ce qui nécessite de drainer les terres dans la vallée.
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Parcelles céréalières
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3.1.3 Agriculture Les environs de Novyi Rozdil, présentent deux types d’agricultures : les grandes parcelles de cultures céralières et les lopins de terre alloués aux villageois. Les parcelles de cultures céréalières se sont implantées sur les collines. L’eau est plus facilement drainée. La terre noire montre sa grande qualité agronomique. Les lopins, sont situés sur les versants des collines à proximité des villages. Chaque lopin a sa propre culture et au fil de l’année les couleurs et les textures ne cessent de changer. Ils donnent une dynamique au paysage. Cette agriculture est à l’échelle de l’homme. Le travail se fait manuellement, avec la force des bras, par traction animale ou plus rarement avec un tracteur. Un paysage agricole, fortement tenu par une décision politique, mais qui fait aussi la singularité de la campagne ukrainienne. Parcelles céréalières Lopins de terre 0
2 km
N
Le travail de la terre se fait en famille. Certaines embauchent des saisonniers pour les travaux difficiles : labour, ramassage...
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Lopins de terre
Trançons de routes rénovés
5
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2 3
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2 km
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1. La voie de chemin de fer, utilisée autrefois pour le transport de marchandises, est abandonnée. Certains tronçons sont reconvertis, par les habitants des villages alentours, en chemins de raccourci pour gagner Novyi Rozdil.
2. Sur d’autres, les rails ont «disparu» laissant de côté les traverses en bois pourrissantes.
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3.1.4 Accessibilité Ni file de droite, ni file de gauche Crispés dans la voiture Regarder les routes ge paysa Regarder le in procha rou Voir les voitures danns u d e t t oute atte er dre la r Dans l’ n e r p le de possib s lu p iter le Les taxis ne veulent pas y aller EvJu ste traverser ces mauv ais passages Rire, ma is au fon d pleu e r Refuser Piéto d’aller à certainsrendroits n, cy e cliste ’est pir ,avnodituil pleut c re, m Et qu ême Ne pas conn aitre la profond alère eurgdu trou Bonne route
L’arrivée à Novyi Rozdil interroge : mais où est l’entrée de ville? Après avoir parcouru vingt kilomètres sur une chaussée dégradée, le regard se pose sur un fatras de bâtiments en ruines mêlés à quelques pavillons individuels. La route ressemble à un chemin parsemé de nids de poule où le goudron n’existe qu’à l’état de trace. La végétation envahit le site. Les lieux sont déserts. Où est Novyi Rozdil ? L’envie de faire demi-tour parcourt l’esprit. Mais la curiosité prend le dessus et le voyage continu. Les bâtiments et leurs habitants apparaissent, la ville vit. La mairie, bien consciente des difficultés, essaie tant bien que mal d’entretenir les voies de communication.
3. Le pont de la voie de chemin de fer très fragilisé ne peut plus supporter le passage d’un train.
4. Les déplacements à pied ou en voiture sont compliqués.
5. L’état des routes dévalorise les élèments à proximité, ici un alignement de peupliers noirs.
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La ville dans les annĂŠes 1970, photo exposĂŠe dans la maison de la culture de Novyi Rozdil
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3.2 La ville 3.2.1 Histoire d’une construction A la demande du Ministère de l’ Industrie chimique de l’URSS, dans le cadre du 5ème plan qui vise à accroître l’autonomie économique de l’URSS, la construction d’une usine de souffre est planifiée dans la zone qui deviendra la ville de Novyi Rozdil. Des puits de soufre, peu profonds et facilement exploitables, y sont découverts. En 1953 les premières habitations sont bâties afin de loger les ouvriers. D’abord composée de quelques bâtiments, la ville se développe de 1953 à 1991, en fonction des plans économiques administrés par Moscou. La productivité augmente, de nouveaux travailleurs arrivent et le besoin en logement s’accroît. La population est de 2 750 habitants en 1959, elle culmine à 29 160 habitants en 1989. En parallèle à la construction de logements, et en accord avec l’idéologie soviétique, des bâtiments pour les services de la vie quotidienne de la population ( jardins d’enfants, crèches, écoles, cantines, équipement commercial de proximité, aires de sport et jardins) apparaissent . Novyi Rosdil, née d’une mono industrie, a trouvé son équilibre. Mais en 1991 après la chute de l’URSS le parc industriel est abandonné. La ville est vouée à disparaître avec la désindustrialisation et pourtant elle subsiste. Elle vit aujourd’hui de ses commerces, Les habitants ne sachant où aller restent et adoptent une vie autarcique. Les espaces verts sont réappropriés et transformés en espaces viviriers : potagers, jardins.
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1955 : 800 habitants
Les premiers bâtiments de la ville sont construits au début des années 1950. Les constructions (R+2) ont une architecture élaborée : les façades sont travaillées et des appartements sont aménagés sous les toits. L’espace public, au centre de l’ensemble, est un parc où chacun utilisent le lieu selon ses besoins : stockage du bois, étendage du linge, jeux pour enfants, potagers…
1959 : 2 700 habitants
A la fin des années 1950, les nouveaux logements édifiés (R+3) sont alignés en barre. Entre chaque bâtiment, un espace public permet aux habitants de se rencontrer. Aujourd’hui, cette aire est privatisée et transformée en jardin-potager.
1960 : 9 400 habitants
Dans les années 1960, l’habitat dit «Krouchtchévien» innove avec la standardisation. Les immeubles montent en étage ( R+5) sans ascenceur. Le revêtement de façade est gris en brique , rendant l’atmosphère plus austère. L’espace public accueille plus d’habitants, l’accaparation en potager est moins perceptible, mais les structures d’accueil bricolées ( banc, table, jeux...) montrent la volonté de vie commune.
1970 : 20 400 habitants
En 1970, l’ascenseur permet aux bâtiments ( R+ 8) de s’élever. Plus haut, plus d’habitants et pourtant, l’espace public est réduit. Le minéral est proportionnellement plus présent ( routes, parking...). Le gris des bâtiments, malgré la tentative de poser quelques couleurs, offre une atmosphère rude et triste. Le vert de la végétation est discret. Les potagers sont plus rares.
1980 :25 000 habitants
La dernière tranche d’urbanisation date des années 1980. Les immeubles (R+9) rivalisent d’austérité avec les constructions des années 1970. Par contre l’espace public est plus vaste, car l’urbanisation de la ville a pris fin avec la chute de l’URSS et laisse de la place aux nombreuses parcelles potagères.
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École du savoir, De technique et de la science De l’enfance à l’adolescence Les meilleurs sont affichés, Scolaires, professionnels, Du rêve au réel. Aux fenêtres pour les petits, figurines. Aux murs pour les plus grands,broderies.
Maison de la Culture, place centrale
École le soir Pour la musique, percussion, flûte et Sopilka Le foot et le basket Du théâtre aussi. Jeunesse occupée
Intérieur d’une école
Viens le bal de fin d’année Robe, bijoux et maquillage, Le temps d’une soirée Novyi Rozdil, Submergée par sa jeunesse enchantée Aire de jeux dans un raïon
Terrain de foot
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3.2.2 Les infrastructures
Terrains de sport Ecoles Hôpital Garages Maison de la Culture Piscine Cinéma
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1 km
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L’héritage soviétique est encore présent à Novyi Rozdil. Chaque unité de logement, le micro-raïon, possède une école secondaire, une aire de jeux, un terrain de sport et on y trouve aussi quelques commerces. La ville dispose aussi d’équipements culturels et sociaux : -un hôpital construit en 1965 pouvant accueillir cent patients. -une maison de la culture, lieu de spectacles, de musique, de théâtre mais aussi de réunion. -des infrastructures de formation, cinq écoles secondaires accueillant 5000 élèves, un collège polytechnique (600 étudiants), un lycée professionnel de construction et d’ingénierie (1 300 étudiants), une école d’art (200 étudiants) -la piscine et le cinéma sont abandonnés, l’équipe municipale tente de trouver les fonds nécessaires pour les rénover.
Cinéma Écran à jamais figé Entrée emmurée Fresques effacées Histoire délaissée
Piscine En ruine, oubliée, Eau croupie Friches affirmées et murs tagués Impossibilité de nager
Reconstruction, en cours
Reconstruction en cours
Le cinéma
Hôpital Voyage dans le temps 1960 en 2017 Noyé dans sa forêt Trop d’entrées Accueil vide Couloir vide Chambre vide Seringues sur le chariot, Vaisselles en émail Et les pharmacies font le boulot Achat des cachets à l’unité L’ordonnance, c’est toi qui la fais.
L’entrée de la piscine
Rénovation, en cours Accueil du cinéma
Vestiaire de la piscine abandonnée
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La zone industrielle Cette zone artisanale s’est développée en parallèle au parc indutriel. Elle s’est greffée le long de la route principale et vient déstructurer les entrées de la ville. En effet, ces zones mal intégrées, noyées dans la végétation, n’invitent pas à l’arrêt dans la ville.
Nouveaux commerces Depuis l’indépendance, de nouvelles contructions viennent perturber l’harmonie de la conception de la ville. La poste, la maison de l’emploi et un centre commercial extérieur, sont cependant très fréquentés.
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La ville s’agrandit au delà de la conception urbanistique initiale. L’accès à la propriété, l’indépendance, les nouveaux usages, la nouvelle économie, ont éloigné la ville de son dessin conceptuel.
Nouveaux commerces Zone industrielle Village rural Village urbain
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1 km
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Le village rural, Sans doute présent avant l’implantation de l’usine de soufre, il comprend, des maisons alignées le long d’un chemin en terre battue mais carrossable. L’ambiance est la même que dans les villages isolés des environs. Les maisons anciennes, parfois en bois, sont entourées d’un terrain clôturé occupé par une cour, des bâtiments d’exploitation, une basse-cour, un verger et un potager fleuri. Il est courant de voir des poules et les oies se promener dans la rue. Le village urbain L’avènement du capitalisme dans les années 1990 et le retour de la propriété privée vont à nouveau modifier le paysage urbain de la ville. Le village urbain, orthogonal, comprend de nombreuses villas récentes. Il rappelle la banlieue de Lviv. Les maisons imposantes clôturées sont entourées d’un petit jardin d’agrément.
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L’Êglise orthodoxe grecque, domine le parc de la ville
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Les églises dans le paysage La pratique de la religion est interdite durant la période soviétique. Il faut attendre les années 80 et la perestroïka pour que les croyants puissent afficher leur foi. Une montée en puissance des différentes religions est alors observée en Ukraine. A Novyi Rozdil, plusieurs cultes coexistent : gréco-catholique, orthodoxe-oriental, orthodoxe-grecque, témoins de Jehova et l’église polonaise. La diversité des lieux de cultes fait la fierté des habitants.
Influence paysagère de chaque église dans le paysage Eglise
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1 km
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Construites dans les années 1990, les églises sont placées à l’extérieur de la ville ou dans les villages. Elles favorisent des déplacements de l’intérieur vers l’extérieur de la ville. L’architecture, colorée et travaillée entre en contraste avec les bâtiments soviétiques austères. Le dôme en feuille d’or, rend ces lieux de cultes très visible dans le paysage. Un point lumineux qui indique où se trouve la ville. Mais elles n’ont pas leur place dans le centre, situées à la périphérie elles ne sont pas intégrées dans la ville. Malgré l’importance de la religion dans la vie des habitants. Il n’y a pas de réelle espace où les croyants pourraient se retrouver, avant et après la messe.
A Novyi Rozdil, l’église orthodoxe grecque construite sur une colline est depuis la friche industrielle.
L’église orthodoxe oriental est cachée par la végétation et les bâtiments industriels.
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3.2.3 Vie à Novyi Rozdil Difficulté à cerner cette ville Si petite et tant habitée Si aimée, mais tant abîmée Avec des moments de solitude Partagée avec tous comme à son habitude Limites insaisissables et arrivée laborieuse Tiraillé entre rester dans la vie au calme figé Ou partir retrouver l’agitation des villes effrénées Ville vivrière Terre cultivée, bricolage coloré Des formes affirmées ou décontenancées Fleurs, poireaux, rhubarbes Troncs blancs, arbres fruitiers Poésie de l’espace, fantaisies à affirmer Vie au village dans la ville Ventes sur le trottoir Poules et chiens errants Générations mélangées Ville figée Ville d’un temps passé Lourdeur ou opacité Portée jusqu’à la cime Trottoirs abîmés, maisons abandonnées Gris et tristesse ambiants Rue des âmes perdues Sapins noirs, vue cachée Bâtiments à révéler, bâtiments à oublier
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Parcelles vivrières A Cours de raïon
Av
en
ue
Ch
ev
Lopins de terre
tch
en
ko
B
Friche industrielle
0
500 m N
La ville de Novyi Rozdil, noyée dans sa végétation correspond à la définition de la ville verte, fertile ou encore agricole que les professionnels de l’aménagement urbain rêveraient de développer en Europe occidentale.
Eglise, orthodoxe grecque
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Parcelles vivrières Productions frutière et légumière Espace de promenade 50 m Les différents secteurs de Novyi Rozdil, Coupe AB
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Bassin Récupération d’eau de pluies des immeubles Pratique de la pêche
La ville - parc Lors à la construction de la ville, 12 000 végétaux sont plantés. Ces arbres font aujourd’hui partie prenante de la ville. Les espaces publics conçus pour des raisons d’hygiène et de loisirs ont évolué avec les habitants. Aujourd’hui trois types d’espace public se distinguent : Les allées principales Elles sont plantées d’un double alignement d’arbres (conifères et feuillus) accompagné d’une haie-basse. Lieu de passage, les allées sont dessinées et entretenues uniquement pour cet usage.
Les cours des micro-raïons Elles sont plantées d’arbres, d’espèces variées : érables, charmes et conifères. Une aire de jeux est à disposition des familles. Toutes les cours ont leur identité propre car elles sont décorées par les habitants : les jeux sont peints par les enfants de l’école, le mobilier est bricolé par les parents et les plantations de fleurs sont entretenues par les grand-mères... Ces cours sont perçues comme des jardins communautaires.
Les plantations vivrières Les arbres fruitiers (pommier, mirabellier, cerisier, prunier), plantés par les habitants, sont omniprésents dans la ville. Ils sont visibles dans les doubles alignements des allées principales, dans les cours ou en périphérie de la ville. Ces végétaux sont reconnaissables car les troncs sont traités à la chaux pour lutter contre les maladies et les insectes. Les fruits sont ramassés par les autochtones. Les chemins sont créés par les habitants, révélant les lignes de désir.
Micro-raïon Immeubles Aire de jeux Ecole maternelle Commerces
Avenue Chevtchenko Commerces Infrastructures publiques ( maison de la culture, commissariat...)
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Micro-raïon Immeubles Aire de jeux Ecole maternelle Terrain de sport
Ce croquis montre l’implantation des parcelles vivrières au pied d’un bâtiment d’habitation collectif. Les familles prennent l’initiative d’occuper un bout de terrain en fonction de leurs besoins. Les parcelles de taille et de production variées offrent au paysage des palettes de couleurs et de textures qui contrastent avec la rigidité et le gris des bâtiments.
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Comme à la campagne La culture locale se réapproprie la ville soviétique. Les voiries, les murs et les espaces demeurent, mais les usages se recomposent en faisant appel à la tradition ukrainienne. L’espace public, approprié par les habitants, est transformé en parcelles vivrières. Les différentes façons de cultiver et d’aménager les petits espaces rompent l’uniformité des plans initiaux de la ville en offrant au regard une grande diversité végétale. Elles confèrent à la cité une identité propre, encastrée dans son territoire, éloignée des schémas d’ensemble imaginés autrefois à Moscou.
A l’époque de l’URSS, la ville est pensée pour offrir les meilleurs conditions de vie aux ouvriers.
A la chute de l’URSS, les habitants transforment la ville en fonction de nouveaux usages.
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Une ville en crise, mais transformée par ses habitants. Après l’effondrement de l’URSS et la fermeture de l’usine de soufre, les habitants cherchent des solutions pour résister à la crise. Ils ont développé le sens du partage, de l’entraide et entretiennent un rapport à la terre important. C’est un mode de vie respectueux de l’environnement : consommation des produits locaux provenant des villages environnants et sans produits phytosanitaires, partages de l’utilisation des appareils électroménagers, co-voiturage, transport en commun, entraide intergénérationnelle... La solidarité va même jusqu’à nourrir les nombreux chats et chiens errants de la ville. Ce mode de vie communautaire est une grande force pour Novyi Rozdil. Ces actions pourraient être encouragé en offrant aux habitants d’autres possibilités de s’approprier la ville et de la valoriser.
Ville
Mettre à disposition de nouvelles parcelles pour les résidents.
Parc industriel
Les élus focalisent l’avenir de la ville sur le réaménagement de la zone industrielle alors que des aménagements simples amélioreraient la vie des habitants.
Relier les villages environnants à la ville en créant de nouveaux chemins pour faciliter les déplacements.
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3.3 La friche 3.3.1 Tentatives
Les déchets s’accumulent sur le site
Terrils Etangs Montagnes de déchets Piscine de soufre
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2 km
N
Dans les années 80, l’activité d’extraction de soufre n’est plus rentable. En effet elle nécessite de pomper l’eau et de faire des mouvements de sol, chose qui n’est pas aisée tant la teneur en argile est élevée. Le ministère de l’Industrie décide d’ouvrir un deuxième puits d’extraction en Russie dans la ville d’Astrakhan. Cette décision est malheureuse car le soufre de Novyi Rozdil est de très bonne qualité; il contient seulement 0,01% d’impureté et convient à la fabrication de pneus d’avions. En 1985, le site entre dans une phase de reconversion. Deux ateliers destinés à la préparation d’engrais à l’acide sulfurique sont ouverts. Mais pour produire ces engrais, une matière première provenant de la péninsule de Kola, en Russie est indispensable. A la chute de l’URSS, la Russie cesse de fournir cette matière première. Les ateliers tentent de se reconvertir mais les difficultés s’accumulent. Des activités malveillantes déstabilisent ces actions : vols de matériaux et de matière première, déversement frauduleuse de matériaux polluants (en 2002, 250 tonnes de goudron en provenance de Hongrie sont déversés). Aujourd’hui ce lieu est utilisé comme une décharge sauvage. Les déchets proviennent illégalement de la région de Lviv, mais aussi de Pologne, de Hongrie et de Roumanie.
