#1 Revue du ComitĂŠ scientifique
IdĂŠes &
Territoires Centre de ressources politique de la ville Bretagne Pays de la Loire 2, rue Meuris - 44100 NANTES / Tel : 02 40 58 02 03 resovilles@resovilles.com - www.resovilles.com
Sommaire Croissances urbaines et défis ruraux : quelles synergies pour le développement territorial dans l’Ouest ?. . . . . . . . . . . . . . . . 4 Des indicateurs de bien-être pour révéler les ressources des habitants et permettre leur expression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Vers une politique de jeunesse intégrée : l’exemple de la place des jeunes femmes à Lorient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Une nouvelle logique d’empowerment : quelles significations politiques, pour quelle(s) appropriation(s) collective(s) ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Y a-t-il un « modèle » coopératives éphémères dans les quartiers politique de la ville ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 S’engager dans une démarche participative, Archipel Habitat, Office Public pour l’Habitat de Rennes Métropole, face à de nouveaux besoins. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Recherche-Action « L’action publique de proximité face aux évolutions sociales et culturelles dans le quartier du Blosne à Rennes » . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Communiquer auprès des habitants des quartiers prioritaires : pour une approche consacrée aux « nœuds sémantiques ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
© Photo couv. : Rennes Métropole / D. Gouray
Édito RésO Villes accompagne les collectivités, l’État et l’ensemble des acteurs publics et privés qui interviennent dans le champ de la politique de la ville en Bretagne et Pays de la Loire. Son action consiste à capitaliser les bonnes pratiques, contribuer à la qualification des acteurs et animer des réseaux interprofessionnels. La revue Idées & Territoires complète les outils proposés par RésO Villes. Support de diffusion des connaissances, elle contribue à rapprocher les milieux universitaires et la société civile dans une perspective d’utilité sociale. Ce premier numéro regroupe ainsi huit articles abordant des questions urbaines et sociales. Si l’origine professionnelle des auteurs est diverse, leurs écrits interrogent tous la place et le rôle des habitants issus de territoires différents : c’est un fil rouge qui peut orienter leur lecture et les mettre en résonance. Christian Pihet ouvre la revue en portant un regard sur la compréhension de l’évolution des territoires comme lieux de vie, comme résultats ou conditions de projets de vie. Il regarde l’évolution des territoires ruraux au travers des modes de vie de leurs habitants, de la relation d’appartenance qui les lient et questionne le tissage du lien social. La prise en compte de la qualité de vie des habitants pour l’élaboration des politiques publiques est ensuite questionnée par Isabelle de Boismenu. Comment se mesure le bien-être ? Pourquoi mesurer le bien-être ? S’agit-t-il d’un moteur à la mobilisation des habitants ? Cette question fait écho à l’analyse de Vincent Souquet qui interroge plus spécifiquement le rôle et la place des locataires d’habitats sociaux. Leur implication dans la gestion et la transformation de leur habitat fait-elle sens pour eux ? Là encore se pose la question de ce qui motive cet encouragement de la participation : s’agit-il de contribuer à une forme de paix sociale, de tendre vers un bien-être plus partagé via un sentiment d’appartenance plus important ? En questionnant la mise en place de politiques transversales de jeunesse adaptées aux territoires politique de la ville, Eric Le Grand et Hervé Quentel reconnaissent la valeur des jeunes dans la contribution à l’élaboration de ces politiques aux côtés des élus et des opérateurs. Avec l’exemple des coopératives éphémères, nouvelles formes d’entreprenariats collectifs, Alice Poisson et Sandrine Rospabé évaluent les premières expérimentations comme leviers socio économiques, moteur de dynamique de réseau d’acteurs et facteurs d’empowerment pour des jeunes adultes. Développer le pouvoir d’agir des habitants semble être au cœur de nombreux projets politiques et orienter l’évolution des pratiques professionnelles. C’est cette nouvelle logique d’empowerment qu’interroge Yves Marie Le Ber pour mieux comprendre l’exercice de la démocratie participative. Enfin, Albin Wagner pose un préalable essentiel à la participation des habitants : la mise en place d’un langage commun qui nécessite un travail de déconstruction des représentations pour construire un sens partagé. Le sens partagé, c’est aussi ce qui est défendu dans la recherche action présentée par Chafik Hbila, autour de la prise en compte des évolutions sociales et culturelles d’un territoire de vie pour transformer l’action publique. Les réflexions regroupées dans ce premier numéro se croisent pour nourrir nos réflexions autour de la place et du rôle des habitants dans la construction des politiques publiques et nous invitent à questionner ou requestionner le sens de cette participation, premier pas dans la réduction des inégalités sociales et le renforcement du lien social. Karinne GUILLOUX-LAFONT, Directrice de projet à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes
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Croissances urbaines et défis ruraux : quelles synergies pour le développement territorial dans l’Ouest ? Christian Pihet est professeur de géographie à l’Université d’Angers et chercheur à l’UMR du CNRS Espaces et sociétés.
Résumé Dans l’Ouest de la France, les relations entre des villes moyennement dynamiques et un monde rural abondant et structuré de façon traditionnelle ont longtemps été ténues et peu consistantes. Avec les transformations de la fin du vingtième siècle, les campagnes sont largement passées sous influence urbaine. Cependant la revitalisation sociale et économique du tissu rural, partiellement en cours, constitue la condition d’un développement régional équilibré.
Christian Pihet
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u recensement de 1962, la « grande région » de l’Ouest, Bretagne, Basse Normandie et Pays de la Loire, telle que l’entendait le géographe rennais Pierre Flatrès, comptait un peu plus de 6 millions d’habitants. La singularité de cet ensemble était liée à la relative uniformité de la répartition de la population avec une proportion majoritaire de population rurale. Le constat était alors celui de la tension démographique et de la surpopulation, notamment rurale. Aujourd’hui, l’ensemble dépasse les 9 millions d’habitants avec plus des deux tiers résidant dans les aires urbaines. De plus celles-ci se sont considérablement étendues dans l’espace rural à partir des villes et le long des axes majeurs de communication. Dès lors, au fil du temps, s’opère une transformation des rapports économiques, sociaux et politiques au bénéfice des entités urbaines. Elles concentrent les emplois et les entreprises, notamment les plus performantes. Sur le plan de la direction des territoires, la domination des notables ruraux s’estompe, progressivement remplacée par celle des élus urbains. La décentralisation, particulièrement la création des régions, accentue ce mouvement. A titre d’exemple, en Pays de la Loire, les quatre premiers présidents du conseil régional – Olivier Guichard, François Fillon, Jean-Luc Harousseau et Jacques Auxiette – sont issus des villes. Dans un contexte économique qui met l’accent sur l’avantage des villes, les territoires ruraux sont considérés au mieux comme périphériques et en marge et le plus souvent comme des fournisseurs de réserves d’espaces. Et pourtant, la pauvreté et la marginalité font aussi partie des caractéristiques de cette expansion urbaine dans l’Ouest comme ailleurs. A contrario il a été aussi question de « renaissance rurale » (Kayser) dans les années 1990. L’analyse distanciée et scientifique se doit donc de concilier à la fois la vulnérabilité des zones rurales et les dynamiques et mutations émergentes. Une condition paradoxale
Les couronnes périurbaines constituent la portion la plus attractive de l’espace rural et suscitent, à ce titre, d’innombrables questions sur le changement social.
mais qui se retrouve fréquemment dans nos territoires ruraux. C’est l’objet du présent texte orienté sur le potentiel de développement global que représente déjà une meilleure articulation entre les villes et les campagnes. Une articulation qu’il conviendrait évidemment d’améliorer.
Des ruralités sous influence urbaine
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ux limites géologiques et climatiques qui fondaient en partie la spécificité de l’Ouest il était fréquemment ajouté des arguments relatifs à la préservation de structures rurales originales, une faible représentation de la vie urbaine et industrielle et l’isolement régional enfin. Pour autant, à quels héritages et quelles filiations sur la longue durée renvoie cette spécificité de campagnes fracturées culturellement et politiquement depuis la Révolution (PauNormandie reste un espace en marge du rayonnement parisien, la Bretagne et les Pays de la Loire enregistrent des taux de croissance démographique et aussi économique supérieurs à la moyenne nationale. De fait les transformations socio-économiques des dernières décennies ont contribué à façonner des différenciations majeures au sein de ces campagnes. Par exemple le plan routier breton ou encore les opérations de décentralisation industrielle conduites avec l’aide de l’Etat par le biais de la DATAR ont joué un rôle important dans ces transformations du monde rural en ouvrant des perspectives d’emploi et de promotion sociale aux habitants des bourgs et des hameaux. Le désenclavement social a suivi faisant apparaître de nouvelles catégories professionnelles dans des sociétés demeurées souvent figées. L’exode rural s’est tari dans les années 1960 et autour des centres urbains, l’exode urbain a revivifié et transformé les villages. Aujourd’hui, c’est-à-dire à la fin de l’exode, l’Ouest rural accueille environ 3 millions d’habitants. Les proportions varient considérablement selon les départements. Au recensement de 2013 la Mayenne comptait 51 % de résidents en aire rurale alors que la Loire Atlantique et l’Ille-
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et-Vilaine en dénombrent moins de 20 %. Toutefois, la proportion en Bretagne et en Pays de la Loire demeure supérieure à la moyenne nationale (20,7 %).
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es aires se décomposent sommairement en quatre types d’espaces distincts, mais qui sont tous des espaces caractérisés par le changement et les mobilités. Le premier est l’espace périurbain, à la périphérie presque immédiate des grandes villes. Les taux de croissance démographique y sont les plus élevés, principalement du fait de soldes migratoires positifs. Certaines classes supérieures viennent y chercher un certain agrément, tandis que les ménages plus pauvres peuvent y trouver des logements à un coût plus modéré. Le deuxième est le rural en voie de périurbanisation. Ce sont notamment les zones sous influence des métropoles nantaise et rennaise. Ces espaces sont jeunes, actifs et très dynamiques sur le plan démographique. Ils font l’objet de conflits d’usage très forts entre les populations souches (rurales) et les nouveaux arrivants aux modes de vie urbains. Dans certaines des communes appartenant à ces espaces, plus aucun élu n’est issu du milieu agricole. Le troisième espace est le rural intermédiaire structuré autour de pôles urbains. En général, les chefs-lieux d’arrondissement sont en forte croissance, au détriment des petites communes environnantes dont la population est plus ou moins vieillissante. Dans ces trois catégories d’espace rural, la fonction résidentielle est devenue dominante. Enfin, il reste l’espace rural jadis défini comme « profond » à distance des voies de communication et des chefs-lieux de canton comme des pans de la Bretagne centrale ou des confins entre la Mayenne et l’Orne. Les densités sont faibles et l’activité agro-pastorale qui y demeure est fondée sur l’extensivité. Cependant l’observation nous amène à mettre en évidence le rôle des dynamiques urbaines et métropolitaines dans cette typologie. Il en découle cependant dans les trois premiers types un panachage progressif mais indéniable des territoires et des habitants. Au cours de décennies marquées par l’industrialisation, la « révolution agricole » nourrie par des investissements provenant des politiques publiques d’aménagement, notamment européennes, la tertiarisation des économies et des réponses bien différenciées à l’isolement géographique, des dynamiques se sont affirmées : si la Basse-Normandie reste un espace en marge du rayonnement parisien, la Bretagne et les Pays de la Loire enregistrent des taux de croissance démographique et aussi économique supérieurs à la moyenne nationale.
