Le beatbox et ses pratiquants

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LE HUMAN BEATBOX ET SES PRATIQUANTS

Robin MARTINO

Master 2 Recherche en Sociologie Spécialité Art, culture et médiations techniques 2008-2009

Sous la direction de Catherine DUTHEIL et de Philippe TEILLET


Table des matières Introduction...............................................................................5 I.LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES.......................................9 1.Afrika Bambaataa et la Zulu Nation.................................................. 9 2.Les disciplines, leurs influences et leurs représentants...................10 Le rap....................................................................................................... 10 Le djing ....................................................................................................11 La danse................................................................................................... 11 Le graff.....................................................................................................12

3.Le human beatbox, définition et histoire..........................................13

II.MÉTHODOLOGIE................................................................. 17 1.L'observation participante ............................................................... 17 2.Internet : une source d’information et de matériel ........................18 3.La photographie comme outil d’analyse socio-anthropologique.....18 Démarche photographique ...................................................................... 19 Choix, présentation et organisation des photographies...........................20 Place de la photographie dans la recherche............................................21

4.S'entretenir avec les beatboxeurs.....................................................22

III.TERRAINS.......................................................................... 23 1.Les évènements liés à la pratique.....................................................23 Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de beatbox..................................................................................................... 23 La convention internationale de beatbox à Berlin .................................26 La Chaufferie, lieu de musiques actuelles...............................................3 0 Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble..............................32 Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier.33 Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie.................36 La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon....................37

2.Des lieux virtuels pour de réels échanges ....................................... 38 Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges..............38

2


Les sites de mise en ligne de vidéos........................................................ 41

3.Les beatboxeurs interviewés ...........................................................42

IV.UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL....................................46 1.Le beatbox est un jeu ....................................................................... 46 2.« C'est humain de s'exprimer »........................................................5 3

V.COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ?..........................54 1.Des origines et des trajectoires plurielles........................................ 54 2.Découverte et apprentissage ............................................................55 3.Des valeurs défendues....................................................................... 61

VI.LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES........................64 1.Technique vs artistique...................................................................... 64 Battle vs concert.......................................................................................64 Technicien vs musicien............................................................................. 67 Homme vs machine.................................................................................. 68

2.Une communauté de beatboxeurs ....................................................70 Genèse et définition ................................................................................ 70 Fonctionnement........................................................................................ 72

3.Transmission.......................................................................................76 Buts et motivations...................................................................................76 Pédagogie ................................................................................................ 81 Outils.........................................................................................................82

4.Institutions culturelles et médias......................................................84 Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop.................84 Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux .......................................85 Beatbox et médias....................................................................................87

Conclusion................................................................................89 Bibliographie............................................................................ 90 Sitographie...............................................................................92 Lexique.....................................................................................92 Annexes.................................................................................... 94 3


« Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. » Marcel Mauss, « Notion de technique du corps ».1

1

Mauss M., « Notion de technique du corps », in Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1950.

4


Introduction La musique dans les sociétés contemporaines est marquée par des révolutions technologiques et culturelles qui n’ont cessé de la rendre omniprésente. Cette démocratisation de l'écoute s’appuie sur des avancées techniques comme le Compact Disc, le format Mp3 mais aussi sur des genres musicaux qui ont touché des populations de plus en plus larges. On parle aujourd’hui de culture de masse se manifestant dans la musique « pop »2 relayée par les médias à des fins commerciales. Cela laisse à penser quant à la qualité de ces produits de consommation courante conçus par les producteurs des grandes maisons de disques. Parallèlement, des mouvements culturels voient le jour et se positionnent contre ce phénomène d’industrialisation de la musique en faisant preuve de créativité, d’innovation et d’engagement. On retrouve parfaitement cela dans une pratique musicale née au sein du mouvement hip-hop dans les années 80 et récemment apparue en France : le human beatbox 3, ou l’art et la manière de produire des sons rythmés avec la bouche. L’usage du corps à des fins techniques, mais surtout artistiques, offre de vastes possibilités qui octroient une dimension vivante à la pratique. Dès lors, jouer de la musique ne semble plus une affaire de matériel onéreux ou de nombreuses années de cours : le beatbox permet de s’exprimer librement dans un nouveau langage, celui des « beats »4 et des sons en tout genre, avec ses propres « outils », la voix, la gorge, les lèvres… Le choix du sujet de ce mémoire ne s’est pas fait par hasard. J’ai en effet découvert le beatbox voilà plus de deux ans. Invité par un collègue musicien, je me suis rendu en novembre 2005 à Dijon pour participer à un atelier animé par le beatboxeur EZRA et qui s’adressait à une majorité de personnes déjà familières de cette pratique d’un genre nouveau. Depuis cette rencontre avec manière alternative de pratiquer et de faire vivre la musique, je n’ai cessé de m’y intéresser. La distance géographique, qui m'a souvent séparé des principaux 2

« Popular music » : musique populaire, terme né dans les années 60 pour désigner le rock’n roll, synonyme de musique légère ou de variété. Différent des musiques traditionnelles ou folklore.

3

Littéralement « boîte à rythmes humaine », peut être nommé simplement « beatbox », d'où provient le verbe « beatboxer », le « beatboxing » et le nom commun « beatboxeur, euse ».

4

Provient du verbe « to beat », battre en français qui signifie dans ce cas précis le rythme.

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acteurs de ce fait musical en pleine effervescence, a parfois été comblée avec l'utilisation d'Internet. Cet outil a constitué un des principaux moyens de me tenir informé et d’approfondir mes recherches dans le domaine. Dans un premier temps, je me suis tout d'abord focalisé, à tort, sur la nature émergente du beatbox ce qui m'a conduit à occulter bons nombres de problématiques. Ceci peut, en partie, s'expliquer par le manque de repères dû à une très faible quantité d’écrits relatifs à ce sujet. Les travaux sociologiques antérieurs, qu'ils soient américains ou français, envisagent la culture hip-hop et ses manifestations de diverses manières. D'abord centrées sur les liens entre cette culture et les conditions sociales de ses « membres »5, les études vont, à partir de la fin des années 90, se spécialiser sur ses différentes disciplines en faisant appel à divers outils méthodologiques. La lecture de ces travaux m'a permis de me situer par rapport à ceux-ci tout au long de ma recherche. Je me suis donc inscrit dans une volonté de mieux connaître et de mieux comprendre chaque expression artistique du hip-hop en abordant, pour ma part, le human beatbox sous un angle socio-anthropologique. Cette posture particulière offre au chercheur la possibilité d'élargir son champ d'investigation en opérant un décloisonnement des sciences sociales, en pratiquant l'interdisciplinarité et la transversalité. « L’anthropologie, c’est-à-dire le total des sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient et sociable. » 6 Il s'agit donc d'interroger l'Homme comme un être historique et culturel qui s’actualise indéfiniment et diversement selon les temps, les lieux et les acteurs. Pour ce faire, il m’est apparu naturel et essentiel d’être au contact des pratiquants du beatbox, c’est la raison pour laquelle j’ai tenté de me déplacer là où ils se rendaient « visibles ». L’immersion était donc l’objectif, que ce soit sur le terrain au sein de la communauté beatbox ou dans les moindres recoins du Web. Je ne souhaitais pas cependant me limiter à de simples descriptions des beatboxeurs observés au fil du temps, les entretiens représentaient alors le seul moyen d'être au plus près de la pratique et de ses enjeux. De nombreuses données audiovisuelles et photographiques, des notes et divers documents, récoltés par mes soins, sont venus compléter mon corpus. 5

BAZIN, Hugues, La culture hip-hop, Éd. Desclée de Brouwer, 1995.

6

MAUSS, Marcel, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in Sociologie et anthropologie, p.258, PUF, 1924.

6


En anglais, « underground » signifie d’abord souterrain ou métro, mais peut surtout s’employer au sens figuré pour parler d’une forme de résistance politique, d’un passage dans la clandestinité ou d’un phénomène avant-gardiste. J’ai en effet progressé sur un terrain qui se situe volontairement en marge des us et coutumes des musiques « savantes »7, qui se défend de toute « récupération » médiatique et qui adopte une attitude réfractaire à tout phénomène de « starification ». Le principe même de communauté, défendu par les beatboxeurs, représentait à mes yeux une preuve tangible d’une manière alternative de concevoir une pratique artistique. Ce constat m’a amené à faire état des valeurs défendues par les beatboxeurs et des rapports qu’ils entretiennent notamment avec la culture hip-hop dont est principalement issue leur pratique. Je souhaitais, non pas réaliser une enquête sur les pratiques culturelles des beatboxeurs, mais plutôt retracer leurs trajectoires sociales et musicales, découvrir leurs motivations et obtenir leurs représentations vis-à-vis du monde du beatbox. Des questions relatives à l'esthétique du beatbox, aux outils (techniques, administratifs, communicationnels...) employés par les beatboxeurs et au modes de transmission de la pratique prirent place au fur et à mesure que je progressais sur le terrain. En considérant le beatbox comme un « monde de l'art » où des individus cooptèrent dans le même but, celui de la création. Qui sont les beatboxeurs et comment s'organisent-ils ? Pour répondre à cette interrogation, j'ai fait appel à une démarche que l'on pourrait qualifier d'expérimentale. Elle se caractérise par un aller-retour permanent entre les « lieux du beatbox » et l'élaboration d'analyses étayées par des apports théoriques. Voici les trois principales intuitions qui ont guidé mon enquête : –

En utilisant le corps pour jouer de la musique et en imitant différents

instruments, les beatboxeurs cherchent à se libérer des contraintes matérielles. –

La communauté française s'est créée et s'est développée grâce à Internet et

aux différents évènements, et ce, de manière marginale. –

Le beatbox possède des méthodes d'apprentissages qui privilégie

l'empirisme, le mimétisme et l'échange de savoir-faire. 7

Que l'on opposent aux musique populaires et traditionnelles.

7


Avant d'entrer dans l'analyse, j'ai souhaité apporter des éclairages sur la culture hip-hop et ses disciplines, y compris le human beatbox, j'ai voulu présenter la méthodologie qui fut la mienne pour aborder ce sujet et enfin je me suis permis de m'attarder sur la description des lieux, des évènements et des acteurs qui ont constitué la matière première de ma recherche. Le but de cette étude est donc triple : connaître l'histoire, les formes ainsi que les enjeux de la discipline, comprendre ce qui a amené les individus à devenir des pratiquants et enfin savoir comment ils se positionnent face aux domaines artistiques, institutionnels et médiatiques.

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I . LE HIP-HOP ET SES DISCIPLINES Si le hip-hop8 prend ses racines dans les ghettos des Noirs américains, il constitue véritablement un mouvement culturel qui a su s’étendre à d’autres populations et s’affirmer en tant que tel. En France, le hip-hop américain se diffuse à partir des années 80, relayé principalement par la jeunesse issue des immigrations vivant dans les banlieues populaires. Les deux contextes sociaux présentent des similitudes mais très vite les populations des cités françaises s'approprient le hip-hop pour en faire un moyen d'expression propre. Il reste ancré dans l’environnement urbain et s’exprime à travers des formes artistiques qui se sont définies comme des alternatives au modèle sociétal. « Il est l'expression d'une culture populaire, juvénile et urbaine »9. Les acteurs du hip-hop possèdent ainsi des valeurs communes issues des sources du mouvement et de leurs fondateurs qui ont milité pour un nouvel état d’esprit. Le human beatbox s'inspire de cet état d'esprit et des différentes composantes de ce mouvement culturel qui renferment de nombreux codes et termes. Il s'agit ici d'en donner quelques clefs pour faciliter la compréhension par la suite.

1. Afrika Bambaataa et la Zulu Nation On situe les prémices du mouvement hip-hop aux alentours de l’année 1975 avec l’arrivée sur le devant de la scène de l’artiste issu d’un gang : Afrika Bambaataa. Il commence à faire parler de lui en tant que « Disc Jockey »10 et appelle à la non-violence dans la création. C’est l’idée principale du mouvement qu’il nomme « Zulu Nation », il veut canaliser la rage des jeunes des ghettos pour la convertir en énergie positive et créatrice. Afrika Bambaataa tire son nom et sa Nation de l’histoire d’une ethnie, les Zoulous d’Afrique du Sud qui se sont défendus contre un des pires exemples du colonialisme européen. Il offre la possibilité à bon nombre de jeunes de s’identifier et de véhiculer des valeurs positives selon les principes qu’il instaure. « La Nation Zulu est une organisation 8

Dérivé de l’argot « hep », être affranchi, et de l’anglais « to hop », danser.

9

BEHLHADJ-ZIANE, Kheira, in « Dynamique historique d'une contre-culture : la culture hiphop », Actualité Graffiti, p. 24, Presse Universitaire de Perpignan, 2007.

10

Abrégé DJ, c’est la personne qui sélectionne et diffuse la musique lors de soirées ou à la radio.

9


d’individus à la recherche de succès, de paix, de savoir, de sagesse, de compréhension et de bonne conduite dans la vie. »11 Les mots d’ordre sont : « Peace, unity and having fun ! » (« Paix, unité et fais-toi plaisir ») et « Hip-hop, don’t stop, till you reach the top ! » (« N’arrête pas le hip-hop avant d’avoir atteint le sommet ! »). Une « tension créative »12 permet l’évolution permanente des disciplines et des personnes au sein du mouvement hip-hop.

2. Les disciplines, leurs influences et leurs représentants Le rap

Quelles que soient les branches musicales qui soutiennent le rap, les racines sont celles du paroleur, du tchatcheur, du prédicateur. Des griots d’Afrique en passant par les hommes d’églises, les rappeurs sont à la recherche d’une forme idéale pour « faire passer un message ». Les mots sont inversés comme le pratique le « verlan »13, les phrases sont choisies pour bousculer les consciences, organisées en couplet et refrain, enrichies de l’art revisité de la rime. Le travail de l’écriture au service de la dénonciation sociale ou de la persuasion fait des rappeurs des maîtres des mots éveillés qui interpellent leurs auditeurs. En France, les groupes I AM, Fabulous Trobadors, NTM et Ministère AMER. ont porté haut les couleurs du hip-hop en s’imposant comme les plus fidèles représentants du mouvement. Quant à MC Solaar et son crew 14, le 500 one, il a répandu un « rap lyrique » ou « rap cool »15 destiné à un public plus large, tout en restant fidèle à une recherche poussée dans l’écriture de ses textes jugés plus poétiques, moins engagés politiquement et de ce fait destinés à un plus large public. Le « freestyle »16 se fonde sur l’improvisation de paroles visant, lors de battles 17, à déstabiliser et à défier l’adversaire par des mots et expressions subtilement 11

Lois de l’Universal Nation Zulu.

12

BAZIN H., op. cit.

13

Provient de « à l’envers », argot français qui inverse les syllabes d’un mot et le modifie.

14

Littéralement « équipe », utilisé dans le mouvement hip-hop pour décrire un groupe ayant un nom donné par ses membres. Le « crew » a une grande importance et permet l’identification.

15

Qui s’oppose au « rap hardcore » ou « rap dur » donc plus agressif et revendicatif.

16

Littéralement « style libre ».

17

Littéralement « bataille » qui s’apparente à l’idée de joute, d’affrontement, de duel.

10


choisis. On parle de « flow »18 pour décrire la rapidité et le rythme avec lesquels les textes sont déclamés ou chantés sur une base musicale gérée par les DJ’s ou les beatboxeurs dans le but de renforcer l’impact des messages.

Le djing

Véritable socle musical du rap, la pratique des DJ est non seulement liée aux évolutions techniques du matériel de diffusion et d’enregistrement mais surtout à l’usage qu’ils en ont fait. Les Jamaïcains des Etats-Unis comme Clive Campbell ou Kool DJ Herc sont reconnus comme les précurseurs de nouvelles manières de diffuser de la musique à travers le « mix »19 et le « scratching »20. Le DJ est un musicien qui utilise des disques vinyles mêlant différents genres musicaux pour la plupart noirs américains. La funk, le jazz, la soul ou le gospel ont été autant de sources pour créer à l’aide de deux platines des morceaux rythmés animant les « sound-systems », « street-parties », « free-jams » ou « Zulu parties »21. Le premier morceau rap reconnu et daté de 1979 a été « Rapper’s Delight »22. L’arrivée des « samplers »23, des boîtes à rythmes et des synthétiseurs a amplifié le champ d’action de ces artistes qui apportent beaucoup d’attention aux « beats »24. Les « breaks »25 de batterie extraits de divers enregistrements sont la matière première de cette musique témoin du rythme effréné des métropoles.

La danse

Forme d’expression massivement suivie en France, la danse hip-hop met 18

Littéralement « flux ».

19

Littéralement « mélanger », correspond aux transitions effectuées par le DJ entre les morceaux pour ne pas interrompre la musique.

20

Littéralement « rayer », le « scratching » consiste à faire avancer ou reculer rapidement le disque vinyle sous le diamant de la platine ce qui modifie de manière caractéristique les sons. Des rayures apparaissent sur les disques utilisés à cette fin.

21

Noms donnés aux fêtes et rassemblement hip-hop qui avaient lieu dans la rue, dans des espaces inoccupés ou des salles de concerts.

22

Signifie « plaisir du rappeur ».

23

Échantillonneur en français, instrument qui permet la création et la répétition d’échantillons sonores, appelés « samples ».

24

Cf. lexique.

25

Littéralement « cassure » qui correspond aux interventions solistes marquées des batteurs sur une ou plusieurs mesures pour relancer un thème musical.

11


en scène le corps et sa maîtrise. Les performances des danseurs sont parfois proches de celles de gymnastes ou d’acrobates tout en gardant une esthétique particulière nourrie de diverses influences. Ils enchaînent des figures exécutées debout et au sol dans des styles précis comme le « smurf », la « hype » ou le « break ». Le « pointing », le « voging » et le « patin » (ou « moon-walking ») s’inspirent autant de mouvements observés sur les personnes dans la rue, que d’affiches de publicités ou encore des premiers pas de l’homme sur la lune. On note aussi la pénétration d’autres styles de danse comme la Capoeira 26 brésilienne, les danses traditionnelles africaines, les claquettes, etc. La danse hip-hop dans son ensemble s’inspire de tout ce qui l’entoure et de toutes les références qui lui semblent adaptables. Ce pouvoir d’appropriation et de création a permis, à travers un cadre relativement strict, à de nombreux danseurs de se défier car la performance reste primordiale. Le « battle »27 de danse hip-hop semble la forme la plus visuellement intense de cette recherche du défi, du combat déguisé pour dominer l’adversaire et le vaincre.

Le graff

Dans le milieu du « street-art »28, des Français s’illustrent avant l’arrivée des premiers graffitis new-yorkais qui posent les bases du graff moderne. Ce dernier se définit selon trois caractéristiques : la rue, la bombe aérosol et l’illégalisme ; le style importe peu pour se définir « graffeur » une fois ces conditions remplies. Au milieu des années 80, de nombreux « crews »29 voient le jour ou plutôt descendent dans les couloirs du métro parisien et ses rames qui constituent leurs lieux d’expressions. Comme dans la danse, des styles de « graffs » sont définis et des techniques précises apparaissent. Ainsi, un lettrage « flop » (ou « bubble »)30 se distingue-t-il des lettres carrées du « bloc style ». Le but : faire passer son message le plus visiblement et esthétiquement possible pour

26

Art martial brésilien qui puise ses racines dans les méthodes de combat et les danses des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil.

27

Cf. lexique

28

Littéralement « art de la rue » qui rassemble toutes les formes d’expression picturale ayant pour support les murs des villes ou le mobilier urbain.

29

Cf. lexique.

30

Littéralement « plat » et « bulle ».

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être reconnu par ses pairs. Quant au « tag »31, signature calligraphiée, il s’insère parfaitement dans un « graff » ou existe seul sur différents supports. Sa réalisation rapide est le fruit d’un travail sur les lettres et les formes comme le logo. « La signature du tag livre en lui-même son message »32 .

3. Le human beatbox, définition et histoire « Utiliser le nez, la bouche, les cordes vocales, les dents, la langue, la gorge et le souffle, le tout allié à une grande créativité : c'est ainsi qu'on peut définir le human beatbox, comme l’art d’utiliser le corps comme unique instrument de musique. Seuls, avec ou sans micro, les beatboxeurs assurent à la fois des basses, des rythmes, des scratchs, de la batterie, de la trompette et toutes sortes de sons et de bruits. Ils superposent non pas deux ni trois mais quatre, voire cinq instruments à partir de leur bouche. L’enchaînement est si rapide que l’illusion auditive est parfaite. Alors tendez l'oreille ! »33 Les beatboxeurs brillent donc par leur aptitude à reproduire des rythmes de batteries réelles ou issues de machines et d’instruments pour produire une multitude de sons différents. Clément Lebrun34 définit trois caractéristiques fondamentales du human beatbox : la simultanéité des sons émis par une seule voix, des chants à phonèmes ou chant de gorge et des imitations vocales d’instruments à percussions ou autres. Le beatbox est alors l’art d’utiliser des sons « qui n’ont pas de sens » pour créer une cellule rythmique. L’idée étant principalement celle de l’imitation, le beatbox est limité par les possibilités vocales humaines. L’ethnomusicologue parle alors de « stylisation » dans le sens où des syllabes, des onomatopées et des phonèmes sont utilisés pour imiter un instrument. C’est l’enchaînement des différents éléments (caisse claire, grossecaisse, « charleston »…) qui nous fait percevoir la batterie dans son ensemble. « L’oreille modifie les sons qu’elle reçoit pour en faire des sons d’instruments ». De la même manière, les Bols qui ne sont autres que des onomatopées qui correspondent aux différentes techniques de frappe des tablas indiens. L’imitation 31

Littéralement « étiquette ».

32

BAZIN, op. cit.

33

Annonce du Human Beatbox Festival organisé du 1 au 4 novembre 2007 à Dijon

34

Diplômé en musicologie à la Sorbonne et au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, chercheur au CNRS sur les voix du monde et spécialiste en musique ancienne, il effectue des recherches sur des techniques vocales dans les musiques où les textes sont dénués de sens. Il est intervenu dans une conférence et sur Arte Radio en 2006 à Angers lors du championnat de France de human beatbox (cf. bibliographie). Il est également beatboxeur.

