Migrations : de l'espoir au désespoir

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MIGRATIONS :

DE L’ESPOIR AU DESESPOIR

Photo : Matias Costa

revue documentaire sur un drame quotidien aux portes de l'Europe

« Migrations : de l’espoir au désespoir » Médecins du Monde - juillet 2008

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DES CENTAINES DE MORTS ET DISPARUS AUX PORTES DE L’EUROPE Chaque année, des milliers de candidats au départ tentent l’aventure : traverser la Méditerranée dans des conditions de plus en plus périlleuses. L’Europe, quant à elle, renforce des mesures de sécurité déjà draconiennes pour éviter l’arrivée sur son territoire de ces nouveaux immigrants. A la veille d’une nouvelle saison de « migrations du désespoir», Médecins du Monde exprime sa vive inquiétude face à ce véritable jeu du chat et de la souris, dans lequel des centaines de candidats à l’exil perdent tragiquement la vie chaque année. Et ce, sans que la politique sécuritaire mise en œuvre ne soit ni discutée, ni contrôlée, ne serait-ce qu’au regard de ses objectifs annoncés : la diminution du nombre de personnes en situation irrégulière présentes en Europe. Il semble pourtant, au vu du dispositif mis en place par les Etats-Unis à leur frontière sud voilà déjà quelques années, que loin d’empêcher les migrations dites illégales, des mesures de sécurité excessives se révèlent coûteuses humainement et financièrement - et pour beaucoup d’experts, contre-productives.

Médecins du Monde (MdM) est depuis sa création en 19801 particulièrement sensible à la question des migrants, qui font partie des populations les plus vulnérables. MdM a constaté, à travers ses missions auprès des migrants, que l’accès aux soins des étrangers - en particulier en situation irrégulière, est nettement plus restreint que celui des nationaux.2 Légitimée par ses interventions auprès des migrants dans l’Union européenne (UE), notre association s’alarme d’une situation particulièrement grave sur le plan humanitaire : le décès, de plus en plus courant ces dernières années, de nombreux migrants tentant de gagner l’UE. La Commission européenne, dans une communication du 16 mai 20073, estime que le nombre de décès de personnes ayant entrepris un voyage pour atteindre l’Union européenne pourrait se situer entre 3000 et 4000. Les données rassemblées dans le cadre de cette étude documentent environ 1861 décès pour l’année 2007. Et le nombre de victimes est sans doute largement sous-estimé, du fait de la difficulté à comptabiliser précisément le nombre de morts et disparus en mer. Les chiffres réunis permettent de montrer une augmentation, ces dernières années, du nombre de décès de migrants aux frontières de l’Europe. Alors que ces dernières décennies les politiques des Etats européens se sont centrées de plus en plus sur un contrôle, voire une fermeture des frontières extérieures de l’UE, les migrants prennent des risques croissants pour rejoindre la « Forteresse Europe ».

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Projet « Ile de Lumière », pour les Boat People fuyant le Vietnam. La première étude de terrain sur l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière dans 7 pays d’Europe, réalisée par l’Observatoire Européen de l’Accès aux Soins de MdM en 2007, en témoigne : alors que dans les textes, 78% des personnes interrogées pour cette étude devraient avoir accès à un minimum de soins gratuits, en réalité, seules 24% d’entre elles en bénéficient effectivement. Source : Enquête européenne sur l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière, Observatoire Européen de l’Accès aux Soins de Médecins du Monde, publiée en septembre 2007. Lien vers le rapport : http://www.medecinsdumonde.org/index.php/fr/publications/les_rapports/enquete_europeenne_sur_l_acces_aux_ soins_des_personnes_en_situation_irreguliere_observatoire_europeen_de_l_acces_aux_soins_des_medecins_d u_monde 3 « Vers une politique européenne globale en matière de migrations : lutte contre l’emploi des immigrés clandestins, promotion des migrations circulaires et des partenariats pour la mobilité » 2

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Médecins du Monde, dans le cadre de ses missions auprès des migrants4, a pu constater l’ampleur de ce drame humanitaire et s’interroge sur l’efficacité des politiques mises en place pour gérer les frontières de l’Union européenne. Une stratégie basée sur la fermeture ne favorise-t-elle pas le passage par des routes très dangereuses pour entrer sur le territoire européen ? Cette politique a-telle permis, jusqu’ici, un véritable contrôle des flux migratoires, ou n’a-t-elle pas provoqué au contraire une aggravation du phénomène de l’immigration irrégulière ? Le nombre de migrants en situation irrégulière ne semble pas diminuer, et l’on peut penser que du fait du contrôle accru des frontières, les personne auront tendance à entrer dans l’UE par des routes toujours plus dangereuses et auront besoin de recourir plus systématiquement à des passeurs pour accomplir leur traversée. De plus, étant donné l’augmentation du coût financier et humain de la traversée, on peut penser que les personnes ayant payé un si lourd tribut auront tendance à s’installer sur le territoire européen pour une plus longue durée.

Il est donc important de s’interroger sur la politique menée aux frontières de l’UE, compte tenu des drames rapportés régulièrement dans l’actualité. Dans cette étude documentaire, le cas des EtatsUnis nous servira de point de comparaison, car ce pays a tenté également de contrôler l’immigration clandestine par la fermeture de sa frontière avec le Mexique, depuis plus d’une décennie. Nous tenterons également de tirer une première évaluation de la politique européenne sur le plan humain. Le bilan de la politique menée par les Etats-Unis dans ce domaine permettra d’éclairer celle menée par l’UE et ses Etats membres.

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MdM est représenté dans 11 pays de l’Union européenne (Belgique, Espagne, France, Grèce, Portugal, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Chypre) où l’association mène des missions de soin et de témoignages, notamment auprès des migrants. Des missions de terrain sont également réalisées dans d’autres pays européens. Une mission menée à Malte en 2007 a, par exemple, permis d’évaluer la situation sanitaire des migrants dans ce pays. Lien vers le rapport : Access to health care and human rights of asylum seekers in Malta. Experiences, results and recommendations. MdM France survey and final report of the humanitarian mission in Malta 2007. http://www.medecinsdumonde.org/index.php/fr/publications/les_rapports/acces_aux_soins_et_aux_droits_des_migrants_a_malt es

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1/ LA « FORTERESSE EUROPE » : CONSEQUENCES EN TERME DE FLUX MIGRATOIRES ET DE MORTALITE AUX FRONTIERES

1. EUROPEANISATION DES POLITIQUES MIGRATOIRES ET CONTROLE ACCRU DES FRONTIERES Des politiques d’immigration contraignantes sont appliquées depuis les années 1970 par la plupart des Etats membres de l’Union européenne. L’UE et les Etats membres ont consacré l’essentiel de leurs efforts en matière de politique migratoire au contrôle des flux et à la gestion des frontières extérieures, dans l’objectif de lutter contre l’immigration clandestine. Les Etats ont convenu de faire converger leurs efforts et, à terme, de mettre en place une politique commune en matière d’immigration. Mais avant de penser une politique migratoire globale, ils se sont attachés à contrôler les frontières extérieures de l’UE. Ce constat s’établit au regard du développement rapide de l’agence Frontex, des ressources considérables qui lui sont allouées, des moyens consacrés au développement d’instruments visant à contrôler les frontières extérieures (notamment à destination des nouveaux Etats membres), et de l’augmentation des financements versés aux pays tiers dans ce domaine. Parallèlement, les observateurs constatent une diminution du taux d’acceptation des demandes d’asile5, et le nombre de sans papiers entrants et présents sur le territoire européen ne semble pas avoir diminué.