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Quant aux territoires ruraux éloignés des métropoles qui semblaient condamnés au déclin attirent de nouveaux résidents. Ils enregistrent une progression rapide des emplois et du revenu qui « dessinent une autre géographie du développement rural » (Talandier, 2011), et ne sont donc pas à exclure des « campagnes vivantes » étudiées dans ses travaux par le géographe nantais Jean Renard. L’attractivité résidentielle des espaces de l’Ouest n’est pas récente. Celle qui est liée au littoral, engagée depuis le Second Empire, reste une réalité bien tangible pour les espaces ruraux côtiers. Néanmoins si des espaces ruraux intérieurs perdent encore des habitants, d’autres au contraire attirent de nouvelles populations. Cette attractivité conduit à d’importants brassages de populations qui sont à éclairer selon deux entrées : - l’arrivée de populations urbaines reléguées (« les captifs » du périurbain », Rougé, 2007) qui impose de revenir sur les questions de l’isolement, du suicide, de la pauvreté rurale (Séchet, 1996 ; Bonerandi, 2010). - celle de populations plus ou moins aisées qui s’approprient des aménités environnementales et paysagères conduisant à l’exclusion des « natifs », selon le modèle urbain de la gentrification (Kayser, 1990, Richard 2009).
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ans cet ensemble la nature et l’importance des migrations de populations âgées est une question cruciale pour les campagnes : les flux de jeunes retraités Franciliens modifient essentiellement la composition par âge des régions Le mouvement n’est pas récent mais son interprétation s’est considérablement complexifiée : entre les discours les plus pessimistes sur le vieillissement considéré comme un handicap socio-économique et les travaux qui en ont cerné les impacts positifs sur la culture et les territoires, la présence et l’arrivée de populations âgées dans les espaces ruraux interrogent le « vivre ensemble » et les politiques publiques (habitat, santé) : « Savoir si les jeunes retraités s’installent durablement ou pas dans la campagne bretonne est essentiel pour anticiper le vieillissement futur de cet espace » (INSEE, 2008).
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i les enjeux des processus migratoires vers des espaces ruraux choisis pour leurs aménités ou leurs services sont multiples, ceux qui concernent les espaces périurbains sont les plus stimulants, au point que les zones rurales éloignées des agglomérations ou restées à l’écart des grands axes de circulation sont trop peu étudiées par les chercheurs. L’implantation périurbaine, largement décriée parce qu’elles seraient contreproductive pour la durabilité écologique (mobilités contraintes, consommation d’énergie), est en fait ambivalente (Vanier, 2008). Les couronnes périurbaines constituent la portion la plus attractive de l’espace rural et suscitent, à ce titre, d’innombrables
questions sur le changement social. Si le processus est généralisé, il est loin de produire des espaces homogènes directement transposés des modèles urbains (Rivière 2009). Il existe en effet grâce à ces transferts des marges d’autonomie et des dynamiques endogènes qui tendent à construire progressivement des territoires certes de plus en plus connectés aux villes et à leurs stratégies mais aussi partenaires de la croissance urbaine plutôt qu’étroitement dépendants.
Ruptures, nouvelles fonctions et innovation : vers une nouvelle ruralité ?
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a recomposition de ces espaces ruraux s’est jouée autour de ruptures intervenues à partir des années 1960 mais dont les prémices remontent bien avant, débutant avec la reconstruction du pays après guerre. Les analyses conduites par les chercheurs (B. Hervieu et Viard, 1996, 2001) mettent en lumière six ruptures. La première concerne l’effacement du monde agricole, devenu minoritaire, y compris dans l’espace rural de l’Ouest. Il représentait 50 % de la population en 1950, il représente aujourd’hui autour de 5 à 10 %. Ce recul conduit à une confrontation entre une logique productive et une vision résidentielle ; il s’accompagne de nombreux conflits d’usage. La deuxième rupture est liée à la modernisation de l’agriculture et l’amélioration de la productivité agricole. Le rôle nourricier de l’espace rural français s’est considérablement amoindri dans l’esprit des populations : les spectres de la famine se sont éloignés, l’alimentation représente moins de 10 % du budget des ménages et nous vivons dans une société d’abondance et d’insouciance par rapport à la question de la ressource alimentaire. La troisième rupture naît de la revendication de mobilité et d’autonomie partagée par tous les individus, qu’ils soient résidents, ruraux ou agriculteurs. Les sociétés rurales sont passées de paradigmes patrimoniaux enracinés à des paradigmes fondés sur la mobilité. La quatrième rupture concerne le changement radical du rapport à la terre, du rapport au sol. Le monde agricole a effectué une révolution dont il n’avait pas mesuré les conséquences. Les nombreuses formules juridiques
(groupement foncier agricole, SCI, société civile d’exploitation agricole, etc.) conçues pour préserver la propriété foncière et assurer la transmission des exploitations, ont engendré trois types de conséquences : d’abord, la séparation entre le capital exploité et la famille, au point que des agriculteurs sont à la tête d’exploitations plus en tant que salariés que propriétaires ; ensuite, le passage d’une vision collective du sol comme patrimoine privé à celle d’un sol devenu outil de travail, voire outil financier, pour les uns, espaces touristiques, ludiques ou environnementaux pour les autres ; enfin, la découverte de l’extraordinaire mobilité de la géographie agricole, avec les naissances et les délocalisations de bassins agricoles autorisées par la dérégulation des marchés et la diminution des coûts de transport, comme en témoignent, notamment, les productions porcines et viticoles. La cinquième rupture est celle du rapport au travail. C’est dans l’espace rural que l’on rencontre les catégories sociales les plus précaires : un tiers des ouvriers, en général les moins qualifiés et les plus fragiles, vivent dans les communes rurales. Pour ces populations, les difficultés, et, surtout, le coût du déplacement entre le lieu de résidence et le travail multiplient les risques de précarisation. Enfin, la dernière rupture est liée au basculement du mode de représentation de la nature. L’urbanité est le support de courants d’aspiration profonde à une nature « naturelle », dans le prolongement des espaces résidentiels, opposée à une nature productive et domestiquée. Le statut de l’animal depuis cinquante ans illustre parfaitement cette transformation : à l’après-guerre, disparition de l’animal sauvage (auquel on oppose l’animal domestique) et émergence de l’animal de rente ; dans les années 1970, c’est l’apparition de l’animal de compagnie qui devient, en 2000, l’animal thérapeutique. Il en découle des formes nouvelles d’utilisation et donc de transformation de ces espaces. L’observation permet de distinguer quatre grands domaines.
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out d’abord les paysages ruraux ont été bouleversés. L’étalement urbain, la périurbanisation, l’arrivée de populations dans des campagnes plus isolées, l’urbanisation des littoraux ont façonné des types d’environnement construit qui se sont agrégés ou substitués aux formes historiquement constituées. Les environnements construits et habités sont en pleine effervescence. Aux formes emblématiques du village et du hameau, puis du lotissement et de la maison individuelle, s’ajoutent ponctuellement celles des complexes de loisirs et de tourisme. L’évolution des formes bâties dans les villages met en tension la diffusion des démarches urbanistiques et architecturales des villes et des démarches spécifiques. Inadapté aux évolutions économiques et techniques de la production agricole, le bâti
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hérité traditionnel est devenu un élément patrimonial, objet de convoitise pour la résidence principale ou secondaire de groupes sociaux en quête de distinction (Richard, 2009). Parallèlement, le bâti agricole neuf, qui, dans l’Ouest, l’emporte encore sur les autres types de construction neuve (Madeline, 2006), a évolué avec les formes de production agricole (notamment les ouvrages destinés au stockage : hangars, silos, chais, etc.) et les obligations sanitaires et environnementales (bâtiments pour les animaux). Ces dynamiques se sont accompagnées d’une artificialisation accrue des espaces ruraux et de la transposition de modèles paysagers urbains (dont la haie, qu’elle soit de résineux ou d’arbustes à fleur). L’art et la littérature apportent des éclairages tout à fait pertinents sur la négation des paysages des campagnes : le paysage a été plus conforme à ce qu’attendent les spectateurs qu’à ce que propose l’observation.
L’étalement urbain, la périurbanisation, l’arrivée de populations dans des campagnes plus isolées, l’urbanisation des littoraux ont façonné des types d’environnement construit qui se sont agrégés ou substitués aux formes historiquement constituées.
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es espaces ruraux actuels ont aussi une fonction de réserve ; ils sont convoités pour la poursuite de l’étalement urbain. Dans le même temps, ils sont perçus comme des réserves de biodiversité et de nature. Les espaces destinés à l’exercice des activités agricoles jouissent donc d’une protection juridique spécifique tendant à leur préservation, grâce notamment aux documents d’urbanisme. Les campagnes des franges urbaines, des littoraux et des espaces sous pression touristique saisonnière sont des cas extrêmes dans lesquels l’enjeu de maintien des
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activités productives nécessite des politiques volontaristes et concertées de gestion de l’espace. Par leurs évolutions, les activités agricoles elles-mêmes peuvent être une menace pour la préservation de la terre agricole : la possibilité pour les agriculteurs de se diversifier en créant des gîtes ruraux ou des magasins pour la vente sur place des produits de l’exploitation, ou en produisant de l’énergie entre en conflit avec l’objectif de réserver la terre aux activités strictement agricoles. Or ces activités de diversification sont indispensables à la survie des exploitations. Les contours exacts des activités agricoles et les frontières avec les activités commerciales ou artisanales sont souvent flous. L’objectif de préservation des ressources est prôné à tous les échelons politiques, de la commune aux Nations Unies. Il reste que sa mise en œuvre relève des pouvoirs locaux qui doivent arbitrer entre l’expression des intérêts économiques, celle des autres usagers et usages (loisirs en milieu rural par exemple) et la prise en compte des milieux, qui est encadrée par le droit de l’environnement. En France, la protection des ressources est de manière générale pensée avec l’idée d’une ouverture au public et aux activités économiques (à l’exception des zones centrales des parcs nationaux). Dans les espaces ruraux ordinaires, les contraintes liées à la protection de l’environnement et de la biodiversité (trames vertes et bleues) sont plus ou moins conciliables avec le maintien d’activités agricoles.
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es territoires ruraux deviennent des « jardins d’Eden » par le biais des arrivées de « néo-ruraux ». Les ménages concernés justifient souvent leur mobilité résidentielle des villes vers les campagnes par un besoin de sécurité et la recherche du bien-être au contact de la nature. Le tourisme diffus et la résidence secondaire en milieu rural sont d’autres traductions de ce désir de campagne. Devant le prétendu constat d’une atomisation de la vie citadine, la campagne apparaît comme un ailleurs fantasmé, c’est-à-dire un refuge où l’individu peut mener sa quête de sens : celle du lien social préservé dont témoigne l’affluence touristique aux marchés ruraux par exemple, celle aussi de « la pureté originelle » que l’on croit pouvoir trouver dans les espaces désormais protégés, tels de véritables paradis terrestres où « chaque mauvaise herbe est un trésor » ! Au quotidien, elle s’exprime dans les effets de l’évolution des pratiques alimentaires qui, par l’essor des circuits courts de commercialisation, renforce les liens entre producteurs et consommateurs. L’analyse des formes de labellisations permet, elle aussi, d’interroger l’espace rural sous l’angle de la demande de nature. Cela concerne notamment les labellisations portées par des politiques publiques spécifiques liées à la prise en compte des paysages, y compris sonores, et les balisages d’itinéraires de randonnée qui permettent de faire accéder tout un chacun à une campagne naturalisée. Cela concerne aussi l’ensauvagement de certains milieux, que ce soit par
Devant le prétendu constat d’une atomisation de la vie citadine, la campagne apparaît comme un ailleurs fantasmé, c’està-dire un refuge où l’individu peut mener sa quête de sens. l’évolution des formes de gestion (le retour à l’écoulement libre des eaux dans les vallées – Barraud, 2009), le retour massif des ongulés tels les chevreuils. L’analyse des conflits d’usages et celle des conflits de voisinage qui opposent les usagers d’un même espace se référant à des systèmes de représentations différents permet de faire le lien entre attractivité des espaces ruraux et désir d’une nature ensauvagée (Pihet 2016). La question patrimoniale est alors au centre de la démarche : le patrimoine naturel sans doute, le patrimoine matériel aussi, mais surtout le patrimoine intangible trop souvent considéré comme émanant d’« ancêtres » pour le coup mythifiés : ceux qui savaient bâtir les talus et entretenir le bocage aujourd’hui mis à mal, ceux qui connaissaient la valeur des plantes médicinales aujourd’hui dédaignées, ceux qui, finalement, étaient écologistes sans même le savoir. Des pistes de recherche s’ouvrent alors qui interrogent de nouvelles logiques sociales désormais à l’œuvre : par exemple par la volonté affichée dans les démarches alternatives de mixer savoirs vernaculaires et savoirs savants pour aboutir à de nouveaux référentiels techniques «souples «; par exemple les propositions offertes d’un vivre autrement à l’écoute de la nature (des yourtes, des cabanes dans les arbres, tout près des oiseaux!), dans le respect de rituels « ancestraux » (cf. les troioù et troménies – Simon, 2009).
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nfin, dans les espaces en décroissance, également qualifiés d’hyper-ruraux (Depraz 2016) on assiste ponctuellement à des entreprises alternatives innovantes. L’idée est que ces espaces constituent un cadre disposant d’un potentiel de ressources et d’une liberté de manœuvre étendue pour les acteurs. Ces initiatives sont encouragées par les politiques publiques et les programmes LEADER il peut s’agir de développement de l’agriculture biologique, de ceintures vertes, d’élevages à forte valeur ajoutée comme ceux des autruches ou des bisons. Les densités rurales encore fortes dans l’Ouest limitent ces créations de « laboratoires » alors qu’elles sont rencontrées et analysées dans la France du « vide » comme l’Ardèche (Rouvière, 2015).
A la recherche d’un développement rural inclusif
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es relations entre les villes et les campagnes, dans l’Ouest comme ailleurs, ont longtemps été caractérisées par des oppositions sociales, politiques et culturelles. Dans les meilleurs des cas, il s’est agi d’indifférence réciproque. Chacun menait sa « vie », à la différence près que les villes bénéficiaient largement de la rente foncière en raison de la présence d’un certain nombre de propriétaires du sol en ville. Après la Seconde Guerre mondiale, deux facteurs ont modifié cette situation. D’une part l’accent mis sur l’aménagement du territoire (Gravier, 1947) et la création de la DATAR ont permis de prendre clairement conscience des risques de désertification des territoires ruraux. D’autre part l’intégration européenne s’est concrétisée par la mise en place progressive d’une « politique agricole commune » (PAC) dotée de moyens. Cette dernière a largement contribué à la « Révolution agricole » qui a accéléré la transformation de l’agriculture en une filière compétitive voire spéculative à l’échelle européenne. Depuis les années 1990, l’Europe via les programmes Leader et la France par l’intermédiaire des pôles d’excellence rurale (PER) ont largement investi dans les territoires ruraux (Margetic, Pihet 2013). Des appels à projets ont été diffusés portant sur les enjeux fondamentaux du développement rural comme la compétitivité et la spécialisation des productions agricoles, l’offre de services et le désenclavement des communes rurales. Le niveau national a développé des actions spécifiques exprimées par les Assises de la ruralité en 2014 ainsi qu’un suivi national des mesures envisagées pour la vitalisation du monde rural.
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ais l’approche territoriale la plus directe et la plus rapide s’est effectuée au niveau régional et infrarégional en s’appuyant sur les nouvelles structures issues de la décentralisation. C’est ainsi que les « pays » et les intercommunalités sont devenus le cadre principal des actions de développement en lieu et place de la planification nationale. Dans les Pays de la Loire, 18 programmes Leader et 32 PER associent des regroupements d’acteurs ruraux publics et privés ciblés sur des projets différenciés (Margetic, Pihet, 2013). Il s’agit de la création de services comme les maisons des services publics, les maisons de santé, l’accueil des nouvelles populations et la formation professionnelle des jeunes ruraux…En matière de développement écono-
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mique les projets mettent l’accent sur la spécialisation des productions à l’instar du roseau en Brière et de plus en plus sur le développement durable comme les nouvelles filières émergentes (bois-énergie, recyclage des déchets). Le tourisme rural est aussi devenu un enjeu majeur dans plusieurs territoires tels la Bretagne centrale, les Alpes mancelles, les vignobles. Les soutiens européens et nationaux se concrétisent par la multiplication des hébergements (chambres d’hôtes) et des animations culturelles et de loisirs (Puy du Fou en Vendée, festival de Sablé, festival des Vieilles Charrues à Carhaix). L’essor du numérique accélère le désenclavement rural. La plupart des départements des deux régions ont créé des plans de diffusion du haut débit pour tous leurs territoires ; ces derniers ouvrent la voie à des activités – télétravail, télémédecine par exemple – qui intègreront encore plus fortement le tissu rural aux centres urbains et aux autres régions.
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es politiques sont porteuses de solidarités et supposent des niveaux décisionnels et financiers, notamment autour de l’ingénierie territoriale, qui ne correspondent plus au cadre éclaté des très nombreuses communes rurales. C’est dans ce contexte que les nouveaux dispositifs législatifs, la loi NOTRe par exemple, organisent des territoires d’action plus vastes. Le renforcement des intercommunalités et les « communes nouvelles » vont dans ce sens. La mutualisation des moyens et des services qu’elles supposent doivent permettre la durabilité de ces initiatives et la fourniture des nouveaux besoins exprimés par les habitants, comme le développement des services de proximité pour le vieillissement à domicile, les écoles, la maintenance des équipements transférés par la décentralisation. De plus, elles encouragent les coopérations territoriales, ce qui peut déboucher sur des partenariats avec les agglomérations urbaines. Ainsi la commune nouvelle (et rurale) de Loire-Authion va rejoindre en 2018 la communauté urbaine d’Angers. Des travaux en commun sont déjà envisagés notamment pour la mise en place d’un projet alimentaire territorial (PAT). Néanmoins les inégalités territoriales sont encore prégnantes et bien des campagnes en Sarthe, Mayenne et en Bretagne centrale demeurent périphériques et se sentent déconnectées des opportunités offertes par les dynamiques urbaines et métropolitaines. Dès lors, l’intervention publique, que ce soit celle de l’Etat ou celle des collectivités locales dont les pouvoirs ont été renforcés par la décentralisation s’avère indispensable. A cet égard, et à l’instar de la nouvelle région du Grand Est, la région des Pays de la Loire a initié à partir de 2016 un
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programme intégré appelé « Pacte pour la ruralité ». Ce pacte s’appuie sur le « réseau rural » régional. Ce réseau est une instance de réflexion et d’animation à échelle européenne et issu de la PAC dont il constitue un outil. Le pacte comprend 37 mesures en faveur du renforcement de l’équilibre territorial dans la région. Le point de départ du pacte est le constat par le Conseil régional de la persistance d’une fracture entre des territoires confrontés à de nombreux défis (enclavement, inégalités d’accès aux nouvelles technologies, etc.).Ce programme comprend huit objectifs et s’appuie sur les compétences de la Région, ainsi que sur plusieurs de ses politiques sectorielles. Le pacte vise notamment les objectifs suivants : - développer un meilleur accès communication et de transports ;
aux
réseaux
de
- protéger et développer l’emploi et les services dans les espaces ruraux ; - garantir l’accès à la formation ; - protéger l’environnement et le patrimoine ; - renforcer les solidarités, l’écoute et l’accompagnement des élus locaux. Elaboré entre avril et juin 2016 en concertation avec près de 1 000 élus locaux, les chambres consulaires, des associations et après consultation des citoyens via un questionnaire, le pacte veut « s’inscrire dans le temps long » et sera complété et développé si de nouveaux besoins émergent. Le Réseau rural régional sera le relai de proximité de la Région pour « faire vivre » et « faire évoluer le document », ainsi que pour « veiller à l’application sur le terrain des mesures du pacte », selon le texte du document. Il est prématuré en 2017 de tirer un premier bilan de ce pacte. Toutefois plus d’une vingtaine de collectivités – communes, EPCI – ont manifesté leur intérêt et se sont engagées dans la démarche contractuelle du pacte avec des objectifs ciblés sur leurs priorités comme l’école ou la santé.
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n conclusion de cette synthèse on peut considérer que des efforts considérables ont été réalisés pour ne pas laisser se maintenir les fractures territoriales et sociales entre les univers urbain et rural et que l’Ouest de la France en a été largement bénéficiaire. Le XXème siècle a ouvert une page radicalement nouvelle pour les campagnes françaises, et le tournant qui se profile au début du XXIème siècle introduit de nouveaux enjeux. Tout d’abord, dans le domaine de la gestion des espaces ruraux. Il est clair que la fonction résidentielle, sans intégration d’un projet agricole, ne pourra pas prendre en
charge cette gestion. Il faut se battre contre l’effacement des territoires agricoles et contre leur subordination aux opportunités immobilières. Le débat sur la multifonctionnalité de l’agriculture n’est pas encore épuisé. Les acteurs publics doivent veiller à la réduction des inégalités territoriales à l’intérieur du monde rural. Les pactes pour la ruralité (Grand Est, Pays de la Loire) représentent un outil majeur pour cette veille et les actions qui en résultent. Ensuite, la ruralité résidentielle pose la question du lien social et de l’appartenance citoyenne des individus (qu’ils soient anglais, comme en Bretagne ou dans le nord des Pays de la Loire, ou résidents périurbains). La citoyenneté ne peut pas être seulement réservée à la stabilité. Enfin il sera nécessaire de clarifier pour tous, urbains, périurbains et ruraux, la relation culturelle entretenue avec une nature devenue instrument de production.
BIBLIOGRAPHIE Barraud R, « Vers un « tiers-paysage » ? Géographie paysagère des fonds de vallées sud-armoricaines. Thèse, 2007 Bois P, Paysans de l’ouest, thèse Paris, 1960 Bonerandi E, et Boulineau E, La pauvreté en Europe, Armand Colin, 2014 Depraz S, La France des marges, A. Colin, 2016 Flatrès P, Géographie rurale de quatre contrées celtiques : Irlande, Galles, Cornwall, Man, Thèse, 1955 Gravier J-F, Paris et le désert français, Le Portulan, 1947 Hervieux B et Viard J, Au bonheur des campagnes, Editions de l’Aube, 1996 et 2001 Hervieux B et Viard J, L’archipel paysan, la fin de la République agricole, Editions de l’Aube, 1996 et 2001 Kayser B, La Renaissance rurale, sociologie des campagnes du monde occidental, Armand Colin, 1990 Madeline P, L’évolution du bâti agricole en France métropolitaine : un indice des mutations agricoles et rurales. Dans L’Information géographique 2006/3 (Vol. 70). Margetic C, Miser sur les campagnes, Atlas des Pays de la Loire (dir C. Pihet) Editions Autrement, 2013 Pihet C, Le sauvage dans la ville : retours ou mutations, in Sophie Lambert-Wiber, L’animal et le pouvoir, Presses Universitaires de Rennes, 2016.
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Des indicateurs de bien-être pour révéler les ressources des habitants et permettre leur expression Architecte-Urbaniste et sociologue, Isabelle de Boismenu a passé de nombreuses années dans la coopération internationale avec un fort enracinement sur les terrains des quartiers populaires dans les grandes villes du Sud. Elle a rejoint l’Audiar en 2001, en tant que Directrice d’étude habitat et Société.
Résumé Sur la base d’un état des lieux des indicateurs de richesse, cet article propose, un canevas opérationnel pour la construction d’un tel dispositif décliné sous cinq aspects ayant trait à l’objectif ou aux modalités de la démarche. Cette proposition est précédée d’une analyse succincte des raisons qui expliquent la multiplication d’indicateurs alternatifs au niveau des collectivités locales.
Isabelle de Boismenu
R
ennes Métropole a initié une réflexion sur les indicateurs de bien-être en 2015, dans le champ de la cohésion sociale, dans le cadre de la politique de la ville, la participation des habitants étant l’un des axes majeurs souhaités par la loi Lamy. Celle-ci a rencontré d’autres attentes, à l’échelle métropolitaine, en particulier en matière de suivi et d’évaluation et du projet de refonte du Baro’Métropole1. En 2016, le travail demandé à l’Audiar portait sur un état des lieux destiné à faire émerger des expériences inspirantes pour une adaptation au contexte local2. C’est dans cette perspective opérationnelle qu’a été organisée la démarche pour repérer les grandes étapes de la construction d’un indicateurs de bien-être, moins dans l’idée de préconisations à suivre que de repères pour guider les choix à faire3. Avant de présenter ce canevas opérationnel, il paraît important de resituer le contexte d’une telle réflexion sur les indicateurs de bien-être et les enjeux qui s’y rapportent pour les collectivités locales.
1 Outil statistique mis en œuvre en 2009 permettant de visualiser l’évolution du territoire métropolitain à travers plus de 160 indicateurs 2 Parmi ces expériences, la plus aboutie que nous ayons eu à connaître est celle de Grenoble à travers l’IBEST (Indicateur de Bien Etre soutenable Territorialisé). Nous nous sommes fortement inspirés de cette démarche et tenons à remercier spécialement Grenoble-Alpes-Métropole pour son accueil et les conseils dont nous avons bénéficié. La Région Pays de Loire a aussi beaucoup travaillé cette question à travers une « rechercheaction pilote » pour la définition d’indicateurs globaux et alternatifs. Dans le cadre de l’évaluation du contrat de ville, le Conseil de développement de Saint-Nazaire s’est également impliqué dans une démarche portant sur les indicateurs de bien-être. 3 Cf. AUDIAR. Indicateurs de bien-être. Etat des lieux. Décembre 2016.
L’idée d’un bien-être collectif, d’un « vivre ensemble », d’une qualité de vie, englobant un ensemble de ressources territoriales semble de nature à favoriser la mobilisation des habitants en les rendant acteur dans l’élaboration d’une vision partagée.
Un contexte porteur
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a France a été très présente dans cette réflexion sur les nouveaux indicateurs de prospérité, non seulement à travers des travaux de recherche publiés dès le début des années 20004 mais aussi par la mise en place de la commission Stiglitz en 2009. Cette initiative gouvernementale a donné lieu à douze recommandations marquant un tournant dans la prise en compte de la question, elle a positionné la France en pays précurseur même si ce n’est qu’en 2015 qu’a été publié la loi Sas5 créant une mesure de la richesse adaptée au 21ème siècle, en l’étendant au-delà du simple Produit Intérieur Brut (PIB). En amont de la réflexion nationale, de nombreuses démarches locales visant à apprécier le développement de leur territoire et le bien-être de leurs habitants à partir d’indicateurs « alternatifs » ont vu le jour. La multiplication de ces initiatives n’est pas fortuite, elle s’explique au contraire par des raisons précises qui tiennent en grande partie à l’évolution du paysage d’intervention des collectivités locales : trois grands défis, susceptibles d’être regardés aussi comme des opportunités. Crise de la croissance et émergence de la qualité de la vie comme enjeu d’attractivité. Dans un contexte de globalisation et de transformation des systèmes productifs, les territoires et en particulier les métropoles, sont de plus en plus en concurrence entre elles pour attirer des capitaux, des entreprises, des emplois et des habitants. Cependant, la conscience que l’on ne renouera pas avec une croissance forte et durable est largement 4 Dominique Méda, Qu’est-ce que la richesse ? (éd. Aubier). 1999 5 Députée (EELV) députée de la 7ème Circonscription de l’Essonne de 2012 à 2017, rapporteur de cette loi à l’assemblée.
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partagée. Aussi, la qualité de vie a-t-elle pris une nouvelle dimension, elle constitue aujourd’hui un facteur essentiel de l’attractivité territoriale. Il est donc devenu nécessaire de réfléchir autrement pour mieux comprendre les ressorts complexes du ressenti de bien-être dans la vie quotidienne des métropolitains et le mesurer à travers des indicateurs appropriés pour valoriser les singularités territoriales qui varient d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre et parfois même d’un quartier à l’autre. « La croissance est devenue au fil du temps un objectif en soi, sans qu’on en apprécie réellement les effets en termes de bien-être actuel et futur […] Introduire de nouveaux indicateurs, c’est adopter d’autres lunettes pour juger des effets des politiques économiques et budgétaires, et, au-delà, de l’ensemble de l’action publique ». (E. Sas). Crise démocratique et nécessité de repenser l’action publique avec les habitants. La perte de crédit des systèmes de représentativité et des mandats électifs ou la défiance des citoyens vis-à-vis des politiques, des experts et même des médias obligent les collectivités à repenser la question de la fabrique de l’action publique. Ainsi, la plupart des villes et des métropoles ont mis à l’agenda politique la question de la participation citoyenne pour mieux répondre aux attentes des habitants et fabriquer des politiques publiques plus adaptées, plus efficaces, plus innovantes et mieux comprises. Dès lors, l’idée d’un bienêtre collectif, d’un « vivre ensemble », d’une qualité de vie, englobant un ensemble de ressources territoriales semble de nature à favoriser la mobilisation des habitants en les rendant acteur dans l’élaboration d’une vision partagée. Crise de la durabilité écologique et sociale et montée en première ligne des métropoles. Face aux mutations économiques, sociales et environnementales auxquelles doit faire face collectivement la société, les métropoles paraissent particulièrement bien positionnées pour relever ces défis et soutenir une culture de la sobriété partagée. En effet, les collectivités territoriales s’avèrent les vecteurs par excellence du bien-être et de la soutenabilité car la plupart des facteurs qui influent sur la vie quotidienne des habitants sont déterminées localement. Elles peuvent également agir sur la mise en mouvement des énergies locales en favorisant les initiatives concrètes. Cette capacité de mobilisation sociale passe par « l’art d’organiser les débat pour construire une solution » mais aussi par la « construction de représentations communes »6. Une approche en termes de bien-être et la construction d’indicateurs pour le mesurer peuvent précisément servir à identifier ce qui fait la cohérence d’un territoire. 6 Pierre Calame. Le territoire brique de base de la gouvernance du futur. 2002. Presses universitaires François Rabelais.
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La proposition d’un canevas opérationnel
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es grandes étapes de la construction d’un indicateur de bien-être recouvrent des aspects d’ordre très différents, de sens ou de valeurs, de rigueur statistiques ou de cibles de communication. Pour fournir les éléments de réflexion, utiles aux promoteurs de la démarche sur le territoire de Rennes Métropole, chacun de ces questionnements a fait l’objet d’un travail de repérage parmi les expériences existantes à partir duquel a pu être présenté l’état du consensus en la matière pour tirer parti des acquis et des marges de manœuvre qui restent ouvertes pour mieux s’adapter aux enjeux locaux.
Quels objectifs se fixer au niveau local ? La première question à se poser a trait à l’usage auquel est destiné l’indicateur de bien-être. Autrement dit, « Pour quoi » ou « pour quels usages » le construire. Les différentes fonctions qui peuvent leur être assignées peuvent schématiquement être réparties en trois catégories sans qu’elles ne soient exclusives les unes des autres : Une fonction de « balise » pour informer ou alerter sur certaines situations. Dans la mesure où ces indicateurs présentent une synthèse facilement lisible d’un phénomène complexe, ils constituent un outillage idéal pour communiquer de façon simple des statistiques et des données qui échappaient à la compréhension d’une part importante de la population. Ils rendent compte d’une manière de lire la réalité en proposant un mode de représentation susceptible de participer au « dire et faire société ». Une fonction de « boussole » pour l’observation et l’évaluation de politiques publiques. Ce rôle est plus largement l’esprit dans lequel les indicateurs de bien-être se sont développés, pour fournir des informations utiles et affiner les connaissances sur certains aspects de la réalité. De plus, l’éclairage nouveau jeté sur des dimensions de la prospérité jusque-là négligées dans le champ de la mesure peut orienter les décideurs publics vers des leviers de développement propres au contexte local. Une fonction de « gouvernail » pour dessiner le chemin à parcourir et aller vers une situation socialement et écologiquement soutenable. Ces indicateurs peuvent en
effet favoriser la prise en compte du temps long et constituer un « référentiel » pour les politiques publiques en fixant un cap d’amélioration à atteindre. Cependant, il faut reconnaître que ce rôle d’outils de transformation sociale est moins courant parmi les expériences examinées.
Avec qui et comment mesurer ?
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ans le processus de construction des indicateurs de bien-être, le recours aux démarches participatives semble une condition nécessaire pour créer une dynamique de réflexion et d’action. Centrer l’attention sur le citoyen constitue également un levier pour nourrir l’imaginaire des acteurs, révéler des ressources de mobilisation et promouvoir des changements de comportements. Un large consensus existe sur le fait que « la participation de la société et la délibération politique sont indispensables pour dire et sélectionner les fins que l’on vise et pondérer les critères d’évaluation qui leur correspondent »1. En effet, il semble difficile de limiter cette réflexion à un cercle d’experts car s’il y a bien un domaine où les citoyens ont leur mot à dire c’est celui du bien-être. Mais ce principe de participation citoyenne n’épuise toutefois pas le sujet car ces démarches peuvent se décliner de diverses manières selon les choix méthodologiques qui seront faits. Les citoyens peuvent être associés à différentes étapes dans le processus de quantification d’indicateurs. De même, l’intensité de la participation peut être modulée en termes de nombres de citoyens mobilisés ou de degré d’implication. Il peut aussi être fait appel à des modalités très diverses pour le « recrutement » du public (appel à volontaire ou recours à un tirage aléatoire mobilisation de structures existantes, démarchage auprès de certaines institutions scolaires, étudiants, personnes âgées, personnes en précarité …).
Qu’est-ce qui compte vraiment pour les citoyens ? Il s’agit de savoir sur quels aspects doit porter l’appréciation du bien-être. Autrement dit « quoi » mesurer ou quelles dimensions prendre en compte et comment les combiner pour construire un tel indicateur. L’approche du bien-être qui met l’accent sur la situation vécue des personnes est par nature transversal, ce qui implique une appréhen1
FAIR 2008 Forum pour d’autres indicateurs de richesse
Il s’agit de savoir sur quels aspects doit porter l’appréciation du bien-être. Autrement dit « quoi » mesurer ou quelles dimensions prendre en compte et comment les combiner pour construire un tel indicateur. sion conjointe des différentes dimensions économique, environnementale ou humaine. Mais il s’agit également de penser les synergies entre elles. La conception proposée par la commission Stiglitz reposant, en creux, sur les limites du PIB et ce qu’il ne mesure pas peut en fournir le modèle : Le bien-être présent rendant compte de richesses non-monétaires que nos instruments de mesure n’appréhendent pas correctement. Le bien-être de tous car les personnes ne sont pas des entités indépendantes, leurs relations sont constitutives de leur épanouissement et même de leur identité qui n’existe pas en dehors d’elles. Le bien-être de demain pour les générations futures en portant attention à la dégradation de notre patrimoine commun entendu au sens large, non seulement naturel mais aussi social (relations humaines, et liens de confiance, valeurs communes...).
Quelles données pour mesurer le bien-être local ?
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esurer le bien-être est une mission complexe et il n’est pas question de compter tout « ce qui compte ». Cela suppose au contraire une capacité à sélectionner ou créer les variables qui pourront être associées aux dimensions retenues. Trois types de données doivent être mobilisés : Des « déterminants objectifs », c’est-à-dire des aspects quantifiables de la qualité de vie propre au territoire. Aussi, il s’agira d’identifier et de sélectionner les variables les plus à même de renseigner l’ensemble des dimensions retenues en faisant un tour d’horizon des données existantes. Des données qualitatives et subjectives afin de repérer les richesses des territoires et non plus exclusivement« cequinevapas»(tauxdechômage,RSA). Il s’agit
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d’initier une réflexion et un débat pour identifier les éléments importants de la qualité de vie sur lesquels repose le bienêtre des habitants. Ces données « sensibles » ou les représentations individuelles que les habitants ont de leur territoire sont souvent « manquantes », ces dimensions sont généralement les parents pauvres de la mesure. Il s’agira alors de les créer à travers des enquêtes ad hoc, elles pourront ainsi éclairer les politiques publiques et participer à l’émergence de nouveaux leviers d’action. Le passage de l’individuel au collectif est enfin nécessaire, ce dernier n’étant pas réductible à une somme de bien-être individuels. Le terme de « bien commun » est utilisé pour désigner la construction d’un bien propre à une communauté qui ne se confond pas avec celui de chaque individu et n’en est en aucune manière une négation mais bien au contraire son prolongement naturel, voire sa condition. L’approche par les « capabilities » qui est au cœur des réflexions d’Amartya Sen, l’un des promoteurs des indicateurs de bien-être, est elle-même au croisement entre besoins fondamentaux et aspirations individuelles dont la réalisation dépend de l’environnement ou du « commun » propre à chaque territoire. Il est donc nécessaire de penser et d’opérationnaliser le passage de l’individu au collectif. Cela peut se faire à travers diverses méthodes parmi lesquelles on peut citer la démarche SPIRAL2.
Quelle forme finale donner à cet indicateur ? L’étape finale consiste à condenser l’information pour présenter le résultat sous une forme qui corresponde à la visée poursuivie et au public auquel il est destiné. En effet, un indicateur n’est pas une donnée en soi mais une lecture possible de la réalité, « ce que nous voulons regarder ». Parmi les formes que peut prendre la présentation des résultats, certaines sont connues et largement utilisées déjà, d’autres sont plus originales : Un tableau de bord dont la présentation est organisé par dimensions. Ce mode de présentation analytique ou sectoriel peut être utile au niveau de l’action publique pour examiner quelle est la chance des personnes de se réaliser, ou pas, sur chacun des plans considérés. Un indicateur composite qui rassemble toutes les dimensions en une donnée unique cherchant à résumer l’ensemble de l’information. La seule différence avec le tableau de bord tient à l’étape ultime consistant à condenser les indices. 2
cf encart ci-après
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Des mesures de « seuils » permettent de suivre la variation de la situation dans le temps mais aussi de jouer un rôle d’alerte. Ces indicateurs peuvent être synthétiques ou dimensionnels, ils ont l’avantage d’être rapidement lisibles et seront donc privilégiés comme outil de communication s’ils visent principalement à une prise de conscience individuelle ou collective. Des cartographie(s) sur un territoire donné et selon une maille plus ou moins fine permettent la mise en regard de différents secteurs par rapport à une situation qui serait soutenable d’un point de vue social et environnemental. Des profils sociaux peuvent être identifiés à travers des analyses « expertes » portant sur le croisement de données issues de sources « classiques » et d’enquêtes ad hoc. Celles-ci peuvent servir à révéler des enjeux concernant certaines catégories plus vulnérables qui rencontrent des problèmes à se réaliser sur une ou plusieurs dimensions.
Conclusion Rennes Métropole a souhaité faire évoluer le Baro’Métropole vers un outil numérique pour produire une vision des réalités sociales, économiques et environnementales et situer l’agglomération rennaise par rapport aux autres métropoles. Cette nouvelle édition devrait intégrer pour la première fois une dimension de « perception des habitants » en prenant en compte leurs options dans le choix et la conception des nouveaux indicateurs. Cette orientation pourra ainsi être un levier pour produire des politiques publiques en phase avec leur objectif ultime : le bien-être de leurs habitants.
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SPIRAL Societal Progress Indicators for the Responsibility of All Le recours à cette démarche, promue par le Conseil de l’Europe, est très largement répandu parmi les initiateurs d’indicateurs de bien-être pour plusieurs raisons : • Une démarche qui repose sur une conception du bienêtre portant attention aux dimensions non monétaires comme les liens sociaux et tournée vers une définition collective du bien commun, sans occulter le bien-être des générations futures. • Une méthode déjà largement utilisée qui offre de ce fait une garantie en termes d’usage et de retours d’expériences avec la possibilité d’échanges méthodologiques1. • L’existence d’un logiciel pour le traitement des données recueillies qui favorise une certaine efficacité opérationnelle.
- Pour vous, qu’est-ce que le bien-être ? - Pour vous qu’est-ce que le mal-être ? - Que pouvez-vous faire pour améliorer le bien-être de tous ? Les réponses des participants sont inscrites sur des post-it de couleurs différentes puis mis en commun et discutés. Elles sont ensuite réparties selon une grille de 9 familles et 68 composantes qui a été progressivement élaborée à travers la reproduction de l’exercice à de très nombreuses reprises. Celle-ci peut donc être considérée comme « robuste ». 3. La saisie et le traitement des réponses dans le logiciel2 offre l’énorme avantage de : • Produire une analyse statistique instantanée des critères de chaque groupe.
Cette méthode permet à l’ensemble des acteurs et citoyens impliqués de contribuer à la réflexion collective, selon des formes collaboratives innovantes qui croisent les compétences et les ressources de chacun, pour développer une vision partagée du bien-être de tous. Le cadre méthodologique SPIRAL propose un cheminement méthodologique en plusieurs étapes :
• Conserver une trace complète, anonyme et transparente de tout ce qui aura pu être formulé dans le groupe.
1. La mobilisation de « groupes homogènes » de 6 à 12 personnes partageant un intérêt commun et représentatifs de la diversité de la population locale. Ces groupes peuvent se démultiplier sur le territoire pour réfléchir et avancer ensemble.
4. Une réunion plénière3 réunit tous les participants (ou des représentants des groupes homogènes). Les résultats les plus marquants sont exposés et les participants sont ensuite invités à réagir, faire des propositions et imaginer des actions concrètes pouvant être conduites afin d’améliorer les critères de bien-être.
2. L’animation d’ateliers qui permettent l’expression directe de la diversité des points de vue. Une réunion d’1h30 environ est menée par chacun des groupes qui va permettre de repérer ce qui compte pour eux, en fonction de leur situation et de leur contexte. Il s’agit d’une approche très ouvertes à partir de trois questions : 1 Les utilisateurs français sont regroupés dans le réseau « Together France »
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• Permettre une compilation à l’échelle de l’agglomération pour une analyse de « ce qui fait bien-être et mal-être » telle que les citoyens le disent eux-mêmes, avec leurs propres mots.
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Logiciel libre et gratuit pour les adhérents au réseau Dénommée réunion arc-en-ciel dans certaines démarches
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Vers une politique de jeunesse intégrée : l’exemple de la place des jeunes femmes à Lorient Eric Le Grand (sociologue, Chaire de recherche sur la jeunesse, EHESP, Rennes) mène des recherches sur la participation des jeunes et l’évaluation des politiques publiques. Hervé Quentel (directeur Maison pour tous, centre social Kervénanec, Lorient), titulaire d’un DESJEPS travaille plus particulièrement sur les démarches participatives et intersectorielles à partir du projet social de sa structure.
Résumé En 2016, trois territoires Bretons se sont engagés dans la rechercheaction « Jettt » portée par la Chaire de recherche sur la jeunesse (EHESP). Celle-ci vise en 2020, en la réalisation de politique de jeunesse intégrée. L’article analysera la question de la transversalité comme un support à cette politique à partir d’un focus sur deux quartiers politique de la ville de Lorient participant à Jettt.
Eric Le Grand
Hervé Quentel
Introduction
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n 2015, le Commissariat général à l’investissement lance un appel à projets en vue de la formalisation de « projets innovants en faveur de la jeunesse » destiné à favoriser l’émergence de politiques de jeunesse globales et intégrées. Celles-ci doivent permettre de traiter les problématiques des jeunes de façon cohérente en évitant l’écueil d’une juxtaposition d’initiatives sectorielles non coordonnées. Dans cette optique, la Chaire de recherche sur la jeunesse de l’EHESP a réuni un groupe d’acteurs du territoire breton (professionnels de la jeunesse, décideurs, techniciens) pour proposer la mise en œuvre d’un projet destiné à répondre au mieux aux intérêts des jeunes. S’inscrivant dans une démarche de recherche-action, le projet « Jeunes en TTTrans, transversalité, transitions, transformations » (JeTTT) est financé pour 5 ans et se déroule dans 3 territoires bretons : Morlaix Communauté, Bretagne Porte de Loire Communauté (BPLC) et deux quartiers politique de la ville : Kervénanec et Bois du Château à Lorient. Dans chacun de ces territoires, une première étape de co-construction de politique intégrée a pris la forme d’un diagnostic participatif1. Celui-ci a été réalisé en 2016 en direction des jeunes, des professionnels et des décideurs afin de cerner les différentes attentes et de répondre au mieux aux défis posés par l’intégration des jeunes (accessibilité aux droits et au statut d’adulte notamment -Dulin 2012, Van de Velde 2008). Après avoir défini le concept de politique intégrée, nous reviendrons sur les premiers enseignements issus de la démarche de recherche-action entreprise sur les quartiers de Bois du Château et de Kervénanec à Lorient, portant notamment sur la place des jeunes femmes. 1 Pour une présentation détaillée de la démarche, des territoires, des diagnostics et plans d’actions, consulter le site www.jettt.org
Définir une politique de jeunesse intégrée
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a notion de politique de jeunesse intégrée a été introduite par Lasse Siurala, directeur de la jeunesse et des sports au Conseil de l’Europe en 2005. Selon lui, la politique de jeunesse en Europe doit être désormais intégrée (intersectorielle et coordonnée) et doit s’appuyer sur des mécanismes de participation des jeunes. Ainsi, il estime que les politiques de jeunesse peuvent concerner potentiellement tous les domaines de l’action publique en lien avec les parcours des jeunes :
« Une politique publique de jeunesse devrait refléter les défis et obstacles auxquels les jeunes doivent faire face dans leur transition de l’enfance à l’âge adulte et elle devrait être basée sur les objectifs politiques et les priorités adaptées par un conseil municipal, un gouvernement central ou un organisme intergouvernemental. » (Siurala, 2005) Dans cette perspective, l’ensemble des actions publiques (éducation, formation, emploi, sociale, santé, loisirs, logement, …) s’adressant à la jeunesse dans un territoire donné fait parti d’une politique locale de jeunesse globale et intégrée. De même, sont aussi inclues les actions portées, par les échelons de niveau inférieur ou supérieur (quartier, ville, communauté de communes, pays, département, région), par l’ensemble des services de l’État mais aussi les acteurs publics mixtes tels que la Caisse d’allocations familiales. Le recours croissant au principe de transversalité, de globalité et d’intégration inscrit dans la notion de politique de jeunesse intégrée repose sur plusieurs facteurs explicatifs. Le premier relève des caractéristiques de la population des jeunes. En l’occurrence, celle-ci n’est pas homogène et doit faire face à des difficultés sociales d’envergure. Cette population a donc des attentes variées nécessitant une hétérogénéité d’intervention publique pour répondre aux mieux à ces besoins. De fait, les politiques de jeunesse, en ce qu’elles s’adressent à une population et non à un public déterminé renvoient à des questionnements qui interpellent potentiellement tous les autres secteurs de l’action publique (Loncle 2010). Cette tendance à plus de transversalité et de globalité n’est cependant pas une « nouveauté » dans le champ des politiques publiques. En effet, et ce depuis le début des années 1980, cette dynamique transversale et globale se trouve légitimée à la fois par la multiplicité des acteurs et des niveaux territoriaux de décision incitant au développement de formes nouvelles de gouvernance et de
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décision et de mises en œuvre de l’action publique (Le Galès 2004). De même, la mise à l’agenda croissante des questions de jeunesse, a permis l’introduction d’une série de dispositifs partenariaux, transversaux et territoriaux destinés en partie à favoriser l’insertion sociale des jeunes. Toutefois la mise en œuvre de politiques de jeunesse intégrées s’avère complexe. Elles doivent être à la fois différenciées pour prendre en considération la multiplicité des questions de jeunesse ; plurielles en ce qu’elles sont envisagées à différents échelons sans qu’un niveau de coordination soit clairement déterminé, et suffisamment légitimées pour pouvoir agir avec et sur tous les secteurs d’action publique en direction des jeunes. Cette « complexité » a été évoquée par les groupes d’acteurs bretons engagés dans la démarche JeTTT. Répondre à ce défi est pour eux, à la fois, le moteur de leur engagement au sein du projet, mais aussi un cadre structurant dans le développement de leur programme d’actions afin de dépasser une approche sectorisée de la jeunesse et tendre vers plus de transversalité. S’il est difficile ici de présager les contours et formes des politiques intégrées qui émergeront d’ici 4 ans de la recherche-action JeTTT, nous pouvons déjà constater des effets et des questions que posent la mise en œuvre de la transversalité.