13


de l’instrument n’est pas le principal effet recherché : « ce mode d’enseignement du solfège est une stylisation sonore pour évoquer les rythmes que l’on va jouer. » L'écoute d'un enregistrement rend l'illusion parfaite tandis que l'écoute « live »35 d’un beatboxeur nous permet de comprendre qu’il s’agit d’une imitation. Ce jeu sur l’audition renvoie à la dimension cognitive de la musique, autrement dit la manière dont elle est reçue par l’auditeur. Le musicologue établit également des parallèles avec des pratiques musicales du monde entier comme les chants diphoniques mongoles, le Kattajaq inuit mêlant deux personnes qui utilisent la bouche de l’autre comme caisse de résonance en produisant des sons répétitifs, ou encore le Çak de l’île de Bali en Indonésie qui réside dans l’exercice rituel de percussions vocales. Selon lui, ces techniques se retrouvent dans le beatbox de manière indirecte car il est « humainement naturel et international ». Le beatbox fait référence, comme l’ensemble de la culture hip-hop qui « affiche une grande variété dans l’appropriation des contenus »36, à différentes pratiques préexistantes. Les premières apparitions de cette technique dans l’histoire de la musique moderne se font avec le blues, le swing et la jazz. La pratique la plus proche semble celle du « scat » des jazzmen des années 50 ; il s’agit d’une forme d’improvisation vocale issue du jazz où des onomatopées sont utilisées pour reproduire la plupart du temps le phrasé musical de la trompette et du saxophone. Les musiciens Louis Armstrong, Cab Calloway et la chanteuse Ella Fitzgerald en sont les plus célèbres représentants. Le human beatbox, cinquième discipline souvent oubliée du hip-hop, apparaît peu après la formation du mouvement au début des années 80 avec des pionniers américains comme Doug E. Fresh ou les Fat Boys. Au sein de ce groupe de trois « bons vivants » de Brooklyn, on trouve Darren Robinson alias « The Human Beat Box ». Il est le premier à laisser entendre, sur un de leurs albums daté de 1984, des rythmes vocaux basés sur une respiration haletante. Il s’agit pour l’essentiel d’une « blague » ou d’un moyen de se divertir, mais c’est sur ce modèle que d’autres personnes vont commencer à pratiquer. Le beatbox s’inspire directement de la musique hip-hop : les caractéristiques des musiques utilisées par les DJ's dans le rap sont ainsi reproduites. On allie aussi l’émergence de cette pratique au manque de moyens des MC's qui ne pouvaient se payer du matériel 35

Littéralement « vivant », est employé en musique pour parler d'un concert.

36

BAZIN H., op. cit.

14


coûteux et étaient donc contraints de faire appel à des beatboxeurs pour « taper un beat ». C’est en effet à cette époque qu’apparaissent les premières boîtes à rythmes37 électroniques capables de tenir des rythmes standard de batteries. La pratique du beatbox, contrairement à la machine dont provient le nom, permet de beatboxer et de « jammer »38 aux côtés des rappeurs à n’importe quelle heure, dans n’importe quel endroit, dans n’importe quelles circonstances… Durant les années 90, la musique hip-hop n’est plus au centre de l’attention et le beatbox sert uniquement à accompagner certains artistes dans une logique basée avant tout sur la performance. Il faut attendre l’année 1999 pour trouver pour la première fois un album rythmé presque intégralement par un beatboxeur. L’artiste Razhel alias « The Godfather of Noise » (« Le parrain du bruit »), beatboxeur dans le groupe de rap alternatif américain The Roots, remporte un succès important avec son album « Make the music 2000 » et le fameux morceau « If you mother only knew » (« Si seulement ta mère savait ») où il chante et produit un rythme en même temps. Ses prouesses font le tour du monde et inspirent toute une génération de beatboxeurs qui, en France, se reconnaissent également dans la démarche musicale du Saïan Supa Crew et de leur principal beatboxeur, Sly The Mic Buddah, de Sheek (membre des Nec + Ultra) et de Ange B. des Fabulous Trobadors. Car le beatbox se pratique aussi en formation comme en témoigne le groupe autrichien Bauchklang composé de six personnes qui assument vocalement, à tour de rôle, les éléments musicaux correspondant à un véritable ensemble percussif et harmonique. À l’heure actuelle, des évènements autour du beatbox sont organisés chaque année par différents beatboxeurs afin de permettre la rencontre et la confrontation des personnes lors de championnats du monde (le premier a eu lieu en Allemagne en 2005), de conventions (comme le Boxcon de Londres), de « battles »39 régionaux ou nationaux, de « contests »40, de festival (comme le Human Beatbox Festival de Dijon) ou simplement lors de concerts. Le 37

La première « beat box », « drum machine » ou encore « rythm machine » fut construite en 1960 par Wurlitzer Sideman. Il faut attendre le début des années 70 pour voir une certaine démocratisation des machines de la firme Roland

38

Issu de l’argot américain, l’expression « jam-session » correspond en français au « bœuf », dans la culture jazz c’est un moment d’improvisation libre pour plusieurs instrumentistes. On obtient le verbe « jammer » et le mot « jam » tout court.

39

Cf. lexique

40

Littéralement « concours ».

15


championnat de France fonctionne d'une manière itinérante et son organisation est accompagnée par l'association BeatBox France qui travaille en partenariat avec les beatboxeurs de la ville retenue. La troisième édition a eu lieu en Novembre 2008 à Montpellier (cf. Terrains) et a permis de rassembler un bon nombre de membres de la communauté beatbox française. Cette dernière doit sa formation au forum « beatboxfrance »41 et aux premières rencontres d'Angers en 2006 qui ont fédéré et fait se rencontrer les beatboxeurs. Ils ont pu et peuvent encore échanger des liens vers du matériel audio et vidéo, des tutoriaux pour s’initier et progresser techniquement, des dates de concert ou tout simplement pour se divertir, débattre, se poser des questions sur la pratique et ses formes. Au fur et à mesure les membres du forum ont appris à se connaître en se donnant par exemple rendezvous dans des évènements cités plus haut ou dans des villes importantes telles que Paris ou Lyon. Ils partagent ainsi leurs techniques de cette pratique liée au « plaisir, au loisir, à la passion ». Le beatbox évolue dans un environnement « underground »42 animé par la volonté des membres de ce réseau informel qui souhaite rallier le plus d’individus à sa cause. Une poignée de beatboxeurs étendent cette pratique amateur dans le champ professionnel en proposant des ateliers de découverte ou des « masterclass »43 visant à se perfectionner. D’autres artistes reconnus pratiquent le beatbox ou font appel à des beatboxeurs pour des résultats musicaux divers et variés. On retiendra Bobby McFerrin, Björk qui a fait appel à SHLOMO, Camille avec SLY et EZRA, Anaïs, Nosfell, Médéric Collignon, Le Peuple de l’Herbe et JC001 et Ricoloop.

41

Cf. sitographie.

42

Cf. lexique

43

Ateliers qui fait généralement intervenir un « maître » , un professionnel du domaine concerné.

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I I . MÉTHODOLOGIE 1. L'observation participante Comme je l'ai évoqué précédemment, ma découverte et le début de ma pratique du human beatbox ont eu lieu durant la même occasion, celle d'un atelier d'initiation. Je n'avais pas encore l'intention d'en faire l'objet d'une étude mais déjà je vivais la pratique de l'intérieur, en écoutant EZRA retracer l'histoire de la discipline, en échangeant avec d'autres pratiquants plus avancés et en passant moimême sur scène lors d'une soirée. Il me fut donc difficile de choisir une autre manière d'aborder le human beatbox que celle de mener de nombreuses observations participantes in situ et in vivo. Laplantine nous dit d'ailleurs à ce sujet que « l'ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la tendance de la culture qu'il étudie » ou encore que « la construction de ce que Marcel Mauss a appelé le "phénomène social total" suppose l'intégration de l'observateur dans le champ même de l'observation »44. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais caché aux personnes curieuses les raisons de ma présence et la nature du travail que je menais avec elles. La crainte de modifier les situations observées par ma présence m'a toutefois interrogé quant à leur « authenticité » mais une fois de plus j'ai trouvé réponse dans ce que je pratiquais : l'ethnologie. « La perturbation que l'ethnologue impose par sa présence à ce qu'il observe et qui le perturbe lui-même est une source infiniment féconde de connaissance »45. Malgré mon rôle d'observateur, je n'ai pas souhaité mettre une trop grande distance entre les personnes observées et moi, ce qui a conduit à instaurer un certain climat de confiance propice à de nombreuses interactions. Rapidement identifié comme « celui qui fait son mémoire sur le beatbox », occuper une place au sein de la communauté des beatboxeurs français a été, une fois décidé, un processus aisé. Aux travers des descriptions ethnographiques réalisées à partir de mes nombreuses observations participantes, j'ai donc tenté de ne pas simplement esquisser des réunions de beatboxeurs mais plutôt de collecter, sélectionner et ordonner des faits susceptibles de rendre compte au plus près d'une réalité sociale, celle du human beatbox et de ses pratiquants. 44

LAPLANTINE, François, La description ethnographique, p. 22-23, Éd. Nathan, 1996.

45

LAPLANTINE, op. cit.

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2. Internet : une source d’information et de matériel Des pérégrinations prolongées sur la toile m’ont permis de constater que l'internet a permis la structuration du mouvement beatbox en communauté. Cet outil a été le catalyseur principal du regroupement des beatboxeurs, il est en grande partie responsable de son développement. Ce phénomène marque l’usage social des nouvelles technologies dont les beatboxeurs ont tiré profit pour répandre leur pratique. Le beatbox s’est vu couronné d’un succès croissant ces dernières années, principalement grâce au développement de nouvelles interfaces comme les forums mettant en relation de plus de en plus de personnes ayant des possibilités d’échanger sans cesse accrues. Les contenus des diverses pages et forums dédiés au beatbox sont venus s’ajouter à un corpus qui se voit ainsi doté d’une dimension évolutive. Les forums permettent aux personnes d’échanger en permanence ce qui modifie constamment les données observables. Rien n’est figé et quelle que soit la forme du débat ou de la simple information, il me semble bon de l’intégrer à l’analyse. Des extraits de conversations seront donc insérées dans le texte de la même manière que les paroles de beatboxeurs recueillies en entretiens. Quant aux innombrables enregistrements vidéo et audio visionnés par le biais d'internet, ils ont constitué un moyen de cerner au plus près les différentes facettes de la pratique.

3. La photographie comme outil d’analyse socioanthropologique Dans le domaine de l’astrophysique ou de la médecine, l’image est un moyen largement employé pour divulguer des résultats obtenus ou des découvertes. À l’inverse, les sciences sociales se montrent assez réticentes à l’utilisation de travaux photographiques pour témoigner de leurs objets d’études. Par son manque de fondements méthodologiques, la photographie est vue comme subjective, incapable de rendre compte d’une situation sans induire un jugement. Les clichés insérés au sein de mon mémoire et accompagnés d'un texte visent à offrir d’autres manières d’envisager un sujet de recherche en le traitant à l’aide de la photographie.

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Démarche photographique

L’utilisation d’appareils photos et de caméras m’a sans cesse attiré, les buts visés étaient multiples : artistiques, ludiques, testimoniaux… Mais je n’avais jamais inclus mes travaux photographiques dans une démarche scientifique telle que celle-ci, le recours à ces outils m’est pourtant apparu tout à fait naturel. Je me devais de rendre compte le plus fidèlement de la pratique et des personnes qui la font vivre. C’est la raison pour laquelle j’ai réalisé, dès que l’occasion se présentait, des photographies et des enregistrements vidéos des beatboxeurs dans des moments clefs de leur activité. Les réunions de ces personnes sousentendaient pour moi une volonté de leur part de se rendre visibles mais également des moments riches en interactions. C’est ainsi que me suis rendu à ces différentes manifestations, armé d’un appareil photo et d’une caméra, en demandant aux organisateurs un laissez-passer délivré généralement à la presse. Ce procédé m’octroyait un certain confort pour la réalisation de prises de vues, je pouvais en effet aller et venir dans les accès fermés au public comme l’arrièrescène, les loges ou encore les hôtels. Les beatboxeurs comme le public s’accommodent relativement bien de la présence des journalistes et des photographes. La médiatisation de la pratique semble en effet bienvenue après vérification du but recherché ; des beatboxeurs m’ont demandé à plusieurs reprises les raisons de ma présence prolongée et des actions photographiques entreprises. Ils se sont montrés enthousiastes vis-à-vis des recherches les concernant, c’est donc dans un cadre privilégié que s’est déroulée la récolte de précieuses images. De plus, de nombreuses personnes cherchaient elles aussi à garder une trace de ces moments en filmant les « jams », les concerts ou les participants. Les avancées technologiques ont provoqué la massification des appareils numériques, ce qui a rendu leur usage banal et très économique. Aucun beatboxeur ne s’étonnait d’être filmé, bien au contraire. J’ai pu assister à des automises en scène provoquées par la présence d’un objectif qui ont montré combien le rapport à l'image des personnes est important. Ce phénomène de « profilmie »46 a été un souci majeur, il ne fallait en aucun cas « fausser » les comportements tout en se trouvant très près du sujet photographié. Pour éviter cet écueil qui induit une certaine artificialité, l’entente devait être la meilleure possible pour que la 46

Défini par Souriau E., dans L’univers filmique, Paris,Flammarion, 1982.

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personne ait une attitude naturelle. Ma connaissance progressive du milieu a débouché sur une acceptation totale de mes incursions au sein de la communauté de beatboxeurs. Mon travail consiste à présenter le beatbox en tant que pratique musicale et ses pratiquants en tant que groupe social : la photographie doit assurer les mêmes fonctions.

Choix, présentation et organisation des photographies

Après avoir déterminé le rôle des photographies en rapport avec la problématique, il a été nécessaire de « faire le tri » parmi les centaines de photos emmagasinées. Pour ce faire, l’élimination de tous les « ratés » était indispensable, autrement dit les photos jugées trop sombres, trop floues, mal cadrées… Seules les clichés « techniquement » acceptables ont été conservés pour subir par la suite un nouveau tri qui visait à garder les plus communicatifs. Mais selon quels critères une photo est-elle choisie ? Il semble que ce soient les raisons mêmes de la prise de vue, c’est-à-dire les motifs qui nous ont incité à prendre la photo, qui transparaissent sur le papier et nous rappellent l’intention donnée à la photo. Le choix du noir et blanc est fait de manière consciente, il rend plus efficace l’image en simplifiant le contenu chromatique. Cette esthétique n’amoindrit pas la force rhétorique des éléments qui la composent. En revanche, la couleur est utilisée de manière complémentaire, elle fait apparaître ce que le noir et blanc ne pouvait pas relever. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, le choix du noir et blanc peut s’opérer une fois la photo prise, ce qui permet de comparer ensuite son efficacité avec la couleur. Pour ma part, j’ai choisi de placer les clichés sur des pages entières pour laisser une véritable place à la photographie qui peut alors s’observer dans le détail. De plus, l’écrit constituerait un cadre à l’image qui en comporte déjà un : celui retenu lors de la prise de vue. La trop grande proximité des deux sources d’informations peut, selon moi, créer des perturbations dans la lecture et les rendre inefficaces. Même si les photos sont placées en rapport avec le sujet dont elles traitent, elles sont recontextualisées à l’aide de légendes qui comportent essentiellement le lieu et le moment de la prise, précisées par de brefs commentaires. Becker nous dit à ce propos : « une photographie peut provoquer des interprétations extrêmement variées et ainsi, à moins qu’un éditeur n’accroche l’image dans une légende sans ambiguïté, sa 20


signification est trop ouverte pour assurer un point de vue fiable. »47 Il s'agit ensuite de présenter les photographies retenues. « Mais comment mettre en ordre toute cette matière, l’organiser de telle manière qu’elle transmette quelque chose que je veux transmettre, aux gens à qui je veux le transmettre (et, bien sûr, transmettre ce qu’ils veulent que je leur transmette, suffisamment pour qu’ils prêtent attention à mon travail) ? »48 Voilà la question à laquelle Becker tente d’apporter des réponses pour une organisation rationnelle des photographies. Jean-Paul Terrenoire parle de « fil conducteur » que doit se donner le collecteur d’images49. En ce qui me concerne, j'ai cherché à rendre compte des gestes et des attitudes des beatboxeurs pour mettre en évidence les caractéristiques de la pratique. Les séries de photographies visent, par exemple, à produire un effet de mouvement afin de mieux comprendre ces gestes.

Place de la photographie dans la recherche

Il ne s’agissait pas d’effectuer un travail journalistique qui vise principalement à témoigner d’un événement ou d’un fait particulier. L’idée était de provoquer un va-et-vient entre les images récoltées et mes axes de recherches encore en construction. Elles devaient me permettre, après analyse, de constater des phénomènes qui méritaient d’être approfondis. De même, je cherchais à vérifier à travers la prise de photos des faits observés auparavant, la photo devenant ainsi la preuve de ce que je soupçonnais. Il semble que la photographie soit encore en conflit avec les sciences sociales qui privilégient les sources écrites et voient les images uniquement comme des données. Faut-il être aussi affirmatif ? Malgré ce désaccord, l’image s’impose à la fois comme objet d’étude et comme instrument de recherche, autrement dit l’image, comme objet social, se voit à présent construite et analysée scientifiquement. Terrenoire justifie cet emploi : « Travaillant sur des pratiques sociales sans tradition scripturale, les anthropologues devaient, semble-t-il, être tout naturellement amenés à utiliser la photographie et le cinéma et à leur donner une place de choix au stade de 47

48 49

Becker H.S., Catégories et comparaisons : comment trouvons nous du sens aux photographies ? , i n Paroles et musique, Paris, L’Harmattan, Collections Logiques sociales, 2003. Ibidem. Terrenoire J.P., Images et sciences sociales, l’objet et l’outil, Revue Française de Sociologie XXVI, 1985, p. 509-527.

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l’analyse comme à celui de l’exposé des résultats. »50 La photo devient alors un langage visuel par le biais duquel le socio-anthropologue propose des constats et des interprétations. Une image est implicitement marquée par le regard de celui dont elle émane. Le photographe montre ce qu’il a envie de montrer, aux personnes auxquelles il veut les montrer. C’est pourquoi il est essentiel de définir la problématique qui guide une recherche ; sans la formulation des questionnements moteurs de celle-ci, il est impossible de produire des images scientifiques. Les images ont donc des capacités inexploitées dans l’analyse des faits sociaux qui, pour se développer, nécessiteraient la mise en évidence de leur pouvoir rhétorique et la définition de leurs conditions d’utilisation.

4. S'entretenir avec les beatboxeurs Dialoguer avec les beatboxeurs a été la dernière étape de mon travail de terrain. Les dires des personnes interrogées sont venus confirmer ou infirmer les intuitions qui me guidaient. Il s'agissait pour moi d'être sûr de tout ce que j'avançais sur la manière dont ils vivaient leur pratique. Basés sur une grille établie au préalable, les six entretiens ont été réalisés durant les journées dédiées à la transmission du beatbox, à la Chaufferie. Les pratiquants se sont exprimés librement et en confiance sur leurs parcours personnels et sur les différents sujets abordés. La retranscription des entretiens a donné lieu à une analyse thématique qui a permis de dégager des phrases et des paragraphes pertinents pour l'analyse. Ces extraits apparaitront dans le texte afin d'illustrer ou de conforter les propos avancés. Ils viennent en complément de l'emploi de la description ethnographique et des photographies pour permettre au lecteur une certaine immersion dans l'objet d'étude.

50

TERRENOIRE, op. cit.

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I I I . TERRAINS 1. Les évènements liés à la pratique Il s’agit ici de prendre le temps de décrire les différents terrains explorés pendant l’année dans le dessein de parvenir à une meilleure compréhension de la pratique et de ses enjeux. Le Human Beatbox Festival 2007 et le championnat de France de beatbox

Du 1er au 4 novembre 2007, la ville de Dijon a accueilli un festival dédié uniquement au beatbox. L’évènement était organisé par les associations Octarine et OSF Prod en partenariat avec Zutique Productions (toutes les trois sont installées dans la ville) et YouMan Beatbox Community de Paris. Tiko, beatboxeur et organisateur de cette seconde édition du championnat de France, a mené avec d’autres bénévoles un travail51 visant à permettre aux non-initiés de se familiariser avec le beatbox par le biais de concerts, ateliers, démonstrations, etc. Les beatboxeurs ont pu, eux aussi, découvrir des créations musicales préparées pour l’événement et participer notamment à des discussions ou démonstrations techniques liées au matériel. Enfin les qualifications et les phases finales du championnat ont offert une soirée importante pour les participants, suivie chaleureusement par le public nombreux de La Vapeur 52, comble à cette occasion. Ce festival a constitué pour moi un véritable terrain d’enquête d’une durée de quatre jours (et quatre nuits ! ) durant lesquels il m’a été permis de mener des observations, des entretiens brefs et de recueillir du matériel audiovisuel. Tout ce matériel m’a permis de vérifier des idées que j’avais à ce propos et de mettre en place une série de thèmes à traiter à l’aide notamment d’entretiens approfondis avec des beatboxeurs de cette communauté. Commençons donc par le premier soir où les beatboxeurs, entre deux concerts proposés dans des bars bondés du centre ville, ont passé la soirée à « jammer » et à échanger en se retrouvant sur la place où se situaient les trois bars. Ce qui est frappant lors de « jams » de beatbox, c’est ce conglomérat de personnes qui se forment en cercle et émet de loin des sons en 51

Cf. annexes

52

Salle de musiques actuelles de Dijon.

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bougeant. Les personnes curieuses de voir et d’entendre ces personnes serrées les unes aux autres, pour mieux s’entendre et jouer ensemble, doivent s’approcher pour enfin voir le visage de ces improvisateurs vocaux. Le repli en cercle permet également une certaine forme de protection vis-à-vis du « dehors » ; il y a ceux qui « jamment », ceux qui écoutent et ceux qui cherchent à pénétrer dans le cercle pour participer. Jusqu’à présent, je n’ai vu personne essuyer un refus d’entrer dans un cercle, il suffit d’être deux pour « jammer » et cela peut aller jusqu’à une dizaine de beatboxeurs à la fois. Se pose alors le problème de la synchronisation et de la répartition des rôles : tout le monde ne veut pas faire la même chose et chacun se doit d’ajouter une touche originale à ajouter à l’ensemble vocal créé. Cela a été le cas ce soir là où 10 à 15 beatboxeurs se sont insérés sous un porche pour bénéficier ainsi d’une meilleure acoustique, et se sont mis à improviser. J’ai pu aisément remarquer que l’un d’entre eux prenait plus ou moins les choses en main en chantant à un rythme assez rapide qui incitait alors les beatboxeurs à mettre en place une superposition de sons cohérents et à un tempo correspondant. S’en est suivi le passage d’agents de police qui ont cordialement demandé aux personnes en question de bien vouloir « arrêter la musique » et non d’arrêter de « faire du bruit ». Les beatboxeurs ont cessé et se sont déplacés, se félicitant des mots employés par les représentants de l’ordre. D’autres « jams » ont eu lieu tout au long du festival de manière informelle dès que l’occasion se présentait dans des lieux divers et variés comme au moment des repas pris au restaurant universitaire, à l’hôtel, dans les transports en communs… L’après-midi du second jour a été le théâtre des qualifications au championnat, d’une quarantaine de différents niveaux, de différentes origines (principalement de Marseille et de la région parisienne), de différents âges (la moyenne avoisine les 25 ans) et avec des expériences scéniques variées ou nulles. En effet, chaque beatboxeur devait passer un « oral » en public d’une durée de deux minutes pour convaincre un jury composé de personnalités de la musique et du beatbox. L’annonce de l’ordre de passage a suscité des réactions par rapport au niveau de certains beatboxeurs déjà reconnus dans le milieu, ce qui pouvait renforcer le « trac ». L’auditoire de l’Atheneum 53 était très à l’écoute des participants tout en manifestant ses appréciations si besoin était et fortement aidé par un MC – « chauffeur de salle », membre du Saïan Supa Crew, invité à ce titre. 53

Centre culturel de l’Université de Bourgogne, situé sur le campus de Dijon.