Le rapprochement des législations communautaires dans le domaine de l’asile, des migrations et des frontières L’européanisation des politiques migratoires s’est effectuée en plusieurs étapes principales6. -De 1957 à 1968 a été mise en place progressivement la liberté de circulation des travailleurs européens et des mesures qui la garantissent (notamment égalité de traitement, droit au séjour des travailleurs communautaires et de leurs familles, etc.). -En 1985, l’Acte unique définit un espace de libre circulation des personnes et non plus seulement des travailleurs. La même année, les accords de Schengen ont pour objet l’adoption d’un visa unique, la libre circulation à l’intérieur des frontières européennes pour les Européens et les détenteurs d’un visa Schengen, le renforcement des frontières extérieures de l’Union (grâce à l’adhésion progressive au système Schengen des nouveaux Etats membres et à la solidarité des pays européens dans les contrôles externes aux frontières extérieures de l’Europe). Des accords de réadmission seront signés à partir de 1991 avec les pays non communautaires riverains ou voisins de l’UE. Un système de contrôle informatisé, le SIS (Système d’information Schengen), met en ligne les données nationales sur les clandestins et les déboutés du droit d’asile, obligeant tous les Etats à leur refuser le droit au séjour et à les expulser. -En 1990, les accords de Dublin définissent à l’échelon de l’Europe des Quinze une politique d’asile commune, assortie d’un dispositif de filtrage renforcé, à travers la notion de pays sûr (d’où l’on ne peut pas demander l’asile), et la notion de demande manifestement infondée (solidarité entre pays

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Voir le Rapport d’Eurostat, septembre 2007, Demandes d'asile en Europe. Rapport intégral en version française : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-07-110/FR/KS-SF-07-110FR.PDF 6 Source : Catherine Wihtol de Wenden, CNRS (CERI), L’Union européenne face aux migrations, CNRS (CERI), Migrations Société, p. 14-17.

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européens dans le contrôle à l’entrée puisqu’un demandeur d’asile ne peut, sauf exception, demander l’asile dans un autre pays de l’Union pour éviter les demandes d’asile multiples). -En 1992, le traité de Maastricht fait de la liberté de circulation, d’installation et de travail l’un des attributs essentiels de la citoyenneté européenne, et distingue ainsi les Européens communautaires des non communautaires. La maîtrise des frontières et la politique d’asile font partie du troisième pilier (décisions intergouvernementales). Une partie passera au premier pilier, communautaire, par la suite. -Depuis 1999, avec l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, l’Union européenne est engagée dans un processus de communautarisation de sa politique d’asile et d’immigration. Le Conseil européen de Tampere, la même année, a détaillé les grandes orientations politiques permettant de mettre en place une politique européenne commune en matière d’asile et d’immigration. Ce processus s’illustre par l’adoption de nombreuses directives communautaires dans ce domaine7. En 2003, le règlement Dublin II mutualise le contrôle aux frontières pour les demandeurs d’asile par la désignation d’un seul Etat responsable de leur examen8.

Ainsi, la politique européenne interagit avec les politiques nationales en matière de migrations. Jusqu’à une période récente, la politique européenne d’immigration et d’asile relevait de la règle de l’unanimité, et les normes qui ont été adoptées sont le fruit de compromis et de superpositions de pratiques nationales, auxquelles les Etats ont refusé de renoncer. Toutefois, depuis le 1er janvier 2005, toutes les mesures portant sur les visas, les frontières, l’asile et l’immigration relèvent du premier pilier de l’Union, c’est-à-dire de la méthode communautaire (majorité qualifiée au Conseil et co-décision avec le Parlement), à l’exception des mesures relevant de l’immigration légale qui relèvent de la compétence des Etats membres. Le programme de La Haye, du 5 novembre 2004, a établi le nouveau programme pluriannuel visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union, en tenant compte de l’élargissement et du vote à la majorité qualifiée. Un plan d’action détaillant le calendrier et les mesures de mise en œuvre des objectifs fixés par le programme de La Haye, a été adopté en juin 2005. Ce plan est assorti d’un important volet financier qui doit permettre de soutenir la politique de gestion des flux migratoires, avec 4 milliards d’euros pour la période 2004-2013.9 Ce plan d’action prévoit également le développement des systèmes d’information, à savoir le système d’information Schengen (SIS), le système d’information sur les visas (VIS), ainsi qu’Eurodac (système de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile et des immigrants clandestins). Le plan d’action prévoit également la création d’une agence européenne de gestion des frontières, l’Agence Frontex. L’Union européenne intervient donc sur plusieurs plans dans le domaine des migrations.

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. Le 1er mai 2004, une première phase de nature essentiellement législative a été menée à bien, avec l’adoption de normes minimales, rendant possible l’harmonisation entre les Etats membres dans les domaines de l’asile, de l’immigration et des frontières. Les directives témoignent de ce processus d’harmonisation : Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 sur le droit au regroupement familial : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33118.htm ; Directive sur le statut des ressortissant des pays tiers résidents de longue durée (directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003 : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l23034.htm ; Directive 2001/40/CE du Conseil, du 28 mai 2001, sur la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants des pays tiers : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33154.htm ; Directive sur les sanctions pécuniaires contre les transporteurs (2001/51/CE, 28 juin 2001) : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33139.htm ; Directive 2003/9/CE du Conseil du 27.01.03, relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33150.htm 8 Règlement CE no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/lvb/l33153.htm 9 Compte rendu de la conférence du 9 mars 2007, Maison de l’Europe de Paris, sur le thème : « Y a –t-il un impact de l’Europe sur les politiques migratoires nationales ? – Politiques de contrôle, politiques de réadmission, politiques d’asile – De l’insertion à la citoyenneté ». Intervention de Marc Thuillier.

