LE PROJET ANALOGUE L’atlas iconographique, comme procédé analogique de conception, à l’origine du langage de l’architecte
ÉTUDIANT(S) TITRE UNIT RESP.
VALCARCE Maxime
Le projet analogue, de l'iconographie autobiographique au langage UE083 - E0832 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 2 - Méthodologies REGNAULT C. ENCADREMENT REGNAULT C.
MASTER ARCHI
S10 19-20
FI
MEM ALT
© ENSAL
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LE PROJET ANALOGUE L’atlas iconographique, comme procédé analogique de conception, à l’origine du langage de l’architecte
Maxime Valcarce École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon Mémoire d’initiation à la recherche Directrice d’étude : Cécile Regnault
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Le rôle de l’image est fondateur des pratiques architecturales comme en témoigne l’usage contemporain des atlas iconographiques chez les architectes. Avec l’Autobiographie Iconographique, Valério Olgiati interroge, au-delà des dimensions sensorielles, la valeur théorique de l’image. Issue d’une tradition considérant la mémoire comme vecteur de création, l’iconographie est saisie pour son pouvoir heuristique. L’image invite l’architecte, par un punctum sensoriel, à se projeter dans ses signes afin de les interroger puis de les réinvestir dans le processus de conception. L’image herméneutique devient l’image agente. Il s’agit de comprendre comment ces images fortes peuvent être mobilisées dans le projet. L’analogie, introduite en architecture par Aldo Rossi, comme transfert de signe du référent au projet définit un procédé de conception. La conception analogique renverse la lecture de l’histoire de l’architecture lue, non plus comme une suite de créations, mais comme un continuum de filiations. L’origine du projet se trouverait à l’articulation entre l’histoire architecturale et l’autobiographie de l’auteur. Ainsi, l’atlas, au-delà d’être un outil conceptuel devient le matériau premier de la syntaxe de l’architecte. La dimension autobiographique, permet à l’auteur de développer la singularité de son langage. Si le référent semble structurer l’ensemble de la discipline architecturale, il amène à questionner la possibilité même d’imaginer la conception d’un projet non-référentiel.
Résumé
Abstract
The role of the image is fundamental to architectural practices as evidenced by the contemporary use of iconographic atlases by architects. With the Iconographic Autobiography, Valério Olgiati questions, beyond the sensory dimensions, the theoretical value of the image. Stemming from a tradition considering memory as a vector of creation, iconography is seized for its heuristic power. The image invites the architect, through a sensory punctum, to project himself into his signs in order to question them and then reinvest them in the design process. The hermeneutic image becomes the agent image. It is a question of understanding how these strong images can be mobilized in the project. The analogy, introduced in architecture by Aldo Rossi, as the transfer of sign from the referent to the project defines a design process. Analogical design overturns the reading of the history of architecture, no longer as a sequence of creations, but as a continuum of filiations. The origin of the project would lie in the articulation between architectural history and the author’s autobiography. Thus, the atlas, beyond being a conceptual tool, becomes the primary material of the architect’s syntax. The autobiographical dimension allows the author to develop the singularity of his language. If the referent seems to structure the whole architectural discipline, it leads to question the very possibility of imagining the conception of a non-referential project.
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Remerciements
Puisque tout projet est le résultat d’influence collective, il m’apparaît nécessaire de remercier les personnes ayant contribué directement ou indirectement à la construction de ce mémoire. Je tiens tout d’abord à remercier, ma référente, Cécile Regnault, pour avoir encadrée durant ces deux années de master les recherches, les écrits, ainsi que la production de ce travail. Ce mémoire doit beaucoup aux nombreuses conversations informelles, entretenues avec Antoine Sintes et Élisa Lefevre, animées par une passion commune de l’architecture. Plus généralement, je remercie mes amis qui ont contribué de près ou de loin, par leurs échanges, leurs critiques et leurs conseils, à l’aboutissement de cet ouvrage. Enfin, je tiens à remercier ma famille pour la confiance et le soutien qu’ils m’ont accordé, notamment au cours de ces cinq années d’études. Chloé Gentet, merci pour ton enthousiasme ainsi que le soutien et la motivation que tu m’as accordée.
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Table des matières
Résumé Remerciements Avant-propos Introduction Précis
.4 .6 .10 .12 .20
ATLAS,
une pratique contemporaine architecturale Cosme, les limites de l’atlas L’ars memoriæ, spatialiser la mémoire Espaces d’observation de la mémoire Matières, les raisons de l’image Relations, le regard producteur
.24 .34 .40 .46 .52
IMAGE,
l’image d’atlas comme lecture architectonique Fait, l’image de l’atlas Effet, autobiographie Sujet, herméneutique et heuristique Projet, vers le projet
.68 .76 .88 .94
ANALOGIE,
procédé de conception pour un langage architectural Pensée analogique Outils analogiques Singularité du langage L’architecture non-référentielle
.118 .130 .148 .158
Conclusion Bibliographie Index iconographique Annexe
.166 .174 .178 .180
fig.01. Auteur, Musée imaginaire, 2018 -.
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Musée imaginaire
Avant-propos
Architecte et photographe, ma culture architecturale s’est construite autour de la présence de l’image. Des phases de conception, aux projets livrés, l’image s’est imposée comme un outil majeur de ma pratique. J’ai souhaité explorer la référence à travers l’image, au cours d’une année de césure. J’ai dédié une année de césure à l’exploration de la référence à travers l’image. La césure s’est effectuée en deux temps. D’abord, j’ai effectué des reportages photographiques de livraison de projets, puis j’ai mené un itinéraire photographique à travers l’Europe, à la rencontre de références architecturales introduite lors des années de licence. Les premières tentatives de conjuguer image et projet se sont organisées autour d’une démarche intuitive. La volonté d’intégrer l’image non plus a posteriori du projet mais en amont de la conception, induit d’explorer le rôle théorique qu’apporte l’image dans la conception du projet. Un cours donné par Boris Bregman, en troisième année de licence, a fait effet de déclencheur sur le fait de concevoir l’image comme un outil théorique et efficient pour le projet. Ce cours, introduisait l’Autobiographie Scientifique d’Aldo Rossi, ainsi de l’Autobiographie Iconographique, qui se révèleront être deux ouvrages majeurs pour ce mémoire. L’image, alors, dépassait son caractère sensorielle, pour s’ancrer dans une dimension théorique, directement opérante pour le projet d’architecture. Dès lors, j’ai investi l’idée d’un Musée Imaginaire architectural en inventoriant dans un dossier numérique un atlas d’images fortes qui n’ont cessé de revenir lors des différents exercices de projets pendant mes années d’études. J’ai voulu concevoir l’exercice du mémoire de master, comme une recherche théorique permettant de définir des outils opérants pour la conception du projet. En parallèle des rechreches et écrits, j’ai pu appliqué mes résultats à travers les projets de master, en travaillant différents thèmes comme le « projet par parties », comme la visualisation du projet a venir à partir de référents, ou le « projet analogue », comme un projet miroir construit à partir d’images reflétant le projet développé. Finalement, ce travail de recherche révèle la volonté de comprendre comment l’image peut être investie dans le projet architectural afin de se positionner par rapport aux référents, autrement dit par rapport à l’histoire de l’architecture.
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fig.02. Valério Olgiati, Iconographic Autobiography, 2006.
Introduction 01. BREITSCHMID Markus, The significance of the idea in the architecture of Valerio Olgiati, Zürich, Archithèse, 2008. 02. OLGIATI Valério, LUCAN Jacques, STADLER Laurent et al. Projects 2009-2017, Basel, Simonett&Baer, 2018.
L’Autobiographie Iconographique s’impose dès sa publication comme une œuvre théorique de référence dans le paysage architectural contemporain. En publiant en 2006, une collection de cinquante-cinq images, dans la revue 2G n°37 consacrée à sa monographie, Valério Olgiati comble le vide théorique de la pratique de l’image dans le processus de conception architecturale. L’atlas présente des images importantes intervenant dans la pratique du projet de l’architecte suisse. Ce dernier conçoit l’atlas iconographique comme un véritable projet. Ce travail est le résultat d’un long processus de sélection d’images sur plusieurs années durant lesquelles, l’architecte s’est évertué à définir un inventaire restreint d’images ayant une forte valeur heuristique dans sa pratique architecturale. La production est aussi accessible qu’énigmatique. On retrouve une série d’images de contextes temporel, spatial, culturel, de médium extrêmement varié. Parfois on reconnaît des séries parfois des images isolées. Les images sont parfois accompagnées d’une légende autobiographique, trahissant la lecture de l’image selon le point de vue d’Olgiati. Rien apparemment ne semble construire une cohérence entre les images, si ce n’est leur présence commune rassemblée dans un atlas. L’architecte explique que la sélection de ces images tient de leur capacité à lui revenir en mémoire lors de la conception de projet. Ces images se fixent dans sa mémoire comme une obsession. Très peu commentée par Olgiati, l’œuvre muette fait figure de référence dans la pratique comme dans la théorie architecturale contemporaine. Des théoriciens comme Laurent Stadler01 ou Markus Breitschmidt02 s’attèlent à analyser et interroger cette production. Ce travail révèle une pratique de l’image comme outil théorique du processus de conception largement répandue chez les praticiens. Lors de la Biennale de Venise de 2012, Olgiati invite quarante-quatre architectes à présenter une à dix images accompagnant leur processus de conception. Il en résultera l’exposition de trois cent trentecinq images révélant le paysage imaginaire des acteurs du monde architectural contemporain. Cette exposition sera elle aussi accompagnée d’une publication, The Images of Architects mettant en scène, dans un mutus luber, la sélection iconographique des architectes. L’ouvrage permet d’explorer le paysage mental des architectes lors de
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la conception de leur projet. Le langage de ces architectes pourrait se fixer dans ces quelques images. L’ambition du livre est de comprendre les architectures précédant l’architecture.03 En établissant une production iconographique muette, Valério Olgiati interroge la scène théorique sur le rôle de l’iconographie de référence dans le processus de conception de l’architecte. Les commentaires des théoriciens ainsi que la pratique répandue des praticiens mettent en exergue le caractère répandue de cette méthode de travail. Malgré une pratique généralisée de l’iconographie de référence dans les pratiques architecturales, on peut déplorer la carence de discours théorique venant donner de l’épaisseur et une solidité au sujet. En réalité, peu se sont aventurés à théoriser le rôle structurant de l’image de référence dans la monographie de l’architecte. Pour cela, nous décidons d’explorer le territoire de l’atlas iconographique de référence dans le processus de conception architecturale en structurant notre propos autour de Valério Olgiati, son Autobiographie Iconographique ainsi que sa monographie. Le référent, dans la discipline architecturale, entre en crise dans les années 1970. Les bouleversements socio-culturels ainsi que la disparition des maîtres modernistes à la fin des années 1960, amènent la crise du référent dans la discipline architecturale. Les figures influentes modernistes disparaissent laissant un vide théorique et pratique dans le paysage architectural. Le monde post-moderne essaye de bâtir ses origines sur l’effondrement des méta-récits, surlesquels ni la société, ni les architectes ne peuvent trouver leurs fondations.04 Aldo Rossi ouvrira une nouvelle profondeur de champ au référent architectural. Exit les méta-récits modernistes ou post-modernistes, l’architecte italien assume de se tourner vers la discipline non pas comme histoire mais comme une mémoire à investir dans le projet d’architecture. L’architecture n’est alors plus le support de doctrine extra-architecturale, mais devient une discipline complexe. L’architecte italien introduit la notion d’analogie dans la discipline avec les Città Analogà qu’il présentera à la Triennale de Milan de 1974 ainsi qu’à la Biennale de Venise de 1976. Dépassant une démonstration par le mot
Introduction 03. « I asked architects to send me important images that show the basis of their work. Images that are in their head when they think. Images that show the origin of their architecture. […] They show the roots of architecture and expectations concerning projects. Conscious and unconscious. […] As individual collections, they present a personal view of an individual world, while as a whole they provide a universal view of the perceptible origin of contemporary architecture. ». OLGIATI Valerio, « The visible origin of architecture », dans OLGIATI Valério, The images of Architects, Luzern, Quart, 2014, p.10. 04. « […] for the first time in history, our society functions quite well without a fundamental comprehension of cultural and historical relationship.». OLGIATI Valério, BREITSCHMID Markus, Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2019, p.15. 05. ROSSI Aldo, « An analogical architecture », A + U (Architecture and Urbanism), n°65, 1976, p.74-76. 06. ROSSI Aldo, I Quaderni Azzurri, Los Angeles, Getty, 1999.
ou la construction, Rossi et ses collaborateurs -Arduino Cantafora, Bruno Reichlin, Eraldo Consolascio, Fabio Reinhart- présentent une œuvre picturale théorique. La composition présente le projet d’une ville plausible constituée de fragments de projets de référence puisés dans l’histoire de la discipline architecturale. La Citta Analogà devient une théorie-projet illustrant l’analogie dans le processus de conception de projet. L’architecte lombard légitimise ainsi l’autonomie de la discipline architecturale ainsi que l’emprunt de référents inhérents à cette discipline. L’histoire de l’architecture n’est plus vue comme une archéologie du passé mais comme un inventaire de formes et de signes à réinvestir dans le projet. Avec la publication de l’Autobiographie Scientifique en 1981, Aldo Rossi revient sur ses projets en quête de filiations entre autobiographie et monographie. L’architecte s’emploie à identifier les contaminations de ses projets par des événements survenus lors de la conception de ceux-ci ou plus largement revenant dans son autobiographie. Il y décrit notamment l’importance des images des Sacri Monti du paysage lombard ou encore l’influence des Cabines de l’île d’Elbe de son enfance. Il identifie au sein de sa production une filiation entre les images autobiographiques et son langage architectural. Avec cet ouvrage Rossi autorise l’architecte à habiter les choses et à se pencher sur luimême pour identifier les raisons du projet. Rossi plonge plus profondément dans l’introspection et l’intimité des référents à la source de la conception du projet. L’ouvrage rossien renvoie à une pensée par l’image accentuant encore l’idée d’un processus analogique. L’analogie, définie tant une pensée par l’image que le phénomène de transfert du signe référent au signe du projet. Cette approche ouvre une nouvelle méthodologie de conception du projet. Avec cette ouvrage Rossi assume l’image autobiographique comme référent du projet d’architecture. La publication de textes théoriques05, ainsi que l’engagement d’un travail pédagogique inachevé06 témoigne de la vocation d’Aldo Rossi pour l’approfondissement de l’analogie comme procédé de conception du projet. Parallèlement à une production théorique et pratique de l’architecture, c’est au sein de l’ETHZ, dès les années 1970, que s’illustre, en tant que professeur invité, Aldo
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Rossi. Les théories rossiennes laisseront une influence conséquente sur une génération de praticiens et de théoriciens, composée notamment de Martin Steinmann (1943), Roger Diener (1950-), Jacques Herzog (1950-), Pierre de Meuron (1950-), Peter Märkli (1953-), Valério Ogliati (1958-) pour qui l’image constitue un fondement théorique dans leur pratique. Martin Steinmann publiera l’article Image dans la revue Archithèse, un an après la publication de l’Autobiographie Scientifique, témoignant du rôle structurant de l’image comme référent dans le processus de développement du projet.07 Un dense réseau d’influences, de personnalités se construit autour du rôle de l’image comme référent lors du processus de conception architecturale. Les commentaires théoriques sur le rôle de l’image restent en suspens quelque années avant d’être mis en lumière par la publication de l’Autobiographie Iconographique. Olgiati assume la filiation à la pensée rossienne avec la formulation du titre et propose de continuer l’investigation de l’image autobiographique comme référent pour la conception du projet. Olgiati cite comme référence principale le modèle du Musée Imaginaire d’André Malraux. L’ouvrage de l’essayiste paru pourtant en 1942 témoigne de son influence sur la question de l’atlas iconographique. L’essai s’emploie à la mise en place d’un atlas iconographique qui, par filiation, propose une relecture profonde de l’histoire de l’art. Malraux défend l’image, facilitée par les avancées techniques de la reproductibilité, comme un médium réinvestissant les significations de l’histoire. L’image permet d’habiter les choses pour les investir. Issue d’un autre champ disciplinaire et d’un autre contexte historique, l’œuvre de Malraux fait écho aux questions théoriques de la discipline architecturale sur le rôle de l’image. Il est donc évident qu’Olgiati assume ce rapprochement pour proposer une version architectonique de l’essai. Si l’atlas pictural est très peu commenté par l’architecte lui-même, il réactive le sujet dans la sphère architecturale. En 2012, invité à la Biennale d’Architecture de Venise, Olgiati élargit ce procédé en proposant à quarante-quatre architectes de révéler leurs images de références lors de leur pratique. Parmi eux, nous retrouvons la génération post-rossienne de l’ETH de Zurich -Märkli,
Introduction 07. « L’image semble être l’instance qui assure la cohésion des décisions de projet, dès lors que le style a perdu tout fondement suite à la fragmentation de la société. ». STEINMANN Martin, « Images », dans STEINMANN Martin, Forme forte, Écrits 1972-2002, Basel, Birkhäuser, 2003, p.165-172.
Diener, Herzog, de Meuron, Olgiati lui-même- assumant la présence de l’image référente dans leur processus de conception architecturale. L’iconographie présentée lors de l’exposition à l’Arsenale est publiée dans un mutus luber la même année, The images of architects. Avec cette publication Olgiati démontre la large intégration des images de références dans la pratique architecturale contemporaine. En somme, il est légitime d’interroger, dans ce contexte, le rôle de l’atlas iconographique dans le processus analogique de conception architecturale. Ces conjugaisons image-référents, image-projet, image-langage soulèvent plusieurs questions. Quel rôle joue l’atlas iconographique dans la définition du langage de l’architecte ? Comment établir un atlas iconographique sur le modèle de l’Autobiographie Iconographique ? Quand intervient l’atlas iconographique dans le développement du projet ? Quels outils ou méthodes l’architecte emploiet-il pour investir l’image dans la construction du projet ? Qu’est-ce que l’analogie dans le processus de conception ? Quelles sont les filiations entre l’atlas iconographique et la monographie de l’architecte ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans le contexte de ce mémoire. La première partie, consistera à définir l’atlas comme le lieu de transformation de l’image comme fait objectif en objet de perception sensible et de projection autobiographique. Pour cela, nous explorerons les composantes caractéristiques de l’atlas iconographique ainsi que l’évolution de ses pratiques. Nous croiserons les disciplines en commençant par l’ars memoriæ, l’histoire de l’art, jusqu’à l’investissement de ce médium au sein des pratiques architecturales contemporaines. Nous ferons appel dans notre développement à la thèse L’image édifiante, le rôle des images de référence en architecture d’Anne Fremy publiée en 2016. La deuxième partie, s’emploiera à étudier le statut spécifique de l’image de l’atlas invitant l’architecte à l’action de concevoir. Nous verrons avec l’appui de la thèse du Musée Imaginaire d’André Malraux, comment le contexte
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de l’atlas iconographique modifie la perception de l’image, lui conférant un caractère heuristique. L’image invite, par son pouvoir d’agentivité, l’architecte à l’investir comme sujet de réflexion puis comme raison de conception. La troisième partie, investira les moyens et les outils permettant de transférer les référents de l’image dans la construction du projet et par extension dans le langage architectural de l’architecte. La théorie de l’analogie conjuguée avec l’Autobiographie Scientifique d’Aldo Rossi, nous démontre les outils et les méthodes de transferts des signes de l’image dans la formalisation du projet. Par extension, cette méthodologie de transfert amène l’atlas iconographique de l’architecte à définir des thèmes permanents dans la définition de son langage architectural, par une relecture de sa monographie à la lumière des images de référents. Ainsi nous posons les limites du tableau du mémoire. L’étude s’inscrit dans une dimension architectonique afin que cette recherche universitaire trouve des applications concrètes dans la pratique architecturale, néanmoins elle sera croisée d’un champ pluridisciplinaire venant enrichir l’exposé. Parmi les principaux protagonistes nous retrouverons des architectes -Aldo Rossi, Valério Olgiati, Peter Märkli, Oswald Mathias Ungers, Arduino Cantaforàet des théoriciens de l’architecture -Martin Steinmann, Sebastien Marot- construisant un noyau architectonique à notre étude. De ce noyau nous renforcerons notre discours d’emprunts pluridisciplinaires. Nous interrogerons la discipline de l’ars memoriæ à travers les écrits d’Anne Frémy et de Sébastien Marot. Nous explorerons l’histoire de l’art avec les essayistes André Malraux, Walter Benjamin et l’historien de l’art Aby Warburg. Du côté du signe et de la sémiologie, nous ferons appel à Roland Barthes et Charles André Pierce. Enfin, à l’aide des écrits de Jean-Pierre Chupin et d’une correspondance entre Jung et Freud, nous investiront les effets de l’image sur l’architecte et les outils analogique que ce dernier dispose pour la conception du projet.
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Précis
L’ambition de ce mémoire vise à permettre au lecteur un engagement dans la lecture du texte autant que dans le processus qu’il tend à démontrer. En d’autres termes, la forme du mémoire est elle aussi conçue dans une logique analogique, l’idée étant de proposer une série d’images pensantes venant ponctuer le mémoire. Ces iconographies sont du même ressort que celles étudiées dans le mémoire c’est-à-dire qu’au fil du parcours iconographique l’on retrouvera une lecture analogique visuelle du mémoire. Au-delà des images d’illustrations, ce sont des images de réflexions accompagnées d’une légende, où chacune d’entre elles vise à exprimer une partie du contenu du mémoire (idées, chapitre, hypothèse). Ce procédé permet d’engager le lecteur dans le procédé que nous chercherons à démontrer dans le mémoire. Cette mise en situation permet de renforcer le sens de l’étude mais aussi de mettre cette dernière en application, dans une idée de recherche-projet. Formellement, ces moments de lecture se traduisent par des doubles pages silencieuses. On retrouvera simplement une image, une légende. L’idée de la mise en page silencieuse est d’établir un cadre adapté à la contemplation, la réflexion, et l’investissement de l’image par le lecteur. Ces images par une mise en forme singulière ne seront pas traitées comme des illustrations mais comme des images pensantes. Ces doubles pages viendront ponctuer le mémoire de sorte à proposer au lecteur, s’il le souhaite, une lecture du mémoire par l’image donc par analogie. On retrouvera ces images en annexe du mémoire sous forme d’atlas. Ces images seront interrogées tant au travers de leur lecture indivduelle que collective.
ATLAS, une pratique contemporaine de la discipline architecturale
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fig.03. Henry Gray, Anatomy of the Human Body, 1918.
Cosme Mnemosyne, la mémoire du monde 08. « Géographes, philosophes, cinéastes, historiens, écrivains, scientifiques et artistes ont fait appel aux images pour communiquer leurs savoirs et leurs émotions grâce à la forme englobante et cosmogonique de l’atlas, capable de contenir en un même ensemble contemplation et mémoire. » FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.127. 09. « Un véritable architecte doit étudier la grammaire doit avoir des aptitudes en dessin, connaître la géométrie, ne pas ignorer l’optique, être instruit en arithmétique et versé en histoire, avoir entendu avec profit les philosophes, avoir des connaissances en musique, ne pas méconnaître la médecine, unir les connaissances de jurisprudence avec celles de l’astrologie et des mouvements des astres. » VITRIVIUS POLIO Marcus, De architectura, Paris, Edition Dervy, 2007, p.377.
