Les habitants des hautes terres oubliés

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DOSSIER DE PRESSE AOÛT 2010

9 août 2010 / Journée internationale des populations autochtones

LES HABITANTS DES HAUTES TERRES OUBLIÉS PLATEAUX DE PAPOUASIE, INDONÉSIE

> Le district de Puncak Jaya, dans les plateaux de la province de Papouasie indonésienne, est un des districts les moins développés de l'une des régions les plus reculées d'Indonésie. Le district n’est accessible que par les airs, et les communautés dans les villages doivent ensuite être rejointes à pied. La population doit s'adapter aux modifications socioéconomiques rapides (migration, évolution des structures, introduction de biens modernes), qui contribuent à leur tour à la transmission de maladies infectieuses, telles que le VIH/Sida. Le niveau de contamination par le VIH/Sida parmi les Papous est quinze fois plus élevé que chez les autres Indonésiens, alors que la province affiche également le taux le plus élevé de mortalité maternelle et infantile, et l’espérance de vie la plus brève du pays. > Les normes nationales en matière de soins de santé ne sont pas pratiquées dans cette région, et ne sont pas non plus ajustées aux usages locaux. Les professionnels des soins de santé sur les plateaux de Papouasie sont souvent étrangers à la région : la plupart sont originaires d’autres parties de l’Indonésie et ne sont pas préparés au contexte socioculturel des Papous des plateaux. La compréhension est limitée entre les populations autochtones et les professionnels, qui n’ont que peu de clés leur permettant de dispenser des soins de prévention et de diffuser des informations. En parallèle, les communautés sont très réticentes à s’adresser à des services de soins de santé qui ne sont pas dispensés par des autochtones, car elles manquent de confiance envers les professionnels de santé, et estiment que leurs besoins ne sont pas satisfaits. > Le contexte politique difficile avec le gouvernement indonésien complique encore davantage les relations avec les communautés traditionnelles. Un conflit entre l’armée et des groupes rebelles papous a fait empirer la situation pour la population des plateaux de Papouasie. Ces plateaux demeurent une région où la communauté autochtone a de très importantes difficultés à préserver sa propre sécurité. > Présente dans les plateaux de Papouasie depuis 12 années maintenant, MdM est l’une des rares ONG actives sur le terrain avec et pour les communautés papoues. Le programme de MdM repose sur une expertise médicale et anthropologique et vise à renforcer le droit de la population de Papouasie à l’accès aux soins de santé. Les activités sont développées en partenariat avec une ONG et les autorités sanitaires locales, dans le respect du contexte socioculturel : soutien aux centres de santé, prévention du VIH/Sida, programmes de santé sexuelle et reproductive intégrant les aspects culturels locaux, formation et suivi avec les éducateurs pairs, les infirmières, les sages-femmes et les professionnels de la santé communautaires des villages. 1


20 % des habitants de Papouasie vivent dans les plateaux 55 % de la population papoue vit encore en-deçà du seuil de pauvreté1 Yomi, 26 ans, villageois de Puncak Jaya « Lorsque l’on vit dans les villages, il nous faut marcher pendant plusieurs jours pour atteindre le centre de santé de la capitale du district. Il n’y a pas de personnel sanitaire dans les villages. Nous avons bien des travailleurs médicaux communautaires, mais s'il nous faut davantage d'assistance médicale, nous devons aller jusqu'à la capitale du district. C'est pour cela que les gens meurent dans les villages. Et particulièrement lorsqu’ils tombent malades et qu’ils sont trop faibles pour se déplacer. Lorsque les malades atteignent finalement le centre de santé, ils ont du mal à communiquer avec le personnel sur place car celui-ci ne parle pas notre langue locale. Lorsqu’il y a un ou une infirmière locale sur place qui peut servir d’interprète, le médecin peut alors nous transmettre les informations de santé ou d’hygiène nécessaires. Mais nous ne pouvons souvent pas mettre ces informations en pratique parce que nos vies sont si différentes. Se laver les mains avec du savon, par exemple : nous n’avons pas de savon au village, et la plupart des villageois ne savent pas ce que c'est que le savon. En général, quand nous tombons malades, un mal de tête par exemple, nous taillons la peau de notre front avec une lame de rasoir pour faire sortir le mauvais sang. C’est ainsi que nous faisons depuis toujours. Le personnel de santé n’est pas au courant de ces croyances, mais nous aimerions avoir leur avis pour savoir si c’est une bonne chose à faire ou non. »

Une population isolée et marginalisée

> Les conditions de vie sur les plateaux sont basiques, contrairement aux régions urbaines et côtières de la Papouasie. La majorité des familles du groupe ethnique des Dani, qui constitue la majorité des Papous aborigènes sur les plateaux, vivent dans une honaï : une hutte traditionnelle en bois, couverte d’un toit de chaume sans ouverture ni cheminée. Les habitants se chauffent et cuisinent en faisant un feu au milieu de la hutte, qui est dès lors constamment enfumée et peut entraîner des problèmes d’ordre respiratoire. > Une économie qui repose sur les migrants : Les Dani de l’ouest ont un régime alimentaire essentiellement végétarien et ils cultivent patates douces, fruits et légumes. Dans le district de Puncak Jaya, les petites entreprises, principalement situées dans la capitale du sous district de Mulia, ainsi que les seuls moyens de transport (les motostaxis), appartiennent à des migrants d’autres provinces d’Indonésie. Les emplois stables, tels que ceux des fonctionnaires, sont également majoritairement occupés par des migrants. > L’éducation de base est un défi : il y a des écoles primaires et secondaires dans la capitale du district. Très peu de villages disposent d'écoles, et les enseignants (principalement des migrants ou des Papous qui ne sont pas des plateaux) ne restent pas longtemps à leur poste, du fait des conditions de vie. La majorité des gens ne parle que très peu l’indonésien. > Bien que la majorité des Dani de l’ouest dans le district soient chrétiens, ils adhèrent à une structure sociale traditionnelle qui repose sur les liens de famille et de sang. La polygamie est une pratique acceptée tant que le mari peut payer la dote, une maison, des porcs et un terrain pour y cultiver un potager. Les hommes vivent dans un honaï, alors que les femmes et les enfants vivent dans des honaïs séparés. Bien que les habitants de Mulia portent maintenant des vêtements modernes, les étuis péniens/koteka des hommes et les jupes traditionnelles des femmes sont encore largement portés.

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Le statut de santé La Papouasie a l’espérance de vie la plus brève du pays, et ceci est particulièrement vrai pour les femmes, avec 50,3 ans2, contre 72 en moyenne nationale. Les principales pathologies présentes dans ce district sont la diarrhée et les problèmes intestinaux dus à un manque d'hygiène (36 % des patients), les maladies respiratoires (30 %), la pneumonie (8 %) et les infections sexuellement transmissibles (3 %)3. Dans un tel environnement, où les habitants vivent dans des conditions sanitaires dangereuses et souffrent de malnutrition chronique, ces maladies peuvent rapidement devenir mortelles. > La santé maternelle et infantile La province de Papouasie a le taux de mortalité infantile le plus élevé d'Indonésie. Dans le Puncak Jaya, on dénombre environ 75 à 150 décès pour 1 000 naissances (la moyenne nationale est de 34/1 000 naissances) et entre 500 et 1 000 décès maternels pour 100 000 naissances. Dans le respect de la culture Dani, les femmes doivent accoucher dans leur village et non dans un centre de santé. En 2009, seules 15 % des femmes du district de Puncak Jaya ont donné naissance dans des centres de soins5. MdM dispense dans les communautés et auprès des sages-femmes locales une éducation sexuelle et reproductive adaptée à la perception de la grossesse et de l’accouchement des Dani de l’ouest. > Le VIH/Sida et les infections sexuellement transmissibles (IST) sont sous-estimés et demeurent un tabou Les IST et le VIH sont de toute évidence sous-estimés car le sujet reste tabou du fait de l’absence de personnel de santé qualifié en la matière. Le Sida progresse et s’étend rapidement en Papouasie. Selon la Commission nationale sur le Sida, 3,2 % de la population des plateaux de Papouasie sont infectés par le virus6 (la moyenne nationale est de 0,2 %7), et les experts estiment que le taux pourrait dépasser les 5 % en 2011. Il y a, dans le district de Puncak Jaya, un véritable besoin d’informations exactes sur les IST et le VIH/Sida. Les quelques Dani de l’ouest qui sont à l’aise avec le sujet du Sida le perçoivent comme une autre IST : une maladie à la fois nouvelle et importée. Ils savent que le Sida se transmet sexuellement, qu'il vient des régions côtières et urbaines et qu’il peut être mortel. La sensibilisation aux questions sanitaires est rendue difficile du fait du très faible niveau d'instruction de la population locale des plateaux de Papouasie. La plupart des habitants ne parle que très peu l’indonésien, et le personnel de santé qui ne parle pas la langue locale a dès lors beaucoup de mal à dispenser une éducation à la santé.

