La Lettre de la bibliothèque n°57 : washi, un univers de papiers

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“Reprisant l’habit

“On dit que les hommes

De papier tanné

ont fabriqué le papier, mais il serait plus correct

En bref

Bibliothèque

Maison de la culture du Japon à Paris

Petit lexique

“C’est également gracieux lorsqu’on enveloppe des

Shôji no yabureme kara tonari no yabureme wo warau (« la

fleurs de mélia dans du papier violet ou qu’on fait,

fenêtre en papier déchiré riant de celle d’en face dans le même état ») : c’est l’hôpital qui se moque de la charité.

en mettant des feuilles d’acore dans du papier vert, des rouleaux minces qu’on lie, ou encore qu’on attache

Tsukiyo ni chôchin

(« pavoiser avec une lanterne sous la lune ») : enfoncer des portes ouvertes.

du papier blanc aux racines.”

sur des œuvres occidentales sans que l’aspect en soit modifié. Dans le cas des livres ou des documents recto verso, sa finesse permet de préserver la lisibilité tout en apportant un soutien pour la lecture. Dans le domaine de l’estampe, le washi est utilisé par des artistes contemporains qui le choisissent pour leur impression. Sa translucidité a permis aussi de développer les usages dans les luminaires et de modifier durablement le design d’espace. Dans ces domaines, le washi est malheureusement concurrencé par des « papiers » faits à partir de fibres mélangées à des fibres synthétiques, parfois même entièrement synthétiques.

Comment voyez-vous l’avenir du washi ? Nous menons avec l’association « Correspondance » un projet sur les savoir-faire comparés des papiers au Japon et en France. Ce projet vise à connaître et comprendre le washi et les papiers occidentaux. Car, sans connaissance, il est difficile d’appréhender les différences de qualité, et d’apprécier les subtilités d’un papier à l’autre.

Washi, un univers de papiers

usage. Sa résistance permet de l’utiliser avec parcimonie : on utilise de fines bandelettes pour consolider des déchirures

En bref...

Sei Shônagon (Xe s.), Notes de chevet

Yokogami yaburi (« déchirer du papier de travers ») : faire une chose impossible. Kamitsuki no tebana

(« le fabricant de papier se mouche entre les doigts ») : ce sont les cordonniers qui sont les plus mal chaussés.

Shôji ni me ari (« les cloisons de papier ont des yeux ») : les murs ont des oreilles. Kamiko nimo eri iwai

(« célébrer la pose du col d’un vêtement de papier ») : faire une cérémonie pour un événement de peu d’importance.

101 bis, quai Branly 75740 Paris Cedex 15 Tél. 01 44 37 95 50 www.mcjp.fr

Ouverture

Du mardi au samedi de 12h à 18h (service réduit entre 12h et 13h) Nocturne le jeudi jusqu’à 20h

Fermeture

Les dimanches, lundis et jours fériés Du 1er au 31 août inclus Directeur de la publication

Tsutomu Sugiura Rédaction

Chisato Sugita Pascale Doderisse Cécile Collardey Conception graphique et maquette

Kamiko shijûhachi-mai (« n’avoir pour toute fortune que les quarante-huit feuilles de son vêtement de papier ») : être très pauvre.

© La Graphisterie®.fr 2016-2018

Noshi wo tsukeru

Dépôt légal

(« apposer un noshi, enveloppe en forme de cornet) » : faire preuve d’une grande sincérité en offrant un cadeau ou un service (peut être ironique également).

Impression

Imprimerie Moutot 2e trimestre 2018 ISSN 1291-2441

de dire que ce sont les dons de la nature qui ont

n°57 • Printemps 2018

Buson (XV e s.), Hiver

La lettre de la bibliothèque

Avec du riz”

Washi représentatifs En 2014, afin de préserver ce précieux savoir-faire face au déclin du nombre d’ateliers, trois variétés ont été classées en tant que Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Le hosokawa-shi est fabriqué au village de Higashi Chichibu et dans la ville de Ogawa de la préfecture de Saitama. Il se caractérise par sa grande résistance, sa brillance et son épaisseur régulière. Il sert aux impressions d’art ou à la reliure de livres japonais.

Le honmino-shi, issu de la ville de Mino dans la préfecture de Gifu, est le plus ancien papier présent dans la Maison du Trésor Shôsô-in du temple Tôdai-ji à Nara. Malgré ses 1 300 ans d’âge, ce papier aurait conservé sa douceur d’origine. Il est notamment utilisé pour la fabrication des luminaires de Gifu, très réputés.

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Ceux qui observent le papier pénètrent du même coup la profondeur de la nature.”

Yanagi Sôetsu (XXe s.), « La beauté du washi »

Washi, un univers de papiers pour permettre l’impression recto verso. Naissent le papier très fin des montagnes de Yoshino, le sugihara produit dans la région de Echizen que seuls les guerriers de l’époque Muromachi utilisaient pour leur correspondance, etc.

Le papier est certainement l’un des traits de civilisation les plus marqués du Japon, non seulement de par sa qualité et sa diversité, mais aussi du fait de la profusion d’objets du quotidien – du vêtement aux objets de culte – dont il est le matériau. On date à environ deux siècles av. J.-C. les premiers fragments de papier retrouvés en Chine, mais c’est en l’an 106 qu'un fonctionnaire de la cour impériale, Ts’ai Lun, aurait eu l’idée d’exploiter les fibres de l’écorce de mûrier, ainsi que d’utiliser l’indispensable tamis pour prélever la pulpe de fibres bouillies. Le papier arrive au Japon par le biais de la Corée avec l’avènement du bouddhisme, devenue religion d’État en 645 dont il permet la diffusion des écrits. En 809, la papeterie impériale de Heian établie, on dénombre bientôt plus d’une centaine de papetiers dans la capitale. Du perfectionnement de la technique naît alors une variété de papiers somptueux ; le danshi dont la blancheur immaculée ravit les aristocrates, ou le gampi, que les dames de la cour affectionnent. À travers leur correspondance personnelle, elles expérimentent le papier coloré, parfumé, brillant aux particules de mica, lissé… Le washi alors imprégné de la sensibilité littéraire féminine de l’époque arrive à un point culminant de diversité et de délicatesse ! À l’époque des guerriers, la matière première manquant, les papiers recyclés sont produits à grande échelle. Les monastères bouddhistes font néanmoins évoluer le washi vers de nouvelles variétés plus résistantes, notamment

Le sekishû-banshi, fabriqué dans le quartier de Misumi-chô de la ville de Hamada (préfecture de Shimane). Les marchands de Ôsaka ont longtemps prisé ce papier très résistant pour leurs livres de compte : en cas d’incendie, ils jetaient ceux-ci par les fenêtres. De texture très douce, il était également utilisé pour les shôji (cloisons coulissantes).

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permis sa manufacture.

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Au début du XVIIe siècle à l’ère du Japon réunifié, la demande grandissante amène chaque région à produire son papier. La qualité devient dès lors disparate et une pléiade de petits métiers se développe : marchands d’éventails, de lanternes, de papiers fantaisie... Les cloisons de papier coulissantes s’imposent dans toutes les maisons, les mouchoirs de papier fins se démocratisent et les publications de livres affluent. Le washi très résistant va aussi permettre l’impression d’estampes appréciées de la nouvelle bourgeoisie. La première machine anglaise à fabriquer le papier débarque au Japon en 1874 et marque le début du déclin du papier artisanal. Mais si la vie moderne se passe parfois du washi millénaire, de nouveaux domaines technologiques s’y intéressent. L’informatique par exemple ; le washi très fin et résistant sert à séparer les condensateurs électroniques. Son effet de lumière tamisée est toujours apprécié des architectes ; ainsi la Tokyo Sky Tree est-elle parée de parois de verre mêlées de fibres de washi. Porte-bonheur de papier mâché, luminaires, boîtes, emballage, calligraphie, origami… Le washi nous accompagne toujours dans les moindres recoins de la vie nipponne. C. C.

Plus les fibres sont longues et serrées, plus le washi est solide et reste intact même plié de façon répétitive ou permanente. Son pH en général neutre et ses ingrédients expliquent sa conservation qui va bien au-delà de 1 000 ans (un papier acide ne dure pas 100 ans).

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“Les rayons lumineux semblent rebondir à

Ressources

la surface du papier

Cinq questions à

d’Occident, alors que celle du hôsho ou du papier de Chine, pareille à la surface duveteuse

Sur Internet •

de la première neige, les absorbe mollement. De plus, agréables au toucher,

Ino-cho paper museum http://kamihaku.com/en (a/j) Quelques trésors, comme le plus ancien xylographe connu, se trouvent dans les collections de ce musée dédié au washi et plus particulièrement au Tosa washi, papier de Shikoku à la tradition millénaire dont l’auteur du Journal de Tosa, le gouverneur poète Tsurayuki Kino lui-même (mort en 945), avait encouragé la fabrication.

nos papiers se plient et

ouvrage de référence détaillant le travail des fibres végétales jusqu’aux utilisations diverses du papier, servi par des illustrations d’objets anciens soigneusement sélectionnés. Japon papier, de Dominique Buisson, richement illustré, cerne le papier, depuis ses fonctions sacrées ou cérémonielles jusqu’à ses déclinaisons les plus courantes et populaires. Washi : The world of Japanese paper, de Sukey Hughes, est un beau livre qui s’apprécie aussi tactilement avec ses échantillons de différents papiers. Véritable traité pratique à l’usage d’éventuels artisans papetiers, Japanese papermaking, de Timoty Barrett, inclut même un chapitre sur la culture des plantes. Des vidéos de TV Tokyo, bien qu’en japonais, offrent un complément des plus intéressants en montrant pas à pas la réalisation de trois papiers emblématiques, le hosokawa-shi, le sekishû-banshi, le honmino-shi, ainsi que le papier kara-kami pour les cloisons fusuma. Voir aussi notre bibliographie en ligne consacrée aux documents d’ordre général sur le washi ou à sa fabrication.

Fonds spécifiques • Paper museum http://www.papermuseum.jp/en/ (a/j) Avec 40 000 pièces dans ses collections permanentes, plusieurs expositions annuelles, des ateliers d’initiation et une bibliothèque comportant 15 000 ouvrages sur le thème du papier, ce musée tokyoïte s’enorgueillit d’être l’un des plus complets au monde sur le sujet qu’il embrasse toutes époques et zones géographiques confondues. Histoire, processus de fabrication, utilisations, rien n’est oublié, pas même les questions environnementales les plus actuelles. Paper and culture museum http://www.echizenwashi.jp/ english/information/museum.html (a/j) Un village entier dédié au papier avec plusieurs ateliers de fabrication (de papier ou d’objets en papier) dont un où officie un « Trésor national vivant » ? Vous êtes à Echizen où le secret du papier aurait été transmis par une femme mystérieuse il y a plus de 1 500 ans. Qui plus est, le musée du village vient de se doter d’une bibliothèque spécialisée.

Là encore, des ateliers de fabrication permettent de se familiariser au plus près avec ce papier, qui se décline en 300 variétés. All Japan hand maid washi association http://www.tesukiwashi.jp/ (j) Une mine d’informations sur le washi dans tous ses états, dans tout le Japon, avec notamment une carte très détaillée des différentes variétés et de leur site de fabrication. Educational Museum of Origami in Zaragoza http://www.emoz.es/language/en/ exhibitions/ (a) L’Espagne servit de pont, via les Maures, à l’introduction du pliage de papier en Occident et, dès la première moitié du XXe siècle, compta de nombreux et fervents praticiens de cet art, dont le poète et philosophe Miguel de Unamuno, auteur d’un Traité de Cocotologie. En témoigne ce musée, bien contemporain, quant à lui.

(a) > anglais (f) > français (j) > japonais

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Le contact en est doux et légèrement humide, comme d’une feuille d’arbre.”

Tanizaki Jun.ichirô (XXe s.), Éloge de l’ombre © NDL

Cinq questions à...

se froissent sans bruit.

Washi, un univers de papiers

De beaux livres richement documentés existent en français. Les papiers japonais, de François Gonse, livre une introduction très accessible sur l’histoire et la culture du papier, que complètent des chapitres originaux sur les transformations de ce matériau tour à tour déchiré, découpé, marbré, mâché, plié, torsadé… De Françoise Paireau, Papiers japonais constitue quant à lui un

Par ailleurs, très nombreux sont les documents consacrés aux multiples utilisations du papier traditionnelles ou contemporaines, jusqu’aux plus étonnantes d’entre elles, comme par exemple les vêtements de papier d’hier et d’aujourd’hui, l’origami au service de l’ingénierie... Le domaine des loisirs pouvant être pratiqués par tout un chacun comprend de multiples ouvrages, parmi lesquels la Nouvelle encyclopédie de l'origami et des arts du papier, de Brodek Ayako, qui offre un joli tour d’horizon.