Cosme, les limites de l’atlas Mnemosyne, la mémoire du monde Atlas, issu de la mythologie grecque, est un Titan condamné par Zeus à supporter sur ses épaules la sphère céleste pour l’éternité. La mythologie fait d’Atlas un être capable de porter l’ensemble de la connaissance universelle. L’humanité s’appuiera sur cette allégorie pour concevoir des systèmes assez vastes pour contenir à leur tour le labeur du Titan. Aujourd’hui, devenu un nom commun, l’atlas définit un recueil ambitionnant d’inventorier l’ensemble de la connaissance du monde. En hommage au mythe grec, l’anatomie utilise le terme d’atlas pour identifier la première vertèbre cervicale supportant le complexe crânien. L’atlas supporte la connaissance. L’archétype de l’atlas est celui, géographique, de Gérard Mercator publié en 1595 dans lequel on retrouve un recueil de cartographies témoignant de l’étendue du monde tel que l’on se le représentait à cette époque. Suivant les découvertes et les nouvelles connaissances, l’atlas s’écrit perpétuellement. Au fil des siècles, les atlas ont pris des formes diverses pour essayer de contenir l’ensemble des connaissances possibles.08 Dans la mythologie grecque, toujours, Mnémosyne est la Déesse de la mémoire et la mère des Muses faisant de ces dernières littéralement les Filles de la Mémoire. Ses filles président aux sept arts libéraux (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, musique, géométrie, mathématiques). La mythologie grecque scelle la filiation de la mémoire précédant la source d’inspiration et d’expression artistique. La figure de l’architecte naît de l’articulation de ces attributs. Lorsque nous conjuguons le mythe d’Atlas et celui de Mnemosyne, nous retrouvons la définition de l’architecte selon Vitruve. La tradition vitruvienne conçoit l’architecte comme un être polymathe, autrement dit un individu ayant des connaissances approfondies sur des sujets divers dans le domaine des arts et des sciences telles que l’astronomie, la littérature, les mathématiques, etc09. L’homme d’inspiration artistique se nourrit de connaissances pluridisciplinaires. La pertinence de l’architecte s’identifie, alors, dans sa capacité à réinvestir les connaissances acquises dans la formulation du projet.
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fig.04. Inconnu, Ô caput elle boro dignum, 1590.
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fig.05. Philibert Delorme, L’architecte sortant de sa cavrene, 1567.
Cosme L’atlas non-exhaustif, la mémoire choisie 10. « We thought of Aby Warburg Atlas Mnemosyne and André Malraux’s Musée Imaginaire, or Gerhard Richter’s Atlas, we thought of the Albums of Hans-Peter Feldmann, of the 3,000-odd photos from the Visible World of Peter Fischli and David Weiss, or the the History of Architecture in all Countries from the Earliest Times to the Present Day by James Fergusson, a history that reminds us of that brief nineteenth-century illusion where possession of all images corresponds to possession of all comprehension of the world. » BANDEIRA Pedro, « Everything is architecture », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.9. 11. « What interests us is that the vastness of the world and the represented world make it impossible to build an atlas that is not legitimized by a condition or specific conditionner that mirrors a reality inevitably broken down into micronarratives. The question immediately arises as to whether we can continue calling Atlas a vision collected from a world shattered in the illusion of the individual, the individual’s possible viewpoint. » BANDEIRA Pedro, « Everything is architecture », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.10.
Le principal défi de l’atlas réside dans sa capacité à étendre ses limites. L’inventaire d’une grande quantité d’informations est rendu possible par les caractéristiques physiques de son contenant. Si, pendant des siècles, les systèmes d’inventaires ont tenté d’accueillir toujours plus de connaissances, de la mémoire individuelle aux écrits, aux recueils, aux espaces, au stockage digital, il semblerait que la technique contemporaine ne soit plus une limite pour archiver cette connaissance10. Aujourd’hui, il est question de la relation qu’entretient l’individu et celle-ci. L’observateur, ici l’architecte, devient acteur en assumant de limiter le panel de connaissance, afin de pouvoir les appréhender, les questionner et les réinvestir dans sa production architecturale. Les limites objectives de l’atlas d’autrefois, parce que définies par la contrainte technique, deviennent aujourd’hui subjectives, définies par l’observateur. L’architecte doit alors assumer d’habiter les choses, en ne puisant non pas dans l’Histoire, froide et objective, mais dans l’articulation intime, entre l’histoire collective et l’expérience subjective, que suggère la mémoire11.Le concepteur définit lui-même les limites de l’inventaire. Un inventaire de connaissances habité par l’architecte, qui lui permettra d’activer un processus de conception. L’évolution des techniques successives ont bouleversé la relation aux connaissances en instaurant un dialogue inédit entre l’individu et l’image. L’atlas non-exhaustif, la mémoire choisie Le premier geste de l’architecte en concevant un atlas iconographique est celui de la séparation. Déjà, l’architecte est concepteur, il est acteur des images qu’il souhaite laisser agir sur sa pratique. D’un univers global et quasiment infini d’images l’architecte-démiurge sélectionne. La séparation est le premier vecteur d’une création, celui d’un nouveau microcosme. Par la création de limites, une unité nouvelle se définit. La limite opère comme un séparateur entre les images contenues dans le champ et celles dites hors-champs. Un véritable univers dans lequel les entités présentes sont forcées de dialoguer et d’exister les unes par rapport aux autres. Ici, ce n’est plus la technique qui agit comme limite à l’atlas mais bien l’architecte et sa capacité à sélection-
Image 1. Toute la mémoire du monde.
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‘‘ The limits of my language are the limits of my world. And in that respect, I limit the world, I decide the boundaries. ’’ 12
Cosme L’atlas non-exhaustif, la mémoire choisie 12. MONACO James, The new wave : Truffaut, Godard, Chabrol, Röhmer, Rivette, Oxford, Oxford University Press, 1976. 13. « For about a year now I have attempted, even in discussions with my assistants, to select only those images that have a special defining significance for our work, for my work. All the rest were excluded. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.6. 14. « Mais comme il arrive ordinairement que, parmi les images, les unes soient durables, frappantes et capables de mettre sur la voie, les autres faibles, passagères et presque incapables de réveiller les souvenirs, il faut examiner la cause des ces différences, afin que, la connaissant, nous puissions savoir les images que nous devons écarter ou rechercher.». CICERON, Ad Herenium, Livre III, paragraphe 35
ner et appréhender un nombre fini d’images. Les vertus de la limite sont celles de créer une abstraction. Puisque l’architecte sait qu’il existe des images hors de ce monde, il est plus à même de regarder avec attention celles qui se trouvent dans un monde choisi. Toutes les entités présentes prennent une dimension sacrée, précieuse. En les isolant, l’architecte créé les conditions propices à la contemplation. Par la simple délimitation d’un cadre, le contenu aussi divers soit-il, fait corps. Ce corps devient corpus. Le contenu, est un tout organique composé de parties hétérogènes mais qui ensemble trouvent une certaine forme d’unité. La simple existence de bords permet à des images empruntées de différents horizons de co-exister et de créer un tout cohérent. Le cadre de l’architecte définit l’espace du corpus. L’Autobiographie Iconographique témoigne de ce processus de limites et de corps. Son auteur, l’architecte suisse Valério Olgiati, précise qu’il a soigneusement sélectionner cinquante-cinq images parmi une quantité d’images13. Les hypothèses, les possibilités, les potentialités d’images construisent la plus grande difficulté de l’exercice de l’atlas. Pourquoi cette image plutôt qu’une autre ? Parmi les images, l’architecte détermine les plus durables pour les faire exister dans le cadre de l’atlas. Le corps de cette collection est très hétérogène, les images sont transgéographiques (Inde, Japon, Pérou, Suisse etc.), transhistoriques (IVe, XVe, XVIIe, XIXe, XXe sicècles etc.), pluridisciplinaires (peinture, architecture, paysagisme, photographie, cinéma, etc.), issues de prises de vues personnelles et d’auteurs extérieurs. Malgré une approche a priori chaotique du corpus, ce dernier apparaît cohérent lorsque l’on sait qu’il est issu d’une politique consciente de sélection d’images14. Ainsi, le corpus n’est pas regardé de façon strictement objective, mais comme un inventaire d’images privilégiées pour lesquelles l’architecte identifie une certaine signification.
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fig.06. Robert Fludd, L’œil de l’imagination, Ars Memoriae, 1619.
L’ars memoriæ Méthode des loci 15. « À partir de ce récit fondateur, érigé en exemple et bientôt en méthode, les images de la mémoire seront toujours associés à des espaces architecturaux, les unes et les autres se faisant écho, les images (re)ssuscitant les lieux et les lieux (re)ssuscitant les images. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.85.
L’ars memoriæ, spatialiser la mémoire Après avoir défini les limites de l’atlas de la connaissance, il s’agit de comprendre dans quels espaces ces connaissances évoluent. Partant de l’individu, le rôle de la mémoire prend une valeur prédominante dans l’acquisition de l’information et son traitement. L’histoire de la mémoire nous amène à explorer des spatialités inattendues. Méthode des loci La mnémonique est l’ancêtre de la mnémotechnique. Elle puise sa définition dans les racines du grec ancien, en faisant directement référence à Mnémosyne, déesse de la Mémoire, et à mnémê (« souvenir »). C’est un ensemble de dispositifs de techniques, permettant d’augmenter sa capacité à mémoriser des informations. De ces dispositifs naît la méthode des lieux, ou méthode des loci chez les Grecs. Le développement de la méthode des loci est attribué à Simonide de Céos, d’après l’ouvrage De Oratore de Ciceron qui en fait référence. À l’époque antique, les orateurs ne disposaient pas de supports physiques pour organiser et fixer leurs pensées ou leurs discours. La mémoire était alors le médium principal pour composer une rhétorique cohérente. Pour palier le manque de balises dans l’organisation de la pensée, la méthode des loci propose de faire appel aux images mentales. Concrètement, pour se souvenir d’une pensée, on met en place une image symbolisant la pensée désirée, et le chemin à parcourir pour accéder à cette pensée, en plaçant l’image dans un lieu familier15. L’extrapolation de cette méthode permet la construction d’un discours, en associant plusieurs images à plusieurs lieux connus de l’auteur. La méthode d’apprentissage de cette discipline consiste à parcourir un lieu -un logement, un marché, une église, une ville, etc - jusqu’à ce que ce dernier devienne familier. Plus le lieu comporte des sous-espaces, comme des pièces, des niches, des passages, plus il permet de placer d’images. L’espace devient familier après de nombreux arpentages par l’auteur, lui permettant de projeter aisément une cartographie mentale du lieu, dans laquelle il peut déambuler. Le cheminement emprunté dans cette reconstruction mentale du
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lieu, permet de succéder les pensées à chaque nouvelle image rencontrée. Ainsi les discours pouvaient se structurer aisément. Les images quant à elles devaient avoir un fort pouvoir évocateur de la pensée ou du concept qu’elles contenaient. Pour cela, l’individu fait appel à des images mémorables. Elles présentent généralement des caractéristiques frappantes, à forte valeur émotionnelle pour rappeler rapidement l’individu à sa pensée. De tels lieux mentaux s’intitulent des « palais de la mémoire ». Ainsi au-delà d’une construction du lieu, l’individu a la capacité d’arpenter ce lieu et donc de choisir dans quel ordre, il fera apparaître telles ou telles pensées. Cette discipline sera pratiquée pendant des siècles jusqu’aux humanistes de la Renaissance avant d’être abandonnée. Elle a permis la mémorisation et la transmission de nombreux textes au fil des générations. Notons l’importance des associations que propose la méthode des loci. L’organisation de la mémoire se construit à partir d’images. Du palais de la mémoire aux images que l’on retrouve en son sein, l’individu fonde son discours uniquement sur des images. L’association d’une image avec une pensée, témoigne de la vertu évocatrice de l’image sur l’individu. Par un objet d’expérience sensible qu’est l’image, l’individu a la possibilité d’accéder à une pensée abstraite. L’orateur construit un paysage illustré de concepts. Les images choisies contiennent en elles un certain pouvoir heuristique pour l’individu. Ce que nous apprend cette méthode, c’est que le langage se construit à partir d’images. L’abstraction des concepts auxquels renvois le langage se fonde sur une expérience sensible du monde. Les connaissances peuvent se lire dans les images et les expériences. Si les images ne sont pas une réduction de la connaissance désirée, elles sont perçues comme une porte amenant à cette dernière. Ici, les images dépassent le caractère d’inventaire, pour exister comme des images actives16. En l’occurrence, la construction de discours autour d’images, témoigne de la dualité entre la mémoire et la création17. Le nouveau se constitue d’après des expériences passées. Enfin il est intéressant de noter l’imbrication des images avec l’architecture. La méthode des loci pose les fondations du couple image-lieu, dans la pratique de l’inventaire de la mémoire. Cette articulation
L’ars memoriæ Espaces de la mémoire 16. « En migrant de la rhétorique à la mnémonique, le Lieu Commun, celui dans lequel sont rassemblées tel ou tel ensemble d’ « images agissantes », prendra la forme d’édifices et de sites, des lieux actifs au point d’être décrits par Mary Carruthers comme des « machines » capables, non seulement de contenir mais surtout d’activer des images de mémoire.». Ibid, p.83. 17. « Les lieux mnémoniques sont purement pragmatiques : ce sont des schèmes cognitifs, et non des objets. Ils peuvent induire des ressemblances avec des choses existantes (une église, un palais, un jardin), mais n’ont en eux-mêmes, aucune réalité. Il convient de les considérer comme des procédés fictifs que l'esprit lui-même fabrique afin d’activer la mémoire. ». Ibid, p.93. 18. « Contenant toute la mémoire du monde, saturé d’informations, l’espace de la chambre-mémento préfigure les cabinets de curiosités et les musées […] ». Ibid, p.97. 19. DELISLE Léopold. Notes sur les poésies de Baudri, abbé de Bourgueil. Dans: Romania, tome 1 n°1, 1872. pp. 23-50. 20. Ibid, p.42. 21. Ibid, p.42.
entre image et architecture, d’abord comme une pure cosa mentale, prendra une dimension physique. Espaces de la mémoire D’une discipline mentale de la mémoire, l’inventaire d’images se retrouve transposé au sein de lieux architecturaux réels. L’espace de la mémoire passe du lieu mental au lieu concret. Ces édifices concrets évoluent des murs d’une chambre-mémento, aux bancs des théâtres de la mémoire, des armoires des cabinets de curiosités ou encore aux salles de bibliothèques et musées18. On met en espace les souvenirs. La méthode des loci préfigure les typologies architecturales des espaces de la mémoire, soit, des structures architecturales présentant des sous-lieux associés aux connaissances recherchées et la mise en place de dispositifs spatiaux permettant à l’observateur de cheminer jusqu’à ces savoirs. Dès le XIIe siècle on réfléchit à des dispositifs de chambre de souvenirs. L’Abbé Baudri fait la description exhaustive d’une chambre imaginaire dans un poème de 1367 vers, écrit autour de 1107, dédié à la Comtesse Adèle de Blois. Cette chambre mnémonique est conçue comme un cosme condensé dans lequel on retrouvait, sur chaque élément architectural, une partie de la connaissance humaine. L’idée était de constituer dans un monde clos, celui de la chambre-mémento, avec une iconographie limitée, « [...] tout ce qu’il faut savoir et dont on doit se souvenir »19. Encore, on retrouve les composantes de l’atlas iconographique, des limites franches, un microcosme et un contenu d’images soigneusement sélectionnées condensant en leur sein un ensemble de connaissance plus larges. La diversité de sujets traités est tout aussi dense et diversifiée, que l’atlas. La pièce est une vaste salle allongée dans laquelle nos yeux explorent les images représentées. Au sol l’on pouvait voir « […] une grande mappemonde sur laquelle on distinguait les mers, les fleuves, les montagnes et les villes principales du globe. »20 tandis que sur la voûte du plafond « [...] était une imitation du ciel avec les constellations ; des places particulières avaient été réservées aux sept planètes. »21. Sur les murs et le mobilier, on retrouve des récits de la mythologie grecque et symboliquement les sept arts libéraux, la philosophie et la médecine « Le lit était
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fig.07. Guilio Camillo, Le théâtre de la mémoire, 1544.
L’ars memoriæ Espaces de la mémoire 22. Ibid, p.42. 23. « Il faut savoir que dans la grande machine de mon Théâtre, se trouvent, disposés en lieux et en images, tous les lieux qui peuvent suffire à rassembler et gouverner tous les concepts humains, toutes les choses qui existent dans le monde entier. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.99. 24. « À la Renaissance, la mémoire prend principalement la forme du théâtre, déclinée sous de multiples formes. Tous les champs du savoir sont alors soumis à ce dispositif, soit réellement, comme le théâtre anatomique de Padoue […] ». Ibid, p.99.
orné de trois groupes de statues : le premier se constituait de la Philosophie, accompagnée de la Musique, de l’Arithmétique, de l’Astronomie et de la Géométrie; le deuxième groupe était formé par la Rhétorique, la Dialectique et la Grammaire; le troisième représentait la Médecine accompagnée de Galien et d’Hippocrate. »22. L’Abbé reprend habilement les principes mnémoniques en associant des représentations à des éléments architecturaux connexes. Le plafond est le lieu de la voûte céleste, le sol celui de la Terre et de sa mappemonde. L’analogie entre l’élément architectonique et l’image représentée amène la mémoire à associer avec aisance le couple image-lieu. En 1550, Camillio Guilio Delminio publie « L’idea del theatro dell’ eccellen » dans lequel il explicite son projet de Théâtre de la Mémoire. L’ambition humaniste du théâtre est de rendre accessible au spectateur l’ensemble des connaissances humaines à travers des images allégoriques rangées dans des lieux de mémoire23. Le théâtre est une structure encyclopédique articulant connaissance universelle et mémoire individuelle. L’italien décrit le théâtre dans sa composition antique, c’est-à-dire celle de l’amphithéâtre. Les rangs sont décomposés en sept degrés différents, faisant références aux sept piliers de la sagesse de Salomon, et étagés en sept gradins, concevant ainsi quarante-neuf « lieux de mémoire ». Conformément aux principes de la mnémonique, à chaque lieu de mémoire se trouvent des images. Ces images à caractère allégorique renvoient à des principes ou des concepts universels. Chacune d’entre elles peut être interprétée à des niveaux de lectures différents. Le choix du théâtre n’est pas anodin, l’étymologie de théâtre venant du verbe du grec ancien theáomai signifiant contempler, regarder. Le théâtre devient le symbole du lieu d’où l’on contemple. En effet, contrairement à une pièce de théâtre canonique, les événements à contempler ne se déroulent pas sur la scène mais dans les gradins de l’hémicycle. Le spectateur est placé au centre de la composition. À partir de ce point convergent il va explorer les connaissances qu’il recherche. Le spectateur devient acteur. Le théâtre fonctionne comme une machine de mémoire, un intermédiaire entre l’image souhaitée et l’individu. Le théâtre lui-même fonctionne comme une analogie du fonctionnement de la mémoire24.
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fig.08. Giorgio Vasari, Galerie des Offices, 1559.
Espaces d’observation Observer la mémoire 25. « Aux cathédrales et aux théâtres, s’ajouteront bientôt les livres, les cabinets de curiosités, les musées et les bibliothèques, ils sont aujourd’hui les lieux communs de la mémoire collective. ». Ibid. p.101.
Les typologies des lieux de mémoire sont aujourd’hui distillées dans la vie commune, cabinets de curiosités, bibliothèques, musées, bureaux, inventaires, etc. Ces lieux ont tous en commun l’articulation primordiale entre histoire collective et mémoire individuelle. Le principal protagoniste est le spectateur déambulant entre les images pour les contempler et effectuer des allers-retours entre ses expériences personnelles et l’expérience collective proposée par ces images. Le dénominateur commun de ces espaces de la mémoire est de considérer le spectateur comme acteur principal tissant des liens avec sa mémoire. Progressivement, la relation spectateur-image tend à s’intimiser. Un nouveau cadre autobiographique s’inscrit à la lecture des images. L’ensemble de ces lieux avait pour objectif principale d’activer la création à partir d’images de références. Ces images ne sont pas présentes par simple effet factuel mais dans leur capacité à être exemplaires et poussent celui qui les a regardées à devenir à son tour acteur. Ces images, sont des images de référence auxquelles l’individu se réfère pour concevoir. Les espaces d’observation de la mémoire De l’ars memoriae aux espaces contemporains de la mémoire l’effort s’est concentré à fixer les images dans un lieu statique25. La fixation des choses permet d’offrir au spectateur un temps d’observation. L’observation est la première action de l’individu sur les choses. Dans sa définition, l’observation revêt un caractère proactif. En effet l’observation est l’action de regarder avec attention les êtres, les choses, les événements, les phénomènes pour les étudier, les surveiller, en tirer des conclusions. En ce sens, l’observation nécessite un espace spécifique pour concentrer l’attention du spectateur sur les choses. Dans un deuxième temps l’observation actionne un déclenchement chez l’individu. Observer la mémoire L’observation chez l’architecte est primordiale, elle lui permet de prêter attention aux choses. La filiation à la photographie est évidente. On cadre les choses, celles qui
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‘‘ Sans doute l’observation des choses a-t-elle constitué l’essentiel de mon éducation formelle; puis, l’observation s’est transformée en mémoire des choses. Aujourd’hui j’ai l’impression de voir toutes ces choses observées, disposées comme des outils bien rangés, alignées comme dans un herbier, un catalogue ou un dictionnaire. Mais cet inventaire inscrit entre imagination et mémoire, n’est pas neutre: il revient sans cesse à quelques objets et participe même à leur déformation ou, d’une certaine manière à leur évolution. ’’ 26
Espaces d’observation La matière de la mémoire
26. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.38 27. « La forme des choses, et pour tout dire leur observation, restera, chez Rossi, une mesure ultime : y compris pour la mémoire. […] l’analogie est un guide pour la formation non seulement d’une culture visuelle, mais également d’une pensée visuelle de l’architecture et de la ville.». CHUPIN Jean-Pierre, Analogie et théorie en architecture, Lausanne, In Folio, 2010, p.183 28. « The observation of things remains really Jonhathan and I most important formal education. Observation is later transform into memory and then combined with some experiences and confidence this because the primary initiator of design in the making of form. ». BATES Stephen, SERGISON Jonathan, Lecture: Jonathan Sergison and Stephen Bates, «On Continuity», 27 mars 2014. https://www. youtube.com/watch?v=P gOk0qCbkSc. 29. « Car la seule vue d’une chose ne peut nous faire progresser. Toute observation aboutit à une considération, toute considération à une réflexion, toute réflexion mène à établir des rapports. On peut donc dire que déjà chaque regard attentif sur le monde lui impose une théorie. » GOETHE (von) Johann Wolfgang, Traité des couleurs, Paris, Editions Triade, 1973, p.51
valent le coup d’être observées et celles qui ne seront pas révélées. L’observation est donc une photographie mentale. L’architecte fixe un événement du monde extérieur en image mentale. Ce même principe d’observation lui permet de prêter attention à ses images, de comprendre pourquoi elles persistent dans sa mémoire, de les déconstruire, de les analyser, de les interroger. Le processus d’observation n’est pas passif chez l’architecte, il est la raison de son éducation, visuelle et formelle27. Grâce à lui il interroge ce qu’il voit, il devient acteur de l’observation de sa mémoire, au même titre que le spectateur est placé au centre de la scène de la machina memorialis. L’observateur est acteur. Il peut observer les images de sa mémoire. L’observation construit les images. La matière de la mémoire Les architectes définissent l’observation comme une vertu de leur pratique. L’esprit d’observation forme alors leur éducation, et se conjugue directement à une réflexion. Ces images sont ainsi altérées par la déformation de perception de l’architecte pour prendre une forme subjectivée. Cette matière de la mémoire se révèle fondatrice dans la pratique des architectes, comme le révèle le praticien Sergison Bates28, en la définissant comme l’initiatrice de la conception du projet. En effet l’observation déclenche un processus d’interprétation chez l’individu, en faisant dialoguer la chose vue avec l’expérience personnelle29. Ces moments, néanmoins, sont rendus possible par une prédisposition à l’observation. L’observation peut être facilitée par des dispositions spatiales. Les structures spatiales de l’atlas De l’imaginaire de l’architecte-flâneur à l’architecte-augure, le concepteur est caractérisé d’abord par son esprit d’observation. L’architecte travaille son regard à travers la ville, les architectures, les livres et les références. Tout ce corpus constitue des images à mobiliser. Pour rendre possible l’observation, il est nécessaire de disposer du cadre indispensable à une attention correcte. Alors que les augures romains définissaient un cadre spécifique avant d’effectuer leur observation, l’architecte répète la même logique, en se définissant un temple d’observation prenant plusieurs formes. L’architecte abstrait le monde
fig.09. Valerio Olgiati, Office in flims, 2003.
