MÉDECINS E D N O M U De magazine des donateurs L
Focus /
Serbie, les réfugiés dans l'impasse En images / Mineurs isolés Vie de l'association / Parrainage des enfants hospitalisés
SOIGNE AUSSI L'INJUSTICE
N° 125 HIVER 2017 TRIMESTRIEL 0,60 € — 1FS
RENCONTRE
HAÏTI
Dounia
Coordinatrice générale en Haïti Le passage de l’ouragan Matthew en Haïti a dévasté l’habitat et les forêts des départements de Grand’Anse et du Sud. Dounia Boujahma supervise notre réponse d’urgence tout en préservant les programmes de développement en cours, menacés par ce nouveau drame. POURQUOI J’Y SUIS ? « J’ai choisi le métier de sage-femme en étant attirée par l’engagement humanitaire et l’interculturalité. Aussi, très tôt, j’ai travaillé pour des associations comme Gynécologie sans frontières. Puis j’ai suivi une formation à l’institut Bioforce. C’était en 2010, quand Haïti était secouée par un violent séisme. Après un passage par les Comores, j’ai débarqué à Port-au-Prince quatre ans plus tard. D’abord pour un projet de santé materno-infantile, puis sur l’ensemble des programmes, dont le rétablissement de l’accès aux soins après Matthew. » CE QUE JE FAIS « Si nous étions préparés au passage d’un nouvel ouragan, la trajectoire déviée et la force de l’impact nous ont surpris. Les dégâts étaient si importants que nous n’avons eu aucune nouvelle de nos équipes pendant 24 heures. Il a fallu 3 jours de plus pour pouvoir les atteindre. Notre réponse s’est coordonnée avec les autorités haïtiennes depuis Port-au-Prince. Nous avons renforcé nos effectifs, évalué les dommages, développé la prévention choléra, déployé des cliniques mobiles pour les soins de base. Mais aussi aidé au transport de l’eau ou au déblaiement des routes. »
« La capacité des Haïtiens à se relever et à s’organiser est immense. » Dounia, coordinatrice
Découvrez notre fil info Haïti http://bit.ly/2cZZi00
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© Livia Saavedra
CE QUE JE RESSENS « Le sentiment d’injustice domine. La tristesse, aussi, qu’on lit dans les yeux des gens, la détresse des enfants. C’est le cœur de la nature haïtienne qui est touché à travers les départements de Grand’Anse et du Sud. Le grenier d’Haïti est détruit. Mais la capacité des Haïtiens à se relever et à s’organiser est immense. Les membres de notre équipe, directement touchés par l’ouragan, ont été les premiers mobilisés. Je suis extrêmement fière de leur courage et de leur dévouement. »
OPINIONS
HIVER 2017
, Editorial
D’Horgoš, en Serbie, aux multiples camps informels du territoire français, des milliers d’exilés peinent
à trouver un refuge et une vie meilleure. Ils alimentent les conversations, nourrissent les idées fausses. Sur leur passage, ils soulèvent de grands mouvements de solidarité mais aussi la haine, le rejet. Et la violence. Celle des 175 km de barrière à la frontière nord de la Serbie qui incarnent le reniement des principes fondateurs du projet européen. Celle des enfants dont on remet en cause la minorité sur la base de tests médicaux douteux, condamnés à survivre seuls. Tous les jours, sur nos terrains, nous constatons les conséquences dramatiques de leur isolement, tant sur le plan psychique que physique. Les autorités françaises doivent respecter la Convention internationale des droits de l’enfant et protéger ces mineurs. La France et l’Europe toute entière ont un rendez-vous avec les migrants et les réfugiés. Avec vous, réservons-leur l’accueil le plus humain possible. Avec vous, donnons encore plus de poids à nos actions.