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Le championnat comprenait également une catégorie « groupe » qui alliait des beatboxeurs présentant un travail construit. La fin des qualifications a laissé la place aux pronostics sur les résultats et des commentaires sur les participants : « y’a du niveau cette année ! », « alors, ça a donné quoi ce qu’on a fait ? », « franchement, je suis passé à côté », « il a vraiment des basses massives, un son puissant »... L’enjeu du championnat s’est fait sentir et a permis aux participants d’évaluer leurs niveaux et les progrès qu’ils avaient à faire. Car même si on ne retrouve pas réellement de maître pour les beatboxeurs, il existe tout de même des référents qui tendent l’oreille pour donner leur accord sur un son proposé. La soirée de concerts du vendredi mettait en scène des beatboxeurs au sein de formations musicales dites classiques ou utilisant des « loopstations »54. Le public a redoublé d’attention et d’enthousiasme avant de participer ou d’assister à un « open mic »55 où les beatboxeurs se sont passé les micros à tour de rôle pour des « jam-sessions »56, cette fois-ci amplifiées. Le samedi après-midi a permis à une vingtaine de personnes de s’initier au beatbox par l’intermédiaire d’exercices proposés par l’ancien champion de France et pédagogue, Laurent alias LOS. Il a également abordé les actions qu’il mène pendant l’année autour de la pratique du beatbox avec son association Aladesh située à Angers. La deuxième partie de l’après-midi était consacrée à la démonstration de machines comme les « loopstations » et de différents micros, s’en est suivie une explication des techniques d’amplifications et de diffusion du beatbox lors de concerts. Une autre « jam-session » amplifiée cette fois-ci un peu chaotique a eu lieu avant que n’interviennent les phases finales du championnat. La Vapeur, a accueilli une soirée spéciale mêlant concerts, compétitions et divertissements. Le jury a rappelé en cours de soirée, face à des participants se connaissant tous, qu’il s’agissait bel et bien d’un battle et qu’ils attendaient par conséquent que les beatboxeurs entrent en duel, sans faire de la « démo » pour le public. Animé une fois de plus par Feniksi du Saïan Supa Crew qui « a fait monter la pression », les participants se sont affrontés en deux fois deux minutes pour faire balancer le choix du jury. Dans les coulisses, chacun ajoutait son commentaire, se soutenait, s’encourageait mutuellement pour cette forme de 54

Cf. lexique.

55

Littéralement « micro-ouvert ». Moment durant lequel des personnes peuvent librement s’emparer du micro et s’exprimer.

56

Cf. lexique.

25


performance qui semblait étrangère à beaucoup d’entre eux. Le lauréat de cette édition, MICSPAWN, a remporté une « loopstation » qui ne représentait pas en soi une valeur marchande très importante mais un objet convoité, symbole de la progression effectuée. En ce qui concerne les équipes, c’est le PHM crew (« Pure Human Music ») qui l’a emporté après le passage de FATY, vice championne de France, qui a marqué les esprits par sa chanson « We are a beatbox family » (« Nous sommes une famille beatbox ») et une présence féminine au sein de la discipline. Enfin, le dimanche après-midi était situé dans un endroit un peu particulier puisque le rendez-vous était fixé au musée des beaux-arts de Dijon qui a vu une de salle investie par un public hétérogène et deux « performers »57 : Médéric Collignon et DAVID-X. J’insisterai ultérieurement sur le sens qu’on peut donner à ce lieu « classique », institutionnel, accueillant une manifestation a priori « marginale » Ceux-ci ont su convaincre l’audience par un concert nouant beatbox, jazz, instruments construits de toutes pièces et objets sonores. Ils ont remporté un vif succès auprès des beatboxeurs surpris par l’aspect expérimental et hors du commun provoqué par la rencontre des deux musiciens venant de différents horizons. A la suite du concert, sont venus les remerciements et les salutations, on a évoqué la prochaine édition qui, pour permettre la participation des organisateurs au championnat, sera organisée par des beatboxeurs d'une autre ville de France. La convention internationale de beatbox à Berlin

Du 31 janvier au 2 février 2008, la première convention internationale a regroupé des beatboxeurs de plusieurs nations 58 de l’hémisphère nord dans la capitale allemande. Encadré par l’équipe de Beatbox Battle ® 59 et son responsable BEELOW, ce rassemblement a été rythmé par différentes animations. Un premier temps a été consacré à l’accueil des beatboxeurs ambassadeurs de leurs pays dans 57

Littéralement « artiste »

58

Allemagne, Estonie, République Tchèque, Belgique, Pologne, Pays-Bas, Espagne, Bulgarie, Italie, Etats-Unis, Suisse, Autriche, Luxembourg, Singapour, France, Hongrie, Finlande et Islande.

59

Ce symbole indique qu’il s’agit d’une marque déposée, il semble que les mots « Beatbox Battle » soit enregistrés (« registered ») mais dans l’union européenne, ce sigle n’a aucune valeur légale. Cette structure, qui organise par ailleurs les championnats suisse, allemand et belge de beatbox, dépend d’une maison de production berlinoise appelée B3 Music.

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une auberge de jeunesse privée qui constituait le lieu d’hébergement mais surtout de débats, de « jams » et de concerts. Dès l’arrivée des participants, un « pass » leur a été transmis avec l’obligation de signer un formulaire accordant leurs droits à l’image. L’intégralité des trois jours serait suivie par des caméras et les soirées musicales seraient retransmises en direct sur Internet. Cette importante présence de moyens techniques semblait étrangère à certains beatboxeurs, mais elle pouvait s’expliquer par l’implication financière de partenaires privés comme des marques de boissons énergétiques, d’instruments de musiques ou encore de marqueurs indélébiles. Ce « maître de cérémonie » de la conférence, enthousiaste à l’idée de réunir des beatboxeurs des quatre coins du monde, s’est imposé en tant que porteparole du mouvement beatbox international. Les beatboxeurs se sont donc installés dans la petite salle Internet de l’hôtel et ont commençant à faire connaissance par l’intermédiaire de « jams ». Le coût (180 000 €) d’une telle organisation a été inscrit noir sur blanc et justifié par l’envie de développer à grande échelle la pratique et sa diffusion. BEELOW a précisé que ses opérations étaient à but non-lucratives et que seule la réunion de beatboxeurs, de plus en plus nombreux, le motivait à s’impliquer aussi activement. Il déclara que les médias se trouvaient « aux portes du beatbox » et que des artistes comme Madonna éprouvaient un grand intérêt pour la pratique. Il a évoqué ensuite les multiples projets de sa « company » comme la mise en place d’une « Beatbox Academy » pour soutenir les plus jeunes qui s’affronteraient lors de « battles junior ». Une fois de plus, Internet a été cité comme un moyen indispensable à la communication et à l’enseignement du beatbox. Les beatboxeurs se sont présentés (en anglais) à tour de rôle sous les applaudissements et les acclamations de leurs confrères heureux de se rencontrer en personne. Un beatboxeur de chaque pays était invité à témoigner de l’état de la communauté nationale qu’il représentait. Des questions, sur la nature même de la pratique (« representing or artform ? »), de ses pratiquants (« a male domain ») et de leurs avenirs, ont été soulevées. Les expressions employées par les individus étaient très codifiées : « maximum respect ! » est souvent revenu pour congratuler quelqu'un. La soirée a laissé place à des démonstrations d’une poignée de beatboxeurs dans le bar de l’hôtel. Devant les caméras, l’animateur BEELOW n’a cessé de rappeler qu’il s’agissait d’un moment historique (« we make history ! ») dans l’évolution du mouvement beatbox mondial qui, selon lui, était à la recherche de 27


BEELOW s’adresse aux beatboxeurs internationaux réunis lors de l’ouverture de la convention. Sur son pull et à l’arrière-plan, le logo de sa structure organisatrice d’évènements. Berlin, le 31 janvier 2008 Photographie : R. Martino

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partenaires conséquents pour le faire progresser. La disposition spatiale du lieu n’a pas permis de bonnes conditions scéniques : la priorité était donnée à la retransmission des images sur Internet. En parallèle, de nombreux « jams » ont eu lieu dans la cafétéria ou dans le coin fumeur situé sur le pas de l’hôtel. La performance a été au centre de l’attention de tous les participants soutenus par un public composé essentiellement de jeunes européens résidant à l’hôtel. Le lendemain devait se tenir un atelier, appelé « workshop », qui s’est rapidement transformé en un enchaînement de performances des beatboxeurs présents dans une galerie d’art du quartier de Kreuzberg. Un animateur s’est chargé de distribuer le temps de « paroles » durant la fin d’après-midi où des « jams » informels avaient également lieu sur le seuil. Une banderole indiquait la nature de l’événement aux passants qui n’ont pas manqué de s’arrêter, intrigués par les sons provenant de la salle. Au fond de celle-ci, se trouvait une pièce exiguë dont l’accès semblait restreint aux beatboxeurs appelés à enregistrer un extrait musical afin d’établir une « mixtape »60 internationale. Le rendez-vous pour la soirée consacrée aux « showcases »61 était fixé au studio Osthafen, dans les murs du siège allemand d’une multinationale de l’industrie culturelle. Il s’agissait d’un bar au design soigné qui a accueilli un nombre important de personnes venues voir et écouter les beatboxeurs pour la somme de douze euros. L’affiche était composée des vainqueurs des championnats de quelques pays européens, d’équipes internationales, de beatboxeuses et d’artistes reconnus dans le milieu. Une régie s’affairait à diffuser la soirée sur le site de l’organisation tandis qu’une fois de plus, l’énergique BeeLow tentait de faire réagir le public attentif aux démonstrations. La fête ne devait pas s’arrêter là, elle s’est poursuivie dans un club qui a consacré la fin de soirée à un nouvel « open mic » intitulé « beatbox for beer » à la manière des soirées slam qui pratiquent ce genre de procédé… L’atelier du dernier jour a été annulé pour des raisons que j’ignore. À l’issue de ces jours passés au contact d’un panel de beatboxeurs, il m’est apparu qu’ils formaient réellement une communauté mais cette fois-ci à l’échelle internationale. On peut parler de révélation pour la plupart des participants qui pouvaient désormais communiquer ou partager leurs avis mais surtout « jammer » au sein de cette « grande famille ». J’ai, en outre, pu constater une certaine uniformité dans les 60

Compilation de pistes audio enregistrées originellement sur cassette audio.

61

Littéralement « vitrine », il s’agit de concerts qui visent à présenter un ou plusieurs artistes.

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références vestimentaires, linguistiques et musicales qui m’a surpris par rapport à la relative hétérogénéité de la communauté française (dont j’aurai l’occasion de reparler). La Chaufferie, lieu de musiques actuelles

La ville de Grenoble s’est lancée en 2002 dans la mise en place d’équipements dédiés aux musiques actuelles : La Régie2C, qui comprend La Chaufferie et la salle de concert Le Ciel. Dans une logique de développement culturel, la ville a cherché à mettre l’accent sur la formation, l’accompagnement des pratiques et la médiation. Situé au cœur de trois quartiers dits « sensibles », l’équipement se veut en lien avec la population locale ce qui explique la présence d’une salle festive essentiellement destinée à la location. L’accueil des personnes s’effectue dans un espace café avant l’accès aux quatre studios de répétition ou à la salle de concert d’une capacité de 250 personnes. Pour ma part, j’ai effectué mon stage principalement dans les bureaux isolés du reste des équipements, ce qui m’a plongé dans la réalité du travail administratif. J’étais ainsi au contact de l’administrateur, de la comptable, de la chargée de communication, de la chargée d’action culturelle, de la responsable de La Chaufferie et de la directrice de La Régie2C. Celle-ci a été par ailleurs la responsable de stage qui m’a accueilli durant deux mois, de février à avril 2008, à la suite d’une entrevue concluante. Mes missions étaient multiples, je devais réaliser une enquête sur les musiciens amateurs en formation dans le dispositif qui allie le Conservatoire à Rayonnement Régional de Grenoble et la Régie2C. L’autre motif était la participation à l’organisation de quatre journées de formation et d’une soirée de concerts liés au beatbox à l’initiative de Sophie Boucher, chargée d’action culturelle. Rapidement, une planification et une liste de tâches à effectuer pour le bon déroulement de l’opération a été établie. Celle-ci prévoyait un travail de communication sur les évènements, des questions d’ordre logistique, technique et administratif. Le dossier m’a été en partie remis et une phase importante de préparation a donc débuté. Au fil des réunions d’équipes, des informations recueillies, des problèmes réglés par des courriers électroniques et des appels téléphoniques, les journées du 9 au 12 avril se sont précisées. Ont donc eu lieu : deux stages organisés en partenariat avec le Centre de Formation des Musiciens Intervenants de Lyon, deux concerts pédagogiques proposés à des publics scolaires, un atelier d’initiation au 30


sein d’une classe du collège Olympique et un concert tout public. Il semble utile de préciser que le beatboxeur pédagogue EZRA avait signé un contrat pour intervenir sur la totalité des actions. Mais il se trouve qu’il était demandé expressément par la maison de production de la chanteuse Camille pour faire la promotion de l’album sur lequel il a travaillé. Il a donc partiellement délégué ses fonctions à un autre beatboxeur capable d’assumer le rôle de formateur. L’implication d’EZRA dans le domaine musical professionnel est un fait marquant de cette année en matière d’évolution de la pratique. En ce qui concerne les quatre jours de stage, ils ont été des moments riches en observations participantes, que ce soit dans les dialogues avec le formateur remplaçant, Gaspard Herblot, ou dans ma propre participation à la formation. EZRA avait ajouté qu’il s’agissait d’une sensibilisation à la pratique, d’un apport d’outils pour se « débrouiller tout seul ». Les groupes de « stagiaires » étaient composés d’une majorité de musiciens dont des musiciens intervenants. Ils ont pu assister à un bref historique de la pratique et de ses références avant de s’impliquer dans des exercices d’échauffement corporel et vocal. Des travaux collectifs sur le rythme ont été suivis d’une présentation des différents sons et rythmes propres au beatbox. L’écriture du beatbox a été abordée par Gaspard qui a proposé ses « partitions » personnelles et expliqué la façon de les lire. Les personnes étaient disposées en cercle ce qui rappelait la forme des « jams » des beatboxeurs. J’ai pu constater une fois de plus que l’exécution d’un son maîtrisé incitait à la reproduction ; on assistait à un mimétisme permanent qui poussait les individus à « essayer » le son entendu. EZRA cherchait à décomposer les sons présentés en placements différents de la langue, des lèvres ou de la respiration pour mieux les expliquer. La mise en pratique finale de tous ces sons découverts a donné lieu à la formation de petits groupes où les pupitres étaient répartis pour former une orchestration. Des échanges entre EZRA, Gaspard et le personnel de la Régie2C ont donné lieu à des projets de rassemblements des pédagogues de la discipline dans une volonté d’harmoniser sa transmission. Les concerts de la soirée, qui clôturaient les quatre jours et mon stage, ont permis de réunir sur scène les trois artistes invités pour présenter la discipline. De précieuses informations sur le monde des institutions culturelles, la pédagogie propre au beatbox et les liens existants entre les deux ont donc été recueillis durant cette période.

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Un atelier d'initiation au Conservatoire de Grenoble

Durant le mois de novembre 2008, la Maison de la Culture de Grenoble, le Festival des 38e Rugissants, le Conservatoire de Grenoble et la Régie 2C se sont associés pour proposer des stages et rencontres avec les artistes programmés à la MC2. Parmi ces artistes, la chanteuse Camille qui, pour sa tournée, a fait appel aux services de trois percussionnistes corporels et de deux beatboxeurs. L'un d'entre eux, EZRA, avait déjà eu l'occasion d'animer des stages à la Chaufferie et cette fois-ci c'est le Conservatoire qui a accueilli un atelier d'initiation d'une durée d'une heure. Composée essentiellement de musiciens habitués aux institutions cidessus, la séance commença par un historique de la pratique. Le discours d'EZRA, souvent répété, est une succession d'exemples de pratiques vocales préexistantes comme le Scat qui ont inspiré les beatboxeurs. À travers la présentation d'artistes ou d'outils comme le forum « beatboxfrance », EZRA a cherché à, je cite, « donner des pistes ». Les personnes étaient assises sur des chaises et formaient un cercle qui rappelle ceux des « jams-sessions ». EZRA aborda différents sons de human beatbox en tentant de les décomposer pour les rendre plus intelligibles. La méthode se voulait empirique et mimétique, le « pédagogue » indiquait les placements des différents éléments de la bouche pour produire un son donné et les « élèves » tentaient de le reproduire. Certaines personnes concentrées sur un « exercice » détournaient le regard en essayant d'écouter au maximum les sons proposés. Cette façon de faire marque un habitus avec un enseignement musical plus académique qui, à défaut de partitions écrites, fait appel « à l'oreille » comme dans les cours de solfège. Il était intéressant de voir se confronter lors de cet atelier deux approches, l'une que l'on qualifiera d'« intellectuelle » et l'autre de « corporelle ». « Si vous ne l'avez pas en cinq minutes, c'est normal... » confia EZRA au sujet de la maîtrise d'un son techniquement difficile. Ses démonstrations provoquaient d'ailleurs des rires ou de l'étonnement manifestant le caractère déroutant et impressionnant de la pratique. Suite aux différents exercices où chacun était amené à reproduire un son précis, EZRA proposa une improvisation collective afin de mettre en pratique les découvertes effectuées. Certains d'entre eux balançaient leurs corps en marquant le tempo quand d'autres tentaient timidement de s'essayer à émettre leurs premiers sons de human beatbox. Une fin en decrescendo aboutit sur des applaudissements qui vinrent clore la séance. 32


Le troisième championnat de France de human beatbox à Montpellier

Organisé, les 14 et 15 Novembre 2008, par l'association 1Beat2Bouch' et la Méridionale des Spectacles62, le championnat a été l'évènement majeur de cette année pour la communauté des beatboxeurs. C'est donc avec un grand intérêt que je me suis rendu sur place pour mener de nouvelles observations. Comme j'ai pu le constater auparavant, ces rassemblements sont le théâtre de nombreuses interactions qui témoignent de « l'état d'esprit » des pratiquants. Résolument hiphop, la compétition avait pour but de faire s'affronter 40 beatboxeurs, 10 beatboxeuses et 10 équipes. Les phases finales ont eu lieu l'après-midi du 15 novembre dans un bar disposant d'une grande scène, l'Antirouille, situé au coeur de la ville. « Est-ce que beatboxfrance est dans la place ? » prononcé par Moino, un beatboxeur-organisateur, donna le ton. Animé par un Maître de Cérémonie, la compétition fut une succession de « battles » à l'issu desquels le vote du jury, composé de beatboxeurs étrangers et d'autres musiciens, décida du vainqueur sous les applaudissements du public. Dans les prémices de la compétition, les beatboxeurs discutaient entre eux, émettant des pronostics, des commentaires sur l'amplification ou encore sur la difficulté du défi à relever. Nous incluons, pour étayer la description de ce championnat, des commentaires laissés sur le forum : « Je dirais que j'ai été grandement surpris par l'ambiance, le niveau et l'humanité qui en a découlé, c'était vraiment énorme la déambulation dans les rues de Montpellier, gros souvenir pour moi. Une autre claque c'est le niveau de chacun qui pour la plupart a vraiment augmenté, le système son à l'Antirouille y a joué pour beaucoup parce que les basses bavaient beaucoup, du coup la puissance des sons était là et s'en était impressionnant parfois... »63

Même si le titre de champion de France a son importance, les accolades systématiques à chaque fin de duel, les encouragements ou les « jams-sessions » témoignent du respect et de la solidarité qui régnaient lors de cette édition. L'émulation collective semble une des composantes essentielles de ce type de rencontre. « Je tiens à tous vous remercier, quand je suis arrivé à Montpellier j'ai eu l'impression de revoir ma famille, je sais que pour la plupart on se connait pas beaucoup mais cette solidarité du mouvement beatbox est très forte et ça me donne 62

Association à l'origine du festival « Monpellier à 100 % »

63

Posté par LOS, le 16 novembre 2008.

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l'impression d'une fraternité, ça fait juste du bien... Merci à vous. »64

Outre des phénomènes redondants, déjà observés lors des précédents championnats, l'édition 2008 comportait tout de même des « nouveautés ». Les beatboxeurs ont manifesté une plus grande familiarité avec les outils de sonorisation, l'ingénieur du son devenant un partenaire à qui on peut demander d'affiner un réglage. Le port de T-shirts où figurent le « blaze » du beatboxeur et/ou le « crew » auquel il appartient devient courant. L'esthétique est hip-hop avec l'emploi de lettrages de couleurs vives empruntés au graff. La dimension agonistique étaient prégnante, les beatboxeurs ont fait preuve de stratagèmes de plus en plus élaborés pour provoquer l'adversaire. La caricature, l'indifférence ou l'ennui sont autant d'attitudes susceptibles de distraire ou d'agacer. A l'issu des multiples « battles », c'est le beatboxeur DAWAN PLAYER qui l'a emporter. Sa victoire n'est pas anodine, surnommé « Tonton » par ses pairs aux vues de son âge et de son ancienneté dans le milieu, il est également celui qui a éliminé POOLPO, un beatboxeur rendu célèbre par une émission de télé-réalité musicale. Son succès médiatique fut mal perçu par une majorité de beatboxeurs, jugeant ses prestations pauvres en créativité. Sa participation au championnat était donc très attendue comme en témoignent des messages laissés sur le forum plusieurs mois auparavant. « Oh zut POOLPO n'est pas inscrit , pfff je suis trop triste ! ! ! »65 « Il peut toujours le faire si c'est encore ouvert, poussez-le à s'inscrire il habite dans la ville même !! Faut pas se foutre de la gueule du monde non plus. »66 « POOLPO ne veut pas venir quand je lui ai demandé de ta part si tu venais car il m'a dit que "soi-disant", le jury ne va pas le prendre car ce sont tes amis ou un truc quasi-similaire. En gros, il a peur et il ne veut pas le dire. Moi personnellement, je me suis inscrit et pourtant ça fait seulement près d'un an que je pratique le human beatbox... »67

Après la compétition, la question de la rencontre avec POOLPO a été soulevée à plusieurs reprises même si sa présence n'a pas provoqué d'incident particulier. Suite à son élimination, il a directement quitté les lieux. 64

Posté par LOS, le 16 novembre 2008.