Une espérance de vie de 50 ans

Le taux de mortalité infantile le plus élevé d’Indonésie : de 75 à 150 décès pour 1 000 naissances

Un taux de prévalence de 3,2 % du VIH dans les plateaux de Papouasie (Taux national de 0,2 %)

Kaberi, 30 ans, sage-femme au centre de santé communautaire du district, formée par Médecins du Monde. « Nous organisons des sessions de santé maternelle et infantile dans différents villages plusieurs fois par semaine. Nous examinons les bébés, les pesons et surveillons leur nutrition, nous recevons les femmes enceintes pour des consultations et vaccinons les bébés de 6 à 9 mois, ainsi que les femmes enceintes. Nous avons également commencé des séances d’informationsur le VIH/Sida et l’utilisation du préservatif, car nous savons que le VIH est une épidémie en Papouasie, et même sur les plateaux. Nous manquons malheureusement de ressources et ne pouvons intervenir régulièrement, ou devons le faire après notre travail. Il nous faudrait également du matériel adapté au contexte papou afin que les informations soient mieux reçues par les communautés locales. »

2) Profil de pays, Indonésie, 2006 3) Profil de pays, Indonésie, 2006, Centre de données et d’information, ministère de la Santé, République d’Indonésie 4) Health and human security, Susan J Rees, MJA, 2008 5) Dinas Kesehatan Kabupaten Puncak Jaya, 2009 Data Review, présenté en février 2010 – document non publié 6) Profil de pays, Indonésie, 2006, Centre de données et d’information, ministère de la Santé, République d’Indonésie 7) Ministère de la Santé indonésien, 2008

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Le matériel utilisé lors de toutes les séances de sensibilisation de MdM au VIH/Sida est traduit et adapté au contexte culturel papou.

Le personnel de santé qui est affecté dans les centres sanitaires n’est pas formé à la question du VIH/Sida.

MANQUE DE RESSOURCES, DE FORMATIONS ET DE MATÉRIEL ADAPTÉS AU CONTEXTE : Magdalena, 19 ans, une jeune Dani membre du Club des étudiants soutenu par Médecins du Monde. « Je suis consciente qu’un accès limité aux informations et qu’un faible niveau d’éducation des habitants de mon district les rend réticents à accepter de nouveaux concepts qui pourraient modifier notre culture. Un exemple en est l’information sur le VIH/Sida. Un manque de connaissances sur la maladie stigmatise les personnes qui en sont atteintes, alors que la discrimination devrait faire place à l’amour et à l’attention dont elles ont autant besoin que toute autre personne. Les personnes qui ont le Sida sont souvent également victimes de leur propre famille qui les empêchent de vivre une vie normale. J’ai maintenant de meilleures connaissances sur le VIH/Sida grâce aux activités proposées par MdM, qui n’ignorent pas ma culture papoue mais s’en servent pour faire passer un message. Mes amies et moi pensions que l’on pouvait attraper le Sida simplement en serrant la main ou en touchant quelqu’un qui a le Sida. J’en sais davantage maintenant, et je peux partager ces informations avec d’autres, et particulièrement avec des amies à l’école - comme par exemple le fait que l’on ne peut pas attraper le Sida en touchant quelqu’un, en s’asseyant avec une personne qui a le Sida, ou en partageant un repas avec elle. »

Les unités de CDV (Conseil et dépistage volontaires) ne sont que rarement ouvertes, et ne proposent généralement pas de dépistage ni de traitement du VIH. La majorité du personnel étant composée de migrants, la population papoue ne leur fait pas confiance et se tourne vers les médecins traditionnels de leurs villages. Les documents d’IEC (Information, éducation et communication), particulièrement ceux sur le VIH/Sida, ne sont pas adaptés aux aspects socioculturels de la population des plateaux : ils contiennent, par exemple, trop de texte en indonésien et seulement quelques photos. Cela entraîne un manque de représentation pour la population autochtone peu instruite et dont les croyances traditionnelles sont fortes. Les habitants estiment que seules les personnes représentées sur les documents peuvent avoir le Sida, que les messages ne les concernent pas et la stigmatisation des personnes souffrant du Sida continue ainsi de se développer. > La santé et les croyances traditionnelles La population Dani de l’ouest adhère encore de très près aux croyances traditionnelles, et celles-ci influencent grandement la santé des habitants. Les hommes pensent qu’ils peuvent tomber malades si leur sperme touche le sol, et refusent donc d’utiliser des préservatifs car ceux-ci doivent ensuite être jetés. Les femmes enceintes ne peuvent avoir de rapports sexuels pendant leur grossesse par peur que le sperme n’ait un effet néfaste sur le bébé et/ou la lactation. Les maux de tête sont généralement soignés en se coupant la peau du front avec des lames ou des bambous pour que le ‘mauvais sang’ puisse être éliminé. Des solutions devraient être proposées, la population devrait pouvoir être assistée afin de faire les bons choix pour sa santé, sans devoir abandonner complètement son système de croyances. Médecins du Monde suggère ainsi que les préservatifs soient ensuite brûlés, au lieu d’être enfouis, et que les lames ne servent qu’une seule fois.

