B – D’une augmentation inquiétante des violences… Lorsque nous alertons sur l’augmentation des violences commises contre les travailleuses du sexe, nos détracteurs répondent que la prostitution a toujours été violente et qu’elle l’était déjà avant la loi. Cela conduit à deux observations. D’une part, la parole des travailleuses du sexe rapportant une augmentation des violences est ignorée ou invalidée et n’est jamais reconnue comme une source valable de preuves, quelle que soit la manière dont elle est recueillie82. D’autre part, la réduction des risques et des méfaits en ce qui concerne l’exposition aux violences est de fait immédiatement disqualifiée comme étant une politique publique envisageable. Enfin, cela illustre une fois de plus, l’échec de la mesure de pénalisation des clients qui ne protège pas les travailleuses du sexe, alors même que cela fait partie des objectifs annoncés. En effet, en définissant le travail du sexe comme une violence en soi, les pouvoirs publics ne cherchent pas à lutter contre les violences subies dans le cadre de l’activité, mais uniquement contre l’exercice du travail sexuel, avec pour conséquence paradoxale d’exposer davantage les travailleuses du sexe aux violences. C’est très clairement le constat de terrain de l’ensemble des associations communautaires et de santé intervenant avec les travailleuses du sexe83. Les données dont nous disposons vont dans le même sens. Ainsi, l’étude LeBail/ Giametta démontre que 42,3% des travailleuses du sexe interrogées se disent plus qu’avant exposées à des violences. En effet, sous les effets combinés de la raréfaction des clients et de la précarisation de leurs conditions de vie, les travailleuses du sexe déclarent ne plus avoir la possibilité de choisir leurs clients et d’éventuellement refuser les personnes qui leur paraîtraient « à risque de comportement violent », tel qu’elles pouvaient le faire auparavant. C’est le cas également pour les données recueillies par le Lotus Bus de Médecins du Monde qui montrent une augmentation des signalements de violence faits par les travailleuses du sexe chinoises à Paris. D’avril à septembre 2015, 41 travailleuses du sexe ont signalé avoir été victimes de violences, tandis que d’avril à septembre 2016 (juste après le vote de la loi), 71 travailleuses du sexe ont signalé avoir été victimes de violences84. Entre le 1er janvier 2020 et le 31 mars 2020, sur le site d’alerte et d’information du programme Jasmine de Médecins du Monde, pas moins de 206 faits de violence ont été signalés, dont 62 criminels (viol, braquage avec arme notamment).
R E P O N S E S A L’ E V A L U A T I O N D E L A L O I D E 2 0 1 6
82. L’étude Le Bail/Giammetta précédemment citée a interrogé 70 travailleuses du sexe dans le cadre d’entretiens longs semi-directifs et, parallèlement, plus de 500 travailleuses du sexe ont été interrogées dans le cadre d’une enquête quantitative. Pour autant, même quand les conditions de rigueur sont garanties par l’emploi d’une méthodologie explicitée par des chercheurs, cette parole est invalidée au nom de l’objectif supérieur que constitue la lutte contre le travail sexuel. 83. Voir notamment, Cabiria, Rapport d’activité 2017, http://cabiria.asso. fr/Rapport-d-activite-2017, not. p. 37 ; Cabiria, Rapport d’activité 2018, http://cabiria.asso.fr/Rapport-d-activite-2018, not. p. 42 suiv. ; Grisélidis, Rapport d’activité 2018, http://griselidis.com/sites/default/files/lesdocs/ rapport_dactivites_griselidis-2018. pdf, not. p. 45 suiv. 84. https://www.humanite.fr/contrela-prostitution-une-loi-trop-faible-etdes-associations-divisees-647377
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