65

Posté par SUPERDAWAN, le 27 août 2008

66

Posté par HOX, le 28 août 2008

67

Posté par BMG, le 28 août 2008

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« Juste un mot par rapport à POOLPO. Certaines choses pendant l'évènement me laissait penser qu'il allait peut-être finir par s'intégrer et oublier son mauvais esprit, très déçu qu'il n'ait pas essayé d'échanger et de se repentir et qu'il aie préféré s'enfuir dès sa défaite contre DAWAN. »68

Milieu masculin, le human beatbox cherche cependant à inciter les filles à participer en ouvrant les portes du championnat. NASTY, le Maître de Cérémonie a déclaré à ce propos lors d'une interview télévisuelle : « C'est plus subtil, elles se prennent moins au sérieux dans l'attitude mais j'ai bien aimé parce que il y avait de l'agressivité dans les passages, beaucoup de dynamique. »

La championne 2008, PETIT PONEY, habituée aux matchs d'improvisation théâtrale, était déjà présente en tant que spectatrice les années précédentes. La volonté de rivaliser avec les hommes paraît de plus en plus importante et ceux-ci ne semblent pas s'y opposer. « Pour les filles : allez, on se dit qu'un jour on sera 40, nous aussi ! »69 « En espérant que le nombre de participante ne cesse d'augmenter au fil des championnats et qu'un jour les battles soient mixtes : tremblez messieurs ! »70

A la manière des « battles » de « breakdance » par équipe, les « crews » de beatboxeurs se sont affrontés en proposant cette année des performances scéniquement et techniquement travaillées en amont. Les vainqueurs de cette édition, UNDER KONTROL, ont poussé le mimétisme à son paroxysme. Ils ont procédé à une répartition de lignes rythmiques et mélodiques en s'inspirant de « crews » de DJ's. Cette « division du travail » permettait à l'un d'entre eux de prendre le rôle de MC71, ce qui avait pour effet d'accentuer la dimension théâtrale et musicale. Leur prestation a d'ailleurs eu un retentissement important, ensuite confirmé par la décision du jury. « UNDER KONTROL, j'ai halluciné la puissance, les compos, les jeux de scènes, la musicalité super propre quoi. Respect les gars franchement et comme je disais a SPAWN, c'est pas un groupe de beatboxeurs. A ce niveau la ça devient un quatuor... »72 68

Posté par BLACK ADOPO, le 22 novembre 2008

69

Posté par PETIT PONEY, le 17 novembre 2008

70

Posté par Camillle, le 6 décembre 2008

71

Ici au sens de « Mic Controller », autrement dit celui qui contrôle le microphone en rappant et interpellant le public.

72

Posté par NT4, le 16 novembre 2008

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Autoproclamés « human sound system »73, ces derniers ne manquaient pas non plus de rappeller leurs différents « blazes » par l'intermédiaire de « scratchs » vocaux. Le but n'était pas essentiellement d'entrer en lutte directe avec l'équipe adverse mais d'impressionner grâce à la précision de l'imitation. Beaucoup d'aspects de la rencontre ont marqué la prégnance de la culture hip-hop dans la discipline. Il semble que les « battles » soient les lieux privilégiés de l'expression de l'appartenance à cette culture. Les attitudes des beatboxeurs lors du championnat sont communes à celles des pratiquants d'autres disciplines. Les propos tenus par le Maître de Cérémonie viennent confirmer les manifestations identitaires qui font du human beatbox une forme artistique qui possède des origines, des règles et des valeurs communes : celles de la culture hip-hop. A travers le récit quasi mythologique de la naissance du mouvement, il a souhaité contextualiser le human beatbox et de fait, participer à sa reconnaissance. Élément moteur des évènements dédiés à la pratique, le beatboxeur EZRA ne participait pas à la compétition mais a proposé une improvisation en duo avec la chanteuse Camille pour clore l'après-midi. Il n'a pas manqué de rappeler que le human beatbox est une pratique qui peut s'adapter à tout les styles musicaux. Cette volonté d'ouverture montre une fois de plus la forte présence d'éléments esthétiques ou comportementaux issus de la culture hip-hop dans cette troisième édition du championnat de France de human beatbox.

Les rencontres sur la pédagogie du beatbox à La Chaufferie

Organisées, les 5, 6 et 7 mars 2009, de la même manière que les évènements de mon stage décrit précédemment, ces journées étaient axées sur une thématique jusqu'ici inexplorée : la transmission du beatbox. Il s'agissait principalement, pour les organisateurs, de permettre aux beatboxeurs de confronter leurs méthodes pédagogiques pour transmettre le beatbox à des publics différents. En pratique, des différents ateliers en milieux scolaires, un stage destiné à des adultes (dont des musiciens-intervenants issus du CFMI) et de nombreux temps d'échanges ont eu lieu dans les locaux de La Chaufferie. Une partie des beatboxeurs présents étaient chargés d'animer les ateliers et le stage 73

Littéralement « système son humain », cette expression fait directement référence aux « sound-systems » animés par des DJ's.

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tandis que d'autres beatboxeurs novices dans ce domaine se positionnaient en tant qu'observateurs. Cet événement inédit débuta par une présentation de chacun des participants, qu'ils soient beatboxeurs, beatboxeurs-observateurs, musicienintervenants ou responsables des structures organisatrices. Ce premier temps permis aux personnes de s'exprimer vis-à-vis des enjeux de la transmission de la pratique. D'une manière générale, la confrontation des beatboxeurs aux autres personnes issues d'institutions musicales a été le thème qui a le plus retenu mon attention. Je n'ai pas manqué de me concentrer sur les différences de vocabulaire, de manière de pratiquer mais surtout d'enseigner la musique et les relations avec les publics visés qui marquent une césure entre deux « mondes de la musique ». Pour autant, ces divergences ont été sources de curiosité donc d'échanges et en aucun cas d'opposition. Par exemple, aux techniques pédagogiques enseignées au CFMI, le beatboxeur LOS répondait « moi j'y vais et je fais à ma sauce ! » avant de dire que toutes ces questions posées autour de la pédagogie du beatbox étaient synonymes d'enrichissement. Il fut d'ailleurs particulièrement ému à l'issue d'une scène ouverte organisée le dernier soir durant laquelle diverses personnes (débutants, beatboxeurs expérimentés, enfants, musiciens, musiciensintervenants...) ont pris le micro pour proposer quelques rythmes. Je ne m'étendrai pas ici dans la description de ces trois jours qui m'ont principalement permis de réaliser les entretiens, nécessaires à mon étude, avec des beatboxeurs de toute la France, réunis pour la première fois à Grenoble. Les thèmes abordés durant les moments de débats réapparaissent d'ailleurs au sein de ces entretiens. Il me semble tout de même intéressant de relever le fait que je n'ai pas pris parti aux discussions de groupes même si des beatboxeurs faisaient parfois appel à moi, à la manière d'une encyclopédie, me signifiant ainsi la place qu'il me confère au sein de leur communauté.

La deuxième édition du Human Beatbox Festival de Dijon

Cet événement est à retenir comme le premier festival d'une importante ampleur qui a su rassembler sur quatre jours une vingtaine d'artistes 74 ayant un point commun : le human beatbox. De la simple démonstration « solo » en passant 74

Cf. annexes

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par des créations mêlant différents musiciens jusqu'au « shows » de groupes de beatboxeurs, le public venu nombreux a pu assister à l'expression des multiples facettes de la discipline. En revanche, la faible présence de beatboxeurs souvent présents dans d'autres manifestations est à noter. Cela s'est traduit par une faible quantité de moments de « jams » aux abords des salles de concert, chose qui se produit d'ordinaire. Ici, les prestations des différents beatboxeurs invités ont retenu toute leur attention de par les répétitions, les balances, les déplacements... La présence de pionniers de la discipline comme l'américain KID LUCKY ont donné lieu à de nombreux échanges. Celui-ci a notamment fait un été des lieux de la discipline dans son pays en déclarant par exemple que les « battles » avaient fortement nuit à une bonne entente entre les beatboxeurs qui, aujourd'hui, ne coopèrent plus mais s'insultent. C'est avec étonnement qu'il découvrit l'important soutien de la part de partenaires publics qu'a reçu le festival pour exister. L'utilisation quasi-systématique de pédale de « samples » ou de divers effets est un phénomène récent mais pour beaucoup, il convient de préciser au public que les sons ne proviennent pas des machines mais sont enregistrés ou modifiés par celles-ci. BEELOW, responsable de Beatbox Battle TV, était sur place pour réaliser des interviews. Accompagné d'une équipe technique, il parcourt les évènements pour recenser les différents beatboxeurs et leur permettre de se présenter dans des vidéos déposées ensuite sur internet. Les beatboxeurs interrogés durant ce festival m'ont fait part de leur difficultés à se mettre en scène lors de ces interviews.

2. Des lieux virtuels pour de réels échanges

Le forum « beatboxfrance », un lieu fédérateur et d’échanges

Pour les beatboxeurs, internet est l’outil qui les a rassemblés et leur a permis de construire ensemble un réseau. La communauté beatbox s’est organisée de manière informelle autour de l’internet qui a permis la convergence virtuelle de

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ses membres au sein d’un forum75. Créé en 2005 à l’initiative d’un beatboxeur ayant pour pseudo ATOX, aujourd’hui le forum français consacré au beatbox est modéré par LOS et compte environ 4 000 inscrits. Il est divisé en six grandes catégories : général, évènements, multimédia, tutoriaux, battles et divers. Elles se déclinent en sous catégories comportant des « topics »76 et « posts »77. Dans la catégorie battles par exemple, on trouve la section audio qui comporte des enregistrements de battles proposés par les utilisateurs. Le nombre de « topics » est affiché selon chaque sous-catégorie et porte un titre qui en précise le sujet. Un compteur indique le nombre de visites ou de réponses et la date de mise en ligne de chaque « topic » est affichée. Tous les utilisateurs peuvent à tout moment créer un « topic » ou prendre part à un échange en répondant par un « post ». La création d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe est cependant nécessaire pour accéder à toutes les pages ; l’accès reste libre, la structure du forum est rédigée en anglais. Un rapide coup d’œil sur la liste des inscrits permet de juger de la faible proportion de personnes participant activement à la vie du forum. Sur cette liste figure non seulement le « blaze »78 et la date d’inscription de la personne mais également le nombre de « posts » qu’elle a déposés qui est ensuite traduit en pourcentage par rapport au nombre total. Plus ce dernier est important, plus le niveau de la personne augmente. Des insignes représentant des micros accompagnés de commentaires s’ajoutent donc au fil des messages laissés. Lorsque l’utilisateur n’en possède pas, c’est un « newbie79 du forum », un micro signifie qu’il « commence à causer… », deux micros qu’il « s’exprime », trois que c’est un « blablateur confirmé », quatre qu’il « parle beaucoup », à cinq micros il atteint le maximum. Chaque « post » déposé est automatiquement signé en faisant apparaître le nom de son émetteur, son niveau de participation, sa date d’entrée et éventuellement une photo en macaron. Il est également possible de se créer une signature personnelle qui apparaîtra à toutes les fins des messages. Certains 75

Les différents sens du terme correspondent particulièrement bien à ce cas précis. Le mot forum désigne à la fois une place publique d’échange, un espace de débat et de négociations autour d’un thème et un espace virtuel qui permet de discuter librement de divers sujets selon une charte établie par l'administrateur et appliqué par un modérateur.

76

Littéralement « thème ».

77

Utilisé ici dans le sens de « message ».

78

Littéralement « balise ». C’est le nom donné aux pseudonymes hip-hop.

79

En informatique, c’est une personne qui débute dans un domaine particulier d’Internet.

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proposent des liens vers des sites personnels quand d’autres placent un message tel que « peace, unity, love and having fun » cité plus haut ou encore « Respect pour la Nature, pas pour les murs ! Wild Familya Crew !!! ». Un système de « chat »80 est présent sur la page d’accueil pour permettre aux personnes connectées au forum de discuter en direct de manière publique. D’autres biais de communication sur Internet sont employés par les beatboxeurs, d’autres outils de messagerie instantanée et bien évidemment les boîtes mail viennent compléter l’usage du forum. La principale caractéristique du forum est de relier entre elle les personnes animées par la même passion. C’est ainsi que le thème « discussion générale » placé en tête de la page d’accueil possède un nombre important de « topics » qui se trouvent parmi les plus visités. Les sujets sont variés, il peut s’agir d’interrogations, d’appels à projet, d’idées, d’informations : « ici c’est discussion autour du beatbox ». Un espace est dédié à l’échange de contacts qui n’apparaissent pas dans le profil des utilisateurs, j’ai moi-même tenté, sans succès, de connaître l’existence de beatboxeurs dans les environs de Grenoble. Les concerts et autres évènements « beatbox » sont annoncés par leurs organisateurs, des tutoriaux de différentes natures sont consultables et un espace de discussion sur des sujets libres est prévu. Nous nous limiterons ici aux échanges et matériels présents sur le forum et aux témoignages recueillis à son sujet pour justifier l’emploi de ce terrain d’un genre nouveau. C'est ainsi que des messages jugés pertinents déposés par les différents utilisateurs apparaitront au fil de l'analyse. Au delà de la simple citation, il s'agit également de chercher à les interpréter. En dehors des discussions « quotidiennes », les discours (datés et signés) des beatboxeurs sont souvent éloquents et témoignent la plupart du temps de leur ressenti vis-à-vis d'un artiste, d'un événement, d'une vidéo... La confrontation de ces avis permet d'accéder aux débats actuels qui animent la communauté. Les réactions laissées au fil du temps constituent des indicateurs des différentes personnalités qui composent la communauté et de son évolution. Véritable cordon ombilical qui les relie les uns aux autres en dehors des rencontres nationales, le forum est également un lieu de rencontre et de découverte. Par exemple, on peut suivre en ligne l'intégration d'un jeune beatboxeur qui demande conseil aux plus expérimentés et qui reçoit en 80

Messagerie instantanée permettant l’échange de messages en temps réel entre plusieurs personnes.

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retour des encouragements. Il semble qu'une quantité importante d'évènements interpersonnels se produisent sur le forum et méritent ainsi tout notre attention. De la simple information qu'ils délivrent jusqu'aux interprétations envisageables, les mots des beatboxeurs resteront des données nécessaires à la compréhension de la pratique. Enfin, le lieu incontournable de cet environnement virtuel est sans aucun doute la section intitulée multimédia qui a pour mission de recueillir des liens vers de nombreuses vidéos et enregistrements liés au beatbox. Un « topic » de ce genre est généralement créé par une personne désireuse de partager une vidéo personnelle ou celle d’un autre beatboxeur accompagnée la plupart du temps d’un commentaire. S’en suivent des réponses d’autres personnes qui se prononcent sur le visionnage ou l’écoute de l’enregistrement en question en proposant parfois d’autres liens. Ces liens amènent l’internaute à se rendre sur des sites spécialisés dans la mise en ligne et le visionnage de vidéos en tout genre. Il semble donc utile de décrire ici comment ces sites particuliers se présentent.

Les sites de mise en ligne de vidéos

Ces nouveaux outils, qui ont pour but d’héberger des vidéos de toutes sortes et de les diffuser en « streaming »81, jouent un rôle prépondérant dans l’usage que font les beatboxeurs d’internet. Là encore, une inscription est nécessaire pour pouvoir mettre en ligne du matériel audiovisuel ou déposer des commentaires. En revanche le « visionnage » des vidéos reste accessible à toute personne qui se rend sur ces pages. Un lien précis peut y amener mais si l’on entreprend soi-même de trouver des vidéos, un moteur de recherche permet de cibler les vidéos ayant trait au beatbox. Ces dernières peuvent être de nature très différentes, on rencontre des extraits de concerts capturés à l’aide de téléphone portable, des passages télévisuels, des comptes-rendus de championnats, des courts-métrages, et surtout des enregistrements personnels de différents beatboxeurs. Ces documents sont souvent tournés au domicile même du beatboxeur qui utilise, la plupart du temps, une webcam et un micro. Le but est simple : exécuter une démonstration technique pour ensuite la diffuser. Dans 81

Littéralement « écoulement ». Il s’agit d’un procédé de diffusion en direct, sans temps de téléchargement, de séquences audiovisuelles.

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certains cas, il s’agit d’un tutoriel permettant à d’autres de s’initier ou d’apprendre, mais la majorité des vidéos est soumise aux appréciations du « visionneur » qui se transfome en jury. La lecture des commentaires permet de savoir si elle a reçu les honneurs des internautes qui n’hésitent pas à émettre de vives critiques dans le cas contraire. Aux abords d’une vidéo sur ce type de page, on trouve différentes informations comme le nombre de « visionnages », de commentaires laissés et le nombre de votes échelonnés sur cinq étoiles. Il est possible, comme sur le forum, d’afficher le profil de l’utilisateur qui n’est pas obligatoirement la personne filmée sur la vidéo proposée. Ces sites comportent une dimension hypertextuelle qui met en lien des objets ayant des points communs ou qui font partie d’un même domaine. Il est donc possible de naviguer d’une source à une autre tout en restant focalisé, dans notre cas, sur la pratique du beatbox. Toutes ces caractéristiques font des sites de mise en ligne de vidéos des lieux propices à la mise en évidence de la pratique mais surtout de ses pratiquants. Ces derniers procèdent, par ce biais, à des échanges de compétences et laissent les visiteurs juger celles-ci. Internet devient un espace scénique alternatif qui diffuse les « prouesses » musicales des beatboxeurs. Celles-ci sont rendues accessibles en permanence à toute personne désireuse de les voir. Le public n’est plus confiné dans une salle à un horaire précis, plus personne ne peut manquer la séance, un « clic » et le numéro est rejoué devant une audience internationale.

3. Les beatboxeurs interviewés Cet échantillon de beatboxeurs ne se veut en aucun cas représentatif mais il m'a tout de même permis d'observer des parcours différents et de mettre en évidence différents point de vue sur la pratique. Ils sont présentés ici dans l'ordre chronologique de réalisation des entretiens. - Matthieu alias JOOS, 30 ans, 5 ans de pratique. Né à Aurillac, il a étudié les arts plastiques à Nîmes et vit à Marseille. Il a pratiqué la batterie dans un groupe rock pour découvrir ensuite le hip-hop en pratiquant notamment le graffiti. Il a prit connaissance du beatbox en rencontrant à Marseille les membres du PHM crew. Il monte sur scène et anime des ateliers, par l'intermédiaire de l'association 42


Petit K qu'il a formée, depuis un an et demi. Il vit des différents ateliers qu'il propose (film d'animation, beatbox, musique assistée par ordinateur...) Il est à l'initiative de soirées marseillaises intitulées « Apéro Beatbox » qui ont lieu dans des bars et permettent la rencontre. - David alias GARCIA, 28 ans, 5 ans de pratique. Né en Normandie, il vit à Angers. Avant d'être coordinateur et intervenant au sein de l'association Aladesh, il a enchaîné des petits boulots suite à l'bandon de ses études secondaires. Il a passé plusieurs diplômes dans l'animation et est actuellement formateur BP JEPS82. Pluri-instrumentiste, il fait partie de plusieurs groupes de musique et propose des ateliers « musique et chant » dans lesquels il inclut la pratique du beatbox. Il ne se considère pas beatboxeur car il ne participe pas aux « battles » et ne donne pas de concerts de beatbox, en revanche il possède un regard éclairé sur ses collègues (Laurent et Vincent), la pratique et ses rapports avec les institutions. - Renaud alias MICLEE, 27 Ans, 4 ans de pratique. Il a vécu à Grenoble, à Châteauroux, en Martinique et à Lyon avant de s'installer à Montpellier. Il a passé des diplômes en topographie mais est actuellement technicien du spectacle dans des théâtres. Il a commencé par écrire des textes et jouer de la guitare avant de se mettre à beatboxer. Il a déjà participé à différents battles et a organisé le championnat de France dans sa ville. Il joue au sein d'un duo de beatboxeurs « 1Beat2Bouch' ». Il souhaite mettre en place des ateliers mais n'envisage pas une vie professionnelle liée uniquement au beatbox. - Yvan alias OSLIM, 28 ans, 5 ans de pratique. Né à Précigné, il vit à Sablé-sur-Sarthe. Il a pratiqué parallèlement le rap et le human beatbox. Il a suivi, contre son gré, un bac technique en communication/administration. Il a ensuite travaillé trois ans comme intérimaire dans diverses usines de sa région. Il a changé de cap en passant des diplômes dans l'animation et a pu ainsi mener des ateliers de beatbox. Il a participé à plusieurs compétitions et fait partie du duo « Hooked Clowns » avec LOS. Il est actuellement en train d'élaborer un spectacle et d'enregistrer des chansons. 82

Créé en 2001, le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport atteste de la possession des compétences professionnelles indispensables à l’exercice du métier d’animateur dans le champ de la spécialité obtenue.

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- Nicolas alias TIKO, 27 ans, 9 ans de pratique. Né à Nevers, il a étudié les Lettres modernes à Dijon et vit actuellement à Lyon. Ses premiers pas dans la musique se sont faits avec l'apprentissage éclair de la guitare, puis de la basse avant de s'adonner principalement à la pratique du beatbox. Il a fait partie de diverses associations culturelles et a enchaîné des petits boulots pendant deux ans. Depuis un an, il mène des ateliers gérés par association dijonnaise qui lui a permis d'organiser le second championnat de France. Il fait d'ailleurs partie d'une équipe de quatre beatboxeurs, Under Kontrol, qui a remporté le dernier championnat de France, à Montpellier. C'est un des des membres très actifs de la communauté française. -Vincent alias EZRA, 24 ans, 8 ans de pratique. Né à Saint-Nazaire, il est basé au Mans. Il a fait des études d'arts du spectacle à Paris. Il est à l'origine du premier championnat de France à Angers et est souvent cité comme l'élément fédérateur de la communauté. Véritable carnet d'adresses des pratiquants français, il cherche en permanence à mettre en lien les personnes afin de favoriser les échanges, la constitution d'un réseau, donc le développement de la pratique. Il a participé à des compétitions mais préfère être de l'autre côté, celui de l'organisation. Repéré par la chanteuse Camille, il a effectué à ses côtés une tournée internationale ce qui lui a permis de devenir intermittent du spectacle. Il continue cependant, dès qu'il en a l'opportunité, à animer des ateliers. Il travaille actuellement sur un nouveau spectacle qui mêle le beatbox et nouvelles technologies. Tableau récapitulatif Age

Nb d'années de pratique du beatbox

Autres instruments pratiqués

JOOS

30

5

Batterie et MAO

GARCIA

28

5

Guitare, chant...

MICLEE

27

4

Guitare et rap

OSLIM

28

5

Rap

TIKO

27

9

Guitare et basse

EZRA

24

8

-

Noms

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Les beatboxeurs interviewés affichent une moyenne de 27 ans et ont presque tous eu une pratique instrumentale avant celle du beatbox. Ces beatboxeurs appartiennent à une première génération de pratiquants qui se ont débuté assez tardivement. La pratique d'un autre instrument témoigne d'une certaine sensibilité musicale qui a vraisemblablement aidé les individus à progresser dans le monde du beatbox. Les outils techniques ou artistiques acquis par le passé ont été réintégrés dans leur pratique du beatbox. Au sein de cette partie essentiellement descriptive, nous avons pu nous rendre compte des différents évènements et lieux de la pratique. Les récits des moments passés sur le terrain ont fait entrevoir certaines thématiques qu'il s'agit à présent d'approfondir. C'est le terrain qui est venu nourrir ma façon d'interroger cette discipline artistique. C'est pour cette raison qu'il m'a semblé important de rentrer dans le détail. Ces évènements sont les premiers du genre et sont les fondations du beatbox sur lesquelles les pratiquants peuvent construire ensemble une nouvelle façon d'envisager la musique. On cherchera donc à présenter le beatbox sous différents angles avant de voir les facteurs qui ont fait se réunir les individus autours de cette discipline artistique. Enfin nous observerons les modes d'organisations et les divers positionnements des beatboxeurs vis-à-vis de leur pratique.

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IV. UN ART LUDIQUE ET UNIVERSEL 1. Le beatbox est un jeu La frénésie avec laquelle les beatboxeurs se livrent à des « jams » lors de diverses rencontres est un trait particulier de cette pratique et témoigne de l’envie de partager, de jouer à plusieurs, de sortir d’une recherche isolée. À entendre les beatboxeurs parler d’un événement comme le festival présenté plus haut, il semble qu’il s’agisse pour eux d’une « cour de récréation » dans laquelle se déroulent des « parties de jeu » chaque fois différentes. Les beatboxeurs possèdent une vision de leur pratique souvent liée à l’idée de loisir. « A la base beatboxer c'est... se procurer du plaisir, en tuant l'ennui… »83 De plus, ils font souvent appel à leurs souvenirs d’enfance pour parler de leurs débuts dans la pratique des bruitages. En imitant des bruits de voiture ou d’explosions lors de leurs parties de jeu, les enfants cherchent à les rendre plus « réels » en ajoutant eux-mêmes les sons correspondants à l’objet imité. Le principe même d’enchaîner, de cumuler, de mélanger des sons définis est une forme ludique. Lorsque que l’historien Huizinga parle du jeu, il l’entend comme une action libre, sans fonction utilitaire et fondée sur le sentiment de plaisir. Caillois propose par ailleurs une classification des jeux selon leurs caractéristiques : l’idée de lutte « agôn » , l’imitation « mimicry » , le vertige « ilinx » et le hasard « alea »84. Le beatbox comporte à la fois une dimension agonistique, visible durant les battles (dont nous reparlerons plus tard) ; mimique, qui définit la pratique ; et extatique, particulièrement lors des « jams ». Dans ces petits groupes, les « joueurs » entrent de manière informelle dans la partie qui vise seulement l’exaltation collective par le biais de la musique. « C'est vrai que je vois a capella à dix, ça parait con mais c'est un kiffe énorme pour les beatboxeurs, moi souvent je le dis au gens, entre nous on préfère jouer a capella parce que c'est vrai que quand on a une scène avec un micro bon c'est super, on se fait kiffer les uns les autres mais après jouer tous ensemble a capella c'est vraiment très fort et y'a un truc primitif là dedans... comme les Massaï justement qui se mettent en cercle et qui rentrent en transe à faire des (…), je pense qu'on est pas loin de la transe des fois, quand on se met à jouer, là hier soir, on a joué de 9 heures à 2 heures du matin tous les 4, on a pas arrêté quoi, on a pas arrêté... ouais c'est ce partage là, ce partage là il est assez fort... »85 83

OSLIM

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CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1958.

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JOOS

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Comme le jeu, les « jams » ne se situent pas dans la vie courante, ils constituent une parenthèse qui permet d’en sortir, même si leur pratique se déroule dans un espace délimité temporellement. Le cercle des « jams » ou la scène sont donc des terrains de jeu où les individus appliquent un ensemble de règles spécifiques au beatbox. Le jeu crée un nouvel ordre doté de ses propres règles : les beatboxeurs savent par expérience lors de « jams » à plusieurs, qu’il est nécessaire de se répartir les instruments, de ne pas jouer en solo au détriment du groupe, de garder le tempo, etc. Le jeu permet l'émulation collective tout en laissant un espace d'expression à chaque individu. On peut ainsi expliquer l’enthousiasme dont font preuve les beatboxeurs lors de rassemblements, les « jams » leur permettent effectivement de s’isoler dans des formations en cercle. Ce caractère exclusif provoque sans cesse « la mise en jeu » des beatboxeurs qui, ainsi, ne se sentent plus concernés directement par ce qui les entoure. La tension créée par le jeu engage intégralement les joueurs. Les beatboxeurs avouent qu’ils peuvent s’adonner seuls à leur pratique tout au long de la journée mais que, la plupart du temps, le jeu a plus d’intérêt en groupe et en présence d’un public les soirs de concerts. Pour Huizinga, on assisterait à une dégénérescence du facteur ludique. Les individus se seraient trop attachés aux conditions matérielles et spirituelles de leurs existences. Le beatbox, de par son immatérialité et son accessibilité, possède une véritable « teneur ludique » ; de sa naissance jusqu'au « jams-sessions » en passant par son apprentissage, il est marqué par le jeu. Phénomène présent dans la culture hip-hop, le refus d'une certaine réalité transforme le beatbox en un exutoire, un moyen d'échapper à la gravité de la vie quotidienne (en jouant). En pratiquant le beatbox, on joue « à faire croire que » l’instrument imité ou le rythme reproduit est présent sur scène. C’est un simulacre qui (nous) donne l’illusion de la réalité. Caillois ajoute que ce caractère fictif participe à la définition du jeu. La représentation d’un instrument par le mime et la voix construit une image sonore qui interpelle notre imaginaire visuel et musical. Intéressons-nous donc aux moyens visibles employés par les beatboxeurs pour accentuer l’illusion. Nous verrons que les mains sont le prolongement des sons émis, elles sont capables de (nous) confirmer la nature de l’instrument dont il s’agit et la manière dont on en joue.

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Le beatboxeur EZRA reproduit sur scène le son du didjeridoo, il s'assoit et feint de le tenir entre ses mains tout en le dirigeant de temps à autre vers le public.

Grenoble, le 12 avril 2008 Photographie : R. Martino

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Ce beatboxeur se saisit d'un bouton pour augmenter ou baisser le volume sonore des sons qu'il ĂŠmet.

Berlin, 1er fĂŠvrier 2008 Photographie : R. Martino

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2. « C'est humain de s'exprimer » Les interviewés s'accordent tous pour faire du beatbox une discipline universelle, accessible et ouverte. Les arguments formulés pour justifier ces caractéristiques sont multiples et conduisent à démystifier la pratique. Mettre en avant le fait que chaque individu est un beatboxeur potentiel permet de lever le voile sur la pratique de la musique qui serait réservée à une élite artistique ou sociale. « La simplicité, l'universalité… tout le monde se retrouve à égalité devant cette pratique… tout le monde fait (...), après y'en a qui vont s'entraîner comme des oufs et qui vont devenir LOS et après y'en a d'autres comme moi par exemple qui sont fainéants, qui ne veulent pas chercher plus loin et qui vont s'arrêter à quelques sons mais en tout cas à la base on est sur le même pied d'égalité.. quelque soit ta condition sociale, quels que soient tes goûts, tes couleurs, tout ça machin… le violon c'est pas pareil, le violon, faut acheter le violon, faut payer les cours, le piano c'est pareil… tout le monde n'a pas accès à ce genre de trucs quand on est petit… le beatbox, tout le monde peut faire du beatbox… donc à un moment donné, on casse les codes et on met tout le monde au même pied d'égalité et on fait : “vas-y maintenant on fait ça”… »86

En s'appuyant sur ces caractéristiques, certains vont même jusqu'à qualifier le beatbox de « pouvoir magique ». L'emploi de cette expression montre une volonté de faire l'éloge de leur discipline qui agirait activement sur les pratiquants. « C'est une discipline qui demande absolument rien, qui est très complète, et qui est humaine et qui est… qui permet… qui permet de jamais s'ennuyer, de… de se développer physiquement, psychologiquement… de rencontrer beaucoup de gens d'une, de pouvoir jouer avec des gens et de deux, à chaque fois qu'on fait du beatbox devant des gens, y'a des discussions qui en naissent…c'est un pouvoir magique pour tout ça... pour moi c'est aussi le moyen de rentrer dans... tous les tissus... de la société en fait, tous les tissus sociaux de la société... chez les riches, chez les pauvres, chez... chez de personnes qui sont mal ou qui sont bien... ouais voilà... »87

C'est en comparant le beatbox aux autres disciplines hip-hop que les pratiquants remarquent son caractère ouvert. Certains d'entre eux cherchent d'ailleurs à contredire les idées reçues à propos de la culture hip-hop. Sachant que les beatboxeurs forment une entité hétérogène, la présence de différents goûts musicaux permet de ne pas enfermer le beatbox dans une esthétique spécifique. En cherchant à décrire, à justifier et à transmettre leur pratique, les individus participent à sa reconnaissance dont nous reparlerons. Faire appel à des pratiques préexistantes pour établir une filiation avec le beatbox rentre également dans ce processus qui rend la pratique identifiable. 86

GARCIA

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EZRA

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V. COMMENT DEVIENT-ON BEATBOXEUR ? 1. Des origines et des trajectoires plurielles Contrairement aux idées reçues sur le mouvement hip-hop, les beatboxeurs de la communauté française ne sont pas tous issus de banlieues de grandes villes. Ils sont littéralement éparpillés sur le territoire, même si l'Ile de France est évidement le lieu d'habitation le plus cité, on trouve des beatboxeurs dans de nombreuses régions. À Angers par exemple la présence des beatboxeurs a contribué localement et nationalement au développement de la pratique. Les appartenances sociales et culturelles des beatboxeurs sont des plus variées. Il nous est impossible de définir un profil-type mais l'on peut tout de même noter quelques tendances. Beaucoup sont issus de milieux populaires mais pas tous. Bazin nous dit à ce propos que « les orientations du mouvement hip-hop offrent la possibilité de développer un sentiment d'appartenance. Ouvertes à un large éventail de comportements, elles permettent à chaque groupe d'appartenance culturelle d'y déployer sa propre originalité. »88 On note cependant que la majorité des références musicales transmises par les parents sont elles aussi dites « populaires » à l'image d'OSLIM qui justifie lui-même cette transmission culturelle : « Ma mère écoutait de la funk aussi, elle écoutait du Kool and the Gang, elle y connaissait rien du tout, elle savait pas les noms de ce qu'elle écoutait, mais elle kiffait, elle écoutait ça, elle kiffait... ma mère a toujours voulu chanter quand elle était jeune, elle chantait des chansons en arabe aussi, ma mère est tunisienne à la base et je l'entendais beaucoup chanter en arabe, en faisant le ménage... grande enfant aussi ma mère... et du coup ça c'est mon enfance, donc environnement musical et artistique par ce que ma mère a ce truc là, ce truc de parler devant les gens, d'ouvrir sa gueule dans les repas, de parler fort, de faire rire les gens, de chanter toute seule... »

Certains beatboxeurs évoquent des membres de la famille qui jouaient d'un instrument et qui les ont ainsi influencés ou même initiés à la musique. D'autres ont appris, de manière autodidacte, à jouer d'instruments comme la batterie ou la guitare avant de débuter le beatbox. En tout cas, la pratique beatbox, de par son caractère récent et alternatif, n'a pas été encouragée comme peut l'être l'apprentissage d'un autre instrument. 88

BAZIN H., op. cit.

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« Mes parents ont essayé de me faire faire de la musique, mais c'est venu tout seul, ils voulaient par exemple que je fasse du conservatoire mais je voulais pas, j'aime pas trop l'école, je voulais pas m'enfermer... des fois je regrette un peu mais je me dis que non, je suis moins formaté. »89

Les beatboxeurs semblent nombreux à être entrés en conflit avec le système scolaire et/ou s'être perdus dans les méandres de l'orientation professionnelle. Pour d'autres, des années passées à l'université ont été synonymes d'enrichissement et d'ouverture sur le monde. Mais même s'ils ont suivi des études, ils sont très rares à avoir un parcours linéaire. Ils ont souvent été amenés à changer de travail par manque d'intérêt et de perspectives. Le secteur de l'animation a été, pour certains, un moyen de se rapprocher de leur statut actuel de « beatboxeur-intervenant ».

2. Découverte et apprentissage Avant de prendre conscience de l'existence du beatbox, les individus ont été en contact, par des différents biais, avec la culture hip-hop. Pour certains, le fait de vivre, à un moment de leur vie, dans de plus grandes villes a provoqué cette rencontre. Pour d'autres, c'est par l'intermédiaire des médias qu'ils ont pu découvrir cette culture. L'adhésion au hip-hop s'est manifestée, pour la plus part à l'adolescence, par l'écoute de morceaux de musique ou, pour certains d'entre eux, par la pratique d'une autre discipline comme le graff. Lorsque les beatboxeurs parlent du début de leur pratique, ils remontent pour la plupart jusqu'à l'enfance et ses bruitages vocaux. Ils font également référence à des artistes référents que nous avons cités plus haut. En revanche pour beaucoup d'entre eux, la réelle découverte de la pratique ne s'est effectuée qu'au contact d'une tierce personne. « L'histoire avec le beatbox, du coup elle est longue un peu comme tous les beatboxeurs, on a tous une trajectoire spécifique mais à peu près similaire... j'ai toujours fait des sons depuis tout-petit, la trompette, la bulle ou des choses comme ça... quand j'étais petit, du coup étant souvent seul à la maison, du coup je regardais souvent la télé et je regardais souvent Police Academy, j'étais fan de Mickaël Winslow qui m'a mit des grosses claques, le gars en 87 ou quelque chose comme ça, il faisait (…), enfin tu vois c'est... ça me faisait grave kiffer et du coup je pense que ça a grave imprimé mon cerveau mais j'ai pas tilté sur le coup, je m'amusais à l'imiter... et du coup c'est resté en suspens, au collège j'ai découvert un peu la musique, le rock et les 89

MICLEE

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trucs comme ça... je marchait beaucoup pour aller à l'école donc tu vois je reprenais James Brown, je faisais (…), sans absolument dire que je faisais de la musique, c'était juste... je kiffe une musique, ça me fait vibrer et j'aime bien faire de la recherche, écouter des sons, découvrir, partager la musique avec les autres, juste à travers l'écoute et du coup c'était naturel de chanter comme ça... au lycée, j'ai un pote qui m'a initié au graffiti, grosse période vandale... au graffiti et au hip-hop et là du coup à la fin du lycée, j'ai découvert Saïan Supa Crew et Rahzel alors là directement je me suis mis à reprendre le (…) de Ring my bell. Rahzel on m'en parlait à l'époque mais je connaissais pas encore, du coup j'ai vraiment découvert Rahzel à ma première année de fac en 2000, quand je suis arrivé à Dijon... c'est en rencontrant FatKab […] un jour je l'ai entendu faire des scratchs vocaux, je l'ai regardé genre amusé (…) et on s'est regardé “ouah chanmé ! Toi tu fais ça aussi ?”... tu vois genre “tu beatboxes ?”, “ouais, non je sais pas faire, je fais juste de scratchs vocaux” et moi je lui fais : “moi les scratchs vocaux je sais pas faire par contre tiens...” on s'est engrené, premier festival At Caméra en 2001 à l'Athéneum, et en fait avec Brice, un autre copain, on a formé Monkey Beat, on était 4, une soirée alcolisée, parce que lui il rappait, il reprenait des textes de Missy Elliot des trucs comme ça en anglais, Ben faisait juste le (…), et tous les 4 on a formé ça et les gens, dans l'ambiance du festival sur la fac, étaient vraiment réceptifs... »90

Même si les beatboxeurs possèdent tous des histoires singulières vis-à-vis de la découverte de leur pratique, ce récit, placé ici volontairement en entier, est assez représentatif. La prise de conscience de l'existence de la pratique ne s'effectue qu'au contact d'un autre pratiquant qui constitue ainsi une preuve tangible et bien souvent un initiateur. Si je comprends bien c'est au contact des autres qui tu as appris en fait ? « Ah ouais, ouais à fond ! Rien que le fait de suivre le PHM, d'aller souvent les voir en concert, de parler un petit peu avec eux, faire un petit boeuf, ça te fais progresser énorme, moi je pense que c'est ça, je pense que si j'ai ce niveau là aujourd'hui, c'est d'avoir été avec les champions de France, même si ils ne m'ont jamais vraiment appris, ils ne m'ont jamais dit : “ bon on va t'apprendre un truc ”, ça a jamais été ça, c'était juste à l'écoute, ils t'entendent faire un truc, ils te font : “ ah, faisle plutôt comme ça ”... apprendre les techniques quoi... le beatbox c'est beaucoup des clefs à donner aux gens, les sons on peut tous les faire, donc si t'as la clef de comment on peut les faire, t'y arrives et après c'est bosser tout seul, ou c'est à la maison pour arriver à enchainer les sons... »91

À la suite de cette découverte, les beatboxeurs entament une phase d'apprentissage en alternant « entraînement » individuel et prise de conseils auprès de beatboxeurs plus expérimentés. L'autodidaxie et le mimétisme sont les piliers de l'apprentissage de la discipline. Pour ce faire, les beatboxeurs débutants vont pouvoir se tourner vers les « maîtres » de la discipline pour s’inspirer et travailler leurs « gammes ». On parle alors de « routine » lorsqu’un rythme est acquis et ne requiert plus d’efforts. En ce qui concerne les maîtres, ils sont pour la plupart 90

TIKO

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JOOS

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étrangers mais devenus célèbres par leurs performances dans le passé. Plus proches, on observe des personnes référentes qui n'hésitent pas à décomposer un rythme ou donner leurs avis sur un son lorsqu'on leur demande. Ces beatboxeurs sont reconnus en tant que tels non seulement en raison de leur niveau mais également de par leur aptitude à partager leurs connaissances. Que ce soit sur Internet ou lors de rencontres, les beatboxeurs n’hésitent pas à s’échanger des techniques : l’apprentissage est empirique. Ces échanges et les vidéos sont la matière première de la formation. L’écoute, l’observation et la pratique sont privilégiées contrairement à l'enseignement des musiques « savantes ». Même si les beatboxeurs ne suivent pas de cours, les notions de travail et de progression sont présentes dans les discours, l'objectif étant d'améliorer son niveau. On ne parle pas ici de professeur ou d'horaires, mais d'un entraînement quotidien réparti à différents moments de la journée. Il arrive cependant que les beatboxeurs s'adonnent à des répétitions pour préparer une compétition ou un concert. Combien de temps tu alloues à ta pratique par semaine ? « Pff... par semaine... tous les jours je beatboxe, y'a des fois où je m'entraine plus, j'essaye de bloquer sur plus de sons, me forcer à travailler avec ça... » Y'a un lieu particulier ? « Non... dans les endroits où ça résonne bien, dans les toilettes, la salle de bains... sinon dans la rue, ça m'inspire des petits bruits de tous les jours, c'est au moment où j'ai envie d'en faire que j'en fais, c'est ça qu'est bien... par semaine... je sais pas... bout à bout, c'est des petits moments, c'est des petits 10 minutes, ou des petits un quart d'heure donc bout à bout ça fait quand même... tu t'entraines tout le temps... » Est-ce que t'as des moments avant des concerts où tu te dis : “là tiens je vais répéter, je me prend une heure et je bosse au micro” ?... « Ouais ça m'arrive... un jour ou deux avant un concert... avant de monter sur scène on s'échauffe toujours un peu quand même mais... ouais je me prends des phases, pas tout le temps mais quand je ressens le besoin d'évoluer, de travailler, de pousser mes limites, vraiment de... jusqu'à la fatigue, jusqu'à la rapidité, aller le plus vite possible, ça veut pas dire forcément que je vais l'utiliser dans le concert, c'est juste pour me pousser... c'est des mini rigueurs pour travailler ton instrument... » Qu'est-ce qui te pousses à le travailler ? « Ben évoluer, je vois que je rentre toujours les mêmes sons, toujours les mêmes trucs... aller envie de faire des nouveaux phrasés... après je me rend compte qu'on a des beats qui sortent un peu tout seul, même on a beau travailler peut-être une heure avant on va arriver sur scène et on va faire ce beat là, c'est notre beat mais bon ça permet d'évoluer, d'avancer, toujours, pour pas stagner... »92 92

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Il semblerai que cette volonté de progresser est alimentée par, une fois de plus, le contact avec d'autres pratiquants. Le fait d'entendre une personne dont le niveau technique est jugé meilleur incite les beatboxeurs à travailler pour améliorer leurs performances. La compétition devient le moteur de la progression, le but étant de dépasser l'Autre. Huizinga nous dit à ce propos : « Dans le jeu individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore gagner. Cette notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »93 Les « battles » sont les lieux privilégiés de cet affrontement et dans le même temps, de la formation d'un beatboxeur. En partant du postulat selon lequel le beatbox est une activité ludique, la confrontation revêt alors une fonction pédagogique. Il s'agit donc de faire preuve de toujours plus de maîtrise de son appareil phonatoire en cherchant à produire des rythmes toujours plus rapides, des sons toujours plus graves, des sons de « scratch » toujours plus fidèles, etc. La composition même du nom donnée à la pratique nous renseigne sur l’intention de l’homme (« human ») de vouloir se battre (« to beat ») contre les autres mais bien souvent contre lui-même. Confronter ses techniques à celles d'autres pratiquants permet l'évaluation de son propre niveau. En fonction des personnes rencontrées, les beatboxeurs se positionnent et constatent ainsi les progrès qu'ils doivent encore effectuer. Les novices se nourrissent des performances des beatboxeurs « référents » et cherchent, d'abord à les reproduire pour ensuite se forger un style propre. Les « bœufs» sont aussi des moments importants dans la formation d'un beatboxeur. Essentiellement liés au plaisir, des cercles se forment en fonction des personnes présentes et intègrent tous ceux qui veulent y participer. Comme nous l'avons vu précédemment, même si ces cercles sont ouverts ils sont régis par un certain nombre de règles plus ou moins tacites. « Les boeufs... c'est toute une écoute, c'est un peu ce qui se passe dans la vie au quotidien j'ai l'impression, c'est que chacun à sa place, faut pas bouffer l'autre, on est tous ensemble, on fait la même chose ensemble et faut écouter le tout... savoir écouter chaque personne, après écouter le tout, savoir ce que tu fais... faut vraiment que ce soit ton corps qui parle sans prendre le dessus, c'est un respect, c'est comme un dialogue avec quelqu'un, tu parles, l'autre répond... quand on chante tous ensemble ben faut... ouais c'est une écoute, un partage aussi... quand on fait tourner les solos, ça se fait beaucoup dans le jazz, chacun a son moment après bim on revient ensemble, c'est énorme... je trouve ça énorme, c'est ce que j'adore... »94

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HUIZINGA J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 1951

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Certains beatboxeurs se chargent de faire respecter ces règles pour obtenir un ensemble harmonieux. C'est ainsi que les plus débutants apprennent à jouer à plusieurs, à écouter, à garder le tempo, à ne pas empiéter sur leur voisin... Y'a quelques conditions minimum quand même pour que ça fonctionne ? « L'écoute... essayer d'être complémentaire, ça c'est un truc... beaucoup de beatboxeurs et j'ai été comme ça et je le suis beaucoup moins maintenant, mais ça peut m'arriver encore de ne pas être assez à l'écoute et de refaire une rythmique alors que l'autre est en train d'en faire une autre à côté, que c'est pas complémentaire, on se marche dessus alors que... alors qu'en s'écoutant et en essayant d'être complémentaire, on fait quelque chose de plus joli... et c'est un super bon moment d'échange d'énergie... je sais pas si j'ai bien répondu à ta question... je redis ça de manière bateau mais c'est ça c'est de faire de l'échange...»95

Même si les beatboxeurs utilisent très peu de matériel, un temps de familiarisation est nécessaire. Le micro est le premier outil technique employé et dont l'usage requiert un certain savoir-faire. Les doigts de la main placés sur la tête du micro servent à concentrer les sons émis pour les accentuer. Cette technique se transmet de pratiquants à pratiquants et vient ainsi compléter la formation d'un beatboxeurs. « Je pense qu'il vaut mieux avoir travaillé longtemps a capella avant de commencer à travailler au micro, moi ça a été mon cas et je pense que ça te permet de dès que t'as un micro de commencer... tu sais déjà faire des rythmes et tout ça, c'est un peu plus facile... par contre c'est vrai qu'il faut s'adapter au micro et c'est un travail, c'est pas facile... »96