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Planta segunda / Second floor plan
Planta primera / First floor plan
Espaces d’observation Les structures spatiales de l’atlas 30. « His office looks like an extension of a one-man studio, a microcosmos, a laboratory overflowing with plans cardboard models, books, souvenirs, and other marvels. Souto de Moura’s workplace is more a « cabinet de curiosités » than a « paperless studio. ». ». URSPRUNG Philip, « Souto de Moura’s ‘‘Cabinet de Curiosités’’ », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.125.
extérieur, concentrant son regard sur l’atlas iconographique. Chez Philippe Prost, on retrouve des murs d’images issues notamment de prises de vues personnelles. Ces espaces iconographiques construisent un paysage mental lui permettant d’expliquer l’origine de ses projets. Valério Olgiati présentent ses images dans un atlas aseptisé, ni planche, ni bureau, ni murs, les photos existent dans un espace neutre sur fond blanc, où le contexte n’a pas sa place. Seules les images comptent. Ce parti-pris démontre de l’importance de l’architecte des Grisons à disposer d’un moment particulier dédié à l’observation de ces images. La neutralité spatiale amène à se construire un espace mental dans lequel prendrait place l’ensemble du corpus, où seuls dialogueraient l’image et l’architecte. Souto de Moura réserve un emplacement particulier au sein de son agence à la disposition de ses icônes. Même si les auteurs de Floating Images décident de fixer les images de référence dans les pages d’un ouvrage, c’est sur les murs de l’atelier de Porto que l’on retrouve épinglée une constellation d’images de référence30. Elles constituent l’atmosphère de travail de l’agence et sont présentes perpétuellement dans le temps de travail de l’équipe. L’espace de l’agence devient un temple dédié à la collection d’images actives. L’observation s’organise en un lieu sacralisé. La disposition spatiale permet aux images de prendre une signification particulière, permettant ainsi de fixer l’attention du concepteur sur les choses. L’architecte réussit à définir un espace propice à l’observation afin de se construire une relation singulière à l’image physique. Son atlas est autant défini par les images qui le constituent que l’espace permettant leur observation. La dimension physique de l’image permet ainsi la formalisation de l’atlas iconographique de l’architecte.
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‘‘ Images are light, they are surface […] they are more permissive because they are more exposed to circulation and reproduction without the « aura » of the Benjamin stigma. […] We live surrounded by images: the (past) century of images and their mass consumption; and the (future) century of images and their mass production. Image are thus democratized along with their production. […] Both images end up resembling each other. « Everything is architecture ». Everything is image. ’’ 31
Matières De l’image mentale à l’image physique 31. BANDEIRA Pedro, « Everything is architecture », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.18. 32. « On connaissait le Louvre […], dont on se souvenait comme on pouvait; nous disposons de plus d’œuvres significatives, pour suppléer aux défaillances de notre mémoire, que n’en pourrait contenir le plus grand musée. » MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.16. 33. « Répondant à la création, et la suscitant à son tour, la reproduction va pour la première fois dispenser au monde les formes que les artistes de chaque nation ont ressuscitées, admirées, pressenties ou ignorées. ». Ibid. p.87
Matières, les raisons de l’image De l’image mentale à l’image physique Dans les exemples précédemment étudiés la focale se fixe sur l’image. Elle est garante de la connaissance, de la réflexion, ou de la création et se définirait donc comme la porte ouverte à l’idée. Progressivement la technique a permis la transition de l’image mentale à l’image physique. Ce transfert n’a rien d’anodin, du point de vue intellectuel c’est une véritable révolution. La technique a permis de palier les efforts de l’art de la mémoire et de rendre cette expérience concrète. Cette méthode de pensée se prolonge à travers l’espace réel à la recherche d’images physiques. Aujourd’hui la discipline disparaît mais le contenu reste essentiellement le même. L’architecte a transposé des images mentales en images physiques. Cette nouvelle dimension permet une relation différente entre l’individu et sa mémoire. Ainsi il conçoit sa mémoire dans une dimension active et non passive. La révolution picturale des peintres Modernes a renversé les valeurs entre l’image et l’artiste. Le sujet de l’image se voit substitué au regard que porte le peintre sur celui-ci. Il en va de même avec le Musée Imaginaire de l’architecte, qui place le regard du spectateur, au-delà de la lecture objective de l’image. La perception subjectivise l’image. Le regard du spectateur s’autonomise de la connaissance objective sous-jacente à l’image. Il crée, en tant qu’interprète, sa propre connaissance à partir d’une image collective. De la partialité assumée de l’architecte naît le matériau de conception du projet. L’ère de la reproductibilité L’image comme médium de représentation s’est construite autour de sa capacité technique à connoter son sujet. La photographie a bouleversé le rapport à l’image. L’image n’est plus une construction issue de conventions, de codes et de symboles comme défendu par la peinture. Le nouveau médium amène une relation topographique au sujet représenté, tendant à effacer les gestes subjectifs de son créateur. L’architecte n’est plus limité par l’inaccessibilité d’une œuvre32. Toute l’étendue d’une connaissance peut être désormais fixée sur une image physique33. La technique de la reproduction par l’image autorise à chacun de
Image 2. Non du sujet mais du subjectivé.
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fig.10. Inconnu, Camera Obscura, (s.d.).
Matières, L’ère de la reproductibilité 34. « Mais Baudri émet une réserve paradoxale à cette description pourtant minutieuse : il précise que « le texte qu’il envoie est nu », qu’il faut l’ « habiller ». On retrouve dans cette recommandation un usage pictural qui consistait à neutraliser l’expression des personnages et la définition des lieux pour en faire des images génériques et les réceptacles universels d’un récit, d’une connaissance ou d’un sentiment, laissant ainsi au sujet la liberté d’y projeter des figures familières ou locales pour s’approprier plus intimement leurs messages. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.97.
se constituer son propre musée. De cette idée naît l’essai du Musée Imaginaire d’André Malraux. L’architecte devient le conservateur de son musée. Il est acteur de sa sélection d’images. Tout sujet peut dès lors servir de matière conceptuelle. Tout est architecture. L’image physique, le support À l’image mentale, difficilement accessible, s’est substituée l’image physique. Elle présente des caractéristiques différentes. Elle existe concrètement dans l’espace physique tendant à représenter objectivement le sujet dénoté. Alors que l’image mentale était floue, malléable, amorphe dans sa relation à une idée, l’image physique présente un rapport juste à l’idée, l’objet représenté. Si l’image mentale était nécessairement construite partiellement ou totalement par l’individu, ici la photographie amène une représentation scientifique des choses. L’œuvre, l’objet, le sujet est figé comme il existe. La technique amène un allègement du support physique de l’image. L’épreuve est rendue accessible à l’échelle humaine, elle est légère, préhensible par la main. Elle peut être appréciée dans un rapport intime avec son observateur. Ce nouveau rapport d’échelle amène une nouvelle relation à l’image. L’architecte devient maître de la relation qu’il décide d’entretenir avec son image, il n’est plus pressé par le temps d’ouverture d’un musée, ni gêné par le manque de recul pour apprécier une grande composition, ni incapable d’observer une œuvre du fait de son inaccessibilité géographique ou temporelle. Pour la première fois, grâce à la photographie les chefs d’œuvre artistiques tiennent dans la main et investissent l’espace du chez soi. La relation aux choses prend une dimension autobiographique. Comme le laisse supposer le passage de l’Abbé Baudry34, le décalage contextuel de l’œuvre dans l’espace de l’intime invite l’individu à s’y projeter dans une dimension familière. Néanmoins nous verrons que la justesse de connotation que propose l’image par rapport à son sujet amène à d’autres processus intellectuels. L’image extrait la réalité concrète de l’objet, lui conférant ainsi une existence nouvelle. Le sujet photographié change de dimension physique, passant d’un environnement tridimensionnel à bi-di-
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fig.11. Bernd Becher, Hilla Becher, Framework houses, 1977.
Matières, L’image physique, support
le
mensionnel, d’un univers sensoriel à visuel, parfois même d’un monde chromatique au noir et blanc. Ce processus d’abstraction engendré par la photographie n’amène pas le sujet à perdre sa valeur, mais propose une lecture renouvelée de celui-ci. Si elle reste la même, la chose ne peut pas être considérée de la même façon. La chose, sa représentation et sa définition, se confondent et forment une relation tripartite. Avec One and three chair, l’artiste Joseph Kosuth interroge les rapports relationnels qu’entretient une chaise avec son image et sa définition. L’artiste présente une chaise. À son côté se trouve une photographie de cette chaise à l’échelle 1:1. De l’autre côté se trouve une définition du mot chaise. Le vis-à-vis créé entre ces trois entités pose la question : Quelle chaise est plus une chaise? Les trois chaises sont des chaises, aucune n’est plus proche de la définition de la chose plus qu’une autre. Pourtant la vue de la chaise-objet, de la chaise-image, de la chose-mot n’induit pas le même effet chez l’observateur. Pour conclure, l’image introduit un rapport différent du spectateur vis-à-vis de la chose représentée. L’image repropose la chose dans une nouvelle lecture qui amènera nécessairement l’observateur à entretenir un comportement différent avec elle. Seule l’image persiste dans son existence physique suffisante. Les sujets des images dialoguent dans un même rapport d’échelle. Ainsi l’atlas crée une nouvelle hiérarchie de valeurs. Relations, le regard producteur La spécificité de l’atlas iconographique est de placer l’image en vis-à-vis d’un système iconographique. L’atlas est une structure dynamique par ses composantes hétérogènes, mais également dans par les renvois relationnels qu’il implicite. L’image s’imprime dans la perception et se confond au regard d’une autre. Une logique de double exposition permet d’inscrire une image seule, dans un système relationnel plus vaste. La dynamique de lecture amène l’œil à se déplacer, du singulier au global et inversement. Aucune règle ne régit un sens de lecture. A l’image des théâtres de la mémoire, le spectateur est placé au centre du système et ses actions déterminent son sens de lecture.
Image 3. Les épaisseurs de l’image.
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fig.12. Maurice Jarnoux, André Malraux chez lui, 1953.
Relations, Le regard producteur Contenu 35. « En substituant l’album à la salle du musée, elle apporte le lyrisme un peu trouble qui naît du rapprochement d’œuvres séparées par la moitié de la terre, […] et qui naît aussi de ce qu’apportent l’angle, la distance, l’heure, choisi par le photographe. ». MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.161. 36. « En outre, la photographie […] « rapproche » les objets qu’elle représente, pour peu qu’ils soient apparentés. […] les œuvres perdent leur échelle. ». Ibid. p.94. 37. « La vie particulière qu’apporte à l’œuvre son agrandissement prend toute sa force dans le dialogue que permet, qu’appelle, le rapprochement des photographies. ». Ibid. p.115.
Contenu Une étrangeté singulière à l’atlas iconographique de l’architecte émerge de sa capacité à produire une structure cohérente d’images hétérogènes. L’atlas s’affilie dans sa tradition à rassembler dans un ensemble limité un nombre de connaissances assez dense pour définir un microcosme. Ici l’atlas diffère du catalogue canonique en présentant un ensemble extrêmement hétérogène d’éléments iconographiques. De là, diffère l’atlas iconographique de l’atlas traditionnel. L’architecte ne cherche pas à inventorier des connaissances, mais à les mettre en conversation dans la construction d’un discours. L’objectif change. L’atlas se subjectivise. La nouveauté de sens extraite du rapprochement de diverses images permet d’affirmer la cohérence structurelle de l’atlas. Comme en témoigne André Malraux dans son Musée Imaginaire, la reproduction technique de l’image permet des rapprochements transhistoriques, transgéographiques, transdisciplinaires35. La photographie est le seul médium qui rend possible ce rapprochement et cette mise en conversation. Elle annihile tout rapport d’échelle de sujets représentés, rendant possible des rapprochements multiscalaires36. Cette annulation de rapport d’échelle facilite l’établissement de nouvelles relations entre les images37. En cela, l’atlas iconographique trouve sa singularité. L’architecte peut opérer des rapports entre des sujets ayant des proportions opposées. Chez Olgiati, le sanctuaire Izumo Taisha de 12x12m peut exister en vis-à-vis direct avec le complexe mortuaire du cimetière de San Cataldo, d’Aldo Rossi. Le représenté n’existe plus dans sa définition concrète mais dans une nouvelle forme de vie, celle de son image. En ce sens, il devient légitime d’opérer des rapprochements entre des images d’horizons différents. La lecture par la collection permet de créer des correspondances entre différentes oeuvres. L’art de la reproduction devient une création de valeur. Un nouveau système de correspondances, de relations et de hiérarchies se met en place à travers une nouvelle lecture de l’histoire. Dialogue, alors, par un décalage contextuel un ensemble d’images qui n’avait jamais été placées à une même échelle de lecture.
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Dynamique L’essence de l’atlas réside donc dans sa capacité à activer chez l’observateur des connexions. Le regard effectue un ensemble d’actions de perception, d’associations, de dissociations, de dénotations, etc. L’architecte devient chercheur de liens dans l’atlas de la connaissance38. Ses outils sont la sélection et l’association pour générer l’idée nouvelle ou le discours du projet. Dans l’exercice de l’atlas, il est déjà agenceur, de la connaissance à l’idée. La démarche se veut donc proactive et dynamique. La démarche analogique permet de créer de l’épaisseur à l’espace entre les images39. Elle permet la création d’un lieu d’entre-deux d’où naît l’espace réflexif. En ce sens, l’observateur réalise des connexions analogiques par similitudes structurelles, formelles, stylistiques, temporelles. La complexité réside dans l’identification des signes permettant le transfert d’une image à une autre. Le choix d’une image étant autobiographique, l’architecte ne percoit pas les mêmes signes que l’observateur. Si Bandeira a essayé d’ordonner les Floating Images de Souto de Moura en catégories Arbitrary Images, Affective Images, Latent Images, Analogical Images, Recurrent Images, Utopian images, on peut regretter l’orientation de lecture que prend alors le sens d’une image. L’interprétation d’une image fluctue dans son rapport de voisinage. Une image qui, a un moment donné, appartient à une catégorie peut se révéler aux côtés d’une autre et proposer une autre lecture. Définir mènerait à la mort du processus réflexif de l’architecte sur l’image. En ce sens, l’atlas iconographique est un système dynamique, dans la filiation de la machina memorialis de Delminio, enclenché par l’observateur. Il reste indéniable que la lecture de la collection ne peut être pleinement topographique. Le placement d’une image dans un système de références permet une relecture de cette image à la lumière des autres, lui conférant ainsi une signification nouvelle. La signification d’une image se définit par les autres, et mute, évolue à chaque nouveau déplacement. Certaines images peuvent prendre une valeur importante dans leur lecture individuelle et s’amenuiser dans leur mise en relation. La mise en relation peut en soit créer des blocs d’associations plus ou moins évidents.
Relations, Le regard producteur Dynamique 38. « […] il opère des rapprochements, des substitutions, des déplacements, jusqu’à ce que soient évidents les liens enfouis entre des expressions, des formes et des faits pourtant éloignés dans le temps et dans l’espace. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.152. 39. « […] l’agencement des connaissances est dynamique plutôt que statique, et analogique plutôt que chronologique. Elle est fondée sur une partition mnémotechnique en quatre pôles théoriques qui correspondent chacun à un étage de la bibliothèque : l’image, le mot, l’orientation et l’action. ». Ibid. p.149. 40. « Le cadre ne délimite pas seulement une surface, il possède également une profondeur de champ […] certaines « données » apparaîtront au premier plan, d’autres à l’arrière-plan, mais elles seront toutes prises dans le jeu des relations produites par le cadrage […] ». Ibid. p.35. 41. « Car les images comme les écrans, sont mobiles, et le dispositif est ouvert à toutes les « permutations kaléidoscopiques » [...]. Sur chaque panneau le regard embrasse simultanément un ensemble d’images censées produire des associations par analogie formelle. ». Ibid. p.151.
On pense aux « One of the five houses I would live in » de l’Autobiographie Iconographique, où Olgiati met en relation explicite un corpus d’habitat individuel. A l’inverse, une image individuelle avec a priori moins de valeur aux yeux de l’architecte peut par association ou répétition prendre une valeur considérable dans l’espace de l’atlas, notamment avec la répétition de prises de vue de l’auteur du complexe architectural de Fathepur Sikri. La répétition d’un même élément prend d’autant plus de valeur que l’atlas est limité en contenu tout en se voulant universaliste, ce parti pris donne une force notoire au sujet. À une dynamique horizontale d’associations, s’ajoute une dynamique verticale de lecture augmentant ou diminuant les valeurs de l’image. Une certaine profondeur de champ s’applique à l’atlas, le zoom optique donnera à une image sa valeur discursive, mais noyée dans un contexte plus large elle perdra ou non de sa force évocatrice40. La signification qu’une image transmet à l’observateur est à chaque fois modifiée ou altérée suivant le contexte dans lequel elle opère. Cette dynamique de lecture se prolonge dans une dynamique physique de sélection et d’organisation d’images. L’architecte se donne la possibilité de retirer des images, d’en ajouter d’autres ou de les réorganiser. La présentation de l’atlas n’est pas conçue comme un livre présentant un ordre de lecture et un corpus déterminé. L’atlas iconographique est un projet en perpétuelle conception. C’est autour de cette logique que la salle Mnémosyne est créée par Aby Warburg dans la bibliothèque de Hambourg. Il a constitué soixante-dix-neuf panneaux sur lesquels il associait par analogie des images41. L’historien de l’art avait pour ambition de proposer une lecture alternative de l’histoire de l’art, en associant non plus les oeuvres par cohérence chronologique ou stylistique, mais par une théorie du voisinage. La lecture des images s’effectue par un aller-retour entre les images du panneaux, introduisant le caractère englobant de la dynamique. Ainsi, l’histoire de l’art se consturisait sur un prinicpe comparatif entre les images. Ces panneaux sont mobiles, et les images était changées constamment. Les images fonctionnaient comme des engrammes. C’est-à-dire qu’elles avaient la potentialité d’activer des événements, déposés dans la mémoire, à leur lec-
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fig.13. Aby Warburg, Pathos du vainqueur, Panneau 7, « Modèles archéologiques», Atlas Mnemosyne, 1926.
Relations, Le regard producteur Relations 42. « Les artistes-iconographes ont très vite perçu dans ces agencements d'apparence arbitraire la possibilité de s’emparer de l’image comme d’une matière première permettant d’affirmer leurs propres atlas comme des formes visuelles autonomes est des œuvres d’art à part entière. ». Ibid. p.157. 43. « Enfin, il est remarquable que le principe de la grille soit aussi appliqué à la composition de nombreux corpus, en particulier ceux qui ont en commun de rassembler des objets pour les comparer. ». Ibid. p.51.
ture. C’est sous une forme inachevée que Warburg laisse l’Atlas à sa mort. Les architectes vont saisir le modèle warburgien pour constituer leur atlas iconographique42. Chez Souto de Moura, les images effectuent des allers-retours sur les murs de son agence, laissant à certaines une longévité tandis que d’autres ne résistent pas au temps. Suspendues au temps, elles prennent une dimension particulière, elles sont choisies un temps parce qu’elles portent en elles quelque chose d’agissant pour l’architecte. Avant d’être redonnées au flot de l’imagerie ou au contraire d’être conservées dans l’atlas architectural. La table, le panneau, le mur sont autant de dispositifs spatiaux qui permettent une lecture dynamique ainsi qu’une capacité à déplacer, modifier, agir sur la collection iconographique. Ces systèmes permettent une flexibilité de lecture et de compositions, améliorant le rapport relationnel des images entre elles. Relations Les dispositifs iconographiques mis en place par les architectes ont pour vocation de faire exister les images par rapport aux autres sans hiérarchie explicite de valeurs. En effet, les images, comme des sujets, dialoguent entre elles, sans être catégorisées, hiérarchisées, classifiées, orientées. Elles sont présentées de façon isotrope. Pour tirer une lecture claire des images, il est nécessaire de les ordonner. La grille est la typologie spatiale commune aux atlas d’architectes43. Elle définit un système géométrique fort. Le maillage semble s’assimiler parfaitement à la logique de l’atlas puisqu’il ne présente aucun bord, les limites sont extensibles à l’infini. Seule l’étendue du corpus peut définir les limites du système. Sa structure se veut orthogonale. En ce sens, elle ne présente pas de centralité donc pas de hiérarchisation de valeurs explicites. Les lignes reliant les images entre elles sont imaginaires et ne conduisent qu’à construire géométriquement la proxémie d’une image par rapport à ses voisines. La disposition et l’organisation des images forment un espace neutre, libéré d’orientation, et dans lequel l’œil de l’observateur peut évoluer librement. L’orthogonalité n’implicite pas de sens d’orientation de lecture. À chaque intersection de ces lignes se trouve l’image conservée avec ses caractéris-
Image 4. La grille
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‘‘ [Aby Warburg] est en effet convaincu « de la polarité est de la duplicité de tout chose » et persuadé que c’est l’intervalle entre deux pôles qui permet d’ouvrir est d’activer un espace de pensée (Denkraum) intermédiaire entre l’homme et le monde. ’’ 45
Relations, Le regard producteur Relations 45. Ibid. p.155 46. « L’album isole, tantôt pour métamorphoser par l’agrandissement, tantôt pour découvrir ou comparer, tantôt pour démontrer. » xx. MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.118. 47. « L’espace elliptique, qu’il soit créé par […] le noir iconographique de Warburg, n’est pas indifférent mais « neutre » au sens que Roland Barthes donnait à ce mot : le neutre introduit entre les fragments, textuels ou visuels, « un état de variation continue renvoyant à des états intenses, forts, inouïs ». Ces espaces neutres agissent subitement mais puissamment sur la disposition des images, la modification la plus infime de l’écart entre les mots ou entre les images pouvant bouleverser complètement le sens du corpus. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.155.
tiques propres. La grille, impassible, force une présentation non-hiérarchique de l’iconographie tout en laissant la possibilité à l’architecte de réinterroger les rapports de valeurs qu’il semblait avoir définit, alimentant le dynamisme de lecture de l’atlas. Cette annulation hierarchique, autorise donc des rapprochements, afin de permettre les opérations cognitives à l’interrogation de ces images46. Reste à définir le statut de l’espace qui réside entre les images. La marge blanche qui entoure chaque image a elle aussi son rôle à jouer dans l’atlas. Au-delà de la présence des images dans l’atlas, c’est l’espace entre ces images qui contient la raison de la collection. Le Denkraum dont parle Aby Warburg définit la marge entre les images, l’espace de suspension entre la lecture d’une image et de sa voisine47. Cet espace est une temporalité offerte à la réflexion. Il s’y construit les rapports analogiques. Ce n’est moins les images qui persistent dans cet espace que leurs impressions laissées sur l’architecte. Le temps décante les valeurs retenues dans ces images et commence à établir les singularités autour desquelles vont se gérer les relations analogues. La marge permet à l’architecte de se saisir des images et de les faire siennes, en construisant un discours à partir d’elles. En cela les espaces neutres sont importants notamment dans les relations de voisinages. Une image déplacée à côté d’une autre, la marge reste la même, mais les significations associées à celle-ci se modifient. Le Denkraum de l’architecte est le lieu de la construction de sa pratique architecturale. Cet espace de suspension est fondateur. Le sujet architectural se trouve non pas dans l’image mais dans l’entre-deux, entre une image et une autre ou entre une image et le concepteur. C’est la construction d’une suspension entre deux choses qui permet l’idée. La pensée analogique est fondatrice de l’exercice architectural. On cherche à pré-voir le projet qui n’est pas encore là. L’atlas iconographique est ce moment de suspension où par des images du monde connu, on accède à une projection inconnue. La richesse du processus de conception réside dans sa capacité à prévoir, c’est-à-dire à construire le discours cohérent du projet de l’intervalle entre deux choses.
