Huit ans après l’invasion
La santé irakienne et la paralysie du système de soins irakien
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Qu’est devenue la santé irakienne?
L’état du système de soins irakien et de la santé des Irakiens est complexe et repose sur des événements survenus il y a plusieurs décennies. La guerre entre l’Iran et l’Irak ainsi que la première guerre du Golfe et la période de sanctions commerciales qui a suivi ont eu des effets négatifs sur la santé du peuple irakien. L’état de santé de la population a commencé à se détériorer dès le début des années 90. Mais selon des études récentes, c’est l’invasion de 2003 qui a eu le plus fort impact sur le pays en le confrontant à des épreuves qu’il n’avait jamais connues auparavant. L’insécurité alimentaire, la violence de masse et les risques environnementaux représentés par la pollution chimique, biologique et radioactive ont fait peser des menaces extrêmement lourdes sur la santé et le bienêtre du peuple irakien. En 2003, le Programme mondial alimentaire a constaté que “17% des enfants souffraient d’insuffisance pondérale et 32% de malnutrition chronique ou d’un retard de croissance”.1
Selon les indicateurs du développement dans le monde publiés en 2009 par la Banque mondiale, l’espérance de vie en Irak, qui était de 65 ans en 1990, est passée à 71 ans en 1996 avant de retomber à 67 ans en 2007. Ce déclin ne peut être uniquement attribué aux morts causées par la guerre. Ce n’est que l’un des reflets de la détérioration du système de soins du pays provoquée par le conflit. Le taux de fécondité irakien est un autre indice important pour évaluer la santé publique. Un taux de fécondité élevé va de pair avec un faible niveau de santé, car il traduit un manque d’accès à la contraception et à l’éducation sanitaire ainsi que des problèmes de santé pour les mères et les enfants. Entre 2000 et 2007, le taux de fécondité des adolescentes est passé de 0,63 (63 naissances pour 1 000 femmes) à 0,86.2
Quelques chiffres clés: •
Près d’un quart des Irakiens vivent dans la pauvreté et dépensent moins de 2 500 dinars (2,2 dollars) par personne et par jour.
•
Le taux de mortalité annuel était de 5,5 pour 1000 avant l’invasion de 2003 et de 13,2 pour 1000 quarante mois après l’invasion.
•
En dépit des progrès accomplis dans la réduction de la mortalité infantile, l’Irak conserve le deuxième taux le plus élevé de la région dans ce domaine.
•
A peine un quart des ménages irakiens sont raccordés au réseau d’égouts public et le pourcentage tombe à 2% dans les zones rurales.
•
2
Plus de 80% de l’eau du pays n’est toujours pas traitée, ce qui contribue à aggraver la pollution des eaux usées.
1
Programme mondial alimentaire des Nations Unies. Analyse initiale de sécurité alimentaire en Irak, Rome : Programme mondial alimentaire 2004
2
Dr Zaryab Iqbal, War and the Health of Nations [La guerre et la santé des nations], Stanford University Press, 2010
Indicateurs démographiques A Superficie en kilomètres carrés Population en milliers d’habitants
1,009,500 76,823
2009
43
2009
Taux brut de natalité
28.9
2009
Taux brut de mortalité
6.2
2009
Taux de croissance démographique
2.1
2008
% des moins de 15 ans
31.7
2008
% des 65 ans et plus
3.7
2008
Taux de dépendance
54.8
2008
Taux de fécondité total (par femme)
3.0
2008
% de la population urbaine sur la population totale
Indicateurs de l’état de santé A Espérance de vie totale à la naissance (ans)
72.3
2008
Espérance de vie des hommes à la naissance (ans)
69.9
2008
Espérance de vie des femmes à la naissance (ans)
74.4
2008
Insuffisance pondérale à la naissance (%)
6.0
2009
Insuffisance pondérale chez les enfants (%)
7.5
2008
Taux de mortalité périnatale (pour 1000 naissances totales)
3.5
2009
Taux de mortalité néonatale
7.2
2008
Taux de mortalité infantile (pour 1000 naissances vivantes)
17.0
2008
Taux de mortalité des moins de 5 ans (pour 1000 naissances vivantes)
21.8
2008
55
2008
Taux de mortalité maternelle (pour 1000 naissances vivantes)
A: Année de référence pour les données fournies. Source: OMS/EMRO http://www.emro.who.int/emrinfo/index.aspx
3
Un système de santé défaillant : l’état critique de Maysam Maysam Adnan, de Mossoul, a été récemment victime d’un arrêt cardiaque. Ne pouvant être soignée en Irak, elle doit recevoir un traitement médical dans un autre pays, mais divers facteurs s’y opposent. Le jour où la crise cardiaque a eu lieu, elle a été conduite à l’hôpital local où on l’a réanimée à l’aide de décharges électriques. Les médecins lui ont dit qu’elle devait se faire soigner à l’étranger dans un délai d’un mois, faute de quoi l’état de son cœur se détériorerait à nouveau et ne pourrait plus être traité. Sa famille est extrêmement pauvre, son mari est au chômage et elle-même est mère de sept enfants. Maysam a besoin de recevoir une aide d’urgence mais, comme la plupart des Irakiens qui vivent dans une ville ravagée par la guerre et qui n’ont ni l’accès aux soins requis ni l’argent nécessaire pour se rendre à l’étranger, ses jours sont en danger.
Récapitulatif Nom de la patiente: Maysam Adnan Dawoud Profil: Née en 1971. Mariée en 1989 et mère de deux garçons et de cinq filles. Lieu de résidence: Mossoul, Irak. Problème médical: La patiente a une fréquence cardiaque accélérée et qui nécessite une opération par cathéter. Son médecin lui a suggéré de subir l’intervention dans un hôpital de New Delhi, en Inde, pour un coût d’environ 4 500 dollars. Soutien du gouvernement irakien: aucun. Prise en charge du ministère de la Santé: aucune.
4
Impact de l’environnement sur la santé: de nouveaux dangers
Après huit ans de guerre, les ressources naturelles de l’Irak telles que le Tigre et l’Euphrate, qui constituent les principales sources d’eau du pays, ont été endommagées par les opérations militaires, ce qui a causé d’importants dégâts sur la santé. De nombreuses régions n’ont plus de sources d’eau potable fiables et une partie de l’alimentation en eau est impropre à la consommation humaine et à l’agriculture. Une autre conséquence grave est le fait que, dans certaines régions, les eaux usées sont rejetées dans les rivières et les lacs sans avoir été traitées, ce qui entraîne l’accumulation d’eaux polluées nauséabondes dans des zones résidentielles. Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour la région de la Méditerranée orientale (OMS/EMRO), cette situation a de sérieuses répercussions sur l’état de santé des Irakiens et provoque des diarrhées, des hépatites virales et des infections graves chez les enfants. L’un des effets les plus affligeants sur la santé des habitants est l’augmentation des malformations et des cancers dans des régions comme celle de Falloujah du fait de l’utilisation d’uranium appauvri dans les armes antichars. Sans se lancer dans des hypothèses hasardeuses, les spécialistes confirment l’existence de graves effets sur la santé des enfants et en particulier l’augmentation de cancers, de leucémies et de malformations congénitales. Selon une étude récente, les cas de leucémie infantile à Bassora ont fortement augmenté depuis 1991 en raison de la contamination de la nappe phréatique de la ville, dont 40% des habitants sont tributaires pour l’eau potable. La progression des cancers chez les adultes est elle aussi alarmante. Une étude menée en 2010 montre que, par rapport à l’Egypte et à la Jordanie, le risque relatif de cancer est beaucoup plus élevé en Irak, en particulier pour les leucémies, les lymphomes, les tumeurs cérébrales et les cancers du sein.3
3
Chris Busby, Malak Hamdan and Entesar Ariabi, ‘Cancer, Infant Mortality and Birth Sex-Ratio in Fallujah, Iraq 2005-2009’, International Journal of Environmental Research and Public Health, Vol.7, 2010.
5
Etude de cas : témoignage d’un auxiliaire médical de Diyala
Muhammad Dhiab est un auxiliaire médical de 31 ans qui travaille au service d’urgences chirurgicales du Kurdistan irakien, dans la province de Diyala. Il a entendu parler pour la première fois de la formation MdM en gestion des urgences il y a deux ans, à l’occasion d’une campagne de promotion menée auprès des autorités sanitaires. Muhammad se souvient de la détresse que l’invasion de 2003 a causée parmi les professionnels de santé et les difficultés auxquelles ils ont été confrontés dans l’exercice de leur métier. “Dans la province de Diyala, il y avait beaucoup d’explosions ; les “sites sensibles” étaient si nombreux que les cas d’urgence se succédaient. Comme nous ne pouvions pas accéder assez rapidement aux zones de combat, les blessés étaient chargés sur des camions et conduits dans les hôpitaux. Au moment où nous les réceptionnions, ils étaient soit morts soit dans un état si critique qu’il était impossible de les soigner. Nous étions épuisés, car nous étions incapables de faire face au nombre de blessés.” En suivant la formation MdM en gestion des urgences, Muhammad a appris à accéder aux voies respiratoires, une Mohamed Dhiab en train de suivre la formation MdM en gestion des urgences à Erbil, décembre 2010.
