3 minute read

LISEZ MAYOTTE LE CONTE (4/4) : LE MESCLUN MAHORAIS DE PAPANA

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

Cet ouvrage mêle prose et poésie. Commençant par deux contes, il laisse ensuite place à des vers libres qui conduisent vers un texte qui écrit l'histoire de Mayotte : "Il était une fois le 101e département...". Dans ces mélanges, le lecteur découvre un nouveau visage de Papana, celui de conteur et retrouve un visage connu, celui du poète. Mais le dernier texte permet de comprendre la source dont jaillit la poésie de Papana, à savoir l'île de Mayotte au fil du temps.

La même année que Gaelik Razimbaud, 2019, Papana revient sur la scène littéraire mahoraise avec Il était une fois le 101e département… Précédé de Deux contes et Vers libres aux éditions Les Impliqués. Rappelons que Papana est le nom de plume de Naouirou Issoufali, poète auteur de nombreux recueils : Mon Île (Elzévir, 2008), Révélations (Elzévir, 2010), Femmes d’ici et d’ailleurs (Menaïbuc, 2011), Céleste est la plume ( Publibook, 2012) et Pensées confuses (Publibook, 2015).

Cet ouvrage, que nous avons préfacé, s’avère relativement complexe. En effet, il se compose de trois ensembles hétérogènes. On y trouve, comme le titre l’indique, “ Deux contes ”, mais aussi des “ Vers libres ”, sans oublier le texte éponyme “ Il était une fois le 101e département ”. Or, ce titre place l’ouvrage dans la perspective de l’esthétique du conte étant donné la reprise de la formule liminaire

“ Il était une fois ”. Mais l’interrogation se multiplie alors, car cette formule rituelle n’est pas celle qui est utilisée à Mayotte et il convient alors de s’interroger sur le dialogue interculturel entre l’endogène et l’exogène. En outre, l’expression “ cent-unième département ” renvoie également à une vision moderne et française de l’île autrement appelée Mayotte, Maore ou Mayana en langue vernaculaire.

Laissant aujourd’hui de côté les vers libres, nous enquêterons sur les deux contes ainsi que sur le texte éponyme. Placés en début du recueil, ces deux textes s’intitulent respectivement : “ Daday ou l’arbre à palabres ” et “ Transmets ! Et tu seras éternel… ”. Une certaine morale des contes se retrouve ici, qui confirme l’importance de la forme du conte dans la construction d’un système de valeurs. Le conte est ensemble de mots liés à l’arbre à palabres ; il est ensuite mode de transmission, ce qui le rend, au prix de métamorphoses, éternel.

En ce qui concerne le premier texte, Daday est un personnage insouciant qui, en contexte colonial, réussit à échapper un temps au travail forcé. Capturé un jour, il ne courbe pas pour autant l’échine et milite pour un sort meilleur. Les colons décident alors de le mettre à mort dans une mise en scène exagérée. Qui connaît l’histoire de Mayotte verra poindre, derrière le conte, la trajectoire de Bakary Koussou, compagnon d’armes d’Adriantsouli dont le nom est mêlée à la seule révolte anti-coloniale connue par Mayotte, en 1856. Le conte se termine sur l’apparition surnaturelle d’un baobab indestructible à l’endroit de la mise à mort de Daday, arbre tutélaire qui fait fuir les colons et devient le lieu de palabres des villageois.

En ce qui concerne le deuxième texte, de façon classique, il s’agit de la transmission de la tradition par un grandpère effrayé des errements de la modernité, à un petit-fils qui subira ce monde. Plus encore que le fond du conte, c’est sa forme qui retient notre attention. Papana adopte un style moderne et une diction scandée proche du rap : “ Stylé comme un cow-boy avec son chapeau sur la tête, il aimait me raconter des histoires à n’en plus finir. […] “ Écoute, fils, au risque de mourir inculte, pour ta descendance tu ne seras pas un culte. L’histoire des quatre frères m’est très très chère, alors ne te détourne pas de l’essentiel, car tout le reste n’est que superficiel. Avec ton air débonnaire, laisse-toi errer dans cet ensemble céleste et, sans plus attendre, remontons le temps. ” (p. 27)

Enfin, le texte principal du roman, “ Il était une fois le 101e département ” se compose quatre parties. Encadré par un prologue et un épilogue, il contient en son sein deux parties intitulées “ Histoire singulière et évolution statutaire de Maoré (Mayotte) et “ Une Relation ambiguë et particulière ”. La forme du conte se fait donc accueillante car les titres apparentent également le conte à la chronique et à l’essai. En shimaore, un conte se dit hale, adverbe qui renvoie au passé. Et tirer la morale d’un conte se dit Utoa hale. Au-delà de cette forme, le conte n’invite-t-il pas à tirer une leçon de tout texte. Papana s’interroge, en ce sens, dans le prologue du dernier texte, sur ce qui le pousse à écrire. Nous citons sa litanie :

“ J’écris pour raconter notre histoire.

J’écris pour dénoncer les injustices. […]

J’écris pour ne pas perdre pied.

J’écris pour un monde meilleur.

J’écris pour apaiser la douleur et la haine.

J’écris pour faire cicatriser les plaies.

J’écris pour être un objecteur de conscience.

J’écris pour l’amour des mots.

J’écris pour parler d’une population qui se cherche. ” (p. 51)

This article is from: