La mainmise politique et administrative vietnamienne du cambodge

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LA MAINMISE POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE VIETNAMIENNE DU CAMBODGE Par Siphal MEY Comme le spécifie le titre de mon exposé, je vais me borner seulement à le limiter à la mainmise politico administrative vietnamienne du Cambodge tout de suite après l’invasion-éclair du Cambodge par les forces d’expédition vietnamiennes le 7 janvier 1979. Cet exposé, je l’avoue humblement, s’appuie sur des maigres données que je possède et n’a donc pas la prétention de couvrir en détail un sujet aussi vaste. Que mes auditeurs et lecteurs m’en excusent. La reprise de l’expansionnisme vietnamien La politique expansionniste du Vietnam dont sont victimes successivement le Champa, le Bas-Cambodge connu actuellement sous le nom de Kampuchea Krom et maintenant encore le Laos et le Cambodge n’a connu de répit que pendant la période du colonialisme français sur l’Indochine. Après le départ des Français de celle-ci, le Vietnam, le plus grand et le plus peuplé des deux autres pays de l’ex-Indochine française, s’est tout de suite investi le rôle de remplaçant du pouvoir colonial français sur l’ensemble de cette péninsule indochinoise. Dans la reprise de sa politique expansionniste d’antan, le Vietnam a trouvé un homme tout désigné pour réaliser cette ambition. Il s’agit de Ho Chi Minh qui s’appelait jusqu’en 1943 Nguyen Ai Quoc. Il était membre fondateur du parti communiste français et détenait une position de leadership dans le mouvement du Communisme International (le Comintern) basé à Moscou dans l’ex Union Soviétique1. En cette qualité il a été envoyé par le Comintern pour aider à créer, à l’instar de ce qui se passait dans les pays européens satellites de cette dernière, les partis communistes en Asie du Sud Est, en particulier en Thailande, en Malaisie, à Singapour et notamment au Cambodge et au Laos qui sont les voisins immédiats du Vietnam. Inutile de dire que cette grande mission internationale répond parfaitement aux ambitions expansionnistes qu’il ruminait depuis longtemps pour son pays. Ainsi pour les trois pays de l’Indochine française, le Vietnam, le Cambodge et le Laos, il créa en 1930 le « Parti Communiste Indochinois ». Parmi les 211 membres fondateurs de ce mouvement, on n’y trouve aucun cambodgien ni aucun laotien2. En septembre 1930, Nguyen Ai Quoc déclarait que les membres du PCI sont au nombre de 124 dont 120 Chinois et 4 Annamites. Et ce n’est qu’en 1935 qu’on compte 9 communistes tous d’origine chinoise sur l’ensemble du territoire cambodgien. Ce nombre est porté à 16 en 1938, tous de cette même origine. En 1951, le PCI s’est éclaté en trois mouvements nationaux distincts. Au Vietnam, le PCI s’est mué en « Parti des Travailleurs du Vietnam » et au Cambodge, en « Parti Populaire Révolutionnaire du Cambodge » (PPRC). Mais selon un document Vietminh3 daté du 1er novembre 1951 et capturé par les autorités françaises « le Parti vietnamien se réserve le droit de superviser les activité de ses partis frères au Cambodge et au Laos (…) Plus tard, cependant, si les conditions le permettent, les trois Partis révolutionnaires du Vietnam, du Cambodge et du Laos, pourront s’unir pour former un seul Parti : le Parti de la Fédération Vietnam-KhmerLaos ».La même année, le front khmer couramment appelé le « Front des Khmers Issarak » que commandait le communiste vietnamien Nguyen Van Mieng qui se 1

Michael Benge, Vietnam’s Tay Tién expansion into Laos and Cambodia Stephen J. Morris, Why Vietnam invade Cambodia 3 Le Vietminh est l’abrégé de « Vietnam Doc Lap Dong Minh »(Ligue pour l’indépendance du Vietnam) créée par Nguyen A Quoc en 1941 dans la grotte de Pac Bo, à proximité de la frontière chinoise, Jacques Dalloz, La guerre de l’Indochine, 1945-1954, Editions du Seuil, Février 1987 2


