La Lettre de la bibliothèque n°65 : La vie en indigo

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“Vêtue d’indigo

“Tout paraît minuscule

de par les prairies fleuries me hâtant

car tout, comme tout le monde, est petit, bizarre

En bref

Bibliothèque

dans la lumière de l’hiver,

Asagi-iro Teinte bleu-vert pâle

mes rêves tendus vers l’été”

comme les feuilles de l’oignon negi dont le kanji apparaît dans le mot. À l’époque d’Edo, les samouraïs venus des régions à la capitale étaient appelés « samouraïs oignons », car leur veste était souvent teinte dans cette couleur.

Katô Chiyoko

Dans les deux cas, ce sont des composts de feuilles fermentées. Le processus de fermentation du liquide de teinture utilise les mêmes ingrédients additionnels (cendre de bois, son de blé, une petite quantité de chaux ou de cendres de coquillages). Concernant la couleur, l’indigo renferme beaucoup de tanins et passe d’une couleur brunâtre à un bleu dense. La cocagne passe du jaune à un bleu doux, et le bleu reste clair quel que soit le nombre de bains pour intensifier la teinte. Actuellement, avec des scientifiques et des teinturiers nous menons des recherches sur les types, les caractéristiques des micro-organismes vivant dans les liquides fermentés obtenus du sukumo de tade-ai, de la cocagne en France, du gâteau indigo en Inde, de l’indigo Ryûkyû d’Asie du Sud-Est et d’Okinawa, et j’aimerais transmettre le monde de l’indigo à la prochaine génération.

l’antiquité pour signifier « bleu », aujourd’hui l’équivalent du bleu rex en peinture. Avec le kanji de l’eau, il devient mihanada, bleu clair.

En bref...

Kon-iro Bleu marine, obtenu après un nombre répété de bains dans la teinture. Kachi-iro Bleu très foncé presque noir. À

partir de l’époque Kamakura cette teinte fut très appréciée des samouraïs pour leurs vêtements et armures, de sorte qu’elle évoque les batailles militaires. On l’écrit aussi avec le kanji 勝 homophone signifiant « victoire ».

Konya-chô Dans de nombreuses régions du Japon, ce sont les quartiers regroupant les teintureries appelées konya, d’après le kanji, 紺 « bleu marine », car l’indigo y était très répandu. Aiguma Maquillage de kabuki (kumadori)

constitué de traits bleus marine à base d’indigo sur fond blanc : la couleur bleue, symbole d’un tempérament sans pitié, est utilisée pour les rôles tels qu’un esprit vengeur ou un cruel aristocrate.

les petites devantures

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Fermeture

Les dimanches, lundis et jours fériés Du 24 décembre au 3 janvier inclus

Directrice de la publication

Suzuki Hitoshi Rédaction

Sugita Chisato Pascale Doderisse Cécile Collardey Conception graphique et maquette

© La Graphisterie® / Cécile Le Trung a-l-oeuvre.fr 2016-2021 Impression

Imprimerie Moutot Dépôt légal

4e trimestre 2021 ISSN 1291-2441

tendues de bleu, les petits

blanc, rouge – mais point

Aidama Boules de compost d’indigo durcies et séchées faciles à transporter. Équivalent de la cocagne de feuilles de pastel en France.

D’autres lieux indigos Les villes de Chikugo, Kurume et Hirokawa dans la préfecture de Fukuoka sont les principaux lieux de fabrication d’un magnifique textile nommé Kurumegasuri. Les dessins sur les fils de coton sont réalisés avant la teinture, réservant des parties pour former les motifs blancs. Cette technique aurait été inventée il y a plus de deux cents ans par une fillette de 12 ans du nom de Inoue Den, habile tisserande fille d’un marchand de riz. © Nemo’s great uncle

Y a-t-il des caractéristiques communes entre l’indigo et le pastel traditionnellement utilisé dans le sud de la Franc ?

Hanada-iro Terme utilisé depuis

La vie en indigo

non seulement pour leurs colorants, mais aussi pour d’autres composants entrant dans le processus de teinture. Par exemple, le cognassier du Japon est utilisé pour extraire les pigments rouges de l’akane japonais ou du Rubia manjitha roxb de l’Himalaya, la prune ubai Cent vues célèbres pour le carthame, tandis que d’Edo. Une vue de Kanda konya-chô, les tanins contenus dans les Utagawa Hiroshige galles de plantes renforcent © NDL la coloration noire ainsi que la solidité du coton. Au cours des dix dernières années environ, plusieurs instituts de recherche ont extrait des feuilles d’indigo de la tryptanthrine, des flavonoïdes, des pigments et de l’indirubine pour le développement de médicaments. Des vaporisateurs antibactériens à base de tryptanthrine sont utilisés pour les vêtements dans les hôpitaux.

maisons sous leur toit bleu,

n°65 • Automne 2021

Petit lexique

“Tissus indigos frémissants

et mystérieux : les petites

Maison de la culture du Japon à Paris

La lettre de la bibliothèque

Kagiwada Yûko

© Lin1000.tw

sous l’ondée lumineuse”

La ville d’Izumo dans la préfecture de Shimane s’est aussi spécialisée dans un style de textile kasuri. Les motifs, plus sobres que ceux de la région avoisinante de San’in, laissent apparaître des dégradés de nuances d’indigo de toute beauté.

