Profil 121

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DéCEMBRE - hIVER 2012

— CULtURE - tENDANCES - LUXE —

1.00 ChF

société pourQuoi l’apocalypse Fascine autant ? mode Jean-paul gaultier, de l’enFant terriBle À l’enFant pas sage

mUsiqUe

Willy moon, le nouveau crooner electro-rocKaBilly

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À cŒur ouvert


Kylie Minogue immortalisée par son styliste William Baker dans les célèbres Abbey Road Studios.


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— MUSIQUE —

TEXTE Miguel Cid

Nous avons rencontré la princesse pop à l’occasion de ses vingt-cinq ans de carrière. Lucide et candide, elle a ouvert son cœur pour nous parler avec humour de ce qui l’émeut. Une battante, forcément. 012 aura été l’année de Kylie Minogue : la chanteuse australienne adorée des Anglais a soufflé les 25 bougies de sa carrière en grande pompe. Un quart de siècle dans le showbiz, ça se fête ! Surtout quand on est la princesse de la pop. Vingt-cinq ans, autant dire une éternité dans ce milieu cannibale qui avale les jeunes starlettes toutes crues avant de les rejeter sans scrupule. Dans sa carrière, Kylie a connu des hauts vertigineux et des bas abyssaux. Elle a dominé les charts internationaux vers la fin des années 80, puis est presque tombée dans l’oubli une décennie plus tard, avant de triompher à nouveau au début du millénaire. Comme son aînée Madonna, Kylie a collectionné les looks et les beaux mecs. A ses débuts, elle était la jolie « girl next door », littéralementla fille d’à côté au bras du blondinet Jason Donovan, avant de se métamorphoser en vamp sexy sous l’influence du bad boy Michael Hutchence, le chanteur décédé du groupe australien INXS. Après une longue relation avec le ténébreux Olivier Martinez, la belle quadra se dit aujourd’hui heureuse avec le mannequin espagnol Andrés Velencoso, de dix ans son cadet. Ce qui différencie Kylie de Madonna, c’est peut-être l’affection que le public lui porte. L’annonce de son cancer du sein, à 37 ans, avait choqué la planète et suscité de vives réactions de soutien. « L’effet Kylie » est même entré dans le langage médical pour désigner l’explosion des tests de dépistage de cancer du sein qui avait suivi l’annonce. Pour fêter K25, le terme utilisé par l’entourage de la chanteuse pour désigner son jubilé d’argent – la princesse pop aux 65 millions d’albums vendus a gâté ses fans. Elle a chanté pour la reine d’Angleterre lors de son jubilé de diamant mais aussi, comme toute icône gay qui se respecte, pour les drag-queens du Mardi gras gay et lesbien à Sydney. Elle a fait son show au festival de Cannes

pour promouvoir Holy Motors , le nouveau film de Leos Carax, où elle fait une apparition remarquée. Et pour clore les festivités en beauté, elle vient de publier  The Abbey Road Sessions . Dans ce superbe album, elle a réenregistré ses plus grands tubes, accompagnée d’un orchestre symphonique, aux célèbres studios Abbey Road. C’est à cette occasion que la star de 44 ans nous a accordé un entretien en tête-à-tête. Elle nous accueille dans un studio de Portobello, le quartier bobo-chic de Londres, alors qu’elle est en train de finir le mixage

« Spinning Around » et depuis, je n’ai plus arrêté. J’ai de la peine à réaliser que vintg-cinq ans ont déjà filé. Vous dites n’être ni la meilleure chanteuse, ni la meilleure danseuse qui soit. Mais la combinaison de vos talents forme un séduisant package… C’est vrai, j’aurais adoré vivre pendant l’âge d’or des comédies musicales, quand il fallait savoir jouer la comédie, danser et chanter. Je suis un peu l’incarnation moderne de ces artistes polyvalents. Mais au-delà de tout ça, je pense que ce métier était ma vocation et mon destin. Il faut ajouter à la liste de mes talents que je suis une bonne communicatrice. J’ai le contact facile et je m’intéresse aux gens. Je ne pense pas que je pourrais faire mon job autrement.

‘ j’aurais adoré vivre pendant l'âge des comédies musicales, quand il fallait savoir jouer la comédie, danser et chanter ’ — kylie minogue —

du CD. Affable, souriante, pas diva pour un sou, Kylie est telle qu’on l’imagine. Petite robe noire, accessoirisée avec des bijoux or, escarpins chic, aujourd’hui son look est « confortable, Dolce & Gabbana », nous glisse-t-elle. Pour commencer, félicitations pour ce jubilé d’argent ! Oh, merci… ( elle feint d’être contrariée puis éclate de rire ). Je trouve comique que la reine ait célébré son jubilé de diamant pendant deux semaines, alors que mon jubilé d’argent a duré toute l’année ! Etes-vous surprise d’être toujours là après vingtcinq ans ? ( Elle réfléchit ) Oui, en fait, parce que j’ai vécu des périodes difficiles. Je me souviens qu’en 1999, j’ai acheté une maison à Los Angeles parce que ça ne marchait plus vraiment pour moi ici et je ne savais pas trop où aller. Et puis j’ai sorti

Il y a un inédit sur votre nouvel album qui vous tient à cœur, « Flower ». Evoque-t-il votre désir d’être mère ? J’ai écrit ce titre en 2007, lorsque je luttais contre le cancer. Après une telle expérience, il reste plein d’inconnues, comme la question de savoir si je pourrai avoir des enfants. Le cancer ne disparaît pas du jour au lendemain. Chaque femme vit les choses différemment. Il y a des millions de témoignages différents sur le cancer mais pour moi, c’est quelque chose que j’ai dû commencer à accepter à l’époque et que je ne voulais pas accepter. Rien de tout ça n’est très drôle mais oui, dans cette chanson je parle d’un esprit – et ce que je vous dis va sans doute être mal interprété par écrit, je ne vois pas des fantômes ou des choses du genre – qui sera ou qui ne sera peut-être pas mon avenir. C’est comme une lettre d’amour à l’enfant que j’aurai ou que je n’aurai peut-être pas. Tout ça est assez lourd, mais je pense que dans l’ensemble le message de cette chanson est positif et invite à s’accepter. >>>


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— MUSIQUE —

ça. J’aime ce que je fais. J’aime toujours être glamour et porter des costumes de scène sexy. Je suis quasi certaine que lorsque cela ne sera plus approprié pour mon âge, je saurai m’arrêter. J’espère que mes amis n’auront pas besoin d’intervenir pour me dire que j’ai l’air ridicule ! Pour l’instant, je me fie à mes instincts.

© DR

Madonna est l’objet de violentes critiques parce qu’elle ose se déshabiller sur scène à 54 ans. Qu’en pensez-vous ? Je pense que c’est très décevant que son âge ait quelque chose à voir dans l’histoire. Madonna est Madonna. Elle ne changera jamais. Elle est incroyable, une icône. Qui a le droit de lui dire ce qu’elle est autorisée à faire ou pas ? Vous savez, j’ai toujours détesté qu’on me dise ce que je peux ou ne peux pas faire. Déjà lorsque je j’étais actrice dans Neighbours  et que j’ai commencé à chanter, on me disait « tu es une actrice, tu ne peux pas être chanteuse ». Ensuite, je suis devenue chanteuse et on m’a dit que je ne pouvais pas être actrice. Personne ne devrait dicter à Madonna comment elle doit se comporter. Et ceux qui s’y risquent ne font probablement que l’encourager à en rajouter. C’est sa personnalité, non ? Je ne la connais pas personnellement mais c’est l’impression qu’elle donne.