La « loopstation » nécessite elle aussi un apprentissage mais qui s'opère cette fois-ci individuellement. En effet, il s'agit non seulement de connaître ses différentes fonctions mais c'est également un outil qui demande une grande rigueur rythmique. Il faut savoir appuyer sur les différentes pédales qu'elle comprend au bon moment pour obtenir une boucle sonore correcte. Cette machine, utilisée essentiellement par des beatboxeurs confirmés, permet de parfaire les compétences musicales apprises au fil du temps que nous venons de décrire. « Les boucles c'est un instrument aussi, c'est tout un truc...comme je les fais en direct, il faut se poser, les faire bien régulières, sans variations, la basse aussi, si t'enregistres une variation, elle y est tout le temps donc c'est hyper chiant, c'est une discipline la boucle... il faut la faire bien du premier coup... »97 95

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3. Des valeurs défendues Même si certains beatboxeurs cherchent à s'émanciper de la culture hiphop, la discipline conserve et véhicule un ensemble de valeurs caractéristiques de cette culture. Le respect, la non-violence et le défi sont autant de valeurs prônées par les pionniers du hip-hop qui se manifestent encore aujourd'hui, mais de manière nuancée, dans le beatbox. « Dans le hip-hop, y'a toujours cette valeur de respect mais toujours cette histoire du clash, y'a toujours l'histoire de se confronter à l'autre dans... le battle... c'est pour ça que c'est un peu bizarre... en beatbox on est moins... ça reste un instrument, donc on fait pas que du hip-hop donc c'est ça aussi fait garder ce respect, ce partage, si t'es pas hip-hop, c'est pas grave... dans d'autres disciplines c'est pas pareil, c'est vrai... dans la danse j'ai souvent beaucoup vu des rivalités entre d'autres personnes parce que lui il dansait comme ça... des trucs bizarres, des clans qui se font... » 98

Même si d'autres valeurs sont évoquées, la notion de partage occupe une place centrale dans les discours des beatboxeurs. Lors d'un débat en marge du premier championnat de France à Angers, les participants se sont d'ailleurs accordés oralement pour faire du partage le pilier de leur discipline. Nous avons vu que l'apprentissage du beatbox s'effectue au contact d'autres personnes qui n'hésitent pas à accompagner les moins expérimentés. Cet apprentissage repose donc sur l'échange et la mutualisation de leurs connaissances. « Ce que je trouve génial c'est que entre eux, ils ne cherchent pas à dire : “putain j'ai un son, je le garde pour moi, je vais le sortir en battles et comme ça je vais tous les niquer !”, ils ont un son, ils se le montrent, ils se copient les uns les autres, tu vois... »99

En plus de savoir-faire techniques, les beatboxeurs « apprentis » acquièrent au fil des rencontres un état d'esprit propre à la discipline, « basé sur des principes fondamentaux dans une interaction continuelle entre expression artistique et mode de vie. »100 Il s'agit pour les beatboxeurs « référents » de transmettre en plus d'une pratique, sa philosophie. Cet état d'esprit est essentiellement lié à la notion de plaisir, et bien souvent, d'un plaisir partagé. Comme le jeu, le beatbox est présenté comme une fin en soi. C'est la raison pour laquelle on retrouve tant d'énergie lors des « bœufs ». Jouer de la musique à 98

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GARCIA

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plusieurs est le moyen de divertissement par excellence. « Le beatbox c'est vraiment un moyen de passer du bon temps à plusieurs, chose que j'ai pas trouvée dans le rap, passer du bon temps à plusieurs, spontanément, n'importe quand, sans se poser de questions, on va à un endroit et on sait qu'à un moment donné ça va se dérouler et c'est ça qui est kiffant, tu sais qu'à un moment donné va y'avoir des gens autour, va y'avoir un cercle... »101

Du fait de leur nombre réduit, les pratiquants ont éprouvé le besoin de se rassembler pour lutter contre un certain isolement. L'organisations d'évènements locaux ou nationaux provient d'une volonté de se rencontrer entre semblables. Pouvoir échanger ou se confronter avec une personne qui partage la même passion leur permet de sortir de l'isolement. « Quand on se retrouve, on retrouve des choses qu'on a vécues seul, on se les retrouve ensemble... »102

En se rassemblant entre pairs, ils célèbrent collectivement le fait de partager une même forme d'expression artistique. Encore méconnus, les beatboxeurs défendent au quotidien leur pratique et se chargent ainsi de la faire (re)connaître. Il s'agit donc de partager la discipline avec des non-initiés par le biais d'ateliers, de concerts, de tutoriaux sur le forum… Bien que les beatboxeurs n'hésitent pas à s'échanger leurs techniques, ils doivent, pour atteindre un certain degré de reconnaissance, être capables de se forger une identité individuelle. Ainsi, la créativité est un élément moteur de la pratique qui cherche à se nourrir d'un large panel de genres musicaux, d'influences, d'approches techniques… Se démarquer des autres beatboxeurs en proposant des sons ou des rythmes originaux permet une identification au sein du groupe. « On essaye de trouver, je dis “on” parce que je suis avec Moino, on beatboxe tous les deux... on essaye d'avoir notre style, on entend des sons incontournables, y'a des sons incontournables... mais je tiens vraiment à notre style, pas trop de recopier les autres, en fait on va prendre un son mais on va l'utiliser d'une autre manière... on essaye de faire plus dans le groove, on sait qu'on a pas une technique de malade, on sait qu'on est pas les meilleurs... là on va essayer de plus chercher notre style, s'amuser, faire des ternaires, même si les gens ils ne comprennent rien mais de faire des ambiances, voir tout ce qu'on peut faire avec le beatbox... ça va plus être ça... des sons avec des contretemps un peu chelou même si... tout en faisant une démonstration en fait... »103

101

OSLIM

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JOOS

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Dans le hip-hop, comme dans le beatbox, la reconnaissance individuelle s'opère principalement par l'intermédiaire des autres pratiquants qui jugent des qualités ou de la virtuosité du beatboxeur concerné. Une fois érigés au rang de « référents », les beatboxeurs se doivent de conserver une attitude cohérente et notamment savoir conserver une certaine humilité. « La plupart des beatboxeurs, même les plus doués ne se prennent pas du tout la tête sur le star-system et y'en a beaucoup qui auraient pu faire la Star Academy et se la jouer un petit peu mais c'est pas du tout le cas... ça reste très... ça fait dix ans que tu fais ça pour le plaisir, on te permet de le faire sur scène devant des gens, c'est trop l'éclate quoi... de là à se prendre pour une star c'en est loin et ça c'est bien cool et vraiment les mecs d'en haut, enfin je veux pas dire ça, mais je trouve qu'ils ont vraiment un super esprit positif... ça fait un moment qu'ils se connaissent tous aussi et je trouve qu'ils amènent vraiment cet esprit là pour tous les autres qui arrivent, pour garder cet esprit... »104

Devenir une célébrité n'est donc pas le but recherché par les beatboxeurs qui voient dans le phénomène de « starification », la perte de toutes ces valeurs. Les beatboxeurs les plus expérimentés cherchent à montrer l'exemple en restant en accord avec l'éthique de la discipline. Par leurs actions et leurs discours ils véhiculent des valeurs et en assurent la pérennité. Le rôle qu'ils doivent endosser peut tout de même les interroger. « Est-ce qu'on a la légitimité de dire : “nos valeurs, il-faut qu'on les transmette et qu'on les garde et qu'elle reste dans l'avenir” ? C'est aussi égocentrique peut-être un peu quelque part... après justement, on a tenu cette position là durant le séminaire à la Chaufferie, on est plusieurs à la partager et on se rend compte que ça convient à pas mal de beatboxeurs mais aussi aux gens en général dans la vie quoi... et... toujours dans un désir de positivité... ouais y'a aussi cette question pour nous-mêmes à se poser, de la légitimité à s'imposer comme gardien d'une discipline... on a quand même une part de légitimité dans le devenir du mouvement parce qu'on est quelques-uns à le créer, enfin je veux dire à l'accélérer en tout cas... à l'accélérer volontairement... »105

Au terme de cette partie, on voit se dessiner les traits caractéristiques des beatboxeurs qui, malgré le partage d'une même passion et de ses valeurs, proviennent d'horizons différents. Opérant par mimétisme, les apprentis beatboxeurs se fient aux pratiquants « référents » et moteurs de la discipline. Regroupés dans une communauté, les pratiquants s'insèrent dans un mouvement plus global et n'hésitent pas à ce positionner vis-à-vis de celui-ci. Il s'agit donc à présent d'observer les débats qui animent les beatboxeurs français. 103

MICLEE

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JOOS

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EZRA

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VI. LE BEATBOX ET SES PROBLÈMATIQUES 1. Technique vs artistique L'hétérogénéité des membres de la communauté française de beatbox conduit à la confrontation de visions différentes de la pratique. Loin d'être en conflit, les beatboxeurs expriment simplement leurs préférences pour certaines facettes de la discipline. On peut aisément distinguer deux principales tendances qui opposent le monde de la performance au monde de la recherche musicale. Selon leurs positionnements, les beatboxeurs possèdent des représentations différentes de la pratique quant à sa mise en œuvre et à son but. Le statut qu'ils s'octroient et les outils qu'ils mobilisent dépendent également de cette dichotomie. À travers l'analyse d'un débat recueilli sur le forum et des paroles des beatboxeurs interviewés, nous essayerons de préciser la nature de ces deux mondes qui coexistent au sein de la pratique.

Battle vs concert

Les multiples compétitions organisées par les beatboxeurs témoignent de la vivacité d'une volonté de se mesurer les uns aux autres propre à la culture hiphop. Même si, pour la plupart, ils entretiennent des rapports amicaux, les « battles » retiennent leur attention sans pour autant les engager dans des attitudes propres aux « clashs », réputés violents, de MC's. L’ambiance des championnats de France se veut conviviale même si, pour certains, il semble nécessaire d’y ajouter « un esprit de compétition mais dans le respect. »106 C’est pour cette raison que l’on voit apparaître, lors de « battles », des attitudes visant à provoquer l’adversaire : on fait par exemple mine de ne pas l’écouter ou on tourne sa prestation en dérision. Pour l’heure, on ne remarque pas d'agressivité entre les concurrents, ce qui peut s’expliquer par les liens serrés qu’ils entretiennent. Il serait intéressant d’observer si au niveau international, les beatboxeurs qui ne se connaissent pas peuvent entrer en compétition de manière plus marquée. Le caractère récent du beatbox encore méconnu inciterait plus ses pratiquants à « faire de la démo » lors de « battles » au lieu de s’inscrire dans une tradition 106

Issu d’un échange avec un participant au championnat de France 2007.

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agonistique prononcée comme dans d’autres disciplines du hip-hop. Le terme « agonistique » définissait dans la Grèce antique une partie de la gymnastique qui avait rapport aux combats et à la lutte armée. En littérature, il peut qualifier une scène d’affrontement entre les personnages. Christian Béthune l’emploie dans ses livres pour nous dire qu’il est un composant majeur de l’esthétique du rap. Il nous dit que « l’artiste se manifeste d’abord par son aptitude à triompher des autres, à affirmer sa suprématie sur ses rivaux par le jeu d’une surenchère. »107 Selon ce philosophe, le hip-hop puiserait sa source dans la condition d’esclave qui a fait naître le jazz. Ainsi, la concurrence était déjà présente dans les chants de travail dans les plantations qui s’organisaient selon un appel et une réponse. Avec l’apparition du jazz, de véritables joutes musicales avaient lieu entre différentes fanfares ou musiciens. C’est par la victoire que ces derniers se faisaient une notoriété. Le hip-hop a remis le défi et la confrontation au goût du jour. La forme du « battle » se retrouve d’ailleurs dans toutes les disciplines où chaque année leurs champions respectifs sont désignés. Pour reprendre le discours de Huizinga : « dans le jeu individuel, le fait d’atteindre le but du jeu ne signifie pas encore gagner. Cette notion n’intervient que lorsqu’on joue contre autrui. »108 Les beatboxeurs s’efforcent ainsi de produire des rythmes toujours plus rapides, des sons toujours plus graves, des sons de « scratch » toujours plus fidèles, etc. Le défi est permanent, il semble le motif invariable qui les incite à s’entraîner quotidiennement et à diffuser leurs performances. Contrairement au sport, les prouesses techniques des beatboxeurs ne sont pas quantifiables, mais il existe tout de même des moyens d’évaluation. Lors du championnat de France, le public, composé essentiellement de connaisseurs, soulignait la maîtrise technique des différents beatboxeurs en les acclamant. Les beatboxeurs acquièrent une certaine reconnaissance parmi leurs pairs lors des démonstrations que constituent les championnats. Les championnats pour toi ça représente quoi ? « Un défi à chaque fois » Toi tu le prends à coeur ?

107 108

HUIZINGA, op. cit. Littéralement « conflit ». Un clash désigne un affrontement verbal ou physique entre deux ou plusieurs personnes.

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« Ouais je le prends vraiment à coeur parce que... moi j'ai toujours attendu que les choses arrivent, je me suis toujours dit : « on va te repérer un jour, on va te repérer un jour, on va te repérer un jour... » mais non, le monde il est fait comme ça, si tu veux qu'on te repère, y'a un moment donné où va falloir arrêter d'être tout en bas et va falloir faire un truc tout en haut et c'est pas de monter sur les autres, le message c'est : le travail ça paye, n'importe qui peut y arriver, il faut juste travailler et s'investir, le travail ça paye, je suis bien placé pour le savoir, j'avais vraiment un level très moyen, j'ai travaillé, je suis arrivé vice-champion de France... et cette année ça va être pareil, j'ai envie de continuer sur cette démarche là et même d'aller au championnat du monde, c'est vraiment mon ambition... » La victoire elle représente quoi ? « La victoire elle représente une crédibilité, ça veut dire que tu es crédible... « voilà moi c'est OSLIM, je suis beatboxeur » ça me permet de continuer à côté à dire de la merde, à être comme je suis mais tout en étant crédible parce que je sais les défauts que j'ai. »109

Sans public, la performance perd de sa valeur et ne peut plus attester des compétences de la personne. Quant au jury, il évalue les prestations des participants selon des critères comme la présence scénique, l’originalité, sans oublier la technicité. Si l’on regarde du côté des autres disciplines de la culture hip-hop les exemples de mise en relief de la performance ne manquent pas. Les danseurs enchaînent les rotations, les DJ se mettent à « scratcher » les yeux bandés, les graffeurs vont peindre des fresques dans des endroits risqués, etc. En revanche, un excès de technicité peut, pour certains beatboxeurs, nuire à la discipline. Dans le cas du beatbox, de nombreuses questions se posent quant à la dimension artistique de la pratique. Pour un certain nombre de beatboxeurs, savoir exécuter des rythmes compliqués ou reproduire à la perfection le son d’un instrument de musique n’est pas une fin en soi. Le beatbox doit être un moyen d’expression au même titre que d’autres formes musicales. Ce point de vue est généralement défendu par des beatboxeurs qui se mêlent volontiers à d’autres musiciens quand d’autres pratiquants revendiquent leur volonté d’avoir un son « puissant » au détriment de l’harmonie. Cet échange en ligne témoigne de ces deux positions. « Bonjour à tous ! Cette année le contest a été marqué je pense par l'apogée de la technique. On a pu entendre des roulements d'une vitesse impressionnante, des sons variés, parfois bien puissants, des jolies superpositions rythme/chant... C'est bien d'être arrivé à ce niveau, mais si maintenant on se calmait un peu et on passait à autre chose ? En effet je suis ressorti un peu déçu du manque de musicalité dans les beatbox entendus ainsi que dans le comportement de la plupart. Bien sûr l'ambiance était excellente mais je ne parle pas de ça. J'ai remarqué un manque d'écoute et une 109

OSLIM

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difficulté a mettre sa technique de côté, à faire des trucs simples pour construire quelque chose de musical. »110 « Je suis bien d'accord avec toi... et je m'estime être un sacré bourrin... mais après chacun son trip, chacun sa perception du truc... Honnêtement ce qui m'a fait aimer le beatbox moi c'est la performance plus que la musicalité ! Après c'est bien possible d'allier les deux je dis pas le contraire mais j'en suis pas là... Pour ma part (et je pense pas être le seul), je connais pas grand chose dans les bases de la musique et j'ai pas forcément le temps ni l'envie de m'y intéresser pour le moment... Après voilà pour moi le beatbox est un Art mais j'aime que ça reste dans le spectaculaire... c'est ce qui m'a fait aimer ça et c'est ce que j'ai envie de montrer... et je continuerai à être un bourrin même si je dois être recalé à cause de ça... Je préfère faire crier une salle avec mes basses de barbares que de plaire aux musicos minoritaires (mais je crache pas dessus loin de là, mais je suis pas tellement dans ce trip de la recherche absolue de l'harmonie...). »111

Cette discussion alimentée par d'autres beatboxeurs permet d'aboutir sur un constat qui fait des « battles » un endroit peu propice pour une véritable proposition artistique. Les courtes durées de passages et la confrontation avec l'adversaire éloigneraient les amateurs de créations musicales plus élaborées vers d'autres modes de pratique.

Technicien vs musicien « Moi je me sens plus dans l'artistique, peut-être plus dans la recherche... c'est plus quelque chose de mélodieux, que ça fasse groover, que ça fasse bouger le tête et que ça fasse plaisir... »112

Les concerts sont le lieu de l'expression de cette envie de proposer des compositions plus arrangées et qui place la dimension technique plutôt au second plan. Ces beatboxeurs ne cherchent plus à être reconnus grâce au niveau de leurs performances qui leur ont permis de remporter des compétitions. Il s'agit ici de se plonger dans la recherche musicale afin de se créer une réelle identité artistique. Plus qu'une simple orientation, le choix de ce versant de la discipline permet aux beatboxeurs de se définir également comme musicien. Bien souvent, le fait de pouvoir sortir du cadre simplement démonstratif en jouant avec d'autres musiciens les conduit à se considérer comme tel. La déclaration de ce statut peut également venir de l'extérieur ce qui peut nous interroger sur la définition même du musicien. 110

Posté par DADY le 15 novembre 2007

111

Posté par 2SPEE le 15 novembre 2007

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MICLEE

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Est-ce que tu te considères musicien ? « Musicien ouais depuis peu de temps parce qu'on me considère comme un musicien, c'est par la reconnaissance extérieure, par la reconnaissance... » Tu la cherchais cette reconnaissance de passer de beatboxeur à musicien ? « Pas vraiment non... je me voyais pas musicien vu que je suis plus scénique à faire des mîmes, du théâtre, comédie... quand on me dit : “t'es musicien” mais c'est le pompon pour moi, je ne sais pas jouer d'aucun instrument, à part un peu de percu et de didgeridoo vite fait... ” Mais tu te considérais déjà comme artiste avant ? « Comme un artiste ouais. et quand on me dit musicien je trouve ça donne une classe... t'as passé un cap, quand tu viens là et que tu fais des initiations à des gens qui ont été au conservatoire alors que toi à la base t'es un galérien, tu fais des initiations avec des gens du conservatoire qui ont eu des formations... c'est valorisant qu'on me dise que je suis musicien... »113

Dans le cas du beatbox, il semble que l'opposition beatboxeur/musicien aille de pair avec l'opposition amateur/professionnel. Le mot amateur est ici entendu simplement au sens du pratiquant qui ne fait pas du beatbox son activité principale. Les personnes qui se positionnent dans le camp des musiciens étant souvent celles qui cherchent à vivre de leur pratique. Ils font alors face à la même réalité que tout autre artiste, c'est à dire la création et la diffusion d'œuvres originales comme la finalité.

Homme vs machine

Les innovations technologiques des années 80 vont donner au hip-hop toute son identité musicale. Le « sampler », ou échantillonneur, est sans doute l’outil le plus utilisé dans la production des morceaux. Il permet de sélectionner une mélodie, un riff, un rythme, etc., et de le rejouer à l’infini pour composer une nouvelle bande sonore. L’appropriation des contenus est caractéristique de sa forme et de son esthétique. Shusterman nous dit à ce propos : « le sampling du rapper offre des plaisirs de l’art déconstructeur – la beauté saisissante qu’il y a à démembrer et à dérober des œuvres anciennes pour en créer de nouvelles, à démanteler le familier et l’ennuyeux pour en faire quelque chose de différent et de stimulant. »114 L’autre petite révolution est la boîte à rythme, qui contient une série 113

OSLIM

114

SHUSTERMAN Richard, L’art comme infraction : Goodman, le rap et le pragmatisme, Les cahiers du Musée national d’art moderne, automne 1992.

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de rythmes de synthèses relativement simples. Elle présente l’avantage d’être plus économique et plus pratique à déplacer qu’une véritable batterie mais répond surtout à une volonté d’obtenir des sons plus typés et de pouvoir les modifier. Les machines deviennent les nouveaux instruments des DJ's, ils peuvent composer en toute liberté et s’abstenir de la participation de plusieurs musiciens. Le savoir faire d’un batteur est directement inclus dans une machine mais cela n’a pas suffi à remplacer totalement l’homme dans le domaine de la musique. Le beatbox est un acte de détournement et de résistance face à la machine. En cherchant à reproduire les rythmes électroniques, le beatboxeur répond par un nouveau savoir-faire. Christian Béthune est l’un des rares à avoir traité ce sujet, il remonte jusqu’à la condition des esclaves afro-américains pour comprendre les raisons de la pratique. Les percussions corporelles étaient ainsi, « une façon inventive de détourner l’interdiction qui était faite aux esclaves de posséder des tambours et autres instruments à percussion, de peur que leur utilisation comme moyen de communication ne permette aux Noirs captifs de fomenter la rébellion. »115 Le beatbox est alors décrit comme issu d’une tradition de mimétique sonore et de bruitage que la culture afro-américaine n’a cessé d’entretenir. Comme son nom l’indique, c’est l’humain qui prime, la machine ne doit pas asservir mais doit être utilisée à des fins créatives. C'est la raison pour laquelle certains beatboxeurs affichent clairement, lors de concerts, l'absence d'effets pour éviter de mettre le doute sur leurs capacités à reproduire, seulement avec leur voix, de multiples sons. Mais il ne s’agit pas seulement de reproduire le plus fidèlement possible ses sonorités, il faut dépasser la machine. À l’instar d’un joueur d’échec qui affronte un ordinateur, le beatboxeur tient à se confronter à l’appareillage électronique et à le surpasser. Mais les rapports entre l’homme et la machine sont paradoxaux, « la rivalité avec la machine ne se limite pas à une simple relation de modèle à copie, mais suggère plutôt une imbrication en abyme du machinal et de l’humain. » 116 Des artistes tels que Bobby McFerrin ou Razhel ont dû faire appel aux compétences d’un ingénieur du son qui, par le biais de l’informatique et de divers outils technologiques, est capable d’enregistrer, de superposer, de modifier la matière sonore. Mais les possibilités qu’offrent ces procédés sont perçues comme des moyens de parvenir à la mise en œuvre de la création artistique. Dans certains 115

BÉTHUNE Christian, « Le rap : une esthétique hors la loi », Paris, Éditions Autrement, 2003.

116

Idem.

