Rapport Visite Palais Ennejma Ezzahra 2016 - 2017

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Tout là-haut, dans le village perché de Sidi Bou Saïd, surplombant la baie de Tunis, un joyau de l’architecture du début du XXème siècle se dissimule dans l’étreinte de la nature. Ce n’est autre que le palais d’Ennejma Ezzahrra ; œuvre de toute une vie, celle de Rodolphe François baron d’Erlanger qui a constitué l’objet de notre visite afin de saisir les dessous d’un ouvrage hors du commun. Il faudrait d’emblée souligner que la dénomination du palais est en écho à l’étoile de Vénus; déesse de la beauté. Cette qualification n’est nullement fortuite. Elle est tributaire de la sensibilité raffinée des propriétaires en matière de musique, de peinture orientaliste et d’univers créatif dans toutes ses portées. Au rythme de ces premiers pas, une contextualisation et un bref balayage historique s’imposent dans le but de faire valoir l’esprit du lieu. La construction du palais s’est étalée sur l’intervalle d’une décennie durant laquelle une pléiade d’artisans, de différentes origines, se sont affairés à révéler au grand jour les souhaits du maître d’ouvrage.

De ce fait, le complexe s’élevait au rang d’un véritable centre de formation pour l’artisanat tunisien. L’ironie du sort a fait qu’une décennie plus tard, le baron s’est éteint en léguant à la Tunisie le premier monument historique classé depuis l’indépendance. Cette contribution manifeste au patrimoine national s’aligne avec d’autres initiatives. En effet, le baron a initié le décret de protection du village de Sidi Bou Saïd de 1915 accompagné incontestablement de sa charte chromatique emblématique bleue et blanche. Ce n’est qu’en 1988 que l’Etat tunisien a explicité sa reconnaissance envers le propriétaire des lieux en achetant le bien à des fins patrimoniales. Il

fait désormais partie intégrante de l’identité culturelle et historique du pays. En guise de commémoration de l’engouement incontesté du baron pour la musique, on a jugé bon de reconvertir l’ancienne bâtisse attenante au palais en phonothèque à l’image d’une bibliothèque nationale de la musique. Elle est équipée d’un centre de numérisation des anciens supports musicaux afin d’inscrire l’édifice dans l’élan technologique actuel et de valoriser notre patrimoine immatériel. Cette volonté d’insuffler les modulations mélodiques dans toute l’emprise du palais se prolonge jusque dans les garages requalifiés en ateliers de literie. Seule ombre au tableau est l’inexistence d’un centre d’interprétation nous initiant dans notre déambulation. A ce stade du développement, nous opposerons la vision d’Eugène Viollet-le-Duc; architecte français reconnu pour ses restaurations, à celle adoptée par l’INP ou l’Institut National du Patrimoine. Viollet-le-Duc préconise que « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire. C’est le rétablir dans un état complet. » Chose qui est diamétralement opposée à l’approche prônée par l’INP qui se soumet à la charte de Venise de 1964. Cet organisme a jugé utile de souligner les contours de l’intervention en ayant en

ligne de mire




l’évolutivité de l’architecture. D’une part, le projet se veut dans la continuité des travaux préalablement entrepris par le baron; à savoir le montage de la verrière sur la coupole de l’actuelle phonothèque et l’ajout de quatre belvédères sur les interfaces extérieures. D’autre part, un escalier hélicoïdal et métallique a

nouvellement été introduit d’une manière réversible, c’est-à-dire apte à être désinstallé ultérieurement sans compromettre l’intégrité de l’ouvrage. De plus, on a soustrait les murs du tambour de la coupole au profit de la lumière naturelle au niveau de l’étage. Ainsi, une certaine distinction des deux phases temporelles serait à

apprécier. De nos jours, le palais d’Ennejma Ezzahrra accueille un projet de rénovation de l’infrastructure de son parc vu son étendue de près de la moitié d’un hectare. Deux champs d’intervention majeures y sont proposés; des bâtiments annexes relatifs à l’exploitation muséale du palais et un réaménagement des espaces extérieurs. Ce dernier volet consiste, dans un premier temps, dans le décapage du pavage et sa substitution par un revêtement en béton coloré rouge brique camouflant les installations techniques. Ce traitement se trouvant être fidèle au choix chromatique originel du baron. Ceci est justifié davantage par la résistance du matériau utilisé vu

l’exploitation du site. Rappelons à cet égard qu’un monument occupé et habité est, par conséquent, sauvegardé.