>>> Envisagez-vous d’avoir un enfant, quitte à considérer l’adoption ? Oui, il y a plein de façons d’avoir une famille. J’adorerais fonder une famille un jour. Tout le monde aimerait vous voir mariée… Je comprends parce que moi-même, j’adore les mariages. Quand une amie se marie, je suis excitée comme une puce. J’apprécie que le public veuille me voir la bague au doigt mais je ne sais pas si cela arrivera un jour. Etes-vous comme certaines femmes, qui rêvent de leur mariage toute leur vie ? Je n’ai jamais été l’une d’entre elles. Si je devais convoler en justes noces aujourd’hui, l’organisation du mariage serait une débâcle. Je finirais probablement par me marier en secret. Vous affichez une jolie silhouette mais vous ne faites pas de régime et n’allez pas au fitness. Occasionnellement… très occasionnellement !

Quel est votre élixir de jeunesse ? Je suis très active. Et puis j’essaie de me présenter le mieux possible. Lorsque je sors du lit, je suis très différente de ce que vous voyez maintenant. Les femmes ont leurs secrets pour paraître à leur avantage ! Je dois aussi accepter que le temps passe. Pour cet anniversaire, j’ai dû me plonger dans mes souvenirs, revenir dans le passé. Ce n’est pas évident de regarder des photos de soi jeune. On se dit « Vraiment ? C’est moi ? Je ne suis plus la même ». Il faut accepter, être heureuse avec ce que l’on a. Croyez-moi, il y a des jours où je me dis « ça y est, je suis finalement victime de la gravité ! Comment est-ce arrivé ? » Aujourd’hui, les chanteuses pop de votre âge – Jennifer Lopez, Gwen Stefani, pour ne citer qu’elles – ont l’air d’avoir dix ans de moins. Ressentez-vous la pression de toujours rester jeune et sexy ? Savoir jusqu’où l’on est prêt à se laisser envahir par cette pression est un choix personnel. Je pourrais choisir de me laisser aller, de devenir sauvage, mais je ne suis pas encore prête pour

Vous avez réalisé le clip de « Flower ». Avezvous, comme Madonna, l’ambition de réaliser un film un jour ? Je ne suis pas encore prête mais un jour, qui sait ? Quelque chose me dit qu’un jour je le serai. Je suis très inspirée par quelqu’un comme Barbra Streisand. Elle a tout fait, surtout à une époque où une femme à la fois actrice et réalisatrice de son propre film était rare. En tout cas, jouer dans le film de Leos Carax a rallumé en moi l’envie de faire du cinéma. Quels sont vos projets pour 2013 ? Je suis déjà contente d’arriver au bout de K25. Même si cet anniversaire a été fantastique, il m’a demandé beaucoup de travail et m’a lessivée mentalement et émotionnellement. C’est un peu comme quand on déménage et qu’il faut trier des cartons de photos pour décider lesquelles on va garder. Cela prend beaucoup de temps. Alors je pense que quand je serai à Sydney le 31 décembre pour les feux d’artifice, je serai vraiment heureuse que ce jubilé soit derrière moi. L’année prochaine, j’espère enregistrer un nouvel album et trouver un autre projet de film.

ky l i e 1987

1989

1997

i should be so lucky

sexkylie

Impossible Princess

Révélée dans le soap australien Neighbours, Kylie tente sa chance comme chanteuse à Londres en 1987. Usine à tubes, les producteurs Stock Aitken & Waterman lui composent « I Should Be So Lucky » en cinq minutes. Succès foudroyant et planétaire.

Lasse de son image de girl next door permanentée et proprette, Kylie se dévergonde dans les bras du sulfureux Michael Hutchence et développe une image plus sexy dans ses clips. Une phase baptisée « SexKylie » par les Anglais.

Lasse aussi d’être traitée comme une marionnette, Kylie quitte ses producteurs en 1992 et amorce un virage artistique pour gagner en crédibilité. Malgré un duo réussi avec son compatriote Nick Cave, l’album Impossible Princess est un bide en 1997.


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— MUSIQUE —

ZOOM

l’équation S e x-a p p e a l Les hommes l’ont toujours trouvée craquante. Minuscule mais parfaitement proportionnée, elle est sexy sans en faire trop. Même à 44 ans, ses fesses continuent de faire parler d’elles.