> Un manque de formation Les chefs traditionnels et les professionnels communautaires de la santé dans les villages ont été formés à la santé par des missionnaires il y a une trentaine d'années, et travaillent toujours avec ces documents et ces pratiques obsolètes. Les premières missions des autorités sanitaires sont de remettre à jour la formation des professionnels communautaires de la santé et de superviser leur travail sur le terrain. Un manque de ressources financières les empêche cependant de remplir ces missions, et elles ne sont nullement soutenues par le système national. Le ministère de la Santé met l’accent sur un accès soutenu aux installations sanitaires, mais ceci est inadapté au contexte des Papous des plateaux, qui doivent marcher pendant deux journées avant d’atteindre le centre de santé le plus proche. Les croyances et pratiques traditionnelles papoues ne sont pas reconnues par les autorités indonésiennes. Des ONG, telles que Médecins du Monde, œuvrent à l’adaptation de ces modèles de vie autochtones aux protocoles sanitaires nationaux.

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RECOMMENDATION La reconnaissance et le respect des croyances et des pratiques des populations papoues devraient être immédiatement améliorés, afin d'aborder les problématiques de santé publique que représentent le VIH/Sida, les taux de mortalité maternelle et infantile, et la courte espérance de vie. Le système de santé national indonésien devrait être adapté à la réalité locale, afin d’inclure les valeurs autochtones et traditionnelles des Papous et parvenir à respecter leur droit à la santé.

Médecins du Monde en Papouasie

MdM travaille dans les plateaux de Papouasie depuis 12 ans.

Au cours des 3 dernières années, les activités de proximité ont constitué l’essentiel du projet de MdM. Ces activités se déclinent ainsi : campagnes de vaccination pour les enfants de moins de 5 ans, supervision des travailleurs sanitaires communautaires lors de simples consultations, supervision des sages-femmes pendant les soins pré- et post-nataux, prévention du VIH/Sida, promotion de la santé en collaboration avec les travailleurs sanitaires communautaires et les chefs traditionnels, sessions de maternage sans risque auprès de femmes enceintes, en collaboration avec des sages-femmes.

MdM mène également des activités de proximité en collaboration avec l’ONG Primari – l’un de nos quatre partenaires locaux dans les plateaux de Papouasie. Primari œuvre dans les domaines de l’hygiène (construction de latrines), de la prévention des maladies respiratoires (cheminées pour les honaïs), sensibilisation au VIH/Sida, soutien au centre de santé du sous-district de Sinak (supervision du stock médical) et formation du personnel Kader et Puskesma.

Depuis le mois de mars de cette année, MdM a lancé un nouveau projet sur deux ans portant sur la santé sexuelle et reproductive. Ce thème a été élaboré en 2008, puis renforcé en 2009. L’idée est d’améliorer les connaissances et les informations sur le sujet dans les communautés. Depuis 2008, la promotion de la santé reproductive, avec un accent particulier sur le VIH/Sida, a été intégrée dans les activités de proximité. L’équipe de MdM a renforcé, en 2009, la formation et le suivi des sages-femmes des villages, et organisé avec elles des activités régulières sur le thème de la prévention de la transmission mère-enfant.

Dans le cadre de ce thème, MdM a initié cette année un projet pilote d’Éducateurs pairs, conçu une série de documents d’IEC sur la santé sexuelle et reproductive adaptés au contexte socioculturel des plateaux de Papouasie, et collaboré avec le Club des étudiants de Mulia, un groupe de jeunes de l’unique lycée de Puncak Jaya. Des membres du Club des étudiants sont choisis et formés pour être des éducateurs pairs volontaires : ils mènent des séances d’information sur la santé sexuelle et reproductive, y compris sur la prévention contre les IST et le VIH/Sida aux communautés villageoises.

Dans un souci de prendre en compte les aspects culturels des Dani de l’ouest dans les activités de promotion de la santé, MdM traduit en dani de l’ouest les documents d’IEC qu’elle produit. Lors des séances de formation des travailleurs sanitaires communautaires, MdM collabore avec un modérateur de la communauté dani afin de faciliter la communication. MdM collabore également avec l’Église et les chefs traditionnels afin d’être acceptée et reconnue par la communauté. Contacts

Florence Priolet - Annabelle Quénet infomdm@medecinsdumonde.net +33 (0)1 44 92 14 31 / 32 – 33 (0)6 09 17 35 59 www.medecinsdumonde.org

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