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cas, la machine fait alors l’objet d’une appropriation, elle est utilisée pour étendre les possibilités du beatboxeur sans jamais le remplacer. La « loopstation » est à l’heure actuelle une des seules machines dont l’usage semble légitime. « La loopstation ça me permet de rendre plus vivant le truc, d'aller chercher la musique... c'est de facto... moi je suis pas un gros showman, je peux donner l'énergie aux gens mais je suis pas Ricoloop, je suis pas David X, ça c'est des choses évidentes, et du coup j'ai besoin de quelque chose et du coup sur scène sans rien, pour moi c'est un exercice difficile... je peux taper la démo d'un quart d 'heure, y'a pas de soucis mais même au bout d'un quart d'heure moi-même je me serais fait chier... »117

Le beatboxeur devient ainsi compositeur grâce à l’enregistrement multipiste. Cette technique facilite la création et l’orchestration d’un morceau ; le beatboxeur peut se concentrer sur chaque élément rythmique, mélodique ou harmonique. Le but n’est plus de produire simultanément différents sons mais de composer à la manière d’un groupe de musique entier. « Ici, comme dans toute forme de réalisation artistique, invention et exécution cohabitent et s’accomplissent simultanément dans l’élan du geste créateur. »118 Armé de son micro et de sa « loopstation » le beatboxeur est non seulement pluri-instrumentiste vocal, mais il devient son propre chef d’orchestre. Cette technique du « layering »119 est à l’origine même de la musique hip-hop, elle lui confère une esthétique singulière que les beatboxeurs reproduisent à leur tour. Par ce biais, le beatboxeur n’est plus considéré simplement comme un technicien, il se charge d’ouvrir de nouveaux horizons, d’étendre la portée de ses performances en les transformant en œuvre unique.

2. Une communauté de beatboxeurs Genèse et définition

Les récentes possibilités offertes par internet ont permis la formation de réseaux sociaux où les individus se réunissent autour d'une même pratique. Le forum « beatboxfrance » fait partie de ces nouveaux usages de la technologie. Plus qu'un simple lieu d'échange, il a posé les fondations de ce que les beatboxeurs ont 117

TIKO

118

SHUSTERMAN, op. cit.

119

Superposition d’échantillons.

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appelé par la suite une communauté. Souvent isolés dans différents endroits de l'hexagone, le forum leur a permis de communiquer entre eux en dehors de rares évènements qui commençaient à s'organiser. L'objectif était de pouvoir rassembler virtuellement, dans un premier temps, tous les beatboxeurs de France. Il faut attendre le premier championnat à Angers pour que la quarantaine de beatboxeurs présents déclare qu'ils forment une communauté. À l'heure actuelle, les beatboxeurs déclarent qu'ils s'insèrent dans un mouvement global dans lequel des communautés souvent nationales se sont constituées. « C'est un mouvement... mais y'a la communauté aussi, c'est à dire que nous tous, on se voit pas mal de fois quand même, on est presque une famille, on se connait, on est sur les mêmes délires, on a l'impression qu'on est de la même famille parce qu'on a les mêmes gènes, on part de la même base et du coup cette communauté là, moi franchement gros big up parce qu'elle été bénéfique pour moi et je pense pour plein d'autres gens qui retrouvaient des repères là-dedans... »120

Pour Tönnies, la famille serait la forme la plus parfaite de communauté. Il a défini la communauté comme « une masse indistincte et compacte qui n'est capable que de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigés par la masse elle-même ou par un de ces éléments chargé de la représenter. »121 Selon le sociologue et philosophe allemand, les membres d'une communauté sont unis malgré toutes leurs différences et éprouvent en commun toutes leurs impressions. Dans le cas de la communauté française de beatboxeurs, on peut parler d'une « communauté d'occupation » où les individus sont réunis principalement par le partage d'une même pratique. « La différence avec le mot “communauté” c'est que là c'est une communauté choisie elle est pas une communauté ancienne avec des traditions, c'est une tradition qu'on invente et qui est artistiquement liée à une histoire avec des choses »122

Cette histoire, les beatboxeurs l'ont reconstituée en identifiant les différents pionniers ou en consultant notamment un ethnomusicologue. La recherche des racines de la discipline témoigne d'une construction identitaire. S'assurer des origines de leur discipline leur permet de se revendiquer en tant que descendants de diverses pratiques musicales souvent ancestrales. 120

OSLIM

121

DURKHEIM Émile, « Commuanuté et société selon Tönnies », in Revue philosophique, 1889.

122

Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006.

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Le partage d'une même pratique et de son histoire serait donc le liant entre les membres de cette communauté. Mais si l'on part du postulat que le beatbox est un jeu, on peut l'envisager d'une autre manière. Huizinga parle d’une « communauté joueuse » qui reste liée même une fois le jeu terminé, ses membres étant séduits par « le sentiment de vivre ensemble dans l’exception, de partager ensemble une chose importante, de se séparer ensemble des autres et de se soustraire aux normes générales. »123.Ce sont donc les nombreuses heures de « jams », d'échanges de techniques, de débats collectifs qui soudent les individus, les incitant à rester en contact même en dehors des rassemblements. La soustraction aux normes générales dont l'historien parle s'observe aisément lors des réunions. Du fait d'une importante interconnaissance, les beatboxeurs ont des comportements qui pourraient surprendre en temps normal. Utiliser sa bouche dans un autre but que parler ou chanter, qui sont des activités jugées normales, expose les beatboxeurs au regard de l'autre. Prenons un exemple, en entendant un groupe de beatboxeurs « jammer » dans un train, les réactions des voyageurs peuvent aller de l'étonnement à la stupéfaction, de l'incompréhension au mépris ou encore de l'indifférence à l'agacement. Souvent confrontés à des remarques par rapport à leur pratique musicale qui peut parfois être perçue comme dérangeante, on comprend la raison pour laquelle les beatboxeurs souhaitent se réunir entre eux. Lors de leurs évènements, ils se libèrent des normes générales et peuvent s'adonner sans entraves à leur mode d'expression favori. « Le beatbox c'est un plaisir... tu te fais plaisir à toi, tu sens que ça fait plaisir aux gens comme quand je sens que je casse les couilles aux gens, j'arrête... je suis pas con, je ferme ma gueule... tu vois, souvent quand on beatboxe à plusieurs et que je vois que ça casse vraiment les couilles aux gens... sauf sur un événement beatbox, je m'en branle, les gens si ils en ont marre, ils n'ont qu'à pas être là. »124

Fonctionnement

Aujourd'hui, la musique a tendance à se loger de plus en plus dans la sphère privée. L'usage massif de baladeurs Mp3 démontre cette privatisation de l'écoute musicale qui conduit également à se soustraire d'un environnement. Contrairement à ce phénomène, le beatbox engage les individus autant dans sa 123 124

Huizinga J., Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, NRF Gallimard, Paris, 1951. TIKO

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pratique que dans son écoute. Le caractère spontané du beatbox entre en opposition avec une rigidité des pratiques musicales occidentales. Cette forme de résistance face à aux normes en matière de musique inciterait une fois de plus les beatboxeurs à s'unir. On trouve effectivement une grande solidarité entre les membres de la communauté qui n'hésitent pas à demander de l'aide sur le forum, à faire du covoiturage pour se rendre sur les évènements, à se rendre des services... « C'est sûr que tu peux pas connaître tout le monde, mais si tu sens que t'es uni, que c'est comme à la limite des cousins, c'est que bon... voilà en ce moment j'ai pas trop d'appart', mais aussitôt que j'ai un appart', le beatboxeur il vient, y'a pas de problèmes c'est un peu comme une petite famille... je me suis déjà retrouvé en galère à Marseille, c'est BARBOUZ qui m'a hébergé, ouais c'est un peu un truc qui nous lie... »125

Constituée à l'origine d'une quarantaine de beatboxeurs, la communauté s'est depuis élargie et a intégré de nouvelles personnes. Il ne semble n'y avoir aucune condition à remplir pour faire partie de ce groupe, mis à part la volonté de partager. « Chacun a sa place... on est tous différents mais chacun a sa place, y'a pas de jugement social, d'où tu viens, qui t'es, peut-être un petit peu mais vite fait, c'est pas très important, ce qui compte c'est l'esprit, c'est ce que tu dégages, dans le beatbox, moi je vois ça comme ça, souvent ce que je ressens c'est quelqu'un qui a un bon esprit, qui aime partager, qui a pas de pudeur envers ses trucs, qui donnent, donc il reçoit forcément... »126

L'ouverture d'esprit dont font preuve les beatboxeurs permet à toutes les personnes désireuses de prendre part aux évènements, de « jammer » ou encore de débattre sans entraves. Une fois le pas franchi, les nouveaux arrivants sont identifiés et dans le même temps intégrés au groupe. Le simple fait de se rendre visible conduit à cette intégration. « C'est une communauté qui s'agrandit à chaque événement, à chaque rencontre... c'est un truc personnel mais j'ai l'impression du coup... tu vois par rapport à ce qui s'est passé à la Chaufferie ces derniers jours... dans ma vision à moi, pour moi, que des mecs comme ZEPH ou JOOS, prennent part à la communauté comme ça, même si ils étaient déjà présents sur d'autres évènements, y'avait pas forcément une visibilité forte par rapport aux autres, alors après c'est super personnel, c'est parce que moi je les ai vus plus à ce moment là, mais je pense que la communauté elle grandit comme ça par la vision de chacun... de la vision de chacun, de connaître plus de gens... »127 125

MICLEE

126

OSLIM

127

EZRA

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Même si les beatboxeurs éprouvent le désir de voir s'agrandir leur communauté ils formulent tout de même des craintes quant aux conséquences que cela pourrait avoir. « De toute façon là la communauté elle s'agrandit à fond, y'a plein de gens, des petits jeunes qui arrivent de partout, qui font du beatbox, forcément je pense qu'on va pas toujours avoir ce même esprit-là… »128

Le nombre réduit de membres favorisent des échanges et des liens plus étroits, lorsqu'il augmente il devient plus difficile d'être en relation avec l'ensemble des personnes. Tönnies nous dit à ce propos « que la pénétration des consciences que suppose la communauté n'est possible que dans des groupes peu étendus, car c'est à cette condition qu'on peut se connaître assez intimement. »129 Les actuels membres craignent de voir les valeurs, qu'ils défendent, s'évaporer ou détournées avec l'arrivée de personnes qui n'y accorderaient pas d'importance. La cupidité ou l'égocentrisme sont deux comportements qu'ils redoutent de voir un jour apparaître chez les pratiquants. C'est la raison pour laquelle certains beatboxeurs accordent beaucoup d'importance à la transmission de leurs valeurs et d'un état d'esprit « positif ». « On a une forte responsabilité aujourd'hui en essayant de diffuser cette culture, cette discipline... parce qu'on risque de se faire manger par nos propres idéaux... ou par toutes ces initiatives, le fait de... on passe le mot à dix personnes, dix personnes le passent à dix et on est déjà dépassé, on est déjà dépassé sans avoir... je veux dire dans le sens où on a pas forcément bien transmis... aussi les valeurs qu'on veut véhiculer... »130

Organisateur du premier championnat de France, EZRA fait partie de ces beatboxeurs « référents » qui, par leurs expériences et leurs initiatives, servent de repères. Ils ont fait le choix de s'engager dans la structuration ou le développement de la pratique au niveau national et c'est ainsi qu'ils se distinguent des autres pratiquants. Il ne s'agit pas de dirigeants ou de meneurs mais de pratiquants qui souhaitent s'investir complètement dans la vie de la discipline. En mettant en contact les pratiquants, en organisant des rassemblements, en diffusant des informations, ces personnes font preuve d'altruisme mais en cherchant tout de même à laisser une trace de leurs travaux. 128 129 130

JOOS DURKHEIM É., op. cit. EZRA

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Quand tu dis marquer l'histoire, tu penses à quoi ? « Marquer l'histoire c'est qu'on sache que y'a Tiko, un beatboxeur qui a fait des trucs... vu que c'est quelque chose qui me passionne... quelqu'un qui a fait avancer la pédagogie, qui a aidé à la structuration, « c'est un des gars qui a permis au mouvement de se développer » si il arrive vraiment à se développer un jour... et après j'ai le double espoir d'arriver à le marquer artistiquement... j'ai pas la prétention de le faire mais j'aimerais le faire... »131

Suite à diverses réunions, ils ont décidé de former l'association BeatBox France qui a pour but d'« animer le réseau français de beatbox, d'accompagner l’organisation du championnat en garantissant sa légitimité, son intégrité et son bon déroulement à travers l'écriture d'une charte, de garantir l'itinérance annuelle de cet événement en coopération avec des structures relais au niveau local, d'assurer le rayonnement local, régional, national, international du beatbox et enfin,d'être une ressource à destination de tous les beatboxeurs et de toutes les personnes intéressées par la discipline. »132 Ces résolutions prises pour poser un cadre à la discipline ne sont pas de l'avis de tous les beatboxeurs. « J'ai peur que y'est une fédération de beatbox, j'ai pas trop envie que ça aille jusque là parce que y'a forcément un gars qui va vouloir gérer le truc, y'a forcément... et c'est là que ça va commencer à créer des problèmes, des histoires entre les gens... alors que si on est tous ensemble, à la rigueur... ça sera mieux, dans un autre esprit déjà... »133

Ce témoignage s'accorde cependant avec les discours des beatboxeurs « référents » qui souhaitent que les décisions soient prises en consultant au préalable les membres de la communauté. Le refus d'un schéma hiérarchique empêche les personnes de s'octroyer une certaine forme de pouvoir qui n'a pas lieu d'être dans une communauté car selon Tönnies, « la vie du groupe n'est pas l'œuvre des volontés individuelles, mais elle est tout entière dirigée par les usages, les coutumes, les traditions. »134 Reste à savoir si ce processus d'institutionalisation sera suivi par l'ensemble des pratiquants qui ont parfois des difficultés à projeter leur pratique dans l'avenir.

131 132

TIKO Extrait des statuts de l'association

133

MICLEE

134

DURKHEIM É., op. cit.

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3. Transmission

Buts et motivations

L'organisation du premier séminaire autours de la transmission du beatbox est issue d'une volonté de la part des beatboxeurs d'échanger, de se former donc de se professionnaliser dans ce domaine. La rencontre entre des « pédagogues » du beatbox avec des musiciens intervenants a révélé de nombreuses similitudes dans les objectifs qu'ils poursuivent. Les moyens d'y parvenir ont fait l'objet de démonstrations et de discussions afin de permettre une découverte mutuelle. Cet événement était, une fois de plus, un moyen pour les beatboxeurs de se nourrir d' expériences et de savoir-faire variés. Toujours est-il que ces pratiquants ont une manière singulière d'envisager leur discipline, synonyme selon eux de développement personnel. Que ce soit dans leurs discours ou au sein de documents qu'ils rédigent, les beatboxeurs-intervenants n'hésitent pas à mettre en avant le potentiel du beatbox. « Avant de commencer tous ces ateliers j'ai voulu poser des valeurs essentielles caractérisant le beatbox pour transmettre une pratique suivant une certaine éthique artistique. Le beatbox est une approche originale pour découvrir son appareil vocal constitué de la bouche, du nez, de la gorge, de la langue et bien sûr des cordes vocales. Il permet de se dépasser soi-même, de comprendre que nous sommes capables de beaucoup de choses qu'on ne soupçonne pas, de développer sa créativité, sa réflexion et sa concentration. Le beatbox parle d'humanité, il fait naître un esprit de partage, sa pratique en groupe permet de casser certaines barrières concernant le jugement d'autrui et de soi-même. »135

Les ateliers menés par les beatboxeurs leur permettent de commencer à vivre de leur pratique même si ils n'ont aucun statut, si ce n'est celui d'animateur socio-culturel. Nous avons vu que les personnes cherchaient à légitimer le beatbox en le définissant, ce qui le rend plus accessible. Les ateliers menés dans diverses structures vont dans ce sens. En proposant de le découvrir et de s’y initier, les beatboxeurs visent sa diffusion et sa reconnaissance. Ils sont à la fois la « vitrine » de la pratique mais aussi le vecteur de l’idée selon laquelle tous les individus sont susceptibles de beatboxer. Cette conception universaliste laisse entendre une opposition à un système qui laisserait de côté certaines personnes. Dans ce cas précis, c’est sans conteste l’enseignement musical traditionnel qui est pointé du 135

Extrait du dossier de présentation des ateliers du beatboxeur-intervenant LOS

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doigt. En enseignant le beatbox, les individus apportent donc une visibilité à un mouvement artistique qui transmet des valeurs comme le partage. Au sujet des motivations qui les incitent à entreprendre des ateliers, des stages ou encore des concerts pédagogiques, elles sont également diverses. « Y'a pas mal de différentes choses... une des premières choses... je trouve pas le mot mais bref... c'est d'aller rencontrer des gens que j'ai pas l'occasion de voir tous les jours, de voir des enfants ou un tas de publics, les prisons, les hôpitaux... j'adore faire des ateliers, je pense en grosse partie par le fait d'aller à la rencontre de gens que j'ai pas l'occasion de rencontrer dans ma vie de tous les jours ou avec lesquels je prends pas le temps de discuter en tout cas, ça c'est un truc fort... le deuxième qui pour moi est à égalité, c'est le fait de transmettre cette discipline qui pour moi est un pouvoir magique, social et de développement personnel et musical et tout ça quoi... transmettre ce que c'est une... le troisième point qui est important aussi, il est économique... ça reste le troisième quand même parce que je fais pas mal d'ateliers sans qu'il y ait de sous aussi mais ça a été aussi à un moment donné un moyen de compléter la scène et de pouvoir vivre du truc complètement... »136

Avec l'expérience, les beatboxeurs ont pris conscience de ce que la pratique, dont ils sont les ambassadeurs, peut produire. À travers les valeurs qu'ils véhiculent et ses valeurs intrinsèques, le beatbox est alors perçu comme un moyen de parvenir à une ouverture sur soi et sur les autres. La préparation à des compétitions n'est pas ici la priorité des beatboxeurs-intervenants. Tu verrais des cours particuliers ou collectifs à l'année, du genre deux heures par semaine ? « Oui, oui mais par contre dans l'idée où on ne se contente pas du beatbox et genre dire : “voilà ce cours il va être pour que tous les gens, tous les minots, ils aillent faire un battle”, dans cet esprit là non... mais par contre justement s'ouvrir à plein de choses dont la musique, le côté théâtre, le côté articulation, travail du corps, connaissance du corps, connaissance vocale... imitation... donc musique, savoir jouer en groupe,savoir écouter... et connaissance musicale, en profiter pour écouter des choses aussi, écouter de la musique... tout ce que j'ai pu avoir dans mon parcours qui me font arriver là, je pense qu'y'a vraiment plein de choses à apprendre et de multiples cours à faire en partant d'une base beatbox mais seulement... »137

Enfin, transmettre une pratique et la voir vivre à travers des « élèves » qui attrapent le « virus beatbox » est également une source de fierté pour les « maîtres ». LOS n'hésite pas dans son dossier de présentation à faire part de l'histoire d'un groupe de quatre adolescents qu'il a suivi durant un an. Les « Pillar Box Sounds » se sont ainsi présentés au deuxième championnat de France de beatbox pour le plus grand plaisir de leur « formateur ». 136

EZRA

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JOOS

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Lors de stages, l'ĂŠcriture de rythmes devient un moyen de transmettre le beatbox. Grenoble, 10 avril 2008 Photographie : R. Martino

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Pédagogie

La poignée de beatboxeurs-intervenants fait appel, pour transmettre le beatbox, à des méthodes variées qui instaurent un rapport enseignant/enseigné alternatif. Ces « pédagogues » du beatbox reproduisent la manière avec laquelle ils ont eux-mêmes appris : par mimétisme. Pour ce faire, ils dressent généralement en début de séance la liste des sons les plus utilisés en laissant les personnes s’exercer. Ces différents sons sont ensuite placés dans des rythmes simples. « L’objectif c’est de s’amuser, on a pas dix ans de musique derrière nous... »138 Cette phrase montre non seulement le décalage avec l'enseignement traditionnel de la musique mais aussi, une fois de plus, que le jeu tient un rôle important. On observe ainsi des exercices sous formes d'activités ludiques que l’on peut retrouver dans des pédagogies propres à d’autres disciplines. Certains beatboxeurs-intervenants ont développé leurs propres exercices, en essayant par exemple d'imager un rythme en le proposant sous la forme d'une comptine. En pratique, l’initiation au beatbox semble à mi-chemin entre l’enseignement du théâtre qui met en scène le corps et celui du chant qui fait appel à des techniques de respiration, de placements de la voix ou de rythmes. Des méthodes sont ainsi adaptées à la transmission du beatbox pour transmettre des contenus pédagogiques originaux. « Je suis très axé sur le jeu quoi... je suis un fervent adepte de François Delalande et tous ces mecs là qui ont écrit des choses sur l'enfant et le jeu... et je suis un grand adepte de la... ce qu'on appelle la pédagogie active, qui va mettre en action les gens et qui va sortir les trucs des gens et c'est pas “je te montre et tu fais pareil”, c'est “y'a des trucs de possibles, faites voir vous comment ça peut sortir...” et clac-clac, y'a des trucs qui sortent d'eux, je fonctionne vachement comme ça parce que c'est comme ça que j'ai appris la musique, je sais pas la lire la musique et je sais que dès qu'on commence à chercher les notes, ça me saoule, j'arrive pas et c'est pour ça que je suis plus à l'aise à faire des ateliers avec des enfants... c'est vachement sur la transmission, sur l'écoute, sur le jeu, “vas-y faut jouer, on s'amuse”, c'est comme ça que ça fonctionne, mais si j'ai deux mecs qui arrivent et qui m'ouvrent leurs livres de partoches et qui me disent : “bon ben je veux apprendre la guitare” et ben je leur dirai “je peux pas, c'est pas mon truc, il faut aller voir quelqu'un d'autre”… »

Même s'ils s'inspirent de diverses méthodes, les beatboxeurs-intervenants possèdent une approche très intuitive et très sensitive lors d'ateliers. Ils ont d'immenses capacités à s'adapter en fonction des publics auxquels ils ont à faire et cherchent souvent à rompre avec l'idée d'un professeur qui dicte la voie à suivre. 138

Entendu lors d’un atelier de beatbox.