+

S y m pat h i e Les femmes ne la considèrent pas comme une rivale mais plutôt comme une amie. Tout le monde la trouve sympa. On ne peut pas en dire autant de Madonna.

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X Fac t o r « Je ne suis pas la meilleure chanteuse ni la meilleure danseuse qui soit » admet-elle. Mais elle a du talent, c’est certain. Et ce je ne sais quoi que possèdent les stars.

=

© DR

K YLIE e n s i x dates 2000

2005

2012

Come-back

cancer

jubilé

Alors qu’on la croyait finie, Kylie réapparaît plus sexy et pop que jamais avec « Spinning Around ». Les minishorts dorés ultra moulants qu’elle porte dans le clip font sensation et ses fesses affolent tout le monde. A 32 ans, Kylie est à nouveau numéro un en 2000.

En pleine tournée en 2005, la chanteuse apprend qu’elle a un cancer du sein. La planète est sous le choc et les messages de soutien pleuvent. Après une opération et un traitement, elle met un point d’honneur à achever sa tournée fin 2006.

En 2012, les Anglais fêtent Kylie comme une reine pour son jubilé. De retour au cinéma, elle fait sa montée des marches à Cannes. Les Australiens lui confient l’organisation des festivités du 31 décembre à Sydney.


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— photo —

TEXTE Albertine Bourget

Les magazines de mode se l’arrachent. Alors que Londres lui consacre une exposition et un livre, rendons aussi hommage au photographe britannique. n immense bonhomme de pain d'épice qui gambade, prêt à s'échapper de son cadre de verre. C'est grâce à cette photographie que nous avions découvert le travail de Tim Walker, aux Rencontres photographiques d'Arles en 2008. Une image démesurée, décalée, géniale, résumant à elle seule l'œuvre pléthorique de ce Britannique qui a transposé ses rêveries d'enfant dans le monde des grands. Et auquel Londres rend doublement hommage cet hiver. Chaque image déborde d'une excentricité, disons-le, typiquement britannique. Dans la galerie de portraits, on reconnaît des personnalités à la folie douce comme Vivienne Westwood, Helena Bonham-Carter et Tim Burton ou Tilda Swinton. Il y a les demeures de l'Angleterre bucolique de l'enfance. Les gardes de la reine, les plateaux de douceurs pour le 5 o'clock tea. L'œuf Humpty Dumpty de la célèbre comptine, qui s'assit sur un mur et chuta. Les tops aussi, la rousse Lily Donaldson et l'aristocratique Stella Tennant dans son nuage de fumée rose. Tim Walker a maintes fois évoqué l'importance des contes et du folklore britannique, qui ont bercé une enfance rêveuse, partagée avec un frère dans un grand jardin. Son histoire favorite ? « Probablement le “ Ginberbread boy ”, qui fut confectionné et s'enfuit ensuite du four. Ou peut-être “ Les elfes et le cordonnier.” J'adore l'idée de ces petits elfes fabriquant toutes ces délicates petites chaussures », a-t-il confié. Mais si les codes sont rétro, les mannequins plus magiques que sexy, une inquiétude trouble plane sur cet univers à la fois familier et déroutant. Comme dans les contes. Humpty Dumpty est cassé. La poupée Boucles d'or se prend pour King Kong. Alors qu'un Spitfire de carton-pâte s'écrase dans le salon, une soucoupe volante interrompt une chasse à la courre. Certains ont vu dans cet onirisme menacé une référence à l'enfance, forcément, mais aussi à la leucémie qui a frappé son père alors qu'il devenait lui-même adulte. « Une histoire ne peut pas captiver si elle n'est pas un peu dangereuse. Ça ne peut pas juste être une succession de couleurs pastel », explique-t-il. Et la mode, alors ? Les robes sont vaporeuses et aristocratiques plutôt que post modernes. A vrai dire, les tenues sont un accessoire, superbement mis en scène certes, mais elles ne sont pas le cœur de l'histoire. Simplement, seul ce milieu-là lui a permis de donner libre cours à son imagination. « La photographie de mode vous permet de faire la photo que vous avez dans la tête. Elle est la seule qui permette le rêve, et je suis un rêveur. J'adore les beaux vêtements, mais je me contrefiche de ceux qui sont montrés sur les podiums », dit-il. Il a néanmoins noué une relation forte avec la marque Mulberry, dont il photographie toutes les campagnes. Ces tableaux qu'il a en tête, il les dessine et les croque d'abord avant de les mettre en scène avec une minutie extrême, sans aucun artifice digital. L'exposition de Somerset House, superbement mise en scène, permet d'ailleurs de passer, un peu, de l'autre côté du miroir, grâce à des accessoires utilisés pour les images qui sont également présentés. Un travail de mise en scène qui se rapproche du théâtre et du cinéma, un univers dont Walker s'est récemment rapproché luimême en réalisant des courts métrages. À la veille du vernissage, il a confié qu'il n'en pouvait plus de ces accessoires. « J'ai parfois l'impression d'être suivi par un coffre débordant de jouets fous. Basta ! » Espérons que quel que soit le rêve qu'il caresse à l'avenir, il soit aussi beau que ceux qu'il a imaginés jusqu'à présent. >>> Tim Walker Story teller Somerset House, Londres, jusqu'au 27 janvier 2013. Le livre « Tim Walker Story Teller » est disponible chez Thames & Hudson.

Tilda Swinton and aviator goggles, Reykjavik, Iceland, 2011 © Tim Walker.


— PHOTO —

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Karlie Kloss and broken Humpty Dumpty Rye, East Sussex, 2010 © Tim Walker.


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— PHOTO —

BIO EXPRESS

Tim Walker Né en 1970, Tim Walker découvre la photographie de mode via les archives de Cecil Beaton chez Condé Nast. Parti à New York, il travaille un an durant aux côtés de Richard Avedon. À 25 ans, il réalise son premier shooting pour « VOGUE ». Depuis, il travaille régulièrement pour les éditions américaine, anglaise et italienne du magazine. Il a reçu, entre autres distinctions, l’Infinity Award de l’International Center for Photography ( ICP ) de New York. Ses images font partie des collections permanentes d’institutions comme le Victoria and Albert Museum et la National Portrait Gallery. Et, gageons-le, il sera bientôt adoubé par la reine.

Alexander McQueen with skull and cigarettes, Clerkenwell, London, 2009 © Tim Walker


© Michael Angelo

Dans son ouvrage « Notre force est infinie », la Libérienne Leymah Gbowee revient sur la mobilisation des citoyennes pour la paix lors de la guerre civile qui avait fait plus de 250 000 morts dans son pays.


— LITTéRATURE —

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— LEYMAH GBOWEE —

Armure charnelle TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

Leymah Gbowee, Prix Nobel de la paix 2011, raconte dans « Notre force est infinie » comment une grève du sexe a pu sauver son pays. Déroutant. ’est l’histoire d’une réalité qui dépasse toutes les fictions. Celle d’une armée de femmes, toutes vêtues de blanc, qui ensemble décident, un jour, de faire face aux hommes et à leurs guerres aussi insensées qu’interminables. Avec pour seules armes, leurs prières et leur corps qui se refuseront tant qu’elles ne seront pas venues à bout de cette folie humaine. C’est l’histoire, faite de sang et d’espoir, d’un peuple qui ose redresser la tête. Enfin. Les journaux télévisés s’en souviennent. En 2003, la Libérienne Leymah Gbowee parvient à mobiliser les citoyennes de son pays, alors ravagé par une guerre civile quasi-permanente, qui a fait plus de 250 000 morts, dont une majorité d’enfantssoldats. La jeune quadragénaire exhorte ses congénères, chrétiennes ou musulmanes, sans distinction aucune, à prier avec elle pour la paix. En peu de temps, le mouvement prend de l’ampleur. Des sit-in et autres marches de protestation sont ensuite organisés pour faire avancer les négociations entre le président Charles Taylor et les différents chefs de guerre. Si la mobilisation est un succès, les femmes restent cependant maintenues à l’écart des pourparlers. C’est alors que la contestation monte d’un cran et prend une toute autre tournure, pénétrant à présent jusque dans les chambres à coucher du pays : tant qu’elles n’auront pas obtenu gain de cause, les Libériennes feront la grève du sexe.

