5 minute read

PRESSE Le Monde 01.09.2022

Next Article
Conversation

Conversation

Philippe Dagen

JTT Tain-Tournon 11.08.22

Advertisement

HÉLÈNE DE MONTGOLFIER

Dans l’Ardèche, Mengzhi Zheng dévoile ses anti-architectures. Divers travaux sont exposés : constructions allant de la maquette à l’installation monumentale in situ, collages, eaux-fortes et sérigraphies

Exposition inattendue dans un lieu inattendu : Mengzhi Zheng, qui est né à Ruian (Chine) en 1983, mais vit en France depuis 2000*, prend possession de plusieurs salles du château de Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Celui-ci, commencé au XIVe siècle en style forteresse, fut par la suite modifié pour plus de légèreté et des fenêtres ouvertes dans ses murailles au XVIe siècle. Si l’on précise ces points d’architecture, c’est parce que celle-ci est le sujet principal des travaux de Mengzhi Zheng et que ceux qu’il présente dans les tours et les salles répondent aux espaces qui les reçoivent. Ce sont des constructions, dont les dimensions vont de la maquette à l’installation monumentale in situ, et des suites de collages, eaux-fortes et sérigraphies qui entrent en résonance avec elles.

Sens de la dérision

Conformément aux habitudes de l’architecture, elles sont déterminées par la géométrie, les lignes parallèles, les angles droits, la symétrie et admettent parfois le cercle et la courbe. Le carton, le polycarbonate et le bois en sont les matériaux. Ainsi sont matérialisés les plans et les structures de ces constructions. Mais ce qui apparaît d’abord, avant même de savoir qu’une série se nomme « Inhabitats » et une autre « Maquettes abandonnées », c’est que ces propositions ne sauraient être raisonnablement réalisées, car elles sont inutilisables d’un point de vue pratique.

Les « édifices » de Mengzhi Zheng, si tant est que ce mot convienne ici, sont tantôt absurdement incomplets, tantôt beaucoup trop fragiles, tantôt encore impénétrables. Ce qui serait une charpente s’interrompt à l’improviste et ce qui serait une poutre faîtière s’avance dans le vide, inutile. Les surfaces qui seraient des toits et des murs ne se rejoignent pas ou manquent et le regard passe à travers un spectre de maison comme il passerait à travers une ruine.

Ou, à l’inverse, on se heurte à des volumes compacts et hermétiques : de beaux modèles de blockhaus, qui seraient séduisants s’il ne s’agissait de fortifications destinées à tuer.

Ces sculptures-assemblages-constructions ne peuvent être regardées sans y attacher des références et des récits. Pour les bunkers, c’est immédiat : les guerres, de la première guerre mondiale à aujourd’hui. Pour les plus frêles montages de chutes de planchettes et de débris, c’est tout aussi immédiat : les bidonvilles, les favelas et les camps de réfugiés, partout dans le monde, accumulent de telles cabanes de récupérations, improvisées et insalubres. Les maquettes les plus propres, par leur blancheur et leur netteté, font, quant à elles, penser aux publicités qui cherchent à vendre des habitations standardisées pour villes nouvelles et au film Le Couple témoin dans lequel, en 1977, William Klein parodiait déjà cette industrie.

Les architectures de Mengzhi Zheng sont donc des anti-architectures, comme l’était aussi la New Babylon utopique dont le situationniste Constant bricolait les entrelacs dans les années 1960. L’artiste s’inscrit ainsi à son tour dans cette histoire artistique et politique, à sa manière, sobre et froide, fondée sur un sens très développé de la dérision et de la frustration.

Cette dernière est à son comble dans l’installation la plus immense de l’exposition, qui occupe une grande salle haute et profonde. Elle est, quand on la découvre, très attirante : des poutres aux longueurs et aux angles variés se croisent et soutiennent des cloisons découpées et percées. Tout cela peint dans les couleurs les plus chatoyantes – rouge, rose, jaune, vert vifs. Mais il est impossible d’aller plus loin que le seuil, car ces éléments sont disposés de telle sorte que l’on ne peut circuler entre eux. L’éden est interdit.

*depuis 1991

Oui, Mr Zheng, étonnez-nous !