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Outils « Bonjour, je commence dans le beatbox et je voudrais savoir ce qu’il faut faire au début et savoir quels sont les sons de base merci et si vous pouvez envoyez-moi des vidéos qui pourraient m’aider. » « Bonjour, as-tu déjà visité les tutoriaux du forum, l'ami ? »139

Les tutoriaux sont des outils pédagogiques qui permettent aux personnes d’apprendre en autonomie. Ils se sont diffusés avec l’avènement d’internet qui grâce à cela possède aujourd’hui un rôle didactique. Au sein du forum, la rubrique des tutoriaux comporte essentiellement des documents rédigés par un dénommé Foudou qui a pris en charge leur rédaction. Il a ainsi établi progressivement une base de données concernant le beatbox et ses techniques. En voici un exemple intitulé « Binaire et ternaire pour les nuls »140 : Le beatbox étant un instrument rythmique (beat = rythme), la compréhension du rythme est vitale pour pouvoir avancer, elle peut se faire par la simple écoute/reproduction, mais on est en général assez vite bloqué soit par le côté répétitif des rythmiques qu’on entend, soit par un manque technique lié à une absence de compréhension. Même si c’est bref l’objectif est ici de donner des bases pour comprendre ce que vous ferez par la suite. Il existe des rythme à deux temps (les 3⁄4 de la musique actuelle) ou à trois temps (comme le jazz, la musique africaine, le blues, etc...), ainsi un rythme binaire se base sur un compte 1234, un rythme ternaire 123. La sensation entre les deux est différente à l’écoute, et il faut savoir les distinguer. En général on peut se débrouiller assez facilement car la sensation trompe rarement, mais il est nécessaire de bien être capable de faire l’un et l’autre car nombre de musique du hiphop à la funk nécessite de savoir jouer des deux, un truc entre les deux, une sorte de subtilité qui permet au rythme de groover. Pour exemple la fonction « swing » de nombreuses boites à rythmes (MPC et autres) ne fait que ça : mettre un peu de ternaire dans du binaire. Ne serait-ce que pour placer les fameux roulements en ternaire que tous le monde apprécie. Un rythme ternaire 1 2 3 /1 2 3 /1 2 3 /1 2 3 B t t /Pf t t /B t t /Pf t t Un rythme binaire 1 2 3 4 / 1 2 3 4/ 1 2 3 4/ 1 2 3 4 B t t t / Pf t t t / t t B t /Pf t B t

L’écriture des rythmes est comparable à celle des tablatures utilisées par les guitaristes. Ce système d’écriture de la musique est une alternative aux 139

Échange entre deux utilisateurs du forum « beatboxfrance »

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Issu du forum « beatboxfrance »

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partitions traditionnelles, il n’est pas nécessaire de connaître le solfège. Il existe depuis les débuts de la transcription musicale et s’est, une fois de plus, répandu grâce à Internet qui compte de nombreuses pages contenant des tablatures. Si les partitions ont pris le dessus, c’est parce qu’elle sont universelles, elles sont adaptées à tous les instruments. En revanche, la tablature possède des spécificités en fonction de l’instrument auquel elle est dédiée ce qui explique la méthode employée par les beatboxeurs pour écrire les rythmes. Ils ont créé un moyen d’écrire les rythmes en traduisant les différents sons en onomatopées qui s’enchaînent. Il n’existe pas encore un « langage » unique, chaque beatboxeur a le sien, mais il est tout de même capable de comprendre celui d’un autre. Certains beatboxeurs sont prêts à travailler sur l’élaboration d’un système basé sur des symboles phonétiques dans un souci de précision et pour permettre d’orchestrer un ensemble de beatboxeurs. Ce désir s’inscrit également dans un processus de rationalisation de la pratique. Les tutoriaux délivrent de nombreuses informations, ils se veulent descriptifs et didactiques. Ils sont souvent organisés en fonction de leur difficulté ce qui fait apparaître la notion de niveau. Ils permettent l’autoévaluation des personnes qui peuvent ainsi constater leur progression dans l’apprentissage. En dévoilant les différentes techniques, l’auteur du tutoriel est amené à rendre intelligibles ces explications. Il doit formaliser un savoir-faire et des connaissances qui jusque-là se transmettaient oralement. Il est en de même pour les textes qui visent à présenter et à définir la pratique. On peut citer un travail réalisé par un beatboxeur qui vise à justifier le genre du mot « beatbox » en tant que pratique (Cf. annexes). En la décrivant, les beatboxeurs contribuent à l’élaboration d’une mémoire collective. Ces écrits montrent la volonté de posséder un patrimoine fait de références communes. Même si les tutoriaux sont principalement destinés aux personnes qui souhaitent apprendre, ils restent cependant les témoins du développement de la pratique. Il s'agit ici aussi d'une forme de mutualisation des savoirs où chacun peut apporter sa pierre à l'édifice. Dans l'optique de partager simplement, on trouve sur internet des beatboxeurs qui décortiquent des rythmes ou dévoilent des techniques particulières. En rendant plus compréhensible les rythmes, en cherchant à révéler les moindres secrets les beatboxeurs rentre définitivement dans une logique d'ouverture et de partage.

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4. Institutions culturelles et médias Un bref exposé des politiques publiques menées pour soutenir les musiques actuelles nous permettra ensuite de comprendre les rapports que le beatbox entretient avec les institutions culturelles qui en dépendent. Dans un second temps nous verrons comment se positionnent les beatboxeurs vis-à-vis des médias qui ont participé à faire découvrir leur pratique.

Les politiques en faveur de musiques actuelles et du hip-hop

L’esthétique du beatbox s’inscrit dans le champ des musiques actuelles de par son aspect « non académique », dominé socialement, urbain, ou encore du fait de ses origines populaires. L’expression « musiques actuelles » a fait son apparition dans les années 90 pour regrouper sous une même appellation les différents courants et styles musicaux de notre époque. C’est aussi un secteur économique qui se caractérise par des logiques différentes dans la production de la musique qui vont du label indépendant à la « major company »141. Sachant que seulement quatre multinationales dominent 70 % du marché de la musique, l’aide des pouvoirs publics devient nécessaire pour protéger la création des contraintes économiques. Les professionnels des musiques actuelles se sont donc mobilisés pour obtenir une véritable reconnaissance et une prise en compte de ces pratiques dans les politiques publiques. En septembre 1998, le rapport de la commission nationale des musiques actuelles créée par Catherine Trautman, Ministre de la Culture, marque un temps fort dans la reconnaissance institutionnelle du secteur, notamment à travers le programme de soutien aux scènes de musiques actuelles (SMAC) initié par l’État. Au nom de la « diversité culturelle », les politiques nationales et territoriales en faveur des musiques actuelles visent à développer et soutenir la création, la formation et la diffusion des musiques actuelles. Il s’agit également de favoriser les pratiques artistiques amateurs et de veiller à l’indépendance de la production musicale. La création d’un Conseil Supérieur des Musiques Actuelles et des Concertations Territoriales a pour but de fournir aux décideurs politiques des outils de compréhension du secteur des musiques actuelles. Les politiques culturelles deviennent des missions de service public 141

Grandes sociétés d’édition de disques.

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coordonnées entre l’État, les professionnels, et les collectivités territoriales. Un phénomène de déconcentration des moyens de l’État donne un rôle prépondérant à ces collectivités qui sont alors chargées de la majorité des affaires culturelles. Quant au hip-hop, il a fait l'objet de politiques culturelles spécifiques. Il a souvent été intégré dans les politiques de la ville car il était considéré comme un moyen d'action sur la jeunesse des banlieues.

Le beatbox dans l’institution : effets et enjeux

Dans la lignée des politiques que nous venons de décrire, le beatbox s’est vu intégré dans des projets d’actions culturelles et dans une logique de soutien aux pratiques émergentes. Dès lors, on peut constater le rôle des dispositifs comme La Chaufferie ou La Vapeur dans la prise en compte des formes d’expressions artistiques mineures. Que ce soit pour animer des ateliers ou pour donner des concerts, certains beatboxeurs commencent à percevoir des rémunérations. Leur professionnalisation est à l’origine, comme nous l’avons vu précédemment, de la mise en place d’une pédagogie particulière mais surtout d’une création artistique approfondie. Pour se produire sur scène, les rares beatboxeurs qui se positionnent en tant qu’artistes doivent être en mesure de répondre aux exigences de leurs « employeurs ». « Si on veut vraiment tourner, il va falloir faire autre chose que de la démo. La connaissance et la reconnaissance passe par le fait d’aller vers l’artistique, si t’es capable de faire danser les gens ou de leur faire écarquiller les yeux, là tu peux trouver des dates que tu fasses du beatbox ou n’importe quoi. »142

Un savoir faire supplémentaire est donc requis pour entrer dans une logique professionnelle. Par exemple, pour construire un répertoire et améliorer les qualités scéniques de son spectacle musical, le beatboxeur EZRA a fait appel à différents professionnels comme un metteur en scène, un ingénieur lumière ou encore un tourneur. En appliquant ces modèles d’organisation, le beatbox devient « un monde de l’art »143 où l’artiste est entouré des personnes qui participent à la création et la diffusion de ses œuvres. En prenant exemple sur le passé, les adeptes du beatbox émettent tout de même des réserves quant aux relations établies entre 142 143

Témoignage recueilli lors du premier championnat de France de beatbox à Angers en 2006. Définit par Becker H.S. dans Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 2006.

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le beatbox et les institutions culturelles. Le cas de la danse hip-hop dans les années 80 fait figure de référence, sa reconnaissance par le champ chorégraphique et les projets d’action culturelle menés auprès de publics censés « réceptifs » n’ont pas fait l’unanimité. Par rapport aux institutions tu penses qu'il y a danger ou pas ? Par exemple comme pour la danse... « Ouais !... (silence) Ouais notamment, depuis quelques mois, ils ont commencé à essayer de créer un DE, un diplôme d'état pour les professeurs de danse hip-hop, or les professeurs de danse hip-hop depuis un paquet de temps, c'est des gens qui à la base sont des pratiquants qui se sont développés par eux-mêmes comme ce qu'on est en train de faire en beatbox aujourd'hui... et qui sont extra-compétents mais à un moment donné, l'état a commencé à dire : “bon il va falloir donné un cadre à ça” et c'est eux-mêmes, sans consulter les acteurs qui ont commencé à fixer les règles de ça et à partir de là, ne peuvent être enseignants de danse, que ceux qui ont le diplôme d'état... or, c'est pas la réalité des acteurs et de certains des meilleurs enseignants de danse hip-hop qui pourtant n'ont parfois pas le bac... mais qui sont très très fort, et socialement, et pédagogiquement, et dans plein de trucs... du coup ça peut nous arriver avec le beatbox aujourd'hui aussi, on a la grosse chance aujourd'hui, en tout cas en France, de déjà se poser ces questions là alors que s'est en train d'exploser... »144

De peur que le beatbox soit détourné ou instrumentalisé, la pratique ne souhaite pas uniquement se développer au sein des institutions. Les beatboxeurs sont conscients des pièges à éviter pour conserver une certaine indépendance et cherchent à conserver leurs réseaux informels. La situation du beatbox est donc paradoxale, il se dirige vers une reconnaissance du beatbox dans le cadre des politiques publiques en faveur des musiques actuelles, mais il ne souhaite pas perdre ce qui fait son identité, celle d’une pratique musicale « underground » issue d’une culture jugée marginale. Les beatboxeurs élaborent des stratégies qui leur permettent de profiter des services d'institutions culturelles sans pour autant se plier à toutes leurs exigences. « Faut s'infiltrer, faut pas vendre ses fesses, faut toujours rester intègre... Je pense que c'est une bonne chose, par ce que l'art de rue a sa place dans la rue, il faut que l'art de rue reste dans la rue mais je pense que quelque part l'art de rue mérite de sortir de la rue, mérite d'être reconnu comme le graff, comme la danse... pour moi la danse elle est dans la rue mais elle sortie de la rue... c'est le coeur même de la discipline, de toute discipline du hip-hop, après c'est beau de voir que certaines figures du hip-hop arrivent à sortir de ce truc là, ils restent hip-hop mais voilà, ils donnent des cours au conservatoire... t'imagines le truc, c'est génial, le mec il vient de la rue, il donne des cours au conservatoire, c'est magnifique, c'est une espèce de victoire sur la ségrégation, on t'écoute, on t'observe, alors que y'a dix ans on prenait pour un fou, je faisais des « pouet-pouet »... une bonne revanche sur la loi du sort... »145 144

EZRA

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Le beatbox a fait le choix de se structurer lui-même en prenant appui sur une communauté de pratiquants qui procèdent ainsi à une gestion interne de ces questions. Beatbox France est la première instance officielle qui a cette vocation.

Beatbox et médias

La question du rôle des médias a été à plusieurs reprises soulevée à la suite d'un événement particulier : l'apparition d'un beatboxeur sur le plateau d'une émission musicale d'une grande chaîne de télévision. En 2007, Joseph alias POOLPO, originaire de Sète est auditionné par le jury de l'émission de télé-réalité la Nouvelle Star, diffusée sur M6. Il disparaît assez rapidement des écrans de télévision mais sa vidéo est déposée sur internet et obtient un véritable succès. Sa prestation fait l'objet de vives réactions de la part des membres de la communauté française de beatbox qui accusent ce pratiquant méconnu de plagiat et dénigre ainsi sa démonstration. Les beatboxeurs souhaitent se mesurer à lui durant le championnat de France de Dijon mais il refuse et fait preuve lui aussi de mépris. Un an plus tard, il se présente au championnat de Montpellier et, comme nous l'avons vu, suscite de nouveau des commentaires. Ces évènements ont révélé des avis tranchés sur les rapports que doit entretenir la pratique avec les médias. « Médias et beatbox... ça peut pas forcément faire un mauvais ménage... sachant que d'une manière plus générale, je suis pas dans la dualité commercial/pas commercial, tu vois par exemple pour moi un groupe comme le Saïan Supa Crew qui est un groupe commercial et ben c'était très bien qu'ils fassent leur musique et j'ai kiffé... contrairement à d'autres qui sont des produits marketés qui me cassent les couilles... c'est la même logique beatbox et médias, après si un beatboxeur va faire ce que POOLPO a fait et que derrière il se laisse pas embarquer par tout le truc, j'y vois aucune objection, j'aurai de toute manière rien à dire quoi qu'il arrive... mais c'est des coups de projecteurs qui sont donnés sur une pratique donc ça me fait kiffé... après c'est vrai qu'il faut faire attention, j'estime que si l'artiste est pleinement conscient de ce qu'il fait et qu'il assume et qu'il gère bien son truc, tu vois qu'il garde une éthique forte, et ben il peut faire ce qu'il veut, moi je m'en bas les reins... c'est pas un souci du moment qu'il est capable d'expliquer... »146

Les médias ne sont pas, pour la plupart, diabolisés et parfois bien au contraire, ils peuvent permettre de faire découvrir la pratique au plus grand nombre. Une seul condition semble nécessaire, les médias ne doivent pas altérer l'éthique de la pratique. Les beatboxeurs ne cherchent pas non plus à s'insérer 145

OSLIM

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TIKO

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totalement dans une économie marchande régie uniquement par l'argent. « Il suffit à un moment donné qu'il y ait une mise sous les projecteurs de la discipline qui soit très médiatisée et avec... et avec une mauvaise énergie et... et puis les histoires de business... au niveau des pratiquants, le fait de se rendre compte... qu'on peut vivre de ça, qu'on peut faire que du beatbox... et puis simplement d'en vivre sans trop réfléchir à ce que ça implique pour soi, pour les autres, pour les valeurs de ce truc là... ouais, y'a des dangers qui sont liés forcément un peu aux thunes mais comme dans tout en fait... » Si un jour on voit un beatboxeur millionnaire qui sert de référence, c'est là où ça peut être dangereux... « Qu'il soit millionnaire c'est pas grave.. (rires) mais qu'il ne véhicule pas des valeurs positives ça peut être grave... »147

Une fois de plus, les beatboxeurs prêtent une attention particulière aux valeurs qu'ils défendent. Ajouter un intermédiaire entre eux et le public peut conduire à la déformation ou la disparition de ces valeurs. Ils préfèrent maîtriser leur image en gérant eux-mêmes les moyens de communication susceptibles de faire connaître et de diffuser la pratique. Internet en est le plus bel exemple, les beatboxeurs déposent des vidéos qui leur correspondent et les présentent sous leur meilleur jour. Ils sont donc leurs propres médias et ne cherchent pas à devenir des stars.

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EZRA

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Conclusion Au terme de cette étude qui témoigne de deux années d'enquête et de recherches sur le human beatbox, se situe dans une époque où d’autres pratiques telle que le slam148qui, de la même manière, s’inspire de formes préexistantes pour en constituer une inédite. C'est la raison pour laquelle il était important de préciser, dans un premier temps, qu’il s’agit d’une discipline née dans les années 80 aux États-Unis, dans un contexte social et économique particulier et au sein du mouvement culturel qui lui a conféré une esthétique singulière. Dans une seconde partie, la description des différents terrains explorés a permis de peindre le portrait de la discipline. Nous avons pu observer la prépondérance de l’Internet dans la fédération d’une communauté faite de beatboxeurs de plus en plus nombreux. Par l’usage de la photographie, il a été possible de rendre compte de certaines caractéristiques « visibles » qui font du beatbox une forme d’expression musicale et corporelle singulière. En leur laissant la parole, le but était d'observer les parcours des beatboxeurs qui sont amené à se familiariser avec la discipline en échangent avec les autres pratiquants avant de se forger une identité. Marqué par le jeu et fondé sur la notion de partage, le beatbox réunit les individus qui s'entendent sur des idées similaires. Selon eux, le beatbox peut être un formidable catalyseur d'une véritable démocratisation de la pratique musicale, à condition que les individus soient au centre de la pratique qui, par essence est humaine et se transmet de bouche à oreille...

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Littéralement « claque », le slam est défini comme un art d’expression populaire oral et déclamatoire. Cette pratique est également née dans les années 80 à New-York. Les individus peuvent ainsi s’exprimer librement sur des scènes ouvertes en proposant à un public et parfois un jury des textes de leurs compositions. Nous développerons au fil de cette étude les points communs que possèdent le slam et le beatbox.

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Sitographie www.beardyman.co.uk www.beatbox.tv www.beatboxcontest.fr www.humanbeatbox.fr www.beatboxfrance.tk www.arteradio.com www.beatboxconvention.com www.humanbeatbox.com/history http//:classicalbeatboxproject.blogspot.com www.beatboxbattle.net www.beatbox.be www.beat-box.fr www.youtube.fr et www.dailymotion.fr

Lexique – B.Boy : ou Breaker Boy, qui pratique la breakdance mais il désigne aussi un membre de la culture hip-hop. – Blaze : pseudonyme choisi par un membre de la culture hip-hop. – Beat : littéralement « battre », d'où l'expression battre la mesure, s'emploie généralement au sens de rythme. – Battle : littéralement « bataille », s'apparente à l'idée de joute, d'affrontement ou de duel, chaque discipline du hip-hop a ses « battles » où le défi et la confrontation sont essentiels – Cover : reprise d'un morceau de musique. – Crew : littéralement « équipe », regroupement par affinité de plusieurs personnes. – DJ : ou Disc Jockey, personne qui sélectionne et diffuse de la musique lors de soirées ou à la radio, il brille par ses aptitudes à mixer ou scratcher. 92


– Jam-session : musiciens.

moment

d'improvisation

libre

pour

plusieurs

– Loopstation : appareil électronique, sous forme de pédalier, qui permet d'enregistrer et de superposer des boucles musicales en direct. – MC : Maître de cérémonie, « Mic controller », l'abréviation est employée à la fois pour celui qui anime un événement hip-hop et pour désigner un rappeur. – Post : message déposé sur le forum. – Sampler : échantillonneur, instrument de musique électronique capable d'enregistrer, d'échantillonner des sons (échantillons ou samples) et de les rejouer en boucle. – Scratch : littéralement « rayer », le « scratching » est une technique employée par les DJ's qui consiste à faire des va-etvients sur un disque vynile en lecture. Le son caractéristique de cet effet est reproduit vocalement par les beatboxeurs. – Sound-system : nom donné à une fête ou un rassemblement musical hip-hop. – Topic : thème de discussions qui regroupe les messages. – Underground : Littéralement « souterrain ». Terme utilisé à partir des années 60 pour définir un mouvement culturel alternatif, en marge de la société.

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Annexes •

Liste de sons établie par LOS, beatboxeur-intervenant

KICK / GROSSE CAISSE P : pression des lèvres et ouverture de la gorge B : lèvres à l’intérieur expulsées Ob : pied techno gorge On : pied nez sortant de la gorge D : langue sous lèvre supérieure expulsée HIHAT / CHARLEY CYMBALE TS : prononcer ts avec un sourire pour un son aigue NS : décoller la langue du palet (sans respirer) NHS : décoller la langue du palet en inspirant un S BOUS : bout de langue sur dent du bas, dent du haut sur langue,s ouffler,et B en même temps AHH : bouche grande ouverte, presser les cordes vocales et expulser un ahhhh GONG : fermer la bouche et souffler dans le nez en compressant les cordes vocales. SNARE / CAISSE CLAIRE ICH : prononcer ICH en poussant sur la gorge KL : prononcer KLA enserrant un peu les dents. PF : faire une grosse caisse en même temps que ffffff K : prononcer K un coup sec KI : comme pour appeler un animal, décoller la langue des dents sur le coté KH : positionner la langue sur les dents du haut sur un coté, aspirer en décollant la langue TCH : pression de la langue sur le palet en TISH UF : ouverture sèche des cordes vocales, en inspirant la bouche en U TUS : langue sous lèvre supérieure expulsée avec un S

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Article rédigé par Jefferson, beatboxeur et membre du forum

Human beatbox… Quel genre devons-nous donner à ce mot en français ? Féminin, masculin ? Devons-nous dire : « le (human) beatbox » ou « la (human) beatbox » ? Le terme beatbox (ou human beatbox) vient de l´anglais, et dans cette langue les noms communs n´ont ni de marque de féminin, ni de masculin, ni de neutre dans leurs déterminants contrairement au français où c´est le cas. Alors, comment connaître son genre ? Un petit rappel sur la grammaire anglaise s´impose… Les mots ont quand même un genre en anglais malgré qu´il ne soit pas présent dans les déterminants ! En effet, il existe sous d´autres formes… Tout d´abord, les anglais précisent parfois le sexe de la manière suivante : un étudiant se dit « a male student », une étudiante « a female student ». Il existe aussi woman doctor voire même lady doctor pour l´équivalent de notre « doctoresse ». Ensuite, la marque du genre se trouve quelques fois dans les noms eux-mêmes quand il existe des termes spécifiques pour chaque sexe (parfois c´est un autre mot, parfois c´est juste le suffixe qui change). Par exemple un chien se traduit en anglais par a dog et une chienne par a bitch (non ce n´est pas qu´une insulte…). Mais il est possible d´employer aussi a male dog pour le masculin et a female dog pour le féminin comme nous l´avons vu précédemment. […] Que faut-il en déduire ? Sur ces 5 mots il n´y en a donc aucun dans le dictionnaire qui soit présent à la fois sous sa forme longue et sous sa forme abrégée. De la même façon que pour breakdancing, skating, et skateboarding il conviendrait donc de ne plus utiliser « beatboxing » car il est moins utilisé que sa forme abrégé « beatbox ». Néanmoins, nous l´avons vu, son usage est toléré car il permet de faire une distinction entre l´art et le morceau de musique. De plus, comme je l'ai déjà dit le beatbox c´est quelque chose d´exceptionnel, il fera donc partie des exceptions une fois de plus ! Utilisez human beatboxing, human beatbox, beatboxing, beatbox, qu´importe ! […] Conclusion Human beatbox ou tout simplement beatbox, beatboxing, beatboxer (le verbe), beatboxeur, beatboxeuse, tutorial, tutoriaux, mail… Ces termes rentreront-ils un jour dans les dictionnaires étant donné qu´ils sont de plus en plus utilisés dans le langage courant ? Après tout c´est arrivé à « kiffer, keum, meuf, SMS, et même rappeur et rappeuse » présents dans la plupart des dictionnaires dans leur édition 2007 (Larousse, Robert, etc.) alors à quand leur tour ? Nul ne le sait… La seule chose qui est sûre c´est qu´en attendant le débat sur leur utilisation reste ouvert…

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• Programmes des évènements beatbox

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