Bruno Meyssat

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Bruno Meyssat « Quand les fusées décollaient, on ne savait pas si elles allaient exploser » Propos recueillis par Adèle Duminy Votre création précédente, 15 %, se concentrait sur la crise financière et sur la manière dont elle s’inscrivait insidieusement dans nos comportements. Est-ce le caractère dispendieux du programme Apollo qui vous intéresse ? Bruno Meyssat Je ne pourrais pas enchaîner deux spectacles sur la finance. Bien sûr, le programme Apollo ne peut pas être désintéressé puisque ça a coûté 125 milliards de dollars. Il est l’aboutissement d’une rivalité russo-américaine. D’ailleurs, on parlait bien de « conquête » spatiale. Toutefois, ce n’est pas cet aspect qui finalement le caractérise aujourd’hui. Notre l’abordons comme la manifestation somptueuse de la curiosité des hommes, l’accomplissement de potentiels, la mise à l’épreuve de leur sensibilité dans des conditions exceptionnelles. Quelle incidence cette quête de l’espace a eu sur les gens ? B. M. Je ne sais pas, mais je peux parler de ma propre expérience en tant qu’enfant témoin de cette époque. Pour les enfants qu’on était c’était le côtoiement au plus près de l’extraordinaire. On était dans un transport complètement puissant, emballant, proche du rêve. Quand les fusées décollaient, on ne savait pas si elles allaient exploser. On n’était pas dans l’histoire, on était dans le temps présent. L’arrivée sur la lune a été proprement irréelle à l’époque. Il n’y a pas une personne qui n’en parlait pas. C’est probablement le seul événement laïc et civil qui a concerné autant de monde, au même moment, sur la planète. Dans vos spectacles, on peut être confronté à la noirceur de l’homme dans une tonalité assez tragique. Avec sa charge épique, le projet de votre nouvelle pièce Apollo paraît en rupture. B. M. Oui c’est bien possible. Il y a cette dimension inouïe dans le programme Apollo ! De la Terre à la Lune cela fait un déplacement difficilement représentable, des mises en condition risquées et inédites. Ça pouvait mal se passer. L’assistance informatique était bien embarquée mais toutes les données étaient intégrées à la main. Le risque pris par J. F. Kennedy c’est d’avoir dit trois choses : « on va envoyer des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie et on les ramènera, il y aura une transparence totale pour les medias enfin ce sera très difficile et coûteux pour chaque américain, mais on le fait aussi parce que c’est difficile ». C’est un coup de force audacieux ! J’ai plaisir à aborder cette chose-là.

Dans votre compagnie Théâtres du Shaman, la documentation et l’immersion sont des phases importantes de votre travail préparatoire. Où en êtes-vous actuellement ? B. M. On a commencé des réunions de lecture avec les acteurs en septembre 2013. On se documente beaucoup sur des séquences clefs de ces voyages : le décollage, l’entrée dans l’ombre de la Lune, l’observation de sa face cachée, les sensations provoquées par le sol lunaire, son ciel, le souci d’observation des sols et des prélèvements géologiques, le retour... Quand on lit ça, on est touché tout de suite, même par des actes parfois anodins. Un lyrisme, une envie d’horizon, le caractère entier, pénétrant, qui se dégage de ces témoignages nous touche, surtout en ce moment de mornes plaines que nous vivons. En avril nous partirons aux États-Unis à Cap Kennedy sur les aires de lancements, puis à Houston à la Nasa pour des entretiens avec des témoins de cette époque. C’est une séquence cardinale et intense de partage avec les acteurs. Tous ces textes dont vous vous nourrissez seront-ils intégrés à la mise en scène ? B. M. Nous souhaitons faire entendre certains textes : la pièce sera peut-être plus verbale que les précédentes créations tant ce qu’on a découvert est captivant. Je pense aussi à Bivouac sur la Lune de Norman Mailer, qui est un livre majeur pour ce sujet. Et puis, nous travaillons également avec d’abondantes archives sonores, dont certaines pourront être exploitées sur scène. Quel sera le rapport aux objets dans Apollo ? Pensezvous en récolter ? B. M. La première chose qu’Armstrong devait faire c’était prendre un échantillon de la Lune, au cas où il y aurait une urgence, il fallait ramener un bout. Ce détail m’obsède depuis le départ. L’idée d’échantillon, de roche, en quoi c’est exemplaire du rêve de la Lune ? et c’est vrai, quand j’ai vu aux États Unis un petit bout de Lune, ça m’a refait le même coup. Si on veut bien méditer sur ce bout qui a été ramené, il contient beaucoup de rêverie au sujet de la Lune. © MC2: Tous droits réservés

apollo Conception et réalisation bruno meyssat Du vendredi 14 au vendredi 21 novembre


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