technique essentielle à laquelle il s’est entraîné au service des urgences avant de la mettre en pratique sur le site d’une explosion. Il raconte :
“Il y a eu ce cas d’un jeune de Diyala grièvement blessé à la tête par un engin explosif qui avait sauté près de lui. Bien sûr, il était en état de choc. Nous l’avons intubé comme MdM nous l’avait appris, ce qui l’a aidé à respirer. Nous avons fait le maximum pour le maintenir en vie et nous avons réussi pendant un certain temps. Mais nous ne nous rendions pas compte de l’importance de son hémorragie interne et, malheureusement, malgré tous nos efforts, nous l’avons perdu. Nous perdons beaucoup de victimes de la guerre de cette manière…”
6
La réaction de Médecins du Monde
Depuis le début de la guerre en Irak, Médecins du Monde s’est davantage concentré sur la formation en secours médical d’urgence dans tout le pays. A partir du bureau d’Amman, la capitale jordanienne, MdM a lancé des activités pour venir en aide aux équipes locales, aux ONG et aux prestataires de services gouvernementaux travaillant en Irak. Son principal objectif était de former les personnels de santé et les communautés pour qu’ils soient davantage en mesure de répondre aux urgences médicales dans les gouvernorats les plus touchés par la violence. En 2006, l’équipe de MdM en Irak a développé son programme de formation à l’attention des professionnels de santé irakiens, en le centrant sur la gestion des urgences, des soins de santé mentale et des soins de santé maternelle et infantile.
Depuis que MdM a repris ses activités en janvier 2007, plus de 2 590 personnes ont été formées et plus de 160 séances de formation ont eu lieu. Assurées en collaboration avec le gouvernement irakien et le gouvernement régional kurde, le programme inclut: •
Formation de formateurs aux soins de premiers secours dans le sud de l’Irak à l’attention des personnels de santé : à la fin 2008, 2 000 personnes avaient suivi cette formation.
•
Sept séances de formation en collaboration avec la Hamad Medical Corporation (Qatar) à l’attention de 20 infirmières, assistants médicaux et auxiliaires médicaux.
•
Formation en soins de santé maternelle pour 210 sages-femmes communautaires assurée en huit séances étalées sur 15 jours.
•
Formation en soins de santé mentale l’attention de l’équipe des centres de soins de santé primaires (pour les détails, voir l’évaluation de santé mentale de Kerbala)
MdM a également contribué à renforcer le secteur sanitaire ainsi que le gouvernement irakien et le gouvernement régional kurde: •
En aidant des ONG irakiennes à mettre en place un programme de formation à la pratique internationale de l’accouchement à domicile dans les provinces de Ninewa, Diyala, Dohouk, Suleimaniya, Erbil et Kirkouk : 230 accoucheuses, sages-femmes et infirmières ont suivi la formation.
•
En fournissant du matériel médical pour aider à la rénovation d’une unité néonatale de l’hôpital pédiatrique et gynécologique de Mossoul (en particulier des moniteurs pour les unités de soins intensifs et des incubateurs) et en offrant en décembre 2009 un cours de formation sur les soins néonatals à 12 professionnels de santé (infirmières, chirurgiens, obstétriciens et un anesthésiste).
•
En œuvrant à l’intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaires en collaboration avec l’OMS et le ministère de la Santé irakien et, plus spécifiquement, en menant une enquête sur la santé mentale dans le gouvernorat de Kerbala en vue de rédiger un manuel de soins de santé mentale l’attention des médecins travaillant dans les centres de soins de santé primaires irakiens.
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Evaluation de la santé mentale dans le gouvernorat de Kerbala Une évaluation initiale a été effectuée par MdM sur différentes catégories de personnels de santé pour estimer leurs connaissances, comportements et compétences en soins de santé mentale et soins psychosociaux: •
160 membres du personnel médical (70 médecins, 75 auxiliaires médicaux et 15 enseignants) ont été évalués.
•
L’évaluation a montré que les connaissances en soins de santé mentale étaient limitées chez les médecins et quasiment nulles chez les auxiliaires médicaux et les enseignants.
•
L’évaluation a également fait apparaître que les compétences en matière de pratique des soins de santé mentale étaient médiocres dans le corps médical.
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Une formation de formateurs à l’intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaires a été assurée à Duhok en février 2010.
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21 médecins de Bagdad, Kerbala, Erbil, Suleimaniya et Sala-Al-Din ont été invités à suivre la formation.
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Les entretiens menés après la formation montrent une nette amélioration des connaissances, comportements et compétences chez les 21 participants.
“La santé publique pâtit toujours considérablement des conflits armés, mais il faudra attendre des années avant de commencer à avoir une idée claire de l’ampleur des répercussions que cette guerre aura eues sur la société irakienne. J’espère que, grâce à la formation des professionnels de santé et à leur mobilisation personnelle, nous pourrons restaurer l’accès aux soins du peuple irakien.” Dr Kasim Khalid Muayad, formateur médical irakien, MdM Irak
Report Photo crédits: © Rafeq Shukri