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MAYOTTE JEUNESSE (1/6) : UN DIALOGUE ÉLÈVESENSEIGNANTS
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.
La littérature de jeunesse se présente souvent comme une littérature écrite par les adultes pour les enfants. Elle pourrait pourtant se définir tout aussi bien comme ce que les enfants écrivent. C’est dans cette perspective autre que nous souhaitons inaugurer une série de chroniques sur la littérature de jeunesse. Et pour commencer avec une forme d’actualité du genre, nous allons nous intéresser au diptyque publié chez L’Harmattan, sous l’égide du tout nouveau Rectorat de Mayotte en 2020. Il s’agit de deux recueils de textes écrits par des élèves de Mayotte pendant le premier confinement et sur l’épidémie de la COVID19. Le premier volume contient des « Écrits de collégiens » et s’intitule Paroles des confins. Le deuxième volume recueille des « Écrits de lycéens » sous le titre Nécessaire et la clôture.
Dans son avant-propos, le Recteur de Mayotte, Gilles Halbout, se réjouit de la parution de l’ouvrage dans lequel il voit « une si belle pierre mahoraise » (p. 10) contribuant l’édifice d’une littérature dans l’île aux parfums. Et dans son introduction, Catherine Daumas, Inspecteur de Lettres à Mayotte, se place sous le patronage de Christian Bobin et voit dans l’écriture des textes à suivre une manière de traverser une vitre :
« Le confinement semble avoir dressé une vitre entre nous et le monde que nous percevons, nous n’entendons plus que de loin. Et si cette vitre, pour reprendre la belle image de Christian Bobin, doit nous protéger, comment alors s’évader, garder un contact avec le monde ? » (p. 11)
Tout l’intérêt de l’attitude de Christian Bobin consiste à chercher une manière délicate de traverser la vitre sans la faire voler en éclats. L’ouvrage contient six chapitres qui tentent des propositions pour ce faire et mettent en valeur des dominantes de la littérature à Mayotte. En effet, les dix premiers textes de Collégiens sont regroupés sous le titre « À l’aventure ! » et font de la situation sanitaire une aventure à vivre et une adversité à dépasser. Le deuxième chapitre s’intitule « Les anciens racontent le confinement ». On sait qu’à Mayotte, les Anciens occupent une place importante dans une société traditionnelle où le droit d’aînesse est révéré. L’intérêt de cette partie est de se référer à cette autorité et certains élèves, au lieu de faire raconter l’épidémie par des personnes âgées, tentent l’entreprise d’une narration ultérieure où celui qui est devenu une personne âgée, blanchie sous le harnois, chargée d’ans et d’expérience, se souvient de cet épisode sanitaire qu’elle a vécu dans sa jeunesse et dont elle a progressivement tiré les leçons.
La littérature est aussi jeu avec les formes, ce que l’on appelle parfois, d’un vieux mot, eutrapélie. C’est pour cette raison que le troisième chapitre évoque la COVID19 à travers la forme de l’abécédaire. Le chapitre suivant « Quand les animaux parlent » choisit un point de vue énonciatif particulier, celui du maki ou de la tortue, sans doute en hommage à un certain nombre de contes qui mettent en scène des animaux qui parlent comme les humains. L’avantdernier chapitre présente une note plus sombre et s’intitule « Renoncement ». Dans les textes qu’il contient, les personnages souffrent de la solitude et assimilent la maladie à un monstre. Fort heureusement, cette impression est contrebalancée par le chapitre suivant : « Enfin la liberté ! ». Nous indiquons, en dernier ressort, que dans le livre résonne aussi la langue de Mayotte, notamment dans les slogans inventés au moment de la crise : Ketzi dagoni – « Reste à la maison » – et Namu baki dagoni – « Restez chez vous »
Nécessaire est la clôture regroupe quant à lui des écrits de lycéens. Le premier groupe de textes à retenir notre attention est celui qui prend la forme d’une lettre ouverte au Ministre débutant par ces mots de René Barjavel : « Mais arracher des enfants à leur activité normale, qui est celle de l’agitation inutile et joyeuse, pour les enfermer entre quatre murs ». Et le texte se déroule ensuite à partir de cet incipit dont la suite n’apparaît pas : « où pendant des années on leur empile dans le crâne des notions abstraites, c’est la torture la plus masochiste que l’homme ait inventé contre lui-même. »
Une deuxième famille de textes, poétiques cette fois, s’appuie, quant à elle, sur la citation de François Cheng qui donne son titre au volume : « Nécessaire est la clôture/ Pour que le lieu devienne lien / Et le temps attente. ». Dans cette section, un texte au style plein d’alacrité retient notre attention : « Pour gagner une liberté approximative » de Zaada Fouhara Mouayad Ben. Et pour finir cette chronique sur un ouvrage qui met en valeur les élèves, nous souhaitons mettre en avant leurs professeurs car, au fil des pages, nous avons retrouvé les noms d’enseignants que nous avons croisés à Mayotte, notamment Alain Charier et Anouk Martaud-Robert. Et nous terminerons par le texte qui nous a le plus touché, signé Sarah Ibramdjy et intitulé « Les Idées envolées ». Il contient une mise en abyme de l’écriture ainsi qu’une scène de bain qui permet une renaissance : « Sur un coup d’adrénaline, je retire en vitesse mes habits, et plonge dans l’eau cristalline qui m’engloutit lors de mon saut et me rejette ensuite à la surface. Je sens la fraîcheur parcourir mon corps, et dissiper ma crise de chaleur. L’eau est devenue pure, et tellement claire que, même sans masque de plongée, je peux apercevoir quelques poissons venus me saluer, ainsi que les coraux éclatants de couleur aux rayons de soleil. Pour la première fois depuis très longtemps, j’ai l’impression de vivre réellement ma vie, sans me soucier de rien. » (p. 41-42)