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LITTÉRATURE LISEZ MAYOTTE NASSUR ATTOUMANI ET SES ANACHRONIQUES DE MAYOTTE (9/10)
AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.
Recueil de nouvelles ou chronique romancée d'un Mahorais nommé Lodosomono, attachant et naïf ? Mais aussi, ana de pensées profondes : « Mieux vaut discuter avec un édenté que de se disputer avec un sourd » ? Ou encore contes revisités : « Le cavalier magique » ? Côté anachronisme : « Ramsès II », « Machiavel », « La panthère rose » sont dans un jury désigné par « La Française des jeux ». Satire caustique : « Le Procureur pénal international souhaiterait le voir lapider »... Comment définir ces textes ? Les anachroniques de Mayotte sont tout cela à la fois, avec l'humour en bonus : « Judas Iscariote veut vendre le verdict à CNN pour la modique somme de 30 piastres... »
Le huitième texte bref des Anachroniques de Mayotte (2012) s’intitule « Le Détecteur de mensonges ». Après « La Radio qui récitait le Coran » et « Lodosomono et le réveil indiscret », c’est la troisième nouvelle à mettre en scène un objet technique et sans doute le plus complexe. Tout commence par une invitation :
« Ainsi va la vie jusqu’au jour où le palais reçoit un émissaire arabe muni d’un parchemin qui porte les armoiries de la Reine de Saba. Bilkis veut rendre visite au roi Salomon qui vient d’inaugurer le Temple de Jérusalem. ‘C’est une invitation pour deux personnes de votre choix. Vous ferez partie de la suite royale, lui assure l’étranger.’ » (p. 124)
L’invitation vient donc de Jérusalem. Mais elle est délivrée par des personnages anciens, liés à l’histoire mythique de l’archipel des Comores : le roi Salomon et la reine de Saba, autrement appelée Bilkis. Comme il se trouve que Lodosomono parle hébreu, il sera le plus un du roi. Mais une tempête fait tout perdre aux deux voyageurs. C’est alors que les difficultés commencent :
« Repérés par un drone israélien, voilà ensuite nos malheureux diplomates reconduits à la frontière pour entrée illégale en terre sainte. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, ils se retrouvent au poste de police. À cause de leurs faciès trop bronzés au goût des forces de l’ordre, ils se retrouvent dans les oubliettes en compagnie d’un prisonnier de droit commun. » (p. 126)
Et les deux personnages de finir en prison. Cela peut commencer par divertir le lecteur étant donné qu’il s’agit une infortune qui arrive à des puissants qui seront se relever et pour qui elle n’est qu’une parenthèse. Mais la légèreté fait place à l’amertume lorsque le motif d’incarcération d’« entrée illégale en terre sainte » se transforme en discrimination raciste.
En prison, Mwalimu Boro et Lodosomono rencontrent un innocent incarcéré à tort. Ils ont alors l’idée de lui venir en aide en se servant d’un détecteur de mensonges :
« À chacune des questions concises de Maître Lodosomono, le cousin du tireur du pousse-pousse bafouille, saute du coq-à-l’âne, transpire, tourne la tête à gauche et à droite, se gratte la nuque, s’essuie la bouche avec le revers de sa main. À chacune des réponses vagues de l’homme acculé à la vérité, l’oscillogramme s’emballe, bondit, reste en l’air pareil à l’aiguillon d’un scorpion qui se déplace à découvert. Et puis, comme si le ciel venait de lui tomber sur la tête, l’homme éclate en sanglots. » (p. 133-134)
Dans cette nouvelle version de Joseph et de la femme de Potiphar, l’innocent finit par être acquitté, en raison ici, d’un procédé plus moderne que dans l’histoire originale. Mais quel est le but de ce récit de cocuage réciproque ? Il s’agit en réalité de présenter une satire de la justice et de la politique. En ce qui concerne la satire de la justice, on se rapportera à la liste des juges choisis pour le procès : Ramsès II, Machiavel, Judas, Gengis Khân, La Panthère Rose et Pol Pot. En ce qui concerne la satire de la politique, on indiquera l’usage que l’un des juges veut faire de l’objet récemment découvert :
« Ramsès II, quant à lui, envoie un SMS de félicitations républicaines à Lodosomono et invite les deux ultramarins et l’ensemble du jury à l’exception de Judas Iscariote à prendre l’apéritif dans la salle Hypostyle de Karnak. Comme le reste de ses collègues, le Pharaon entend équiper, en secret, l’ensemble de son royaume de détecteurs de mensonges afin de déjouer au jour le jour, les complots ourdis dans son propre palais par une immigration incontrôlée souvent imprévisible. » (p. 135)
Le narrateur entre donc dans les coulisses de la politique pour en dénoncer les affres. Mais dans cette affaire de relations publiques, tout n’est pas perdu car un innocent a été sauvé et justice a été rendue !
Christophe Cosker