Gare de l’usine en activité, photo exposée dans la maison de la culture de Novyi Rozdil
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Piscine de soufre
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De nombreux projets sont proposés en vue de redonner vie à cet espace: -Un parc solaire, déstiné à développer les énergies propres. -La région de Lviv souhaite installer un incinérateur de déchets, il réglerait le problème épineux de la destruction des ordures dans la région. -L’implantation d’une nouvelle zone industrielle, financée par un programme de coopération transfrontalière Pl-By-Ua (Pologne - Biélorussie - Ukraine) de l’Union européenne. Elle serait un parc d’entreprises destiné à la fabrication de produits écologiques. L’atout de Novyi Rosdil, venté par la commission en charge du projet, est la proximité de l’Union européenne et son équipement existant : réseaux de gaz, d’électricité et d’eau. Pour l’heure la réalité est bien différente. Dans l’attente d’un nouveau projet, le site est abandonné. Les ateliers, les bâtiments, les routes et les bassins se sont transformés en friches envahis par la végétation. Le lieu est pillé et vandalisé. Les matériaux sont volés et la voie de chemin de fer disparaît. Le site se referme sur lui-même, les promenades sont impossibles car dangereuses. La mairie bien consciente du problème souhaiterait, au moins démolir les ruines mais ce chantier est colossal et coûteux. La ville de Novyi Rozdil attend et subit le même destin que le parc industriel : un délaissement.
Projet d’implantation du parc industriel de Novyi Rozdil. Capture d’écran du site d’information du projet : http://rozdil.com.ua
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3.3.2 Déstructurés Fouillas, brouillas, déstructurés Pollution apparente Géométrie de l’espace Attention aux pieds Le sol porteur est infidèle Les murs sont rouges, le sol est jaune L’horizon est vert L’étendue bleue, des fois grise Parfois énervée, parfois calme De temps en temps, tout devient blanc Vide rempli, d’eau, d’herbe, et de terre De toutes les couleurs, de toutes les formes Le vert recouvre les erreurs du passé Un homme marche, seul Plutôt il court, apeuré Il se retourne, il trébuche, tombe, se relève La peur sur son visage Une bouteille dans la main Les arbres, perpétuels bouleaux Dansent toujours enivrés par la vodka résiduelle Sur les toits, sur les carcasses Un autre homme, erre aux aléas des rencontres Cachant sous sa veste une scie à métaux Arpenter, Toujours regarder le sol Un trou, une crevasse, le vide Les voix au loin Voleurs, fiasco, traitres Tout sombre, tout s’enfuit Tout est détruit Tirer les traits au loin Reprendre pied S’accrocher aux collines S’attacher à la ville Offrir l’avenir
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4. Devenir d’une ville post-soviÊtique
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La route principale, ne fait que passer Les secondaires se noient dans la végétation Peu engagent pour les invitations Au bout, l’incertitude domine Espace public, espace privé ? Touristes acceptés ? Chevtchenko Nourri de pizza, chocolat et horilka Se cachent sous les houppiers Sur un axe en pointillé Puis le chemin de fer piétonnier S’invite dans le schéma Apporte aux villages d’à côté Un raccourci espéré Vers les commerces, les loisirs Et vivre à la campagne urbaine Comprendre que la ville doit Tirer les traits au loin Accentuer les invitations Pour y entrer Et donner envie d’y rester
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4.1 Tirer les traits au loin
Les abords de la route principale ne sont pas des invitations à entrer dans la ville. L’enjeu est de créer des ouvertures, des points d’appel pour inciter les passants à découvrir Novyi Rozdil. Sur les nombreuses entrées, le projet se portera sur celle qui est la plus dégradée.
L’avenue Chevtchenko fait partie du cœur de la ville. Elle dessert les commerces, les restaurants, les infrastructures publiques comme le commissariat, la maison du peuple. Cependant, son aménagement ne se distingue pas dans la ville. Les alignements d’arbres d’espèces différentes brouillent la lisibilité et l’importance de cette rue.
Les habitants ont transformé d’anciennes voies de communication pour créer des raccourcis vers le centre de la ville. Afin de développer les liens entre les villages et le centre urbain, les chemins utilisés doivent être améliorés et intégrés au tissu urbain.
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S’accrocher aux collines Entrer dans la ville Dans la forêt Bois, charmes, et champignons Entre chasse et loisir De voir le feu brûler L’insouciance de la jeunesse Et observer le muguet sous la futaie En allant vers la ville Arbres isolés, et fruitiers Entre les parcelles aléatoires Multipliant formes et couleurs Dominées par la sainte orthodoxe Reflétant de son or, la richesse du sol Zemlia*, tout pousse Choux, pommes de terre, radis, carottes Etang artificiellement vôtre Pêche et contemplation Parties de cartes, cigarettes et amitiés Lecture appropriée sous les bouleaux Dessiner sur la rive Constructions arbustives Puis l’obstacle de conifères Changement de sphère Hauteurs et brouillas destructurés Obscurité végétative Ruines en devenir Soviétique en résonnance *Zemlia : terre - 188 -
4.2 S’accrocher aux collines
L’enjeu est de renforcer les connexions entre la ville et son environnement. Ceci se fait en connectant les lieux les plus utilisés par les habitants comme la forêt ou les parcelles vivrières. Ces espaces fonctionnent déjà par une autogestion et ont une réelle qualité esthétique. Une force que l’on peut développer au sein même de la ville.
L’extérieur de la ville est structuré par les parcelles formant un dessin souple jouant avec les formes et les couleurs.
À l’intérieur de la ville, la conception urbaine a été rationalisée pour que chaque usager ait son espace. Cependant, les usages ont changé dans la ville, les espaces vieillissants ne correspondent plus et des délaissements apparaissent dans le tissu urbain, comme l’entre-deux que forme l’avenue Dovzenkho. Cette artère est aussi une des entrées de la ville.
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Route principale
Quartier des monuments aux morts
Hôpital
Le cinéma en cours de reconstruction
Rue commerçante Avenue Chevtchenko Monument Chevtchenko La poste publique La maison de l’emploi
L’avenue Dovzenkho, passe inaperçue dans la ville La végétation coupe les liens entre les rues et l’étang
N
Jardins de pieds d’immeubles 0
Espaces de passages
30 m
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Haie de conifères
Avenue Dovzenkho
4. 3 L’entre-deux : l’avenue Dovzenkho Entre-deux dans la ville Abondances végétatives Vue cachée Mais surtout, vieillissement de l’espace Soviétique abimé, lieu désemparé L’enjeu? Reconnecter les deux villes Donner de l’espace et créer le vide dans le plein Déraciner les concepts anciens S’affranchir du passé
0
500 m N
L’espace a peu évolué depuis sa création. Il est uniquement un lieu de passage pour rejoindre les deux parties de la ville. Les arbres prennent de plus en plus d’ampleur, limitant les usages.
La haie de conifères est un mur végétal obstruant la vue sur le paysage. Ces arbres persistants, masse sombre, n’offrent aucune saisonnalité.
Espaces de passages
Cinéma
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La perspective formée par les arbres est peu engageante. Le point d’appel, la maison de l’emploi, crée une rupture avec le grand paysage.
Jardins de pieds d’immeubles
Production vivrière
Vergers collectifs
Production vivrière
Les alignements de conifères sont supprimés pour faire entrer les étangs dans la ville
N Alignements d’arbres en futaie
Vergers
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Parcelles vivrières
La production vivrière fait la force de la ville, tant du point de vue social, nourricier, mais aussi esthétique. Face à la conception soviétique et à ses végétaux caractéristiques, la volonté du projet est de renforcer et d’affirmer le mode de vie des habitants dans l’espace public. On peut en effet révéler des espaces dans la ville, en jouant avec les végétaux (leurs formes, couleurs, productions...) les vides et les pleins et en dévoilant des perspectives sur le grand paysage. Novyi Rozdil, s’ouvre à son environnement jusqu’au cœur de la ville pour aller dans les villages et devient un réel centre urbain. L’entre-deux de l’avenue Dovzenkho est traité en fonction du potentiel qu’elle peut offrir pour accueillir de nouvelles parcelles vivrières. La structure de l’espace évolue en prenant en compte les lignes de désirs dessinées par les habitants et s’éloigne ainsi du plan initial des urbanistes soviétiques. L’espace est laissé à la disposition des habitants où ils sont libres de laisser leur créativité s’exprimer. Utiliser les lignes de désirs créées par les habitants pour restructurer l’espace. Les chemins créent instinctivement par les habitants dans l’espace public.
Vergers
Parcelles vivrières
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L’entretien des parcelles par les habitants se nouent à la vie urbaine. Novyi Rozdil peut être une ville d’importance régionale tout en développant sa culture vivrière et sa culture artistique.
Le mur végétal de conifères est supprimé et l’horizon s‘élargit. Les façades des infrastructures de la ville, ici l’hôpital et le cinéma, sont révélées. L’espace ouvert, devient un lieu de jardinage laissé à la disposition des habitants et de leurs créativités.
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Les changements sont modestes mais s’adaptent au mieux aux usages actuels des habitants.
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Les conifères, prennent de plus en plus de hauteur, et de place dans la rue. Ils assombrissent et obstruent la vue vers les pieds d’immeubles.
Existant
Les arbres avec un haut houppier permettent d’offrir une visibilité sur l’avenue
Projet
0
La taille drastique des arbres montre une volonté d’apporter plus de lumière dans la rue.
En dégangeant les pieds des arbres, les usages sont développés.
5m
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2. 5 Redonner de la saisonnalité à la ville : L’avenue Chevtchenko
L’avenue Chevtchenko est une rue commerciale. Sa conception initiale donne une place considérable pour les piétons. La dimension accordée aux espaces verts est importante. Pourtant, cette artère ne correspond pas à l’avenue principale d’une ville d’importance régionale qu’est Novyi Rozdil. Afin de donner de l’importance a cette voie, il faut repenser la palette végétale. 0
500 m N
Printemps
Eté
Automne
Hiver Conifères
Feuillus
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Au fil du temps, un feuillu évolue, change de couleur, développe des usages (cueillette...) apporte de l’ombre et de la fraîcheur en été. En hiver, l’absence de feuillage permet d’offrir de la lumière dans les bâtiments. A contrario, les conifères sont des arbres statiques, qui offrent peu d’évolution dans l’espace. Les feuillages sombres, assombrissent, l’atmosphère et les développements racinaires appauvrissent le sol.
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Conclusion Novyi Rozdil a été conçue dans les années cinquante comme un élan de modernité soviétique dans un paysage rural, encastré dans la tradition ukrainienne, celle qu’avait connue ma grand-mère dans son enfance. Cette ville nouvelle a mal vieilli, non pas parce qu’elle manque de potentiel, mais parce que la détérioration des conditions socio-économiques provoquée par une indépendance géopolitique non anticipée, mal gérée, peu assumée ne lui a pas conféré de nouvel élan, de destin alternatif au projet socialiste d’économie administrée depuis Moscou. Un premier regard porté sur la ville saisit, d’emblée, ses échecs répétés à rénover sa friche ; son incapacité à maintenir sa voirie, ses réseaux, ses bâtiments, ses services collectifs ; son manque d’ambition et son immense nostalgie d’une époque révolue au cours de laquelle modernité rimait avec fierté. Un second regard, encore embué, mais alimenté par une réflexion post-moderne sur le devenir des villes occidentales, y décèle pourtant une source d’inspiration pour éviter l’étalement urbain, préserver les terres agricoles, réintroduire une agriculture vivrière au pied des immeubles, limiter les déplacements automobiles, restaurer les relations interpersonnelles de voisinage. A y regarder de plus près, Novyi Rozdil n’est plus une ville nouvelle. Elle fut moderne ; elle ne l’est plus. Elle est entrée de plein pied dans la post modernité non pas en déconstruisant ses immeubles, mais en déconstruisant les idées, les concepts qui les avaient initiés. Les soviétiques ne sont plus là. En revanche, la tradition des villages environnant est venue se réapproprier les rues, les murs, les parc, et les ont transformés en lieux informels d’échanges, d’entraide et de jardinage ce qui permet encore aujourd’hui à une importante population – plus de 28 000 habitants – de survivre plus de 20 ans après l’arrêt brutal de la principale – sinon unique – source d’activité économique. Loin d’être un échec, Novyi Rozdil peut aussi être une source d’inspiration et venir alimenter nos réflexions sur le devenir de nos villes occidentales.
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Bibliographie Ukraine ARMANDON, Emmanuelle. Géopolitique de l’Ukraine. Que sais-je? Paris : puf, 2016,125p. CHEVTCHENKO, Taras. Kobzar. Les Editions Bleu et Jaune Mesnil-sur-l’Estrée 2015 DESCHANET, Maxime. Introduction à l’Histoire de l’Ukraine. Institut National des Langues et Civilisations Orientales. 2014 LEPESANT, Gilles. L’Ukraine dans la nouvelle Europe. Espaces et milieux. Bayeux : CNRS Editions,2004, 196 p. PORTAL, Roger. Russes et ukrainiens. Questions d’histoire n° 20 dirigée par Marc Ferro. Flammarion, 1970, 140p. Atlas de la Géographie d’Ukraine. KARTOGRAPHIA Livre scolaire, huitième classe. Ukraine 32 p. Urbanisme soviétique BELLA, Fabien. Une ville neuve en URSS : Togliatti. Parenthèses : Saint-Etienne, 2015, 165p. COHEN, Jean-Louis, DEMICHELIS, Marco etTAFURI, Manfredo. URSS 1917-1978. La villeL’architecture. Rome, L’équerre,1979, 371p. COUDROY de Lille, Lydia, 2009 Relire la ville socialiste. Histoire urbaine, Société française d’histoire urbaine (SFHU), p.5-13 Disponible sur : https://halshs.archives-ouvertes. fr/halshs-00582394/document DUFAUX,Frédéric, FOURCAULT, Annie.Le monde des grands ensembles. Cachan :Creaphis, 2014, 250p. FRELASTRE, Georges. L’aménagement du territoire en Europe de l’est.Paris,Economica,1983, 341p.
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Agriculture en Ukraine CARMAGNOLLE Bénédicte, POUCH Thierry, 2012.Le renouveau agricole de l’Ukraine : vers de nouvelles tensions géoéconomiques sur le marché céréalier. Géoéconomie, n° 60, Editions Choiseul,p. 133-150 Disponible sur : http://www.cairn.info/revuegeoeconomie-2012-1-page-133.htm
GAUTIER Anne, Evolution des structures agraires en Russie et Ukraine. Une analyse comparative. INRA, 2008, 24p. Disponible sur : http://www.sfer.asso.fr/content/ download/2865/26760/file/E5%20-%20GAUTIER. pdf
COCHET, Hubert, 2012. Agriculture de lopin et agrobusiness en Ukraine. Comptes rendu de l’Académie de France, séance du 13 juin 2013, volume 13, n° 3, p. 126-130 Disponible sur : https://www.academie-agriculture. fr/system/files_force/.../20120613_resume3.pdf?
MARCHAND Pascal, 1997. L’agriculture postsoviétique : la crise sans mutation ?. Annales de Géographie, n° 597, p. 459-478 Disponible sur : http://persee.fr/doc/geo_00034010_1997_num_106_597_20813
Filmographie
TPFE
Les Architectes, Peter Kahane (1990)
ACQUAVIVA Raphaële, Nikel, Post-industriel ( 2016)
Tout est illuminé, Liev Schreiber (2005) Les chevaux (1964)
de
feu,
Sergueï
Paradjanov
GONTIER Mathieu, Moscou (2007)
Un village aux franges de
YANG Quixuan, «Joyau de Brastislava», répond la fille du Danube, nommée forêt de Pecna (2016)
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Dyakouyou ! Cette aventure a commencé il y a quatre ans, lorsque je suis entrée à l’école du paysage, année où les ukrainiens sont descendus sur Maïdan. Au cours de ces quatre années, des échanges, des rencontres, des voyages m’ont permis de développer ma pensée et ma vision des paysages de France, d’Ukraine, et de bien d’autre pays d’Europe. Mes rêves ukrainiens ont été nourris par mes études à l’école puis la préparation de l’épreuve finale de diplôme m’a offert l’opportunité de donner du corps à ma pensée. Je voudrais remercier Bruno Tanant, qui a bien voulu accepter d’encadrer ce travail, pour sa disponibilité, sa confiance et ses encouragements. Il a ainsi été amené à participer à cette aventure, de Versailles à Novyi Rozdil, en passant par Kyiv, Lviv, Trouskavets. Merci aussi à Alice Rousille, pour s’être intéressée à un sujet atypique, sur la marche de l’Europe, et avoir réussi à se libérer pour participer au jury. Merci à Nathalie Kotchubey et Andryi Shkil pour s’être investis dans une discipline étrangère à leur formation et leur vécu et ainsi été en mesure de porter un regard ukrainien sur ce projet.
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En Ukraine, Merci à : Andryi, pour son soutien, son amour ; Irina, Alexandre, Lilya et Damian, pour toutes ces longues soirées à parler de l’Ukraine ; A Vitaly et Diana pour l’incroyable hospitalité à Novyi Rozdil, les longues promenades dans la ville, dans la friche et le tour en moto au coucher du soleil ; Olena et l’école CANaction à Kyiv car ils m’ont offert l’opportunité d’animer mon premier workshop ; Evgenia, Ksenia, Andrey, Olya, Maroussia, Julia, Maxime, Taras pour les échanges sur l’avenir de l’Ukraine ; Marianna, pour son hospitalité à Lviv, et pour l’amour de son pays qu’elle communique. Avec elle, l’Ukraine sera toujours remplie de surprise et de joie de vivre ; Anna, Marta, Ioulia, Taras car ils m’ont hébergée, malgré les différences linguistiques ;
En France, Je voudrais remercier d’abord les deux meilleurs encadrants de toute ma vie : mes parents. Merci, pour ces 24 années ponctuées de nombreux déménagements qui sont aujourd’hui, dans mon regard de paysagiste, une grande force. Merci pour les heures aux téléphones afin de me soutenir, me conseiller, m’aider et corriger mes fautes d’orthographes... Merci à Emile et Mélanie, en réalisant leurs passions, ils sont pour moi des exemples ; Parce que, c’est dans un cadre agréable que l’on progresse, Merci à Aude, Marianne, Sophie, Elise D., Elise C., Léo, Catarina, Anne, Foucault, Joris, Stan, Floriane... Mathilde B. et Mathilde S. pour les échanges sur la Russie, l’Ukraine ; Merci à Mongi, encouragements ;
pour
son
soutien
et
ses
Merci enfin à l’école et à l’équipe pédagogique, accoucheuses de rêves qui, je l’espère,dépasseront les frontières de France…. et de l’Esprit !
Orest, Andriy qui n’ont sans doute pas vraiment compris mon vif désir de passer quatre jours à Novyi Rozdil, mais qui m’ont quand même aidée ; Aux mini-bus ukrainiens pour les allers-retours, les chocolats, les gâteaux, et le voyage à travers l’Europe. Mes excuses à : Alexandre pour les « frayeurs d’Ukraine ».
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