La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ faisait appeler Achar Mien pour tromper la vigilance du peuple khmer ne réunissait, d’après les sources françaises4, que 150 membres khmers contre 1.800 membres vietnamiens. En 1952, selon le Professeur Stephen J. Morris, la cellule du secrétariat du PPRC de Phnom Penh n’était composée que de 34 membres dont 27 Vietnamiens, 3 chinois et seulement 4 Cambodgiens. Après la Conférence de Genève de 1954, lorsque les Vietminhs furent contraints de quitter le territoire cambodgien, ils emmenèrent à Hanoi pour y subir l’endoctrinement politique et l’entraînement militaire entre 4.000 et 5.000 auxiliaires Khmer-Vietminhs. Durant la guerre qui suivit le coup d’Etat de 1970 contre le prince Sihanouk, ceux-ci seront rapatriés pour servir de cadres révolutionnaires khmers au sein du mouvement communiste khmer mais bon nombre d’entre eux périrent entre les mains des ultra nationalistes Khmers Rouges qui se réclamèrent appartenir au Parti Communiste khmer et non au PPRC. Il y a lieu de noter, à cet égard, que vers la fin de la décennie 50, des étudiants communistes khmers rentrant de leurs études en France ont commencé par changer, au cours de leur congré tenu dans un endroit tenu secret à Phnom Penh, le nom du PPRC en « Parti des Travailleurs Khmers » pour être en harmonie avec la branche communiste vietnamienne5 mais en 1966, voulant afficher leur indépendance vis-àvis de Hanoi, ils transformèrent le Parti des Travailleurs Khmers en « Parti Communiste Khmer » avec Saloth Sar, le futur Pol Pot comme Secrétaire Général du Parti. C’est l’année où ce dernier fit son premier voyage en Chine où il fut discrètement reçu par Mao Zedong. L’invasion-éclair du Cambodge par les forces armées vietnamiennes Après la victoire des Khmers Rouges sur la République de Lon Nol le 17 avril 1975 et celle des Nord Vietnamiens et Vietcongs sur la République pro-américaine de Ngyuen Van Thieu le 30 du même mois, les relations entre les deux pays « frères » semblent apparemment se dérouler dans une bonne harmonie jusqu’au 30 avril 1977, date à laquelle les dirigeants khmers rouges décidèrent de lancer des unités de l’Armée du Kampuchea Démocratique à l’attaque des villages et des villes des provinces frontalières vietnamiennes de An Giang et Chaudoc face au Bec de Canard (la pointe de Svay-Rieng) apparemment dans le but de reprendre le Kampuchea Krom. En Décembre 1977, les combats entre les troupes khmères et vietnamiennes prirent plus d’ampleur. Environ 20.000 soldats vietnamiens, appuyés par l’artillerie et l’aviation, attaquèrent la région du Bec de canard et après avoir infligé la défaite aux défenseurs khmers rouges, se retirèrent dès le 6 janvier 1978 dans leur territoire en emmenant avec eux environ 300.000 Cambodgiens, « razziés par l’ennemi » disent les Khmers Rouges, « réfugiés de notre côté », disent les Vietnamiens6. Il semble que du côté khmer les hauts responsables khmers aient mal jugé cette issue, prenant le retrait vietnamien pour une victoire des forces armées khmères. Ainsi au lieu d’entamer des négociations pour mettre fin à la guerre comme leur proposait la partie vietnamienne, ils persistèrent à lancer leurs troupes à l’attaque des localités frontalières vietnamiennes. C’est face à ce raidissement incompréhensible de l’attitude des dirigeants Khmers Rouges que les stratèges vietnamiens décidèrent d’en finir une fois 4

Ben Kiernan, How Pol Pot came to power Stephen J. Morris, Why Vietnam invade Cambodia 6 Le prince Norodom Sihanouk, dans son livre intitulé : Chroniques de guerre et d’espoir, Hachette/Stock, 1979 parle de 150.000 personnes au moins. Voici ce qu’il y écrit à la page 143 : « Ainsi grâce au « Blitskrieg n°1 » des Viets, le futur « gouvernement » de Héng Samrin put, dès janvier 1978, disposer d’un grand nombre d’administrés (150.000 personnes au moins), de cadres (Khmers Rouges mués volontairement en Khmers Vietminhs)… » Cette masse populaire de différentes souches sert de base pour les dirigeants vietnamiens à la création du FUNSK (Front d’Union Nationale pour le Salut du Kampuchea et son Armée Nationale deLibération du Kampuchea. 5