Choqués
J’ai été profondément touchée par le terrible tremblement de terre qui a secoué Haïti en 2010. À peine 6 ans après ce drame, l’ouragan Mathew a de nouveau tout ravagé. J’ai participé à mon niveau à l’aide aux victimes en faisant un don à Médecins du Monde. Nous devons tous nous mobiliser pour venir en aide aux plus démunis et les Haïtiens ont déjà trop souffert ! Mireille, commerçante
Inquiets
En tant que Calaisien, j’ai toujours été sensible au sort des migrants de la « jungle » de Calais. Quand j’ai appris que le camp allait être définitivement fermé, j’ai été très inquiet pour ces personnes que j’avais l’habitude de croiser. J’aurais aimé me rendre plus utile, je me suis donc rendu sur le camp le jour du démantèlement pour prêter main forte aux associations sur place. J’espère que la France pourra offrir un avenir décent à toutes ces personnes. Michel, retraité
Engagés
Depuis 6 ans que la guerre fait rage en Syrie, j’ai souvent l’impression que nous sommes face à une impasse. Chaque jour des centaines de personnes meurent sous le feu des bombes et cela me touche profondément. Comment peut-on laisser perdurer un tel massacre ? J’ai tout de suite signé la pétition de Médecins du Monde pour demander que la communauté internationale intervienne enfin. Jérémy, étudiant
Dr Françoise Sivignon Présidente de Médecins du Monde
Au sommaire du N° 125 / Hiver 2017
Serbie P. 6
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Mineurs P. 8
Vous aussi, réagissez ! magazine@medecinsdumonde.net
Qui fait le journal ?
Parrainage
Médecins du Monde — Journal trimestriel publié par Médecins du Monde France — 62, rue Marcadet, 75018 Paris – Tél. : 01 44 92 15 15 – Fax : 01 44 92 99 99 – www.medecinsdumonde.org – Service donateurs : 0800 014 014 (N° gratuit) – Directeur de la publication France : Dr Françoise Sivignon – Rédacteur en chef : Thomas Flamerion – Maquettiste : Clémence Hivert – Comité éditorial : Alexandre Jalbert, Hugo Tiffou, Emmanuelle Pons, Marius Musca – Rédaction : Thomas Flamerion, Justine Roche, Sophie Lacombe, Lisa Véran – Ont collaboré à ce numéro : le comité des donateurs, les desks urgence, Afrique, Amérique latine, Asie, Europe de l'Est, Moyen-Orient, la direction des opérations France – Secrétariat de rédaction : Pauline De Smet – Crédit photo de couverture : Kristof Vadino – Création maquette : Citizen-Press – www.citizen-press.fr – Tél. : 01 77 45 86 86 – Copyright : toute reproduction doit faire l'objet d'une demande écrite préalable. Ce numéro est tiré à 363 870 exemplaires et envoyé aux donateurs de Médecins du Monde, GC (Grande Cause) – ISSN 2429-2370 – Commission paritaire N° 1008H84740 — Un dépliant d'information sur les legs est joint à ce numéro – Fabrication : Koryo – 42, rue Pierre Valette, 92240 Malakoff – Imprimé sur papier 100 % PEFC.
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Médecins du Monde N° 125 — 3
PANORAMA
L’image
EN BREF
Calais / Prévu de longue date, souvent repoussé, le démantèlement de la jungle de Calais a été lancé le 17 octobre 2016. Pendant près d’une semaine, nos équipes étaient auprès des 7 000 exilés emmenés en car vers des centres d’accueil et d’orientation partout en France. S’il était urgent de protéger ces personnes, Médecins du Monde condamne la sélection au faciès des mineurs isolés et s’inquiète de la reformation de petits camps moins visibles, sans accès à l’aide humanitaire.
Népal / Survivre dans les déchets
© Astrid Fossier
Depuis quelques années, le Népal connaît une urbanisation massive et chaotique. Notamment à Katmandou et dans sa vallée, qui voient leur population et leur production de déchets exploser. Environ 10 000 personnes travaillent au ramassage et au triage de ces déchets. La majorité d’entre eux de manière informelle. Sans accès à l’eau potable, sans toilettes, constamment exposés aux métaux lourds, aux produits chimiques, aux particules de déchets organiques, ils risquent de développer des maladies aiguës et chroniques dont des cancers. Afin de limiter les risques sanitaires liés à ces conditions de vie et de travail, Médecins du Monde lance en 2017 un programme sur les décharges à ciel ouvert de la région. Nos équipes délivreront des messages de prévention, distribueront du matériel de protection et travailleront sur une organisation du travail à moindre risque. Elles soutiendront également la mobilisation des communautés pour leur permettre de sortir de l’ombre et de faire valoir leurs droits.