Dans le quartier « Jeans street » de la ville de Kojima

(préf. de Okayama) sont rassemblées une trentaine de boutiques dédiées au denim. Des jeans suspendus en hauteur vous guident à travers ces rues étroites, ou sont disposés sur des barrières en bois pour vous attirer dans les magasins. Même les distributeurs automatiques sont recouverts de cette toile bleue, et on peut déguster des glaces aux myrtilles bleu denim ou des nikuman (brioches à la viande cuites à la vapeur) bleues !

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dans leur costume bleu. […] Vous remarquez que la nuance bleu profond qui domine dans le costume populaire, domine aussi, du reste, dans les draperies des magasins, bien qu’on y observe un éparpillement d’autres teintes : bleu clair, de vert ni de jaune.”

Lafcadio Hearn, Ma première journée en Orient

vaudage de ces tissus si appréciés, pendant les hivers fortement enneigés de certaines régions agricoles.

Les voyageurs étrangers furent frappés au XIXe siècle par l’omniprésence de la couleur bleue au Japon. C’est d’une teinture de plantes séchées et fermentées que naît cette palette bleue, riche d’une multitude de nuances vivantes qui évoluent avec le temps. L’indigo, car il s’agit de lui, est un monde à lui seul. Le pigment se rencontre à l’époque Edo (1603–1868) pour la fabrication d’encres destinées aux estampes, jusqu’à ce que le bleu de Prusse synthétique, importé, ne devienne abordable au début du XIXe siècle. Mais c’est avant tout dans le domaine textile que règnent ces couleurs profondes, avec la teinture à l’indigo, aizome, apparue dès l’ère Heian (794–1185) à Tokushima dans l’île de Shikoku. Fort prisés des guerriers de l’époque Sengoku (1467–1568) pour leur vertu antiseptique précieuse en cas de blessure, des vêtements ainsi teints étaient portés sous les armures. Dans un même souci de protection, les pompiers urbains de l’ère Edo portaient des tenues faites de plusieurs épaisseurs de ces tissus difficilement inflammables qui pouvaient être gorgés d’eau au préalable. L’indigo renforce en outre les fibres des étoffes, mais aussi éloigne insectes et serpents, du fait d’une légère odeur résiduelle de fermentation, tout en étant doux pour la peau, excusez du peu ! Nulle surprise donc que ces textiles conquirent le cœur des classes populaires des villes et des campagnes, se déclinant aussi bien en vêtements de tous les jours, de travail, qu’en divers éléments du logis (rideau noren, tabliers, torchon, serviettes tenugui, coussin, moustiquaire…). La broderie sashiko, très épurée à base de fil blanc qui a pour effet de rehausser la beauté du bleu, est d’ailleurs née du ra-

La ville de Mashiko dans la préfecture de Tochigi, célèbre pour ses poteries, l’est aussi pour son coton. C’est là que se trouve la manufacture Higeta kôya où celui-ci est filé, tissé et teint à l’indigo, et dont l’atelier équipé de soixante-douze cuves, classé bien matériel culturel de la région, peut être visité.

La lettre de la bibliothèque de la Maison de la culture du Japon à Paris n° 65 - Automne 2021

personnages souriants

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L’indigo continue de nos jours à magnifier des scènes de vie et à irriguer de nombreux aspects de la culture japonaise. Dans son berceau de toujours, à Tokushima, que traverse une rivière le long de laquelle se succèdent encore plusieurs ateliers de teinture, les utilisations traditionnelles se mêlent à des usages plus modernes. Il était de coutume de dire que les teinturiers, qui buvaient des infusions d’indigo, avaient une santé robuste : l’indigotier, riche en polyphénols et fibres, entre à présent dans la composition d’autres boissons, voire s’invite dans certains plats de la région. Les artisans du cuir travaillent aussi cette couleur dont la patine charme ; des parquets de sol se déclinent en bleu apaisant... Quant aux jeans faits main, dont la production se concentre plutôt de l’autre côté de la mer intérieure, autour de Okayama, leur réputation n’est plus à faire. L’indigo, couleur emblématique bien enracinée dans la culture japonaise s’adressant aux cinq sens, n’a pas fini d’être une paisible source d’émerveillement. P. D.

La toile des jeans japonais a gardé son nom d’origine, denim, signifiant “de Nîmes”. C’est en effet dans cette ville du Sud de la France qu’était fabriquée une toile bleue appelée « sergé de Nîmes », mélange de laine et de soie, teinte au pastel et destinée aux vêtements de travail, qui fut le point de départ d’un commerce florissant au XVIIIe siècle.

La lettre de la bibliothèque de la Maison de la culture du Japon à Paris n° 65 - Automne 2021


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