IMAGE L’image d’atlas comme lecture architectonique
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‘‘ There are three basic levels of comprehending physical phenomena : first the exploration of pure physical facts; second, the psychological impact on our inner-self; and third, the imaginative discovery and reconstruction of phenomena in order to conceptualise them. ’’ 48
Faits, l’image de l’atlas Fragments 48. PATURET Thomas, « Oswald Mathias Ungers, Morphologie: City Metaphors, 1982 », octobre 2017. Récupéré le 06 octobre 2020 de : https:// www.atlasofplaces.com/essays/morphologie-city-metaphors/. 49. « […] c’est dire que toutes ces figures, ont quitté, pour notre monde de l’art […] celui dans lequel elles étaient créées; que notre Musée Imaginaire se fonde sur la métamorphose de l’appartenance des œuvres qu’il retient. ». MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.240. 50. « Cette capacité à utiliser des fragments de mécanismes dont le sens général est en partie perdu m’a toujours intéressé, y compris sur le plan formel. ». ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.22.
Faits, l’image de l’atlas Fragments
L’image de l’atlas iconographique dénote du statut de l’image conventionnelle. Si l’idée de l’image objective a tendance à décrire un fait, un événement, une chose, l’image de l’atlas chez l’architecte revêt un fort caractère évocateur en lui. À l’instar des images émotionnelles de la méthode des loci, les images provoquent chez le concepteur une forte émotion amenant ce dernier à la solliciter dans sa pratique. L’atlas présente l’image sous une forme de fragment. L’image n’existe plus dans sa forme originale, notamment parce qu’elle subit un décalage contextuel. André Malraux explicite ce phénomène dans le chapitre quatre du Musée Imaginaire et s’interroge sur l’impact de celui-ci sur le statut de l’œuvre. L’événement fondateur de la collection du musée imaginaire est celui de la décontextualisation49. En effet, L’Athéna de Phidias n’est plus inscrite à l’Acropole -pour laquelle elle a été sculptée- de même que la photographie du Palazzo Strozzi ne laisse pas entrevoir, au-delà de la façade, le contexte de son édification, dans le travail d’Olgiati. L’image de l’atlas se retrouve transposée dans un nouveau contexte, son voisinage proche ne se définissant que par des marges blanches. C’est le propre de l’image de cadrer donc d’offrir un nouveau contexte à la chose représentée. L’image n’explique pas dans quel cadre contextuel l’œuvre prend place, hors parfois, son environnement défini la raison de son édification. Une fois transposée dans le paysage isotrope de l’atlas, l’œuvre n’a d’autres raisons d’exister qu’elle-même50. Outre, le décalage géographique, le décalage temporel est présent dans ces images. Dans ce chapitre, Malraux questionne notre regard contemporain sur les œuvres issues du passé et notamment notre compréhension et notre réception des métamorphoses de ces œuvres. L’essayiste nous rappelle que le temps laisse patine, mutilation, efface les polychromies et nous fait remarquer que nous percevons l’œuvre dans une forme dans laquelle elle n’a jamais existé. Ainsi, l’image n’est plus l’image originale mais l’image déformée à la lumière du regard du contemporain. Le fragment amène donc le phénomène de décalage contextuel. Ainsi une lecture contextuelle ne peut être possible au profit d’une lecture orientée
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‘‘ Tout d’abord avec l’image de référence, nous assistons à un renversement des règles qui assujettissent généralement image et légende. […] Dans un projet d’architecture, les images de références sont rarement légendées soit qu’elles proviennent d’un fond commun de références évidentes issues de la mémoire collective et peuvent se passer de commentaires, soit au contraire parce qu’elles « obligent » au déchiffrement de ce que les mots ne parviennent pas à exprimer avec autant de complétude et d’immédiateté que ces « images muettes ».’’ 54
Faits, l’image de l’atlas Hypoicône
de l’image non pas pour ce qu’elle représente conceptuellement mais pour ce qu’elle est en tant qu’objet sensible.
51. « It presents a similar imaginative quality that removes the depicted content shown in the illustrations from its context and presents it as purely architectural figurations.». OLGIATI Valério, BREITSCHMID Markus, Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2019, p.20.
Valério Olgiati témoigne de l’importance de l’image lue à la lumière de ce nouveau contexte99. Dans l’ouvrage Non-Referential Architecture, il propose d’étudier le temple de Mitla à Mexico, à travers une lecture purement architectonique. Le plan du temple mexicain se retrouve également dans son inventaire iconographique. L’architecte propose de comprendre l’édifice par sa spatialité, sa forme, sa structure, sa composition, ses relations et non pas par ses entrées extra-architecturales comme son architecte, son contexte, son historique52. La production architecturale existe au-delà de son contexte. La permanence de l’architecture se substitue au contexte de son édification53. La théorie non-référentielle, au travers de l’analyse, propose une étude frontale de l’architecture. Il s’agit de considérer l’architecture comme une discipline autonome. La proposition de l’architecte helvète fait très clairement écho à la lecture de son Autobiographie Iconographique. Les images de l’atlas sont indépendantes du contexte de leur réalisation. Il s’agit ici de lire l’invitation à la dimension évocatrice, poétique, sensible, formelle de ces images. Le décalage contextuel ouvre le champ à un nouvel univers de lecture de l’image, la faisant exister dans son caractère le plus autonome.
52. « However the practicing architect does not gain much at all from studying building as a representation of something outside themselves, namely, from studying buildings as an abstraction of an extra-architectural concept (...)». Ibid. p.44. 53. «Architectonic ordering systems exist independently of who built them.» Ibid. p.47. 54. FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.123.
Hypoicône
L’autonomisation de l’image est amplifiée par une minimisation de la légende54. Dans l’Autobiographie Iconographique de Valério Olgiati, la légende n’est pas descriptive et certaines images en sont orphelines de leur légende. C’est le propre même de l’atlas iconographique, notamment chez les architectes, de présenter un corpus d’images indépendamment de leur légende. Lorsque l’image est accompagnée d’un cartel, on s’appesantit plus à la lecture de ce dernier plutôt qu’au déchiffrement de l’image elle-même. Pire, on attribuera plus ou moins de valeur à une image si elle est issu d’un contexte qui nous semble favorable à l’appréciation, tandis que l’image issue de l’anonyme sera évacuée même si elle pourrait présenter des qualités intéressantes. Lorsqu’elle est définie par une légende on associe plus aisément l’image à ses signifiés,
Image 5. Signe ouvert.
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fig.14. Constantin Brançusi, Torse de jeune fille, 1918.
Faits, l’image de l’atlas Image forte 55. « Toute image matérielle, comme un tableau, est largement conventionnelle dans son mode de représentation; mais en soi, sans légende ni étiquette on peut l'appeller une hypoicône. ». PIERCE Charles Sanders. 56. « «Hypoicône» car ces images sont d’abord interprétables si on leur enlève leur légende et leur étiquette - par le biais de leur ressemblance. ». COULOMBE Maxime, Le plaisir des images, Paris, Presses Universitaires de France, 2019, p.37. 57. STEINMANN Martin, « La forme forte, vers une architecture en deçà des signes », dans STEINMANN Martin, Forme forte, Écrits 19722002, Basel, Birkhäuser, 2003, p.189-209. 58. BARTHES Roland, « Éléments de sémiologie », Communications, n°4, 1964, p.106.
en oubliant de regarder l’image pour ce qu’elle est. En minimisant la définition par une légende, l’atlas propose un dialogue différent de l’observateur à l’image. L’architecte est à même de chercher dans la structure de l’image sa valeur. En étant non-définie l’image devient ouverte et propose une nouvelle définition. L’image n’est plus étouffée par ses signes. Charles Sanders Pierce parle d’hypoicône pour décrire ce phénomène55-56. L’icône, dans sa définition sémiologique, est un type de signe se caractérisant par sa similitude avec l’objet qu’il dénote. La définition introduit l’importance que revêt le signe contenu dans l’image, c’està-dire que cette dernière par son intermédiaire. L’identification du signe portée par l’image est facilitée par sa légende. Or, le terme hypoicône, - hypo, « inférieur », « en dessous » -, définit une image inférieure au signe, c’està-dire une image qui ne s’identifie pas à un sens défini. L’hypoicône libérée des signes, permet à l’observateur d’associer l’image à son interprétation personnelle, ainsi de lui attribuer un sens singulier. L’image comme signifiant -sa matérialité physique- persiste mais le signifié -son concept- devient ouvert. Image forte
De même que l’image contient un signe amenant à un concept, l’objet ou l’architecture suit la même trajectoire. Dans cette filiation sémiologique, les architectes se sont interrogés sur l’existence de formes échappant aux signes. Avec La Forme Forte, une architecture en deçà des signes57, Martin Steinmann pose la question du signe compris dans la forme. Il déconstruit les effets de la forme sur notre perception, en explorant des formes simples ou primaires. Se produit une double lecture : d’abord une lecture immédiate, la « simplicité » de ces formes fait naître en nous l’existence de la forme en tant qu’elle-même, puis une lecture médiate - socialisé- dans laquelle on perçoit la forme au travers des codes que la société assimile à ces formes. La forme propose simultanément une expérience sensorielle puis socio-culturelle. Comme le rappelle Roland Barthes : « Dès qu’il y a une société, tout usage se transforme en signe de cet usage. »58. Les formes échappent difficilement aux signes auxquels elles sont as-
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sociées culturellement. Néanmoins, la puissance de ces formes primaires permettent aux signifiants de ne pas se fixer à un seul signifié mais de proposer la lecture d’une « oeuvre ouverte ». Les propriétés de ces formes sont si généralistes qu’elles ne permettent pas une lecture orientée trop directe de leur signification mais de les appréhender en tant qu’elle-même. Ces formes sont à opposer aux « formes codées », dont leur signification dépend d’un ordre social. Elles présentent au contraire un aspect plus « naturel » afin que même un spectateur ne disposant pas des codes d’appréciation de sa signification puisse l’appréhender. Ces formes sont qualifiées de « formes fortes » par Martin Steinmann. On retrouve ce concept chez le sculpteur Brancusi qui, lui, parle de « forme essentielle ». On pourrait transposer aisément cette théorie dans l’iconographie de référence en proposant le terme « image forte ». L’image d’atlas présente une forte capacité sensuelle vis-à-vis de l’architecte, au détriment d’un ensemble de codes socio-culturels prédéfinis. En effet, ce qui nous intéresse dans ces recherches est le pouvoir évocateur des images, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas enfermées dans une lecture univoque. C’est souvent pour cela que l’identification des images d’atlas iconographiques d’architectes n’est pas évidente. Les atlas présentent rarement des projets reconnus faisant l’unanimité dans la culture architecturale. En choisissant des images fortes, l’architecte se libère des images codifiées par la culture architecturale et s’octroie la possibilité de trouver des signes singuliers grâce à des images plus intimes. Prenons un exemple archétypal. À la vue d’une photographie de la Villa Savoye du Corbusier, la lecture de l’image aura tendance à renvoyer l’architecte aux théories du mouvement moderne oubliant la Villa Savoye elle-même. Les signifiés deviennent trop bruyants. Le bruit des signifiés recouvre l’image, pour ne proposer à l’observateur que les concepts qu’elle véhicule. Le risque engendré par la connotation d’une image est la superficialité de lecture que cette dernière propose. L’observateur risquerait de se limiter uniquement à l’identification des conventions, ne cherchant pas la découverte de signes plus intimes. Dans l’image bruyante le signifié se substitue alors au signifiant. En contre-exemple, il est difficile d’identifier le concept associé à une photographie
Effets, autobiographie Dénotation-connation
présentant un mets sur la table de cuisine de la famille d’Olgiati. L’image, ici, devient silencieuse puisqu’aucun signe n’est évident à identifier du fait du caractère personnel de la prise de vue. Avec une certaine forme d’anonymat les images d’atlas permettent à l’architecte de s’y projeter. Chacun est libre d’identifier un sens nouveau à sa lecture. Dans cet iconographie le signifiant peut renvoyer à une multitude de signifiés. La lecture des atlas iconographiques peut être décourageante car a priori très élitiste, ou trop autobiographique. Ces atlas ne sont pas régis par à un langage codifié, tout en aspirant paradoxalement à être accessible de tous. Pourtant ce n’est pas tant l’identification de l’image mais la méthode de sélection d’images fortes, qui importe. La valeur de l’atlas iconographique réside dans l’identification d’un sens fort, personnel, à la vue d’une image forte plus que le concept universel qu’une image semble contenir. Car l’image ne veut rien c’est celui qui la regarde qui la révèle, voilà, la leçon des atlas iconographiques des architectes. À travers l’image de l’atlas, l’architecte interroge la question du signe. Le signe n’est plus désormais associé à un concept prédéfini par des conventions, mais peut être directement lié à la mémoire de l’individu. On assiste alors à une véritable ouverture de champ d’interprétations. Effets, autobiographie Voir, dénotation-connotation L’architecte entretient une relation intime aux images qu’il choisit de placer dans son atlas. On l’a vu, la lecture d’une image dépasse son caractère littéral, elle est enrichie par les connotations que lui attribue l’observateur. La connotation permet de faire exister l’image au-delà de ce qu’elle montre grâce à son caractère évocateur. Un ensemble d’éléments de sens s’ajoute à celui littéral, l’image devient plus parlante. La connotation des images est parfois régit par un certain nombre de codes socio-culturelles. L’origine même de la création d’une image vient de sa capacité à évoquer un concept religieux, social, culturel, etc. Mais si les clés de lecture sont évidentes à une certaine
Image 6. Au-delà de la mise au point le modernisme persiste.
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‘‘ Mais on ne regarde pas de la même façon une Vierge que l’on prie, la statue d’une Vierge que l’on admire en tant que personnage, et celle d’une Vierge que l’on admire en tant que tableau. ’’ 59
Effets, autobiographie Dénotation-connation 59. MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.226. 60. « […] une telle métamorphose, qui n’appartient point au domaine de la vision, mais de l’attention, et d’une sorte de projection sur l’œuvre qui mène le spectateur à y reconnaitre ce qu’il attend, fétiche ou statue. ». Ibid. p.226
époque, les valeurs et les codes changent. Le sens originel de l’image se retrouve perdu, une fois inscrit dans un nouveau contexte. L’image est une construction socio-culturelle. Ainsi, une même image à travers différents contextes peut prendre des valeurs totalement différentes. André Malraux parle de métamorphose de l’image. Pour illustrer son propos, l’essayiste démontre qu’une même image, ici celle de la Vierge, induit différents comportements de l’observateur suivant le contexte dans lequel elle est placée, et quel sens ce dernier lui donne60. Cette métamorphose n’est pas physique mais d’ordre significative, l’œuvre est transformée dans sa nature. La dimension sacrée disparaît. L’objet existe en tant que tel libéré de ces symboles de façon autonome et peut ainsi prendre place dans l’atlas. La valeur de l’image se crée dans le regard du spectateur, dans sa reconnaissance en tant que tel. En s’appuyant sur Michel-Ange, Malraux décrit le rapport qu’une œuvre d’art entretient avec son spectateur. L’œuvre doit être si puissante dans son expression physique, qu’elle doit pousser -même si on ne connaît pas les codes qui ont mené à son érection et à ce qu’elle porte en elle- à l’admiration pour l’œuvre elle-même. La forme existe indépendamment de la signification d’origine qu’elle porte, faisant exister la forme comme chef-d’œuvre au-delà même de connaître le langage de sa signification. Orpheline de sa divinité ou des signes originaux qu’elle portait, il en reste néanmoins qu’elles exercent un effet sur nous généré par sa nature même. La présence de ces œuvres peut être perçue indépendamment de la connaissance nécessaire pour les apprécier. En cela, ces images transposées dans l’atlas iconographique échappent à la mort, libérées de leur époque et des connotations. Elles continuent de vivre, métamorphosées, dans un statut nouveau. Toutes ces œuvres du Musée Imaginaire existent par leur présence en nous, sur nous, indépendamment de leur argument d’érection. La métamorphose que décrit André Malraux reste essentiellement fondée sur des signes culturels. La relecture des œuvres, permise par le transfert contextuel, se fait toujours grâce à un ensemble de codes culturels. Or, Olgiati propose un épaississement de la lecture de l’image
ales.
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Casa Tanikawa, Kazuo Shinohara. Japón, 1958 Tanikawa House, Kazuo Shinohara, Japan, 1958
Palazzo dei Priori, Volterra, Italia Palazzo dei Priori, Volterra, Italy
Palazzo Odescalchi, lago de Como, Italia. Grabado en cobre Este cuadro ha colgado al nivel de la cabecera de mi cama durante 45 años. Palazzo Odescalchi, Lake Como, Italy. Copper engraving This picture has hung exactly at head level near Valerio Olgiati’s cot for 45 years.
fig.15. Briquet et fils, Villa Tanzi sur le lac de Côme, (s.d.).
Effets, autobiographie La latence des images 61. « It is precisely in this space of the images’ subjectivity, in what remains open, that appropriation is permitted, the personalization of its meaning. ». BANDEIRA Pedro, « Everything is architecture », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.15. 62. « The illustrations on the following pages are important images stored in my head. When I design or invent a building they are always hovering somewhere above me. These are the basis of my projects. They are with me when I sit gazing at the ‘white sheet of paper’, so to speak. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 19962011 », El Croquis, n°156, 2011, p.6.
en favorisant une signification personnelle, dépassant une codification uniquement culturelle. La métamorphose des signes ne conduit pas à une perte de sens mais induit une valeur ajoutée. La perte de signification du signe original ne trahit pas pour autant le signifiant, il l’augmente d’une nouvelle richesse de sens61. Les images d’atlas sont moins associées aux codifications culturelles qu’aux expériences personnelles de l’architecte. Le nom, Autobiographie Iconographique, explicite parfaitement la dimension intime de l’atlas. Le terme d’autobiographie témoigne de l’importance que revêtent quelques images dans la vie de l’architecte. La signification intime des images est trahie par la légende en italique écrit par Valério Olgiati lui-même. Ces phrases scellent le lien entre l’image et l’expérience personnelle. Grâce à elles, on comprend ce que l’architecte percoit à travers l’image. En ce sens, l’image existe dans l’atlas parce qu’elle a cette capacité à évoquer un souvenir chez l’architecte. On peut lire par exemple « Cette photo a été accrochée exactement au niveau de la tête près du lit de Valerio Olgiati pendant quarante-cinq ans. ». L’image présente la Villa Tanzi sur le lac de Côme. La valeur que porte l’architecte à l’image ne peut être lue à travers les signes présents dans la gravure, mais elle est associée à une histoire personnelle. On peut spéculer, du fait du temps d’exposition de l’architecte à cette gravure, qu’elle a laissé en lui une impression forte, à laquelle il revient nécessairement souvent. Certaines images ne sont pas accompagnées d’une citation de l’architecte. Il explique que ces images laissent, néanmoins, une forte impression qu’il ne sait encore déchiffrer. Le choix de ces images pour l’Autobiographie Iconographique est motivé par leur continuel présence lors de sa pratique62. La latence des images L’ «image forte» est la possibilité d’une image à libérer une expérience passée, par une expression plastique. Une fois libérée l’expérience s’associe à l’image et l’architecte peut retourner à l’image. À l’instar des engrammes de Warburg, ce qui nous intéresse, ici c’est la capacité d’une image à retrouver une expérience assimilée.
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‘‘ La référence majeure est certainement L’Autobiographie scientifique de Max Planck. Dans ce livre, Max Planck - revenant sur les découvertes de la physique moderne - évoque l’impression que lui laissa l’énoncé du principe de conservation de l’énergie. Ce souvenir restait définitivement lié pour lui à l’histoire, racontée par son professeur M.Muller, de ce maçon qui, dans un violent effort, soulève un bloc de pierre jusqu’au toit d’une maison. Il avait été frappé par le fait que l’énergie dépensée ne se perdait pas mais restait emmagasinée pendant de nombreuses années, sans aucune déperdition - latente dans le bloc de pierre - jusqu’au jour où le bloc de pierre se détachait du toit, tombait sur la tête d’un passant et le tuait. […] En réalité le principe de conservation de l’énergie se confond dans chaque artiste et technicien […]. ’’ 63
Effets, autobiographie La latence des images 63. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.10. 64. « Remembrance of the past casts a long shadow, indelible from the present. ». LOPES Diego Seixas, « Amarcord : Anology and architecture », dans BANDEIRA Pedro, TAVARES André, Floating images, Zürich, Lars Müller, 2012, p.138. 65. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.10. 66. « Toutefois pour comprendre et expliquer mon architecture, il me faut parcourir à nouveau les évènements et les impressions; les décrire ou trouver un moyen de les décrire. ». Ibid. p.9.
L’architecte entretient une très forte relation avec son iconographie. Il est à la fois le conservateur, parfois l’auteur et aussi l’observateur de ses images. Certaines sont issues de sa vie personnelle. Elles l’accompagnent dans sa vie de praticien, oriente sa perception de la discipline. On le comprend, l’atlas dépasse le plaisir esthétique mais fonde l’éthique de l’architecte. La sélection des images est un processus laborieux durant lequel Olgiati va essayer d’extraire parmi un corpus dense, uniquement des images à fort pouvoir évocateur. Ces images s’ancrent dans l’épaisseur de la mémoire de l’architecte. Ainsi, il ne cesse de revenir vers elles. En réalité, les images d’atlas permettent chez l’architecte de rappeler dans le présent une expérience passée64. On peut légitimement parler d’images fortes pour leur capacité à libérer un retour au passé. L’image a la capacité de plier la narration temporelle et de faire exister, avec une forte présence, une expérience du passé dans le temps présent, en omettant l’histoire entre les deux temporalités. C’est ce que l’on appelle la latence des choses. C’est la qualité d’une propriété dissimulée et amenée à apparaître ultérieurement. Ce qui nous intéresse ici, c’est le pouvoir libérateur d’une image. L’architecte reconnaît alors un signe dans l’image qui le renvoie à une idée qui a toujours été là mais qu’il n’a pas su saisir. La vue d’une image apparaît comme un révélateur et l’idée peut se fixer et prendre forme. Aldo Rossi dans son Autobiographie Scientifique fait référence à l’anecdote lorsque Max Planck se voit expliquer l’énoncé du principe de conservation d’énergie par son professeur. À la fin de la citation, Rossi écrit « En réalité le principe de conservation de l’énergie se confond dans chaque artiste et technicien […] »65. Une fois une expérience insufflée dans la mémoire de l’architecte, celle-ci reste suspendue, flottante, relativement insaisissable en attendant le moment d’être révélée. Cette suspension de l’expérience peut être libérée à un moment inattendu. Rossi explique que l’idée derrière un projet est déjà en nous, assimilée antérieurement66. La force du passé est mise en suspens jusque dans le présent et attend simplement d’être libérée. Si la libération d’un souvenir ou d’une idée survient généralement au hasard, certains objets, notamment des images, peuvent aider à la libération de ces idées.
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fig.16. Natalija Subotincic, Plan de la salle de consultation et de la salle de travail de Freud, 2014.
Effets, autobiographie La latence des images 67. BARTHES Roland, La chambre claire, Paris, Gallimard, 1980. 68. MAROT Sébastien, L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Paris, Éditions de la Vilette, 2010. 69. FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.119. 70. Ibid. p.119.