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La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ pour toutes avec leur régime et de le supplanter par un nouveau à sa dévotion. Sur cette triste épisode, le prince Sihanouk, dans son livre intitulé « Chroniques de guerre et d’espoir » publié chez Hachette Stock en 1979, page 114, écrit, je cite : « Le gouvernement Pol Pot a repoussé toutes les propositions de règlement pacifique présentées à plusieurs reprises (en particulier le 5 février 1978) par le gouvernement de Hanoi. Le régime polpotien a refusé obstinément d’utiliser les services de Norodom Sihanouk qui, de l’avis même du gouvernement de la République Populaire de Chine, apparaissait comme étant le seul capable de « mettre les Vietnamiens au pied du mur » et de les acculer au respect des frontières terrestres et maritimes du Kampuchea et de sa souveraineté. »En 1978, sentant venir l’inévitable, le Vietnam, utilisant « le génocide » comme prétexte, entama des démarches diplomatiques auprès de l’ASEAN afin de lui demander le feu vert pour envahir le Cambodge7. L’ASEAN refusa. Le Vietnam s’en moqua, passa outre et publia son livre blanc sur les atrocités khmères rouges dont furent victimes des civils innocents vietnamiens dans la zone de conflit afin de préparer par avance l’opinion publique internationalesur ce qu’il allait faire. Entre-temps, il monta « l’Armée de Libération du Kampuchea » à partir des dissidents khmers rouges venus de la zône Est. Ces précautions terminées, le Vietnam lança dès le 25 décembre 1978 son écrasant armada militaire pour envahir le Cambodge. Le commandement de cette invasion fut confié au général Le Trong Tan, Chef de l’Etat Major Général et au général Le Duc Anh, commandant de la 9ème Région Militaire limitrophe du Cambodge. Le Duc Tho, au nom du Bureau Politique, supervisait toute l’opération ainsi que l’administration du Cambodge qui s’ensuivit8. En l’espace de deux semaines, environ 180.000 hommes, prenant des axes de progression différents, déferlèrent sur le pays et mirent rapidement en déroute l’armée khmère rouge très inférieure en hommes et en équipement et dont le moral était au plus bas en raison des purges et contre purges incessantes au sein de leurs rangs. Arrivées aux abords de Phnom Penh le 7 janvier 1979, les troupes vietnamiennes s’éclipsèrent pour laisser les unités de « l’Armée de Libération du Kampuchea » du FUNSK ( Front d’Union Nationale pour le Salut du Kampuchea)9 prendre Phnom Penh. Dans leur poursuite des débris des forces khmères rouges qui allèrent se réfugier dans la jungle du nord ouest du pays, les unités avancées vietnamiennes stoppèrent leur progression à environ 200 kilomètres de la frontière thaïlandaise afin de marquer leur volonté de respecter la frontière thaïlandaise. La Chine, par solidarité avec les Khmers Rouges et par représailles contre l’invasion du Cambodge par les forces armées vietnamiennes, lança à son tour ses forces d’invasion contre le Nord Vietnam un mois après en février 1979. L’installation de la République Populaire du Kampuchea sur les décombres du Kampuchea Démocratique et des structures politicoadministratives pour assurer la mainmise vietnamienne du Cambodge Dès les premières heures suivant l’occupation du Cambodge, les occupants vietnamiens s’attelèrent sans tarder, sous la supervision de Le Duc Tho à partir d’Hanoi, à mettre en place les structures d’un nouvel Etat à la place du défunt Kampuchea Démocratique. La priorité fut donnée aux anciens Khmer-Vietminhs survivants dont Pen Sovann, Chan Si , Bou Thâng etc. pour faire partie du nouveau 7

