L’ARCHITECTURE DE LA PERCEPTION FACE À LA CRITIQUE ARTISTE MUSÉALE
Travail de fin d’étude pour l’obtention du grade d’architecte Promoteur Eric Van Essche Étudiante Matilde Peterlini
A.A. 2015 - 2016
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L’ARCHITECTURE DE LA PERCEPTION FACE À LA CRITIQUE ARTISTE MUSÉALE
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Ă€ ma famille
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AVANT PROPOS Depuis mes études à l’École d’Art à Vérone, ma ville d’origine en Italie, les disciplines de l’art et de l’architecture ont toujours eu pour moi une relation très intime. Le lycée a été une étape fondamentale qui a fortement influencé ma carrière estudiantine. Si aujourd’hui le sujet de mon mémoire traite la relation entre les deux disciplines, c’est grâce aussi à une rencontre avec Tobia Scarpa sur le chantier pour un nouveau musée à Vérone. Le soin de l’architecte dans le traitement de la lumière, des parcours, de la scénographie ma fait découvrir que l’architecture n’a pas le seul intérêt d’abriter l’homme mais aussi d’abriter l’art. Je me souviens que depuis cette expérience les musées sont devenus pour moi des espaces à découvrir et à interroger. Mais je ne voulais pas le faire étant une simple visiteuse, je voulais le faire étant étudiante en architecture. J’ai donc poursuivi cette envie au Polytechnique de Milan pour trois ans, mais je sentais que la culture et la tradition de mon pays – incontestable en quelque sorte n’allait pas satisfaire ma curiosité. Et alors un peu comme Ulysse, j’ai décidé de faire un voyage pour être à nouveau stimulée. En arrivant à Bruxelles, pour conquérir mon diplôme de Master, j’ai ressenti immédiatement l’ouverture culturelle sur les nouvelles manières de faire l’architecture et de faire l’art. C’est pendant ma première année de master que le sujet du mémoire s’affirme. En choisissant de suivre l’Option Art et Architecture ma curiosité a été finalement assouvie, une nouvelle manière de penser l’architecture m’a été évoqué. Le programme du cours visait à l’étude de la figure artiste-architecte mais aussi à la collaboration entre les deux disciplines. Je découvrais les termes exposition, performance, monstration et j’étudiais l’art et l’architecture selon la psychanalyse. Depuis, mon obsession pour la matière, me fait connaître la figure de l’artiste conceptuel Rémy Zaugg. Comme dirait Freud, toutes les artistes rêvent, mais Zaugg ne rêve pas des illusions ou des chimères, lui rêve des espaces, des lumières, des parcours, des murs et des plafonds… bref de l’architecture. L’étude de Rémy Zaugg a initié l’écriture de ce mémoire qui vise à mettre en valeur la vision des artistes sur le contexte actuel et passé de l’institution muséale.
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TABLE DE MATIERE INTRODUCTION
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NAISSANCE LA NAISSANCE DE LA CRITIQUE MUSEALE LA CRITIQUE ARTISTE-MUSEALE LA RUPTURE AVEC L’INSTITUTION LE CREPUSCULE DU WHITE CUBE CONCLUSIONS
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LES ARTISTES REMETTENT EN QUESTION LE CONTENANT LA CRITIQUE DU MUSÉE EXTRA-MUROS L’ART S’EXPOSE DANS LA VILLE LAS ARTISTES REMETTENT EN QUESTION LE CONTENU LA CRITIQUE DU MUSÉE INTRA-MUROS LE MUSÉE FETICHISTE LES ARTISTES PARTICIPENT À L’ESPACE MUSÉALE CONCLUSIONS
34 35 40 43 44 46 49 53
SPECULATION
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RÊVE LE MUSÉE IDEALE
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LA CRITIQUE AUX ARCHITECTES SE TRANSFORME EN BESOIN DE CONCEVOIR
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L’ŒIL DE L’ARTISTE : LA PERCEPTION COMME MEDIUM DE CONCEPTION
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LES ARTISTES CONÇOIVENT LE MUSÉE
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RÉMY ZAUGG
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L’ATELIER - MUSÉE
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VICTOR VASARELY
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LE MUSÉE ARCHITECTONIQUE
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DONALD JUDD
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LE MUSÉE – NON MUSÉE
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ACTION
CONVERGENCES VS DIVERGENCES
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EPILOGUE
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BIBLIOGRAPHIE
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ICONOGRAPHIE
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INTRODUCTION Le sujet de mon mémoire se base principalement sur des écrits d’artistes, théoriciens et amateurs de l’art, qu’ont contribué à nourrir une passionnante critique sur les institutions muséales. Le choix d’utiliser ces sources considérées comme non académiques, est devenu fondamentale tout au long de l’écriture, pour comprendre l’apport des artistes en matière d’expositions, installations dans les musées. Leur vision pragmatique pose un dialogue ouvert avec l’architecture muséale par des voies toujours intéressantes et innovatrices. Également, ils bousculent les choix de l’architecte en critiquant ses démarches conceptuelles qui concurrent à l’appauvrissement de la signification originelle des productions artistiques. En contraste, les artistes enrichissent la vision des architectes et ils sont toujours plus impliqués dans des démarches de collaboration et intervention dans les lieux dédiés à l’art. Comment on expose ? Comment on regarde ? Mon mémoire donne la voix aux acteurs de l’art, en passant par quatre thématiques fondamentales. L’échantillon que je propose, concerne des artistes qui ont déterminé à leur manière, une vision de la problématique des musées en imaginant des nouveau scenarios pour l’art, qui permettent de définir le sujet du mémoire : l’architecture de la perception. La NAISSANCE de la critique muséale s’affirme avec l’ouverture des musées et des maisons de l’art qui advient au début du 20eme siècle. Mon propos n’est pas de retracer dans les détails l’histoire de l’apparition des musées, mais de mettre en scène l’interprétation des artistes face à l’institution. D’abord on affronte la question du jugement du goût qui détermine l’accès aux artistes dans les expositions, en suite on étudie les premières ruptures avec les institutions et successivement le refus du concept du White Cube. La deuxième thématique pose le regard sur la SPECULATION de l’institution avec les nombreux textes écrits par Daniel Buren, les fictions de Marcel Broodthaerts et les propositions scénographiques de El Lissitzky. Ainsi, la critique intra-muros et extra-muros permet de comprendre la nécessité de certains artistes de « sortir » des musées et réaliser formellement leur musée portatif, tels que Marcel Duchamp et Robert Filliou, qui introduisent également les formes d’arts du Land-Art et Street-Art.
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Une autre attention se pose sur le RÊVE du musée. Les artistes, les écrivains et les amateurs de l’art, idéalisent sous forme d’utopie des installations, des expositions et également des architectures qui poussent notre esprit à voyager dans leur vision idyllique des espaces de l’art. Mais ce qui devient intéressant ici et qui a inspiré toute la recherche, c’est que les artistes ne s’arrêtent pas à des chimères, l’artiste donne lieu à des architectures, qui mettent en forme des outils de monstration et de perception des œuvres d’arts. Le cœur de mes recherches, dévoile l’ACTION des artistes pour réaliser leur musée de rêve. Soit avec la collaboration des architectes, soit sans leur présence, l’artiste est capable d’ouvrir un dialogue qui permet de mêler l’empirique avec la science en concevant les justes espaces dédiés à l’art et identifier l’architecture de la perception. Les exemples proposés sont l’atelier- musée de Rémy Zaugg et Herzog & de Meuron, le musée architectonique de Victor Vasarely et le musée-non musée de Donald Judd. Trois artistes qui ont décidé d’échapper aux dispositifs traditionnels en valorisant les productions artistiques, le contenu, qui est le générateur de l’architecture, le contenant. L’œil de l’artiste permet-il une approche différente de celle de l’architecte qui est appelé à conceptualiser les espaces artistiques ? Mais qui, si non les artistes, peuvent mieux concevoir les architectures de la perception ? Comment l’architecture du musée peut-elle assurer la continuation de l’aura de l’œuvre d’art ? C’est ici que je laisse la réponse aux artistes, qui ont, depuis quelque temps, leur idée manifeste : le musée tue l’art.
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NAISSANCE
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NAISSANCE
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LA NAISSANCE DE LA CRITIQUE MUSEALE « Le
musée, note Maurice Blanchot, parce qu’il arrache les œuvres à leur origine, les sépare du monde, les prive de ce qu’on appelle fort confusément leur aura, est bien le lieu symbolique où le travail d’abstraction prend son caractère le plus violent et le plus outrageux. 1 » Ce que Blanchot nous transmet, sont des constatations qui ont fait l’objet de toute une pensée critique qui a envahi plusieurs domaines humains. Historiens de l’art, philosophes, littéraires et artistes constatent que le musée participe à l’avilissement de l’art. Qu’advient-il de celui-ci? Revenons un instant à la citation ci-dessus, car Blanchot introduit des thématiques fondamentales. L’arrachement - dans sa signification première - cause une séparation, souvent violente, d’une chose de son point d’origine. Le résultat qui se produit est un déplacement qui devient, dans le cas de l’art, un rassemblement dans un autre lieu. Cet autre lieu est notamment appelé musée. Outre la conservation, le rassemblement est une des bases sur laquelle l’institution muséale s’appuie et empêche de connaître une œuvre dans son véritable contexte. La vérité, dans le domaine artistique, a été interprétée par Walter Benjamin comme l’aura, qui confusément – dit Blanchot – est l’unicité de l’origine d’une œuvre d’art qui se manifeste grâce au temps et à l’espace. W. Benjamin, se place dans l’aboutissement des temps modernes, il s’engage à l’acceptation des évolutions techniques, comme celle de la reproduction des œuvres d’art à travers la technique innovatrice de la photographie. En accord avec Blanchot, il existe différentes visions de l’aura et l’interprétation variée du concept a produit une multitude de définitions. L’aura est-elle un lieu, un instant, un espace, un temps, une relation, une présence ou bien une absence ? Nombreux philosophes ont essayé de la définir. Si Benjamin se pose dans une pensée positive, Adorno se place dans un cadre négatif « Les musées sont les sépultures privées des œuvres d’art ». Cette 1
DANIEL VANDER GUCHT, Ecce Homo Touristicus Identité, mémoire et patrimoine à l’ère de la muséalisation du monde, Éditions Labor, Gilly, 2006, p. 38
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vision se rapproche de celle du fauteur de la critique muséale, Quatremère de Quincy, qui sans détour, affirme que le musée est le cimetière de l’art, ainsi il délocalise les œuvres d’art, il les déréalise…Une connaissance trop détaillée sur l’origine, la technique et les conditions effacent l’approche charnelle et sentimentale que l’on peut éprouver devant une œuvre. Ces constatations deviennent la source majeure de toute la polémique liée au situs. Le situs est la mise en situation des œuvres d’art dans un espace, celle qu’aujourd’hui on exprime avec les termes exposition ou scénographie. L’introduction du terme situs nourrit toute critique sur la vérité – dans le sens de Benjamin – qui vient la briser par la fausse interprétation du contenu de l’art. Cela signifie que la mise en situation provoque une perception artificielle et dictée par « les externes », qui dévalorise la réception de l’œuvre. Le musée devient donc une maison de l’incohérence 2 selon Paul Valéry. Le rassemblement - fruit du déracinement – est sans doute utile pour éduquer les masses, mais il est pareillement l’antonyme du délice. Comment peuton regarder tout en même temps ? Œuvres d’artistes différents ainsi que de périodes et techniques discontinues, peuvent partager le même abri sans s’étouffer mutuellement ? Pour Valery la réponse est catégorique. Dans son livre Le problème des Musées (1923) il nous raconte une promenade au Musée du Louvre de Paris comme s’il se trouvait dans un obituaire. Les œuvres d’art sont des objets pétrifiés, froids, hérités des morts qui s’affolent sur les murs en cherchant à exister. Un paradoxe qui, aujourd’hui, ne se produit plus souvent et sur lequel je reviendrais plus tard. Le système confusionnel du musée provoque chez Valery une fatigue perceptive et il la décrit comme une violence pour les yeux et les sens. Il est important ici de mentionner que le système d’accrochage du dixneuvième siècle était très diffèrent de celui que l’on connaît aujourd’hui, « les murs étaient comme un papier-peint de chefs d’œuvres, dont aucun n’était séparé et isolé dans l’espace à la manière d’un trône. 3 » « Peut-être, ce jour-là, il était de mauvaise humeur», mais Valéry est réussi à capter trois caractéristiques du musée traditionnel : l’ambiance silencieuse, sombre et peu agréable, l’absence d’un contexte où situer les œuvres singulières, l’abondance d’œuvres et la difficulté à les percevoir et
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http://classiques.uqac.ca/classiques/Valery_paul/probleme_des_musees/valery_problememusees.pdf, page consulté le 24 Février 2016 3 BRIAN O’DOHERTY, White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie, JRP Ringer, Zurich, 2010, p.37-38
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à se souvenir de toutes. 4 » Valéry introduit aussi le concept de locus. Il fait référence à l’architecture du musée, la destination de toutes les œuvres d’arts : « Peinture et Sculpture, me dit le démon de l’Explication, ce sont des enfants abandonnés. Leur mère est morte, leur mère Architecture. Tant qu’elle vivait, elle leur donnait leur place, leur emploi, leurs contraintes. La liberté d’errer leur était refusée. Ils avaient leur espace, leur lumière bien définie, leurs sujets, leurs alliances…Tant qu’elle vivait, ils savaient ce qu’ils voulaient…5». Au vu de cette affirmation, peut-on dire que l’art est strictement lié à l’architecture ? Peut-on donner raison à l’affirmation de Cézanne « je peins seulement pour les musées 6» ? On constate que le musée veut vouloir s’attribuer deux spécificités distinctes, par lesquelles il peine à trouver une harmonie. L’une est celle du musée temple7, où l’ambiance sacrale d’une église envahit l’espace, où l’art est le culte et l’architecture son temple. L’autre est celle de du musée dépôt, qui veut garantir la conservation des œuvres d’art, mais qui n’est pas seulement un espace de stockage, une sorte de séduction doit s’opérer. Ces réflexions me permettent d’établir les affirmations suivantes: il existe une relation particulièrement intime au sein du musée entre l’individu qui regarde et l’objet qui est regardé. A ce même moment le délice doit être ressenti. La destination – ou le locus ou l’architecture - des œuvres d’art devrait créer les circonstances favorables pour une rencontre sensorielle et provoquer l’enchantement. Pour cette raison, l’architecture doit être un contenant à l’hauteur de son contenu. Dans le temps, l’espace du musée a évolué et il est devenu plus agréable à vivre. Les espaces, les parcours, la lumière contribuent à la juste exposition des œuvres. Mais la question sur la perception et la réception reste ouverte. Souvent la conception d’une architecture muséale n’arrive pas à créer cette relation entre sujet percevant – ou spectateur - et l’objet. Pour comprendre la critique muséale il est nécessaire d’interroger les gestes innovateurs des artistes depuis les premières expositions.
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UMBERTO ECO, Le musée du troisième millénaire, dans Le Musée demain, Isabella Pezzini, Casimiro livres, 2015, p. 18 5 http://classiques.uqac.ca/classiques/Valery_paul/probleme_des_musees/valery_problememusees.pdf, page consulté le 24 Février 2016 6 ALDO ROSSI, Architettura per i musei, Lezione tenuta dal professor Aldo Rossi, 1966, IUAV, Venezia. Traduction de l’italien par Matilde Peterlini 7 Le terme emprunté se réfère au premier concours d’un musée en 1783 par Étienne-Louis Boullée qui avait conçu le projet comme monument à la gratitude publique. Source depuis UMBERTO ECO, Le musée du troisième millénaire, dans Le Musée demain, 2015
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LA CRITIQUE ARTISTE-MUSEALE « […]
Je l’avoue, j’ai passé comme un fou dans les salles glissantes des musées. […] À travers toutes ces compositions religieuses, toutes ces allégories champêtres, je perdais irrésistiblement le sens de mon rôle. Dehors, la rue disposait pour moi de mille plus vrais enchantements.8» Les écrits que l’on vient d’assembler sont devenus le prélude à de nombreux artistes pour leur chemin critique personnel. Pour comprendre de quoi il s’agit, nous allons étudier les premières interventions qui ont produit de nombreux écrits, œuvres d’art, espaces muséaux… initiateurs d’une première rupture avec l’institution. Quand les premières expositions ont ouvert leurs portes, l’accessibilité et la participation des artistes étaient ordonnées par des personnalités qui établissent le « bon goût ». Si aujourd’hui les jeunes artistes sont synonymes d’avant-garde, à l’époque de Courbet les critiques sur les nouveaux mouvements étaient très sévères. Je fais référence à cette période9 car la critique artiste-muséale naissait d’une opposition à l’institution promouvant un esthétisme subjectif. Pour être précis : si le tableau n’était pas au goût du jury alors il était refusé par les personnes adjudicatrices. La rupture qui suit constitue le Salon des refusés, apparu en 1855 sous la direction de l’artiste Courbet et d’autres, qui décidèrent d’exposer les œuvres blasphématoires – ou non conventionnelles - à côté de la grande Exposition de Paris. Quand je dis « à côté » j’entends un espace physique aménagé dans la cour intérieure du Palais des Industries, où les œuvres sont accrochées selon les directives des artistes. C’est étonnant de voir que dans ce bric-à-brac10 temporaire Le Déjeuner sur l’herbe de Manet en faisait partie. La presse, à la surprise de tous, joue un rôle très important, car à ce moment là, la seule façon pour un artiste de se rendre remarquable en public était d’exposer dans ces grands évènements. Plusieurs grands 8
JAMES PUTNAM, Le Musée à l’œuvre Le Musée comme médium dans l’art contemporain, Thames & Hudson, Sarl, Paris, 2002, p. 26
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Période du début modernisme (Courbet est considéré comme le premier artiste moderne) entre le 1850 et le 1900.
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Terme utilisé à l’époque du Salon des refusés par la presse, pour décrire ironiquement l’installation.
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auteurs du moment étaient intrigués par l’initiative risquée de ce groupe de refusés, et par la suite leur apportaient une grande visibilité. « Cette exhibition à la fois triste et grotesque est une des plus curieuses qu’on puisse voir. Elle prouve surabondamment ce que du reste on savait déjà, que le jury se montre toujours d’un inconcevable indulgence. » écrit Gustave Flaubert dans la Revue des deux Mondes. Mais le geste marquant ici est que ce fut la première fois qu’un artiste moderne, eut à concevoir le contexte de son œuvre et par conséquent à se prononcer sur ses valeurs. « Comment les tableaux y étaient-ils accrochés ? Comment Courbet conçut-il leur ordre de succession, leur mise en rapport, l’espace qui les séparait ? 11 » Peu de documents historiques sont disponibles pour retracer sa conception de l’exposition, mais ce qui est révolutionnaire ici est le fait que de nombreux artistes prennent l’initiative d’utiliser leur refus comme l’idée génératrice d’un espace permettant l’autonomie du statut de l’art. Jusqu’à maintenant la critique artiste-muséale s’appuyait, comme dit auparavant, sur l’institution comme autorité avec la finalité de juger les qualités esthétiques d’une œuvre. On parle ici encore de l’art appelé sur chevalet qui s’exprimait dans les limites du tableau et de son encadrement, l’espace muséal était encore caractérisé par une surabondance de tableaux sur toutes les surfaces verticales. L’affirmation des nouveaux mouvements artistiques se multiplie dans la première vingtaine du dix-neuvième siècle, tandis qu’une autre exigence s’ajoute dans la conception des œuvres d’art : l’espace. C’est le moment où la production artistique ne se limite plus à la seule peinture de chevalet ou à la sculpture mais vient accueillir des objets d’utilité commune. Je fais référence à l’apparition des arts plastiques et également à l’apparition des surréalistes avec Marcel Duchamp en tête du mouvement. Ce dernier affirme « Toutes expositions de peinture et de sculpture me font mal au cœur. Et je voudrais éviter de m’y associer12 ». Cette dissociation devient le cœur de leur démarche qui rappelle la pratique du Cabinet des curiosités, « mêlant ou fusionnant des éléments et des matériaux divers, refusant de se soumettre au principe de leur séparation en vigueur dans la vie de tous les
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BRIAN O’DOHERTY, White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie, JRP Ringer, Zurich, 2010, p.46 12 ELENA FILIPOVIC, A Museum That is Not, e-Fluxus jurnal #4-march 2009, traduction de l’anglais par Matilde Peterlini
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jours fruit d’une démarche de classification spécialisée systématique 13 » propre des musées. Marcel Duchamp abandonne définitivement la peinture sur toile en 191814 et produit ses premiers ready-made, des « objets déjà faits », synonymes de neutralité15. Les ready-made n’étaient pas de simples objets mais voulaient être le manifeste d’une parodie-critique du statut muséal et mettre en question la singularité des œuvres d’arts. Dans un premier temps la production des ready-made ne trouve pas abri dans les musées, ces derniers refusent sans biais l’attribution du statut d’art à ces objets. Une évocation aux évènements vus avec Courbet, nous laisse affirmer que Duchamp et les surréalistes deviennent les nouveaux refusés du début du dix-neuvième siècle. Ce rejet produit une collaboration entre plusieurs artistes et se traduit par la réalisation d’une exposition indépendante en 1938 à Paris. Suspendue au plafond de la salle, l’œuvre de 1200 sacs de charbon devient l’incipit d’une prise de conscience, des artistes, qu’ il fallait bouleverser le statut de l’art et que l’institution en tant que telle devait subir une réforme. Grâce à l’apport innovateur des surréalistes, « chaque nouveau mouvement et manifeste artistique à affirmé son opposition à l’effet débilitant du musée lequel était considère comme une institution démodée dont il fallait se débarrasser16 ». En effet, pour réemployer leurs pensées : il engendre l’effacement de l’imagination. Désormais, l’artiste doit interagir avec l’espace, l’artiste doit permettre au spectateur de ressentir son délice, sinon, les musées resteront des espaces suspendus. Les actes de Duchamp ne sont pas justes des gestes de rébellion, ils ont développé toute une pensée sur l’utilisation de l’espace, y compris le plafond. Ainsi l’art doit pouvoir exister en dehors des limites d’un cadre. L’art doit faire parti de l’espace et dans l’espace c’est le spectateur qui donne vie à l’art. Célèbre est la phrase de l’artiste « c’est le regardeur qui fait le tableau », origine de l’activation du lieu et du spectateur. Ce positionnement est le commencement de la critique sur l’objet et le sujet percevant, qui nous permettra de comprendre tout le chemin que les artistes ont défendu jusqu’à maintenant.
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JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 12 Je me réfère à l’œuvre TU M’ (1918) qui est sont premier tableau avec l’insertion d’objets communs. 15 Je veux renvoyer le lecteur au chapitre sur le crépuscule du White Cube pour avoir des clarifications sur le terme « neutralité » 16 JAMES PUTNAM Op. Cit. p. 24 14
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L’espace muséal devient pour la première fois maniable. Il donne la possibilité d’interagir avec l’architecture et ainsi défendre la relation entre les œuvres et les spectateurs. Ce qu’introduit tout production in situ.
LA RUPTURE AVEC L’INSTITUTION Les nouveaux mouvements artistiques qui s’affirment dans la première vingtaine du dix-neuvième siècle, que nous venons d’analyser, remettent en cause l’institution par la production d’œuvres redéfinissant le statut de l’art. Les préoccupations majeures de l’époque visent l’aspect économique que le musée promouvait avec la conservation en masse d’objets artistiques. Une solution radicale fait son apparition en Russie avec la naissance du constructivisme et du suprématisme. Pour résoudre le problème d’amassement dans les musées, « le peintre Kasimir Malevitch affirmait qu’il fallait brûler l’art du passé pour laisser la place à l’art du présent. Dans son court essai intitulé Du musée, il dénonçait cette institution qui engrange l’art et les artéfacts du passé : la vie contemporaine n’a besoin de rien d’autre que de ce qui lui appartient.17» Le musée est-il un instrument destructeur ? Faut-il se débarrasser du passé pour vivre l’art du présent ? Certains ne seront pas d’accord avec des initiatives si radicales. Pourtant, ce qui commence à s’instaurer à l’époque, c’est la prise de possession de l’espace muséal pour causer une rupture avec les mécanismes de l’institution. Les artistes ressentent le besoin de créer un lien entre l’art et la vie, car qui mieux qu’eux peuvent éduquer la société ? Les propos innovateurs des artistes russes établissent un nouveau dialogue avec l’institution. Premièrement, ils s’intéressent à abolir la hiérarchie entre créateurs, toute production, même dans la vie courante, est art. Deuxièmement, ils considèrent que l’espace du musée est un lieu qui doit être animé par l’interaction et l’intégration des artistes en totale liberté d’expression. Le musée devient un laboratoire d’expérimentations artistiques précurseur de celui actuellement appelé centre d’art, et sur lequel je reviendrais plus tard. En 1927, le directeur du musée provincial de Hanovre, Alexandre Dorner, s’engage en tant qu’investisseur auprès des nouveaux talents de la scène artistique. Il parle davantage avec l’artiste El Lissitzky et le pousse à concevoir l’exposition appelée « Espace des abstraits ». Personne ne 17
Loc. Cit.
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s’attendait à un résultat si novateur en matière de scénographie. El Lissitzky ne se rendait pas compte qu’il serait associé à l’histoire comme étant le premier artiste curateur. Effectivement, l’Espace des abstraits « n’est pas véritablement une exposition, mais de l’architecture d’exposition, c’està-dire une espace dans lequel sont conservées et montrées des images18 ». Une œuvre d’art totale vient éclore ici en faisant coexister peinture, sculpture et architecture. L’artiste conçoit l’espace à la manière d’une vitrine où les objets artistiques deviennent les acteurs d’une pièce théâtrale. Les murs, éléments de discussions dans les expositions, contribuent à une perception visuelle unique en son genre : ils sont peints en faisceaux noirs et blancs. A certains endroits, des parois coulissantes permettent au visiteur de choisir de dévoiler ou cacher les œuvres, l’espace devient donc dynamique. Egalement, l’éclairage devient une matière à étude pour El Lissitzky. Ainsi il prévoit que la lumière zénithale soit filtrée grâce à l’application de tulles bleues et jaunes qui permettent de s’immerger dans des espaces froids ou chauds. Si je peux me permettre une confrontation avec la célèbre phrase de Marcel Duchamp, si c’est le regardeur qui fait le tableau, ici ce sont le mouvement et les points de vues multiples qui font le tableau. Cette exposition demande au visiteur de participer « au jeu complexe qui se noue entre l’espace et les œuvres […] sculpture vivante dont la structure et le contenu ne se livrent qu’au visiteur qui adopte un comportement d’acteur et s’il accepte d’expérimenter cette « sculpture » de façon active. 19 » Le spectateur est invité à parcourir l’œuvre dans sa totalité et à ressentir le tant recherché délice en laissant de côté sa passivité qui caractérisait les expositions précédentes. « On peut comparer les expositions d’art internationales à un zoo » dit El Lissitzky « où les cris de mille bêtes différentes atteignent simultanément l’oreille du visiteur. Dans mon espace, les objets ne doivent pas submerger le spectateur. Si, ailleurs, le spectateur s’endort en passant devant des murs remplis de tableaux, notre conception doit rendre l’homme actif. Tel doit être le but de l’espace.20 » Le spectateur devient un protagoniste engagé des espaces d’expositions car El Lissitzky combine en lui une formation d’architecte et de peintre fort influencé par l’école du Bauhaus. En conclusion des théories de la pensée 18
BERND KLÜSER, L’art de l’exposition : une documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle, traduit de l’allemand par Denis Trierweiler, Editions du Regard, Paris, 1998, p. 145 19 Ibidem, p. 145 20 KAI-UWE HEMKEN, Art pan-européen et allemand El Lissitzky à l’Internationale Kunstausstellung de Dresde en 1926, dans EL LISSITZKY, Architecte, Photographe, Typographe, 1890-1941, Paris Musées, 1991, p. 53
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allemande, ses recherches picturales se développent très rapidement dans des formes volumétriques architecturales. Effectivement, le travail exécuté, pour le directeur Alexandre Dorner, est le résultat d’une étude sur la composition de formes géométriques venant envahir l’espace avec la technique de l’axonométrie. Ses idées produisent des concepts architecturaux qui l’occupent de 1920 à 1923 : les Prouns.- ou projets pour l’affirmation du nouveau – qui représentent « une station d’aiguillage entre la peinture et l’architecture. 21 » Ses productions deviennent de véritables conceptions scénographiques, elles seront réalisées par la suite à Hanovre. « El Lissitzky apporte de nouveaux instruments pour la conception des espaces dédiés à l’art et permet également une rupture avec les principes de « neutralité » qui existaient et qui continuent d’exister22 ». Pourquoi, même après l’apport des artistes russes, les expositions s’affilient à la totale neutralité des espaces ? Un système dynamique qui ne considère pas couleurs et jeux de lumière blasphématoires, est-il dangereux pour la perception des œuvres ? Pour la pensée du XXème siècle l’aspect neutre des espaces d’exposition reste un des systèmes les plus courant. Le concept du White Cube exprimé par l’artiste et théoricien, Brian O’Doerthy, prévaut sur tout autre dispositif. Mais de quoi s’agit cette neutralité ? Considéré comme l’archétype en vogue, valorise-t-il ou annulet-il le statut de l’art ?
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KAI-UWE HEMKEN, Op. Cit. p. 45 JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 24-25
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LE CREPUSCULE DU WHITE CUBE Jusqu’à maintenant nous avons vu que les artistes ont trouvé plusieurs solutions pour aller à l’encontre de l’institution. Pendant mes recherches, j’ai aussi relevé que le début de toute critique commence vers le dixneuvième siècle avec les premiers salons d’art et les premières expositions. Ensuite, les artistes s’affirment et deviennent plus radicaux vers la première moitié du vingtième siècle avec des interventions perturbatrices. Pour rappel, j’ai indiqué le système d’accrochage classique, qui prévoyait l’occupation totale des surfaces verticales (murs), sans règles esthétiques cohérentes. Puis celui conçu pour la première fois par un artiste s’interrogeant sur la réception des œuvres par le public. Des aspects fondamentaux ont contribué à affiner ma recherche. L’un d’eux nous propose de se questionner sur l’évolution du rôle du spectateur, de la passivité à l’activité. L’autre de la nécessité de déterminer la spatialité car elle permet la « juste » perception de l’œuvre. Mais un nouvel aspect vient s’ajouter à mes enquêtes. Au cours des années cinquante et soixante, naît l’exigence d’affiner les règles qui permettent de concevoir les espaces dédiés à l’art. Il s’agit de chercher les outils nécessaires dont chaque galerie ou musée doit disposer. Les supports muraux deviennent le nœud de toute nouvelle théorie d’affichage et contribuent à une sorte de standardisation des espaces. Quels-sont les supports ? Comment participent-ils à l’espace et aux œuvres ? Mais surtout, combien d’espace faut-il à une œuvre d’art pour qu’elle « respire23 »? Si à un moment, nous avons cru que les artistes réussissaient à être engagés et à devenir moteurs dans les espaces d’expositions, un nouveau système commence à troubler toutes interventions. Comme on le verra par la suite, il permettra en conséquence de remettre en question l’institution. De quoi s’agit-il ? Il s’agit du concept « White Cube ». Ce dernier fut très connu dans le milieu artistique et apparu pour la première fois dans la récolte d’essais de l’artiste et théoricien, Brian O’ Doherty, sous le titre White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie en 1976. Quand ce dispositif a commencé à envahir les maisons de l’art 24 , il promouvait des aspects intéressants comme par exemple d’être la réponse à tout processus du bien être pour l’art ; ou encore que les seuls 23
BRIAN O’DOHERTY, Op. Cit. p. 49 Quand j’utilise « Maison de l’art » je me réfère à toute typologie de bâtiment qui s’occupe d’art, galeries, musées, centres…
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protagonistes de l’espace devaient être les objets d’art. Mais la boîte blanche se fonde sur la non-couleur des éléments spatiaux à la recherche de la « neutralité » de l’ensemble. « Les murs sont peints en blanc […] le plafond se fait source de lumière […]. L’art y est libre de vivre sa vie », dit Brian O’ Doherty. Les propos du White Cube ne sont pas si mauvais mais si l’on regarde de plus près ce nouveau dispositif, on peut comprendre que la neutralité tant recherchée est mise à mal par ses mêmes propos. Premièrement le contexte architectural est effacé, rien ne doit être remarquable dans l’espace - sol, plafond, murs sont parfaitement peints en blanc. Leur prédominance pourrait perturber toute perception des œuvres d’art. Deuxièmement, la relation avec l’extérieur est sacrifiée – aucune fenêtre existe dans l’espace – puisque l’interruption des murs avec des ouvertures, engage le sujet percevant à regarder dehors. La seule fenêtre sur le monde est le tableau. Enfin, aucune couleur n’est admise au delà des œuvres, qui sont éclairées zénithalement par une fausse lumière 25 dissolvant les ombres dans l’espace. Même si nous étudions un espace dédié à l’art, ne nous semble-t-il pas décrire un asile ? Les œuvres d’arts, sont-elle comme des fous enfermés dans un espace sans relations possibles ? L’archétype du White Cube s’impose comme lieu de suspension, sans temps, qui encage dans un système figé et un temps infini les œuvres d’arts. Si le musée se fonde sur la volonté « d’enfermer dans un lieu tous les temps, toutes les époques, toutes les formes, tous les goûts26 » d’être donc une hétérotopie – un lieu autre – dans la définition de Michel Foucault, alors nous pouvons affirmer que la boîte blanche incarne toutes ces volontés. Comment les artistes se positionnent-ils face à ce nouveau modèle d’exposition ? Le peintre Malevitch, considérait le blanc comme couleur révélatrice d’un espace infini, mais la boîte blanche assumait ici toutes notions d’enfermement, fermeture et constriction. Un espace aseptisé comparable à celui d’une chambre hospitalière engendre, selon les critiques, le total refus de la présence du corps, le spectateur n’à aucun rôle à jouer et les œuvres d’arts sont les seules permises à y vivre. Le White Cube s’appauvrit par son concept générateur auquel il aspire, « la neutralité », n’existe pas, dans le sens qu’en intervenant pas dans la
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Pour « fausse lumière » j’entends la lumière artificielle MICHEL FOUCAULT, Des espaces autres, n° 360, p. 752 – 762, Gallimard, Nfr, Paris, 1994 ; (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967 « Des espaces autres, hétérotopies »)
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perception des œuvres - il devient, au contraire, imposant et sans sortie de secours. En même temps, s’il s’engage à faire vivre l’art sans interlocuteur, pourquoi les artistes refusent-ils cet « archétype du vingtième siècle27 » et essayent-ils d’y échapper ? Principalement pour le paradoxe de neutralité, non-neutralité vu auparavant, mais aussi pour contester l’admission des œuvres dans un espace-temple qui sacralise l’art. Également, le fait d’exposer dans la boîte blanche détermine ce qui est reconnu comme art et ce qui peut rester dehors. Pour ces raisons, les artistes se sentent encore comme des refusés à la recherche d’un lieu ou exposer et leur permettre d’affirmer leurs productions. Comme introduit au début du chapitre, le concept de Brian O’ Doherty, nourrit les critiques d’artistes comme par exemple celles d’ Yves Klein. Dans une démarche d’assumer la boîte blanche, l’artiste se manifeste avec l’exposition « Du vide » en 1958 à Paris, dans la galerie de l’amie Iris Clert. « […] les murs de la galerie avaient été intégralement repeints au rouloir par Yves Klein, d’un pigment blanc assorti d’une laque spéciale qu’il utilisait pour ses tableaux. […] Yves Klein ne voulait pas seulement blanchir la galerie, il voulait en faire un tableau : son œuvre – dans l’intention de « stabiliser » l’espace environnant. 28 » C’est proprement l’espace en tant qu’air énergétique qui proclame le vide absolu. Les spectateurs sont invités à rester dans la salle de la galerie le temps d’apercevoir la sensation du vide. Plusieurs critiques dérisoires ont été faites concernant cette exposition, mais est que ce vraiment cette sensation du vide aseptique qu’on ressent dans un White Cube ? Même si les artistes refusent cet archétype, pour le développement de mon sujet, le concept de la boîte blanche devient très intéressant pour franchir le thème de la perception. En effet, selon Brian O’ Doherty, si le dix-neuvième siècle était obsédé par les systèmes, le vingtième siècle est obsédé par la perception. Celle-ci assure la médiation entre l’objet et l’idée. « Dès lors que l’œuvre d’art devenue « active » est intégrée au champ de la perception, les sens sont mis en cause.29 »
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BRIAN O’DOHERTY, Op. Cit. p. 36 BERND KLÜSER, Op. Cit. p. 260 29 BRIAN O’DOHERTY, Op. Cit. p. 87 28
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1. Le papier peint
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2. L’épurement
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3. Une seule Å“uvre
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4. Le dĂŠploiement
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CONCLUSIONS Depuis les premières expositions, nous voyons que l’artiste engage son image pour contrer la rigidité imposée par les institutions. Il est important de souligner que, de manière générale, les musées sont avant tout des organes voulant prendre soin des objets artistiques et contribuer à la succession du patrimoine artistique. En même temps, pour les artistes, les institutions restent des limites à franchir. Être « exposé » sur les murs d’un musée est avant tout un privilège, mais le fait qu’il faille se soumettre à des règles esthétiques, et techniques transforme ce privilège en handicap. Il existe une sorte de relation amour-haine entre artistes et musées qui produit une passionnante critique. S’affirmer dans un musée à travers une exposition vise la mise en scène de l’artiste. Celle-ci lui apporte reconnaissance et visibilité. Parallèlement, il impose des archétypes qui ne répondent pas aux exigences de perception des œuvres d’arts et déstabilisent la relation œuvre – spectateur. Mais pourquoi naît le besoin de se rebeller contre le système ? Les artistes, et je défend beaucoup cette démarche, ont, de leurs premiers acquis, un attachement inné au fonctionnement de la perception d’une œuvre d’art. Ils sont les premiers où, dans un lieu, leur atelier, ils accrochent et exposent leurs productions. Nous pouvons affirmer que l’atelier est d’abord un espace de production mais il permet également à l’artiste de comprendre comment percevoir correctement son œuvre. Avant que l’institution ou le public puisse juger l’objet artistique, celui-ci naît dans un lieu et vit dans une lumière qui est unique et non réintégrable ailleurs. Nous verrons plus tard, comment l’atelier d’artiste devient l’objet d’une critique sur le déracinement des œuvres, provoquant la perte de leur aura. Certains artistes sont arrivés à se passer de leur atelier pour éviter cette violence. Ils ont réalisé des œuvres d’arts in situ, afin d’éviter toute decontextualisation. Enfin, concernant l’archétype du White Cube, je pense qu’il à appauvri les musées et enrichi toute polémique sur le rassemblent fautif des œuvres d’arts. Les règles imposées touchant le blanchissement des espaces et la respiration qui doit exister entre les créations exposées, ont produit d’énormes travaux dans les musées. Ces derniers ont dû s’homogénéiser à la mode de la boîte blanche. Quand nous regardons l’aménagement du Musée du Louvre au dix-neuvième siècle nous le trouvons « horrible ».
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Depuis le White Cube les parois ont été épurées ce qui a amené le remplissage des stockages. Mais que se cache-t-il dans les entrepôts des musées ? Qui décide de montrer ou de cacher ? S’il existe des jugements de goût comme à l’époque de Courbet, pourquoi Le déjeuner sur l’herbe de Manet n’est t-il pas dans l’un des greniers du Musée d’Orsay ? Pour des exemples plus récents, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et celui de Tournai, témoignent des travaux de restauration ayant effacés les couleurs des parois et mis dans l’oubli certaines œuvres. Ceux là même qui assumaient toutes les obligations d’un musée agréable à vivre. Je conclus cette première partie avec des questions ouvertes : Faut-il un dispositif unique obligeant une standardisation pour n’importe quel musée et n’importe quel artiste ? Ne serait-il pas plus intéressant de percevoir une œuvre dans un lieu singulier semblable à l’atelier d’artiste pour évoquer un contexte non réitérable ?
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SPECULATION
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SPECULATION
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LES ARTISTES REMETTENT EN QUESTION LE CONTENANT « […] les musées, comme les passages, sont des architectures sans
façades, sans extérieur. […] qu’est-ce qu’une architecture, sans façade, sans manifestation, sans paraître ? Si l’extérieur est devenu l’intérieur dans un processus d’invagination, et comme la destination d’une architecture s’expose déjà dans sa façade, qu’est-ce qu’une destination qui retourne sur soi ? 30» Le contenant selon sa signification première est « ce qui contient quelque chose 31 ». Dans le domaine artistique, il prend forme par l’enveloppe accueillant et rendant visible les œuvres. Le contenant fait l’objet d’une profonde critique puisqu’il reste un corps non adapté à la perception de l’art. Sa faiblesse l’incline à toutes autres typologies : le contenant est une prison ! Un obituaire ! Une maison de l’incohérence ! Un abattoir des rêves ! Le musée, contenant esthétique de l’ère moderne, n’a j’aimais été à la hauteur de ses fonctions pour les artistes. Ces derniers ont essayé à mainte reprise d’abolir ses restrictions, de franchir ses portes, de démolir ses murs, d’effacer ses limites. Un bon nombre d’artistes ont réussi métaphoriquement un acte de destruction et ont permis à l’art de sortir des musées. Ils ont réalisé des dispositifs semblant à la chimère de Deotte : le contenant n’existe plus, les façades se sont évanouies, l’intérieur et l’extérieur ont disparu. Les rêves d’artistes sont les seuls fondements et les seuls qui permettent d’édifier le musée. L’artiste ne se cache plus derrière le contenant mais il se dévoile, en autonomie, vers l’extérieur et son public. Ses créations reflètent son propre statut, sa propre personnalité et prennent vie en dehors des musées.
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JEAN-LOUIS DEOTTE, Le Musée, l’origine de l’esthétique, Editions l’Harmattan, Paris, 1993 p. 294 31 Définition du dictionnaire La Rousse, www.larousse.fr, page consulté le 4 juillet 2016
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LA CRITIQUE DU MUSÉE EXTRAMUROS Selon l’historien Donald Preziosi, la fonction principale de l’institution muséale est de permettre une bonne visualisation des objets, selon une proportion cohérente de l’espace et la distance entre l'œuvre et le spectateur. Cette distance est aujourd’hui traduite en terme de sécurisation des objets artistiques qui deviennent, pour les spectateurs, immobiles et intouchables. L’institution devient prisonnière d’un formatage purement visuel qui interdit au public d’avoir une expérience physique et personnelle avec les œuvres d’arts. Ceci confirme toute critique sur la perception. Ce que les artistes veulent faire comprendre aux institutions c’est que l’art n’est pas un décor ou un ornement, l’art comporte des réflexions qui envahissent tous les sens. L’artiste qui a le mieux lutté contre ce système purement esthétique est Marcel Duchamp. Il s’investit dans la production d’une série, entre le 1941 et le 1949, « remettant en cause le cantonnement de l’art dans l’enceinte du musée32 ». Cette critique au musée-enceinte amène Marcel Duchamp à la réaliser la boîte-en-valise, son propre musée monographique. Celui-ci prévoit un amas de reproductions de ces œuvres les plus célèbres à une échelle réduite. L’acte de reproduire ses chefs-d’œuvre en plusieurs exemplaires, banalise et dissipe l’aura de l’œuvre. Ainsi il se questionne sur la vérité de la réplique et matérialise sa propre vision du musée. De quoi s’agit cette boîte ? Selon les sources, Marcel Duchamp disait « tous ce que j’ai fait d’important pourrait tenir dans une petite valise », et grâce à cet outil, l’art pouvait finalement voyager à l’extérieur du musée. L’artiste réalise plusieurs versions de son musée portatif, des plus simplistes aux plus luxueuses dans le but d’atteindre à la plus large acceptation venant des acquéreurs. Sa boîte-en-valise était sur le marché comme un quelconque objet commercial et pouvait être déplacée dans une variété infinie d’espaces.
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JAMES PUTNAM, Le Musée à l’œuvre Le Musée comme medium dans l’art contemporaine, Thames&Hudson, Sarl, Paris, 2002, p. 33
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Pour ses caractéristiques formelles, Marcel Duchamp crée un musée sans le contenant, donc sans façade, sans mur ou plafond. Le musée est la valise, la valise est le lieu entièrement conçu par l’artiste. Des règles de proportions pour les œuvres miniaturisées définissent la correcte proportion de ces dernières en invoquant une muséographie unique. L’artiste assume entièrement les différents rôles de l’institution, il devient le producteur, le distributeur, le conservateur et l’architecte de sa petite exposition. Le système de la boîte-en-valise est composé d’une « structure sans limite avec des panneaux coulissants, des pièces mobiles, et une continuelle reconfiguration de l’espace. Elle se différencie de la statique, solide, stable et terra firma du musée33 . » La solitude de l’œuvre d’art intra-muros est effacée grâce au fait que l’objet se trouve en dehors des règles conventionnelles de distance de sécurité. La boîte-en-valise se déploie dans les mains du spectateur ce qui permet de faire vivre l’œuvre et la conséquente perception. Les yeux ne sont plus les seuls à interagir avec l’œuvre mais les mains deviennent l’instrument principal pour la mise en valeur et la mise en scène de l’exposition. Le spectateur déballe peut à peut les objets, il peut les toucher, les déplacer et les faire glisser avec ses doigts. « Marcel Duchamp orchestre la déstabilisation des espaces muséaux et la réorganisation des logiques d’accrochage34. » Peut-on faire des œuvres qui ne sont pas de l’art ? Un musée peut-il être une œuvre d’art ? Le musée est-il une valise remplie d’œuvres d’art ? La valise est-elle un musée en l’absence de murs ? Grâce à Marcel Duchamp tous ces questionnements deviennent réels et plausibles. Ils provoquent l’instabilité de l’institution par le fait que son objet devient, sans être à l’intérieur des murs, porteur de vérité. Souvent, les écrits lient cette action à une reproduction lilliputienne d’un vrai cabinet de curiosité. En effet, puisque c’est l’artiste ou même le collectionneur, qui choisit la manière d’installer les objets dans l’espace il devient le scénographe de l’installation. Un autre artiste retient toute mon attention sur l’enrichissement de la critique extra-muros, Robert Filliou. Il élabore, comme Marcel Duchamp, une alternative au musée-enceinte. Toujours avec l’intention d’abolir la statique ancrée de l’institution. Robert Filliou conçoit un musée portatif
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ELENA FILIPOVIC, A Museum That is Not, article e-flux jurnal #4-march 2009, traduction de l’anglais par Matilde Peterlini 34 Ibidem
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dans le gabarit d’un chapeau. Appelé la Galerie Légitime (1962) il remplit cet objet avec 35 documents photographiques noir et blanc, « jouant sur la double lecture : chapeau (couvre-chef) qui couvre des œuvres (chef d’œuvres) 35. » Pourquoi choisit-il cet objet si commun comme instrument d’exposition ? Avec son couvre-tête, l’artiste désacralise l’œuvre d’art en la disposant à la vue du monde, hors du musée, et plus précisément dans la rue. Une exposition ambulante qui sera le reflet de sa pensée : « Le musée descend de ses hauteurs dans la rue ? ». Robert Filliou met à disposition l’art à l’extérieur des institutions. Il lui permet d’interagir avec la vie, en effaçant la spécialisation dans laquelle la société l’enferme. « Si tu es peintre, dit Filliou, et que tu as envie d’écrire un poème et de le publier, tu le fais, n’est-ce pas ? Si tu as envie d’écrire de la musique, tu trouveras toujours moyen de le faire…[…] On peut tout faire, n’importe quoi…ce qui devient important, c’est l’esprit dans lequel ces choses sont faites36». Quelles sont les limites d’un artiste ? Également, quelle reconnaissance peut-on attribuer à des œuvres qui ne se trouvent pas à leur place ? Si le spectateur peut interagir avec une œuvre extra-muros, quel avenir se présente pour l’institution ? Pour que notre thématique devienne fondamentale, il est nécessaire de prendre en compte les artistes qui exposent dans un espace-autre. Il peut s’agir d’un cabinet, d’une valise ou encore d’un chapeau…tant qu’ils ont ce facteur commun : ils sont l’essence intime, la valeur ajointe d’un échappement vers la liberté d’expression. Chaque individu, artiste ou non, a le droit de s’exprimer au monde selon ses propres valeurs. Si l’artiste peut être autre chose qu’un simple producteur d’œuvres c’est parce que l’accomplissement, la réévaluation et l’organisation sont ses qualités intrinsèques et lui permettent de repenser l’organisation d’un musée avec d’autres moyens.
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Sylvie Jouval, Robert Filliou Dans les collections du musée, Direction de l’action éducative et des publics, Centre Pompidou, avril 2012. http://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/Filliou/152163, page consultée le 5 Avril 2016 36 Chantal Gaudreau, Robert Filliou : une galerie dans une casquette, article, érudit, Intervention, n°6, 1980, p. 41-43, http://id.erudit.org/iderudit/57613ac, pages consultée le 2 Avril 2016
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5. La BoĂŽte-en-valise, Marcel Duchamp, 1936-1941
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6. La Galerie Légitime, Robert Filliou, 1962-1963
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L’ART S’EXPOSE DANS LA VILLE Au cours du dernier chapitre, nous avons abordé le lien qui se tissait entre les artistes et l’espace extra-muros. Ce lien, selon les exemples de la Boîteen-valise et de la Galerie Légitime, révélait un besoin de rendre l’art accessible à tous et de la libérer vers l’extérieur. Suite aux actions représentatives de Marcel Duchamp, de Robert Filliou et d’autres, de nouveaux mouvements apparaissent aux Etats-Unis à partir de la seconde moitié du vingtième siècle. Une réponse au confinement de l’art dans les espaces muséaux arrive avec le Land Art. Les artistes, en choisissant d’outre passer les confinements des musées pour aller vers l’extérieur, mettent en doute toute production « in situ ». Nous le traiterons dans le chapitre suivant. En effet, le terme emprunté par les auteurs pour décrire, de manière générale, ces pratiques voyant le jour en dehors des lieux institutionnels est « ex situs37 ». Le mouvement artistique du Land Art fonde son idéologie sur la relation entre l’art et la nature. Les œuvres d’arts se retrouvent exposées dans des paysages naturels et sont constituées de matière organique. Ceci les soumet à l’érosion naturelle. Cet aspect éphémère de l’art « ex situ » devient la caractéristique principale de toute la production des artistes affiliés au Land Art. L’art doit être une expérience strictement connectée au monde naturel et échapper au statut « objet-marchandise » lié aux institutions. Des connections avec les critiques extra-muros nous reviennent à l’esprit : peut-on considérer comme étant de l’art ce qui se trouve hors des murs d’un musée ? Les œuvres d’art du Land Art répondent bien à cette insinuation car si l’art fait parti de la vie alors tout type de création peut être art. Le côté transitoire de ces œuvres, évite tout déracinement du lieu d’origine. Pour cette raison les contextes dans lesquels les artistes travaillent sont des déserts, des plages, des forêts…où toute decontextualisation est impossible. Ce qui reste de ces initiatives sont principalement des photographies, des vidéos et des dessins qui ont, un temps, été exposées dans les musées. Les reliquaires sont les objets témoins d’une œuvre qui ne se trouve pas à sa place pour des raisons de distance ou d’accessibilité. Ces mêmes raisons, nourrissent toute la caractéristique de la fragilité de l’œuvre qui se trouve à ciel ouvert et non dans une vitrine sécurisée au musée. 37
MARIE ESCORNE, L’art à même la ville, Collections ARTES, Presses Universitaires de Bordeaux, Pessac, 2015, p. 63, texte réélaboré.
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Il s’agit du grand paradoxe de l’art contemporain. L’œuvre veut se dissocier du tableau sur chevalet prévu pour les galeries mais elle existe toujours grâce à l’instrument de la représentation photographique, ou vidéo. Celle-ci, déplaçable, malléable, peut être vendue comme toute œuvre d’art moderne. N’est-ce pas une contradiction ? Quel est le sens de voir exposé sur un mur de galerie une relique d’un geste si tangible ? Où se trouve le lieu de l’œuvre ? La nature, point d’origine, ou la photographie, point de destination ? Pour répondre à nos questionnements il est important de faire référence à la recherche sur la signification du « site » et « non-site » mis en lumière par l’une des figures les plus emblématiques du Land Art, Robert Smithson. « C’est l’art (non-site) qui contient le site, et non le site qui sert de support à l’art. Le non-site est un contenant placé à l’intérieur d’un autre contenant […] Une échelle vaste peut se réduire. Une échelle réduite peut gagner en amplitude. […] Le site est le reflet du non-site (le miroir), ou est-ce le contraire ? 38». Effectivement, les reliques d’œuvres éphémères montrent au spectateur des œuvres créées hors du champ artistique traditionnel et permettent d’être connues à travers une documentation rendue accessible à tous. Egalement ces sont les traces matérielles qui permettent de rentrer dans le cadre institutionnel, qui doivent « impérativement y avoir accès pour exister. 39 » Un survol du Land Art était nécessaire pour nourrir la critique extra-muros et pour présenter également l’artiste Robert Smithson. Celui-ci exprime tout son mécontentement concernant l’institution dans un article « Some Void Thoughts on Museum » en 1987 : « Les musées sont des tombeaux, et l’on dirait que tout se transforme en musée. L’art s’installe dans une inertie prodigieuse. Le silence est l’accord dominant. Des couleurs vives dissimulent l’abîme qui maintient l’unité du musée. Tout solide est un morceau d’air ou d’espace obstrué et encrassé. Les choses s’affadissent et s’évanouissent. Le musée étend partout ses surfaces et devient une collection sans titre de généralisation qui fige le regard. 40» Ce qui nous intéresse le plus dans ses propositions est sa vision d’un musée alternatif se présentant sous forme de croquis : The Museum of the Void traduit Le Musée du Vide. Une première présentation du musée idéal des artistes que nous verrons dans le chapitre de l’action. 38
MARIE ESCORNE, Op. Cit. p. 92-93 Ibidem, p. 91 40 JAMES PUTNAM, Le Musée à l’œuvre Le Musée comme médium dans l’art contemporain, Thames & Hudson, Sarl, Paris, 2002, p. 26-27 39
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Le Land Art est à la recherche de paysages naturels étendus où l’on peut admirer les œuvres d’arts sur de grandes surfaces de territoire. Souvent, pour les photographier et les admirer, il est nécessaire de prendre un avion et parcourir des hectares. Quand les artistes ont voulu sortir des murs des musées, ils sont partis bien loin de l’institution. Ils ont investi l’espace des rues, des villes. La ville, à partir des années soixante-dix, devient un territoire d’expérimentation pour des œuvres à grande échelle. La peau des centres urbains devient une grande toile pour les artistes. Je me réfère à l’apparition du Street Art, aussi connue comme Art Urbain, qui rentre également dans les volontés d’un art extra-muros. Il s’agit d’une forme d’art réalisée dans la rue ou dans les espaces publics non-conventionnels utilisés pour dénoncer au public environnant les faits d’actualité marquants. Pour ces raisons les institutions l’attribuent à des actes de dégradation des villes, il est souvent menacé de disparaître. Un art donc éphémère car soumis aux intempéries et aux utilisations quotidiennes de la ville. Les techniques de l’Art Urbain sont très différentes : les graffitis, les pochoirs et les tags sont les moyens d’expression les plus utilisés. L’idée qui réunit ce type d’art est l’appropriation des espaces publics nonconventionnels pour dénoncer les faits d’actualité sur des supports urbains. Le Street-Art devient un instrument de propagande manifeste dans la ville pour les citoyens. Il est le résultat de la recherche du rapport entre l’art et la vie. « Autrement dit, le choix de transgresser les frontières des lieux clos pour exposer dans la cité atteste vraisemblablement d’une forme d’insoumission des artistes par rapport aux institutions et traduit, de surcroît, une volonté de renouveler la création artistique en incorporant des artefacts au tissu urbain.41»
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MARIE ESCORNE, Op. Cit. p. 34
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LES ARTISTES REMETTENT EN QUESTION LE CONTENU À l’image de la démarche sur le contenant, la critique artiste muséale vient s’interroger sur la notion du contenu. Premièrement, définissons le contenu : « ce qui se trouve à l’intérieur d’un récipient 42». En l’appliquant au cadre d’étude, il est l’ensemble des œuvres d’art qui participent à l’espace du musée. Quand on parle d’ensemble, j’inclus également la manière de montrer les œuvres, mais aussi les critères d’organisations adoptés par les différentes institutions. On a pu voir que depuis les premières expositions, les objets artistiques sont soumis aux règles esthétiques représentées par des « autorités ayant le pouvoir d’accepter ou refuser des œuvres d’arts dans des expositions officielles43 ». Au cours des améliorations en matière de contenu dans les musées, la communication auprès du public devient une étape clé de toute démarche d’exposition. Les parcours sont didactiques, chronologiques ou selon les mouvements artistiques, en répétant souvent les accrochages confusionnels que l’on a vu avec Paul Valery. Suite aux oppositions à l’encontre du système défaillant mis en place par les musées, nous identifions des qualités innées chez les artistes. Ils ont une meilleure aptitude aux pratiques des dispositifs d’organisation et, « dans leurs processus de création, imitent les pratiques institutionnelles de l’inventaire et de l’archivage. 44» Ces aptitudes naissent à l’intérieur des ateliers d’artistes où l’on retrouve, dans des espaces plus limités, les critères d’affichage et non affichage propre au musée. Egalement, elles contribuent à nourrir la critique des artistes sur le contenu : « la démarche de collectionner est toutefois très différente lorsqu’elle est faite par un artiste, car elle est alors intimement liée au processus créatif. 45» Si les artistes s’affirment comme étant la nouvelle figure réussissant à s’engager dans les espaces muséaux en contribuant à la correcte réception et perception des œuvres, qu’en est-il de l’adaptabilité entre l’espace et l’objet ? 42
Définition du dictionnaire La Rousse, www.larousse.fr, page consulté le 4 juillet 2016 Ibidem, p. 37 44 JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 16 45 Ibidem, p. 12 43
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LA CRITIQUE DU MUSÉE INTRAMUROS « Pour
un artiste il est naturel de questionner la nature de l’art. Il est par conséquent normal qu’il ressente également le besoin de questionner la fonction des institutions qui abritent l’art. 46» Un des artistes qui s’intéresse à l’adaptabilité des espaces d’exposition et à la relation qui noue l’objet à la perception est Daniel Buren. Il s’engage à décrire la Fonction du musée et la Fonction de l’atelier par des essais publiés en 1970. Quel est le lieu réel de l’œuvre ? Selon Buren, le seul lieu de l’œuvre est l’atelier d’artiste, car ce dernier est désigné « comme lieu unique où le travail se fait47 », et le musée « comme lieu unique où le travail se voit48 ». Dans l’atelier, l’artiste travaille dans son intimité sans le regard des curateurs ou des spectateurs. Cela lui permet de faire une première sélection de ses travaux en les classant par œuvres terminées, incomplètes et achevées. Pour que l’œuvre existe elle doit être déplaçable car elle doit se soumettre au voyage entre son lieu d’origine et son lieu d’affichage. Ceci est une contrainte du marché de l’art mais aussi de la promotion et de la visibilité de l’artiste, s’il veut faire connaître son travail. Il est tout-à-fait obligé de s’homogénéiser aux standards des musées et des galeries. L’œuvre que l’on perçoit intra-muros, selon Daniel Buren, n’est pas dans son espace d’origine. Ce déplacement, provoque un affaiblissement de sa vérité et de son aura. Le paradoxe qui se manifeste dépend aussi du spectateur « qui fait le tableau ». Dans ce cas, c’est à travers les musées que la perception de l’œuvre d’art se fait. Comment définir la véritable place de l’œuvre ? Daniel Buren entreprend un chemin critique sur l’effacement de l’atelier en réponse à ce déplacement déracinant. Il adopte ainsi une méthodologie de production qui marque l’apparition de l’œuvre « in situ ». Il s’agit d’annuler tout le travail préparatoire qui se cache dans le lieu intime de l’artiste et d’interagir directement avec l’espace institutionnel. C’est donc en 46
Ibidem, p. 92 DANIEL BUREN, Fonction de l’atelier, dans Les écrits, 1965-1990, vol.1 Flammarion, Paris, 2012 48 Ibidem 47
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considérant l’architecture propre au lieu que Daniel Buren installe ses œuvres et ouvre une multitude de points d’accrochage pour les percevoir. En supprimant l’atelier, toutes ses productions sont véritablement ancrées sur le lieu d’origine et ne se rendent pas déplaçables par quiconque : l’œuvre d’art est finalement à sa place. Daniel Buren veut s’extraire de l’art qu’il appelle des salons, où l’objet artistique vit sa grandeur chargée d’aspects esthétiques et devient le décor d’un espace. « Plus une œuvre se rapproche d’une taille qui sied à un appartement bourgeois moyen, plus l’œuvre sera manipulable et, pouvant se placer n’importe où, elle dépendra paradoxalement complètement de l’environnement qui la recevra. 49» Effectivement pour Daniel Buren, cela ne doit pas être l’œuvre d’art qui s’adapte au musée mais le contraire. Pour cette raison, l’artiste doit prendre le musée comme un espace d’expérimentation car il est un lieu essentiel qui amène à la création. Un autre aspect, qui retient toute notre attention, est la relation entre le lieu d’origine et les points de vues multiples. Les productions de Buren ont pour but d’investir l’espace total du musée. Avec l’exposition « le Musée qui n’existait pas », réalisée au Centre Pompidou de Paris en 2002, il fait prendre conscience au public que le musée se doit d’effacer tous les limites du cadre d’exposition. En concevant ce dispositif, l’artiste, avec l’accord de l’institution, demande à investir des espaces nonconventionnels du Centre Pompidou : des lieux de circulation, de réception, des ascenseurs ou des escaliers. Cette démarche vise à prouver que le public peut créer sa propre manière de percevoir les œuvres d’art selon différents points de vues uniques propres au spectateur. L’art devient le protagoniste de toute la surface architecturale. Il n’est pas fixé, sous forme d’accrochage traditionnel, dans des lieux conventionnels. En conclusion, l’abolition de l’atelier a permis de produire des œuvres d’arts qui nous interrogent directement sur la question du terrain. Ainsi, des œuvres qui ne vénèrent pas le modèle définit par les musées traditionnels en se limitant au format. En même temps, Daniel Buren fonde sa critique intra-muros sur la survivance des musées, non sur l’abolition définitive de cette institution : « je n’ai j’aimais refusé le musée, ni pensé qu’il était à brûler ou qu’il ne devait pas exister. 50 » dit l’artiste. Il critique surtout la « pensée univoque51 » liée aux institutions. Ils pourraient prendre des formes plus dynamiques comme par exemple dans les centres 49
JÉRÔME SANS, (Entretien ave) Daniel Buren, Au sujet de…, Flammarion, France, 1998, p. 106 Ibidem, p. 125 51 Ibidem, p. 126 50
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d’art les plus contemporains, qui permettent aux artistes de manier sans restrictions l’espace et de travailler pour le lieu et dans le lieu. Le centre d’art, conçu comme un cabinet de curiosités, contribue aux nouvelles activités artistiques, mêmes risquées, en s’éloignant de la collection rassemblée des musées. Les artistes peuvent créer toute sorte d’œuvre d’art sans forcement parvenir au chef-d’œuvre. La liberté offerte par les centres d’art s’éloigne du maniement fait par les musées sur des œuvres préexistantes. Par exemple Daniel Buren dénonce toute relecture des œuvres d’arts, dans ses écrits, il cite également les manipulations formelles effectuées sur la production de Marcel Broodthaers. Pourquoi le musée annule-t-il le sens original des œuvres d’art ? L’exemple prit de l’artiste belge devient essentiel dans le cadre de notre sujet. Marcel Broodthaers dénonce le parti prit autoritaire et subdivisé des institutions avec la production d’un musée d’art moderne. N’est-ce pas une contradiction d’enfermer au sein d’expositions tributaire ses œuvres, sans contexte et sans le contenu générateur ?
LE MUSÉE FETICHISTE « Le
musée n’est qu’une enveloppe, une méta-structure administrative qui opère un ensemble de projections […] qui maintient autour, sans désigner directement l’intérieur, l’essence. Forme contemporaine de la vanité à l’ère d’un ordre capitaliste et financier du monde […].52 » Plusieurs maniements des œuvres d’arts de Marcel Broodthaers ont été effectués dans les plus grands musées sous forme d’exposition monographique revisitée ou encore d’interprétations de toute sorte. Placer sa production dans un autre lieu en cherchant à recréer le contexte dans lequel l’artiste a développé toute sa pensée, devient effectivement une fausse interprétation et annule le sens propre de sa critique. La polémique intra-muros de Marcel Broodthaers se nourrit d’aspects inhérents au statut de l’art des années 60. L’art devient une marchandise et le musée se transforme en boutique. Tout sorte d’objet artistique porte l’étiquette 52
GUILLAUME DÉSANGES, Repliement successifs du vide sur le vide (Récit d’une nuit avec MB) dans Marcel, Het Broodthaerskabinet - L’Inventaire, CAHF, S.M.A.K., architecten, 2011, p. 87
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« Ceci est une œuvre d’art » pour reprendre la célèbre phrase de Magritte. Marcel Broodthaers pose toute sa production sur cet aspect économique du statut de l’art. Quelle est la vraie valeur de l’art ? Pourquoi les musées sont-ils devenus de vrais et propres marchés d’objets ? L’artiste belge répond avec ironie et banalise le tout grâce à la conception de son propre musée. En s’interrogeant sur la vérité du contenu du musée, il aménage le Musée d’art moderne Département des Aigles en 1968, au sein de sa propre maison bruxelloise. « Utilisant l’emblème héraldique de l’aigle pour symboliser l’autorité du musée et sa fréquente subdivision en différents départements, Broodthaers commença une série de douze sections dans chacune desquelles il endossait tout à la fois, le rôle de directeur, de conservateur, de scénographe et de publicitaire. 53 » On pourrait le qualifier d’opposant envers l’institution, refugié dans son propre lieu familial. Cependant, la création de son musée fictif va beaucoup plus loin que cela. Si dans un premier temps il organise son exposition dans sa maison, les autres sections envahissent les plus grandes institutions. C’est avec la « Section des figures » en 1972 à la Kunsthalle de Düsseldorf, que sa démarche devient un triomphe. Une accumulation de trois cents objets représentant des aigles venant d’une multitude de pays différents, met en scène la contestation du musée fétichiste en étiquetant les objets comme il suit « Ceci n’est pas un œuvre d’art ». L’écriture sert à Marcel Broodthaers à révéler au visiteur la possibilité de définir ce qui est vérité et ce qui est fiction dans une exposition. Il joue sur l’ingénuité visuelle du public que caractérisent les institutions. Egalement, il étudie la vérité de l’œuvre intramuros, entre original et reproduction en série. Il prend part à la théorie de Walter Benjamin en valorisant la copie plutôt que l’authentique, les boîtes en bois protectrices des œuvres d’arts assument la même importance que l’œuvre contenue. Existe-t-il un musée sans œuvres d’arts ? L’absence de ces dernières, de manière classiques, transforme la totalité du dispositif du musée en une unique œuvre d’art. La figure de Marcel Broodthaers résume et condense ces influences artistiques majeures. Nous pouvons prendre en exemple la Boîte-en-valise de Marcel Duchamp, la Galerie légitime de Robert Filliou, qui valorise l’objet en tant qu’entité à part entière et dont la reproduction en matière d’art peut ouvrir la voie à des pratiques non-conventionnelles et révolutionnaires.
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JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 21
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En résulte de nos recherches, le musée fétichiste de Marcel Broodthaers. Il inverse la signification du statut de l’art et essaie d’abolir la hiérarchie institutionnelle présente dans le système muséal en élargissant les propos de la critique extra-muros vus auparavant. Sa vision du musée devient très actuelle. En effet, aujourd’hui, la reproduction d’œuvres d’arts sur des supports dits « non d’origine » permet un effacement du lieu initial de l’œuvre et génère des musées fondés sur l’art comme marchandise. Celle-ci peut être achetée tel un souvenir.
7. La Section des figures, Marcel Broodthaers, 1972
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LES ARTISTES PARTICIPENT À L’ESPACE MUSÉAL Grâce à l’étude de la critique artiste muséale comprenant l’enveloppe du musée (contenant) et les œuvres artistiques (contenu), il devient évident de relever l’attitude innée de l’artiste en matière d’exposition. De plus en plus les artistes sont convoqués par les institutions dans le but d’enrichir les dispositifs d’affichage en envahissant les espaces traditionnels. Ceci a pour but de rafraichir la vision univoque des présentations. La contribution des artistes aux éléments architecturaux, leurs conseils sur l’accrochage ou sur la scénographie rentrent fortement dans leurs domaines de compétence. Peut-on affirmer qu’une nouvelle figure polyvalente devient le protagoniste de nos espaces muséaux ? « Il s’agit d’un système d’échange, les musées offrant à des artistes contemporains des alternatives au cube blanc tandis que les artistes proposent aux musées un moyen de redonner vie à leurs collection et d’attirer de nouveaux publics. 54 » Il existe chez les artistes une sensibilité singulière à la perception des œuvres d’arts. Ils s’intéressent aux supports, aux matériaux, à la qualité spatiale, à la lumière, le tout se transforme en un vrai travail de curateur d’exposition, une valeur ajoutée pour toutes les institutions. « La personne la plus apte à mettre en scène son travail n’est-elle pas celle qui en est l’auteur ? » C’est grâce au mouvement duchampien que les artistes d’aujourd’hui sont appelés à exposer eux-mêmes leur propre travail. Leur vision est tout-à-fait novatrice et loin des dispositifs traditionnels mis en place par un quelconque curateur. Il devient évident affirmer que la rigidité du musée gagne en souplesse. Les artistes participent formellement aux expositions, y compris en faisant des revisites de collections existantes qui, avec le temps, avaient perdu l’intérêt du public. Intervenir in situ devient une prérogative de l’actualité muséale. Certains englobent l’architecture à l’intérieur d’une œuvre unique et changent la perception de l’institution aux yeux du public. Comme par exemple, la contribution de Daniel Buren en 1989 au Musée Rath de Genève, « Cabane Eclatée : Une enveloppe peut en cacher une autre », définies des architectures légères. Elles contribuent à complexifier la notion in situ par le fait qu’elles sont identiques dans les aspects formels 54
JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 32
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(dimension, matériel) mais assument des apparences différentes en fonction de leur emplacement dans l’espace. Loin d’être de simples objets de mobilier, la notion d’éclatement « induit que quelque chose se passe sur l’envers et sur l’endroit, sur le décor et sur le décoré, sur l’architecture et sur l’objet architecturé, sur la sculpture et sur la peinture. 55» L’ouverture propre aux cabanes permet au visiteur de se sentir à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, de découvrir des lieux différents tout en restant dans le même espace. Ainsi le spectateur est libre de vivre sa propre expérience, il est libre d’inventer sa propre perception du fait de ces multiples points de vue. Le dispositif de Daniel Buren mentionne « à la fois la coquille et le noyau, le contenant et le contenu 56» en remettant en question le musée comme dernière destination des œuvres d’arts. Daniel Buren participe à l’espace muséal en travaillant l’architecture dans ses limites formelles, il provoque ainsi l’institution dans le but de reformuler la vision unique et conventionnelle de celle-ci. Certains artistes plasticiens ont hardiment réalisé et présenté des dispositifs muséaux toutà-fait novateurs. Prenons des exemples : en 1990, l’artiste Frank Stella, sous l’invitation d’Alessandro Mendini, obtient les pleins pouvoirs pour la réalisation du musée de la ville de Groningue, le Groninger Museum. Le projet prévoyait une approche organique de la part de l’artiste. Avec un plan principal composé de deux feuilles asymétriques et d’un toit ondulé, le rappel au naturel ne voulait pas seulement faire allusion au monde phytomorphe mais il voulait devenir un « instrument visuel attractif caractérisé par des courbes gracieuses mêles à la logique d’ingénierie par un système structurel visible. 57 » La proposition de Frank Stella se matérialisera uniquement en maquette, une fois présentée elle sera rejetée par la commission adjudicatrice pour des questions de complexité et de budget. Néanmoins, après cette expérience ses recherches architecturales ne cessent de s’enrichir. Un peut plus tard, en 1995, l’artiste Katharina Fritsch expose dans le cadre de la Biennale d’Arti Visive à Venise, une maquette portant le nom de « Muséum (model 1 :10) ». Elle matérialise son musée idéal en lien avec son parcours artistique. Active sur les recherches spatiales et sur la perfection formelle et humaine, son projet idéal pourrait rappeler le système labyrinthique du Musée à croissance illimitée de Le Corbusier (1939), cela 55
Ibidem, p. 103 JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 161 57 PAUL GOLDBERGER, FRANK STELLA, Frank Stella Painting into architecture,Metropolitan Museum of Art, New York, 2007, p. 18, traduction de l’anglais Matilde Peterlini 56
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pour ses proportions idylliques. Néanmoins l’octogone qu’elle présente symbolise une valeur iconique sur l’obsession de la société parfaite où chaque individu se perd dans la solitude. Une métaphore qui lie la même sensation d’abandon vécue par les œuvres d’arts dans l’institution, vu dans les chapitres précédents. Les exemples que je viens d’étudier ne prétendent pas l’exhaustivité en matière de participation des artistes dans l’institution. En effet, à partir des années soixante les dispositifs mis en scène sont nombreux. Avec cet échantillon je veux plutôt attirer le regard sur la flexibilité des artistes qui n’interviennent pas seulement dans les limites d’un tableau, mais qui trouvent le courage d’étendre leur sensibilité également aux thèmes sociaux ou encore, à l’espace, à l’architecture et à beaucoup d’autres domaines que nous verrons par la suite.
8. Maquette Groninger Museum, Frank Stella, 1990
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9. MusĂŠum (model 1 :10), Katharina Fritsch, 1995
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CONCLUSIONS Il nous semble que les artistes, en intervenant toujours plus dans le domaine architectural, commencent à pénétrer l’esprit des idéaux propre au musée. On vient d’analyser plusieurs exemples qui nous font prendre conscience que les acteurs de l’art n’empruntent pas seulement un chemin critique en exprimant juste des théories qui resteraient inaperçues aux yeux du monde. Au contraire, ils interviennent véritablement dans les enjeux de conception, fortement soutenus par des équipes d’architectes, d’ingénieurs et de curateurs. Qu’est-ce que l’idéal du musée pour un artiste ? Est-il juste un rêveur dans le sens que Freud entendait ? Envisaget-il quelque chose d’impalpable, sans fondements qui ne pourra jamais se réaliser ? Les domaines de l’art et de l’architecture ont, pour longtemps, été éloignés l’un de l’autre. On voit naître de plus en plus des collaborations entre les deux disciplines. Un changement est en cours, mais l’artiste reste encore une figure liée à la création sans bases scientifiques. Même s’ils ont tous les caractéristiques d’un curateur ou d’un architecte ils doivent combattre leur image de simples rêveurs. C’est grâce à ces propos, que la prochaine thématique, celle des rêves d’artistes et des amateurs, donne la voix aux visions architecturales de ces derniers. Je trouve que l’on a beaucoup à apprendre en matière d’exposition. Pourquoi les artistes conçoivent-ils des architectures muséales mieux adaptées à l’affichage de l’art ? Aujourd’hui je trouve le rôle d’artiste et le rôle d’architecte inversé, les premiers s’intéressent beaucoup plus à une variété de domaines, quand aux autres, ils cherchent perpétuellement à s’affirmer avec des constructions ressemblant à des œuvres d’art. Outre un survol sur le rêve comme expérimentation de l’imaginaire, nous verrons que la perception sert à visualiser des espaces et que l’œil d’artiste est beaucoup plus sensibilisé à la conception des espaces artistiques.
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RÊVE
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RÊVE
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LE MUSÉE IDÉAL « Ouvrir
un nouveau musée est le rêve de tout architecte, commissaire d’exposition, collectionneur ou mécène […] 58» Et si le musée n’était pas seulement un rêve d’architecte, commissaire, collectionneur ou mécène, mais aussi une chimère pour les amateurs d’art et des artistes ? Le chapitre qui suit veut rendre hommage à un des plus importants écrivains philosophes et critiques italiens disparu en février 2016, Umberto Eco. Son court essai intitulé Le musée du troisième millénaire voit apparaître son rêve du musée qui a été une fonte d’inspiration pour me plonger dans la thématique du sujet de mémoire. En retraçant les pas de Paul Valery pendant sa visite au Musée du Louvre, Umberto Eco confirme que les institutions souffrent d’une considérable surcharge d’objets artistiques. Cette surcharge produit un mécontentement qui vient subi, pas seulement par les visiteurs des musées mais également par les œuvres d’arts. L’écrivain italien, attristé par les grands flux qui se baladent dans le musée sans aucune compréhension de ce qu’ils voient, nous fait prendre parti à son idéal du musée qu’il imagine dans un futur très loin : « J’ai intitulé mon intervention Le musée du troisième millénaire, et pour que le millénaire se termine, il reste encore 999 ans. Temps suffisant pour voir j’espère être encore là pour le voir – une utopie réalisée 59». Venons donc à la description de son musée chimère : « Mon idéal est un musée qui sert à comprendre et à jouir d’un seul tableau. Prenons, par exemple, Le printemps de Botticelli. Toute la suite de salles des Uffizi devrait être une seule visite à la fin de laquelle on arriverait, finalement, à comprendre tous les aspects de ce tableau. Il y aurait des salles qui nous introduiraient le Florence de l’époque, la culture humaniste, la redécouverte des anciens, les ferments mystiques de l’époque, de la Rome où travaillaient Ghirlandaio et Perugino, avec des panneaux didactiques, des expositions de livres et de gravures. Viendraient ensuite les œuvres des peintres qui précédèrent Botticelli et l’inspirent, dans les ateliers de Lippi et de Verrocchio (et dans ce cas, pour que la documentation soit complète, on pourrait accepter des copies de la meilleure qualité, ou sortir des fonds des œuvres que le musée n’a jamais exposé, ainsi que les œuvres de 58
UMBERTO ECO, ISABELLA PEZZINI, Le musée, demain, Casimiro livres, Espagne, 2015 p. 47 59 Loc. Cit.
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Botticelli antérieures à celle du Printemps. J’aimerais ensuite voir des tableaux avec des visages féminins annonciateurs de ceux de Botticelli, ou qui m’informeraient, au contraire, que la femme était vue à cette époque-là d’une manière fort différente, et dont il fit une innovation radicale ; on devrait entendre aussi la musique que Botticelli pouvait écouter, les voix des poètes et des philosophes qu’il a pu lire, et, si possible, il devrait y avoir de grandes photos des paysages de Toscane (je suppose que cette documentation est fondamentale dans le cas d’un peintre de paysages) ; j’aimerais voir aussi des documents sur la flore de l’époque pour comprendre comment Botticelli avait conçu, à partir de celle-ci, ses fleurs et ses arbres. Finalement, j’aimerais arriver à la salle centrale, où serait exposé Le printemps, avec un regard déjà éduqué pour voir les choses comme un Florentin du Quattrocento. Ensuite, dans les salles suivantes, j’aimerais avoir sur des écrans tous les détails du Printemps, les solutions picturales adoptées, les comparaisons en détails d’autres peintres. Et finalement, dans une dernière salle, tout ce qui pourrait me donner des renseignements sur l’héritage de Botticelli, jusqu’aux préraphaélites.60 » Il s’agit d’une exposition idéale selon la mise en scène d’un espace conçu pour une œuvre unique, afin de transformer le musée en lieu d’apprentissage des masterpieces. Le temps pour percevoir et contempler un seul tableau devient le moyen directeur de la démarche de Umberto Eco en envisageant un parcours progressif et immersif, avec le but de devenir une expérience sensorielle et corporelle digne du syndrome de Florence 61 . Les outils qui permettent la compréhension de l’œuvre principale ne se limitent pas aux communs textes et supports visuels qu’on connait aujourd’hui, mais sont représentés également par d’autres œuvres d’arts contemporaines de l’époque ou antérieures et postérieures. Ceci serait la solution plus logique pour résoudre le mal à l’aise ressenti par le rassemblement chaotique des musées, clairement expliqué par Paul Valéry : « le sens de la vue se trouve violenté par cet abus de l’espace que constitue une collection, ainsi l’intelligence n’est pas moins offensée par une étroite réunion d’œuvres importantes. […] Elles sont des objets rares dont les auteurs auraient bien voulu qu’ils fussent uniques. Ce tableau, diton quelquefois, TUE tous les autres autour de lui… 62 ». La présence 60
Ibidem, p. 43-44 Umberto Eco la nomme syndrome de Stendhal, appelé en référence à l’expérience vécue par l’écrivain français Stendhal lors de son voyage en Italie, à Florence en 1817. Elle vient provoqué par la surcharge d’œuvres d’arts et caractérisée par des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voir des hallucinations. 62 PAUL VALÉRY, Le problème des musées (1923), in Œuvres, tome II, Gallimard, Paris, 1960 61
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d’autres œuvres d’arts peut se justifier aussi sous forme de reproductions visuelles à travers des projections de haute qualité, car Umberto Eco, comprend qu’il serait impossible de déraciner certains chefs-d’œuvre qui forgent l’identité des plus grands musées. Les prêts des œuvres d’arts entre musées se font toujours plus sous la pression économique et rendent plus difficile le déplacement. Oublions pour un moment les controverses bureaucratiques et laissons nous transporter par la raffinée poétique du musée idéale d’Umberto Eco. Son dispositif serait une solution valable en contribuant à restituer le cadre originaire et retrouver la place de l’œuvre qu’on a affronté jusqu’à maintenant. Recadrer le chef-d’œuvre dans le contexte historique, social et technique genèse de sa création pourrait l’immerger dans sa véritable aura. Le rêve du musée de l’écrivain italien joue aussi sur l’unicité du dispositif, qui pourrait toujours atteindre à l’effet surprise par l’authenticité et la singularité offertes par le contenu toujours pertinent. La curiosité du visiteur, selon Umberto Eco, est le principe qui amène à la découverte - ou pas du bâtiment muséal, et ce qu’est intéressant sont « […] les superpositions spectaculaires du trésor et du sanctuaire […] qui, bien que différents, construisent le signifier d’un lieu. 63» La chimère de Umberto Eco, n’a pas été exclue comme dispositif par les musées, certains s’en sont inspirés mais il devient difficile, de nos jours, de créer un contenu si poétique en cadrant une seule œuvre. À l’occasion de Europalia 2003 au Palais de Beaux-Arts à Bruxelles, l’écrivain a fait un vrai travail de curateur pour préparer l’exposition autour de la Venus d’Urbino du Titien qui était le centre de toute la mise en scène. « Pour la voir, le visiteur traversait des salles où on lui expliquait comment on en était arrivé à ce tableau. Il avait accès à toutes les informations possibles à tous les écrits sur le sujet. Il traversait également des salles où l’on s’arrêtait sur des détails de la peinture. Une fois arrivé devant la Vénus du Titien, il pouvait tout comprendre. Ensuite, on lui proposait de découvrir la postérité de l’œuvre. On a travaillé trois ans sur cette exposition. Ce fut merveilleux. 64» En aucune partie de son essai on voit apparaître les contraintes du contenant, les salles comme entité architecturale sont un moyen pour arriver à la jouissance esthétique et sensorielle venant comblé par la beauté artistique du tableau soit le contenu. Depuis le début de notre thématique, la question sur le rapport existant 63
Ibidem, p. 11 http://www.la-croix.com/Culture/Umberto-Eco-Il-est-faux-de-penser-qu-Internet-signeraitla-fin-de-l-ecrit-2009-11-12-568696, page consulté le 31 Juillet 2016
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entre contenant et contenu reste ouverte. En effet, on a vu plusieurs points de vue selon les artistes, les amateurs d’art et les théoriciens, concluant que tous ont des critères communs relatif à la façon de concevoir et aménager les espaces muséaux et également les manières d’accrocher, assembler, stratifier. A la lumière des différents cas étudiés, il devient essentiel d’explorer ce rapport en interrogeant les aspects en termes architecturaux. Forcé de constater que se sont les œuvres qui doivent prendre la place majeure dans l’institution en les laissant respirer et exprimer son aura, que se passe-t-il quand se sont les choix architecturaux qui s’imposent sur les œuvres ? Pourquoi les architectes veulent devenir des artistes figurant du contenant ? Le musée, étant devenu un espace d’attraction et de commerce, de plus en plus refuse le dispositif neutre et s’autoproclame œuvre d’art. Les concepteurs des nouvelles institutions ne s’intéressent plus au contenu, mais deviennent des gestes fastueux qui affaiblit le statut de l’art. Si, pendant quelque temps, l’attractivité du musée était intimement liée aux sentiments d’extase provoqué par la vision des œuvres d’art, aujourd’hui le public s’intéresse premièrement au bâtiment étant œuvre architecturale et par la suite aux objets artistiques. À ce sujet, Christian Bernard l’ancien directeur du MAMCO de Genève, lors d’une conférence au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles « Crise du musée ou musée en crise », souligne que les institutions dédiées à l’art sont le résultat des « gestes somptueux des politiciens et des architectes ignorants65 ». Les exemples plus cohérents qu’il condamne après cette affirmation, se sont le MAXXI à Rome réalisé par Zaha Hadid, le Guggenheim à Bilbao par Frank O. Gehry et le LAMCA à Los Angeles édifié par Peter Zumthor. Quels défauts viennent perturber son jugement et enflamment son opposition ? Selon l’ex-directeur, les musées venant d’être cités, ont été conçus en élisant les prestations architecturales à celles artistiques. En d’autres termes ces bâtiments ne sont pas pensés pour accueillir l’art. Deux temps différents semblent s’enchainer aux yeux de Christian Bernard : un pour l’architecture, qui est suprême et un pour l’art qui devient un ornement voir un surplus. L’extérieur et l’intérieur, le contenant et le contenu sont dissociés, l’espace crée est scénographe, théâtralisé et souvent inadaptée à recevoir les objets artistiques car les préoccupations majeures se font sur la présence massive et esthétique de l’architecture. Les musées deviennent alors des instruments du pouvoir public, enchainant un conflit entre les architectes 65
Retranscription de l’affirmation par Christian Bernard, pendant la conférence « Crise du musée ou musée en crise », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 4 Février 2016
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ignorants par une production toujours plus compétitive avec la fin d’élire le meilleur musée d’un point de vu stylistique. Plusieurs nouvelles activités se sont ajoutées dans le programme des institutions ; les restaurants, les book-shops, les salles de conférences, médiations ou éducatives. Toutes ces fonctions qui gravitent autour de la commercialisation de l’art ont fait perdre la voie principale, la signification génératrice, la véritable place bref, l’aura. Où a-t-il dévié l’enchantement de l’art ? Dans quel musée pouvons-nous éprouver le syndrome de Stendhal très cher à Umberto Eco ? Les artistes prennent des positions très franches sur le sujet, ils estiment d’avoir les justes qualités pour déterminer les architectures muséales. Utilisant leur manière de voir, regarder et observer, traduisent leur attitude en moyen de conception, affirmant que les architectes oublient l’art lors d’un projet muséal. Cela explique, dans un premier temps, le fait d’approfondir l’architecture de la perception et non l’architecture muséale, car il y a une différence nette entre créer des contenants qui servent à la jouissance entre spectateurs et œuvres et construire un édifice qui sert comme vitrine et incarne les fonctions d’une boutique. Venons donc à la compréhension du terme perception en évoquant « l’œil d’artiste – et de leur expérience en tant que praticiens dans ce domaine 66», passant par la critique des artistes aux exécutions des architectes.
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JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 135
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10. Le musée des rêves d’Umberto Eco
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LA CRITIQUE AUX ARCHITECTES SE TRANFORME EN BESOIN DE CONCEVOIR Le détachement des artistes de toute décision sur le lieu des œuvres nourris une série d’actions qui apportent une passionnante théorie architecturale sur le sujet. Pour reprendre les termes employés dans l’introduction, les artistes ne rêvent pas des illusions ou des chimères, ils conçoivent des espaces, des lumières, des parcours, des murs et des plafonds…bref de l’architecture. Mais une nouvelle attitude s’ouvre à nos recherches. Effectivement si les architectes veulent s’identifier toujours plus dans la figure de l’artiste, ce dernier veut éviter toute prétention de passer par un architecte. « L’architecture en soi ne m’intéresse pas. Pas plus d’ailleurs, que l’art pour l’art. […] Certes, la beauté et l’intelligence comptent. L’architecture pour moi, c’est l’organisation de l’espace, d’un espace, d’espaces juxtaposés, d’espaces superposés. L’organisation d’une ville et la réflexion sur l’organisation sociale sont les choses qui me semblent essentielles. Elles touchent aux mêmes questions que celles que je me pose à l’atelier. « Qu’est-ce qu’un plafond ? Qu’est-ce qu’un sol ? Qu’est-ce qu’un mur ? » Des questions élémentaires.67 » Rémy Zaugg, artiste conceptuel suisse et collaborateur du bureau Herzog & de Meuron pour une période, nous explique avec clarté que réfléchir à des projets urbanistiques ou architecturaux reviennent à la même pensée que de réfléchir à un tableau. Pourquoi peut-on affirmer cette constatation ? L’artiste commence à s’intéresser et devenir sensible aux bâtiments, villes et environnement, une démarche qui amène les deux disciplines de l’art et l’architecture, s’influencer réciproquement. Les études de Rémy Zaugg sur l’architecture des musées à été un vadémécum pour toute une génération d’architectes mais les seuls qui ont compris ses propos restent ses amis Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Plusieurs architectes sont venus chercher des conseils de la part de l’artiste, « je pense à Hand Hollein, qui dit avoir étudié mes textes pour s’en inspirer – je veux bien, mais de manière 67
PHILIP URSPRUNG (sous la direction), Herzog & de Meuron : Histoire naturelle, Centre canadien d’architecture & Lars Müller Publisher, Montréal, 2002
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négative.68 » Ainsi les architectes Annette Gigon et Mike Guyer se sont basés sur ses dispositifs pour réaliser le Musée Kirchner de Davos. Même Peter Zumthor est venu dans son atelier avec la maquette d’un nouveau musée à Bregenz prétendant vouloir des contestations, des conseils et des améliorations. Mais l’artiste ne veut pas devenir un guru des architectures muséales, il refuse tout contact ponctuel avec les architectes juste pour un jugement de la qualité des projets, la conception est beaucoup plus que ça, elle s’agit d’un ensemble de réflexions, d’échanges, sur une longue période. La construction ou la rénovation sont des domaines peu intéressants aux yeux de l’artiste, sa préoccupation majeure est concentrée sur le rapport entre architecture et perception, œuvre et homme. Pour comprendre ses propos, il est nécessaire d’aller voir ses pensées mises en place, précisément à son engagement curatorial d’exposition. Une nouvelle définition de neutralité vient enrichir nos recherches, ainsi clarifiés dans son texte conçu pour la rétrospective de Alberto Giacometti au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1992. Regardons de plus prêt les aspects principaux. Premièrement « L’auteur idéal d’une exposition est celui qui ne laisse aucune trace personnelle derrière lui, sur le lieu de son forfait. Les œuvres sont à leur place dans l’exposition lorsqu’elles donnent l’impression d’avoir choisi elles-mêmes leur environnement architectural, leur emplacement et leurs voisins. 69 » Encore une fois, l’architecte doit réprimer ses désirs pulsionnels liés à la suprématie des attitudes qui effacent l’expressivité de l’œuvre, aucun détail architectonique ne doit prendre le dessous sur l’art. Le neutre se mêle aux termes de l’oubli, de l’effacement qui sont des notions constantes dans le travail de Rémy Zaugg. Pour que la neutralité se manifeste, des éléments similaires au concept du White Cube doivent s’accomplir : les murs sont peints d’un « blanc légèrement assombri 70 » contribuant à une sorte de transparence, invisibilité, ainsi témoins de l’absence de couleurs. La présence devient absence permettant à l’œuvre de se manifester en totale liberté, également la non-couleur actualise l’architecture, elle « dénude et expose le lieu […] posant le percevant et l’œuvre 71». Un autre élément très soigné par l’artiste est la lumière. Il est nécessaire qu’œuvres et visiteurs se plongent dans la même lumière homogène au 68
Armelle Lavalou, Jean-Paul Robert « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62 69 RÉMY ZAUGG, Concevoir et réaliser une exposition, c’est devoir s’effacer, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris 11-15 mars 1992. 70 Ibidem 71 RÉMY ZAUGG, Op. Cit.
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point de devenir invisible, on parle ici de celle zénithale qui est propre au lieu sans recours aux artifices. Les faisceaux artificiels souvent dirigés sur tel ou tel objet artistique provoqueraient une théâtralisation et un déséquilibre de la perception. En autres termes, la lumière ne doit pas créer une séparation et une hiérarchie dans le lieu de l’œuvre et de l’homme, mieux donc incorporer la fausse lumière à la lumière naturelle évitant tout espace aseptisé et artificiel. Venons à la place des œuvres, selon Rémy Zaugg tous les objets accrochés aux murs ou installés sur des socles sont sans hiérarchie de l’art. Toutes sont montrées avec la même dignité et s’engagent par une relation équilibrée, le seul acteur actif qui tient le pouvoir d’interprétation est le spectateur en agissant selon un parcours subjectif. Pour ces raisons, l’ensemble des œuvres d’arts constituent l’ « événement perceptif 72» pour l’intégration, au même moment, du mental et des sens, le corps et le travail intellectuel se fondent pour arriver à la jouissance totale. Rémy Zaugg, après avoir eu cette expérience de lecture du travail de Alberto Giacometti à Paris, sort son livre sur le musée qu’il rêve dans la période postmoderniste, un moment ou les musées évoquent les gestes somptueux des archi-stars évoqués auparavant et il souligne « Beaucoup d’architectes connaissent mal l’art. Disons que […] le bâtiment de Frank O. Gehry, au Vitra Design Museum, est une mauvaise sculpture cubiste, […] 73». Une recherche similaire à celle de l’artiste suisse, vient s’affirmer chez une autre personnalité artistique considérable : Donald Judd « mécontent de la manière avec laquelle son œuvre est maniée et installée, et en profond désaccord avec la distinction que fait le musée entre l’art et la vie – qui, selon lui, revient à « avoir une culture sans que la culture ait un effet » et sert à « faire de l’art une contrefaçon » - Donald Judd entreprend dans les années 1970 de créer son musée idéal à Marfa, une petite ville du Texas.74» Mais avant de parler de son musée - non-musée dont on traitera dans le prochain chapitre, il est intéressant pour notre sujet, d’examiner son rapport discordant avec l’architecture. Dans ses écrits, à la question « […] quelles sont pour vous les conditions muséales idéales » il répond en tons directs, décrivant le musée de ses rêves comme il suit : « Un vaste espace rectangulaire, avec une assez bonne hauteur de plafond (…). Une salle plus petite conviendrait, à condition qu’il y ait une bonne hauteur de plafond, 72
Ibidem PHILIP URSPRUNG, Op. Cit. 74 JAMES PUTNAM, Op. Cit. p. 187 73
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et qu’il n’y ait pas trop d’œuvres présentées simultanément. Il ne devrait y avoir ni moulure ni rainure. Les murs et le sol devraient être lisses et carré, pas de dallage (…). Le sol ne devrait pas présenter de motifs. Idéalement, l’architecture du bâtiment devrait être de bonne qualité à l’intérieur comme à l’extérieur. Cela exclut l’élégance de la plupart des galeries nouvelles et des nouveaux musés. Un musée ne devrait certainement pas être architecturalement inférieur aux meilleurs œuvres qu’il pourrait conserver.75 » Ces sont toujours les œuvres le nœud commun de la critique artiste muséale, l’architecture quant à elle, devient pour les artistes ce que l’art est pour les architectes : un moyen d’arriver à l’exaltation des propres envies. Selon Donald Judd, de plus en plus on assiste au crépuscule des deux disciplines car leurs divergences sont certes « […] aujourd’hui, l’art décline depuis quinze ans, suivant en cela l’architecture qui s’est déjà effondré jusqu’à rejoindre le niveau de la comédie musicale. 76 » Pour l’artiste, les architectes voient les œuvres d’art comme quelque chose d’ornementale qui pourrait se placer – ou pas, dans les espaces d’expositions. Souvent ils se désintéressent du travail des artistes pour le fait, dit Donald Judd, qu’ils n’arrivent pas à comprendre la production artistique, ils la manient sans avoir conscience de comment il faudrait la percevoir dans l’espace. « Une installation méticuleuse d’œuvres d’art exige beaucoup de temps et de réflexion. La plupart des œuvres sont fragiles et certaines, une fois en place, ne devraient jamais bouger. Quelque part, un échantillon d’art contemporain doit exister comme exemple de ce que l’œuvre d’art dans son contexte veut dire ; une mesure tout aussi exacte doit exister pour l’art de ce lieu et temps précis. Sinon l’art se réduira à n’être que divertissement et combines. 77» Quel est le but d’une exposition à temps déterminé ? Les œuvres d’art ne devraient pas s’installer dans un temps réduit pour être comprises, juste pour un évènement qui enrichi les institutions, l’art et l’architecture veulent être éternelles. Les chefs-d’œuvre de notre patrimoine que l’artiste américain définit « les meilleurs » se trouvent à leur place d’origine, tout art contemporain se retrouve dans un système éphémère où la seule commercialisation la rende réelle. Plusieurs jeunes artistes se plient à ce dispositif, pour cette raison Donald Judd affirme qu’il faut résister à cet enchantement parvenu par les grandes institutions car il faut défendre l’art et lui donner sa véritable place. À la différence de Rémy Zaugg, l’artiste 75
DONALD JUDD, Écrits 1963-1970, Traduit de l’américain par Annie Perez, Daniel Lelong Éditeur, 1991, Paris, p. 29 76 DONALD JUDD, Op. Cit. p. 98 77 Ibidem, p. 187
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américain s’intéresse à l’architecture. Pendant sa jeunesse il dessinait des petites maisons, et en suite il arrivait à concevoir un projet utopique « […] qui tenait à la fois du projet social, politique, et de l’aménagement urbain et rural 78». Néanmoins il décide de devenir artiste, car comme le soutien l’artiste suisse, la difficulté du métier d’architecte réside dans le contact avec le public et les clients, et Donald Judd souffrait par cette idée. En même temps il n’a jamais arrêté de réfléchir en termes architecturaux pendant sa carrière et dans ses écrits, il décrit ce domaine comme si c’était son premier métier. Alors, pourquoi autant critiquer l’architecture muséale et concevoir son musée – non musée ? Pour deux aspects fondamentaux, le premier est que « […] la forme ne devrait jamais contredire la fonction. Créer des formes pour elles-mêmes sans tenir compte de la fonction est ridicule. L’une des raisons pour lesquelles les architectes sont si friands de musées, et les musées si bizarres, tient sans doute du fait qu’ils jugent […] que ce sont des lieux dépourvus de fonction réelle, dans la mesure où, à leurs yeux, l’art n’a pas de signification. Les musées sont devenus les exutoires […] d’architectes incapables pour la plupart de trouver une expression. ». Le deuxième concerne le gabarit, « ce qui est petit est beau, ne faites jamais […] rien de plus grand que nécessaire. Dans les grands musées les œuvres sont entassées les unes sur les autres avec pas mal de perversité. » L’échantillon analysé, pose les bases pour la compréhension du besoin de certains artistes de concevoir sa propre architecture muséale ou perceptive en s’éloignant des conceptions des architectes. On prend toujours plus conscience qu’ils apportent un regard diffèrent et innovateur des principes de monstration des œuvres d’art. L’émotion et le sentiment sont les principes générateurs de toute production artistique, qui devient source d’expérience et connaissance. Comment ce regard devient un moyen de conception ? Pourquoi les artistes manifestent leur besoin de concevoir ? Si pour le moment on a concentré les écrits sur leur vision architecturale, poursuivons nos recherches en s’interrogent sur l’ « œil d’artiste » et sa perception des espaces et proportions.
78
Ibidem, p. 191
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11. Musée Kirchner, Davos, 1995, vue intérieur
12. Musée Kirchner, Davos, 1995, plan principal
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13. Kunsthaus Bregenz, Bregenz, 1990_97, vue intĂŠrieur
14. Kunsthaus Bregenz, Bregenz, 19997, plan principal
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15. Vitra Museum, Weil am Rhein, 1989, vue intĂŠrieur
16. Vitra Museum, Weil am Rhein, 1989, plan principal
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L’ŒIL DE L’ARTISTE : LA PERCEPTION COMME MEDIUM DE CONCEPTION « La perception, c’est l’expression humaine par excellence. Ce
n’est pas seulement la langue, ce ne sont pas simplement les images rétiniennes. L’expression humaine, c’est l’ensemble de la perception. Les Grecs le disaient très bien : la perception est le résultat d’une démarche des sens et de l’intellect.79» Il s’agit d’identifier les moyens sur lesquels se base l’artiste pour concevoir des espaces pour l’art. Utilise-t-il des bases constructives différentes de celles de l’architecte ? Jusqu’à maintenant, on a pu démontrer que les affinités avec une œuvre d’art sont des contraintes sur lesquelles on doit réfléchir pendant la conception d’une architecture de la perception. En même temps, la règle à suivre n’est pas celle de recréer le contexte original d’un objet artistique. Cela pourrait effacer son aura, et devenir une monstration fictive. La réflexion sur l’espace et sur la réception d’une exposition n’est pas seulement le domaine de l’architecte, car les artistes utilisent aussi l’instrument du dessin, connaissent les différentes techniques de représentation et vivent dans les mêmes proportions architecturales. Si on peut affirmer que « la peinture est un art de l’espace, qu’elle se fait sur la toile ou le papier, […] n’a pas la ressource de fabriquer des mobiles. 80», alors l’artiste qui reproduit un dessin sur un tableau, il utilise des capacités cognitives qui lui permettent de présenter à échelle réduite l’espace autour de lui. L’architecte représente à différentes échelles ce qui sera construit par la suite à taille humaine. Même si dans une première réflexion on pourrait dire qu’ils agissent de manière différente, les deux ont comme priorité fondamentale la représentation de l’espace, qui bien entendu, peut dans les deux cas, rester dans l’imaginaire. Alors pourquoi est-on si étonné de voir des artistes concevoir des architectures ? Souvent parce que les deux disciplines ne sont pas reconnues au même 79
ARMELLE LAVALOU, JEAN-PAUL ROBERT « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62 80 MAURICE MERLAU-PONTY, L’œil et l’Esprit, Éditions Gallimard, Paris, 2004, p. 77
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niveau de fiabilité. L’un se base sur un savoir scientifique et l’autre sur des bases empiriques. Maurice Merleau-Ponty est la référence majeure de nos recherches. Il estime que : « La science manipule les choses et renonce à les habiter. […] Le peintre est le seul à avoir le droit de regard sut toutes choses sans aucun devoir d’appréciation. 81» La perception est-elle liée à l’artiste ou à l’architecte ? Ou, plus correctement, n’appartient-elle pas à l’homme en soi qui se pose au monde comme sujet percevant ? La perception envahit tout le corps, on peut toucher, on peut odorer et on peut regarder les choses qui sont autours de nous grâce à la conscience de l’espace. « Par ailleurs il est vrai aussi que la vision est suspendue au mouvement. On ne voit que ce qu’on regarde. 82» Et le regard nous permet d’expérimenter le monde autour de nous, les couleurs, les lumières, les ombres font partie de nos quotidiens et nous permettent d’arriver à la connaissance des choses en reproduisant mentalement ou physiquement d’autres champs de possibilités. Comme l’affirmait Alberto Giacometti « ce qui m’intéresse dans toutes les peintures, c’est la ressemblance, c’est-à-dire ce qui pour moi est la ressemblance : ce qui me fait découvrir un peu le monde extérieur. 83» L’artiste produit ce qui se trouve à l’intérieur de son champ de vision et d’imagination, dans un tourbillon de sensations et de passions qui lui sont propres, qui se manifestent avec des tracés qui n’ont pas moins de valeur que ceux de l’architecte (que les tracés de l’architecte). « Essence et existence, imaginaire et réel, visible et invisible, la peinture brouille toutes nos catégories en déployant son univers onirique d’essences charnelles, de ressemblances efficaces des significations muettes. 84» Comment les œuvres d’arts nous permettent-elles de percevoir l’espace ? Également, comment l’espace nous permet-il de percevoir les œuvres d’art ? « Au musée, je reconnais : ici le sol, là un mur, là un tableau, là une chaise, là une porte, là un tableau, un autre tableau, là encore un porte, puis un visiteur, une sculpture, etc.85 ». Mais la perception d’une œuvre d’art s’attache à toute une autre connaissance, car la perception qui permet de se déplacer dans l’espace, se confronte à celle qui permet de reconnaître les signes. « Lorsque je dis que je perçois une œuvre, je veux
81
Ibidem, p. 9-14 Ibidem, p. 17 83 GEORGES CHARBONNIER, Le monologue du peintre, R. Julliard, Paris, 1959, p. 172 84 MAURICE MERLAU-PONTY, Op. Cit., p. 35 85 RÉMY ZAUGG, La ruse de l’innocence Chronique d’une sculpture perceptive, Les presses du réel, Dijon, 1997, p. 77 82
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dire que je saisis un système de signes par le sens et pas l’esprit. 86» Le tout n’est pas réglé par les seuls sens ou le seul intellect, les deux champs de connaissance favorisent la perception. Le système de signes, énoncé par Rémy Zaugg permet de créer une mémoire intime, comme un vocabulaire de tous les actes de perception qu’on a effectués auparavant. « L’acte perceptif […] est automatique et non conscient. Il est une répétition, une répétition inlassable, une répétition précise et autoritaire de ce qui a toujours été répété. Il est la reproduction d’une reproduction qui a déjà été reproduite un nombre infini de fois. 87» La perception des œuvres d’art, devient source de savoir. Pourquoi faut-il s’arrêter à la seule compréhension des objets artistiques quand on peut percevoir aussi l’espace qui les entoure ? L’analyse architecturale n’est pas si différente de celle qu’on peut faire pour l’art. Quelles sont les convergences qui se mettent en place ? Les salles d’expositions sont le dispositif identitaire du musée et sont strictement liées aux espaces des circulations, les escaliers, les couloirs…etc. Mais chaque espace « […] favorise ou commande un comportement et une attitude perceptive spécifique 88 » car quand on est « dedans » notre attitude change d’un espace à l’autre. En d’autres termes, si l’église est à la prière, le musée est à la contemplation perceptive. Notre connaissance et notre expérience sensorielle nous font d’aborder un espace selon différentes attitudes. Par exemple, si on pose un objet sacré dans un autre contexte architectural, cet objet provoque chez nous une tout autre perception. À nouveau si on accroche un tableau chefs-d’œuvre à côté d’un escalier ou dans une zone de passage, la perception s’en trouve changée. Mais placer des objets artistiques « contre » quelque chose est un acte naturel propre à la quotidienneté de l’homme, les mettre au centre changerait au nouveau son champ perceptif. « La nature du lieu de présentation et la disposition dans le contexte architectural confèrent ainsi aux objets une dimension représentative tant au plan de l’iconographie qu’à celui de la phénoménologie de la perception. 89» Si l’œuvre devient influencée par son cadre architectural, alors aucune exposition ne la pose dans des conditions de neutralité. Une œuvre est toujours placée par quelqu’un d’autre qui nous inflige son interprétation sur notre réception. Suite à ces affirmations, comment concevoir un espace apte à la perception des œuvres d’art ? Il est nécessaire que l’objet 86
Ibidem, p. 79 Ibidem, p. 83 88 Ibidem, p. 143 89 Ibidem, p. 175 87
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artistique trouve sa place dans l’architecture par rapport au champ visuel du sujet percevant, sans que ce dernier soit imposé à la recevoir. « La position de l’œuvre décentrée et disposée parallèlement aux parois suggère une absence de choix, paraît évidente et passe comme inaperçue. […] l’œuvre a l’air d’être une chose parmi d’autres choses, une chose sans privilège, posée dans un espace « encombré » semblable à l’espace quotidien. 90 » Finalement, l’art pourrait prendre beaucoup plus de significations si le dialogue avec le contenant s’ouvrait naturellement. L’exagération trop fréquente des espaces muséaux conçu par les architectes efface le véritable concept de neutralité. La simplicité est synonyme de beauté, comme l’entendait Donald Judd, et « la complication est devenue synonyme d’importance, comme pour les musées. 91» Excluant la complexité architecturale et concentrant la conception dans des dispositifs simples et communs à l’homme, l’œuvre d’art pourrait s’exposer avec toute sa vérité.
90 91
Ibidem, p. 279 DONALD JUDD, Op. Cit. p. 195
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LES ARTISTES CONÇOIVENT LE MUSÉE Le cœur du sujet de mes recherches vient abordé ici sous le titre action. L’échantillon proposé met en lumière trois projets architecturaux qui voient naître dans un premier temps un musée sous forme d’atelier, conçu à l’aide d’architectes, ensuite un projet de fondation inspirée par l’unification de toutes les disciplines plastiques et dernièrement un projet pour un musée – non musée qui se détache des modèles traditionnels en contribuant à la survie l’art. Rémy Zaugg, Victor Vasarely et Donald Judd sont les protagonistes de l’action, manifesté par un engagement total contre les instituions terra firma liées à l’art. En mettant en pratique tous les enseignements vu jusqu’à maintenant de part des critiques, amateurs et théoriciens, l’analyse de ces projets pourrait, en quelque sorte, nous convaincre que les artistes mettent en scène l’art et l’architecture par une maîtrise méticuleuse et souvent technique qu’améliore la perception des œuvres d’arts et dispose de l’enchantement autant recherché et discuté auparavant. Chaque projet mis en place est, selon les artistes, le meilleur dispositif qu’on pourrait atteindre et bien sûr ils ont voulu l’édifier par eux-mêmes, certains en cherchant l’aide des architectes et d’autres en s’éloignant définitivement, car comme on peut voir avant ils ont les idées très claires en la matière. La collaboration et l’isolement seront aussi au centre de notre enquête.
RÉMY ZAUGG Rémy Zaugg est un artiste conceptuel suisse, né à Courgenay en 1943 et disparu à Bâle en 2005 suite à une maladie. Pendant sa jeunesse il étudie la philosophie, les sciences et l’épistémologie qui lui permettent d’ouvrir son champ de connaissance à un nombre d’auteurs existentialistes, le plus important pour l’artiste deviendra Maurice Merleau-Ponty avec l’œuvre Phénoménologie de la perception (1945). Grâce aux études des écrits du fondateur de la phénoménologie, Rémy Zaugg nous a enchanté par les plusieurs significations de ses œuvres
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traduites en textes mais aussi en tableaux. Sa richesse artistique se fonde sur une obsession, celle de tout voir, tout comprendre, avec le but de connaître le monde entier. La rencontre avec l’œuvre de Barnet Newman, Day before One (1951) lui fait éprouver un frappement d’esprit, il ne sent pas prêt à affronter ce tableau et il commence à s’interroger sur les conditions de perception de la peinture, « Mon genou, mon pied, mon dos, n’étaient pas encore sensibilisées à dialoguer avec un tableau92 ». Pour l’artiste suisse, la perception s’écoule dans le corps entier et pas seulement par les yeux, en effet il préfère la décrire en l’attribuant à la signification grecque « la perception est le résultat d’une démarche de sens et de l’intellect 93 » plutôt que dans le sens michélangesque « je veux devenir tout œil 94». Son premier travail sur la perception, se transforme dans un livre intitulé Constitution d’un tableau en 1951, par lequel il propose un travail d’écriture sur le fameux tableau de Cézanne, La maison du pendu (1873). Cette peinture lui sert à définir la perception se posant des questions telles que; comment on regarde ? Que-ce qu’on voit ? à travers qui on perçoit ? Il ne s’agit pas d’une simple description de l’œuvre de Cézanne, il détermine comment se constitue un tableau et comment les éléments picturaux fonctionnent entre eux. Sa recherche perceptive traduite par langage, s’exprime par les formes, les couleurs du tableau qui sont expliquées calmement, avec soin et simplicité. L’œuvre de Rémy Zaugg est fondé sur cette explication de l’objet qui est intimement lié aux sources phénoménologiques, par lesquelles, la connaissance et la perception des objets ne viennent pas après la reconnaissance, elle est la reconnaissance même et au moment où l’on dit un mot, celui-ci apporte du sens à l’objet. Un bref survol sur le cadre et le domaine artistique de Rémy Zaugg, n’est pas suffisant pour le connaître totalement, mais ce qui nous intéresse davantage est sa propension continue à interroger les dispositifs d’exposition. En effet, on a pu prendre conscience dans le chapitre vu auparavant sur le rêve, que Rémy Zaugg tient des qualités innées prônes à la conception des espaces pour l’art. Ses écrits en matière d’expositions commencent à aboutir suite à la collaboration avec le bureau d’architecture bernois Atelier 5 pour la réalisation du Musée des Beaux-Arts de Berne dans les années quatre-vingt. En suite son intérêt se transforme dans un 92
Catalogue MAMVP – Musée d’art moderne de la ville de paris, 1988 ARMELLE LAVALOU, JEAN-PAUL ROBERT « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62 94 Ibidem 93
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autre écrit « Le musée des beaux-arts auquel je rêve ou le lieu de l’œuvre et de l’homme » (1995) par le quel il franchit avec précision l’utilisation architecturale de l’institution muséale. Depuis son apparition, il est devenu un texte manifeste pour plusieurs architectes, permettant de concevoir ou au moins tenter une réflexion avec la fin d’ériger une bonne architecture pour l’art, de quoi s’agit-il ? « Le lieu de l’œuvre et de l’homme est […] l’outil de la rencontre entre œuvre et homme, entre homme et œuvre. Il est l’instrument spécifique de leur rencontre perceptive. La présentation de l’ouvre à l’homme et la présentation de l’homme à l’œuvre y seront optimales. 95» Le musée est pour Rémy Zaugg d’abord un espace de rencontre, ou les œuvres et les percevant peuvent dialoguer sans être dérangé mais aussi le lieu ou l’architecture puisse permettre cette médiation. Dans quel sens on parle ici de percevant et non plus de spectateur ? Car pour l’artiste « […] parler de spectateur renvoi à l’idée de spectacle, de frivolité, de passivité de celui qui regarde, de voyeur et, justement, de représentation. Un spectateur subit, il est la victime d’une illusion, d’une prestidigitation qui a eu lieu sur la scène. Mais moi, je veux que le sujet percevant soit lui aussi sous les feux de la rampe, qu’il devienne acteur, interprète de la pièce, partenaire à part entière du tableau ou de l’ouvre 96 .» Rémy Zaugg nous apporte les fondements de ce dialogue par la description des éléments architecturaux, en mettant en question le dispositif de monstration traditionnel, sans l’effacer complètement. On peut finalement se plonger dans son musée idéal.
« DU LIEU CLOS 97» Le lieu de l’œuvre et de l’homme doit être architectural, il est clos et permet en toute sérénité et sécurité la rencontre perceptive. Etant un lieu défini, le silence est primordiale pour permettre les temps corrects à l’explication de l’œuvre, un espace ouvert serait incertain et aléatoire. La seule ouverture vient se manifester quand le percevant y entre et peut s’immerger dans l’œuvre.
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RÉMY ZAUGG, « Le musée des beaux-arts auquel je rêve ou le lieu de l’œuvre et de l’homme », Les presses du réel, Paris, 1995, p. 13 96 ARMELLE LAVALOU, JEAN-PAUL ROBERT « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62 97 Chaque sous-titre du chapitre Rémy Zaugg est tiré de son livre, Le musée des beaux-arts auquel je rêve ou le lieu de l’œuvre et de l’homme, Op. Cit.
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« DU SOL » Fondement de toute architecture, le sol permet les différentes circulations dans l’espace, il doit être fluide sans interruptions car tout élément contrariante agirait sur le dialogue sensitif du percevant avec l’œuvre. Aucune pente ne peut exister. La matérialité est aussi importante, un sol mat qui dégage toute réflexion de lumières est le choix correct.
« DU MUR » Le mur est l’élément vertical qui délimite et aménage l’espace architectural, il permet également la distinction entre intérieur et extérieur. L’homme pose son regard frontal sur les parois qui répondent à sa position debout, elles sont opaques. Les murs doivent s’imposer dans l’espace, comme pour le sol aucune inclinaison n’est admise, ils sont pleins, blancs, sans les signes de construction puisque tout détail serait mauvais pour la réception des œuvres. La porosité n’est pas admise, seule une légère texture peut éviter leur dématérialisation. La couleur des parois est blanche, « le blanc dénude et expose le lieu architectural posant le percevant et l’œuvre ». Les parois sont couleur mat, évitant tout reflets d’une peinture brillante qui provoque une vision fictive, l’œuvre est déjà un artifice et doit prendre toute l’attention.
« DU MUR ET DU SOL » Pour que le percevant sache ou circuler et ou s’arrêter il faut que le blanc soit légèrement diffèrent par rapport au sol, pour s’orienter et comprendre la spatialité, les circulations sont laissé en béton brut. La même couleur pourrait rendre ambiguë et incertaine la spatialité architecturale.
« DU PLAFOND » Le plafond est générateur de lumière zénithale, il est plat et horizontale et de la même couleur que les parois, il se mêle avec les autres éléments en restant une entité indépendante. « […] Sur le sol, l’homme marche ; sur les parois et sur le plafond, l’homme ne tient pas. ».
« DES MURS » Les murs présents sont verticaux, francs, précis et d’impact, ils manifestent et gardent les distances du sujet percevant et des œuvres, et sont en même temps l’expression active de l’architecture, jamais en concurrence avec l’art. Des murs sinueux ou circulaires seront un geste de prétention et d’intention qui offusque la perception des objets artistiques.
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« DES QUATRE MURS » Le lieu clos est caractérisé par un périmètre rectangulaire, l’orthogonalité permet d’affronter les œuvres frontalement. Le dispositif en forme de H, ou les verticales sont la place de l’œuvre, et l’horizontal la place du percevant, permet un modèle de référence pour toute relation perceptive. Dans cette architecture à angle droit, la perception se sent chez elle, il y a une sorte de familiarité et sérénité qui se produit.
« DES DIMENSIONS ET PROPORTIONS DE LA SALLE » L’unité de mesure génératrice de l’espace est l’homme, sa perception est la même face à une œuvre de petit format et de grand format, pour ces raisons la proportion architecturale est une traduction des gestes humais traditionnels. Sa hauteur, la longueur des bras ouverts et les bras levés, deviennent l’unité proportionnelle de tout l’espace. Quelle forme pour les salles d’expositions ? Rectangulaire, car permet de déambuler, à parcourir le lieu des œuvres. Une forme carré inciterait à rester au centre et immobiles.
« DE L’ENTREE » L’entrée dans une salle d’exposition peut influencer l’approche à l’œuvre, elle permet au sujet percevant de s’immerger dans le lieu et donc, il est très important qu’elle soit décentrée. Une ouverture au centre de la salle serait trop symétrique par rapport à la circulation et serait considère comme un geste volontaire et prétentieux. La porte est proche de l’angle de la salle, et proportionné à la taille de l’homme, non exagérée. Une salle tient plusieurs ouvertures en manière de créer toujours un effet de surprise face aux œuvres et aussi pour libérer les points de vue des visiteurs qui ont la possibilité de décider leur propre exposition.
« DES SALLES » La salle expositive est en même temps sa propre antichambre ou vestibule, en d’autres termes il existe formellement un espace qui permet l’annonciation des prochaines salles. Pour ces raisons la différentiation entre le lieu de l’œuvre et la circulation est extrêmement importante. L’accès aux salles se fait par un espace de circulation, ce qui évite les pièces en enfilade et donne une singularité à chaque espace. L’autonomie des salles permet d’identifier l’autonomie du sujet percevant et des œuvres, laissant le dialogue pur et direct. La dissémination permet une circulation fluide dans l’architecture et les œuvres d’arts n’y sont pas posées par ordre
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chronologique, la liberté du percevant est la même pour les objets artistiques.
« DE LA LUMIERE » Le sujet percevant et les œuvres se baignent dans la même lumière qui est homogène au point de devenir invisible. Cette invisibilité parvient quand aucun faisceau artificiel n’illumine les œuvres singulières en laissant le visiteur dans l’ombre. « L’œuvre lumineuse serait active, tandis que l’homme serait cantonné dans un rôle passif ». Le lieu de l’œuvre et de l’homme interdit la hiérarchie entre les deux, il n’est pas juste un espace expositif, les corps et les objets artistiques se mêlent dans la même importance.
« DES VOIES DE CIRCULATION » La circulation libérée de toute fixation architecturale, permet de s’approcher des œuvres, également de s’éloigner et prendre la correcte distance qui engendre la perception subjective. Les voies de circulation dialoguent avec l’architecture et permettent d’introduire l’œuvre.
« DE LA PHYSIONOMIE EXTERIEURE » Le contenant de l’œuvre et de l’homme n’est pas un temple ou un mausolée qui sacralise l’art, toute façade monumentale ou prétentieuse porterait une fiction et illusion de la vérité. L’extérieur est un instrument, la physionomie reflète la quotidienneté humaine ainsi la légèreté permet de la vivre dans une éternité proche à l’homme.
« DE L’EMPLACEMENT DU LIEU » La position du lieu ne veut pas se figer dans un point idyllique de la ville, ou sur « l’Acropole », il s’installe dans un axe principale de la quotidienneté de l’environnement « car aller dans le lieu de l’œuvre et de l’homme, c’est un acte qui n’est pas plus vulgaire ou essentiel que d’aller prendre l’autobus. » L’artiste nous propose un musée idéal qui transcrit un dispositif applicable à n’importe quel musée exposant n’importe quelle œuvre, un musée neutre qui devient le lieu abstrait des œuvres exposées. Rémy Zaugg possède une forte conscience des expositions et des musées, son expérience nous permet d’identifier architecturalement les proportions, les passages, également comment construire les salles, les entrées, ainsi
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comment le sol et le plafond génèrent la lumière et envahissent la matière. Tout au long de son texte chaque élément est décrit par des dessins qui assument la signification d’un geste d’architecte, le langage nous aides à imaginer l’espace, les plans nous approchent de la réalité. Ce musée des rêves il existe, il fonctionne et il permet aux architectes futurs de se l’approprier pour concevoir finalement le lieu de l’homme et de l’œuvre. L’envie majeure devient maintenant l’exploration de son musée idéal qui assume l’ensemble des éléments qu’on à vu jusqu’à maintenant à une échelle réduite. Naît ici le besoin de regarder et toucher avec mains les salles, les murs, les plafonds et les sols de cette architecture. Effectivement après la sortie de ce livre une importante collaboration avec les architectes Herzog & de Meuron vient formaliser ses idéaux. L’artiste demande au bureau de l’aider à construire son atelier privé. Ce lieu entièrement conçu par l’artiste, s’échappe du dispositif du White Cube de Brian O’Doerthy pour sa sensibilité à la porosité, à la lumière et ou le dialogue de l’œuvre et de l’homme s’ouvre sur le monde extérieur, la nature. Le rapport avec la nature a toujours fait partie de l’œuvre de Rémy Zaugg, influencé par le peintre Cézanne, il encadre son atelier dans une nature impressionniste limite surréaliste.
L’ATELIER – MUSÉE « L’artiste entre dans les problèmes de l’architecte ou de l’urbaniste et l’architecte s’intéresse à ceux de l’artiste, si bien que les deux concepts, architecte et artiste, s’estompent. Il importe peu de savoir qui est quoi et qui fait ou fera quoi. Seul compte le projet en devenir. 98» La naturalité avec la quelle Rémy Zaugg peut parler d’un tableau comme d’un projet urbanistique ou d’un bâtiment nous affirme sa ductilité en plusieurs domaines et ne nous étonne pas qui a pu réaliser ses rêves dans une vraie architecture. Les éléments qu’il envisage pour le lieu de l’homme et de l’œuvre on été une source pour les architectes mais très intéressante à l’égard de nos sujet, devient sa collaboration avec Herzog & de Meuron. Pas seulement par un rapport strictement professionnel mais aussi pour la leur amitié, aujourd’hui les deux architectes sentent beaucoup l’absence de Rémy Zaugg car il a été et reste absolument unique dans sa manière 98
RÉMY ZAUGG, Une œuvre pour Roche Bâle, Birkhäuser, Bâle, 2001, dans CLAUDE STADELMANN, VICE/VERSA, à propos de Rémy Zaugg (documentaire, 26’ Rémy Zaugg) 2008-2009
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d’expliquer le monde. Ensemble ils ont conçu l’atelier d’artiste à Pfastatt en Alsace, celui qui met en œuvre toutes les priorités de perception et de relation à l’art, très chères à Rémy Zaugg. Herzog & de Meuron le définissent « très important pour le développement de notre pensée sur la ville, sur l’architecture, sur la peinture, mais aussi sur la perception – nous avions cette obsession commune – et sur le monde en général […] Rémy distinguait la perception artistique des autres modes de perception, et notamment de la perception quotidienne. La vitalité créative s’exprime dans cette énergie perceptive qui est la plus riche, plus intense en face d’une œuvre qu’en face d’une publicité. 99 » Rémy Zaugg a collaboré pendant plusieurs années avec les architectes Jacques et Pierre, mais la première rencontre advient pendant les études des deux architectes, précisément en 1972 par l’exposition au Kunstmuseum de Bâle. Ils viennent à connaissance du dernier livre de l’artiste Die List der Unschuld, traduit en français La Ruse de l’innocence, pris par les architectes comme un manifeste duquel s’inspirer. « […] Le livre est aussi une forme d’exposition, de même qu’une revue : ce sont également des Kunsthalle. Tous les moyens qui permettent d’explorer des perspectives inattendues, nouvelles, contradictoires, et de clarifier des choses, de motiver et d’engager un dialogue autrement, sont intéressants à mes yeux, car je suis obsédé par la portion de route cachée par le virage que je vois devant moi. 100» La nécessité pour l’artiste d’édifier un nouvel espace privée se nourris par son obsession explicative sous forme de regard. L’atelier est pour Rémy Zaugg l’espace privilégié permettant l’échange relationnel entre l’homme et l’œuvre, le regard devient essentiel mais ce qu’approfondit le lien est la perception, pour laquelle il faut beaucoup de temps. On a déjà expliqué que l’atelier est l’espace originel de l’œuvre et qui permet à l’artiste d’anticiper toute sorte de tâche curatoriale, le lieu de Rémy Zaugg rentre tout-à-fait dans cette initiative. Tout questionnement anticipateur d’une possible mise en scène se répète à haute voix dans son lieu intime : «Est-ce qu’un tableau est plus pertinent lorsqu’il est seul ou accompagné d’un autre au plusieurs autres ? et s’il s’avérait que plusieurs ensemble sont plus pertinents qu’un seul isolé, lesquels prendre, comment les disposer les uns par rapport aux autres, à quelle distance les mettre les uns des autres ? Et si le tableau est plus efficace seul, comment faire une exposition dans une galerie ou un musée avec x tableau de la même série présentés dans une 99
Ornement, structure, espace, Entretien avec Jacques Herzog par Jean-François Chevrier, in Jean-François Chevrier : la trame et l’hasard, Paris, 2010 100 ARMELLE LAVALOU, JEAN-PAUL ROBERT « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62
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même salle, quelle sera la grandeur de salle la plus efficace, etc. ? 101» Seul l’attente patiente et le regard silencieux peuvent y répondre et donner une signification. L’engagement de l’artiste réside dans les fondations, dans les ouvertures, dans la matérialité et même dans le parc circonstants autour de son projet d’atelier, les architectes l’ont aidé pour formaliser le tout en une architecture. Ceci est né grâce à l’écoute du lieu préexistant « C’est en rôdant dans les lieux que les choses se sont montrées, exprimées, fixées. Nous avons tenu compte de ce qu’il y avait : la parcelle, le vieux mur de mâchefer, la rangée d’arbres, l’usine derrière ; il y avait aussi la grande maison, le beau tilleul, les dépendances. Il s’agissait d’exposer l’existant en le renforçant. Et en retour, l’existant exposerait l’atelier. C’est ainsi que celui-ci a trouvé sa forme et sa place, qu’il a pris position : par réaction positive à ce qui existait. 102» La relation avec l’extérieur devient aussi une priorité, elle permet de s’ouvrir vers la nature et d’y travailler à son aise les œuvres d’arts, Rémy Zaugg veut s’échapper d’un lieu introverti qui ressemble à un bunker, la lumière naturelle est extrêmement importante. Dans le documentaire de Claude Stadelmann Vice/Versa, réalisé pendant les dernières années de vie de l’artiste, un accent particulier est mis sur le parc qui entoure l’atelier où on peut s’immerger. Le tout est minutieusement soigné par l’artiste et se transforme en une poésie pour les yeux. Au long du documentaire Jacques Herzog exprime « […] la chose vraiment incroyable, la contribution de Rémy Zaugg qui n’a pas été discuté, apprise…c’est presque un travail de sculpture, c’est le parc qu’il a fait autour du pavillon. Cette chose à la fois rigide mais presque aussi surréaliste, je crois que ce parc est incroyable.103» L’artiste le décrit comme l’inverse d’un jardin français, sans une géométrie ou un ordre rationnel suite à un but, une fin ou des perspectives étudiés. Il a réalisé ce jardin empiriquement en plantant chaque année avec l’aide de ces collaborateurs un nombre entre quatre-vingt – deux cent arbres. La particularité du parc est l’origine des plantes, en effet ce sont des déchets : chaque arbre blessé, non-conventionnel, hors normes n’est pas acheté par les paysagistes. « Pour un paysagiste correct, de bon goût, civilisé et bien éduqué c’est un horreur ce que j’ai fait » et il définit comme « un hospice de blesses, d’estropiés et de paralytiques. 104» Pour Rémy Zaugg, il n’existe 101
Ibidem Ibidem 103 CLAUDE STADELMANN, VICE/VERSA, à propos de Rémy Zaugg (documentaire, 26’ Rémy Zaugg) 2008-2009 104 Dans le documentaire de Claude Stadelmann 102
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aucune différence entre la conception d’un parc, l’édification d’un atelier ou la commission d’un projet urbanistique, tout ça pour lui ont la même démarche perceptive. L’atelier à Pfastatt en Alsace est devenu un model exploitable pour les architectes Herzog & de Meuron, dans d’autres cadres expositif par exemple la Tate de Londres. La lumière zénithale de l’atelier d’artiste, la hauteur des plafonds, les proportions des salles et la relation avec l’extérieur, sont devenues exemplaires dans toute l’approche méthodologique des projets accomplis et futurs. Leur collaboration était une occasion pour se rencontrer, pour se voir en amitié et la différence entre artiste et architecte n’a jamais existé. Si bien expliqué par Rémy Zaugg, la divergence entre artiste et architecte réside dans le contact avec le public, l’architecte doit discuter avec le maitre d’ouvrage, les clients. Quant à l’artiste, il travaille en solitude enfermée dans son atelier. C’est une de raisons par lesquelles la collaboration peut apparaître. Souvent les personnes sur les chantiers lors d’un projet l’ont cru architecte, et cela ne le dérangeait pas énormément, même il n’affirmait pas être artiste « car je connaissais que trop bien les connotations épouvantables véhiculées par ce mot : en tant qu’artiste, on devient vite le bouffon de la cour. 105» Lors du même entretien au sujet de son atelier, il ne se cache pas derrière la figure emblématique de l’artiste, en réponse à la question « Avez vous instrumentalisé vos architectes ? » il affirme « Si je les ai instrumentalisé, c’était dans l’espoir de pouvoir faire une bonne architecture pour mon travail. Si j’avais été capable de le faire seul, je l’aurais faite seul. J’ai énormément appris des discussions que nous avons eues. Et aujourd’hui, nous avons envie de poursuivre des travaux ensemble, ne serait-ce que pour nous voir. 106»
105
ARMELLE LAVALOU, JEAN-PAUL ROBERT « Rémy Zaugg Exprimer la conception » in L’architecture d’aujourd’hui, n° 315, février 1998, p.40-62 106 Ibidem
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17. Plan di situation, Atelier RĂŠmy Zaugg, Pfastatt, Alsace
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18. Plan des ateliers et coupe, Pfastatt, Alsace
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19. Vue extérieure de l’atelier
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20. Les ouvertures sur la faรงade est
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21. Vue perspective de la faรงade est
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22. Vue depuis l’entrée vers le nord
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23. Vue de l’entrée
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24. L’atelier nord
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VICTOR VASARELY « Le but final de toute activité créatrice est la construction ! La décoration des bâtiments était jadis la fonction la plus noble des beaux-arts et était indispensable à la grande architecture. Aujourd’hui elle n’existe que dans la complaisance dont seule peut la sortir l’activité collaborative, consciente et concertée des représentant de tous les corps de métiers. Architectes, peintres et sculpteurs doivent réapprendre à connaître et à comprendre la complexe mise en forme de la construction dans son ensemble et dans ses parties ; alors leurs œuvres seront d’elles-mêmes à nouveau remplies de l’esprit architectonique qu’elle ont perdu dans l’art de salon. 107» L’artiste hongrois naturalisé français vient considéré aujourd’hui comme le père de l’Art Optique. Un parcours estudiantin dans le graphisme et l’engagement dans des agences de publicité l’amène ensuite à la découverte de l’ « objet dénaturalisé, artificiel ». L’importante révélation pour l’artiste advient en 1947, quand il reconnaît « que la forme pure et que la couleur pure peuvent signifier le monde 108». En mérite des impulsions venues par Malevitch, Walter Gropius et le Bauhaus, Victor Vasarely entreprend les œuvres appelées « plastique cinématique ». Il s’agit d’une véritable étude spatiale qui remet en cause la notion du plan dans la peinture, en l’identifiant comme un lieu qui échappe du bidimensionnel grâce aux dispositifs purs des formes et des couleurs. Suite à l’analyse de la production artistique du peintre Malevitch, le père de l’Art Optique remarque que pour déstabiliser la signification du plan il devient nécessaire de faire un saut dans le vide et découvrir plastiquement l’espace tridimensionnel. Comment peut-il se formaliser ? En posant « deux sentiments spatiaux contradictoires sur le même plan font naître et détruisent alternativement l’illusion de la profondeur, la peinture est sur le plan, mais le drame se joue devant et derrière le plan 109» Les théories de Victor Vasarely s’accomplissent avec l’étude du mouvement de l’espace plastique, les couleurs et les formes font maintenant partie du cinétique et non plus de l’immobile.
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Walter Gropius, Weimar, Avril 1919, site art-zoo.com/manifeste-du-bauhaus, page consulté le 3 Mars 2016 108 VICTOR VASARELY, Plasti-cité L’œuvre plastique dans votre vie quotidienne, Collection M.O. Casterman, Tournai, 1970, p. 37 109 Loc. Cit.
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La confrontation à l’espace tridimensionnel nourrit l’intention de l’artiste de rassembler toutes créations artistiques dans l’ « Édifice plastique pour établir un catalogue global avec une sévère révision des valeurs ; […] diffuser largement l’œuvre épurée par le truchement du musée imaginaire ; […] discerner dans ces œuvres les éléments purement plastiques, prouvant une loi des constances en toute création et en toute œuvre nouvelle et neuve ; […] encourager et aider la recherche pure et codifier le langage plastique contemporain […] formuler une science de l’art, éducative et enseignante, pour rétablir l’honneur du métier110. » L’idéal architectural mis en scène, ne dépend pas seulement des recherches cinétiques qui ont caractérisé l’œuvre de Victor Vasarely, mais aussi par la critique aux architectes qui exercent une profession trop indépendante des tous les arts plastiques, et souvent soumise aux vouloirs publics, des entrepreneurs en les rendant aveugles par l’évolution technique constructive. L’architecte est « solitaire et déshumanisé […]. Son œuvre sera parfaite mais froide lorsqu’il s’agit de constructions de luxe, confortable mais monotone dans les constructions bourgeoises, d’une laideur souvent désolante dans les grands ensembles […] 111». Ses propos d’unification de l’ensemble des arts plastiques le portent au projet de la Fondation Victor Vasarely à Aix-en-Provence en 1973, son rêve de fondation est une œuvre d’art totale, ou la distinction entre art et architecture n’existe pas et qui participe à la création d’un langage universel permettant l’échange in-situ des savoirs pluridisciplinaires.
110 111
Ibidem, p. 136 Ibidem, p.120
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LE MUSÉE ARCHITECTONIQUE « La création d’un centre devenait donc indispensable où les spécialistes de la cité, fabricants, architectes, ingénieurs, urbanistes, représentants de l’esthétique, coloristes, plasticiens, peintres et sculpteurs, pourraient se rencontrer. 112»
Fortement influencé par le manifeste et les idéaux du Bauhaus, l’édification d’un bâtiment signifiant l’application de l’ensemble des arts devient l’obsession de Victor Vasarely. Mécontent de la rigidité des institutions muséales, il est convaincu que l’intégration plastique et esthétique dans le domaine de l’architecture est tout-à-fait possible, grâce à l’exploitation des nouveaux matériaux de construction en vogue. Suite à ses propos, il devient aussi l’artiste à l’avant-garde dans l’utilisation des dispositifs préfabriqués qui, selon lui, répondent au mieux aux besoins de notre société basée sur une augmentation de demande-offre. Son obsession récurrente de créer une « belle architecture 113» se manifeste donc à Aix-en-Provence, le choix de cette zone n’est pas casuel, elle est la résolution de différentes envies de l’artiste. Premièrement la ville est en principe caractérisée par de nombreuses activités artistiques et architecturales, ainsi que par des festivals et facilitée par l’accessibilité routière. Deuxièmement l’attachement à la présence de l’âme de Cézanne, que Victor Vasarely considère « l’initiateur génial des arts plastiques du présent […].» La grande admiration du père de l’Art Optique pour l’artiste impressionniste, le convaincre de bâtir la fondation de ses rêves, dans les alentours du Jas de Bouffan, résidence historique de la famille de Cézanne. Les sources nous disent qu’au début du chantier, Victor Vasarely à laisse un message écrit sur un papier en le déposant dans les fondations du nouveau bâtiment, « de Cézanne à Vasarely : nous serons dignes 114» Initialement l’artiste imaginait sa fondation à côté de sa maison natale, à Garrigue, ou un grand terrain vide ornementé par des magnifiques cèdres, lui inspire l’aménagement des grandes promenades dans la nature et des belvédères tout au long du site, dans lequel les bâtiments envisagés se
112
VICTOR VASARELY, Op. Cit. p. 121 Ibidem, p. 120 114 Victor Vasarely, tiré du site internet de la fondation : http://www.fondationvasarely.fr/fondation 113
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confondent. Les problèmes survenus par rapport aux connexions du site au grand public et le patrimoine paysager à conserver, l’obligent à changer son avis original : « pour une institution d’avant-garde, il fallait construire un bâtiment ultra-moderne […] les buts de la Fondation nécessitaient une liberté d’action totale. 115» La constante du projet pour une fondation est le programme fonctionnel, « composé d’un musée vivant et extensible, d’une salle de conférence et de projection, d’un atelier de recherche, d’une salle de manutention et de réserves, de bureaux, d’une bibliothèque et, enfin, d’un point de repos avec bar. 116» D’un point de vue architectural, la composition des bâtiments est une véritable célébration de la forme hexagonale et de la couleur noir et blanc, également deux périodes de peinture et de recherche optique de l’artiste. L’ensemble, voit s’inscrire seize hexagones à l’intérieur d’une structure alvéolaire et l’innovation technique vois s’installer au rez-dechaussée par les intégrations architectoniques de l’artiste, des œuvres en grand format conçues in-situ qui maitrisent la recherche du prototype, largement expérimentés par Victor Vasarely au cour de sa carrière artistique. La façade devient une œuvre à ciel ouvert, l’exploration plastique décore l’élément architectural vertical à travers l’utilisation de plaques d’aluminium anodisée blanc ou noir, agencé en manière de créer l’effet optique souhaité par l’artiste. À l’intérieur le résultat est étonnant, le public se plonge dans une succession linéaire de salles qui permettent des points de vue multiples, changeant toujours la perception de l’espace et du mouvement. Les œuvres contribuent à déplacer visuellement les spectateurs qui se retrouvent dans une œuvre totale, l’art se mêle à l’architecture la peinture se mélange à la technique constructive et le lieu se révèle. Avec Victor Vasarely on assiste à l’activation du spectateur en participant à la visite, il déambule, il perd la conception du réel et efface la notion de contemplation passive de toute l’exposition. La finalité du circuit est proprement de déstabiliser, étonner puisque l’œuvre peut se manifester et prendre sa place. Les illusions optiques générées sont le résultat d’une maitrise formelle et matérielle, tous les nouveaux matériaux en vogue dans les années septante sont ici célèbres à grande échelle, l’aluminium ionisée, ainsi le tissu et la plastique sont exploité entre tradition et innovation. La signature et la personnalité de Victor Vasarely sont ici absolutiste, sa fondation bien entendu qu’elle propose l’unification de l’ensemble artistique est conçue en voie d’exalter sa propre œuvre, ne laissant pas de 115 116
Ibidem VICTOR VASARELY, Loc. Cit.
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place à la notion de neutre. L’explication peut se chercher, selon mon point de vue, à la méfiance qu’il apporte aux architectes, effectivement la seule trace d’une collaboration avec ces figures ne prend pas toute la place, on voit que le projet s’inscris dans un tentative de dialogue avec les architectes Jean Sonnier et Dominique Ronsseray, pour le bâtiment, et avec Claude Pradel-Lebar conseilleur de l’artiste pour les œuvres monumentales. Même si l’artiste conserve son avis sur les defaults des architectes, il prend néanmoins l’initiative d’intégrer une main technique à son projet en choisissant l’entreprise de construction de sa fondation. Un regard particulier se pose sur les traditionnelles méthodes de construction en valorisant une entreprise locale mêlée aux plus hautes innovations. Je considère ce dernier aspect comme très évocateur de la volonté de Victor Vasarely de « s’inscrire dans une histoire, une culture 117» en ayant l’intérêt de s’inspirer aux châteaux provençaux pour concevoir et ériger le grand escalier d’entrée publique du musée.
117
Victor Vasarely, tiré du site internet de la fondation : http://www.fondationvasarely.fr/fondation
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25. Plan schĂŠmatique de la Fondation Vasarely, Aix-en-Provence
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26. Chantier vu de l’extérieur
27. Chantier vu de l’intérieur
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28. Les intégrations architectoniques, chantier
29. Les intégrations architectoniques, détail
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30. Vue intérieure de la Fondation
31. Vue intérieure de la Fondation
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32. Victor Vasarely, visite de chantier
33. La façade extÊrieure de la Fondation
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DONALD JUDD Donald Judd est un artiste et théoricien américain né à Excelsior Springs en 1928 et disparu en 1994 à New York. Pour le monde de l’art, il est considéré comme l’initiateur du minimalisme pour l’utilisation des formes pures dans ses propres productions tridimensionnelles. Attiré par les influences de l’expressionnisme abstrait, il commence sa création d’œuvres sur toile qui furent par la suite abandonnées et substituées par des œuvres ou la maniabilité et la matérialité sont les éléments générateurs. À la fois peintre, plasticien, artisan, designer et architecte, la reconnaissance majeure à Donald Judd est son engagement pour l’émancipation de l’art, traduit par le concept d’installation permanente qui ne prévoit pas la mobilité des objets artistiques d’un espace à l’autre, allant contrarier tout déracinement du lieu d’origine. Propre pour ces raisons il abandonne la toile, qui est pour lui une illusion, et représente la fragilité des œuvres d’arts et des artistes. Comment résoudre la fragmentation du statut de l’art quand c’est proprement ce fractionnement qui permet la reconnaissance d’une production ? Donald Judd ne veule pas se plier aux instituions et au marché et éviter que son œuvre ne soit « spatialement, socialement et temporellement désincarnée, comme dans la plus part des musées118.» Jusqu’à maintenant notre propos se basait sur l’affirmation que le musée tue l’art, pour Donald Judd c’est la dispersion qui anéanti l’art. Le contexte ou le contenant devient ici fondamental, l’aménagement des objets artistiques provoque une réflexion, autant qu’une œuvre d’art singulière. L’architecture se prône comme la protection et la défense du travail d’artiste, qui est ancré au lieu d’origine et véritable, évitant l’ignorance de masse et l’altération. Mais art et architecture sont inévitablement des disciplines divergentes ? Dans un musée l’architecte voit l’art comme un objet-bijou qui sera placé à la fin de tout projet d’architecture et est selon l’artiste « l’œuvre est pour eux une source d’embarras […] elle n’est pas faite pour ceux qui entrent dans des schémas carriéristes, ou qui se donnent pour le but de s’enrichir rapidement. 119 » En même temps Donald Judd, assume l’existence de la définition de outsider souvent attribué aux artistes, mais finalement il reconnait l’autorité des deux disciplines en parties égales sans rechercher 118
DONALD JUDD, Écrits 1963-1970, Traduit de l’américain par Annie Perez, Daniel Lelong éditeur, Paris, 1998 p. 68 119 DONALD JUDD, Op. Cit. p. 164
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un mélange entre les deux mais promouvant un dialogue harmonieux. Son idée manifeste sur l’art et l’architecture, se pose avec un regard éducatif vers le patrimoine existant, dans le quel il essaye, avec succès, sa proposition intime d’exposition. Son atelier d’artiste, situé en 101 Spring Street à New York, est sa première intervention de rénovation d’un bâtiment industriel, affecté en 1870 à la fabrication de couture. Les contraintes originales de l’espace sont été respectées, la volumétrie existante promouvait une programmation segmenté par étages, sans que les éléments constructif telle les murs et les cloisons obstruaient les flux spatiales. L’ensemble architectural et son essence, viennent garanties par les nouvelles fonctions souhaitées par Donald Judd : au rez-de-chaussée, l’ancienne « ouverture » au public et à la marchandise sont transformés en lieu intime et salles d’expositions. Les autres étages furent aménagés en espace de vie pour l’artiste. Toutes les productions artistiques sont abritées dans le lieu d’origine, elle y sont pensées, crées et accrochées évitant tout déplacement illusoire dans d’autres lieux d’expositions. Daniel Buren défini les dispositif de Donal Judd « […] comme un beau corps qui se meut dans un espace avec harmonie et dont les proportions ravissent l’œil et les sens. Que reste-t-il d’une main, aussi belle soit-elle, coupée du bras qui la retient, lui-même coupé de son épaule et son buste, le tout déconnecté de la tête qui fait fonctionner l’ensemble ? Une misère. Une nostalgie archéologique. 120 » C’est exactement cette sensation mélancolique que Donald Judd veut éviter lors d’un abandon de ses œuvres, et nous engage à réfléchir à la question du lieu unique de l’art. « La relation qui s’est créée entre l’architecture du 101, Spring Street – l’architecture propre du bâtiment et celle que j’ai conçue – et les œuvres qui y sont installées m’a conduit à créer beaucoup d’œuvres parmi les plis récentes et le plus grandes, qui prennent en compte la totalité de l’espace. Plusieurs idées essentielles sont nées de ma réflexion sur l’espace et la situation de ce bâtiment. 121» En conclusion, son atelier-loft permet un dialogue intégrant à la fois l’espace et l’œuvre et devient l’incipit d’un projet à grande échelle, La Fondation Judd à Marfa en Texas quelques années plus tard.
120 121
JÉRÔME SANS, (Entretien ave) Daniel Buren, Au sujet de…, Flammarion, 1998, France, p. 116 DONALD JUDD, Loc. Cit.
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LE MUSÉE – NON MUSÉE « Dépenser tant d’argent dans l’architecture au nom de l’art, beaucoup plus d’argent qu’on n’en consacrera jamais à l’œuvre d’art elle-même, serait déjà une mauvaise chose si l’architecture était bonne, et ce n’est pas le cas. 122» Successivement à l’expérience d’installation permanente à New York, il s’engage à l’édification de son œuvre « la plus importante d’un point de vue architecturale 123» à Marfa, dans le sud-ouest des Etats-Unis, attiré par l’environnement désertique. Vers le 1973-1974 il acquis un ensemble de trente-deux bâtiments sur cent trente-sept hectares de terrain composé par des anciennes casernes et hangars militaires prévus pour les avions. L’incitation à la création d’œuvres majeures et à la monstration d’autres artistes devient ici possible. Le musée – non musée s’installe à l’intérieur des bâtiments et parmi ces structures dans le paysage. « Mon idée était de présenter de grandes installations, très soigneusement présentées, de mon travail, des sculptures réalisées pour le site, et des installations plus petites, mais cependant assez conséquentes, d’œuvres de Dan Flavin, également faites pour le site, […]. Je ne voulais pas réunir, à la façon d’un musée, une collection qui soit représentative de tout l’art contemporain, ni même du parcours des artistes dont j’aime l’œuvre.124 » Le complexe de Marfa est pour Donald Judd une traduction matérielle de sa personnalité et de sa production ainsi de son idéal de vie, loin de la fragmentation critique et de l’ignorance publique. Son engagement architectural ce concentre sur la rénovation des bâtiments existants sans s’occuper d’une transformation violente, mais en gardant l’intégrité présente. Les conflits entre ancien et nouveau ne doivent pas se manifester. Le tout est composé par des deux grands espaces expositif, les hangars, un ensemble de maisons, un petit immeuble à deux étages avec tous le confort familial pour les enfants, une pergola, un bassin et une bâtisse. Donald Judd, dessine les ouvertures des espaces d’expositions qui entretiennent un rapport avec l’extérieur, les toits des hangars sont aussi une préoccupation de l’artiste, et si « Les fenêtres créent un axe sur la largeur ; les toits volumineux en créent un autre sur la longueur.125»
122
Ibidem, p. 83 DONALD JUDD, Op. Cit. p. 196 124 Ibidem, p. 175 125 Ibidem, p. 197 123
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Suite à la présence d’une voie ferrée tout au long du grand complexe, l’artiste américain conçoit un mur unique dans son genre pour préserver l’intégrité de son œuvre. La caractéristique principale de l’enceinte est sa composition matérielle et la technique de construction, le mur est composé par un mélange avec la terre du lieu, et édifié par une entreprise locale. Donald Judd se sent l’initiateur de cette technique souvent oublié dans les nouvelles constructions, il promeuve la réutilisation de l’adobe, avec lequel il fait ressurgir la mémoire propre du lieu. Un deuxième mur vient érigé par l’artiste, à côté des hangars, en perçant des ouvertures qui représentent l’ouverture sur le monde. Les deux éléments architecturaux « se conjuguent pour créer une œuvre qui relève, je crois, à la fois de l’art et de l’architecture, même si, d’habitude, il est important de les distinguer. 126 » Marfa c’est une ville avec un caractère exceptionnel, le silence et les grandes ouvertures sur le paysage, sont le fond de la collection de l’artiste qui est étendue sur toutes le surfaces naturelles et bâties. Fatigué par le rythme confusionnel et bruyant de New York, dans le Texas Donald Judd, trouve le cadre parfait pour une relation directe avec l’environnement. Les textures de ses œuvres composées de bêton brut et acier se mêlent avec les compositions naturelles de la terre, du sable et des roches. La précision avec la quelle Donald Judd conçoit la plus grande installation immobile d’art contemporaine, permet aujourd’hui de la visiter et de la contempler. La défense de son travail d’artiste le préoccupe pour toute sa vie, en sachant que avec sa mort l’éparpillement et la vente de ses œuvres seront une future réalité, le dispositif totalement enraciné pourrait l’éviter. Quel est le contexte actuel de sa fondation ? Donald Judd avec son musée-non musée a rafraîchis le contexte de la ville de Marfa, car depuis son important achat plusieurs activités on commencé à s’installer. Apres sa mort, son espoir de conserver toutes ses œuvres en place est disparu avec lui, en effet ses fils se sont retrouvés avec ce gigantesque complexe et très peu d’argent pour garantir le dispositif intact. Une partie a été vendue aux plus grands musées contrairement à la volonté de l’artiste, certains se trouvent encore in situ et millions de personnes contribuent à la survie de ce lieu de l’art unique.
126
Ibidem, p. 176
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34. Plans et coupes d’un hangar expositif de la Fondation, Marfa, Texas
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35. Le paysage depuis la Fondation
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36. La façade et l’entrée d’un hangar expositif
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37. Une Å“uvre de Dan Flavin
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38. La bibliothèque de la Fondation
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39. Vue sur les Å“uvres
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CONVERGENCES VS DIVERGENCES Tout d’abord, je voudrais clarifier la signification de ce chapitre car il ne s’agit pas de forcer les convergences et les divergences par rapport aux artistes choisis qui ont réalisé leur propre musée idéal. L’échantillon proposé veut mettre en scène l’action des artistes qui envisagent d’autres scenarios pour l’art par rapport aux institutions qu’on connaît et qu’on visite tous les jours. Certains sont poussés par une frustration venue des institutions, d’autres regardent le rapport sensoriel entre l’homme et l’œuvre et d’autres encore veulent que la hiérarchie entre disciplines soit annulée. Mais c’est très réductif cadrer leurs intentions dans peu de mots, effectivement les artistes possèdent des parcours complètement différents et diverses manières d’aborder le sujet du musée idéal, ce qui enrichit inévitablement les recherches. Rémy Zaugg tient une personnalité unique dans son genre et envisage des dispositifs qui peuvent cohabiter avec les institutions traditionnelles, la réalisation de son atelier reste le geste réel d’un rêve d’artiste et permet aujourd’hui de s’inspirer pour traire des conclusions architecturales surement définies. La collaboration avec les architectes Herzog & de Meuron reste une des expériences les plus exemplaires dans la confrontation des deux disciplines où il n’existe pas l’artiste et l’architecte, il existent des personnes qui promeuvent un dialogue constructif au profit d’un but final, la découverte du monde. L’action de la collaboration doit être une forme relationnelle qui amène à une réflexion profonde permettant d’enrichir les projets architecturaux et effacer la notion de contribution, qui est égale à une touche participative à objet fini. La critique de Rémy Zaugg se fonde proprement sur ces propos, l’art ne doit pas devenir un ornement mais doit être porteuse d’un signification. Egalement, l’architecture ne doit pas être prioritaire sur l’art en évitant des gestes présomptueux qui contribuent à mettre en lumière la pure et dure structure architecturale. Si Rémy Zaugg crée un dispositif qui met en question la neutralité et l’effacement des gestes avec le seul tribut aux œuvres d’arts, Victor Vasarely lui, édifie une œuvre d’art totale qui ne laisse pas de place, dans un certains sens, à l’architecture. Il propose une véritable fusion des deux disciplines, qui ne sont plus identifiables, elles coexistent dans un hommage personnel de sa propre pensée. En même temps, il donne toute
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l’importance à la perception, comme Rémy Zaugg, mais que prend des nuances différentes. Dans sa fondation en France, la stimulation optique du visiteur elle est au haut dégrée, elle percute et désoriente, la troisième dimension du tableau ou des intégrations architecturales provoquent un élargissement physique, provocateur de nouveaux espaces. On reste envahis par ses formes et couleurs pures qui tiennent en soi une signification métaphysique propre à l’artiste : le cercle signifie le fruit, la nourriture, la vie et le cerveaux ; le carré est la fenêtre qui s’ouvre sur le monde, la construction et l’intelligence humaine. L’ensemble de la fondation veut manifester une nouvelle beauté, pas celle dominé par l’artiste, ma celle qui est propre à l’homme car dans nos qualités innées réside la connaissance de ce qui est mûr et ce qui est pourri, ceci est la plasticité pure pour Victor Vasarely. L’artiste français s’inscrit dans l’action en édifiant, à partir des fondations jusqu’à aux œuvres in situ, un nouveau contexte pour une ville très dynamique déjà à la base et qui est choisie pour ses attractions culturelles. Une évidente différence par rapport à la fondation de Donald Judd, qui se trouve en plein désert et que avant son engagement, Marfa n’avait pas de raisons d’être habitée. En effet en principe la ville comptait cinq-mille habitants et très peu d’initiatives ludiques. Mais Donald Judd, ne choisit pas cet endroit avec l’intention de créer un musée, il voulait tout d’abord obtenir un lieu pour lui en tant que personne et artiste à la fois, et sa famille, possiblement dans un environ loin du folklore des métropoles. Pour ces raisons on l’a identifié comme un musée-non musée car de son vivant il était à la fois maison familiale, terrain de jeu pour les enfants, espace de production et ouverture vers la nature. Aujourd’hui il est devenu l’antonyme des envies de Donald Judd, mais participe en même temps à la survie du complexe. Ce qu’on retient des analyses des trois artistes est que même dans leurs propos d’art abstrait, minimaliste et conceptuel, ils nous assurent leur recherche profonde d’ouverture au monde qui est depuis toujours attaché à la nature. Pendant la vision de plusieurs vidéos d’artiste j’ai rencontré cet attachement charnel aux lieux familiaux, aux grands paysages. Pour Remy Zaugg c’est la campagne jurassienne, Victor Vasarely prouve un attachement particulier pour sa ville d’enfance Garrigue et Donald Judd n’oublie pas le Mexique. Les arbres, le vent, le soleil, la terre, les fleurs sont à la base des inspirations même les plus minimalistes. Car l’œuvre d’art fait toujours références au monde qui nous entoure, et les artistes nous aident à le percevoir.
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EPILOGUE La liste proposée dans le cadre de l’étude ne prétend pas être exhaustive, mais nous elle nous permet de se plonger dans des propositions influentes au cours d’un fond historique très variées. Les démarches sont ici toutes différentes, ainsi les mouvements artistiques et les facteurs culturels. Mais le point commun entre les artistes est très clair et se base sur la vérification des dispositifs de monstration qui sont été crée et qui encore verrons. L’aspect fondamental à prendre en compte est que on a interrogé la figure de l’architecte selon la vivace critique des artistes, en posant une réflexion sur le futur du métier. Pourquoi l’architecte est autant contrarié par les artistes ? Fondamentalement, parce que il est aussi un créateur, il s’interroge sur des aspects qualitatif et esthétiques en ayant toujours un regard vers les nouveaux scenarios et les évolutions techniques. Chaque composition architecturale, à partir de l’esquisse jusqu’à la construction est pour l’architecte la mise en forme d’une idée, d’une réflexion qui permet à l’homme de vivre des expériences sensorielles. Dans le cas d’un musée, il existe un sentiment qui se traduit souvent avec l’excentricité des gestes architecturales, qui efface tout le reste, mais qui devient le symbole d’une ville. Voici qu’un bâtiment se transforme en monument et œuvre d’art, manifeste stylistique de l’architecte et de sa perception. Mais généraliser cette vision à tous les musées, serait une erreur, certains architectes ont élaboré leur définition sur la perception : « L’architecture de musée n’est pas seulement un lieu servant à caser les œuvres d’art, ni une machine à exposer. C’est un instrument critique qui rend les œuvres d’art perceptibles et compréhensibles 127» dit Carlo Scarpa. L’affirmation de l’architecte vénitien, est très loin du contexte actuel. Aujourd’hui les musées se transforment dans des machines du divertissement qui oublient la vraie raison par laquelle on va au musée : l’enchantement. La fragmentation des espaces est due aussi au fait que les programmations se sont intensifiées, les nouvelles fonctions du musée prévoient la restauration, la vente des gadgets et les reproductions des 127
SERGIO LOS, Carlo Scarpa, Taschen, Cologne, 2002, p. 83
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œuvres d’arts sous forme de souvenir. Quand aux expositions, elles sont de plus en plus le résultat d’une démarche qui affaiblit les œuvres d’arts et enrichis les caisses de l’institution. Le musée devient un espace illusoire, suspendu qui efface le contenu sous forme de lectures, interprétations, rétrospectives. Mais l’interprétation est un acte qui peut devenir tout-àfait positive pour une œuvre d’art, « […] ça peut être une façon de les interpréter et leur donner un positionnement beaucoup plus brillant, en un certain sens. Mais tout à l’avantage de l’œuvre, naturellement, et non de l’emplacement en soi. 128» Comment concevoir une architecture de la perception ? L’architecture de la perception n’est pas un dispositif complexe, car il se base sur un rapport équivalent entre architecture – homme – œuvre d’art. Les qualités spatiales concurrentes à la mise en situation des objets, en ouvrent un dialogue sincère entre sujet percevant et art dans un cadre neutre. Ce cadre neutre se manifeste à travers l’attention des éléments simples, non prétentieux telle la forme des salles conçues pour faciliter le visiteur à la réception et à la déambulation, la clarté des circulations, le choix des matériaux et la luminosité naturelle. Il ne faut surtout pas oublier le rapport avec l’extérieur, les ouvertures permettent au visiteur de se repérer dans le monde, quand les tableaux concurrents à ouvrir son imaginaire. L’architecture de la perception est un concept tout d’abord lié à l’attitude des artistes d’interroger les institutions de l’art, leur contribution dans le domaine de la conception architecturale est selon moi, une référence pour un architecte qui est appelé à construire un nouveau musée. L’œil de l’artiste peut apporter des notions innovantes à l’espace muséale, car comme toutes les choses, il s’approche aux systèmes spatiaux étant un corps qui déambule, qui ressent et il nous démontre que son ouverture sur le monde lui permet de concevoir des architectures. Cela introduit mes envies étant une future architecte, qui voudrait se spécialiser dans le domaine muséale. L’art a toujours fait partie de mon 128
PHILIPPE DUBOŸ, Carlo Scarpa L’art d’exposer, jrp ringier, lectures maison rouge, Paris, 2014, p. 185
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parcours estudiantin, et les musées sont mon architecture privilégiée. Les analyses des écrits d’artistes sont devenues pour moi, source d’approfondissement et d’engagement dans ce champ très complexe et en perpétuelle évolution. Les études d’architecture m’ont permis d’élargir ma connaissance et les vérifier dans une réelle expérience de conception muséale eu lieu au Musée Adam, à Bruxelles. J’ai pu voir et prendre partie, de comment un architecte réfléchi à l’espace de la monstration et la relation qui nait avec une collection. Placer les objets d’une manière ou d’une autre change effectivement la manière de laquelle on les aperçoit. La conception des dispositifs tels les cimaises et les socles, est strictement liée à l’objet qui va être placé et réfléchi depuis le début. La connaissance de la collection est fondamentale car elle permet de classer les objets artistiques par typologie, appartenance historique et matérialité. La qualité spatiale est traitée avec soin et l’éclairage devient primordial. Par contre, depuis l’écriture du mémoire, j’ai pu vérifier certains aspects que les écrits d’artiste m’on transmis en relation à mon expérience. Effectivement les multiples relations que l’architecte doit entretenir dans le cadre de la conception d’un musée, deviennent une source de distraction de la fonction. L’art reste stocké dans les dépôts jusqu’à le montage et la perception de l’objet au moment de la mise en scène est très différente. Même si je connaissais la collection par cœur grâce à la documentation photographique, regarder les œuvres dans sa véritable présence à été pour moi un moment précieux. Cela m’a permis de me rendre compte qu’il faut envisager un dialogue avec les objets artistiques avant toute la conception architecturale pour bâtir finalement les musées comme des espaces uniques dédiés à la perception. C’est ce que je me promets pour ma future carrière.
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REMERCIEMENTS Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce mémoire. Tout d’abord je tiens à remercier mon promoteur Eric Van Essche, pour sa grande disponibilité et ses précieux conseils pendant toutes les recherches et l’élaboration du sujet de mémoire. Merci à Emilio pour son regard et son attitude toujours positive. Je voudrais remercier aussi toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à ce mémoire, ma mère Graziella, ma sœur Alice, ma grandmère Lina, pour le soutien, l’amour et la confiance reçus pendant ces années loin de l’Italie. Merci à mon père Edoardo, pour avoir cru en moi. Merci à tous les amis italiens, français, belges…vous êtes une source précieuse pour moi. Merci Manon, Katie, Astrid, Claude et Saïd pour votre disponibilité à la correction de ma rédaction. J’espère vous-vous êtes amusez ! Merci à Matthias, pour me rendre si heureuse chaque jour, me soutenir dans mes délires et de voyager dans la même direction.
Merci, Matilde
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