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11.08.22

Oui, Mr Zheng, étonnez-nous ! Réjouissez-vous, il est encore temps de s’étonner ! La chose est aussi rare qu’un instant de grâce. On se surprend même à avoir envie de dire merci et on s’entend le faire. L’invité du château pour l’été, Mengzhi Zheng est un artiste déjà assis sur une certaine notoriété. Il a exposé un peu partout, a participé à de grands projets publics tels l’œuvre monumentale de la tour ERDF à la Défense à Paris et au toitterrasse du parking des Halles à Lyon. L’homme, moins jeune qu’il n’en a l’air, aussi français que chinois, plus doué à contrarier les repaires qu’à chercher à plaire, est capable d’affirmer avec aplomb que « le présent est horizontal […] que le ciel a autant d’importance qu’il n’en a pas […] que confiné, il s’est bien amusé […] » que les formes portent en elles une force, qu’il est en son pouvoir d’aplatir le ciel.

La poétique du non

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Mengzhi Zheng entretient un flirt passionnel avec l’architecture, l’approche, l’attouche, tourne autour et alentours pour mieux la troubler. Il affectionne toutes sortes de non-habitations : celles dont on serait incapable de dire si elles sont habitées ou non (photos des Kuca, maisons bosniaques), celles offrant aux vents, violents ou caressant, leur émouvante fragilité, (« Maquettes abandonnées » et « Cabachons » « Frêles esquifs ») celles design, urbaines et colorées des vertus d’Amsterdam, celles inachevées au blanc carcéral, marquant l’inquiétude du vide (« Les Inhabitats »).

Couché/collé sur le papier, l’art de Mengzhi Zheng apparait non-objectif mais le discours de l’artiste écarte ce qualificatif : les formes géométriques des triptyques correspondent à « une vue d’en haut » et sont bien issues du concret. Néanmoins, disposés sur un fond blanc ces carrés, rectangles, cercles, triangles et croix qui se touchent, se superposent ou s’ignorent, convoquent le grand Malevitch et le suprématisme.

L’intuition spatiale

Le vaste espace d’exposition du château de Tournon offre cinq pièces aux affectations, fonctionnements et typologies fort différents autant de contraintes avec lesquelles les artistes doivent composer. Lors de sa première visite Mengzhi Zheng se soumet. Imprégnation, impression, intuition… « le jeu des contraintes que m’impose les conditions extérieures ou que je m’impose […] déterminent une réflexion et amorcent le travail ». Cette intuition spatiale, l’artiste l’accueille en pleine confiance depuis toujours, elle est à la source de son intention : transcrire des espaces, trouver les possibles circulations, transposer des dualités extérieur/ intérieur, équilibre/ bancal, fini/non fini, bienfait/mal-fait, pli/dépli, plat/ volume, va/vient. « Même si je suis un protocole, je me laisse guider, c’est un peu comme un geste automatique. […] Les idées viennent et je me laisse aller à l’expérimentation des matériaux » dit-il.

La juste échelle

Le visiteur est impliqué, voire « immergé ». Sa perception des catégories spatio-temporelles sont mises à l’épreuve dès la première salle avec « Pli/Dépli », œuvre minimaliste entre sculpture et installation « où le public peut se promener, traverser l’espace architectural ».

Tour beauregard, « Les Inhabitats », sont portés à hauteur d’yeux pour une confrontation voulue frontale. Les pans manquants, des structures répondent-ils au partiel vide mental des internés, la hampe couchée sur le faîte des toits est-elle une menace ? Les murs-guillotines inquiètent, comme le blanc clinique… « c’est la pièce la plus froide, et c’est tant mieux ! », commente l’artiste, heureux de cette dimension supplémentaire offerte à l’œuvre.

A l’étage, la transparence du toit de l’installation « Dessus-Dessous » sollicite une mise à distance, il faut lever la tête et tendre le cou : l’œuvre, tableau éphémère, apparait à la faveur de la lumière.

Ce sont les chutes de la pièce maîtresse. Celle qui se trouve au-dessus de la première salle : cette époustouflante peinture-paysage, ce clin d’œil à la perspective chinoise shanshui. Sculpturale, monumentale, originale, découpée, colorée, l’installation est saisissante. Le mental se projette, l’œil fait le reste.

Œuvre conçue in situ et réalisée pour le lieu, « Aplatir le ciel » donne à l’exposition, son nom et au visiteur, sa plus grande émotion.

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