son autobiographie parue chez Belfond. Elle dit vouloir parler au nom de toutes ses consœurs, si souvent rabaissées dans les médias occidentaux : « Nous autres Africaines sommes le plus souvent marginalisées et dépeintes comme des victimes pathétiques à l’expression hagarde, aux vêtements déchirés, aux seins tombants. Telle est l’image à laquelle le monde est habitué, l’image qui se vend », écrit-elle dans son introduction. Et de poursuivre : « Pendant la guerre, presque personne n’a parlé de ce que fut cette autre réalité : la vie des femmes. Comment nous

mais on se sent incapable de les aider, et on s’en veut encore plus. La haine de soi rend plus triste, la tristesse rend plus impuissant, l’impuissance génère encore plus de haine de soi. » En prenant la tête de ce mouvement des femmes, Leymah Gbowee s’est aussi sauvée personnellement, elle le sait. Même si la culpabilité d’avoir laissé ses six enfants à sa sœur pour pouvoir accomplir sa « mission » continue de la hanter. « Je n’ai pas vraiment surmonté ce sentiment, mais j’ai des consolations », a-t-elle précisé devant les journalistes. « Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait aussi pour mes filles. Le Liberia n'avait, par exemple, pas de loi sur le viol, aujourd'hui il en a une. Mes filles n’auront plus à se battre pour cela, elles pourront concentrer leur énergie sur d’autres choses. » Mais comment lui était venue cette idée extravagante d’une grève du sexe ? « Il y avait les combattants et les hommes tranquilles, qui restaient un peu trop tranquilles », sourit-elle. « Il fallait les secouer. » Et d’ajouter, lucide : « En plus, cela attirait l’attention des médias. Les gens avaient envie de savoir qui étaient ces femmes qui refusaient d’avoir des relations sexuelles avec leurs maris tant que la paix n’était pas revenue. » Le magnifique témoignage qu’elle nous livre aujourd’hui répond à toutes nos curiosités tout en osant aussi nous secouer pour notre propre combat : « Chacun doit être son propre Mandela. Les gens affrontent des problèmes sociaux mais personne n’est là pour parler en leur nom. Alors ils restent assis et attendent. Ils attendent un sauveur. Parfois, il n’y en a pas et vous devez être votre propre sauveur… »

‘ nous autre africaines sommes le plus souvent marginalisées et dépeintes comme des victimes pathétiques ’

Un souffle puissant d’espoir et de vérité L’histoire est d’autant plus étonnante que la mesure réussit. Mis sous une pression radicalement multipliée, le dictateur Charles Taylor consent, quelques jours plus tard, à associer les femmes aux négociations politiques. Il sera finalement contraint à quitter le pouvoir et fuir le pays – il sera condamné en 2012 pour crime contre l’humanité. L’année précédente, en 2011, Leymah Gbowee recevait le Prix Nobel de la paix. Cette activiste convaincue revient aujourd’hui sur cet insolite combat dans « Notre force est infinie »,

— leymah gbowee —

avons caché chaque fois que c’était nécessaire nos maris et nos fils pour éviter que les soldats les recrutent de force ou ne les tuent. Comment, en plein chaos, nous avons marché à des kilomètres chaque jour pour trouver à manger et de l’eau pour nos familles. Comment nous avons perpétué la vie, afin qu’il reste quelque chose sur quoi reconstruire, quand la paix reviendrait. » Loin de tomber dans l’atermoiement ou tout angélisme, le récit de Leymah Gbowee exulte d'un souffle puissant. D’espoir et de vérité. La Prix Nobel ne cache jamais ses faiblesses ni ses doutes. Sans fard, elle raconte ses déboires. La violence conjugale qu’elle a subie, le déprime, l’alcool pour tout oublier. En conférence de presse à Paris le mois dernier, elle s’expliquait ainsi : « Je ne voulais pas seulement raconter un combat politique, mais aussi un combat personnel. » « Quand on est déprimé », écrit-elle, « on est piégé à l’intérieur de soi et on ne peut pas faire les efforts nécessaires pour essayer d’aller mieux. Et on s’en veut. On voit combien les autres souffrent,

NOTRE FORCE EST INFINIE Un livre de Leymah Gbowee, éditions Belfond, 345 pages.


— MODE —

© DR

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Greta Garbo photographiée par George Hurrell sur le tournage de Romance en 1930.


— MoDE —

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INITIALES gg TEXTE alexandre lanz

Les 14 et 15 décembre, plus de 800 pièces ayant appartenu à Greta Garbo seront vendues aux enchères à beverly hills. 1

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n août dernier, la maison de vente aux enchères Julien’s annonçait une vente extraordinaire à Bevery Hills : les effets personnels ayant appartenu à Greta Garbo, la plus mystérieuse des stars de l’âge d’or de Hollywood. Ses vêtements de couture, ses souvenirs de vacances, ses bibelots, ses photos de tournage, ses pyjamas, ses babouches. 853 pièces au total, une vie toute entière vendue aux enchères. Si aucun fan nostalgique de la Divine, comme elle était surnommée, n’a encore crié au scandale de voir la vie de Garbo ainsi jetée en pâture, cette vente a pourtant quelque chose de paradoxal en regard de l’existence énigmatique de la star. En attendant, les associés de Julien’s Auctions se frottent les mains : de toutes les ventes qu’ils ont organisées, de Michael Jackson à Madonna, sans oublier Marilyn Monroe, celle-ci est de loin la plus spectaculaire. Récemment interrogé par le magazine Les Inrockuptibles au sujet de cette opération dont il est l’initiateur, Derek Reisfield, le petit-neveu de la star, expliquait : « Elle était incroyablement drôle. Elle avait un solide sens de l’humour et voyait les choses sous un angle souvent comique. On la disait froide, mais c’est parce qu’elle savait qu’à Hollywood les gens tentent de se servir les uns des autres. Face à ceux qu’elle ne connaissait pas, elle préférait rester silencieuse. >>> 1 : Robe du soir en velours noir datant de la fin des 30.

Robe de chambre à rayures. 2 : Greta Garbo avait de nombreuses lunettes.

Celles-ci sont « Made in France ».

© DR

3 : Sac en toile de la marque Sac De marin.


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— MODE —

‘ greta garbo était fondatrice  d’un ordre religieux   appelé cinéma ’ — frederico fellini —

Dans la vraie vie, elle était exactement comme dans Ninotchka de Lubitsch ». Le cliché de la star recluse dans sa tour d’ivoire, préférant se retirer que de se voir vieillir sur la pellicule, en prend pour son grade. Résolument moderne, comme le souligne son petit-neveu, elle a simplement refusé de sacrifier sa vie pour Hollywood et a décidé de quitter les plateaux de tournage au sommet de sa gloire, à peine âgée de 36 ans. En conséquence, la légende a rapidement dépassé son propre mythe. « Elle était la fondatrice d’un ordre religieux appelé cinéma », disait à son propos Federico Fellini, qui n’a pourtant jamais tourné avec elle. A elle seule, cette citation résume le culte autour de l’actrice. Occupée dans un premier temps à rectifier les erreurs des journalistes, elle a ensuite opté pour une indifférence souveraine à l’égard des médias. Installée à New York après sa retraite anticipée dans les années 50, elle aimait se balader dans les rues de la ville, le regard protégé par de grandes lunettes noires. Son temps libre, elle le consacrait à ses amis proches, dont Aristote Onassis et Cecil Beaton. Femme de goût, Garbo était connue pour son style. « Avec ses vêtements emblématiques, comme ses somptueux cols roulés en cachemire, ses pantalons sur mesure, ses élégants souliers et ses imperméables à épaulettes, elle a lancé des modes à New York, Paris, Londres et Florence », écrit Julien’s dans un communiqué. La modernité de ses vêtements griffés Emilio Pucci, Gucci, Salvatore Ferragamo, Givenchy et Louis Vuitton saute immédiatement aux yeux lorsqu’on se plonge dans l’impressionnant inventaire du catalogue des ventes. Pour les aficionados de la star désirant acquérir un peu de son intemporalité stylistique, le compte à rebours a commencé.

© DR

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Les chaussures dorées de Greta Garbo.

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Blouson en velours.

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La bague perle et diamants que portait la star.

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— MODE —

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dur à cuir TEXTE Alexandre Lanz

Il est classique et rock’n’roll à la fois. Structuré dans sa forme, il a pourtant une réputation sulfureuse. Mais quelles sont les véritables origines du perfecto ?

Marlon Brando et son perfecto dans le film L’Equipée sauvage en 1953.

La pièce fétiche des voyous Zippé sur le devant, le perfecto est renforcé par une double épaisseur de cuir pour mieux protéger le torse. Pratiquement indéchirable, il fait partie de ces pièces intemporelles, qui prennent de la valeur avec la patine du cuir et que l’on garde pour la vie. Après les motards, les rockeurs se sont empressés de l’enfiler au début des années 60. C’est également à ce moment-là qu’il a traversé l’océan Atlantique pour faire son apparition en Europe. A cette époque, le perfecto était à l’apogée de sa réputation de dur à cuire. Sa popularité lui a même joué de sales tours : interdit dans les écoles, il était considéré comme la pièce fé-

tiche des voyous. Une décennie plus tard, l’hilarant Fonzie de la série Happy Days ne sortait jamais sans le sien. Toujours dans un registre underground, le blouson était ensuite récupéré par les punks à la fin des années 70. Mais attention, n’était pas un vrai punk celui qui se contentait de porter le perfecto sans avoir pris le soin d’y incruster des clous, des épingles de nourrice, des chaînes et des badges. Aujourd’hui, quatre-vingt cinq ans après son invention, il n’a plus rien de sulfureux mais n’a rien perdu de sa superbe pour autant : son passé lui confère une aura de superstar, une sorte d’indispensable de placard pour tous les passionnés de mode qui se respectent.

La marque londonienne Muubaa a fait du perfecto sa signature. Celui-ci est issu de la collection printemps-été 2013.

© Muubaa

© DR

’est un grand habitué des podiums. Les créateurs ne se lassent pas de le ressortir du placard pour le réinventer sous toutes les coutures. C’est assez logique : son caractère bien trempé le différencie des autres classiques du vestiaire. Et il endosse volontiers le rôle d’allié à tout couturier en mal de révolution. Mais le perfecto n’a pas attendu la mode pour faire son coup d’Etat. Bien avant que celle-ci ne s’en mêle, il a connu son heure de gloire au cinéma. Casquette de marin vissée de travers sur la tête, ne dévoilant qu’un œil de son regard de playboy, pose lascive sur sa Triumph Thunderbird et perfecto dévoilant juste ce qu’il faut de son T-shirt blanc immaculé en-dessous, Marlon Brando incarnait le « bad boy » en blouson noir dans L’équipée sauvage en 1953. Au passage, l’acteur redéfinissait les codes de la séduction au masculin. Le perfecto n’en était pourtant pas à son premier coup d’essai puisque son origine remonte à 1928, date à laquelle il a vu le jour à New York sous l’impulsion d’Irving Schott. Grand passionné de moto, son ambition était d’inventer le blouson le plus solide au monde. Il était loin de se douter du succès phénoménal qu’allait rencontrer son modèle. Businessman avisé, Irving Schott ne traitait aucune affaire sans son cigare cubain favori, le Perfecto, à la bouche. D'où le nom du blouson.


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