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L’accent est mis sur la lutte contre l’immigration irrégulière Toutefois, l’UE a surtout produit des instruments de lutte contre l’immigration irrégulière. En premier lieu, un Plan global de lutte contre l’immigration clandestine, datant du 28 février 2002 a été adopté par le Conseil de ministres de l’UE. Puis un programme d’action en matière de retour, adopté par le Conseil le 28 novembre 2002, qui proposait de mettre en place une série de mesures de court, moyen et long termes – y compris des normes ou orientations minimales communes à l’UE – dans le domaine du rapatriement des immigrés clandestins10. Afin de mettre pleinement en œuvre le programme d’action en matière de retour arrêté en 2002, la Commission a adopté en septembre 2005 une proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables, dans les États membres, au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. En Juillet 2006, la Commission a adopté une Communication sur les priorités d’action en matière de lutte contre l’immigration clandestine de ressortissants de pays tiers (COM (2006) 402) qui s'appuie sur les principes directeurs et sur les réalisations de l'Union à ce jour, et définit de nouveaux axes prioritaires. Elle prévoit d’appliquer des mesures à tous les stades du processus migratoire clandestin. Le Parlement européen lui-même a une position critique sur cette politique et dénonce justement une concentration sur la lutte contre l’immigration irrégulière : « Le Parlement européen considère que l’UE doit mener une lutte active contre l’immigration illégale. Cependant, il dénonce l’aspect excessivement répressif de l’action menée par le Conseil. Il considère que, conformément aux conclusions de Tampere, l’Union doit mettre en place une politique équilibrée qui implique une mise en adéquation entre la mise en œuvre de mesures de lutte contre l’immigration clandestine et l’élaboration d’une politique d’admission efficace ».11 En outre, il faut souligner que l’harmonisation des politiques européennes en matière de migrations est porteuse de risques : restriction de droits fondamentaux comme l’asile politique, du fait de la recevabilité de la demande dans un seul pays, et de l’aggravation de l’écart quant aux droits entre Européens et non Européens ; détournement des accords de Schengen de leur fonction initiale (consistant à rendre plus libre la circulation interne, alors qu’en réalité, ils aboutissent surtout à protéger les Etats contre les migrations externes) ; renforcement des contrôles et l’élargissement du champ pénal.12 Catherine Wihtol de Wenden, chercheuse au CNRS, a qualifié cette européanisation des politiques migratoires de « communautarisation à géométrie variable, empreinte d’une idéologie sécuritaire et restrictive ».13 En ce sens, la concentration de l’UE sur des politiques strictes de contrôle des frontières est symptomatique.

Le contrôle des frontières au détriment de la protection des personnes ? L’arrivée massive de migrants, souvent subsahariens, mais aussi originaires d’autres régions du monde (Asie, Cachemire, Malaisie…), sur les îles Canaries et sur la côte sud de l’Italie, en particulier l’île de Lampedusa, a fait naître des inquiétudes auprès de l’opinion publique, et des décideurs. De

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Les autres textes adoptés concernent notamment les sanctions pénales pour les passeurs, la responsabilité des transporteurs, la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement et l’organisation de retours conjoints. 11 Source : Site du Parlement européen, Commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures (LIBE), Article sur l’Immigration clandestine, 14 juillet 2005, lien : http://www.europarl.europa.eu/comparl/libe/elsj/zoom_in/08_fr.htm?textMode=on 12 Voir : Catherine Wihtol de Wenden, CNRS (CERI), L’Union européenne face aux migrations, CNRS (CERI), Migrations Société, p.13 13 Op. cit., p. 17.

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nombreux migrants sont décédés lors de leur traversée de la Méditerranée sur de fragiles embarcations ces dernières années. La plupart des migrants, irréguliers ou non, qui parviennent en Europe effectuent leur traversée par voie aérienne ou terrestre, et le nombre d’arrivées par bateaux à travers la Méditerranée est faible rapporté au nombre total d’arrivées (environ 14% du nombre total des clandestins14). Pourtant, l’impact médiatique de ces arrivées a été très fort. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Etats du sud de l’Europe ont fait pression sur l’Union européenne pour mettre en œuvre une cogestion des frontières.15 Frontex est devenue opérationnelle dans ce contexte. L’agence Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne) a été créée en 2004 par l’Union européenne afin de gérer de manière intégrée les frontières extérieures des Etats membres de l’UE.16 Frontex est devenu réellement opérationnelle en 2006, avec une quinzaine de missions, particulièrement à l’est de la Méditerranée. Sa plus grosse opération, HERA II a eu lieu sur la côte ouest africaine (eaux territoriales du Sénégal et de la Mauritanie) et aux Iles Canaries, d’août à décembre 2006 (HERA I ayant eu lieu dans les îles Canaries uniquement). L’opération POSEIDON s’est déroulée dans les eaux territoriales grecques et à la frontière gréco-turque. Et les opérations NAUTILUS I et II se sont déroulées en 2006 dans les eaux territoriales maltaises (NAUTILUS I) et en 2007 dans les eaux italiennes et maltaises (NAUTILUS II), dans un contexte de très nombreuses arrivées par voies maritimes dans ces deux pays. Il faut en outre noter que des équipes d’intervention rapide aux frontières, les « Rabit » (Rapid Border Intervention Teams) sont désormais à disposition des Etats membres, depuis le début du mois d’août 2007. Le budget propre de l’agence Frontex, très faible en 2005 (année de sa mise en place), a par la suite considérablement augmenté : le budget 2006 de l’Agence, initialement fixé à 12,4 millions d’euros, est passé à 19,2 millions au cours de l’année, avec une extension du programme de travail dont Frontex était chargé. Et pour 2007, un budget de 35 millions d’euros a été adopté17. Malgré cet investissement très lourd, le nombre de migrants arrivant sur les côtes européennes ne semble pas avoir diminué.

De plus la manière dont sont conduites les opérations de Frontex pose des questions essentielles en terme de respect des droits de l’homme. Tout d’abord, les règles d’engagement de Frontex suscitent quelques inquiétudes : les parlements (nationaux et européen) n’ont pas de regard sur les opérations. Se pose également le problème du respect du droit d’asile et du droit à la protection. Les équipes d’intervention « Rabit » seront habilitées à « vérifier les documents de voyage », à « mener l’interrogatoire des personnes interpelées », mais, comme la souligne Catherine Simon dans un article du Monde daté du 1er juillet 200718, y aura-t-il des représentant de l’UNHCR pour enregistrer les probables demandes d’asiles ? Quels seront les recours des migrants en cas de violation des normes de protection internationales ? Ces questions se posent de manière aiguë dans un contexte ou l’UNHCR se préoccupe particulièrement de la question des flux mixtes, réunissant à la fois des migrants et des demandeurs d’asile, qui franchissent souvent

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Source : Parlement européen, article publié le 03/05/2007 : « Les RABIT bientôt en action sur les côtes européennes ». Cf. Compte rendu de la conférence du 9 mars 2007, Maison de l’Europe de Paris, sur le thème : « Y a –t-il un impact de l’Europe sur les politiques migratoires nationales ? – Politiques de contrôle, politiques de réadmission, politiques d’asile – De l’insertion à la citoyenneté ». Intervention de Giulia Lagana. 16 Les missions de l’agence Frontex sont : la coordination opérationnelle entre les Etats membres dans le domaine de la gestion des frontières extérieures ; une assistance auprès des Etats membres dans le domaine de l’entraînement des gardefrontières ; la conduite d’analyses de risques ; le suivi des développements de la recherche dans le domaine du contrôle des frontières extérieures ; une assistance auprès des Etats membres dans des circonstances nécessitant une aide opérationnelle et technique accrue aux frontières extérieures ; enfin, Frontex fournit également aux Etats membres le soutien nécessaire à l’organisation d’opérations de retour communes. 17 Sources : Rapports annuels 2005 et 2006 de l’Agence Frontex. 18 Le Monde, 1er juillet 2007, “La lutte de l’UE contre les migrants illégaux”, par Catherine Simon. 15

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les frontières de manière illicite, et sont mal protégés19 : « Dans le bassin méditerranéen, on a assisté à une augmentation sensible du nombre de migrants sans papiers gagnant par la mer l’île italienne de Lampedusa, Malte et les Iles Canaries ; il y avait dans leurs rangs une proportion modeste mais non négligeable de personnes qui avaient besoin d’une protection internationale. Le phénomène des flux migratoires mixtes a dominé les débats sur l’asile en Europe et incité les gouvernements à resserrer les contrôles aux frontières d’une manière susceptible de compromettre l’accès à l’asile. »20 Toutes ces questions restent en suspense, et à travers l’Agence Frontex, l’UE semble lutter davantage contre les immigrés illégaux que contre les trafiquants. En outre, le comité actuel d’experts en matière de lois sur l’immigration a récemment publié un rapport sur les opérations de Frontex en Afrique de l’Ouest : Frontex patrouille sur les eaux territoriales du Sénégal et de la Mauritanie en accord avec ces pays, mais les bateaux interceptés dans ces eaux sont renvoyés. Le risque est que les personnes soient renvoyées sur le territoire du pays qu’ils fuient. La Commission européenne souhaite que des Etats comme la Tunisie, l’Algérie, et même la Libye, participent aux missions de Frontex, alors qu’il est avéré que ces pays sont peu respectueux des droits des migrants. Les rapports publiés par Human Rights Watch sur le sort réservé aux migrants en Libye21, ainsi que les rapports sur les atteintes aux droits des migrants au Maroc22, notamment, sont très alarmants. Les rapports annuels de l’Agence Frontex n’évoquent absolument pas les conditions de vie des migrants qui arrivent sur le continent, ni les circonstances terribles de leurs traversées, conduisant parfois à la mort. Dans ce contexte, on peut considérer que l’UE se focalise sur une gestion sécuritaire des migrations, et ne prend pas suffisamment en compte les situations de détresse dans lesquelles se trouvent la plupart des migrants clandestins. De plus, la politique de contrôle commun des frontières n’a pas permis une diminution significative des entrées clandestines et pourrait au contraire avoir accru les dangers liés au parcours migratoire.

2. UNE POLITIQUE INEFFICACE EN TERMES DE FLUX MIGRATOIRES ? Les différentes mesures prises par l’UE pour contrôler ses frontières extérieures, des législations toujours plus contraignantes à la mise en place de l’agence Frontex, n’ont pas empêché, loin s’en faut les arrivées de migrants sur les côtes européennes. Pour exemple, en 2006, 31 000 clandestins ont débarqué sur les côtes des îles Canaries. Le nombre total d’étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire de l’Union européenne se situe autour de 5,5 millions23. Depuis plusieurs années, les institutions européennes estiment à environ 500 000 le nombre de migrants entrant clandestinement sur son territoire chaque année.24 Or, le Parlement européen a également estimé qu’environ 14% des entrées clandestines annuelles se 19

Cf. UNHCR, Rapoprt : “2006, Défis et réalisations, rapport global de l’UNHCR” ; “L’UNHCR, la protection des réfugiés et les migrations internationales », juillet 2006. 20 Citation : UNHCR, Rapoprt : “2006, Défis et réalisations, rapport global de l’UNHCR”, p.123. 21 Human Rights Watch, Rapport : Stemming the Flow - Abuses Against Migrants, Asylum Seekers and Refugees, Septembre 2006. http://hrw.org/reports/2006/libya0906/ 22 Rapport de la mission technique de la délégation de la Commission européenne au Maroc et à Ceuta/Melilla, 7-11 octobre 2005 ; Rapport sur les violations des droits de l’homme des personnes migrantes d’origine subsaharienne en transit au Maroc, octobre 2005, APDHA - http://www.migreurop.org/IMG/pdf/APDHAMaroc-oct05.pdf ; Refoulements et expulsions massives de migrants et demandeurs d’asile : Récit d’une mission de l’AFVIC et de la Cimade - 12 octobre 2005 : http://www.migreurop.org/IMG/doc/expulsions_Maroc_rapport_Afvic_Cimade_12-10-05.doc 23 Source : Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 1568 (2007) : « Programmes de régularisation des migrants en situation irrégulière » 24 Sources : Parlement européen, Commission européenne. L’estimation de 500 000 clandestins franchissant chaque année les frontières de l’UE semble être stable, avancée par les institutions européennes depuis plusieurs années.

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font par voie maritime25 (soit environ 70 000 personnes). Ainsi, les patrouilles Frontex concentrent leurs efforts à lutter contre une part minime de l’immigration clandestine. De surcroît, cette voie d’immigration est la plus dangereuse : une part écrasante des décès de migrants aux frontières de l’Europe a lieu en mer. Mais Frontex ne focalise pas particulièrement ses actions sur ce problème. L’approche menée pour le moment est ainsi plus sécuritaire qu’humaine. Dès lors, la dimension de contrôle des frontières n’est pas suffisante. Elle ne permet même pas de diminuer le nombre d’étrangers en situation irrégulière sur un territoire donné, car la majorité des migrants en situation irrégulière sont entrés de façon légale sur ce territoire et l’irrégularité du séjour n’intervient bien souvent que dans un second temps, comme le montre Claude-Valentin Marie dans un rapport du Conseil de l’Europe.26 Ainsi, il importe de remettre en question le dogme de la fermeture des frontières, qui n’entraîne pas de diminution des entrées irrégulières selon nombre d’observateurs.

De plus, des recherches ont souligné le coût économique important de la fermeture des frontières pour des résultats aléatoires, et qui vont à l’encontre d’autres réalités économiques. Un contrôle renforcé des frontières aggraverait même la clandestinité.27 Un rapport publié par le Conseil de l’Europe a montré que poser des règles plus restrictives dans le domaine du contrôle de l’immigration a pour conséquence d’encourager l’illégalité en mettant un terme aux migrations pendulaires de travail, qui deviennent plus compliquées28. Des règles trop strictes poussent les migrants à rester de l’autre côté de la frontière dans l’illégalité, une fois qu’ils ont réussi à franchir cette frontière. Ainsi la fermeture des frontières a renforcé l’importance des migrations d’installation au détriment des migrations saisonnières ou de court terme.29 Selon d’autres études, corroborant cette analyse, la part de la migration illégale dans les flux bruts de nationaux de pays tiers vers l’UE 15 a doublé entre 1990 et 2000.30 Enfin, les chercheurs participant à un séminaire sur les migrations irrégulières tenu par le Conseil de l’Europe en 2004 ont considéré que la fermeture des frontières externes et la fermeté des politiques migratoires ne servent à rien, sinon à favoriser les réseaux criminels et à stigmatiser les migrants.31 La fermeture des frontières a tendance à jeter les migrants plus facilement dans les bras des trafiquants32. A l’échelle européenne, on remarque que « l’augmentation de l’immigration illégale, du trafic et de la criminalité dans les pays d’Europe de l’Est coïncide avec la période à laquelle ces pays

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Source : Parlement européen, article du 03/05/2007 : Les RABIT bientôt en action sur les côtes européennes. Claude-Valentin Marie, Prévenir l’immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques politiques et droits des personnes, Editions du Conseil de l’Europe, Janvier 2004. 27 Catherine Wihtol de Wenden, CNRS (CERI), L’Union européenne face aux migrations, CNRS (CERI), Migrations Société, 16 (91) janvier-février 2004. 28 Références : Claude-Valentin Marie, Prévenir l’immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques politiques et droits des personnes, Editions du Conseil de l’Europe, Janvier 2004. Voir aussi : Marie Fonds, « L’élargissement de l’Union européenne dans un contexte de sécurisation croissante des migrations – Enjeux et conséquences pour les nouveaux membres de l’Est », Lex Electronica, vol.11 n°1 (Printemps 2006). Lien : www.lex-electronica.org/articles/v11-1/fonds.htm. p.17. 29 Anne de Tinguy, Migrations et mobilité, symbole et instrument de la réunification de l’Europe. Migrations Société. Vol.16, n°92 (2004), p 41-60 30 Widgren Jonas, Les politiques de la prévention de la migration illégale et du trafic des migrants. Hommes et migrations, N°1230 (2001), p. 20-27. 31 Source : Les nouvelles configurations de la migration irrégulière en Europe, Stéphane de Tapia (Chargé de recherche au CNRS), 2004. Rapport construit sur une abondante littérature scientifique dans ce domaine et sur les débats des experts lors du séminaire sur les migrations irrégulières tenu au Conseil de l’Europe en novembre 2002. 32 Voir Salvatore Palidda, Professeur de sociologie, Université de Gènes, Italie. Article : « Politiques sécuritaires en Europe », Revue Hommes et Migrations, Janvier-Février 2003, Dossier : « Criminalisation et stigmatisation de l’étranger ». p. 51 26

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ont commencé à répondre aux exigences de l’Union en mettant sur pied un certain nombre de (…) mesures visant à sécuriser les migrations ».33

Le résultat des politiques de contrôle des frontières semble donc inverse à celui recherché. Les chercheurs recommandent une approche plus globale de la question, avec plus de garanties pour les personnes qui ont besoin de l’asile et de la protection, un cadre légal plus transparent et une régulation positive des migrations de travail.

3. UNE AUGMENTATION DU NOMBRE DE VICTIMES AUX FRONTIERES Le fait nouveau de cette dernière décennie est le caractère souvent dramatique des migrations. Elles s’accompagnent de plus en plus fréquemment du décès de personnes.34 Fortress Europe, groupe de soutien aux migrants et source d’information sur les migrations, a documenté 11 243 victimes (dont 3 964 disparus en mer) aux frontières de l’Europe, depuis 1988. Décès ou disparitions principalement causés par des naufrages (selon Fortress Europe, 7 663 migrants ont perdu la vie en mer Méditerranée et dans l'Océan Atlantique le long des routes pour les îles Canaries), mais aussi par la traversée du Sahara, par des accidents de la route (personne cachées dans des camions notamment), par la traversée des montagnes, des champs de mines d’Evros en Grèce, et par les violences infligées par la police (au Maroc, en Turquie, en Libye, en Algérie…).35 D’autres sources viennent à l’appui de ces chiffres, et de leur ampleur. Selon Amnesty International, entre 1998 et 2006, soit en moins de dix ans, plus de cinq mille candidats à l’exil étaient morts aux portes de l’UE, dont plus de mille cinq cents en mer.36 L’association UNITED for Intercultural Action37, confirme l’ampleur des chiffres présentés par Fortress Europe : elle documente la mort de 8 855 personnes tentant de rejoindre l’Europe entre 1993 et février 2007.38 Ces chiffres proviennent de données collectées depuis 1992, à partir de journaux, journalistes, organisations travaillant sur les problématiques des réfugiés et des migrants, chercheurs, et organisations gouvernementale. L’association précise que ces chiffres peuvent seulement être considérés comme une indication du nombre de décès, ils ne sont pas exhaustifs. En outre, l’association rapporte cette donnée importante : le gouvernement espagnol admet que, sur trois personnes qui se noient au large des côtes espagnoles, seulement un corps est retrouvé. Le nombre de personnes qui se sont noyées dans la Méditerranée est inconnu, mais il est très certainement largement supérieur au nombre de décès documentés.39

33

Marie Fonds, « L’élargissement de l’Union européenne dans un contexte de sécurisation croissante des migrations – Enjeux et conséquences pour les nouveaux membres de l’Est », Lex Electronica, vol.11 n°1 (Printemps 2006). Lien : www.lexelectronica.org/articles/v11-1/fonds.htm. p.17 34 Source : Claude-Valentin Marie, Prévenir l’immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques politiques et droits des personnes, Editions du Conseil de l’Europe, janvier 2004. p.7 35 Fortress Europe, http://fortresseurope.blogspot.com 36 Amnesty International, Septembre 2006. 37 European network against nationalism, racism, fascism and in support of migrants and refugees 38 Source : UNITED – www.unitedagainstracism.org. 39 Source : UNITED – Information Leaflet n° 24, lien : http://www.united.non-profit.nl/pages/info24.htm

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Le graphique ci-dessous (réalisé à partir des données rassemblées par Fortress Europe, les plus exhaustives) montre qu’au cours des dernières années, le nombre de morts et de disparus aux frontières extérieures de l’UE n’a cessé d’augmenter, pour atteindre le pic tragique de 2088 décès en 2006 – et ce malgré la mise en place des opérations de Frontex décrites plus haut, en 2005.

Nombre de décès et disparitions aux frontières de l'UE

Nombre de décès et disparitions

2500 2088 1861

2000

1500 1062 1000

619 500

931

902 673

677

321 284

260

0 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Année

Tableau élaboré à partir des données rassemblées par Fortress Europe (http://fortresseurope.blogspot.com). Chiffres regroupant les décès et disparitions dans les zones suivantes : Canal de Sicile, Espagne et Canaries, Mer Egée, Mer Adriatique, Désert du Sahara, Champs de mines en Grèce, enclaves de Ceuta et Melilla, ainsi que les personnes tuées par la police dans différentes zones (Sahara occidental, Espagne, Libye, Turquie, Grèce, Macédoine, Maroc…), les personnes décédées durant leur trajet dans la calle d'un cargo, la soute d'un avion, dans des camions, dans la montagne, ou encore mortes accidentellement dans un centre de détention.

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La « forteresse Europe » : un coût humain trop important, pour des résultats non probants Selon la formule du chercheur Salvatore Palidda40, « les interdictions multiplient les risques ». Du point de vue des migrants, les passeurs qui font payer leurs prestations à des prix à peu près égaux ou même inférieurs à ceux d’un voyage par des voies officielles, sont providentiels. Pour certaines migrations, il y a surtout des passeurs improvisés, ou ‘pauvres pour les pauvres’ : c’est, par exemple, le cas des petites barques qui passent de la Tunisie aux îles siciliennes ou du Maroc à l’Espagne et qui coulent souvent, soit parce qu’elles ne sont pas en mesure de résister en mer, soit parce qu’elles tentent d’échapper aux poursuites des militaires ou des policiers italiens ou espagnols.41 Il existe aussi des organisations de passeurs qui sont le fait de délinquants. De même, certaines organisations, parfois contrôlées par des mafias, arrivent à disposer de gros bateaux permettant de transporter des milliers de migrants sans aucun égard pour la vie de ceux-ci, au point de les laisser mourir. Ainsi, l’une des conséquences de la politique migratoire basée sur le contrôle des frontières menée par l’Europe de Schengen est qu’au cours de cette dernière décennie, il y a eu « une augmentation continuelle des morts pendant les tentatives de passages par voie maritime ou par voie terrestre »42.

