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µ Le jeudi 27 mars à 19h30 MC2: Auditorium

Orchestre d’Heidelberg Un jour sonore avec Haydn DIRECTION : THOMAS FEY Programme : Joseph Haydn Symphonie n° 6 "Le matin" Symphonie n° 7 "Le midi" Symphonie n° 8 "Le soir"

Entretien avec Thomas Fey ENTRETIEN ET TRADUCTION RÉALISÉS PAR ANNE LE NABOUR LE 15 FEVRIER 2014

Parlez-nous de votre parcours. J’ai commencé par apprendre le piano, l’orgue, le saxophone et la contrebasse. Adolescent, je me destinais à être archéologue, mais quelques temps après, deux femmes professeurs de piano m’ont littéralement fasciné, et j’ai décidé de devenir pianiste. Archéologue ou musicien, c’est un peu la même chose, d’autant quand il s’agit de musique d’un passé révolu : la partition ne contient pas tout et l’interprète, par ses recherches, sa sensibilité, son jeu, est pour beaucoup dans le rendu final. Toutefois, à vingt-et-un an, j’ai compris que, malgré mes diplômes, je n’étais pas assez bon pour embrasser une carrière de concertiste. Je me suis alors orienté vers la direction d’orchestre que j’ai étudiée à la Haute École de Musique de Mannheim et au Mozarteum de Salzbourg où j’ai pu bénéficier de l’enseignement de Nikolaus Harnoncourt. Observez-vous toujours le conseil de ce maître qui préconise « un travail fait à 49% de savoir et à 51% d’intuition » ? Oui, et ce n’est pas le seul qu’il m’ait donné. Il m’a dit également que la beauté se trouvait à la limite du risque et que chaque concert devait être envisagé comme une création. Que signifie cette recommandation en pratique ? Nikolaus Harnoncourt prône l’interaction du savoir et de l’intuition. Un minimum de connaissances est, certes, indispensable à toute pratique musicale, mais du savoir doit naître ensuite quelque chose de personnel.

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Comment en êtes-vous venu à vous passionner pour la première École de Vienne ? Je tiens à préciser que je joue aussi le répertoire baroque et romantique. Ce qui me passionne, ce sont les frontières entre les époques : l’émergence des styles, les influences esthétiques. Sur le conseil avisé de Nikolaus Harnoncourt, je m’astreins depuis toujours à passer très progressivement d’une période à l’autre. Après avoir consacré mes premières années au baroque et les dix suivantes au classique, je m’intéresse désormais à la musique romantique. C’est en prenant mon temps que je suis, peu à peu, devenu spécialiste de Mozart, Haydn, Beethoven, Salieri, avant Mendelssohn et Schubert aujourd’hui. En quoi Haydn se distingue-t-il de Mozart et Beethoven ? Contrairement à Mozart et Beethoven, Haydn a été employé la majeure partie de sa vie et a connu la célébrité de son vivant. Ses partitions ont été imprimées très tôt ; les Symphonies Parisiennes et Londoniennes ont connu une diffusion rapide. Assez éloignées de celles de Mozart ou Beethoven, ses symphonies reflètent l’évolution du genre depuis ses débuts jusqu’à la première École de Vienne. Le compositeur a vécu longtemps et il a eu la chance d’expérimenter, des décennies durant, l’orchestre de la cour où il était employé, ainsi que de plus grandes formations, à Londres et à Paris. Comment définiriez-vous le langage musical de Haydn ? Son style est très diversifié : il peut être surprenant, expérimental, dramatique, drôle. Quel est son héritage artistique ? Haydn s’est fait tout seul. Rien n’indique dans sa famille un quelconque lien avec la musique. Originaire d’un village de Basse-Autriche, il devait chanter au sein du chœur de l’église et étudier l’orgue et le piano auprès du maître de chapelle. Grâce à sa jolie voix, il est parti jeune pour Vienne où il a intégré les chœurs de la cathédrale Saint-Étienne. Cela lui a permis d’acquérir une excellente formation musicale. À la mue, il a dû gagner sa vie en jouant dans les tavernes et en donnant des leçons. Quelques années plus tard, on le retrouve maître de chapelle auprès du comte Morzin puis chez le prince Esterhazy. Les symphonies n°6, 7 et 8 ont probablement été composées vers 1761. Quelle est la situation du compositeur à cette époque ? Haydn a passé presque toute son existence auprès du prince Esterhazy : l’hiver à Eisenstadt, en Autriche, et l’été dans la résidence d’Esterhazy, en Hongrie. Il devait composer en permanence car le prince, grand amateur de musique, avait construit son propre théâtre et recevait beaucoup pour des concerts. Haydn écrivait en fonction de l’orchestre mis à sa disposition et les solos particulièrement exigeants, présents au sein des trois symphonies que nous jouerons à Grenoble, laissent supposer qu’il s’agissait d’excellents musiciens. Quelle place la symphonie occupe-t-elle parmi les genres musicaux au milieu du 18e siècle ? Elle est un genre jeune. À cette époque, il n’y a pas de symphonie à proprement parler mais des concertos grosso avec orchestre et instruments solistes, ce dont témoignent Le Matin, Le Midi et Le Soir. Le milieu du 18e siècle constitue une période de transition entre baroque d’un côté, rococo et Sturm und Drang (Tempête et passion) de l’autre. Les premières symphonies de Haydn présentent ainsi 2