© NDL

Washi, un univers de papiers

Ressources sur...

Dans notre fonds •

Valentine Dubard responsable de l’atelier de restauration du département des Arts graphiques du musée du Louvre

En quoi les spécificités physiques du washi le distinguent-elles de papiers occidentaux ? Se rapprochet-il d’autres papiers asiatiques ?

Il est difficile de généraliser, car il n’existe pas un washi mais des washi et leurs propriétés physiques sont bien différentes d’un papier à un autre. Parlons donc d’un papier fait main (et non fait machine) avec des fibres de kôzo (mûrier à papier) de façon ancestrale : le kôzo est cultivé par le papetier ou dans la région de production du papier, il est récolté, les branches sont étuvées, épluchées. La partie blanche interne de l’écorce est conservée, cuite avec un mélange de cendres de bois, les fibres sont triées à la main pour en ôter les impuretés et le séchage des feuilles est opéré sur des planches de bois. Ce type de papier va posséder des propriétés physiques différentes des papiers occidentaux, dont il faudrait également définir s’il s’agit d’un papier fait main ou non, à partir de quelles matières premières, etc. Pour généraliser, le papier japonais possède des qualités de résistance, même pour des papiers fins, d’élasticité et de résilience. Les fibres de kôzo sont en partie à l’origine de ces qualités, qui se retrouvent également mais dans une moindre mesure dans les papiers japonais fait à partir de fibres de mitsumata ou de gampi.

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La grande différence entre le Japon et l’Occident est que le Japon a su mieux conserver ses traditions que l’Occident et que les savoir-faire y sont reconnus comme un patrimoine important. En Occident, l’idée d’un beau papier est celle d’un papier qui ressemblerait à un vélin (un parchemin fait à partir d’une peau de veau mort-né), donc un papier lisse, blanc et résistant à l’écriture avec une plume qu’elle soit animale ou, par la suite, métallique. Au Japon, une légère couleur est appréciée car même le plus beau papier, celui qui ne contient que des fibres issues de la partie interne blanche des écorces, est de couleur ivoire. A fortiori, le papier fait à base de gampi est très apprécié pour sa couleur coquille d’œuf et sa brillance (c’est ce qui a fait la réputation d’un papier comme le torinoko-gami ou torinoko-shi). Les similitudes sont grandes entre les papiers japonais et certains papiers coréens ou taïwanais, car les Japonais y ont importé leurs techniques de fabrication.

Le Japon vous paraît-il être le pays ayant les utilisations les plus diversifiées du matériau papier ? Oui, le papier est utilisé dans de multiples domaines. Ce que j’apprécie particulièrement au Japon sont les transferts qui se sont opérés d’une technique à l’autre. Ainsi, le papier peut devenir textile, il est filé puis tissé ou froissé jusqu’à de-

venir aussi souple qu’un tissu. Mais il peut aussi devenir objet, gourde ou récipient étanches, une fois imprégné de résine ou de konnyaku (gelée végétale issue de la plante konjac), ou servir de pochoir enduit de kakishibu (teinture naturelle à base de kaki) comme dans les katagami pour l’impression des yukata (kimono léger), ou encore vannerie, jouet, architecture, éléments de design d’espaces, etc. Cela est vrai également pour la Corée.

Comment s’est développé le rapport particulier des Japonais au washi, considéré comme un matériau noble ? Je ne sais pas si les Japonais considéraient le papier comme noble à l’origine. Mais ils ont certainement compris rapidement son utilité et sa souplesse d’utilisation, qui permettait de jeter les documents écrits dans un puits et de les récupérer une fois l’incendie éteint sans dommage pour les informations qui y étaient consignées. Toutefois, il existe une déesse du papier à Echizen, qui atteste de la considération dont le papier a, certainement, été rapidement l’objet.

Quelles sont les utilisations du washi en France ? Dans le milieu de la restauration des œuvres d’art, le washi a été une révélation et a permis de modifier les pratiques en

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