Il est donc nécessaire de s’interroger sur l’efficacité et les effets réels des moyens (législatifs, réglementaires et institutionnels) développés par les pays de l’Union européenne. Ces mesures n’empêchent pas les drames humains liés aux migrations. La crainte selon laquelle la démarche consistant à « criminaliser » les migrations individuelles aurait pour conséquence de favoriser les trafics organisés a été avérée. Le coût paradoxal des politiques mises en œuvre a été le développement des trafics à une échelle inédite en cette matière.43 Et les trafics s’accompagnent de plus en plus fréquemment du décès de leurs victimes.

Il est frappant de constater qu’aux Etats-Unis, le même type de politique a été incapable d’endiguer une situation également dramatique sur le plan humain.

40

Salvatore Palidda, Professeur de sociologie, Université de Gènes, Italie. Article : « Politiques sécuritaires en Europe », Revue Hommes et Migrations, Janvier-Février 2003, Dossier : « Criminalisation et stigmatisation de l’étranger ». p. 51 41 C’était aussi le cas selon S. Palidda d’une bonne partie des passeurs qui officiaient entre l’Albanie et l’Italie. 42 Salvatore Palidda, Op. cit. 43 Avec la mise en place de réseaux couvrant parfois l’ensemble de la filière, fournissant passeurs, transports et faux papiers, avant la « livraison » des migrants à leurs futurs « employeurs ». Cf. Claude-Valentin Marie, Prévenir l’immigration irrégulière : entre impératifs économiques, risques politiques et droits des personnes, Editions du Conseil de l’Europe, janvier 2004. p.51

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2/ A LA FRONTIERE ETATS - UNIS / MEXIQUE : LE COUT HUMAIN DE LA POLITIQUE DE CONTROLE DES FRONTIERES SE CONFIRME

Dans le cas des Etats-Unis, malgré un renforcement des mesures de sécurité et de répression de l’immigration clandestine, avec une augmentation considérable du budget et du nombre d’agents des patrouilles de surveillance des frontières (ces deux éléments étant quasiment multipliés par 4 sur la période 1993-2005), le nombre d’appréhensions à la frontière n’a pas connu de changement significatif, et le nombre de décès à la frontière a considérablement augmenté entre 1995 et 2005.

1. UNE POLITIQUE COMPARABLE A CELLE MENEE ACTUELLEMENT PAR L’UE En 1986 a été lancé aux Etats-Unis l’Immigration and Control Act (IRCA) qui s’est attaqué à l’immigration irrégulière à travers une stratégie en trois parties : un programme de régularisation de plusieurs millions de migrants, un programme de sanctions contre les employeurs, et un programme de contrôle des frontières. Toutefois, cette stratégie n’a pas été jugée efficace. Dès lors, pendant les années 1990, les Etats-Unis se sont concentrés sur la lutte contre l’entrée illégale sur leur territoire, à travers le renforcement et le ciblage des patrouilles à la frontière sudouest.44 Les ressources dédiées au contrôle des frontières ont augmenté progressivement. Comme le montrent les graphiques ci-dessous, le budget consacré aux opérations de contrôle des frontières a été multiplié par sept entre 1980 et 1995, et a ensuite triplé entre 1995 et 2001.45 Le nombre d’agents à la frontière sud-ouest a plus que doublé entre 1993 et 1999 (passant d’environ 4000 à 8000). La nouvelle politique de contrôle a aussi inclus un large investissement en nouvelles ressources technologiques et la construction de nouvelles barrières physiques le long de la frontière. Par exemple dans le secteur de San Diego, la longueur de la barrière à la frontière a plus que doublé entre 1994 et 2000.46

44

Source : Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003. 45 Sources : B. Reyes, RH.P. Johnson and R. Van Sweargen, 2002, “Has Increased Border Enforcement Reduced Unauthorized Migration”, Research Brief, Public Policy Institute of California. 46 Source : Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003.

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Le but de cette politique était d’augmenter les difficultés de la migration en fermant les canaux d’immigration faciles et bien établis. Les patrouilles ont ainsi employé leurs ressources supplémentaires dans les zones urbaines de passage les plus fréquentées, à travers une série d’opérations de contrôle à laquelle une large publicité a été consacrée. La stratégie visait à bloquer les entrées par les zones de passage principales et à rediriger l’immigration clandestine vers des zones isolées, où le Service d’immigration et de naturalisation (INS) a un avantage tactique. En fermant les principales routes d’entrée aux Etats-Unis, le but était de décourager les migrants potentiels de tenter le trajet, en raison de difficultés physiques, financières et psychologiques accrues. De nouvelles lois et technologies ont permis d’augmenter les pénalités encourues par les migrants appréhendés durant une traversée non autorisée. Les personnes ont commencé à être fichées dans une base de données d’identifiants biométriques, permettant aux agents d’identifier les personnes entrant plusieurs fois sur le territoire, et d’augmenter les pénalités jusqu’à des peines de prison, pour certains. L’objectif affiché depuis les années 1990 est celui de la « prévention à travers la dissuasion ».

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Ainsi, depuis les années 1990, le contrôle de l’immigration clandestine le long de la frontière EtatsUnis Mexique est devenu un objectif national de plus en plus important. Toutefois, des inquiétudes ont émergé quant à l’efficacité de cette stratégie, car il n’est pas prouvé qu’elle ait globalement réduit l’immigration clandestine (elle pourrait même avoir encouragé les migrants à rester plus longtemps aux Etats-Unis), et de plus, elle pousse les migrants à passer par des zones plus dangereuses.

2. LE CONTROLE DES FRONTIERES S’AVERE INEFFICACE EN TERMES DE FLUX D’IMMIGRATION CLANDESTINE Pas de diminution sensible de la migration clandestine L’une des critiques principales que l’on peut formuler à l’égard de la politique de contrôle des frontières des Etats-Unis, comme à l’égard l’Union européenne, est qu’il n’est pas prouvé que cette politique ait réduit le nombre de sans papiers et le stock de travailleurs irréguliers présents sur le territoire.47 Les chercheurs qui se sont penchés sur la question n’ont pas trouvé de relation statistiquement significative entre la mise en place de la politique de contrôle renforcé des frontières et la probabilité de la migration.

Une augmentation des migrations d’installation Beaucoup de critiques des politiques de contrôle des frontières mises en œuvre pendant les années 1990-2000 suggèrent que le résultat premier de l’accroissement du danger et des coûts du franchissement illégal des frontières a été une diminution de la circulation transfrontalière : la migration clandestine ne diminue pas significativement, mais le temps passé aux Etats-Unis pour chaque sans-papier s’allonge.48 Les années 1990 ont vu une augmentation du stock de sans papiers vivant aux Etats-Unis, hausse estimée à environ 500 000 par an. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents aux Etats-Unis en 2000 a été estimé à environ 8 millions. Une étude publiée en 200249 et conduite à la frontière entre Etats-Unis et Mexique a donné des preuves solides selon lesquelles les migrants en situation irrégulière restent désormais plus longtemps aux Etats-Unis, depuis que la politique de contrôle renforcé est mise en œuvre. Ainsi cette étude montre que si en 1992, 20% des personnes qui s’étaient installées aux Etats-Unis dans les 24 mois précédents étaient retournées au Mexique au cours des 6 mois suivant la migration, ce taux était de 47

Sources : -Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003. - G. Hanson, A. Spilimbergo, 1999, Illegal Immigration, Border Enforcement, and Relative Wages : Evidence from Apprehensions at the U.S.-Mexico Border, American Economic Review 89:1337-1357. -Reyes, B., H.P. Johnson and R. Van Sweargen, 2002, “Has Increased Border Enforcement Reduced Unauthorized Migration”, Research Brief, Public Policy Institute of California. -GAO (US Governement Accountability Office) 1997, 1999, 2001. 48 Sources bibliographiques permettant d’avancer cette hypothèse : -S. Kossoudji, 1992, Playing Cat and Mouse at the U.S.-Mexico Boerder, Demography, 29(2):159-180. -T.J. Espenshade, J.L. Baraka, G.A.Huber, 1997, Implications of the 1996 Immigration Reforms, Population and Development Review, 23(4):769-801. -Massey, Durand et Malone, 2002, Beyond Smoke and Mirrors : Mexican Immigration in an Era of Economic Integration, New York, Russel Sage Foundation. -Reyes, B., H.P. Johnson and R. Van Sweargen, 2002, “Has Increased Border Enforcement Reduced Unauthorized Migration”, Research Brief, Public Policy Institute of California 49 -Reyes, B., H.P. Johnson and R. Van Sweargen, 2002, “Has Increased Border Enforcement Reduced Unauthorized Migration”, Research Brief, Public Policy Institute of California

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seulement 7% en 2000. Par conséquent, l’étude montre que le nombre de sans papiers résidant aux Etats-Unis a atteint un niveau très élevé et sans précédent. Avec la stratégie de contrôle, des millions de migrants qui sans cela auraient continué à franchir fréquemment la frontière se sont installés aux Etats-Unis. En effet, les coûts très lourds et les risques physiques de l’entrée clandestine incitent les migrants à s’installer une fois qu’ils ont réussi à franchir la frontière. Et plus ces personnes restent longtemps sur le territoire, plus il est probable qu’elles s’installent de manière permanente. En ce sens, la stratégie de contrôle a eu un effet inverse à celui escompté.

Des différences économiques jouant de manière décisive sur la décision de la migration Il semble que l’écart en termes d’opportunités économiques entre Etats-Unis et Mexique a un effet plus fort sur les migrations que le contrôle accru de la frontière entre ces deux Etats. Une étude du Centre d’Etudes Comparées sur l’Immigration de l’Université de Californie, conduite en 2006, le montre bien.50 Cette étude s’est interrogée sur les effets du contrôle renforcé des frontières sur le processus de décision des migrants clandestins mexicains. La recherche s’est appuyée sur des entretiens avec 1327 migrants et leurs familles, sur une durée de 18 mois. Elle corrobore des recherches précédentes, montrant que le renforcement du contrôle aux frontières depuis le début des années 1990 n’a pas découragé les migrants clandestins d’entrer aux Etats-Unis. Même s’ils sont arrêtés, la grande majorité d’entre eux (entre 92 et 97%) persévère dans ses tentatives, jusqu’à la réussite du projet de migration. Ni la hausse de la probabilité d’être arrêté par les garde-frontières, ni le danger accru de l’immigration clandestine qui s’effectue de plus en plus à travers le désert et les terrains montagneux, n’ont découragé les migrants potentiels de quitter leur pays. Et ce alors que 75% des Mexicains souhaitant émigrer connaissent plutôt bien les opérations de contrôle des frontières conduites par les Etats-Unis. Le problème de la fortification des frontières et du renforcement des politiques de contrôle est que ces politiques n’agissent pas pour réduire les forces de l’offre et de la demande, qui guident l’immigration. La demande de l’économie américaine en travailleurs immigrés est très large, à tous les niveaux de qualification. De plus, l’écart de salaire très important et croissant entre Etats-Unis et Mexique (10 contre 1 pour les emplois les moins qualifiés), ainsi que les liens familiaux (plus de 60% des Mexicains ont des membres de leur famille aux Etats-Unis) viennent renforcer l’incitation à la migration et au regroupement familial sur le territoire des Etats-Unis.51 Méconnaître ces réalités équivaut à mener une politique inefficace et dangereuse.

La migration emprunte des routes alternatives et fait plus largement appel aux passeurs Il n’y a pas de preuve attestant que la politique de contrôle des frontières a accompli ses objectifs politiques, mais il est certain qu’elle a radicalement restructuré la géographie du franchissement des frontières. Ainsi, la construction de véritables clôtures dans la partie la plus à l’ouest du comté de San Diego a substantiellement réduit la migration clandestine à travers ce couloir de migration auparavant populaire.52 Il en va de même pour les autres zones de passage empruntées auparavant, particulièrement aux portes des villes qui ont été la cible privilégiée de la politique de contrôle des frontières. La stratégie s’est concentrée sur les secteurs ayant le transit le plus important, de San Diego à l’ouest jusqu’au sud de la vallée du Rio Grande à l’est. L’objectif est de dissuader les 50

Impacts of Border Enforcement on Authorized Mexican Migration to the United States, August 2, 2006, Testimony prepared for the House Judiciary Committee Field Hearing on Immigration, San Diego. Wayne A. Cornelius, Director, Centre for Comparative Immigration Studies, University of California – San Diego. 51 Wayne A. Cornelius, Op. cit. 52 Source : Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003.

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personnes d’entreprendre une traversée irrégulière vers les Etats-Unis, en les forçant à traverser des zones isolées, entre les segments hautement fortifiés de la frontière. Dès lors, les migrants empruntent désormais des routes plus dangereuses, ce qui a eu pour cause une augmentation du nombre de décès. En outre, pour éviter l’arrestation par les patrouilles aux frontières et diminuer les risques provoqués par les conditions naturelles, les migrants se tournent davantage vers des passeurs, ce qui a permis à ceux-ci de faire payer davantage pour leurs services, et d’augmenter le trafic d’êtres humains53. Le franchissement illégal des frontières est une entreprise de plus en plus chère (le coût lié au recours aux passeurs venant en retour également augmenter la probabilité d’installation durable aux EtatsUnis), et risquée.

Alors que les Etats-Unis ont dépensé des milliards de dollars depuis le début des années 1990 pour leur politique de contrôle des frontières dans l’objectif de réduire les flux et les stocks d’immigration clandestine, le nombre de clandestins présents sur le territoire des Etats-Unis a augmenté.54 Certaines sources l’évaluent même à un nombre situé entre 11 et 12 millions (la fourchette basse étant de 8 millions). On peut en conclure qu’une politique basée principalement sur le contrôle ne fera que produire davantage de conséquences négatives tout en échouant à dissuader efficacement les candidats à l’immigration clandestine. Les systèmes de fortifications et de surveillance virtuelle n’ont pas non plus montré un effet significatif sur les flux globaux de migrants venus du Mexique. Mais ces nouvelles protections donneront davantage de prétextes aux passeurs pour augmenter leurs coûts, détourneront les passages de clandestins vers des zones plus isolées et dangereux, multipliant encore les décès de migrants, favorisant le recours à des faux papiers et augmentant l’installation définitive aux Etats-Unis.

53

Impacts of Border Enforcement on Authorized Mexican Migration to the United States, August 2, 2006, Testimony prepared for the House Judiciary Committee Field Hearing on Immigration, San Diego. Wayne A. Cornelius, Director, Centre for Comparative Immigration Studies, University of California – San Diego. 54 Wayne A. Cornelius, Op. Cit.

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3. UNE AUGMENTATION DES RISQUES ET DES VICTIMES A LA FRONTIERE ETATS-UNIS – MEXIQUE Les études menées sur la question des victimes à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique ces dernières années montrent que la redirection des flux migratoires des points de passage urbains vers des zones rurales, suite à l’accroissement des contrôles, a augmenté les dangers encours par les migrants.

Nombre de décès documentés à la frontière sud des Etats-Unis (1)

Nombre de décès

600

516

500

372 328

400 300

254

485 447

322 334 328

241

200 100 0 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 Année

(1) Sources : - 1998 – 2004 : BSI - Border Safety Initiative, mise en place par les patrouilles aux frontières des Etats-Unis. (Tableau établi à partir du rapport : "Illegal Immigration - Border-Crossing Deaths Have Doubled Since 1995 ; Border Patrols Efforts to Prevent Deaths Have Not Been Fully Evaluated", Août 2006, GAO (Governement Accountability Office) http://www.gao.gov/new.items/d06770.pdf . Sources citées par le rapport : US Border Patrol ; Analyse par le GAO des données de la Border Safety Initiative ; Passel & Suro, 2005.) - 2005 – 2007 : Article du journal La Jornada, se basant sur les chiffres officiels du Mexique. Lien : http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2007/12/17/suman-447-los-mexicanos-muertos-en-frontera-coneu-este-ano-sre (Pour 2007, les chiffres comptabilisés sont datés du 17 décembre 2007). - Il faut noter que les chiffres varient selon les sources (gouvernement mexicain ou gouvernement des Etats-Unis, notamment), néanmoins le différentiel n’est pas de très grande ampleur. La redirection des flux, notamment vers les déserts de l’Arizona et de la Californie de l’Est, et vers les régions des ranches du sud du Texas, est certainement responsable de la mort d’au moins une centaine de personnes par an (que l’on peut documenter d’après les registres tenus) et d’un nombre indéfini de personnes supplémentaires dont les corps n’ont pas été découverts.55 Le gouvernement

55

Sources : - Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003. - United States Government Accountability Office, August 2006, Illegal immigration - Border-Crossing Deaths Have Doubled Since 1995; Border Patrol’s Efforts to Prevent Deaths Have Not Been Fully Evaluated http://www.gao.gov/new.items/d06770.pdf

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américain lui-même, à travers le GAO (Government Accountability Office), a dans une étude56 montré les tendances en termes de décès de migrants à la frontière sud-ouest des Etats-Unis entre 1985 et 2005. L’étude conclut que le nombre de décès à la frontière a augmenté et que sur la période 19952005, il a plus que doublé. Cette étude montre que plus des trois-quarts de cette hausse sont dus à une augmentation des décès dans le désert de l’Arizona. Elle conclut que malgré quelques efforts pour réduire le nombre de décès aux frontières (menés par la Border Safety Initiative - BSI), il est probable que les migrants tentent de traverser la frontière par des zones plus dangereuses car les patrouilles redoublent d’efforts pour les détecter, et que cette situation peut être à l’origine d’un accroissement du nombre de morts - sans qu’il soit possible de réduire la situation à ce lien de cause à effet. Le centre pour la recherche sur l’immigration de l’université de Houston, qui a conduit une étude sur les décès de migrants en situation irrégulière le long de la frontière sud-ouest des Etats-Unis depuis 1995, aboutit aux mêmes conclusions57 : une augmentation du nombre de décès depuis la mise en place des contrôles renforcés, et un possible lien de causalité entre ces deux phénomènes car la traversée devient toujours plus dangereuse.

Le nombre des victimes à la frontière Etats-Unis – Mexique est donc élevé et sans doute sous-estimé, car les corps non découverts ne sont pas comptabilisés dans ce chiffre. En forçant les migrants à chercher à entrer aux Etats-Unis en passant par des zones montagneuses et des zones désertiques extrêmement dangereuses, plutôt que par les couloirs urbains relativement sûrs empruntés précédemment, la stratégie de contrôle des frontières concentré sur certaines zones a contribué l’augmentation de la mortalité aux frontières, avec principalement une augmentation des morts dues aux conditions naturelles. Ainsi entre 1995 et 2005, plus de 3700 migrants sont morts, selon les autorités mexicaines, de déshydratation dans le désert, d’hypothermie dans les zones montagneuses, et de noyade dans les canaux parallèles à la frontière (Californie, Arizona).58

CONCLUSION Médecins du Monde s’inquiète d’une politique aux frontières de l’Union européenne qui s’avère coûteuse, inefficace en termes de flux migratoires et surtout, ne permet absolument pas d’endiguer des drames sur le plan humain. En effet, selon les données rassemblées ici, plus d’un millier de migrants décèdent chaque année en tentant de rejoindre l’Union européenne (estimation selon Fortress Europe : 1861 morts et disparus en 2007). MdM plaide dès lors pour la mise en place d’une politique plus respectueuse des droits de l’homme en Méditerranée. Une politique centrée sur le seul contrôle des frontières ne permettra pas d’empêcher le décès de nombreux migrants chaque année en Méditerranée.

Rédaction : Juliette Sénécat et Fabrice Giraux 56

United States Government Accountability Office, August 2006, Illegal immigration - Border-Crossing Deaths Have Doubled Since 1995; Border Patrol’s Efforts to Prevent Deaths Have Not Been Fully Evaluated http://www.gao.gov/new.items/d06770.pdf 57

Deaths during undocumented migration, trends and policy implications in the new era of homeland security, Article publié dans In Defense of the Alien, Vol.26, pp.37-52, avril 2003. 58

Référence : Impacts of Border Enforcement on Authorized Mexican Migration to the United States, August 2, 2006, Testimony prepared for the House Judiciary Committee Field Hearing on Immigration, San Diego. Wayne A. Cornelius, Director, Centre for Comparative Immigration Studies, University of California – San Diego.

« Migrations : de l’espoir au désespoir » Médecins du Monde - juillet 2008

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