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Prix des médicaments / Un brevet amendé Vous êtes près de 230 000 à avoir signé la pétition de Médecins du Monde demandant à la ministre de la Santé de mettre fin aux prix indécents des médicaments. De son côté, Médecins du Monde a mené une action en justice en opposition au brevet détenu par le laboratoire Gilead sur le sofosbuvir, un médicament contre l’hépatite C. L’Office européen des brevets a statué les 4 et 5 octobre 2016 en l’annulant partiellement. Désormais, la formule chimique du médicament n’est plus protégée. Cette décision aurait dû permettre une renégociation de son prix. Mais le sofosbuvir est toujours vendu 41 000 € en France. Nous devons rester mobilisés pour que la ministre de la Santé nous entende enfin et autorise la production d’une version générique de qualité et à faible prix.
Nigeria / Lutter contre la famine
Vintimille / Des soins pour les réfugiés
© Sinawi Médine
Depuis plusieurs mois, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sont bloqués à Vintimille, ville-frontière italienne devenue une ville-forteresse. Comme à Calais, ces exilés prennent de plus en plus de risques pour poursuivre leur parcours migratoire. Comme à Calais, ils survivent dans des conditions difficiles. Choqués par cette situation indigne, des citoyens et des associations sont mobilisés depuis plusieurs mois pour accueillir, soigner et tenter de protéger ces personnes vulnérables. Particulièrement préoccupé par leur santé mentale, Médecins du Monde met en place des séances d’écoute pour apaiser leurs souffrances.
Le saviez-vous ? © Guillaume Pinon
98 % des patients vus par nos équipes en France vivent en-dessous du seuil de pauvreté
Menacés par Boko Haram, environ 1,4 millions de Nigérians se sont réfugiés dans l’État du Borno, au nord du pays. Contraints pour l’essentiel à vivre dans des camps informels, ils manquent cruellement d’eau potable, de nourriture, d’abris. La famine guette ces familles qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins par l’élevage, l’agriculture ou la pêche. Une situation alarmante, renforcée par la destruction des structures sanitaires qui subissent de nombreuses attaques. Impossible alors de prendre en charge les enfants malnutris. C’est pourquoi Médecins du Monde a déployé des cliniques mobiles dans deux camps de déplacés de Maiduguri, la capitale du Borno. Malgré la menace terroriste, nos équipes prodiguent des soins de santé primaires, suivent les femmes enceintes et traitent les nombreux cas de malnutrition.
Le tweet
@EuroNGOs, il n'y aura pas de développement durable tant que des femmes n'auront pas accès à la planification familiale.
Source : Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la Mission France, rapport 2015.
© Olivier Borson
Mayotte / Dans l’insalubrité des bidonvilles Sur l’île de Mayotte, 101e département français et porte d’entrée vers l’Europe pour les habitants des Comores voisines, plus de 9 personnes sur 10 vivent sous le seuil de pauvreté. L’île compte 41 bidonvilles, sans accès à l’eau potable, sans douches ni toilettes, en proie aux épidémies et aux violences… Une situation dramatique encore renforcée par un système sanitaire mahorais complètement saturé. C’est dans le village de Kawéni, considéré comme le plus grand bidonville de France, que Médecins du Monde lance en 2017 un programme santé-environnement. Notre objectif est de renforcer l’accès aux soins et les droits à la santé de ses habitants. Outre des actions de sensibilisation et de prévention sur les risques liés à l’environnement insalubre, un suivi des pathologies dues au manque d'hygiène et à la malnutrition sera notamment mis en place.
@ArthurErken #EuroNGOs2016
Bulgarie / Favoriser l’accès aux soins Étape clé sur le parcours migratoire qui mène vers l’Europe du nord, la Bulgarie fait face à une forte augmentation du nombre de réfugiés sur son territoire, alors même que la population et les autorités leurs sont particulièrement hostiles. Près de 6 000 demandeurs d’asile sont répartis dans 6 centres d’enregistrement, à la frontière turque et à Sofia. Dans des conditions de vie souvent indignes et dangereuses : bâtiments délabrés, promiscuité, peu d’accès à l’eau, sanitaires insuffisants et non entretenus… Afin d’aider les familles de réfugiés et d’améliorer leurs conditions de vie dans ces centres, Médecins du Monde a mis en place des équipes mobiles. Elles soutiennent les structures médicales des centres, proposent des services de traduction lors des consultations médicales et fourniront du matériel médical et d’hygiène. Médecins du Monde N° 125 — 5
FOCUS
SERBIE
L’essentiel LA SITUATION : HorgoŠ Šid
serbie
Présent depuis janvier 2016 en Serbie, Médecins du Monde contribue à l’amélioration immédiate des conditions de santé des réfugiés dans la région des Balkans.
L’ENJEU : • Appuyer les autorités serbes dans la prise en charge médicale des migrants • Favoriser le référencement des patients qui nécessitent des soins spécifiques par les structures du ministère de la Santé.
NOS ACTIONS :
•
Consultations et soins de santé primaires en cliniques mobiles près de la frontière hongroise et en cabinet médical à Šid et à Belgrade.
•
Transport et accompagnement accompagnement vers les hôpitaux et centres de soins spécialisés. Suivi médical des femmes enceintes, des personnes opérées, des malades chroniques.
NOS MOYENS : Une trentaine de personnes travaillent pour Médecins du Monde en Serbie : administrateurs, médecins, psychologues, infirmiers, traducteurs, chauffeurs…
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SERBIE /
L’impasse Au cœur des Balkans, la Serbie voit transiter un grand nombre de réfugiés, candidats à l’asile dans le nord de l’Europe. Mais depuis la fermeture de la frontière hongroise en septembre 2015, des milliers d’entre eux restent bloqués de longs mois en Serbie. Médecins du Monde les soigne dans les zones frontalières du nord, à Šid et à Belgrade.
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ar référendum puis par la voie parlementaire, le Premier ministre Viktor Orbán a multiplié les recours contre la relocalisation par l’Union européenne de demandeurs d’asile en Hongrie. Si tous se sont soldés par un échec, ils reflètent l’acharnement du gouvernement hongrois à fermer ses frontières à celles et ceux qui tentent de trouver refuge en Europe. Au nord de la Serbie, près de Subotica, le camp informel d’Horgoš est né de ce rejet. Sur le terrain vague qui fait office de zone frontalière, quelques tentes et de frêles cabanes de branchages, de couvertures et de bâches tendues font face aux barbelés plantés par la Hongrie sur les 175 kilomètres de sa barrière anti-migrants. Ici, pas d’installations sanitaires. Quelques centaines de réfugiés originaires du Pakistan, d’Afghanistan, du Bangladesh et d’Afrique subsaharienne ne disposent que de quelques robinets pour boire, se laver, garder malgré l’insalubrité un semblant d’hygiène. Chaque jour, les équipes de la clinique mobile de Médecins du Monde y montent l’abri de toile sous lequel sont soignés les malades et les blessés du campement. LA RÈGLE DES TROIS LISTES Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, Farah observe les mouvements derrière le grillagefrontière. À 32 ans, ce Malien a traversé la Lybie, embarqué sur un canot avec une centaine d’autres personnes pour rejoindre les côtes grecques, gagné la Macédoine puis la Serbie. Depuis deux mois et demi, il attend ici, à Horgoš. Parmi les compagnons d’infortune de Farah, deux mineurs
© Guillaume Pinon
Belgrade
ont déjà pu passer en Hongrie. Lui, résigné, attend son tour. « Je suis un homme célibataire, alors je dois patienter plus que les autres. Ils font passer les familles et les mineurs avant nous. » Sur les camps installés à la frontière comme dans les centres de transit et d’accueil officiels ouverts sur tout le territoire serbe, les migrants se font enregistrer sur des listes. Trois listes – une pour les familles, une pour les mineurs non accompagnés et une autre pour les hommes seuls – validées ensuite par les autorités hongroises qui laissent entrer une trentaine de personnes quotidiennement. Parmi elles, deux ou trois hommes voyageant seuls. Aujourd’hui, Farah a de la chance. Lui qui pensait devoir attendre plusieurs jours encore vient d’être convoqué. En quelques minutes, il rassemble ses maigres effets et franchit
La police hongroise repousse la plupart d’entre eux, souvent violemment.
Te, moignage Nikolina Gligoric,
Infirmière à Horgoš
« Nous pouvions donner jusqu’à 100 consultations par jour » « Je me souviens de la situation dans le camp d’Horgoš à l’été 2016. 700 personnes vivaient ici. Certaines n’avaient même pas d’abri alors qu’il faisait 40°C. Les enfants étaient brûlés par le soleil. Pour se rafraîchir, ceux qui se baignaient dans un étang d’eau croupie attrapaient des infections de peau. Un jeune Afghan de 3 ans s’y est même noyé. Nous pouvions donner jusqu’à 100 consultations par jour. C’était terrible. En août, pour demander la réouverture des frontières, 140 migrants ont entamé une grève de la faim et marché de Belgrade à Horgoš. Ils ont tenu 7 jours sans manger ni boire. En vain. »
l’un des portiques sous les barbelés, direction les containers bleus qui bordent la frontière. Il y passera 28 jours avant, peut-être, d’être autorisé à traverser la Hongrie direction l’Allemagne. C’est le régime obligatoire réservé aux hommes seuls.
reprend des forces et panse ses plaies dans l’infirmerie de Médecins du Monde. « La dernière fois, j’ai été frappé par cinq policiers hongrois, raconte Sabri. Mais je n’ai pas peur de recommencer. Pour venir en Serbie, j’ai traversé la Macédoine sous un camion. Je veux rejoindre mon frère en Allemagne. Rien ne m’arrêtera. » Pourtant, souligne l’infirmière Zlatica Krstic, Sabri ne va pas bien. Sous la manche de son t-shirt, son bras est criblé de brûlures de cigarettes. « Après que je suis parti, mon petit frère de 14 ans a été arrêté et emprisonné parce qu’il avait agressé un autre enfant. C’est de ma faute, c’est à moi de veiller sur mes frères et sœurs quand mon père est au travail », explique-t-il. Alors, régulièrement, parce qu’il culpabilise d’avoir abandonné les siens, Sabri s’automutile.
LA VIOLENCE POUR BAGAGE En dépit du contrôle rigoureux aux frontières, lassés d’attendre un laissez-passer officiel, ils sont nombreux à essayer de les franchir clandestinement. Mais peu y parviennent. La police hongroise repousse la plupart d’entre eux, souvent violemment. Les équipes médicales de Médecins du Monde reçoivent des hommes et des femmes battus, mordus par des chiens, blessés par les barbelés, brûlés par des sprays au poivre. Malgré l’échec et les coups, malgré les milliers d’euros exigés par les passeurs pour les conduire à une Dans le cabinet médical de Grey House, le perhypothétique faille dans le dispositif de protec- sonnel de Médecins du Monde est confronté à tion, beaucoup multiplient les tentatives. cette douleur de l’exil, cette violence aux multiples facettes. Il soigne également, à raison de Sabri, un jeune Algérois de 16 ans, en est à son 50 consultations par jour, des patients souffrant quatrième essai. Quand il ne se risque pas à la de blessures accidentelles, de maladies saisonfrontière, c’est à Grey House, un camp de transit nières, infectieuses ou chroniques. de la ville de Šid, près de la frontière croate, qu’il
Avec 5 000 réfugiés officiellement enregistrés sur son territoire et des États voisins membres de l’Union européenne qui ferment leurs portes, la Serbie est dans une situation critique. S’il parvient à proposer des solutions d’accueil, en particulier grâce aux centres d’asile créés dans les années 1990 pour les Serbes de l’ex-Yougoslavie, le pays ne peut faire face sans l’aide internationale. Notamment celle apportée par Médecins du Monde pour améliorer l’accès aux soins de ces réfugiés que les murs, le rejet et l’attente détruisent peu à peu. Thomas Flamerion
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Rouen
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Je m’appelle Kevin Ipoma. J’ai 17 ans. Je viens du Congo-Kinshasa.
Quand mon père, un général de l’armée, a été emprisonné, toute ma vie a changé. Je n’expliquerai pas tout car ça fait mal dans ma tête. Quand je suis arrivé à Rouen, je croyais encore que j’allais pouvoir reprendre mes études. Mais j’ai compris que l’Aide sociale à l’enfance veut que je meure. Ils m’ont dit que je n’avais pas 17 ans. Je ne sais pas pourquoi, ils ont décidé ça. Médecins du Monde m’aide tous les jours. Tous les soirs j’appelle le 115. J’en peux plus, il faut appeler à 18h, à 19h, à 21h, à 22h… Je dors souvent dans le hall de l’hôpital. Mais il y a tellement de monde maintenant que je dois dormir même dans la rue. Au 115, on est réveillé à 5h du matin, si on a eu la chance de dormir un peu.
Loin de leur famille, loin de leur maison, partis chercher en Europe une vie meilleure, des mineurs vivent seuls sur le territoire français. À Rouen, Médecins du Monde apporte un soutien psychosocial à ces jeunes fragilisés, contraints de vivre à la rue parce que leur minorité est remise en cause sur la base d’examens douteux et qu’on leur refuse la protection à laquelle ils ont droit. En manifestant devant les locaux de l’aide sociale à l’enfance, nos équipes ont obtenu la mise à l’abri de 12 mineurs en novembre. Mais leur détresse demeure immense. Comme en témoignent les dessins par lesquels ils sont invités à s’exprimer et les messages qui les accompagnent.
Le juge des enfants a dit à l’Aide sociale à l’enfance que je suis mineur, qu’ils doivent me prendre en charge. C’était début août. Depuis, j’ai toujours des rendez-vous, des questions, des rendez-vous. Je suis toujours dans la rue. Hier mon éducatrice m’a dit : ‘‘Monsieur Kevin Ipoma, y’a pas de places, il faut attendre cinq mois pour avoir une place.’’ Je lui ai dit : ‘‘Cinq mois, vous voulez que je meure.’’ Elle a rien dit. Je veux travailler. Je veux y arriver.
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DE VOUS À NOUS
EN BREF NORMANDIE
, A lire ! Plaidoyer pour la vie La poignante autobiographie du médecin, prix Sakharov 2014, qui répare les femmes victimes de violences sexuelles au Congo. Et qui dénonce sans relâche, au péril de sa vie, ces crimes devenus armes de guerre. De Denis Mukwege, Éditions l’Archipel
Décamper De Lampedusa à Calais, un livre et un disque pour parler d’une terre sans accueil et donner la parole aux réfugiés, aux bénévoles, aux chercheurs, aux journalistes, aux artistes qui explorent l’expérience de la migration. Sous la direction de Samuel Lequette et Delphine Le Vergos, Éditions La Découverte
, A voir ! On a fort mal dormi Une plongée dans la vie d’un SDF, tirée du texte Les Naufragés de Patrick Declerck, fondateur en 1986 de la 1re consultation d’écoute de Médecins du Monde destinée aux SDF.
FRANCE
Délégation Normandie / Penser l’engagement militant C’est Rouen, siège de la délégation normande de Médecins du Monde, qui a accueilli les universités d’automne 2016 de l’association. L’occasion de travailler sur notre plan stratégique pour les 5 ans à venir et d’inviter nos cadres bénévoles et salariés à s’interroger sur l’organisation de la vie associative. L’occasion aussi de tracer les pistes d’une rénovation de son fonctionnement. Différents ateliers ont ainsi été organisés au cours d’un week-end de travail convivial. La question du rôle des adhérents à Médecins du Monde et des critères pour devenir membre associatif a ainsi été explorée. L’un des objectifs étant de réformer et de simplifier la gouvernance de l’association. Autre thème abordé lors de ces universités d’automne, la valorisation de l’engagement de tous les acteurs de Médecins du Monde. Y compris les donateurs, qui sont également au cœur des nouvelles formes de mobilisation citoyennes, participatives, dans lesquelles nous nous inscrivons. Pour continuer, avec vous, à défendre l’accès aux soins pour tous, en France et partout dans le monde.
La delegation en chiffres 70
actions mobiles auprès des personnes se prostituant et des sans-abris
1 522
consultations médicales et actions de prévention réalisées au centre de Rouen
150
mineurs isolés suivis à Caen et Rouen
110 bénévoles (médecins, psychologues, infirmiers, travailleurs sociaux, chargés d’accueil, logisticiens)
Coordonnées MdM Normandie 5, rue d'Elbeuf 76000 Rouen / Tél. : 02 35 72 56 66 normandie@medecinsdumonde.net
Du 3 au 10 février au Théâtre de Die Du 21 février au 12 mars au Théâtre du Rond-Point à Paris
Pièce mise en scène par Guillaume Barbot et interprétée par Jean-Christophe Quenon
10 — www.medecinsdumonde.org
© Alexandre Henoc
Le 6 mai à Fresnes, dans le cadre du festival Court-circuit
Vos questions Martine E., à Moulins
© Reuters
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Partenariats/ Soigner les déplacés syriens avec Ouest-France Solidarité Alors qu’Alep se meurt peu à peu, ravagée par les bombardements, le camp de Qah, à moins de 50 kilomètres à l’ouest de la ville martyre, continue d’accueillir des milliers de déplacés. Traumatisées, blessées, épuisées, des familles entières y vivent sous des tentes près de la frontière avec la Turquie, dans des conditions précaires, menacées par les combats qui font rage alentour, par le froid ou la faim. Soutenu par l’association Ouest-France Solidarité, Médecins du Monde coordonne six cliniques fixes dans le camp. Nos équipes composées de médecins, de gynécologues, d’infirmières et de médiateurs proposent des soins à ces hommes, femmes et enfants qui pour la plupart ont tout perdu.
Comité des donateurs / Mission Parrainage La mission Parrainage de Médecins du Monde a pour objectif d’accompagner des enfants isolés durant leur hospitalisation. C’est Simone, coordonnatrice, qui me conduit à l’hôpital de la Croix-Rouge à Margency (95), où nous rejoint Marie-Ange. Celle-ci est la « marraine » d’une petite Odainga, arrivée à l’âge de 3 ans pour une greffe de rein, aucun hôpital ne permettant, en Guyane, de l’opérer. Odainga est une petite fille radieuse. Son visage s’illumine à l’arrivée de sa marraine, témoignant d’une complicité étroite. Elle m’invite à jouer et à voir ses dessins. Un peu plus loin, c’est Souleymane, 15 ans, qui souffre d’une tumeur à la jambe et subit de lourdes séances de radiothérapie. Sa marraine l’a accompagné la première fois pour qu’il se familiarise avec le lieu et les soins.
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Les lourdes pathologies dont souffrent les enfants parrainés font monter ici le taux de décès à 15%. La mission repose entièrement sur la confiance tissée entre les praticiens et les bénévoles de Médecins du Monde. Ces derniers s’engagent pour toute la durée de l’hospitalisation, quelle qu’en soit l’issue. C’est un soutien inestimable, pour l’enfant comme pour l’équipe médicale. La mission Parrainage regroupe plus de 100 bénévoles, formés pour accompagner plus de 170 enfants. Elle mérite notre respect et notre admiration.
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Posez votre question, Hélène Granville vous répondra ! magazine@medecinsdumonde.net – 0 800 014 014 Médecins du Monde – Service donateurs 62, rue Marcadet 75018 PARIS
Paule Champetier de Ribes En savoir plus : journeedonateursmdm.org
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LA BEAUTÉ DU MONDE Paradoxalement, pour l’entrevoir, il faut parfois le pire : le métal brûlant des missiles, la soif de pouvoir, le fanatisme. Il faut d’abord que le sol tremble, que les murs s’effondrent et que le ciel soit englouti. Et c’est alors, et seulement alors, qu’elle apparaît. Dans des soins prodigués sans le moindre espoir de profit. Dans le regard de médecins qui ne verront jamais leur nom célébré. Dans un cœur d’enfant qui repart et des sourires ressuscités. La beauté la plus pure. MERCI À TOUS LES DONATEURS QUI, DEPUIS 36 ANS, NOUS PERMETTENT D’ŒUVRER CHAQUE JOUR À CETTE BEAUTÉ.
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