KA Golden West Press, Clear and convincing evidence, july 2006 Bui Tin, 1945-1999, Vietnam, la face cachée du régime, Editions Kergour, 1999, PP 198-213 9 Le FUNSK créé en 1977 en présence des leaders vietnamiens dans la région frontalière dispose d’un Conseil Révolutionnaire équivalent à un gouvernement provisoire. C’est en tant que Président de ce conseil que M. Héng Samrin a signé le « Traité de Paix, d’Amitié et de Coopération » du 18 février 1979 avec M. Pham Van Dong, Premier Ministre du Vietnam. 8

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La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ gouvernement sans négliger les Khmers Rouges ralliés et les éléments valables prélevés de la masse des réfugiés qui étaient revenus dans le pays dans les derniers wagons vietnamiens en même temps que le retour de nombreux vietnamiens expulsés en 1970 du Cambodge sous le régime du maréchal Lon Nol et l’arrivée en masse de nouveaux colons vietnamiens à la faveur de la présence vietnamienne au Cambodge. La monnaie fut vite rétablie et le Bouddhisme réhabilité. Le nouvel Etat qui venait d’être créé fut baptisé « République Populaire du Kampuchea » et le nouveau parti communiste reprit son appellation de 1951, le « Parti Populaire Révolutionnaire Cambodgien » (PPRC). Selon Nayana Chanda dont les propos sont rapportés par Roland Marchand, chargé de recherche au CNRS10 le Congré du PPRC de 1979 ne réunit qu’environ 200 personnes et l’existence de ce parti ne sera révélée publiquement que lors de son 4ème congré en 1981. Mais le nombre de ses membres ne cesse d’augmenter d’année en année : 800 en 1980, plus de 7000 en 1985 et environ 30.000 en 1991. Il est à noter en passant que c’est lors du congré de 1985 que les anciens KR affirment leurs influences sur le Comité Central du parti. Et c’est la même année où M. Hun Sèn est devenu Premier Ministre après le limogeage de M. Pèn Sovan et la mort subite de M. Chan Si. Ce fut ce dernier qui signa des circulaires autorisant officiellement la venue en masse au Cambodge des colons vietnamiens et leur installation dans le pays. Il semble que cette venue ait été méticuleusement planifiée d’avance par les autorités vietnamiennes puisque selon l’affirmation de « Indochina reports » que Esmeralda Luciolli rapporte dans son livre « Le mur de Bambou », Le Duc Tho déclarait en 1980 à Hanoï qu’il fallait que le Cambodge compte un Vietnamien pour cinq Khmers à la campagne et un Vietnamien et un Khmer à la ville. Le contrôle du Cambodge se fait à partir de Hanoï par le truchement du « Bureau Central » installé à Phnom Penh et dont la structure rappelle celle du « Bureau Central du Sud Vietnam » et également celle du fameux « Doan 959 » au Laos pour le contrôle du Pathet Lao. C’est le canal par où passent des ordres directs venant de Le Duc Tho à Hanoi. Toutes les structures politiques et administratives sont encadrées par un contingent d’environ 12.000 experts vietnamiens, la plupart venant de l’exSud Vietnam. Selon les témoignages d’Esmeralda Luciolli, dans son livre cité ci-dessus, « l’organisation administrative de la ville va de pair avec un quadrillage serré, en apparence imperceptible. Ce n’est qu’au contact quotidien des Khmers que l’on découvre petit à petit le contrôle permanent qui s’exerce sur leur vie. » L’administration mise en place par les experts vietnamiens au Cambodge repose essentiellement sur des « comités populaires révolutionnaires » qu’ils ont installés partout, dans l’ensemble du pays, depuis la capitale, les villes provinciales, jusqu’aux districts et communes. Ainsi, à Phnom Penh, au sein du Comité Populaire Révolutionnaire, les membres sont choisis par le parti. La ville est divisée en treize quartiers appelés « Sangkat », eux-mêmes, en sections (Khan) et à leur tour en groupes (krom) de dix familles chacun. C’est un système d’îlotage calqué directement sur celui en vigueur au Vietnam du sud. Le groupe constitue la cellule politicoadministrative de base du nouveau régime politique. Son chef est choisi parmi les candidats désignés par le comité populaire révolutionnaire. C’est un système de quadrillage qui permet un contrôle très serré de tout mouvement de personnes à Roland Marchand , De la guerre à la paix ou d’un régime militaire à un régime policier. Nayan Chanda, Brother enemy : the war after the war : a history of Indochina since the fall of Saigon. New York, Coller, 1986 10

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La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ l’intérieur du krom. Des rapports réguliers sont adressés par le chef de groupe à son chef de khan. Grâce à ce système qui a les « yeux d’ananas », rien n’échappe à la vigilance de cette cellule de base. Pour les provinces, les membres du comité provincial sont choisis par les instances du parti à Phnom Penh qui leur donnent des ordres. Au niveau du district les membres du comité au nombre de sept sont désignés par le comité provincial. Ces derniers s’occupent respectivement des affaires politiques, de l’armée, de la police, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé et de l’économie. Tous les membres du Comité Populaire Révolutionnaire sont choisis selon des critères politiques et soumis à l’approbation finale des experts vietnamiens présents à tous niveaux des collectivités nationales. Les comités révolutionnaires locaux sont soumis à une double supervision de l’administration centrale de Phnom Penh et des experts vietnamiens, lesquels choisissent de rester toujours en retrait en présence des étrangers, certainement pour accréditer l’idée de l’existence d’une véritable administration khmère. En fait, les experts vietnamiens sont omniprésents dans le pays, de même que les militaires grâce auxquels ils tiennent une grande partie de leur pouvoir. « Du ministre au chef de commune, tous les officiels khmers doivent en référer à leurs homologues vietnamiens qui, dans l’ombre, détiennent la réalité du pouvoir et prennent toutes les décisions. La marge de liberté des ministres est si réduite que même leurs résidences privées sont gardées par des militaires vietnamiens (…). Des milliers d’«experts» vietnamiens dirigeaient ainsi le Parti, le Gouvernement, l’armée, la police, la justice et les organisations de masse nouvellement créés, ainsi que les provinces et le reste des collectivités locales subordonnées jusqu’au moindre village. Les Khmers étaient obligés d’apprendre le vietnamien pour pouvoir comprendre les ordres et les enseignements des nouveaux maîtres. Quant à la gestion du pays et du personnel khmer, le système politico administratif mis en place au Cambodge s’effectue selon le principe d’une « complète décentralisation » entre l’Administration centrale et les collectivités nationales, avec, en outre, une large « autonomie » pour chaque Ministère gouvernemental et pour chaque province. Ainsi, l’Administration centrale n’avait pratiquement plus de services provinciaux sous sa responsabilité. Le Premier ministre n’avait pas d’ordre à donner à l’armée ou à la police ; les provinces pouvaient décider de leur sort avec les « experts » vietnamiens locaux sans s’en référer aux directives du Ministre de l’Intérieur, etc. C’est de la « coopération fraternelle Vietnam-Cambodge à tous les niveaux (…) Le système de décentralisation vietnamienne s’est ainsi renforcé jusqu’à maintenant, au point que MM. Hun Sén et Sok An en soient arrivé à constituer leur « micro Gouvernement » - au siège du Conseil des Ministres - avec leur propre armée, leur propre police et leurs propres « autorités », au sein même de leur Gouvernement royal. D’autre part, les gouverneurs de province représentent toujours le Parti, bien plus que le Gouvernement (…) Ils peuvent toujours négocier directement avec les Vietnamiens pour les implantations sociales ou économiques de ces derniers dans leur province respective, ou décider des mesures de sécurité et des questions « techniques » dans les poses des bornes de frontière entre le Vietnam et le Cambodge. Les cas exemplaires viennent des provinces frontalières de l’est dont celles incluses dans le «Triangle du développement indochinois», où les soldats vietnamiens procèdent aussi à des recherches minières, à des déforestations, à la mise en place de leurs plantations d’hévéa, à la matérialisation des bornes frontalières, etc.(…) La continuité du système est, naturellement, assurée, par la « coopération fraternelle » c’est-à-dire « la prise en charge » vietnamienne en matière de sécurité et de défense du Cambodge»11. Selon Esmeralda Luciolli, 11

(Extraits de : Le Poids et Les Mensonges du 7 Janvier 1979, Communiqué du CFC du 06 janvier 2008) 5


La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ l’encadrement de la population et des cadres est constant et permanent : des journées d’endoctrinement, de l’éducation politique, des séances d’autocritique, de dénonciation etc. comme ce qui se passait dans les autres pays staliniens d’Europe. A la campagne, les habitants sont contrôlés par « les groupes de solidarité » tout comme sous le régime des Khmers Rouges sauf qu’ici le contrôle apparaît relativement moins extrême. Certains responsables khmers rouges qui ont rallié le nouveau régime se sont même vus reconduire dans leurs précédentes fonctions au sein de la nouvelle administration, dans différents échelons de celle-ci. Les Cambodgiens, discrètement, disent : « On est passé d’un mal à l’autre »12. Dès 1979, dans le but officiel de « faciliter l’entraide et le commerce » entre les deux pays mais beaucoup plus pour exploiter les richesses du pays au profit du Vietnam, les occupants vietnamiens ont décidé d’instaurer le jumelage de toutes les provinces du Cambodge avec celles de ce dernier13. Par exemple, la province de Battambang considéré comme « le grenier du riz du Cambodge » est jumelé avec la province vietnamienne de Quang Nang, province la plus peuplée et la plus pauvre du Vietnam qui ne fournit en échange du riz de la province khmère de Battambang que du ciment de mauvaise qualité et des bicyclettes. Il en est de même de la province khmère de Siemreap qui doit fournir d’importantes aides alimentaires à la province jumelle vietnamienne de Bin Thi Thien qui ne trouve mieux pour lui offrir en échange que d’envoyer des ouvriers vietnamiens qui sont de trop dans leur pays pour venir travailler à l’usine de saumure de Siemreap. Ceux-ci bénéficient de conditions de vie meilleures puisque le niveau de vie au Cambodge est supérieur à celui du Vietnam14. Toutes les ressources naturelles et les produits agricoles dont dispose le Cambodge (poisson, riz, hévéa, bois) notamment sont ainsi ramassés et envoyés au Vietnam qui les exporte vers d’autres pays, lesquels lui paient en devises alors que ces produits sont payés aux agriculteurs khmers en dongs vietnamiens dont le taux d’échange contre le riel khmer tout récemment mis en circulation leur est plus favorable. On est bien en présence ni plus ni moins d’une « économie de type colonial »15. En ce qui concerne le jumelage de Phnom Penh et de Ho Chi Minh ville, celui-ci s’étend même jusqu’aux arrondissements, selon l’accord signé le 11 janvier 2007 entre le Maire de Phnom Penh et celui de Ho Chi Minh ville16 Le Cambodge survivra-t-il à la politique hégémonique régionale du Vietnam ? La signature du « Traité de Paix, d’Amitié et de Coopération » du 18 Février 1979 est le point de départ de toutes les difficultés que le Cambodge connaît en ce moment tant en ce qui concerne son indépendance, sa souveraineté qu’en ce qui regarde son intégrité territoriale. La même situation, le Laos l’avait connue deux ans auparavant quand il fut contraint en 1977 de signer le traité de même nature avec le Vietnam. Signalons en passant qu’à l’heure actuelle le nombre des immigrés vietnamiens est 12

Entretien avec Esmeralda Luciolli, 06-05-2007 Esmeralda Luciolli, Les mur de Bambou, Le Cambodge après Pol Pot, Editions Régine Desforges, page 101. La liste des jumelages est la suivante : Phnom Penh-Ho Chi Minh Ville, Battambang-Quang Nam-Danang, Kampot-Kien Giang, Kandal-Ben Tre, Koh Kong-Minh Hai, Kompong Cham-Tay Ninh, Kompong ChhnangHan Giang, Kompong Som-Haïphong, Kompong Speu-Cuu Long, Kompong Thom-Dong Nai, Kratié-Song Bé, Mondulkiri-Dac Lac, Preah Vihear-Thuan Hai, Prey Veng-Deng Thap, Pursat-Tien Giang, Ratanakiri-Nghia Binh-Gia Lai-Kong Tum, Siemreap-Bienh Tri Thien, Stung Trèng-Phu Khanh, Svay Rieng-Long An, Takèo-An Giang. 14 Idem, page 102 15 Idem, page 102 16 Coopération entre Ho Ci Minh Ville et Phnom Penh, AVI du 11-01-2007 13