Réjouissez-vous, il est encore temps de s’étonner ! La chose est aussi rare qu’un instant de grâce. On se surprend même à avoir envie de dire merci et on s’entend le faire. L’invité du château pour l’été, Mengzhi Zheng est un artiste déjà assis sur une certaine notoriété. Il a exposé un peu partout, a participé à de grands projets publics tels l’œuvre monumentale de la tour ERDF à la Défense à Paris et au toitterrasse du parking des Halles à Lyon. L’homme, moins jeune qu’il n’en a l’air, aussi français que chinois, plus doué à contrarier les repaires qu’à chercher à plaire, est capable d’affirmer avec aplomb que « le présent est horizontal […] que le ciel a autant d’importance qu’il n’en a pas […] que confiné, il s’est bien amusé […] » que les formes portent en elles une force, qu’il est en son pouvoir d’aplatir le ciel.

La poétique du non

Mengzhi Zheng entretient un flirt passionnel avec l’architecture, l’approche, l’attouche, tourne autour et alentours pour mieux la troubler. Il affectionne toutes sortes de non-habitations : celles dont on serait incapable de dire si elles sont habitées ou non (photos des Kuca, maisons bosniaques), celles offrant aux vents, violents ou caressant, leur émouvante fragilité, (« Maquettes abandonnées » et « Cabachons » « Frêles esquifs ») celles design, urbaines et colorées des vertus d’Amsterdam, celles inachevées au blanc carcéral, marquant l’inquiétude du vide (« Les Inhabitats »).

Couché/collé sur le papier, l’art de Mengzhi Zheng apparait non-objectif mais le discours de l’artiste écarte ce qualificatif : les formes géométriques des triptyques correspondent à « une vue d’en haut » et sont bien issues du concret. Néanmoins, disposés sur un fond blanc ces carrés, rectangles, cercles, triangles et croix qui se touchent, se superposent ou s’ignorent, convoquent le grand Malevitch et le suprématisme.

L’intuition spatiale

Le vaste espace d’exposition du château de Tournon offre cinq pièces aux affectations, fonctionnements et typologies fort différents autant de contraintes avec lesquelles les artistes doivent composer. Lors de sa première visite Mengzhi Zheng se soumet. Imprégnation, impression, intuition… « le jeu des contraintes que m’impose les conditions extérieures ou que je m’impose […] déterminent une réflexion et amorcent le travail ». Cette intuition spatiale, l’artiste l’accueille en pleine confiance depuis toujours, elle est à la source de son intention : transcrire des espaces, trouver les possibles circulations, transposer des dualités extérieur/ intérieur, équilibre/ bancal, fini/non fini, bienfait/mal-fait, pli/dépli, plat/ volume, va/vient. « Même si je suis un protocole, je me laisse guider, c’est un peu comme un geste automatique. […] Les idées viennent et je me laisse aller à l’expérimentation des matériaux » dit-il.

La juste échelle

Le visiteur est impliqué, voire « immergé ». Sa perception des catégories spatio-temporelles sont mises à l’épreuve dès la première salle avec « Pli/Dépli », œuvre minimaliste entre sculpture et installation « où le public peut se promener, traverser l’espace architectural ».

Tour beauregard, « Les Inhabitats », sont portés à hauteur d’yeux pour une confrontation voulue frontale. Les pans manquants, des structures répondent-ils au partiel vide mental des internés, la hampe couchée sur le faîte des toits est-elle une menace ? Les murs-guillotines inquiètent, comme le blanc clinique… « c’est la pièce la plus froide, et c’est tant mieux ! », commente l’artiste, heureux de cette dimension supplémentaire offerte à l’œuvre.

A l’étage, la transparence du toit de l’installation « Dessus-Dessous » sollicite une mise à distance, il faut lever la tête et tendre le cou : l’œuvre, tableau éphémère, apparait à la faveur de la lumière.

Ce sont les chutes de la pièce maîtresse. Celle qui se trouve au-dessus de la première salle : cette époustouflante peinture-paysage, ce clin d’œil à la perspective chinoise shanshui. Sculpturale, monumentale, originale, découpée, colorée, l’installation est saisissante. Le mental se projette, l’œil fait le reste.

Œuvre conçue in situ et réalisée pour le lieu, « Aplatir le ciel » donne à l’exposition, son nom et au visiteur, sa plus grande émotion.

This article is from: