La imagen ritual

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Sous le haut patronage de Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier et Nathan Wachtel « La collection des Cahiers d’anthropologie sociale publie les travaux menés au Laboratoire

L’Herne

Cahiers d’anthropologie sociale

d’anthropologie sociale du Collège de France, en particulier les journées d’études régulièrement institutions autour de grands thèmes d’actualités abordés dans la perspective réflexive de l’anthropologie. » Philippe Descola

L'image rituelle Cahier dirigé par Carlos Fausto et Carlo Severi Les arts non-occidentaux sont des traditions iconographiques peuplées d’images intenses et fragmentaires dont la forme mobilise un travail du regard qui en suscite les aspects latents.

L'image rituelle

organisées en son sein qui réunissent des membres du laboratoire et des chercheurs d’autres

d’approfondir et de généraliser cette approche, qui conduit à considérer les images, ou les artefacts, non pas uniquement comme des systèmes de signes, mais aussi et surtout comme des systèmes d’actions et de relations. Lorsqu’ils apparaissent au sein de l’action rituelle, les objets ne fonctionnent plus comme de simples supports d’un symbolisme, mais constituent de véritables moyens d’agir sur autrui, des dispositifs complexes de médiations investis de sens, de valeurs, d’intentionnalités spécifiques. Dans la perspective adoptée ici par un groupe de chercheurs français et brésiliens, ce n’est pas seulement l’interprétation de l’objet en tant que personne, qu’il s’agit d’explorer. L’artefact n’apparaît plus comme la simple « incarnation » d’un être individuel, mais devient l’image complexe d’un ensemble de relations.

Contributeurs :

15 €

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Julien Bonhomme Bruna Franchetto Carlos Fausto Tommaso Montagnani Isabel Penoni Acácio T. C. Piedade Carlo Severi Charles Stépanoff Aparecida Vilaça

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Un certain nombre de recherches, dont ce volume rend compte, permettent aujourd’hui

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CAHIERS D’ANTHROPOLOGIE SOCIALE

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Ouvrage publié avec le soutien du Collège de France

© Éditions de l’Herne, 2014 22, rue Mazarine 75006 Paris lherne@lherne.com

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L’IMAGE RITUELLE

Ce Cahier a été dirigé par Carlos Fausto et Carlo Severi

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Cahiers d’anthropologie sociale Comité d’honneur

Claude Lévi-Strauss (1908-2009), Françoise Héritier, Nathan Wachtel Directeur

Philippe Descola Coordinateurs de la collection

Salvatore D’Onofrio, Noëlie Vialles Comité de rédaction

Julien Bonhomme, Andréa-Luz Gutierrez-Choquevilca, Monique Jeudy-Ballini, Dimitri Karadimas, Frédéric Keck

Les Cahiers d’Anthropologie Sociale publient les journées d’étude et les séminaires du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS), unité mixte de recherche du Collège de France, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de la recherche scientifique.

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Sommaire Carlos Fausto et Carlo Severi

Introduction......................................................................................

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Carlos Fausto et Isabel Penoni

L’effigie, le cousin et le mort. Un essai sur le rituel du Javari (Haut-Xingu, Brésil)............................................................................

Aparecida Vilaça

Le contexte relationnel du cannibalisme funéraire wari’................................

Bruna Franchetto et Tommaso Montagnani

Langue et musique chez les Kuikuro du Haut-Xingu........................... ..........

Acácio T. C. Piedade

Le chant des flûtes : musique des esprits chez les Wauja du Haut-Xingu............

Julien Bonhomme

La voix du mongɔngɔ ou comment faire parler un arc musical.........................

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Charles Stépanoff

Technologies cognitives du voyage chamanique. Cas iakoutes......................... 112

Carlo Severi

Être Patrocle. Rituels et jeux funéraires dans l’Iliade.................................. 147

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Introduction Carlos Fausto et Carlo Severi

Depuis la publication de Art and Agency (Gell, 1998, éd. fr. 2009) l’étude des formes d’action, et donc de subjectivité, attribuées aux artefacts est devenue un des thèmes majeurs de la recherche anthropologique. Lorsque Gell parlait, il y a bientôt vingt ans, d’agentivité de l’objet, il se référait toutefois à une notion de « vie » encore assez sommairement définie. Partout présente dans nos sociétés, l’idée d’une agentivité attribuée aux artefacts engendrait à ses yeux une croyance certes profondément enracinée dans la cognition humaine, mais aussi diffuse et volatile. Chacun de nous a, par exemple, l’expérience d’une parole virtuellement adressée à des animaux ou à des objets inanimés, auxquels nous attribuons, presque sans le vouloir, une personnalité ou une forme humaine. Poupées, voitures, ou ordinateurs nous apparaissent alors, le temps d’une phrase et du jeu d’interlocution qu’elle suppose, comme des interlocuteurs provisoirement légitimes. Lorsqu’on s’adresse ainsi aux objets de la vie quotidienne, ou qu’on leur attribue des pensées, des affects, des perceptions semblables aux nôtres, on suspend provisoirement cet état d’incroyance, pour utiliser la fameuse expression de Coleridge, qui nous dicte normalement une tout autre attitude envers les êtres inanimés. Cette suspension peut nous paraître bien naturelle et spontanée. Elle est aussi, toutefois, bien instable, et révocable à tout instant. On ajoutera que l’agentivité de Gell était étroitement liée à l’idée, bien propre à l’anthropomorphisme occidental, d’une relation, presque spéculaire, entre un objet et une personne. Les artefacts, individuels ou distribués, qu’il étudie dans son livre, pensent, ressentent et parlent, souvent, comme des humains. Que se passe-t-il lorsque des objets inanimés assument d’autres identités que celle d’un être humain ? Comment changent-ils lorsqu’ils se trouvent inscrits dans un contexte bien plus contraignant que la simple « suspension d’incrédulité », comme celui de l’action rituelle ? Quelles formes prend alors la croyance ?

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L’image rituelle Comment préciser les relations qui se nouent entre l’objet et l’être vivant qu’il est censé incarner ? Telles sont les questions, que les textes ici rassemblés (qui résultent d’une recherche collectivement menée1) tentent de poser. En ce qui concerne la référence à l’humain, constante chez Gell, une des contributions de ces recherches ici réunies est sans doute que dans les traditions iconographiques non occidentales (notamment amérindiennes, sibériennes et africaines) qu’on a étudiées, l’anthropomorphisme ne semble pas jouer le même rôle qu’en Occident. L’iconisme semble s’établir dans ces traditions selon de tout autres principes. Dans le cas amérindien, par exemple, le problème de la figuration d’un être doué de pouvoir, que d’autres ont pu concevoir comme un « invariant anthropologique » au sein d’ontologies différentes (Karadimas, 2012), ne conduit nullement à la projection d’une identité humaine sur l’artefact, mais plutôt à l’engendrement d’images hybrides et paradoxales, où les identités semblent s’enchâsser les unes dans les autres, selon un dispositif de références multiples (Fausto, 2011), composés de traits contradictoires (Severi, 2007). En ce qui concerne l’inscription de l’objet dans un contexte rituel, on admettra que c’est sans doute au sein de l’action rituelle, où se construit progressivement un univers de vérité distinct de celui de la vie quotidienne, que l’exercice de la pensée anthropomorphique ou, plus généralement, « subjectivante » peut cristalliser et engendrer des croyances durables. Les objets y assument, de manière infiniment plus stable, un certain nombre de fonctions propres aux êtres vivants. Ces mêmes objets, toutefois, peuvent aussi y prendre la place d’un défunt (Fausto et Penoni, Severi), ou établir une relation avec un environnement spatial et social à travers une forme spécifique de mouvement collectivement orienté (Stépanoff). Ailleurs, les artefacts peuvent chanter, faire de la musique (Bonhomme) ou prendre la parole à la place d’un être audible, mais qui échappe à la vue, tout en « habitant » un instrument (Piedade, Franchetto et Montagnani). Dans l’espace du rituel, sous forme de statuettes, d’images peintes ou sonores, les objets sont naturellement censés représenter des êtres (esprits, divinités, ancêtres) et c’est bien en tant que représentations iconiques que les anthropologues ou les historiens de l’art les considèrent habituellement. Il est pourtant clair que lorsqu’il agit sur la scène rituelle, lorsqu’il partage une expérience avec d’autres acteurs du rite, ou qu’il prend la parole pour eux, l’objet remplace l’être représenté. En fait, plusieurs études ici réunies montrent que cette focalisation sur la mise en acte de l’objet dans le rituel peut nous amener à considérer les artefacts non plus comme des systèmes de signes, mais aussi et surtout comme des systèmes d’actions et de relations. La prise en compte des dimensions pragmatiques et performatives des artefacts nous a paru, de ce point de vue, tout à fait essentielle. Lorsqu’on les analyse du point de vue de leur agentivité rituelle, les objets n’apparaissent plus comme de

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Introduction simples supports inertes d’un symbolisme, mais constituent de véritables moyens d’agir sur autrui, des dispositifs complexes de médiations investis de sens, de valeurs, d’intentionnalités spécifiques. Il s’agit donc d’aller au-delà de la pure mise en place de schémas d’action impliqués par les images, pour saisir, à travers l’étude des relations impliquées par l’iconographie, une dynamique propre à l’objet rituel. En fait, si les objets jouent bien le rôle de médiateurs de relations sociales, c’est dans le contexte de l’action rituelle que l’interprétation de leur agentivité se réalise pleinement. Dans l’étude de la performativité attribuée aux objets, on devra donc s’attendre à la mise en place d’identités complexes, résultant de l’établissement de relations rituelles, et non seulement au simple transfert d’un « anthropomorphisme universel » dans le monde des artefacts, comme l’ont proposé, entre autres, Karadimas (2012) et Boyer (2001). On émettra donc l’hypothèse que plus le réseau de relations nouées entre objets et personnes est pluriel et complexe, plus la croyance dans la vie de l’artefact se révélera saisissante et persistante dans le temps. Dans cette perspective, l’artefact n’apparaît donc pas comme la simple « incarnation » d’un être individuel, mais comme l’image complexe d’un ensemble de relations. Pour retrouver les traces de cette mémoire de l’action rituelle dont les artefacts sont porteurs, il faut en somme explorer le champ des subjectivités et des agentivités possibles des objets. Tel est le domaine nouveau que ces travaux, chacun selon ses propres modalités, ont eu l’ambition d’explorer. À travers une analyse d’une effigie funéraire, le Javari des Kuikuro du HautXingu (Brésil), Fausto et Penoni montrent comment un pantin rustique et vaguement anthropomorphe fait figure de personnage central d’un drame rituel. Grâce à la parole et à l’action rituelles, le pantin devient progressivement le support des relations incompatibles : symétriques et horizontales entre affins-ennemis, complémentaires et verticales entre vivant et mort. De son côté, Aparecida Vilaça présente une étude du cannibalisme funéraire wari’ (Txapakura, Rondônia, Brésil), fondée sur les narrations détaillées d’informateurs ayant participé eux-mêmes à ces rites, à partir d’une critique de la conception de « condensation rituelle » développée par Houseman et Severi (1998) dans leur analyse du Naven Iatmul. Vilaça veut montrer que ce rituel, ainsi que d’autres brièvement analysés à la fin de l’article, n’ont pas comme but central de l’action rituelle la production de personnes qui condensent différents rôles sociaux, mais au contraire, qu’ils visent la décompactation de rôles multiples superposés. Bruna Franchetto et Tommaso Montagnani introduisent la notion d’image rituelle sonore. Chez les Kuikuro du Haut-Xingu il existe en effet un genre de musique rituelle de flûte (appelé Kagutu), qui évoque à la fois le référent linguistique (le nom propre) et la présence matérielle (sonore) de certains êtres surnaturels. Dans ce contexte d’évocation rituelle des esprits, il est donc possible de parler d’une

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L’image rituelle structuration linguistique de la matière musicale, tout autant que d’une musicalité propre à la langue parlée. Acacio Piedade analyse un rituel des flûtes sacrées chez les Indiens Wauja du Haut-Xingu (Amazonie) qui soulève des questions importantes concernant la cosmologie, le chamanisme, et en particulier certaines caractéristiques du système musical de ce rituel où l’on peut observer l’application de techniques très spécifiques de répétition et variation. À partir de l’exemple d’une tradition religieuse du Gabon, Julien Bonhomme étudie l’attribution d’une forme aux instruments de musique rituelle. Dans le Bwete, la harpe et l’arc musical sont en effet censés « parler ». Ils sont dotés d’une voix conçue à l’image de celle des hommes, mais prêtée aux entités surnaturelles dont le rituel sert à convoquer la présence. Cet anthropomorphisme repose sur un savoir symbolique de type mythique, mais également sur deux procédés iconiques complémentaires : un iconisme visuel qui donne à voir un visage et un iconisme sonore qui fait entendre une voix. Le premier procédé est illustré par l’effigie anthropomorphe qui décore la harpe ; le second, par la technique vocale-instrumentale de l’arc musical. Charles Stépanoff montre qu’en Sibérie, chez les Iakoutes, la qualité d’agent rituel ne se définit pas seulement par la faculté d’exercer des pouvoirs causaux ou par la possession d’une intériorité, mais aussi par une capacité spécifique de mouvement sur un territoire propre. Au cours du rituel chamanique iakoute, la mise en place de cet itinéraire de l’esprit est rendue possible par trois types de procédés – linguistiques, gestuels et matériels –, qui se renforcent conjointement pour former ensemble une « technologie cognitive » de l’action rituelle. Poursuivant une recherche commencée ailleurs sur la relation rituelle entre morts et vivants en Grèce ancienne, Carlo Severi (2009) analyse les jeux funéraires destinés, dans l’Iliade, à honorer la mémoire de Patrocle. Il étudie, en particulier, comment une image rituelle du mort s’y double d’une image propre au jeu. Quelques considérations sur le cannibalisme funéraire des Wari, en réponse aux objections d’Aparecida Vilaça, concernant la notion de condensation rituelle, lui permettent ensuite d’esquisser deux prolongements possibles de l’analyse relationnelle de l’action rituelle inaugurée dans Naven (Houseman-Severi, 1994) : l’étude des interactions quasi-rituelles, définies comme des interactions qui ne satisfont pas toutes les conditions qui définissent normalement une situation cérémonielle (dont les jeux de l’Iliade sont un premier exemple) et l’analyse des situations métarituelles, qui mobilisent l’analyse de relations qui peuvent s’établir, comme dans le cas Wari, entre rituels, et donc entre groupes de groupes de relations.

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Introduction NOTE 1 Ce groupe de recherche, coordonné entre 2007 et 2012 par Carlos Fausto (Museo Nacional, UFRJ, Rio de Janeiro) et Carlo Severi (EHESS-CNRS, Paris), a réuni des chercheurs brésiliens et français, dans le cadre d’un accord de coopération Capes-Cofecub (2007-2007) suivi par un Programme SaintHilaire (2011-2012). Il a aussi bénéficié du soutien du projet ANR « Art, Création, Mémoire », dirigé par Carlo Severi au sein du Laboratoire d’anthropologie sociale (Collège de France, CNRS et EHESS). Nous remercions aussi, pour son aide amicale, le Groupe de recherche international « Anthropologie de l’art » du Musée du quai Branly. Nous tenons à les remercier tous pour leur soutien généreux.

Bibliographie Boyer, P. 2001 Religion explained. The human instincts that fashion gods, spirits and ancestors, Londres, Heinemann. Fausto, C. 2011 « Le masque de l’animiste : chimères et poupées russes en Amérique indigène », Gradhiva 13 : 48-67. Karadimas, D. 2012 « Animism and Perspectivism : still anthropomorphisms ? On the problem of perception in the construction of Amerindian Ontologies », Indiana 29 : 25-51. Gell, A. 1998 Art and agency : an anthropological theory, Oxford, Clarendon Press. Trad. fr. 2009 L’art et ses agents : une théorie anthropologique, Paris, les Presses du réel. Severi, C. 2007 Le principe de la chimère : une anthropologie de la mémoire. Paris, Éd. Rue d’Ulm-Musée du Quai Branly. 2009 « La parole prêtée. Comment parlent les images », in C. Severi et J. Bonhomme, éd., Paroles en actes (« Cahiers d’Anthropologie Sociale », 5), Paris, L’Herne : 11-41. Houseman M. et Severi, C. 1994 Naven, ou le donner à voir. Essai d’interprétation de l’action rituelle, Paris, CNRS Éditions et Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 224 p.

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