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La mainmise politique et administrative vietnamienne du Cambodge ___________________________________________________________________________ majoritaire dans ce pays et que le Laos est devenu ipso facto une province vietnamienne.17 Depuis le 7 janvier 1979 jusqu’à maintenant, les structures politico-administratives établies par les occupants vietnamiens au Cambodge restent toujours en vigueur en dépit de la mission historique de l’APRONUC dans ce pays en 1993 et malgré les maigres percées obtenues dans ce domaine par les forces de l’opposition. A présent, derrière le vernis démocratique dont se pare le régime au pouvoir, les structures communistes d’antan et d’inspiration vietnamienne se sont même renforcées légalement à l’issue des élections générales, communales et municipales qui ont eu lieu successivement jusqu’ici. Partant du groupe de 10 familles en 1979, le PPC a réussi maintenant à visser encore davantage son contrôle sur la population en ramenant cette cellule de base à 3 familles ou trois maisons lors de la dernière élection générale en 2008. Dans le cadre de ce renforcement de la mainmise du CPP sur la population, il est intéressant de noter le rôle qu’y jouent d’une part les associations vietnamiennes qui sont opérationnelles dans toutes les provinces et municipalités du royaume et d’autre part le Front de Solidarité pour le Développement de la Patrie du Cambodge (FSDPC), reflet du Front de la Patrie du Vietnam (VFF ou Vietnam Fatherland Front). Sous l’impulsion de ce dernier, le front khmer a réussi à étendre son organisation dans les 24 provinces et municipalités du pays en l’espace seulement d’un an. La coopération est extrêmement étroite entre les deux organisations de masse que constituent ces deux fronts. Ceux-ci sont établis en parallèle avec les structures communistes en vigueur dans les deux pays et contribuent avec les associations vietnamiennes à renforcer encore davantage la mainmise politico administrative vietnamienne du Cambodge concurremment avec les éléments vietnamiens déguisés en khmers qui occupent des postes importants au sein des différentes institutions nationales, dans l’armée et les forces de sécurité notamment et qui orientent la politique du pays de derrière les rideaux. La politique expansionniste vietnamienne, commencée au 10ème siècle, au sortir du Vietnam de la domination de plus de dix siècles de la Chine, a permis jusqu’ici à ce pays de multiplier quasiment par trois la superficie de son territoire. La marche vers le sud, le (Nam Tiên) ayant atteint la pointe de Camau à l’extrême sud de la péninsule indochinoise, le Vietnam oblique maintenant sa progression vers l’ouest (Tay Tiên) et se prépare même à poursuivre sa marche au-delà du Cambodge et du Laos qu’il tient maintenant très solidement vers d’autres pays d’Asie du Sud Est dont la Thailande, la Malaisie et Singapour. L’heure est extrêmement grave pour le Cambodge et le Laos qui ne semblent pour le moment disposer de moyens adéquats pour sortir de cette extrêmement périlleuse situation. Réussiront-ils d’éviter d’être les victimes de la politique hégémonique régionale du Vietnam et d’éventuelles confrontations d’intérêts stratégiques régionaux des grandes puissances régionales et mondiales? Dimanche 3 janvier 2010

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Michael Benge, Vietnam’s Tay Tiên expansion into Laos and Cambodia. Extraits:”Although Ho Chi Minh is dead, the repressive ad genocidal regime in Hanoi continues to implement Ho’s 1930 Indochnese Communist Party’s strategy by neo-colonizing Laos and Cambodia, a strategy reaffirmed in successive Vietnamese Communist party congresses. Today, the Vietnamese communists gave extended their hegemony over Laos and Cambodia and have de facto annexed Laos, which in many ways is now a province of Nord Vietnam…”

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