encore beaucoup de polyphonies et seulement trois mouvements. À partir de 1760, la présence d’un quatrième mouvement devient de plus en plus fréquente ; au début des années 1770, avec l’émergence de l’esthétique Sturm und Drang, les symphonies, souvent en mode mineur, acquièrent une dimension dramatique inédite, une tendance déjà perceptible dans le dernier mouvement du Soir, La Tempête. Le Matin, le Midi, le Soir : d’où viennent ces titres ? Ces titres viennent de Haydn, et ce sont les seuls pour lesquels nous pouvons l’affirmer. Les autres, apocryphes, ont la plupart du temps été ajoutés après la mort du compositeur. Selon les musicologues, ces trois symphonies se trouvent au carrefour du baroque et du classique. Cette musique est certes issue du baroque – avec des références au concerto grosso, à la place dévolue au clavecin -, mais elle est déjà classique. Les bornes temporelles, fixées parfois théoriquement par les musicologues, sont mouvantes. Quelle que soit l’époque, les compositeurs font des références au passé, et Haydn ne fait pas exception. À titre d’exemple, au 20e siècle, Richard Strauss et Rachmaninov, bien que contemporains de Schoenberg et Berg, continuent à écrire de la musique romantique. Avant eux, Tchaïkovski compose ses Variations Rococo et Grieg sa Suite Holberg « dans le style ancien ». Ces trois symphonies forment-elles une trilogie ? Plus qu’une trilogie, elles forment un cycle. Elles ont été composées les unes à la suite des autres, du fait de la dimension programmatique, et possèdent plusieurs points communs : toutes présentent de nombreuses parties solistes, qui les rattachent d’ailleurs plus au genre de la symphonie concertante, et sont construites en quatre mouvements. S’agit-il de musique à programme ? Ce n’est pas de la musique à programme telle que l’entendaient Berlioz, Liszt ou Richard Strauss. À l’image de la Symphonie Pastorale de Beethoven, cette musique décrit les émotions ressenties face à la nature et non la nature elle-même. Comment définiriez-vous l’Orchestre Symphonique d’Heidelberg ? Comme une famille. Il y a une joie immense à travailler ensemble. L’Orchestre, composé d’intermittents, vit grâce au soutien de sponsors, à la vente de disques et aux concerts. Il n’y a aucun financement public d’où une liberté absolue dans le choix des projets et des solistes, avec qui je tiens à entretenir de bonnes relations tant sur le plan artistique qu’humain. Quels sont ses domaines de prédilection ? Depuis plusieurs années, nous travaillons à la captation de l’intégrale des symphonies de Haydn. Notre répertoire d’élection est donc la première École de Vienne : Haydn, Mozart, Beethoven, mais aussi des compositeurs moins connus, Antonio Salieri (1750-1825), Antonio Rosetti (1750-1792) ou Joseph Martin Kraus (1756-1792). Même s’il s’étend depuis quelques années à Mendelssohn, dont nous avons enregistré l’intégrale des symphonies, Brahms, Schumann et Schubert, il n’est finalement pas si large puisque nous ne jouons ni Tchaïkovski, ni Grieg, ni Ravel, ni Johann Strauss et encore moins Berlioz, malheureusement. Comme tous les orchestres, nous avons nos limites.

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Vous fêtez en 2014 les vingt ans de la formation. Quel regard portez-vous sur ces années écoulées ? Nous avons grandi ensemble. Depuis toutes ces années, le plaisir d’être sur scène et de jouer ne s’est pas atténué. Votre Orchestre joue-t-il sur instruments d’époque? En partie. Les cors, les trombones et les trompettes, oui ; les autres vents et les cordes non. J’ai adopté cette configuration au moment où l’Orchestre commençait à avoir du succès. Je me suis aperçu que si je faisais le choix de ne jouer que sur instruments d’époque, je devrais me séparer de musiciens auxquels j’étais personnellement attaché et, pour des raisons morales, j’ai renoncé. Comment voyez-vous l’avenir de votre Orchestre ? Je souhaite explorer d’autres répertoires : aujourd’hui le romantisme allemand, et, d’ici une dizaine d’années, le 20e siècle avec Chostakovitch. J’aimerais aborder l’opéra – Haendel, Gluck, Haydn, Mozart -, et que l’Orchestre se produise dans les grandes salles du monde, au Carnegie Hall de New York, au Concertgebouw d’Amsterdam ou à la Salle Pleyel. Surtout, j’espère pouvoir continuer à financer ces projets.

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