Pour libérer une expérience chez l’observateur, l’image doit comporter en elle un signe fort. Celui-ci est le déclencheur chez l’architecte de l’association à un souvenir. Roland Barthes dans La Chambre Claire67 s’interroge sur l’essence de la photographie qui la distinguerait des autres médiums. L’essayiste distingue deux effets d’une photographie sur l’observateur. D’abord le studium décrit les caractéristiques structurelles de l’image : sa forme, sa composition, son sujet. Puis le punctum définit la capacité de la photographie à « piquer » l’observateur. Barthes définit l’essence de la photographie par son punctum. Le terme latin évoque l’idée d’une piqûre, d’un petit trou, d’une coupure. Lorsque le punctum survient, il fait naître chez l’observateur une émotion particulière. À la vue d’un signe singulier dans la photographie, l’observateur projette un petit peu de lui-même dans l’image. Il s’identifie parce qu’il y trouve une signification particulière, intime. Ce concept de punctum se transpose dans les motivations des choix des « images fortes». Il est légitime d’appliquer ce concept à l’Autobiographie Iconographique. En effet le corpus présente les mêmes composantes permettant l’avènement du punctum chez l’architecte. Ce phénomène est la raison même du choix d’une image plutôt qu’une autre. C’est-àdire qu’elle possède en elle un fort pouvoir évocateur, elle libère une pensée, une idée personnelle, elle laisse chez l’architecte un effet permanent. La vertu évocatrice des images est reconnue et utilisée par les architectes. Même s’ils n’ont pas tous formalisé un atlas iconographique les concepteurs ont recours à des objets-images pour faire naître une idée. Le psychanalyste Sigmund Freud avait recours à cette méthode pour ses patients. Dans son cabinet viennois on retrouve une collection de petits objets qui avaient pour but de libérer « [...] les sentiments passés conservés dans le psychique»68 du patient. Dans la discipline architecturale Jean Nouvel cherche « l’image qui déclenche »69, tandis que Le Corbusier avait;disposé sur son bureau un ensemble « d’objets à réaction poétique »70. Ainsi la collection iconographique pourrait s’inscrire dans cette filiation d’ « images fortes » permettant d’évoquer chez l’architecte une idée intime. On va chercher dans ce qui existe le punctum pour libérer une image latente. En elles, les concepteurs vont trouver une signification particulière à exploiter dans leur pratique.
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fig.17. Joseph Gandy, Perspective of various designs for public and private buildings executed by John Soane between 1780 and 1815, shown as if they were models in a gallery, 1818
Sujets, herméneutique L’image herméneutique 71. « [...] le musée était une affirmation, le Musée Imaginaire est une interrogation. ». MALRAUX André, Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, 2016, p.176. 72. « L’image de référence, évaluée à l’aune de la contemplation compromise comme une tradition visuelle, se révèle un puissant et subtil outil de projet. Elle s’impose, entre herméneutique et hermétisme, comme révélateur et « clef » du projet ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.81.
Sujets, herméneutique et heuristique L’image herméneutique L’image de l’atlas est choisie, ainsi, pour sa capacité évocatrice, tant à travers son signifiant que son signifié. Le statut singulier que revêt une image dans l’atlas iconographique est justement souligné par André Malraux71. L’atlas entraîne chez l’observateur un processus intellectuel d’interprétation de l’image interrogeant les potentiels sujets contenus dans celle-ci. Parce qu’elle est observée dans un contexte particulier, on aura tendance à l’interroger. Tandis que dans un musée conventionnel, l’observateur se placera dans un contexte pédagogique et sera plus à même d’écouter l’image plus que de la questionner. Alors, on peut parler dans le cadre de l’Autobiographie Iconographique de lecture de l’image. Une fois l’attrait sensoriel dépassé, l’architecte engage un questionnement avec luimême sur pourquoi l’image fait naître en lui cette tension72. De l’attrait naît l’intérêt, l’image prend de l’épaisseur. L’architecte cherche dans les signes de l’image une piste de réflexion, essayant de se frayer un chemin pour trouver son propre point de vue. Au-delà d’un caractère évocateur ou inspirant, l’image engage un processus herméneutique. L’architecte devient alors moins concepteur qu’interprète. L’un des enjeux principaux est la capacité de l’architecte à interpréter les signes qui l’entourent pour nourrir la réflexion sur sa discipline. On cherche à découvrir par l’interprétation. L’herméneutique est étymologiquement définie comme l’art d’interpréter -hermeneutikós-, plus spécifiquement cela concerne l’interprétation de textes nécessitant une explication, notamment les textes sacrés. Si les fondements de sa définition se situent dans le cadre religieux, la méthode d’interprétation est tout aussi légitime dans le cadre iconographique. On l’a vu précédemment, la qualité des images choisies dans l’atlas d’Olgiati réside dans les signes ouverts, c’est-à-dire qu’elles ont la capacité de présenter des signes renvoyant à plusieurs signifiés. Ainsi, il existe autant de signifiés que de pistes de réflexion à la vue d’une même image. L’architecte doit alors se positionner vis-à-vis des signifiés et ainsi déterminer à partir de quel point de vue il choisit de se placer. La construction du sens à la vue d’une image s’explique par un aller-retour
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‘‘ L’architecture, ce sont les architectures.’’ 74
Sujets, herméneutique L’image herméneutique 73. « Quand nous nous occupons des choses, nous nous occupons de nous-même. ». Ibid. p.14. 74. ROSSI Aldo cité par STEINMANN Martin, « À propos d’une discussion sur le réalisme en architecture », dans STEINMANN Martin, Forme forte, Écrits 1972-2002, Basel, Birkhäuser, 2003, p.144. 75. « Le terme de biographies partagées gagne son sens; il signifie les architectures que nous partagions dans nos entretiens, pas seulement les architectures d’Aldo Rossi, les livres, les films, les tableaux, les chansons… en un mot toutes les choses qui pouvaient être matériau de notre penser architectural. ». STEINMANN Martin, « Biographies partagées », dans GUBLER Jacques, BIANCHI Edith, Aldo Rossi Autobiographies partagée, Lausanne, EPFL Press, 2000, p.12. 76. « Je me suis aperçu que j’avais simplement raconté à travers mes architectures comme dans mes écrits les impressions laissées par certains matins où je lisais les journaux dans la grande Lichthof de l’université de Zurich. ». ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.22. 77. « Les tableaux d’Angelo Morbelli […] je les contemplais fasciné, sans savoir les juger. Je m’y référais alors comme un moyen d’expression plastique et symbolique pour ce projet. ». Ibid. p.28.
entre les signes extérieurs -ceux présents dans l’imageet les signes intérieurs -l’autobiographie de l’architecte-73. Graduellement, l’architecte va dégager d’une image universelle une interprétation personnelle. Ce sens singulier devient l’origine du discours du projet, l’idée de celui-ci. Cette capacité singulière à interpréter amène les architectes à trouver des sujets d’architecture dans une étendue d’images diverses, comme en témoigne la citation d’Aldo Rossi : « Le architetture sono l’archittetura. [L’architecture ce sont les architectures.] »74.Ce sont les images, les livres, les discussions qui transparaissent à travers le terme architectures. Pour l’architecte lombard, les architectures représentent toutes les choses qui nourrissent son architecture. Martin Steinmann parle du matériau du penser architectural75. Rossi, lorsqu’il écrit l’Autobiographie scientifique, revient sur l’ensemble des choses, des expériences qui ont pu influencer ses projets qu’il porte encore en lui. Rétroactivement, il se questionne sur l’identification des architectures qui transparaissent dans ses projets. Les choses revêtent pour lui une signification, influant consciemment ou inconsciemment sur sa conception architecturale. Certains signes d’images, de choses ou d’expérience sont captés, puis interprétés et ainsi prennent une signification nouvelle transposée au projet. Aldo Rossi, rétrospectivement, analyse l’effet de certaines expériences ayant influencé le dessin de certains projets. Notamment, il explique l’impression qu’a laissé en lui la lumière de la Lichthof de l’université de Zurich lorsqu’il était enseignant à l’ETHZ et cette même impression se retrouvera retranscrite dans plusieurs de ses projets76. Si ce cas fait référence à une expérience vécue, il explique, dans d’autres exemples, l’importance que certaines images ont laissé en lui. L’architecte est marqué par des tableaux comme ceux d’Edward Hopper ou ceux d’Angelo Morbelli. Avec ce dernier, il explique avoir été frappé par la lumière entrant dans l’église. Ces projets s’affaireront à essayer de retrouver cette lumière77. La lumière est le signe. Ce signe ne subit qu’un transfert de la halle de l’école polytechnique de Zurich au projet. La conception selon Rossi est plus une histoire de longue enquête à la recherche d’indices de référents plutôt qu’une histoire d’inventions. L’architecte s’évertue à trouver en lui les signes opérants du projet.
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fig.18. Heinrich Helfenstein, Lichtof, The University of Zürich, 1981.
Sujets, herméneutique L’image heuristique 78. HOLLEIN Hans, « Bau », Architektur und Städtebau, n°23, 1968. 79. « […] des images aux pouvoirs dionysiaques, maïeutiques ou heuristiques : dionysiaques, parce qu’elles sont « propres à l’inspiration, à l’enthousiasme » ; maïeutiques, parce qu’elles suscitent la réflexion intellectuelle ; heuristiques, parce qu’elles servent la recherche et la découverte. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.21. 80. « [Georges Didi-Huberman] considère l’image comme acte et comme processus heuristique et non comme un simple objet esthétique. Dans cette optique, nous pouvons réaffirmer que l’Autobiographie iconographique d’Olgiati se pose comme un élément essentiel au développement de sa pratique puisqu’elle devient, en plus d’une connaissance opératoire au développement d’un projet, un objet puissant de réflexion et de remis en cause. ». NADEAU Vincent, « L’Autobiographie iconographique de Valerio Olgiati, ou la transcendance du référent en architecture », février 2016. Récupéré le 26 janvier 2020 de : https://issuu. com/vincent_nadeau/docs/olgiati_et_la_r__f__rence_mod
Rossi n’avait pas théorisé l’idée d’un atlas d’autobiographie iconographique pourtant son ouvrage Autobiographie Scientifique suit une méthode similaire, avant-gardiste. La description patiente des choses revèle une recherche de significations dans l’aller-retour entre expérience et projet. On peut spéculer sur l’influence de la leçon d’Aldo Rossi sur la pratique architecturale de Valério Olgiati et la conception d’un atlas d’images. Le titre, d’ailleurs, semble être une référence évidente à l’ouvrage de l’architecte milanais. Ainsi le projet se trouverait dans les signes, les images de l’atlas auraient la capacité de porter des signes opérants pour le projet. Avant Rossi, dans une même logique méthodologique, Hans Hollein rappelait « Alles ist Architectkur »78 faisant de l’architecture un sujet inscrit toutes choses. L’image heuristique L’interprétation des signes des images de références mène à la découverte de l’idée de projet. Cette qualité est définie dans le pouvoir heuristique des images d’atlas79. La définition de l’heuristique conjugue l’art d’inventer et celui de faire des découvertes. Heurískô en grec ancien signifie « trouver ». Alors qu’inventer amène l’idée de la création, de l’inédit, découvrir renvoie à l’idée de lever le voile sur quelque chose de déjà présent. L’image heuristique fait écho à la posture d’Aldo Rossi. Dans notre cas d’étude, il est intéressant de remarquer que la conception architecturale réside dans sa capacité à trouver l’idée dans ce qui existe d’ores et déjà. Olgiati utilise les images de références comme interrogation afin de soulever des idées questionnant sa pratique. L’atlas s’impose comme un répertoire de sujets architectoniques dans lequel l’architecte puise pour trouver des pistes de conceptions. L’image dépasse son caractère superficiel de satisfaction esthétique pour devenir une impulsion intellectuelle et ainsi nourrir le processus de conception80. Comment l’image peut-elle faire projet? Le dénominateur commun aux images d’atlas réside dans leur capacité à contenir un ou des signes amenant l’architecte à être opératif. L’image émeut, questionne puis pousse à agir en tant qu’architecte, c’est-à-dire pousse à la conception du projet. Le signe iconogrpahique prend ici
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‘‘ Les dessins d’architecture […] sont peut-être sans importance, néanmoins le projet luimême représentait la volonté de ne plus dessiner l’architecture mais de l’extraire des choses elles-mêmes et de la mémoire.’’ 83
Vers le projet Agentivité de l’image 81. « Pour l’architecte, l’interprétation a pour objectif et conséquence la transposition et le transfert des signes et des images dans son projet qui se constitue dans la coalescence entre ses aspirations intimes et les données venues de l’extérieur. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.79. 82. « L’interprétation serait donc le déplacement du signe initial vers un sens investi c’està-dire opératif […] ». Ibid. p.75. 83. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.86.
une valeur fondamentale dans l’exercice de l’architecture. Il n’amène pas l’architecte à simplement se questionner, il permet le pont entre la référence et le projet d’architecture. Comme nous l’explique Anne Frémy l’architecte est à la recherche d’un signe à transférer81. L’image n’est donc pas passive mais les signes qu’elle comporte amènent directement la projection82. De sujet il devient projet. Vers le projet Agentivité de l’image
La suggestion de passer à l’acte architectural à la vue d’une image trouve sa définition dans l’agentivité. L’agentivité d’une image, c’est sa capacité d’agir sur le monde, les choses ou les êtres, à les transformer ou les influencer. L’architecte se laisse influencer par l’image afin de la réinterpréter dans le projet. Anne Frémy parle de mémoire opérationnelle. Une mémoire prête à rentrer en action, celle du projet, dont le déclencheur se trouve dans l’image agente. On pourrait s’aventurer à affirmer que le projet se trouve contenu dans l’image, image et projet se confondent. Lorsque l’architecte écrit que l’architecture pourrait ne plus être dessinée mais extraite des choses, alors le terme iconographie prend toute sa justesse. Le projet peut s’écrire -graphía- avec les images -eikon-. Mieux il est contenu dans les choses, dans ce que Rossi appelle les « architectures ». La conception est ce moment de suspens entre l’image agente et le projet en devenir. Le projet n’est pas défini dans son architectonique mais pourtant il est déjà présent dans l’image. Il s’agit de déterminer ce qui, dans l’image, permet à l’architecte de prévoir le projet. Transfert de signes
Concrètement, comment l’architecte investit-il l’image dans le projet ? En deça de l’image, le signe est l’outil subtil du projet. Il peut s’utiliser comme pont contextuel entre l’image de référence et la situation de projet. Un signe d’une image peut signifier une idée de projet chez un architecte, tandis que chez un autre ce signe peut être oublié. Sa valeur sera attribuée à sa capacité à faire écho à un souvenir, à la mémoire de l’architecte et à proposer l’idée de projet. Le signe est malléable. Ainsi, il est légitime
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fig.19. Valério Olgiati, Paving in front of the Taj Mahal, (s.d.). fig.20. Valério Olgiati, Learning Centre, 2004. fig.21. Valério Olgiati, Swiss medical centre, 2005.
Vers le projet Transferts de signes 84. « […], l’image est censée accomplir une performance, entre esthétique et opérationnalité, qui produira un effet sur le projet. Ses performances iconiques dépendent de son agentivité, c’est-à-dire de sa capacité à susciter réactions et réponses : ces images doivent « taper dans l’œil » et « sauter aux yeux » pour prétendre faire du corpus de l’architecte un théâtre de la mémoire opérationnel. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.119. 85. « L’image de référence est à la fois transposition et transfert : elle favorise la mobilité, le déplacement et le réinvestissement des concepts en même temps que l’actualisation des formes et des sentiments dans d’autres contextes, parions très éloignés dans le temps et dans l’espace. ». FREMY Anne, L’image édifiante. Le rôle des images de référence en architecture, Thèse de doctorat en architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles, 2016, p.81.
d’emprunter une image issue d’un contexte très éloigné de l’architecte pour concevoir, comme le prouve l’étendue contextuelle de l’Autobiographie Iconographique. La conception du projet se définit alors comme le transfert d’une référence dans un contexte nouveau, celui du projet. Le signe devient le sujet du projet. C’est par lui que l’architecte réinvestit le concept d’une image en projet. Le signe n’est que le transfert des concepts. Un concept spécifique est défini dans un certain contexte. Le signe, transféré dans un autre contexte prend une signification nouvelle, tout en conservant la même structure84. L’architecte emprunte un signe de référence, l’investit pour en faire projet et une fois livré au projet le signe peut être réinvesti par un observateur, pouvant être l’architecte lui-même. L’histoire de l’architecture se lit comme une série d’emprunts, de citations, de métamorphoses de l’image au projet, du projet à l’image d’un autre projet. L’histoire de l’architecture serait moins une suite de césures périodiques qu’un continuum narratif lu à travers les filiations entre les projets. Cette thèse permettrait de déconstruire le processus de conception comme un phénomène anhistorique, inspiré, et aréférentiel comme auraient voulu le démontrer les Modernes. Il est possible d’identifier la filiation des signes entre l’iconographie des architectes et leur projet. Certains sont identifiés par des signes formels, d’autres conceptuels. En cela, il est plus ou moins évident de les identifier. En mettant en parallèle la production architecturale de Valério Olgiati et son Autobiographie Iconographique, on peut spéculer sur le réinvestissement de certains signes forts. Prenons la photographie du revêtement de sol à l’entrée du Taj Mahal. L’image est accompagnée d’une légende « I see individual slab or combinaison of slabs. At least five figures. At some point all I can do is think. ». La photographie détaille les pavements hexagonaux et leur calepinage. La disposition géométrique amène à proposer plusieurs figures. Ce qui intrigue l’architecte dans l’image, c’est l’idée que l’architecture doit pousser l’observateur à s’investir intellectuellement85. L’architecture, selon Olgiati, doit susciter chez l’observateur la curiosité émotionnelle et la réflexion intellectuelle. Le signe fort dans l’image est la géométrie et le calepinage. Indépendamment des entrées extra-architecturales de contexte, Olgiati lit l’image pour sa
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Vers le projet Transferts de signes 86. « When there is now a presence of something that has a figurative character in my project, I believe that people are more willing to let the building affect them and, reciprocally engage them with the building intellectually on a more complex realm. I aim for an intellectual engagement of the occupants with my buildings. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.22.
valeur architectonique. En cela, il peut réinvestir le signe dans sa pratique. Dans sa proposition pour le concours du Learning Centre de l’EPFL, le praticien présente une image de synthèse du foyer. On retrouve sur le sol le transfert littéral des hexagones et de leur mise en oeuvre. Au-delà de la qualité esthétique superficielle, Olgiati, grâce au transfert de la figure géométrique du sol, renvoie au signifié suggèrant à l’observateur de composer mentalement avec l’architecture.86 Si cet exemple témoigne d’un transfert littéral, Olgiati repropose les signes de l’Autobiographie Iconographique plus subtilement dans sa monographie. On retrouve une photographie d’objets stockés dans l’étable de la famille Olgiati. Son père, Rudolf Olgiati, architecte, s’évertuait à conserver des objets, mobiliers, menuiseries de bâtiment qui s’apprêtaient à être démolis. Il conservait avec eux, au-delà de valeurs conservatrices, des spécificités culturelles. Valério Olgiati témoigne d’une éducation liée à la conservation de traditions. Pourtant, sa formation architecturale et sa pratique l’ont amené à théoriser et produire une architecture qui tend à se détacher des référents ou des traditions. Cette image transparaît particulièrement comme thématique dans sa production. Il lutte pour concevoir une architecture non-référentielle, mais se retrouve toujours face au paradoxe d’une conception imprégnée de références, notamment culturelles ou autobiographiques. L’image résonne sur pratiquement l’ensemble de sa production architecturale. On retrouve la question de la tradition posée avec le projet de restauration de la Gelbes Haus d’abord initié par son père. Valério Olgiati reprendra le projet, après la mort de son père, et proposera alors un dessin radicalement différent. L’architecte donne une expression la plus architectonique et la plus autonome possible à l’édifice. Le plâtre en façade est dégradé pour ne conserver que la structure du mur, les menuiseries sont au nu intérieur dans l’épaisseur de la façade, l’ensemble est peint avec un blanc abstrait. La maison devient détachée des traditions contextuelles de son édification. L’architecte rompt avec la tradition de son père et avec l’idée même de l’influence des traditions dans la conception architecturale. Dans un autre projet, L’atelier Bardill, Olgiati construit une maison-atelier à l’emplacement d’une ancienne ferme. L’architecte est contraint par les autorités locales de construire un vo-
fig.22. Christian Kerez, Stable on the property of the Olgiati family, 1995. fig.23. Valério Olgiati, Atelier Bardill, 2002-2007.
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Planta de cubiertas / Roof view
Alzado Sur / South elevation Alzado Oeste / West elevation
Vers le projet Transferts de signes
lume identique à l’ancienne bâtisse. S’il respecte la règle administrative, il propose une expression architecturale en rupture avec le village de Scharans. L’édifice présente une matérialité singulière en béton architectonique rouge. D’imposants percements en façade dénotent avec le paysage bâti environnant. Pourtant, on retrouve en façade, une ornementation d’origine vernaculaire. Les rosaces ont été taillées au ciseau à bois dans le coffrage des bétons, les inscrivant dans la structure du bâtiment. Cette étonnante symbolique rappelle le dilemme incessant dans la production d’Olgiati d’échapper aux traditions et aux références en proposant une architecture autonome. Le signe est la question de la tradition dans l’architecture. Ici il n’est que très peu déchiffrable à la vue d’un projet, mais peu se lire grâce à une étude patiente de sa production architecturale et de son autobiographie. Cette riche lecture de transfert de signes entre l’iconographie et le projet peut être trouvée dans l’étendue de la production architecturale olgiatienne. L’architecte de Flims propose plusieurs niveaux de lectures dans les transferts des signes de références au projet, du plus littéral au plus subtil. Il est important de noter également, que l’atlas iconographique est opératif autant pour des projets ponctuels que comme thèmes récurrents dans sa pratique architecturale. Les signes forment alors des ponts de l’image de référence au projet d’architecture. Ainsi, l’Autobiographie Iconographique prouve sa légitimité d’opérabilité au service de la conception du projet. Le signe présent dans l’image devient l’origine du projet ou d’une thématique de conception. L’iconographie permet à l’architecte de prévoir le projet d’architecture avant même sa formalisation. Elle peut l’aider à formuler tant la problématique du projet que sa formalisation architectonique. Pré-voir le projet
Quelques exemples confondent iconographie et architecture dans la formulation d’images hybrides entre référent et projet. Cette tradition peut se retrouver, déjà au XVIIIe siècle avec le thème pictural des capricci. Le maître vénitien Canaletto, consacrera d’abord sa production picturale aux vedute puis s’illustrera dans les capricci. La tradition des vedute s’oriente autour d’une composition précise
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fig.24. Canaletto, Caprice avec édifices palladiens, 17561759.
Vers le projet Pré-voir le projet
de paysages architecturaux réels tandis que les capricci, définis par Giorgio Vasari, voient ces paysages architecturaux contaminés d’ajout fantaisistes du peintre. Comment les capricci pourraient servir de méthode de transfert de signe, du référent à une préfiguration de projet? Intéressons-nous au Capricio Palladiano, œuvre emblématique de la production picturale du Canaletto, dans laquelle il met en scène les vertus des capricci. La composition articule structure concrète et emprunt imaginaire. La scène se situe dans ce qui pourrait s’apparenter à un paysage vénitien. Le canal, les gondoles, les caractéristiques architecturales confirment cette hypothèse. Pourtant, aucun bâtiment n’est issu du paysage bâti de la Cité des Doges. Si ces édifices correspondent aux canons architectoniques de la cité, ils sont empruntés d’ailleurs. L’édifice de droite est le transfert dans la composition de la Basilique de Vicence conçue par Andrea Palladio, tandis que l’édifice de gauche présente lui aussi un édifice issu de Palladio le Palazzo Chiericati, originellement situé à Vicence. Enfin, le centre de la composition illustre le dessin pour le concours du Pont du Rialto par Palladio. L’image propose une étrange familiarité. On reconnaît un paysage vénitien, pourtant ses composantes en sont exogènes. Une conjugaison s’opère entre éléments construits, mais géographiquement déplacés, et élément imaginaire. Si le tableau nous montre un paysage imaginaire, il témoigne pourtant de sa potentialité tangible. Canaletto peint une Venise qui aurait pu exister, une Venise analogue. La structure globale fait écho à la cité au-delà des composantes qui présentent un décalage contextuel. Ainsi le projet du tableau se constitue grâce à un transfert de références, savamment exécuté, proposant une structure cohérente. Le déplacement des signes de références dans un nouveau contexte, permet l’avènement du projet. De cette tradition le peintre italien, Arduino Cantafora, proposera lors de la Triennale de Milan de 1973, la Città Analoga. Le tableau présente une composition d’édifices de références dans la culture architecturale. La composition urbaine s’organise en patte d’oie, les édifices tiennent la rue malgré leur hétérogénéité contextuelle. On identifie le Panthéon de Rome (Ier siècle av J.C.) dans le point de fuite
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‘‘ Le langage des images permet de comprendre ce qui est étranger sans qu’il cesse d’être étranger.’’ 87
Vers le projet Pré-voir le projet 87. SZONDI Peter cité par STEINMANN Martin, « Images », dans STEINMANN Martin, Forme forte, Écrits 19722002, Basel, Birkhäuser, 2003, p.165-172. 88. MIGAYROU Frédéric, La Tendenza. Architectures italiennes 1965-1985, Paris, Editions Centre Pompidou, 2012. 89. « La Citta Analoga serait fondée sur la capacité de l’imagination à naître de la matière même des choses, de leur histoire, et le regard du peintre, l’œuvre de Canaletto en particulier, se présentait comme une méthode fiable et comme un modèle. ». CHUPIN Jean-Pierre, Analogie et théorie en architecture, Lausanne, In Folio, 2010, p.139.
de droite, marquant la rue, l’ensemble de Gallaratese de Rossi (1967), puis la Looshaus viennoise d’Adolf Loos (1911) faisant office de pignon. Sur la partie gauche, on reconnait la Casa del Fascio de Guiseppe Terragni (1936), l’Usine AEG de Peter Behrens (1910). Enfin en toile de fond, on retrouve le plan Hochhausstadt imaginé pour Berlin d’Hilberseimmer (1924), le point de fuite s’achevant sur une ziggourat archétypale imaginaire. Au premier plan de la composition, s’inscrit un projet d’Aldo Rossi, le Monument aux partisans à Segrate (1965). Si la référence de composition fait écho à la Città Ideale d’Urbino attribuée à Piero della Francesca, elle diffère par sa nature. Ici la composition est issue d’une conjugaison d’éléments imaginaires et construits, formant cette étrange familiarité. Tandis que chez Urbino, le tableau met en scène uniquement des édifices imaginaires, conçus par le peintre.Même si ces derniers paraissent plausibles par leur formalisation architecturale, ils ne sont issus d’aucun paysage bâti existant. À la manière de Canaletto, Cantàfora s’applique à composer une ville plausible par la transposition de références architecturales créant une structure cohérente. Le décalage contextuel nous rappelle que ce paysage urbain est imaginaire, pourtant il propose une ville concevable. Aldo Rossi dira de ce tableau que « L’histoire de l’architecture n’est plus un simple répertoire, mais « une série d’objets affectifs mobilisés par la mémoire lors de la conception du projet : comme une méditation des thèmes du passé »88. L’architecte assume de voir la production architecturale comme une reproposition de références. Si la référence à Canaletto89 est assumée par le peintre Cantaforà, on peut soulever une carence, celle de ne pas conjuguer des référents (Palazzo Chiericati) avec des images projetées (Pont du Rialto Palladien). Trois années plus tard, à la Biennale de Venise de 1976, le même Aldo Rossi, accompagné d’une équipe de collaborateurs composée de Bruno Reichlin, Fabio Reinhart et Eraldo Consolascio, expose une production éponyme. Ici, les architectes proposent un collage graphique mêlant références et projets. On retrouve à la fois des compositions urbaines existantes comme le plan de la ville de Côme, des dessins de projets architecturaux non ou partiellement réalisés comme le plan masse du Cimetière de San Cataldo (1971),
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ci-avant : fig.25. Piero della Francesca, La Città ideale, 1475-1480. fig.26. Arduino Cantafora, La Città Analoga, 1973. ci-contre : fig.27. Giovanni Battista Piranesi, Il campo Marzio dell’antica Roma, 1762.
Vers le projet Pré-voir le projet
le Danteum de Terragni (1940), mais aussi des références architecturales, comme le Monument à Ségrate (1965), ou encore des références iconographiques avec la gravure Prison V les reliefs de Lion, issue des Prisons Imaginaires de Piranèse (1778). La composition s’épaissit par les natures et les origines contextuelles des références. Ici encore, la ville proposée devient plausible, plus intellectuelle mais la composition s’intéresse à démontrer la qualité même d’extraire des signes de référence, de les transposer dans un contexte différent et d’en faire un projet architectural par la nouvelle signification qu’ils revêtent. Le collage interroge alors la question de la ville, de la morphologie, de la typologie, de la construction. Ensemble ils proposent une vision de la ville inédite, fragmentée où l’acceptation de la mitoyenneté entre différentes conceptions de la ville est possible. De la ville organique à la ville des modernes, la complexité d’un continuum historique de la lecture de la ville est acceptée. La ville est un ajout de fragments d’idées plutôt qu’une suite de propositions d’idéaux. Ces choix et ces recompositions de références amènent l’architecte à pouvoir affirmer son point de vue sur les débats de la ville post-moderne à l’époque. Le concepteur se positionne par rapport aux référents. En présentant une composition de références, il propose un projet manifeste. L’hybridation de ces créations marque la limite floue entre le projet et les signes de référence. L’image-projet devient alors significative pour l’observateur. Au-delà de ses qualités concrètes ce sont les sujets qu’elle soulève qui font la raison de sa composition. Par ces compositions picturales les peintres et architectes italiens proposent un modèle d’atlas iconographico-architectural. Il est légitime de se questionner alors. Les images de référence proposées de façon objectives, scientifique, dans des atlas restent silencieuses, mais lorsqu’elles sont agencées, composées et mises en scène elles deviennent un projet autonome. À quel moment la référence perd son statut de référence pour être réinvestie et devenir projet ? Une composition de signes existe-t-elle comme une référence ou devient-elle un projet autonome avec ses propres codes ? Opérer un transfert de signe permet de passer de la référence au concept architectural, du sujet au projet.
Image 7. Projet ou composition de référents?
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‘‘ La porte de l’invisible doit être visible. ’’ 90
Vers le projet Pré-voir le projet 90. DAUMAL René, Le Mont Analogue, Paris, Gallimard, 1981, p.18. 91. « It [analogy] emerged as a form of dialectics attempting to bridge the seen and the unseen, the known and the unknowned ». STAFFORD Barbara Maria, Visual Analogy : consciousness as the Art of Connecting, Cambridge, MA, MIT Press, 1999, p.8.
Au-delà des qualités picturales, la leçon à retenir de ces compositions est la méthodologie de conception comme un projet ainsi que le positionnement vis-à-vis de l’histoire de la discipline architecturale qu’elles implicitent. Elles interrogent sur la conception même du projet. Le projet serait-il considéré comme une recomposition de signes empruntés ? Ou alors issu d’une réactualisation d’un signe référent placé dans une nouvelle situation ? Aldo Rossi nous propose de construire le projet avec le familier, l’image-hybride se situe dans un moment de suspension entre la référence et la projection. C’est ce moment de suspens qui nous intéresse dans le rôle que l’Autobiographie Iconographique peut apporter au projet comme une pré-vision du projet. L’architecte, avec l’atlas, peut se munir d’un outil de perception de l’à-venir avec les images du passé. La conception du projet devient l’issue d’un procédé analogique de pensée. L’analogie est cette capacité à proposer un pont entre ce qui est connu et ce qui est inconnu91. Si le projet, comme le prône Aldo Rossi, est constitué de signes de référence, il est pertinent de se questionner sur le procédé analogique comme méthodologie de conception. L’analogie propose de construire une similarité entre une chose connue et une chose inconnue. Si leur structure reste cohérente, les éléments qui la composent peuvent différer. L’Autobiographie Iconogrpahique permet de satisfaire ce procédé. L’architecte peut saisir des signes d’ « images fortes » et les transposer dans l’esquisse du projet. Le projet se situe entre le référent et une projection désirée dans un état de suspension prêt à être libéré, identifié. L’analogie permet ce dialogue entre deux états, du visible à l’invisible.
Image 8. Le suspens analogique.
ANALOGIE, un procédé de conception pour une définition du langage architectural
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‘‘ In the correspondence between Freud and Jung, the latter defines the concept of analogy in the following way : I have explained that « logical » thought is what is expressed in words directed to the outside world in the form of discourse. « Analogical » thought is sensed yet unreal, imagined yet silent : it is not a discourse but rather a meditation on themes of the past, an interior monologue. Logical thought is « thinking in words » Analogical thought is archaic, unexpressed, and practically inexpressible in words. I believe I have found in this definition a different sense of history conceived of not simply as fact, but rather as a series of things, of affective objects to be used by the memory of a design.’’ 92
La pensée analogique L’analogie selon Jung 92. ROSSI Aldo, « An analogical architecture », A + U (Architecture and Urbanism), n°65, 1976, p.74-76. 93. « Le registre iconique est premier; les idées adviennent simultanément dans l’esprit, sous la forme d’une vision, qui les met en relation. Cette mise en relation constitue la pensée, que le registre discursif, dans un processus secondaire, traduit dans l’ordre du langage », en l’occurence architectural. » LOJKINE Stéphane, Diderot une pensée par l’image, cours donnée à l’université de Toulouse-Le Mirail, année 2006-2007.
La pensée analogique L’analogie selon Jung Si l’image est opérante pour l’architecte, on peut s’interroger sur le processus de transfert qui permet de passer d’une image forte au projet. Quel rôle opérationnel joue l’image dans le processus de conception du projet? Les images précèdent le langage selon Diderot93. Elles sont à l’origine de l’imagination chaotique, elles sont la manifestation d’une intuition de pensée. Le raisonnement logique permet d’organiser ces impulsions dans le but d’écrire un discours ordonné. Si les mots ont une capacité à détacher l’architecte des choses parce qu’ils appartiennent au monde de l’abstraction, les images ont tendance à investir l’observateur dans les choses. Une relation plus directe, personnelle, engageante s’installe entre l’architecte et les images. L’iconographie de référence est une forme d’organisation qui permettrait littéralement à l’architecte d’écrire sa pensée avec les images. Par l’association d’images, l’architecte accède à une prévisualisation de son projet. On retrouve une différenciation de définition entre la pensée logique et analogique, dans une lettre de Carl Gustav Jung adressée à Freud92. La pensée logique est décrite comme une pensée verbale. Dans ce cas, la pensée s’organise autour de mots, de signifiants abstraits renvoyant à des signifiés conceptuels. Le mot est à la fois objectif et universel. Ainsi, le discours de la pensée recourt à des signes universels mais résolument abstraits. Pour faire sens, on doit faire preuve de rationalisation, d’organisation des mots pour construire une pensée logique. La pensée analogique, quant à elle, diffère. Jung décrit un procédé beaucoup plus archaïque. La source de la pensée naît d’une réflexion intérieure, autobiographique. Difficilement exprimable par les mots, on pourrait définir la pensée analogique par une pensée par l’image. Dès lors, les concepts sont illustrés par des images fortes, des expériences. L’individu habite les concepts, les contamine dans un monologue intérieur. La pensée analogique de Jung est un système de pensée augmentée de la perception de l’individu sur le monde extérieur. Ainsi l’analogie s’inscrit
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dans un raisonnement inductif. C’est-à-dire que l’individu traduit un concept général à partir d’un point de vue singulier. Si l’analogie est qualifiée, en science, de raisonnement non-rigoureux elle en reste néanmoins riche, dans sa qualité inclusive, puisqu’elle accepte d’habiter les choses qu’elle étudie. C’est d’abord par une lecture autobiographique que l’individu perçoit les choses. La pensée analogique a plus affaire avec le monde sensoriel, perceptible qu’avec celui du raisonnement ou de la logique. Dans cette définition de l’archaïque et de l’inconscient, Aldo Rossi trouve la légitimité à habiter les choses. La mémoire, les images, les souvenirs sont autant légitimes comme ressources au projet que l’histoire. L’autobiographie vient contaminer le dessin du projet. La construction du projet se crée autour d’images, d’expériences, au-delà d’une construction rationnelle autour de mots, d’abstractions. L’image, et au-delà l’image autobiographique, devient alors le matériau du projet architectural94. Raisonnement analogique Ce principe de développement de projet s’inscrit dans la définition de l’analogie comme procédé de conception. Le raisonnement analogique permet de mettre en résonance deux éléments proposant une ressemblance proportionnelle, fondée sur une similitude de rapports entre des réalités différentes. D’origine grec, selon -ana-, ratio -logia-, le terme définit la proportion comme similitude d’une chose à l’autre. L’analogie décrit un rapport de similitude entre les choses, régi par leurs propriétés malgré des différences partielles. Ainsi l’analogie ne permet pas n’importe quelle association d’idées ou de choses du simple fait de leurs ressemblances, elle admet une résonance par un rapport proportionnel entre celles-ci. L’analogie est affaire de correspondances. Le raisonnement analogique s’inscrit dans un raisonnement inductif, c’est-à-dire qu’il se base sur un cas atypique, personnel pour en tirer une conclusion générale. Il se fonde sur une analogie, une association d’idées entre deux situations, permettant d’aboutir à une deuxième situation présentant une même caractéristique que la première. Ce procédé réflexif permet ainsi de raisonner l’inconnu par le connu, l’inédit par l’expérience, l’à-venir par le
La pensée analogique Raisonnement 94. « Le terme de biographies partagées gagne son sens; il signifie les architectures que nous partagions dans nos entretiens, pas seulement les architectures d’Aldo Rossi, les livres, les films, les tableaux, les chansons… en un mot toutes les choses qui pouvaient être matériau de notre penser architectural. Et c’est précisément ce que j’ai appris d’Aldo Rossi: que toutes ces choses pouvaient être matériau. » STEINMANN Martin, « Biographies partagées », dans GUBLER Jacques, BIANCHI Edith, Aldo Rossi Autobiographies partagée, Lausanne, EPFL Press, 2000, p.12.
passé. Les analogies se fondent notamment sur l’image ou la typologie. L’architecte peut se saisir de ce procédé pour pré-voir son projet à partir d’iconographie de référence. L’analogie autorise, par la perception du monde sensible, une préfiguration du monde imaginaire, non encore conçu. C’est pourquoi le discours du projet s’échafaude autour d’images. L’analogie permet, par un système de correspondances, d’enrichir la discipline architecturale. Les architectes ont saisis ce procédé pour échaffauder des démonstrations. Notamment Oswald Matthias Ungers, dans son ouvrage Morphologie: City Metaphors, témoigne des vertus de l’analogie dans sa capacité à faire naître de nouvelles significations entre les choses. L’essai se structure autour de la mise en relation de couple d’images. L’une est placée en vis-à-vis de l’autre, d’une page à l’autre. L’architecte met systématiquement en dialogue une image de plan de ville avec une image empruntée à une iconographie diverse. La différence contextuelle entre les deux images est extrêmement marquée. Les images ne sont pas décrites, ni identifiées. Aucune légende descriptive permet de déchiffrer l’identité du signifiant. Le couple d’images est néanmoins accompagné d’une légende, un mot écrit sous forme bilingue -en anglais sur la page de gauche, en allemand sur celle de droite-. Le mot est commun aux deux images et permet d’identifier la signification extraite de la mise en parallèle des images. Ungers met en parallèle le plan d’une ville fortifiée -assimilable à un plan de Vauban- avec la photographie d’un hérisson recroquevillé sur lui-même. La légende « Protection-Schutz » accompagne le couple d’images. La structure de signe régissant les deux images est similaire. Les deux objets présentent une couronne externe d’une forte épaisseur distincte d’un noyau interne. La composition des fortifications comme celle des épines du hérisson dénote une structure en piques vers l’extérieur. L’épaisseur du noyau central est quasiment similaire à celle de la couronne, dans le cas de la ville fortifiée comme chez l’animal. Ainsi, Ungers propose une lecture entre deux choses présentant une similitude de proportions issues de situations différentes et ayant des différences partielles. La signification de l’idée de protection apparaît ainsi solide. La légende permet de révéler la nouvelle signification extraite
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fig.28. Mathias Ungers Oswald, Morphologie: City Metaphors, 1982.
La pensée analogique Raisonnement 95. « The analogy establishes a similarity, or the existence of some similar principles, between two events which are otherwise completely different. Kant considered the analogy as something indispensable to extend knowledge. In employing the method of analogy it should be possible to develop new concepts and to discover new relationships. ». PATURET Thomas, « Oswald Mathias Ungers, Morphologie: City Metaphors, 1982 », octobre 2017. Récupéré le 06 octobre 2020 de : https:// www.atlasofplaces.com/essays/morphologie-city-metaphors/.
de cette mise en parallèle. Le signe est transféré d’une situation à une autre, tout en restant aussi juste. Ungers précise dans son texte introductif, Designing and Thinking in Images, Metaphors and Analogies, qu’il s’intéresse au pouvoir analogique des images95. Il utilise ces images parce qu’elles proposent une démonstration. Elles sont interprétables en concepts, idées et analogies. Il explore le champ de l’analogie comme un raisonnement amenant à de nouvelles richesses d’interprétation et de conception. C’est une proposition de réflexion architecturale, en plus d’une pratique fondée sur l’analyse de critères mesurables et objectifs. Cette combinaison de raisonnements permet d’augmenter l’exploration de sujets architecturaux. L’ouvrage saisit le procédé analogique comme support de démonstration, témoignant des richesses de croisements et de correspondances que fait naître ce raisonnement. Ici, la lecture est a posteriori, c’est-à-dire qu’on trouve des filiations entre projet-sujet après l’avènement du premier. Le projet pour la ville fortifiée pourrait trouver ses fondements dans le système de protection du hérisson même si l’architecte à l’origine du projet ne s’est pas référé à la structure biologique de l’animal dans sa conception. Il reste que l’analogie entre le projet et le sujet est juste puisqu’elle tire la même caractéristique de la première situation que de la deuxième. La lecture a posteriori cherche les filiations ou les filiations tangibles entre le projet et un objet. Mais le procédé analogique est également pertinent a priori, c’est-à-dire qu’il amène à deviner le projet à la vue d’une image. Le procédé analogique reste le même c’est la temporalité qui diffère. L’analogie met en place une relation de correspondance entre deux choses. Dans le cas d’une démonstration, les choses sont relues à la lumière de l’analogie et de nouvelles significations peuvent être trouvées. Dans le cadre de la conception, l’architecte ne dispose pas de deux situations concrètes. L’image de référence est présente, mais la situation de projet est encore invisible. Pour accéder au projet, l’architecte doit trouver quel pont utiliser entre le connu et le projet, encore inconnu. L’analogie permet la préfiguration du projet parce que, déjà, elle pose des rapports de correspondance solides entre l’image et le projet. Elle indique déjà à l’architecte le cadre de formalisation du
fig.29. Le Corbusier, Vers une architecture, 1923.
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‘‘ L’émergence des relations entre les choses, plus que les choses elles-mêmes instaure toujours de nouvelles significations. ’’96
La pensée analogique Raisonnement 96. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.34. 97. « Pour moi le projet d’architecture s’identifie désormais à cela : il existe une rue à Séville faite de coursives superposées, de passerelles, d’escaliers, de bruits et de silence, qu’il me semble reproduire à chacun de mes dessins. À ce point, la recherche s’est arrêtée; l’objet est devenu l’architecture retrouvée. ». Ibid. p.34
projet, malgré les différences de situations ou de compositions. L’image est opérante puisqu’elle présente un rapport de proportion avec le projet à venir, permettant de l’entrevoir. Mais le signe de l’image qui déterminera la raison du projet n’attend qu’à être identifié dans l’image. Le temps de la conception se lit comme une tension narrative. On sait que les prémices du projet sont déjà présentes dans l’iconographie, mais on ne sait pas encore comment le projet va se formaliser à partir de sa référence. Le dénouement, c’est l’identification d’une signification caractéristique autour de laquelle va se constituer le projet. L’analogie pose le suspense et la libération du projet. Le procédé analogique fait écho à l’anecdote de Max Planck rapportée par Aldo Rossi. Le projet est contenu dans les choses. L’architecte en l’identifiant, va libérer le projet de ses référents. Alors, le fondement de l’analogie étudie moins les objets que l’espace de correspondance entre ceux-ci96. La source du projet se trouve donc dans cet état d’entre deux, dans la possibilité de transposer un signe d’une situation à une autre. Aldo Rossi décrit cette libération du projet avec le concept d’architecture retrouvée.97 Il explique que ses dessins et ses projets proposent souvent la typologie du corral. Les corrals sont des coursives, des balcons présentent dans les maisons des vieux quartiers de Milan. Si l’architecte n’a fait qu’entrevoir dans son enfance milanaise ces espaces, ils laisseront sur lui une influence certaine. Aldo Rossi praticien, ne cessera de proposer la typologie du corral dans ses projets. Lors d’un séjour en Andalousie il retrouve ces typologies de terrasses, de coursives qui accueillent toute la vie des habitants dans les coralles de Séville. La typologie de ces édifices présente les mêmes caractéristiques formelles creusant, dans les façades, d’épaisses terrasses superposées, des passerelles, etc. Cette image lui ramènera à l’esprit l’image des corrals milanaises de son enfance, retrouvant la filiation de cette typologie singulière dans ses dessins et projets. Aldo Rossi dit alors avoir « retrouvé l’architecture ». C’est-à-dire que ses projets étaient déjà contenus dans ses images, ses expériences. Le séjour andalou n’a été que le déclic permettant la libération de la filiation entre le projet et l’image.
Image 9. Analogie architecturale primitive.
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‘‘ Le projet poursuit la trace de ce réseau de liens, de souvenirs, d’images, tout en sachant qu’à la fin il devra choisir telle ou telle solution ; par ailleurs, l’original - vrai ou présumé - ne sera qu’un objet obscur qui s’identifie à la copie.’’ 98
La pensée analogique L’analogie du projet 98. Ibid. p.56. 99. « Aussi ce livre n’est-il sans doute rien d’autre que l’histoire d’un projet. Et comme tout projet, il doit s’achever, ne serait-ce que pour permettre sa répétition, avec de légères modifications ou de légers déplacements, mais aussi pour ne pas être assimilés à de nouveaux projets, de nouveaux lieux, De nouvelles techniques - à d’autres formes de vies que nous entrevoyons sans cesse. ». Ibid. p.140. 100. « D’une certaine façon, l’analogue utilise l’histoire, c’està-dire ce qui existe, pour ordonner ce qui sera nouveau. Dans le même temps il est anhistorique dans la mesure où il élimine les étapes de formation du processus. Dans sa dénégation de la genèse historique, l’analogie réplique la condition présente de l’histoire (sans l’histoire). L’analogie implique également la suspension du temps et la transposition des lieux. ». EISENMAN Peter, « The House of The Dead as the City of Survival », dans EISENMAN Peter, Aldo Rossi in America: 1976 to 1979, Cambridge, MA, MIT Press, 1980.
Analogie du projet D’après le procédé analogique, le projet est prédéterminé par sa présence dans les choses, dans les souvenirs, dans l’iconographie de l’architecte. La conception du projet serait une méthode d’identification des filiations entre les référents et le projet. Ainsi il est possible, grâce à une lecture attentive de retrouver les traces des référents dans la formalisation du projet. Aldo Rossi parle même d’original et de copie entre la référence et le projet99. Néanmoins, il est nécessaire pour le projet de se concrétiser. Il doit acquérir une forme d’autonomie car, associé à d’autres référents, il deviendrait différent. L’achèvement du projet permet d’abord la définition de celui-ci. Il se définit par ses différences vis-à-vis de ses références, mais aussi des autres projets qu’il aurait pu être mais qu’il n’a pas choisit d’être. Mais l’achèvement du projet permet aussi sa relecture et de le plonger dans un nouveau réseau de filiations que même l’architecte peut découvrir. Il développe une forme d’autonomie, dont une part échappe à l’architecte. La relecture de son propre projet permet d’identifier de nouvelles associations qu’il n’avait pas réalisées. Pris dans un nouveau système de relations, le projet prend une nouvelle signification99. À son tour le projet devient référent. Une boucle analogique s’établit : le projet s’identifie dans les choses, puis acquiert une autonomie, il devient alors un référent à partir duquel s’affilie un autre projet. Ce point de vue définit l’histoire de l’architecture comme un continuum d’associations entre les projets de la discipline mais également au sein d’une monographie d’architecte100. Chaque projet est la réminiscence de projets refoulés. Un jeu d’associations, de répétitions, de renvois, de références s’impose. C’est pourquoi l’analogie met à la disposition de l’architecte, les outils de conception du projet. Outils analogiques L’innutrition La posture analogique pose la question de l’inédit dans la création architecturale. Le projet n’est pas une singularité dans une suite de faits historiques, il est la résultante d’une assimilation et d’influences de références conduisant à sa formation. Ainsi, tout projet d’architecture pourrait être perçu comme une création collective in-
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‘‘ Personne ne commence jamais, et peut-être personne n’a jamais commencé ; tout le monde recommence. ’’ 101
Outils analogiques L’innutrition 101. GUSDORF Georges, Les origines de l’herméneutique, Paris, Bibliothèque scientifique Payot, 1988, p.280.
consciente et le concept d’invention serait questionnable. L’idée inédite, sans parenté et abstraite, n’est introduit que très récemment dans la société. Aux époques du MoyenÂge et de la Renaissance, l’œuvre est construite collectivement, du maître au disciple, dans une filiation assumée. L’innutrition définit ce phénomène en considérant que l’artiste s’inspire inconsciemment de la culture dans laquelle il s’imprègne. L’artiste-artisan est considéré comme un être influençable et ses projets comme étant la résultante d’une suite de références investies. L’histoire de l’architecture se résumerait à une série de thèmes et l’architecte se nourrirait de l’investissement autobiographique de ces thèmes. De la référence naît le singulier. L’achèvement d’un projet amène à l’interprétation, puis à la conception d’un autre. Ainsi la conception architecturale se construit autour d’un adage artisanal médiéval « non nova sed nove [non du nouveau mais de façon nouvel] ». La règle est la même pour l’architecture. Les ordres architecturaux sont l’archétype d’un procédé analogique permanent. La discipline architecturale s’est fondée, jusqu’à une époque récente, sur une reproposition continuelle des ordres architecturaux à travers une suite de projets. À partir d’un type établi et codifié, les architectes ont effectué une série de légers décalages, en investissant cette référence. Il en résulte que la présence de la référence est encore identifiable dans chaque projet. Des colonnes doriques de Delphes à celles de Baloise Park, de Valério Olgiati, le signe se transfère de la référence au projet. L’architecte réinvestit le sujet de la connexion entre le chapiteau et l’entablement. Les rapports de proportions sont similaires, malgré un décalage contextuel puissant. Ainsi, on peut dire que les colonnes doriques de Delphes sont contenues dans celles de Baloise Park. En relisant les colonnes de Valério Olgiati, on peut remarquer une autre filiation, peut-être inconsciente. Les colonnes du porche de la Casa Radulff à Flims, conçues par son père, Rudolph Olgiati, interrogent la même thématique architecturale. En évidant le chapiteau du fût de la colonne, l’architecte met en tension le rapport entre la colonne et l’entablement. Même si Valério Olgiati ne cite pas explicitement ce projet, il fait néanmoins partie de son expérience autobiographique et influence nécessairement le dessin des colonnes de Baloise Park. On retrouve la sé-
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fig.30. Iulia Stanciu, Florian Stanciu et al., The column. Parthenon, Athena. Temple of Athena, Paestum. Casa Radulff, Rudolf Olgiati. House in Mels, Peter Märkli. House in Trübbach, Peter Märkli. Pearling Site Museum, Valerio Olgiati., 2020.
Outils analogiques L’innutrition 102. « Les architectes modernes travaillent en se servant d’analogies, de symboles et d’images -bien qu’ils se soient efforcés de désavouer presque tous les déterminants de leurs formes sauf la nécessité structurale et le programme- et c’est d’images, pour nous inattendues, qu’ils puisent l’inspiration de ces analogies et leur stimulation ». IZENOUR Steven, SCOTT-BROWN Denise, VENTURI Robert, L’enseignement de Las Vegas, Cambridge, MA, MIT Press, 1972, p.17. 103. ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.41.
dimentation des références dans le projet d’architecture. Ainsi l’analogie nous permet de mieux comprendre d’où vient le projet en remontant l’autobiographie de l’architecte. En concevant l’histoire de la discipline comme une suite de créations renvoyant à des références antérieures102, l’analogie pose la question de la possibilité du projet non-référentiel. C’est à cette question qu’essaie de répondre Aldo Rossi dans son Autobiographie scientifique. Il se rappelle d’une phrase empruntée d’une conversation à la volée qui disait « […] « Il y avait un à-pic de 10 mètres au point le plus haut de la pièce. » J’ignore le contexte auquel cette phrase faisait référence, mais je trouve qu’une dimension nouvelle s’était établie : est-il possible de vivre dans des pièces avec des à-pics? Peut-on penser un projet de ce type? Un projet dont la représentation soit possible au-delà de la mémoire et de l’expérience? »103. Cette citation fera l’objet d’une obsession chez Rossi d’essayer de représenter ce vide qu’il ne pouvait se figurer. Au-delà de l’image de l’à-pic, l’architecte questionne la possibilité de concevoir un projet qui échappe à sa représentation. N’ayant jamais fait l’expérience d’un tel espace, l’architecte italien ne parviendra jamais à se le représenter. En cela l’expérience lorsqu’elle n’est pas fondée sur l’autobiographie, ne peut se concevoir. Ici, le projet d’architecture échappe à la mémoire donc à sa formalisation. L’architecte lombard pose la question théorique de notre capacité à concevoir un projet non-référentiel : Est-il seulement possible de concevoir sans images? Au-delà de ce projet impossible, c’est tout l’ouvrage de Rossi qui s’oriente autour de cette question du référent. L’architecte relit sa production architecturale dans le but d’identifier les filiations entre les images autobiographiques et la conception de ses projets. Au sein même de sa production architecturale, il identifie une continuité et une résurgence de thématiques. D’un projet à l’autre les signes du référent se déplacent. La répétition La répétition s’identifie comme un outil analogique opérant dans la conception du projet. On retrouve ce procédé compulsif dans la monographie d’Aldo Rossi. La nouveauté naît du déplacement des choses dans un nouveau
Image 10. Non nova sed nove.
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fig.31. Aldo Rossi, Les cabines de l’île d’Elbe, 1975.
Outils analogiques La répétition 104. « […] l’envie de refaire c’est un peu comme prendre deux fois la même photographie : aucune technique n’est suffisamment parfaite pour empêcher les variations dues à l’objectif, à la lumière, et finalement c’est aussi le désir de voir surgir un objet différent. Sûrement différent. ». Ibid. p.131. 105. « En d’autres termes il y a tout lieu de considérer que les idées architecturales ne naissent pas par génération spontanée, mais par échange, contamination ou transfert. ». CHUPIN Jean-Pierre, Analogie et théorie en architecture, Lausanne, In Folio, 2010, p.26
contexte. Le terme de répétition semble être un abus de langage, puisqu’évidemment on parlerait plus justement d’une répétition analogique. Le déplacement d’une situation à une autre en fait deux éléments distincts, et non une répétition objective, si tant est que l’on puisse reproduire à l’identique un même élément.104 Dans le monde pictural, la répétition est assumée et s’accompagne tout autant d’innovation dans la discipline. Le cas du thème pictural de Judith et Holopherne est poignant. Les peintures présentent des similitudes de structure, de narration voire même parfois de composition. Pourtant, les peintres se saisissent tous du sujet pour l’investir avec singularité. On retrouve constamment dans les peintures trois protagonistes : Judith, sa servante et Holopherne. Les tableaux mettent en image, l’épisode biblique de la décapitation du général assyrien par l’Israëlienne. La narration à travers les peintures est la même, mais les peintres ne choisissent pas nécessairement de présenter la scène avec la même force ou violence. Le Caravage peint une scène avec un clair-obscur saisissant de graphisme et de force. Sa signature picturale correspondant à la période de Contre-Réforme dans laquelle a été peinte cette œuvre, pour renforcer l’austérité de l’Église. Tandis que Klimt utilise le même thème, mais présente une Judith esthétisée dans une nouvelle forme picturale singulière. Le tableau défend plus l’idée d’une nouvelle technique en rupture avec les canons de représentation tout en employant un sujet classique. La Judith de Caravage n’a a priori rien à voir avec celle de Klimt pourtant une suite de décalages affirme un réseau de parenté entre ces deux productions. Le thème picturale de Judith et Holopherne nous renseigne sur la capacité des artistes à se saisir de la répétition comme sujet de création. Malgré les évolutions des mouvements de la peinture, le thème survit et est sans cesse réinvesti dans de nouvelles caractéristiques. Ainsi le thème pictural fait la démonstration que la répétition d’un même sujet ne bride pas nécessairement l’innovation ou la création. On retrouve des filiations entre toutes ces peintures pourtant chacune est autonome de l’autre. Cette leçon picturale est aisément transposable à l’architecture comme vecteur de création105. Lorsque l’on se plonge dans les dessins d’Aldo Rossi, on retrouve, répétées, des cabines de plage archéty-
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fig.32. Aldo Rossi, Gianni Braghieri, Roberto Freno, Teatrino Scientifico, 1978.
Outils analogiques La répétition
pales, revêtues de rayures et coiffées d’un fronton triangulaire. Cet archétype architectural est obsessionnellement répété dans ses carnets de croquis au fil des années. Lorsqu’on lit l’Autobiographie Scientifique, l’architecte explique que les cabines de plage de l’île d’Elbe le ramenaient à ses souvenirs où il passait des moments heureux de son enfance. L’iconographie des cabines de l’île d’Elbe laisse à l’architecte une impression puissante, comme une image forte. Au-delà de ses croquis, Rossi va continuer d’investir ce dessin comme un signe le ramenant au passé, dans ses projets. Dans toute sa production architecturale, on peut identifier la répétition compulsive de ce signe représenté par la forme archétypale des frontons triangulaires des cabines. Toute sa monographie est jonchée des substrats de cette cabine. Au-delà de répéter un modèle, Rossi va l’investir et lui faire subir des décalages contextuels multiples. La figure de la cabine s’identifie aisément dans divers projets : du Teatrino Scientifico, au Cimetière di San Cataldo, en passant par le Museo do Mar de Galicie, ou le Centro Direzionale e commerciale de Perugia, le transfert de la figure est quasiment littéral. Le corps de la cabine est présent dans son entièreté. Les rayures de la cabine, sont transposées en colonnade ancrant le bâtiment au sol dans le projet de Perugia. Une toiture à deux pans vient couronner l’édifice ainsi qu’une frise reliant les extrémités basses de la toiture définissant ainsi un fronton triangulaire rappelant le référent. Au centre du fronton, à l’emplacement du cercle évidé des cabines, on retrouve l’horloge renvoyant, comme un signe géométrique, à la filiation évidente. Rossi déconstruit l’archétype de la forme dans sa monographie. Si elle apparait génératrice du corps de certains projets elles se décline à d’autres échelles dans d’autres projets. Pour les projets du Pont en fer à la Triennale de Milan et du Monumento ai partigiani de Segrate, la cabine s’identifie à la figure du triangle transformée en prisme allongé. Le fronton devient un pont ou un porche. La cabine peut être habitée par le visiteur. L’architecture de fortune se décline dans les projets de Rossi en élément de cette architecture. Enfin, l’architecte ne conserve que le triangle comme simple signe géométrique dans nombres de ses projets de la Scuola Elementare de Broni, au Monumento a Sandro Pertini de Milan, le substrat de la cabine s’identifie à travers une simple fontaine triangulaire. Le Cimetière di
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fig.33. Aldo Rossi, Centro Direzionale e commerciale Fontivegge, 1988.
Outils analogiques Le fragment 106. « Il est difficile d’inventer sans quelque obsession ; il est impossible de créer quelque chose d’imaginaire en l’absence de tout fondement rigoureux, incontestable et, précisément, répétitif. » ROSSI Aldo, Autobiographie scientifique, Marseille, Parenthèses, 2010, p.56. 107. « Il me semblait voir surgir également de l’eau le cube du cimetière de Modène ou celui du monument de Cuneo. Sans doute la permanence était devenue une condition du progrès. La compulsion à répéter peut signifier un manque d’espoir, mais il me semble aujourd’hui, que continuer à faire la même chose pour parvenir à des résultats différents est plus qu’un exercice, c’est la liberté unique d’inventer. ». Ibid. 56.
San Cataldo, à Modène, présente toutes les déclinaisons du signe dans l’architecture rossienne. Les columbariums renvoient littéralement à la morphologie des cabines. Une fontaine retrouve les traits du fronton archétypal. Le plan masse lui-même s’organise autour d’un édifice prismatique, l’ossuaire du cimetière. Rappelons également que le signe de cette référence se retrouve au centre de la composition de la Città Analoga d’Arduino Cantàfora. Au fur et à mesure des répétitions106, Rossi interroge et déconstruit la forme pour en extraire son essence. L’architecte cherche la réduction optimale dans laquelle la forme continue à faire effet en tant que signe. Avec des décalages d’usages, d’échelles, de géométries, de matérialités, le signe s’adapte perpétuellement au contexte du projet. Chaque projet connote une nouvelle signification du signe. On ne peut pas affirmer que ce soit une répétition au sens littéral du terme. L’analogie permet de connecter ensemble ces fragments d’architecture et les affiliés au même référent. Pourtant si elle présente une structure similaire, chaque répétition est un projet autonome. Chaque géométrie est unique parce que chaque représentation du signe naît et prend place dans un système de référence distinct de la précédente. L’obsession de retrouver le dessin des cabines chez Rossi semble définir la répétition comme le seul vecteur de création107. L’intelligence de Rossi est d’avoir extrait des cabines l’essentiel de la forme. Elle revêt, à la fois un statut autonome une fois livrée au projet, et à la fois renvoie au référent pour celui possédant les codes pour le déchiffrer. Ainsi l’observateur est face à une architecture de signes ouverts lui renvoyant à sa propre expérience, et non à un signifié pré-défini. Ces architectures revêtent le même effet que les images de l’Autobiographie Iconographique d’Olgiati. Elles sont suffisamment ouvertes pour être réinvesties et suffisamment précises pour renvoyer aux souvenirs autobiographiques de l’architecte. L’image des cabines structure solidement la production architecturale rossienne, et scelle la mémoire et la création de l’architecte à ses projets. Dans cette perspective de signes ouverts, la production architecturale et l’atlas iconographique semblent se répondre dans la pratique de Valério Olgiati. L’architecte
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fig.34. Aldo Rossi, Scuola elementare de amicis, 19691971.
Outils analogiques Le fragment 108. « […] les reconstitutions patientes des fragments sans signification à l’intérieur de la signification de la forme. Cet amour du fragment et de la chose nous lie à des objets, apparemment insignifiants, auxquels nous attribuons la même importance que celle accordée habituellement à l’art. ». Ibid. p.13.
des Grisons semble s’inscrire dans cette culture de la répétition au sein de sa monographie comme vecteur d’inédit. Le fragment La référence du projet se décline alors en fragments composant celui-ci. Avec le fragment, l’architecte est à même de déconstruire suffisamment la forme du référent pour conserver uniquement la forme minimale dans laquelle le signe fera toujours effet. Le fragment permet de libérer le surplus de significations associées à la référence pour transposer uniquement que la structure du signe99. Avec ce procédé, la filiation au référent est encore lisible mais le fragment, résultant de cette opération de déconstruction du référent, est assez silencieux pour permettre à l’observateur d’identifier une nouvelle signification. Le projet se place alors dans l’histoire de la discipline comme un support à la conception. À la fois, il assume son lien de parenté et à la fois, il ouvre à sa recomposition dans un autre projet. On pourrait déconstruire le projet d’architecture comme un assemblage de référents composant un nouvel ensemble autonome108. Ce processus de déconstruction interroge le moment où la référence s’efface au profit de l’autonomisation du projet. Le cas du Monumento ai partigiani de Segrate d’Aldo Rossi fait écho au concept de fragment. Le monument est composé d’éléments architecturaux triviaux. Un escalier, contraint entre deux murs, lie le niveau du sol à une plateforme haute. De cette plateforme naît, à hauteur d’œil, un prisme évidé permettant le cadrage de la perspective. Un cylindre, posé sur un socle, soutient l’autre extrémité du prisme. De cette extrémité jaillit la fontaine du monument, retombant dans un parterre d’eau. En tant qu’observateur, le projet, dans sa présence physique, ne renvoie à rien d’autre qu’à lui-même. Lorsque l’on commence à le déconstruire, l’identification à des référents devient plus évidente. Une peinture d’Arduino Cantàfora, décrivant le projet en géométraux -plans et élévations- permet d’identifier la composition de l’édifice. Le cylindre, le prisme, le parallélépipède sont autant de formes qui renvoient à des référents multiples. On lit le prisme comme une référence aux cabines de l’île d’Elbe, puisque l’on sait l’impact que l’image a eu sur l’architecte. Une fois le prisme supporté
Image 11. Un cylindre, un prisme, un parallèlipipède ou le Monumento ai partigiani di Segrate.
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fig.35. Aldo Rossi, Piazza del Municipio e Monumento ai Partigiani, 1965-1967.
Outils analogiques Le fragment 109. « Peut-être le projet n’est-il que cela : un espace où les analogies, en s’identifiant aux choses, atteignent de nouveau le silence. ». Ibid. p.60.
par le cylindre, l’élément renvoie à une analogie des ordres architecturaux, le cylindre devient colonne et le prisme fronton. La colonne elle-même est vue comme une réinterprétation du fût. Lu dans sa globalité, le projet s’identifie à lui-même mais déconstruit, chaque fragment renvoie à des référents. Aldo Rossi s’évertue à déconstruire la forme comme vecteur de renvoi à de multiples référents. Si l’architecte est influencé par son autobiographie, l’observateur-interprète renverra la perception des formes à sa propre autobiographie. L’histoire de l’architecture est un prisme de lecture auquel chaque architecte peut se référer, pourtant chaque architecte est aussi assimilé à ses influences autobiographiques. Le projet doit jouer de cette ambivalence entre renvoi à des références communes et renvoi à sa propre autobiographie109. Lors de la récente conférence Aldo Rossi poésie ou science à l’EPFL, Arduino Cantàfora, son ami et peintre, réalise une démonstration simple. Il sort d’une pochette : une boîte de whisky, un rouleau d’essuie-tout, une boîte de Toblerone, ainsi qu’une boîte d’allumettes. Si l’assemblée s’interroge sur ces artifices à première vue, le peintre commence à les associer. Au fil de l’assemblage, les objets quittent leur signification pour faire exister le Monumento ai partigiani de Rossi. Cantàfora fait la démonstration d’Aldo Rossi de réduire son architecture à la composition de formes simples. Le parallélépipède, le prisme, le cylindre sont autant de formes contenant des signes ouverts. Les projets de Rossi prennent leur statut autonome une fois assemblés et ainsi la forme résultante renvoie évidemment au projet lui-même. Qui peut dire si le Monumento ai paritigiani est une composition de référents ou un projet autonome? La richesse du projet d’architecture tient dans sa double lecture, à la fois, de référent et d’opérant. On peut définir l’architecture comme un « projet par parties ». Arduino Cantàfora explique que l’architecture d’Aldo Rossi touche à l’archétype des formes. Les formes sont extrêmement simples et ne renvoient donc pas à une signification, ni à un référent codifié mais à une multiplication de référents en fonction de leur de lecture. On parle de signes ouverts. Olgiati, également, se saisit de cette démarche de signes ouverts dans son architecture comme dans son Autobiographie Iconographique.
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‘‘ Quand nous écrivons, nous avons un nombre limité de lettres, le point, la virgule, et ainsi de suite. Mais avec ces quelques lettres et la ponctuation, si tu as du papier à disposition, tu peux remplir n’importe quelle bibliothèque. C’est la même chose pour la géométrie et ses formes principales. ’’ 110
Singularité du langage Signes 110. AZZARITI Giorgio, MION Claudia (dir), À la recherche d’un langage. Voyage dans l’imaginaire de Peter Märkli, Marseille, Cosa Mentale, 2019, p.166.
Si on ne peut échapper à ses référents, il est nécessaire de les identifier pour composer avec. Il faut extraire, des références, les signes essentiels que l’on décidera d’investir dans sa production architecturale. Ainsi, l’architecte compose avec un ensemble de thèmes définis. De ses variations ou assemblages, naîtra un projet ou un autre, mais de chacun d’eux émergera l’inédit. Le type de l’Autobiographie Iconographique apparaît comme un répertoire d’images à la base de la monographie de l’architecte comme les mots constituant son langage ; littéralement, l’écriture par l’image. L’architecte en construisant son atlas iconographique définit son langage architectural. Vers une singularité du langage architectural L’Autobiographie Iconographique permettrait alors à l’architecte de construire un langage architectural à partir d’images, renvoyant à la définition de l’analogie selon Jung, c’est-à-dire des images fortes mais assez ouvertes pour amener à une essentialité d’expression. L’architecte puisera perpétuellement dans ces images pour concevoir son architecture, comme des lettres pour constituer des mots, des phrases, des significations. Le déplacement de signes ouverts de l’iconographie aux formes archétypales, -osons l’emprunt de « formes fortes » - permet de constituer des architectures autonomes et investissables pour de futurs architectes, ou usagers, s’inscrivant ainsi dans l’histoire de la discipline. L’Autobiographie Iconographique serait à l’architecte ce que les lettres sont au poète. Signes Le signe est le dénominateur commun de l’image à l’architecture. Il autorise la pensée analogique permettant de passer du référent au projet. L’atlas iconographique permet à l’architecte de s’entourer d’un ensemble de signes forts. Toute la monographie du concepteur se décline autour d’un assemblage de ces signes, réinvestis dans les divers projets. En définissant les images présentes dans son atlas iconographique, l’architecte choisit consciemment ou inconsciemment un système de signes limités. Ces signes auxquels l’architecte ne cesse de revenir devient le premier matériau du projet architectural. Au même titre que
Image 12. À quel moment, de la forme, naît le «A»?
A
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les lettres définissent les signes à l’origine du langage, les images de références structurent le langage architectural de l’architecte. À partir d’un nombre limité de signes, l’architecte peut composer une complexité de déclinaisons, d’assemblages, de compositions de signes trouvant son propre langage architectural. L’iconographie permet à l’architecte de revenir à l’essence de son langage architectural, primitif et intuitif, à partir duquel il construit une monographie cohérente et complexe. Si les signes de l’iconographie, à l’instar des lettres formant le langage, sont intelligibles collectivement, l’architecte les façonne pour en extraire une expression singulière. La monographie de l’architecte se construit, dès lors, autour d’un système de signes restreints. Syntaxe Les signes sont neutres. Le réinvestissement de ces signes, par contre, fait naître des significations. Pour rendre éloquent les signes il est nécessaire de leur faire subir des transferts, des assemblages, des accords afin qu’ils entrent en résonance avec des significations. L’investissement des signes permet à l’architecte de définir des sujets d’architecture qu’il interrogera à travers ses projets. L’architecte met en place un système de règles d’assemblage de signes pour permettre d’activer un renvoi à d’autres significations. En somme, le concepteur définit la syntaxe de son langage architectural. Il est légitime d’identifier le système de signes constitutif du langage olgiatien dans son Autobiographie Iconographique. Olgiati décide de limiter sa monographie au renvoi à cinquante-cinq images définies. On peut noter un aller-retour entre son iconographie et sa production. Olgiati prône l’architecture comme l’expression d’objets singuliers dans le paysage bâti.La photographie du Palazzo dei Priori dans son iconographie témoigne d’une culture de l’objet dans le paysage urbain. En effet, dans la diversité de sa production, de l’habitat individuel aux équipements publics, Olgiati pense le projet d’architecture dans sa singularité expressive par rapport à son environnement. Ce signe peut se retrouver dans les images de la Basilica de Ruvo, du Taj Mahal ou encore du Palazzo Strozzi. L’architecto-
Singularité du langage Syntaxe 111. « These old buildings are pure architecture to me because I rip them out of time, of context; they are ripped out of everything and only list as pure architectural objects without any projection surface for anything extra-architectural. Pure architecture! ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.20. 112. « To construct a building with one single material aids the non-referential inasmuch as it liberates the building front the entire array of semantic associations, images, and attributes that we tend to read into buildings simply because we are familiar with them.». OLGIATI Valério, BREITSCHMID Markus, Non-Referential Architecture, Zürich, Park Books, 2019, p.97. 113. « The sequence of rooms can only be understood on the plan. The facade is clear. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.12.
nique est un signe structurant du langage olgiatien. L’idée de Valério Olgiati est de produire des projets architecturaux issus exclusivement d’une culture architectonique, c’est-àdire qui ne renvoient pas à des signes extra-architecturaux -sociaux, politiques, culturels, contextuels-111. On retrouve avec le plan du Temple Milta à Mexico, une lecture de l’architecture non pas issue des conséquences socio-culturelles, mais pour ses qualités architectoniques d’espace, de composition ou de géométrie. Olgiati constitue ses projets autour d’une écriture extrêmement architectonique. Ses architectures résolument abstraites se concentrent sur une richesse de composition, de spatialité, de matérialité plus que que sur un renvoi à des signes extra-architecturaux, comme auraient pu le faire les post-modernistes par exemple. La monographie olgiatienne se fonde sur la discipline architecturale elle-même. Par extension, les projets d’Olgiati défendent l’unité architectonique112. Nombre de ses projets se construisent avec un unique matériau. Le béton lui offre cette écriture, permettant de réaliser de la structure du bâtiment aux détails d’ornementation, comme on peut le voir dans l’Atelier Bardill. Olgiati veut renouer avec une architecture massive, monolithique, quasi archétypale, constituée d’une seule matérialité renforçant son caractère architectonique. Le projet pour le Naturalparkzentrum de Zernez est réalisé entièrement en béton porteur isolant, permettant de construire l’enveloppe extérieure en monomur ainsi que les dalles et les finitions intérieures. Une unité forte définit le projet. On retrouve cette notion d’unité dans la photographie de la Basilica de Ruvo, construite intégralement en pierre massive, déclinant le matériau brut du système structurel aux finitions intérieures. Olgiati défend ici une architecture primitive. Enfin, on note la présence de contradiction dans sa monographie. La House of Furnice Fabricant Feilner de Schinkel illustre parfaitement cette idée. Olgiati dans la légende confronte l’irrégularité du plan avec la rigueur de la façade113. La contradiction, comme effet de surprise, renvoie à une nécessité d’engager l’observateur à recomposer l’architecture mentalement. Cette idée devient centrale dans ses projets. L’architecte conçoit ses projets avec cette dichotomie entre une intelligibilité du volume extérieur et des paysages intérieurs complexes. On peut retrouver dans sa monographie l’exemple notoire de la K+N Residence qui
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propose un parcours architectural complexe au sein de la maison, alors que la lecture de la façade reste claire. Ou encore, le Nationalparkzentrum, qui propose un volume extérieur simple constitué de deux cubes enchevêtrés, percés au centre d’une large ouverture laissant deviner trois niveaux, tandis que le plan montre un système de double escalier, brouillant la perception du visiteur. L’ensemble de ces thématiques constitue un répertoire architectural, que l’architecte manipule au travers de ses différents projets tout en affirmant une continuité de langage singulier à sa monographie. Ici les signes d’une image prennent plus de présence, associés à un projet. Pourtant chaque projet est issu d’un croisement de réflexions autour de ces différents signes. Chaque projet pourrait se lire dans plusieurs images et chaque image pourrait se retrouver dans plusieurs projets. Olgiati fait de l’Autobiographie Iconographique un système de référence riche. C’est l’essence même de l’atlas, c’est-à-dire de ne pas puiser uniquement un signe mais de le mettre en relation avec d’autres afin de constituer de nouveaux projets, de nouvelles phrases, issus d’un répertoire commun. On peut considérer que la singularité du langage de l’architecte se construit dans sa façon de composer avec ses signes. L’architecte ne se laisse pas enfermer dans une répétition de modèles. Au contraire, il compose avec ses signes et chaque nouveau projet est issu d’une nouvelle formule. L’architecte trouve l’innovation dans la façon d’articuler ses signes. Si dans un projet un signe prend plus de valeur, dans un autre il en sera diminué : un projet présente l’affirmation de plus ou moins de signes. Langage individuel et langage collectif Il est important de rappeler qu’au-delà du titre Autobiographie Iconographique l’architecte puise ses images dans une culture universelle. Ainsi ce n’est pas tant l’emploi de signes communs que la composition ou la transformation de ces signes qui importe. Le langage se construit à partir d’un répertoire appartenant à un langage collectif. Tout le monde est capable de lire ces images et de s’identifier à elles. Par contre, la singularité de l’architecte réside dans sa capacité à les investir dans le projet d’architecture et à définir leur permanence dans sa monographie. L’iconographie construit le langage à partir de
Singularité du langage Individuel et collectif 114. « Une évocation de l’abstraction qui ne doit pas être interprétée comme une invitation à s’éloigner de la réalité, mais à la réformer en partant de soi-même et en observant mieux à l’intérieur de nous-même. ». AZZARITI Giorgio, MION Claudia (dir), À la recherche d’un langage. Voyage dans l’imaginaire de Peter Märkli, Marseille, Cosa Mentale, 2019, p.107. 115. « My aim is not to build for myself but to build architecture that, as much as possible, contributes to the discipline of architecture. If I would be able to make an architecture that pushes forward the discourse of the discipline of architecture, so I am convinced, my architecture will also fulfill its aim as a contribution oof cultural significance for society. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.29.
l’autobiographie du praticien. Désormais, l’architecte part de lui-même, d’un point de vue subjectif, pour construire une production investie par le monde extérieur. La société contemporaine légitimise ce changement de paradigme, où une architecture en proie à une expérimentation universelle naît d’une histoire singulière114. Il est légitime de se questionner sur la part de la valeur autobiographique dans la conception du projet. Si l’architecture appartient à l’espace collectif, sa lecture doit rester accessible à tous. Effectivement, il serait stérile de concevoir des architectures intelligibles uniquement par son concepteur115. C’est pourquoi l’emploi de signes ouverts comme transfert des iconographies de références au projet d’architecture permet une lecture collective à partir d’un langage singulier. Les signes ouverts ne sont pas étouffés par une signification trop définie, trop littérale. Au contraire, ils permettent le renvoi à un ensemble de significations tout en laissant possible l’identification du référent d’origine. Cet emploi permet à l’observateur à la fois d’identifier la filiation du projet à son référent, s’il a les codes pour le déchiffrer, et à la fois de projeter ses propres renvois à d’autres référents à la lecture de ces signes. Ces projets proposent une riche expérience de lecture d’affiliations et de réinterprétations. L’emploi de signes ouverts dénote une architecture singulière. Les architectures d’Aldo Rossi ou de Valério Olgiati témoignent d’une étrange familiarité. On retrouve dans leur architecture l’emploi de formes primaires, archaïques, renvoyant à une composition d’archétypes. Les projets sont silencieux. Ils demandent à l’observateur de faire preuve d’une attention particulière dans leur déchiffrement. Si les géométries triviales nous amènent dans un univers connu, leur signification reste silencieuse. L’abstraction des signes permet de penser à des renvois multiples mais aucun ne fixe plus une signification qu’un autre. Le projet se pose comme une énigme. La signification reste en suspens à la lecture de ces architectures, l’observateur choisit quel chemin emprunté dans le réseau de renvois aux référents. Ces architectures silencieuses posent la question de la possibilité de concevoir un projet ne renvoyant à rien : un projet d’architecture issu d’aucuns référents, ne renvoyant à aucuns référents. Dans la filiation du projet impossible de Rossi l’architecte peut-il concevoir un projet non-référentiel?
Image 13. Le langage olgiatien.
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Non-référentiel La règle et l’exception
L’architecture non-référentielle La règle et l’exception L’Architecture non-référentielle et l’Autobiographie Iconographique sont deux œuvres issues du même architecte, Valério Olgiati. Il est à la fois la règle et l’exception de notre sujet. Ces œuvres révèlent le paradoxe insoluble de sa pratique car l’architecte suisse défend la possibilité de concevoir une architecture non-référentielle, tout en composant une Autobiographie Iconographique. Le rôle de la référence dans sa monographie interroge. L’architecte aspire à pouvoir dépasser l’abstraction. Selon lui, l’abstraction est le résultat d’une synthèse, de références notamment. Or l’architecte aspire à la nouveauté, c’est-à-dire un projet issu d’aucun référent, d’une idée pure. Il explicite son propos en illustrant l’abstraction et la nouveauté dans deux projets distincts. Angkor Wat au Cambodge, malgré la singularité de sa construction par rapport à son environnement, constitue la synthèse d’éléments extra-architecturaux. Sa composition est une abstraction de la croyance bouddhiste selon laquelle les montagnes himalayennes sont les assises de leurs dieux. Les temples mayas précolombiens, selon Olgiati, ne sont l’abstraction d’aucune image, car rien dans leur environnement ne pouvait les amener à concevoir un tel projet. L’origine des formes du projet est inconnu. C’est à la recherche de cette inédit, au-delà des images et des représentations que Valério Olgiati tente de construire son architecture non-référentielle. Cette posture pose la question de la possibilité même de concevoir une architecture ne renvoyant à rien d’autre qu’à elle-même, ni significations socio-culturelles, autobiographiques, architecturales. À l’image du projet impossible de Villa avec intérieur d’Aldo Rossi décrit précédemment, peut-on seulement imaginer une architecture non-référentielle? Ce paradoxe s’illustre dans l’atlas de Valério Olgiati. Deux images de l’Iconographie Autobiographique retiendront notre attention. Untitled (1965) de Robert Ryman et Untitled (1963) de Helmut Federle. La première est une peinture de Robert Ryman. Le tableau est peint de blanc sur lequel une série de lignes blanches dénote le passage du pinceau. Chez Helmut Federle, le tableau est recouvert
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de couleur jaune. Dans les deux cas, une extrême abstraction caractérise les deux œuvres picturales. Les seuls signes que l’on peut identifier ne renvoient à aucune signification évidente. On identifie seulement des signes objectifs comme les couleurs, les dimensions, les techniques utilisées, mais aucun ne porte vers un signifié. Les tableaux ne sont pas habités par les artistes. Ils existent comme tels, comme s’ils avaient toujours été sous cette forme, issus d’aucune intention. Autrement dit, les œuvres échappent aux contaminations des peintres, seule l’abstraction persiste. Même le titre des œuvres Untitled ne trahit aucune tentative de représentation ou de discours. Tout l’effort des peintres réside dans la libération des tableaux de leurs significations. La lecture de ces œuvres picturales semble une énigme, puisque même si l’on reconnaît des signes, ils ne nous renvoient a priori à rien, du moins rien d’évident. C’est la caractéristique de qui intéresse Valério Olgiati en légendant les deux peintures par : « The white picture typifies the hope for the ability to become non-referential. It represents ‘nothing’. » « The golden picture typifies the knowledge of the inability to be non-referential. It represents ‘everything’. » Dans l’écriture des deux légendes, on remarque une similitude de structure. Les deux phrases ne changent quasiment pas de mots « The […] picture typifies the […] to be-[…]. It represents […] ». Les mots employés ne subissent que de faibles variations « ability/inability », « nothing/everything ». Ceci témoigne d’un même sentiment à la lecture de ces tableaux. Même les légendes pourraient être permutées d’un tableau à l’autre. Ou encore, les deux légendes pourraient se superposer à la lecture d’un même tableau. Si les peintures abstraites présentent les même compositions, l’architecte tire deux conclusions paradoxales. Le Ryman et le Federle constituent à la fois la règle et l’exception. Les deux œuvres suggèrent simultanément une lecture non-référentielle, ainsi qu’une projection à des référents personnels de l’architecte. Même l’abstraction des signes ne peut empêcher l’observateur de projeter ses propres référents à la lecture de ces signes ouverts. L’observateur continue d’associer, d’affilier le tableau à des référents autobiographiques. Ces compositions, si elles échouent à être non-référentielles, témoignent néanmoins d’une richesse de renvoi à de multiples référents.
Non-référentiel La règle et l’exception 116. « [...] même si ses bâtiments [d’Olgiati] peuvent prétendre atteindre la libération des codifications sociétales, ils sont toutefois chargés des concepts qui les ont fait naître, soit la pureté et la non-signifiance. » BREITSCHMID Markus, The signifiance of the idea in the architecture of Valerio Olgiati, Zürich, Archithèse, 2008, p.73. 117. « Now I have the urge to annihilate and to grow out of traditions but I feel that I fail to leave traditions behind. ». OLGIATI Valerio, « Valerio Olgiati 1996-2011 », El Croquis, n°156, 2011, p.19.
Ces deux tableaux posent la question de la possibilité de proposer une œuvre non-référentielle. Cette aspiration paradoxale constitue le fil conducteur de la monographie olgiatienne. L’architecte veut tendre à concevoir une architecture, issue d’une idée pure, non contaminée par des référents, une architecture résolument abstraite au-delà des références et de l’expérience. Même si la monographie de l’architecte suisse se révèle énigmatique et extrêmement singulière dans le paysage architectural contemporain, elle retrouve toujours une filiation à ses référents116. Malgré l’effort d’Olgiati à se désolidariser de ses références, il constate un éternel retour à une expérience vécue ou à une image forte117. La leçon des tableaux de Ryman et Federle lus par Valério Olgiati rappelle que l’impossibilité à devenir non-référentielle tient dans la capacité de l’observateur à investir le projet d’architecture.
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fig.36. Robert Ryman, Untitled, 1965. fig.37. Helmut Federle, Untitled, 1963.
CONCLUSION
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Conclusion
Finalement, l’exercice du mémoire ouvre des réponses sur la pratique de l’image par l’architecte et ses effets sur sa monographie. L’Autobiographie Iconographique de Valério Olgiati s’impose comme une figure archétypale des atlas iconographiques d’architectes. À partir de celleci peut se développer une méthodologie dans la pratique de l’image pour la conception architecturale. Ainsi, l’analyse de cette œuvre permet de plonger dans l’épaisseur de l’image, de son statut dans l’atlas jusqu’à l’investissement de ses signes par le projet d’architecture. Le mémoire déconstruit ainsi les étapes de passage du référent au projet. La singularité de l’atlas est d’avoir conjugué image et espace architectural, dans sa volonté à fixer l’ensemble de la connaissance au sein d’un même lieu. L’architecte s’inscrit dans la tradition des atlas, grâce sa capacité vitruvienne de déterminer et croiser un ensemble hétérogène de connaissances afin de nourrir le développement de son projet. L’atlas est défini par un lieu articulant des images renvoyant à une connaissance. L’évolution de l’atlas s’est d’abord concentrée à fixer l’ensemble des connaissances dans un lieu. Le dispositif de l’atlas est constant, des lieux mentaux aux lieux concrets. L’individu est placé au centre de la composition spatiale activant telle ou telle connaissance par l’intermédiaire de l’image. Puis l’avancée technique de la reproductibilité de l’image a bouleversé le rapport entre l’observateur et l’atlas. La reproduction permet de fixer les images en un lieu intime. On ne cherche plus à embrasser un ensemble de connaissances, mais à s’approcher au plus près d’images fortes. L’atlas cosmogonique devient l’atlas autobiographique. La spatialité de l’atlas évolue jusqu’à se retrouver désormais sur les murs et les tables de l’agence de l’architecte. Grâce à l’image comme support physique, l’architecte peut embrasser l’ensemble des images fortes qu’il a sélectionnées en un même lieu. Toutefois, le procédé est permanent. L’architecte reste toujours acteur car c’est par lui que naît la cohérence de sélection d’images hétérogènes. L’architecte-observateur active le dispositif relationnel qui tient ces images dans un ensemble cohérent. L’atlas iconographique est affaire d’espaces relationnels. L’espace entre les images elles-même mais aussi l’espace entre l’image et l’architecte définissent la recherche de significations pour la conception du projet.
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En deçà de l’atlas, l’image revêt un statut singulier. L’image subit une métamorphose une fois placée dans l’atlas iconographique. Puisqu’elle quitte l’environnement contextuel pour lequel elle a été édifiée, elle prend une signification différée. C’est moins l’image comme connotation d’un sujet, que le regard subjectivé de l’architecte sur celle-ci qui importe. Sans subir de changements structurels l’image subit une profonde modification significative. Ainsi l’image n’est pas retenue pour le sujet qu’elle connote mais pour ce que l’architecte y dénote. L’image quitte sa signification didactique et objective pour entretenir une dimension affective avec l’architecte. L’atlas s’ancre dans une dimension autobiographique. Les typologies d’iconographie que l’on identifie dans les recueils d’architectes témoignent de ce phénomène. Les hypoicônes, orphelines de leur légende et de leur contexte d’origine, invitent l’architecte à une lecture architectonique. En choisissant des images à signes ouverts, l’architecte maîtrise le renvoi à une signification donnée. Les signes ouverts sont des signes ne renvoyant pas directement à une signification connotée d’un discours culturel architectural évident. C’est pourquoi l’on retrouve peu d’images s’inscrivant dans une tradition architecturale, c’est-à-dire une image dont la signification est si bruyante que la lecture en devient superficielle. Les images sont généralement assez silencieuses pour permettre à l’architecte d’investir les structures de l’image et d’identifier puis d’extraire des significations singulières. Les images dépassent alors leurs effets sensoriels pour devenir des sujets intellectuels. Le processus herméneutique interroge la structure de l’image dans ce qui fait architectures pour l’architecte. Si la plupart des images sont d’abord choisies par rapport au punctum qu’elle impose sur l’architecte, elles perdurent dans l’atlas pour leur dimension heuristique. Tous ces effets sur l’architecte s’opèrent à l’échelle du signe compris dans l’image. Le signe définit l’effet, le sujet et le projet que contient l’image. Le signe active l’architecte dans le processus de conception, c’est l’agentivité de l’image. Si l’image est statique car définie dans une expression, le signe qu’elle contient est dynamique car il peut être réinvesti. Il devient l’agent permettant le transfert de l’image au projet. Le signe est le substrat de l’image que l’on retrouve dans le
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dessin du projet. Introduit dans le projet, il permet d’affilier l’image auquel il fait référence. Le référent se définit dans le rapport de relation qu’entretient le signe, d’un état projeté à un état d’origine. Le transfert des signes de l’image au projet permet de concevoir l’inconnu par le connu. Le projet se construit par le transfert d’images connues dans un nouveau contexte. Si le projet est intrinsèquement lié au référent, il est légitime de s’interroger sur la conception architecturale comme une composition de signes-référents ou le développement d’un projet autonome. Comment un même signe déplacé d’un état à un autre peut-il renvoyer à une signification différente ? L’analogie est l’outil permettant de transférer le signe vers le projet tout en assumant une filiation au référent. La conception architecturale devient une identification de signes déjà présents dans l’image, un transfert dans un autre contexte générant ainsi une signification renouvelée portée par le projet. La pensée analogique définit une pensée uniquement par l’image, archaïque et introspective. Il est légitime de concevoir l’à-venir à partir d’expériences passées. Toutefois, l’analogie induit des relations précises dans le transfert du signe d’une situation à une autre. L’intégrité du signe, est conservé par des rapports de proportions. Il reste intelligible malgré le déplacement analogique. Ce procédé permet d’offrir à l’architecte des outils de conception légitimant l’emploi d’images comme source de conception du projet. Les outils analogiques autorisent un système de décalage permettant de passer du signe-référent au projet autonome. L’achèvement du projet définit la différence entre le référent et le projet, ainsi que la différence entre le projet et un autre projet qu’il n’est pas devenu. La monographie de l’architecte, et par extension l’histoire de l’architecture, peut désormais se lire comme un continuum de référents-projets, où chaque projet s’affilie à un autre, mais devient autonome par un ensemble de transferts suffisants. L’inédit, comme projet, naît de plusieurs décalages analogiques. À chaque transfert dans une nouvelle situation, le référent revêt une nouvelle signification, c’est le décalage contextuel. La répétition analogique d’un même thème induit l’inédit. Le travail du signe en tant que fragment légitimise des opérations de changement d’échelles, de formes, de proportions, de matérialités etc.
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Toute la justesse du déplacement analogique réside dans la capacité de l’architecte à faire subir un nombre nécessaire et suffisant de transformations du signe pour qu’il permette l’avènement d’un projet inédit et autonome tout en assumant sa filiation au référent. On peut s’interroger sur le nombre ou la nature des décalages nécessaires modifiant le référent en projet? La signification d’origine quitte le signe-référent pour être renouvelée dans le contexte du projet. Ce réinvestissement du référent dans le projet est facilité par l’utilisation de signes ouverts par les architectes. Si le signe renvoie à une signification connotée, le projet ne sera que l’ombre du référent. Or si le signe est suffisamment dépouillé de ses significations d’origine, le projet prendra alors un statut autonome, renvoyant à une pluralité de significations, dont celle du référent. Ainsi, le projet n’est plus étouffé par ses significations mais devient ouvert au réinvestissement par d’autres architectes. L’architecte s’emploie à déconstruire le signe jusqu’à une forme minimum, qui permet le renvoi à des significations équivoques. Les architectures rossienne et olgiatienne retrouvent ces caractéristiques de compositions complexes à partir d’un nombre limité de signes. Elles deviennent silencieuses, sans renvois évidents, d’une étrange familiarité. L’emploi de signes ouverts permet ainsi de ne pas noyer le projet d’architecture, dans un renvoi à des significations dont seul l’architecte aurait les codes pour le déchiffrer. Le développement d’une architecture pour son auteur serait stérile. Il est nécessaire d’inscrire son langage dans une lecture collective, d’employer des signes ouverts, pour exprimer son projet tout en étant intelligible pour autrui. Les signes ouverts permettent ainsi de développer un langage singulier intelligible par le langage collectif. L’usage de signes ouverts à partir duquel il est possible de composer des architectures complexes définit le degré zéro du langage de l’architecte. Avec l’atlas, l’architecte définit un répertoire de signes à investir dans sa monographie. L’inventaire de signes apparait comme une médiation de l’architecte autour d’un nombre limité de thèmes. La composition de ces signes amène l’architecte à développer des situations inédites -ses projets- tout en
Conclusion
identifiant une filation, un continuum entre chaque nouvelle composition -sa monographie-. L’inventaire de signes et leur syntaxe impliquent la permanence du langage de l’architecte. Si la tentation pour l’architecte de se libérer de ses référents est forte il en résulte, néanmoins, que le projet non-référentiel est un but impossible à atteindre. L’architecte est dans l’incapacité de concevoir un projet sans images, ni filiations conscientes ou inconscientes, culturelles ou autobiographiques. Le projet d’architecture s’affilie toujours au référent. Il est légitime alors de se tourner vers soi pour identifier des signes forts à investir dans le développement d’une singularité d’expression. Autrement dit, définir le degré zéro de son langage architectural, son autobiographie iconographique.
Image 14. Le langage de Brâncusi.
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Index iconographique
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GSEducationalVersion GSPublisherVersion 591.76.82.100