En second lieu, la rénovation a porté sur le bassin andalou doté à présent de jets d’eau mis en scène par une scénographie lumineuse. Son étanchéité a été mise en œuvre en conservant la structure d’origine du mur en pierre, en y emboîtant un nouveau bassin. Nous saluons ici la volonté des responsables de transmettre ce legs aux générations futures. L’aboutissement du jardin andalou a été mis en valeur par l’ajout d’une esplanade pour les représentations artistiques revêtue de kadhel vieilli et de marbre

blanc. Le point focal de cet espace n’est autre que l’ancienne fontaine restaurée pour l’occasion. Notons à juste titre que le baron a porté une attention particulière à la ponctuation des abords du palais par des séquences paysagères. Dans les dédales de son jardin, on oscille de la Perse à l’Andalousie en ayant la mer

en toile de fond. Suite à la réception des travaux, se dessinera un parcours pouvant être pratiqué dans les deux sens et desservi par deux accès. Toutefois, la seule réserve à relever serait le manque d’indications et d’accessibilité à l’ensemble du domaine. Pour ce qui est du palais proprement dit, l’acquisition du maître des lieux n’était autre qu’une simple maison occupant la moitié de l’emprise actuelle. L’implantation du nouvel édifice se voulait être une véritable leçon d’architecture. Il prend possession de la colline avec discrétion en la taillant en deux plateformes successives.








Les terrasses supérieures s’alignent avec le jardin fluidifiant le regard et la promenade pour une réelle retraite spirituelle. La volumétrie du palais est, quant à elle, simple empruntée à la typologie des maisons du village avec des éléments saillants ; des ganarias et des

galeries pour l’ombrage. Ces mêmes ganarias qui ne sont, en réalité, qu’un simple placage sur une façade initialement parée de balcons à l’italienne. Ce parti pris esthétique se mesure par la volonté du baron à respecter l’esprit du site. A notre passage à l’intérieur au moyen d’une entrée en chicane, nous nous apercevons rapidement de la justesse de la désignation première de l’étoile de Vénus. Une effervescence de couleurs et de savoir-faire s’offrent à notre regard. En premier plan, un salon fumoir décoré d’une déclinaison spectaculaire de marbres et de stuc esquissant une luxure et une finesse digne des grands palais. L’objet de

toutes les convoitises est la fontaine linéaire rétroéclairée taillée dans l’albâtre grec, dressant ainsi le cheminement minéral serpentant à travers les espaces. Quoi de mieux que la quintessence de l’eau pour démultiplier cette résonance de beauté dans l’ampleur du vestibule d’accueil en double hauteur. Ce revirement saisissant de situation entre l’extérieur et l’intérieur sonne le glas pour de nouvelles découvertes et trouvailles. A l’étage, nous pénétrons dans le harem du palais avec ses dépendances et son hamam en s’attardant devant les toiles esquissées par le baron et minutieusement préservées par un contrôle d’hydrothermie. Le clou du spectacle est la salle d’exposition des instruments de musique de la collection privée du mélomane qui, comme sa demeure, est soigneusement entretenue pour le plaisir du regard et de l’esprit. Cependant, l’ouverture du palais au public marque aussi sa reconversion d’un usage résidentiel en espace muséal à part entière. Quelques dispositions sont alors à prendre en compte. A des fins de réhabilitation, l’INP a décidé de dissimuler les installations techniques dont les robinets d’incendie armés pour ne pas altérer l’intégrité de l’espace intérieur. Le système initial de chauffage a été remis en marche en l’adaptant aux exigences sécuritaires en vigueur. En somme, le palais d’Ennejma Ezzahra traduit à merveille la sensibilité innée de son commanditaire qui fait partie de ceux qui

pour un coup d’essai réussissent un coup de maître. Nous nous accordons à dire que l’univers de la résidence est tellement personnalisé au goût et au raffinement des propriétaires que nous, visiteurs, nous trouvons imprégnés par un vécu échappant au fil du temps. Ce monument restera à jamais lié au destin de celui qui l’a imaginé, conçu et réalisé. Certes il est classé mais il ne doit nullement être figé dans des considérations exclusivement muséologiques perpétuant ainsi la mémoire du lieu et constituant un vivier d’événements et un fleuron de la culture tunisienne.

Mehdi Ben Temessek










Ennejma Ezzahra, Palais du Baron d'Erlanger Louis Michel Bernard Sidi Bou SaĂŻd



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