Effets de la transversalité : l’exemple de la place des jeunes femmes à Lorient
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i le diagnostic réalisé en 2016 sur les deux quartiers politique de la ville de Lorient2 a pu poser différents enjeux : accompagnement nécessaire des parcours de jeunes vers plus d’autonomie et d’émancipation ; valorisation nécessaire des expressions individuelles et implication collective des jeunes, la réduction des inégalités entre hommes et femmes est apparue comme un élément structurant dans les propos des professionnels et les réflexions des jeunes. Cette priorité constitue le prolongement du travail commencé dès 2014 par la Maison pour Tous, et se structure autour de deux constats : la faible utilisation par les jeunes filles des ressources et des structures existantes localement ; mais aussi que pour certaines 2 Kérvénavec et Bois du Château comptent respectivement 4500 habitants (dont 28 % de moins de 20 ans) et 2300 habitants (31 % ont moins de 20 ans). La ville de Lorient compte 60000 habitants dont 15.5 % de moins de 20 ans.
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d’entre elles, le fait d’être « mère » peut constituer un frein à l’insertion sociale et professionnelle en accroissant notamment la stigmatisation à leur égard « tu es une mère, tu dois t’occuper de ton enfant ». Ainsi, si ces situations questionnent la construction de l’identité, la place des jeunes femmes dans le quartier et l’impact des déterminismes sociaux sur leur parcours (assignation au rôle de mère ou à certains métiers), elles obligent aussi les professionnels à s’interroger sur leurs pratiques, leurs représentations et leurs postures.
La mise en œuvre de politiques de jeunesse intégrées s’avère complexe. Elles doivent être à la fois différenciées, plurielles et suffisamment légitimées.
Ainsi, la création d’un spectacle de danses multiculturelles proposée aux jeunes femmes des deux quartiers leur a permis de se rencontrer, de dépasser les frontières « physiques » de leur quartier. En outre, elles ont été valorisées par la pratique chorégraphique et reconnues comme actrices de leur territoire. Cette première approche investie par les jeunes femmes a questionné les professionnels sur leurs présupposés initiaux.
Si cette réflexivité a permis une extension du partenariat et un renouvellement des questionnements tant sur les structures, les pratiques que sur les approches genrées, elle s’est concrétisée par exemple par des découvertes de métiers proposés aux jeunes femmes : caserne de pompiers, chantier naval, … mais aussi par de nouvelles pratiques transversales visant également l’implication des jeunes dans la vie de la cité. Ainsi, une première rencontre organisée en juin a mobilisé une trentaine de jeunes, représentée à parité entre jeunes femmes et hommes, issus ou non des quartiers, jeunes scolarisés, en insertion, volontaires en service civique, ambassadrices jeunes de l’Unicef, qui a pu échanger sur cette « place » avec les partenaires. La création d’un moment de rencontre convivial a permis à plusieurs jeunesses (genre, catégorie sociale) réunies autour d’un même objectif de se côtoyer. De fait, la transversalité doit aussi faciliter la « reconnaissance » de l’existence par les jeunes, d’autres jeunesses, en favorisant les rencontres et la mobilité au-delà de son quartier.
Changements de postures professionnelles
Transversalité et territorialisation
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Des groupes de travail réunissant des professionnels de l’Education Nationale, de l’insertion sociale, de l’Education populaire et de la ville ont imaginé ensemble plusieurs actions prenant en compte plus spécifiquement les situations de vie des jeunes femmes des quartiers de Kervénanec et Bois du Château1. Ces actions ont pour objectif de former les professionnels, de sensibiliser les jeunes via des groupes de parole et de réflexion, et de proposer des supports artistiques et culturels afin de lever certains freins et préjugés (par exemple sur la question des métiers, des pratiques sportives).
es résultats du diagnostic, les temps de coconstruction et la mutualisation de préoccupations avec les partenaires ont permis de réinterroger les différentes pratiques et la manière dont sont conçues les actions dans le territoire en direction des jeunes femmes. Ainsi, les formations multi partenariales ont permis de dépasser certains présupposés et de réinterroger de fait, le fonctionnement des structures. Une analyse fine entre partenaires a montré que celui-ci est également un frein identifiable et identifié à leur accessibilité. En effet, ces structures proposent peu d’espaces et de place à l’expression des demandes et des attentes des jeunes femmes. Comme le souligne un professionnel « Comment pouvons-nous travailler de façon moins descendante… ? Aujourd’hui, nous imposons encore trop nos modalités d’action sans savoir ce que les jeunes filles souhaitent vraiment » 1 Le centre social Bois du Château est porteur du programme Jettt sur la question de la place des jeunes femmes.
i la question de la place des jeunes femmes a émergé au sein des deux structures sociales investies dans le programme JeTTT, elle ne constitue pas un enjeu uniquement lié aux territoires de la politique de la ville, mais irrigue et questionne l’ensemble de la Ville de Lorient. Ainsi, la démarche JeTTT permet de dépasser les frontières symboliques et physiques du quartier pour favoriser une dé-territorialisation des questions de jeunesse. Les partenariats mobilisés facilitent tant une transversalité dans les modalités de réflexion que dans la prise en compte par les structures de cette place. Les questionnements sont ainsi partagés et d’une certaine façon, les porteurs d’action servent de laboratoire et de « sas d’expérimentation » pour de nouvelles modalités d’actions. Les axes de travail co-construits pour Lorient sont symboliquement illustrés comme des pétales d’une fleur. Chaque porteur d’action se positionne plus spécifiquement (notamment
administrativement et budgétairement) sur un des pétales tout en mutualisant ses expériences et partageant des principes de mise en œuvre transversaux : la Maison pour Tous sur les lieux, le centre social de Bois du Château sur les déterminismes sociaux, la Mission locale sur l’entrepreneuriat, l’Université sociale sur la mobilité et la Ville de Lorient sur la coordination et la mobilisation du droit commun. Cette perspective est soutenue et favorisée par la Ville qui dissémine ces réflexions et questionnements au-delà du périmètre des quartiers prioritaires engagés dans JeTTT.
Transversalité et financement
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une des complexités d’une politique de jeunesse intégrée est de dépasser une approche par silo (par secteur d’action publique), pour appréhender chaque jeune dans sa globalité. Cette intention vaut aussi pour les financements qui sont encore traditionnellement attribués par actions et par secteurs d’activités. Dans ce cadre, la démarche de transversalité oblige à s’interroger sur les modalités de coordination des acteurs ainsi que sur les modalités de financement des actions. Pour la rechercheaction JeTTT, certaines institutions et niveaux territoriaux de politiques publiques ont accepté, le principe de « verser » leur financement – bien qu’encore fléché - dans un « pot commun » permettant une assise durable et une transversalité des actions pour favoriser à terme le développement d’une politique de jeunesse intégrée. Ainsi, JeTTT mobilise des co-financements globalisés et non territorialisés (État, Conseil régional, Départements, Communes, Caisses d’allocations familiales et autres institutions) qui permettent de travailler de façon transversale à la mise en œuvre d’objectifs partagés (réduire les inégalités, favoriser la participation et l’insertion sociale…), prenant en compte les jeunes dans leur globalité et en misant sur la complémentarité et l’articulation des ressources humaines et financières. A terme, ce qui est en jeu et enjeux dans la politique intégrée notamment au travers des financements est de dépasser l’approche par actions et le financement ad’hoc au profit d’une approche par processus qui réponde à des objectifs communs et partagés par les professionnels, les financeurs et les niveaux politiques (qu’ils soient locaux, départementaux et/ou régionaux). Cette « posture » de financement décloisonné réinterroge les modalités de gouvernance d’une politique de jeunesse. S’il est bien question de tendre vers plus de transversalité, donc vers des rapports plus horizontaux entre secteurs d’actions publiques pour mieux appréhender les jeunes dans leur globalité, il s’agit bien aussi au travers de la question des financements, d’infléchir une forme de verticalité au profit de nouvelles
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modalités de coopération et de co-construction entre associations et acteurs des politiques publiques locales (élus, représentants institutionnels). De fait, à Lorient, ce principe commence peu à peu à s’instaurer au travers du projet JeTTT, qui apparaît comme un processus fédérateur.
Conclusion
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i la transversalité peut représenter le danger de ne constituer qu’un « fétiche rassembleur » (Desage, Godard, 2005), les éléments que nous avons pu décrire à partir de l’un des territoires de la recherche-action JeTTT - après quelques mois d’expérimentation - montrent aussi toutes ses potentialités. S’il n’est pas possible ici, en raison de la précocité du développement du programme de dire si à terme, une politique intégrée permet des changements durables dans le quotidien des jeunes et facilite leur intégration sociale dans la société, nous pouvons tout du moins à partir de l’expérience de Lorient, dresser 4 conditions nécessaires pour mettre en place des processus de transversalité visant la construction d’une politique intégrée de jeunesse. Nous utiliserons ici la grille de lecture proposée par Marie Dumolard et Patricia Loncle en 2014 : Première condition : la légitimité du porteur de transversalité. Si JeTTT est porté localement par différents acteurs, il est aussi accompagné par une entité tierce, la Chaire de recherche sur la jeunesse de l’EHESP. Associant expertise scientifique, espace de coordination et de négociation, l’équipe dédiée au projet interroge certaines représentations des professionnels et des politiques. L’un des enjeux à terme sera de « transférer le leadership » aux différents territoires participants à cette rechercheaction pour permettre une inscription durable d’une politique intégrée dans les pratiques tant institutionnelles que professionnelles. Seconde condition : le travail nécessaire sur les valeurs de l’intervention. Ainsi, des temps de concertation, de formation sont nécessaires et primordiaux, pour définir un cadre et des objectifs communs. Cet aspect est important sachant que chaque secteur d’action publique s’ancre dans des regards différents autour de la définition de la jeunesse, des représentations positives et/ou négatives qui la qualifient, et des attentes que l’on peut avoir à son égard. Troisième condition : l’ancrage temporel. S’il est important de « prendre son temps » et de « donner du temps » à la construction des possibles, il est nécessaire qu’une continuité soit effective entre les objectifs et les moyens accordés à ce type de démarche.
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Quatrième condition : les moyens (humains, financiers) accordés à la démarche transversale (pilotage, accompagnement, formation, évaluation, communication) qui permettent dans le cas présent, la réalisation de la recherche action et de détacher les acteurs locaux d’une recherche de financements. Si ces conditions peuvent constituer des critères de transférabilité à d’autres territoires, il est aussi important de ne pas « perdre au cours du processus » de construction, le sens même du projet. En effet, la tendance pourrait être de développer de nombreuses actions sous prétexte qu’elles rendent « service à la jeunesse » sans pour autant qu’elles constituent in-fine une solution à leurs problèmes. De la même façon, il serait inopportun de dire qu’il n’existe qu’un seul modèle de politique intégrée pouvant être appliqué uniformément sur tout le territoire. En effet, sa construction relève et révèle avant tout un système local mêlant représentation de la jeunesse, pouvoir politique, et tissus d’acteurs plus ou moins denses (David, Le Grand, Loncle, 2012). Ainsi, les 3 territoires concernés par JeTTT pourront offrir à terme des visages diversifiés d’une politique intégrée de jeunesse, riches d’enseignements pour des futurs promoteurs au service de la jeunesse.
BIBLIOGRAPHIE David, Olivier, et Eric Le Grand, et Patricia Loncle, « Systèmes locaux et action publique : l’exemple des jeunes vulnérables », Agora débats/jeunesses 2012/3 (N° 62), pp. 81-95 Dulin, Antoine. 2012. Droits formels/Droits réels : améliorer le recours aux droits sociaux des jeunes. Avis du Conseil économique, social et environnemental. Paris : Conseil économique, social et environnemental. Desage F, Godard J., « Désenchantement idéologique et reenchantement mythique des politiques locales », Revue française de science politique, n° 4, vol LV, 2005, p. 633-661 Dumolard, Marie, et Patricia Loncle. 2014. « politiques locales de jeunesse et transversalité : quels apports pour les territoires ». In Parcours de jeunes et territoires, rapport de l’observatoire de la jeunesse 2014, édité par Francine Labadie, 238-51. Paris : la Documentation française. Le Galès, Patrick. 2004. “Gouvernance”. In dictionnaire des politiques publiques, Presses de Sciences Po, 242-50. Paris : Boussaguet Laurie, Jacquot Sophie, Ravinet Pauline. Siruala, Lasse. 2005. A European Framework for Youth Policy. Strasbourg: Council of Europe. Van de Velde Cécile. 2008. Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe. Coll. Le lien social, Presses Universitaires de France, 288 p.
Une nouvelle logique d’empowerment : quelles significations politiques, pour quelle(s) appropriation(s) collective(s) ? Chargé d’enseignement en sociologie (UCO, Angers) et formateur en travail social (ARIFTS, CEFRAS), Yves-Marie Le Ber a travaillé plus de 10 ans comme travailleur social dans le monde associatif (Fédération des centres sociaux, association DRACS, …)
Résumé Le concept de l’empowerment fait débat dans le champ académique, politique et professionnel. Il apparait maintenant dans l’outillage conceptuel et pratique de la « démocratie participative ». Il est également prisé dans le champ de l’action sociale à la fois comme instrument de légitimation scientifique des actions menées mais également comme outil pratique de rénovation des discours et des modalités de prises en charge des publics.
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Yves-Marie Le Ber
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vertissement : initialement, ce texte a été rédigé à la suite d’une rencontre en novembre 2015 avec la Fédération des acteurs de la solidarité (anciennement FNARS) des Pays-de-la-Loire et la fédération des Centres Sociaux de France (FCSF) Maine-et-Loire/Mayenne en vue, à l’époque d’une possible recherche-action. La collaboration n’a finalement pas abouti. Il doit également servir à présenter une recherche dans l’optique d’un appel à projet européen du programme EID (European Industrial Doctorate). Cet anglicisme empowerment1 traduit en français généralement par « pouvoir d’agir » entraine des débats allant jusqu’à remettre en cause le fondement même du travail social, entre idéal d’émancipation et logiques de contrôle social des individus. Il bouscule et vient réinterroger les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux2. « Marronnier » qui pousse à chaque décennie : de la participation à la vie sociale des grands ensembles des années 60 à l’injonction de pratiquer un travail social à visée « collective », de quoi l’utilisation systématique de cette rhétorique est-elle le « symptôme » ?
Un mot allogène domestiqué peu à peu
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empowerment a, à l’échelle des pays anglo-saxons, une histoire ancienne mais s’impose dans les débats et dans les projets bien plus récemment en France. Si l’on s’en tient au cas de l’hexagone, son importation est liée à l’évolution des objectifs des politiques publiques. Il faut attendre le début des années 2000 pour que ce terme, ou plutôt la question de la participation et du pouvoir à redonner aux plus démunis, fasse référence3. Au lendemain des révoltes sociales de 2005, le collectif ACLEFEU voit le jour, il a « pour mission de faire remonter la parole des quartiers 1 La sociologue canadienne Anne-Emmanuèle Calvès écrit que « dans les milieux de recherche et d’intervention anglophones, le terme « empowerment », qui signifie littéralement « renforcer ou acquérir du pouvoir » » s’est installé solidement, depuis les années 1970, dans plusieurs champs de l’action sociale. Cf. « « Empowerment » : généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement. », Revue Tiers Monde 4/2009 (n° 200), p. 735-749. 2 Cf. Article L’empowerment et le travail social sont-ils compatibles en France ? in L’action publique au défi de l’empowerment : progrès démocratique ou alibi politique ?, Recherche Sociale n°209, 1er trimestre 2014. 3 Marie-Hélène Bacqué, Carole Biewener, L’empowerment, une pratique émancipatrice, La découverte, 2013.
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populaires auprès des institutions. »1 Cinq ans plus tard, la création du collectif « Pouvoir d’agir » composé de citoyens, de professionnels du travail social et d’« usagers »2 marque un renversement dans le traitement de la question sociale. Il s’agit de penser et de mettre en œuvre la résolution des problèmes sociaux des « ayants-droit », « usagers », « habitants », « citoyens » en partie par eux-mêmes. Le congrès national de la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’accueil et de Réadaptation Sociale) à Strasbourg en 2006 a, dans ses réflexions, donné une place importante aux « usagers » présents en nombre et a appelé, dans l’avenir, à s’associer autrement : « nous ne pouvions plus continuer à nous réunir entre nous sans la présence des personnes concernées ! »3
loi « Ville et Cohésion Urbaine » du 21 février 2014 évoque finalement peu la question de l’empowerment. Localement, en septembre 2014, la municipalité d’Angers a mandaté une association d’éducation populaire angevine DRACS en partenariat avec une Maison de quartier pour « libérer la parole des habitants » d’un ilot urbain proche du centrecentre « abandonné depuis des années »10. Au même moment, à l’échelle nationale, une coordination citoyenne « Pas sans nous » s’organise pour « porter les propositions du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville, développer le pouvoir d’agir des habitants, être une force d’interpellation et un contre-pouvoir »11.
Ce changement de point de vue sur la participation sociale est un nouveau sursaut au regard de l’histoire : les mouvements d’éducation populaire ou les expériences de méthodes de psychiatrie « hors les murs » d’après-guerre n’étaient pas très éloignés des logiques d’empowerment4. Même s’il fait l’objet d’imprécisions, tant au niveau de sa sémantique que de son utilisation dans le champ de l’action sociale, les pouvoirs publics, le mouvement associatif et les travailleurs sociaux semblent reconnaitre l’intérêt de convoquer ce terme jusqu’ici plutôt « tabou »5 en France. La communication du rapport « Pour une réforme radicale de la politique de la ville : Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires »6 en juillet 2013 officialise l’entrée, dans le discours politique et institutionnel, de la notion d’empowerment.
Un « mot-malentendu » mis en lumière
Longtemps cantonné au registre soit de l’utopie ou de l’outil magique censé apporter des réponses « clé en main » aux problèmes sociaux, ce terme, après traduction7, est sorti de la suspicion communautariste du modèle américain en termes de participation sociale8. Pour autant, son écho dans les cadrages ministériels et nationaux reste limité9; la nouvelle 1 www.aclefeu.org 2 Ce collectif s’engage pour « valoriser les capacités citoyennes des quartiers populaires. » (Cf. www.pouvoirdagir.com). La fédération des centres sociaux de France (FCSF) en est un membre actif. 3 Article interne sur « la participation des usagers », FNARS Bretagne, décembre 2010. 4 Entendu ici dans son approche radicale qui vise au basculement de l’ordre social par un processus d’émancipation des populations dominées (Cf. P. Freire). 5 Éliane Leplay, « « Empowerment », travail social et organisation politique et administrative. Bref regard en France 1950-2008. », Savoirs 3/2008 (n° 18), p. 45-52 6 Le rapport Bacqué-Mechmache remis à M. Lamy, ministre délégué à la ville. cf. www.ville.gouv.fr 7 Comme écrit plus haut, difficilement traduisible en français mais très souvent nommé « pouvoir d’agir», « puissance d’agir », « capacitation »... 8 Dans les pays anglo-saxons et notamment en Amérique du Nord, l’empowerment reconnaitrait davantage le droit aux individus de manière informelle de se mobiliser au profit d’un lieu ou pour « sa communauté ». 9 Thomas Kirszbaum, « Vers un empowerment à la française ? À propos du rapport Bacqué-Mechmache », La Vie des idées, 12 novembre 2013
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empowerment pose la question de « l’accès au pouvoir » ou encore du « partage du pouvoir ». Ainsi, il peut être vu sous plusieurs formes. D’abord, comme usage de la démocratie : la participation effective des groupes sociaux aux décisions sur leurs propres conditions d’existence. Ensuite, comme pratique d’intervention du travail social : l’accompagnement des populations devient le résultat d’une « expertise » conjointe entre des personnes sur leurs propres conditions de vie et des travailleurs sociaux. Les personnes doivent être capables de résoudre leurs problèmes. Et enfin, comme principe de repositionnement des politiques publiques : la politique de la ville entrevoit, depuis quelques années, un renversement de perspective. Ces politiques avaient pour habitude de financer des actions de compensation liées aux problématiques de territoires (ZUS, ZEP, ZFR ...) plus qu’à promouvoir la mobilisation des citoyens à travers des « projets communautaires » qui reconnait la spécificité de chaque espace de vie. Nous nous intéressons ici à l’approche « sociale-libérale » venue d’outreAtlantique qui consiste à redéfinir les règles du jeu politique dans le but de moderniser l’Etat. Comme aux Etats-Unis, en France, cette préoccupation démocratique ne date pas d’aujourd’hui, elle apparaissait déjà dans le rapport Dubedout en 1983, avec l’idée que les citoyens auraient un rôle important à jouer dans les transformations politiques dans le cadre des associations. A l’époque, le dispositif de développement social des quartiers (DSQ) avait inscrit des commissions locales inter-partenaires comme espace de participation citoyenne ; elles ont été abandonnées12. Le CNLE (Conseil National des politiques de 10 Propos d’habitants recueillis sur le terrain. 11 www.passansnous.fr 12 Entretien avec M-H Bacqué « On peut parler pour la France d’un rendez-vous manqué de la participation » in L’action publique au défi de
L’empowerment pose la question de « l’accès au pouvoir » ou encore du « partage du pouvoir ». Lutte contre la pauvreté et l’Exclusion sociale), porté par la loi sur le RMI en 1988, s’est emparé concrètement de la question de la participation « des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion » à la suite d’un rapport en octobre 201113. La FNARS a été quelques mois plus tard « partie prenante de ces différentes expérimentations, continuera à accompagner les régions et son réseau dans la mise en œuvre et le développement de ces actions, avec ses partenaires […] Favoriser l’émergence d’associations émanant de groupes de personnes en situation de pauvreté, inciter les associations de solidarité à faire une place aux personnes accompagnées dans leurs instances de gouvernance, sont des axes que la FNARS développe déjà au sein de ses propres instances.»14 Depuis 3 ans maintenant, la FCSF, au sein du collectif « Pouvoir d’agir », a pris l’initiative de mettre en œuvre une préconisation du rapport Bacqué-Mechmache, une action collective québécoise appelée « Tables de Quartier » voulu en France comme un lieu réunissant « les associations et collectifs d’habitants organisés à l’échelle du quartier […] Un lieu de débats et d’actions dont l’objectif est l’amélioration des conditions de vie dans le quartier, notamment des personnes les plus fragilisées »15. Une autre proposition du rapport avait été soutenue, lors d’une « conférence de consensus » qui avait rassemblé des responsables d’associations, des élus politiques et des universitaires, dans un compte rendu « pour la création d’un «fonds pour la démocratie d’initiative citoyenne »16 en forme d’appel aux gouvernants. Le plan d’action des Etats Généraux du travail social (EGTS), présenté au Conseil des ministres en octobre 2015, rappelle que la volonté de mettre en place des « instances de participation a été encouragée ces dernières années dans le domaine de la lutte contre l’exclusion, de l’hébergement et de la politique de la ville ». Mais il reconnaît, néanmoins, « que la participation est encore peu effective au sein d’un certain nombre d’instances de gouvernance, d’institutions et d’organismes en charge de la mise en œuvre des politiques sociales.»17 Le 12 avril dernier a eu lieu le dernier « comité national de suivi des conseils de citoyens »18 l’empowerment : progrès démocratique ou alibi politique ?, Recherche Sociale n°209, 1er trimestre 2014. 13 Ce rapport est intitulé « Recommandations pour améliorer la participation des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques » (Cf. www.cnle. gouv.fr) 14 Article sur le site de la FNARS « Développer la participation des personnes en situation de pauvreté et de précarité à l’élaboration et au suivi des politiques publiques », rubrique Actualités nationales le 24 janvier 2013. 15 www.pouvoirdagir.com 16 www.mediapart.fr 17 Cf. Plan d’action en faveur du travail social et du développement social, Conseil des ministres du 21/10/2015. 18 La fonction de ces conseils de citoyens est de « participer à la co-construction et à l’évaluation des politiques publiques qui concernent les quartiers prioritaires, notamment des contrats de ville. »
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au Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET) : il a fait état de la constitution de plus de 1150 conseils sur les 1284 quartiers métropolitains recensés. Les recommandations des différents rapports gouvernementaux et de nombreuses circulaires, de plus en plus d’orientations associatives19, des revendications professionnelles20 appuient des positions claires en faveur de l’empowerment.
Encourager la pratique de l’empowerment : intention politique ou revendication sociale ?
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u regard des politiques publiques qui ont, successivement, tenté de « réparer les handicaps sociaux » des individus disqualifiés, de traiter les inégalités dans le répertoire du droit commun et enfin d’engager les chantiers de rénovation des villes21 : comment, aujourd’hui, les institutions pensent les formes de délégation de pouvoir aux « ayants droits », habitants et citoyens comme pratique de l’empowerment ? Au moment où l’idéologie de l’entreprenariat individuel dans l’ensemble des champs de la vie sociale22 est à son paroxysme : comment une politique historiquement centralisatrice23 propose aux associations, aux citoyens de s’emparer collectivement des problématiques du social ? Dans un contexte de méfiance vis-à-vis de l’appareil d’Etat quant à la capacité d’agir pour les plus fragiles, comment les pouvoirs publics locaux donnent l’accès à l’expression politique d’un plus grand nombre d’individus ? Leurs structures permettent-elles de mettre en place effectivement cette modalité de participation ? Comment les corps intermédiaires (associations, collectifs, fédérations...) peuvent peser sur la promotion, la légitimation et la mise en pratique de l’empowerment ? En quoi ces injonctions à la valorisation et à la prise en compte des capacités individuelles et collectives fait-elle écho à l’idéal de l’autonomie porté par les professionnels du social vis-à-vis des plus précaires ? 19 Parmi elle, la FNARS porte dans son projet fédéral actuel l’objectif d’« agir avec les personnes accueillies » en améliorant « le fonctionnement de nos associations et des dispositifs par l’exercice d’une citoyenneté confortée par des pratiques sociales rénovées. » 20 Cf. Article Pour le retour du collectif in Le travail social aujourd’hui. Comment résister ?, Lien Social, n°1000-1001, 13 janvier 2011. 21 Sylvie Tissot, L’Etat et les quartiers. Genèse d’une catégorie sociale, Le Seuil, 2007. 22 Entretien avec Loïc Wacquant, Ghetto, banlieues, État : réaffirmer la primauté du politique in Nouveaux Regards, n°33, avril-juin 2006. 23 Jacques Donzelot, Philippe Estebe, L’Etat animateur. Essai sur la politique de la ville, Ed. Esprit, 1994.
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Y a-t-il un « modèle » coopératives éphémères dans les quartiers politique de la ville ? Alice Poisson : responsable de formation et d’accompagnement de collectifs d’acteurs au Collège Coopératif en Bretagne Sandrine Rospabé : maîtresse de conférences en sciences économiques au département Carrières Sociales de l’IUT de Rennes et chercheuse au LIRIS EA7481.
Résumé Les coopératives éphémères de territoire constituent un projet expérimental d’entrepreneuriat collectif qui s’inspire des Coopératives Jeunesse de Services, importées du Québec en 2013. Une étude exploratoire sur trois territoires bretons (dont deux quartiers politique de la ville) permet de présenter le cadre général de ces coopératives et d’esquisser un premier tracé des différences de configuration, selon le territoire d’implantation, le système d’acteurs impliqués et les pratiques développées.1
1 Merci à Yves Bonny et Annie Gouzien pour le partage des résultats de leur enquête de terrain et leur relecture de l’article.
Réflexions issues d’une étude exploratoire sur trois territoires bretons Alice Poisson et Sandrine Rospabé
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es coopératives éphémères sont nées en France d’une importation du modèle québécois des coopératives Jeunesse de Service (CJS), projet d’éducation des jeunes à l’entrepreneuriat coopératif. Durant un été, un groupe de jeunes coopérants âgés de 16-18 ans s’initie au fonctionnement d’une entreprise coopérative, s’organise collectivement pour proposer des services à la population et aux entreprises sur leur territoire, définir une stratégie de commercialisation et prendre des décisions de façon démocratique. L’expérimentation des CJS a démarré en 2013 en Bretagne à l’initiative du réseau Coopérer pour entreprendre (réseau des Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE), des pôles de développement de l’ESS (pôles ESS) et de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) de Bretagne en partenariat avec le réseau de la Coopération du travail du Québec. En quelques années, elle s’étend sur le territoire français : trois CJS en 2013 en Bretagne et 32 CJS, en 2016, sur sept régions (dont 22 dans des territoires identifiés « politique de la ville »)2. Parallèlement et parfois suite à la mise en place de CJS, certains acteurs (CAE, pôles ESS, collectivités territoriales, acteurs jeunesse) décident d’expérimenter de nouvelles formes de coopératives sur leurs territoires. Ainsi, en 2014 et en 2015, en Ardèche, deux groupes de jeunes majeurs (18-25 ans) ont pu tester l’entrepreneuriat coopératif le temps de l’été. A l’automne 2015, une coopérative de jeunes majeurs (CJM) voit le jour à Saint Avé (Bretagne, Morbihan). Sur d’autres territoires bretons, les acteurs réfléchissent à la création de telles coopératives. Alors que se mettent en œuvre ces dynamiques locales, dès 2015, la CRESS Bretagne et la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC) travaillent à la mise en place d’un 2 Pour plus de précisions, se reporter à Rospabé S., H Lebreton, E. Maunaye, & M.L. Point (2016), « Les Coopératives Jeunesse de Services : Adaptation au contexte français d’un projet québécois d’éducation à l’entrepreneuriat coopératif des jeunes » in Formes et fondements de la créativité dans l’ESS, ss la dir. L. Lethielleux et M. Combes-Joret, édition EPURE.
Méthodologie de l’enquête exploratoire L’enquête exploratoire s’est déroulée du mois d’avril au mois de juin 2017 sur quatre terrains (régional et local) et a été présentée aux acteurs du groupe de travail régional « Entrepreneuriat collectif QPV »1 le 4 juillet 2017 à la CRESS Bretagne. La méthodologie de l’approche exploratoire reposait sur : - La recherche documentaire et l’analyse des traces écrites sur l’histoire, la construction sociale et la mise en oeuvre des coopératives éphémères. - La réalisation d’un entretien semi-directif auprès d’acteurs régionaux (le directeur-adjoint de la CRESS et la responsable de la coordination régionale de l’action). - La réalisation de plusieurs observations in situ dans la coopérative et ses instances de pilotage (comités de pilotage et/ou comités locaux) et d’entretiens semi directifs ou informels auprès de différentes catégories d’acteurs (acteurs porteurs du projet, partenaires, coopérants, animateurs etc.) au sein de : • La Coopérative Jeunes Majeurs des quartiers de Kerourien et de Bellevue de Brest. Trois courts séjours sur le terrain ont permis de faire des entretiens auprès d’acteurs du projet (le pôle ESS ADESS pays de Brest, la CAE29 Chrysalide, un acteur social du territoire et les coopérants) et d’observer la vie de la coopérative, un conseil d’administration et deux comités locaux. • La Coopérative de Territoire des quartiers Kercado et Ménimur de Vannes. L’enquête de terrain a combiné analyse de documents, observations (du quotidien, d’un comité local, d’un CA des coopérants) et entretiens formels (avec les responsables du pôle ESS, de la CAE, du service DSU, de la Direccte, ainsi qu’une coopérante) et informels (avec l’animatrice et les coopérants). • La Coopérative Jeunes Majeurs (milieu rural, hors QPV) de Locminé. Ont été réalisés des entretiens semi-directifs avec les acteurs du comité local (Mouvement rural de la Jeunesse Chrétienne, porteur du projet, Locminé Formation, Mission locale, Conseil de développement du Pays de Pontivy, le club d’entreprise) les deux animatrices, deux coopérants ainsi qu’une observation du fonctionnement quotidien de la coopérative éphémère. 1 Ce groupe de travail, animé par la CRESS, regroupe les acteurs de terrain impliqués dans le projet de coopératives éphémères de territoire – pôle ESS, CAE, acteurs locaux porteurs – ainsi que la coordination nationale des CJS. Il a pour objet de suivre l’évolution du projet sur les territoires et de faciliter le partage d’informations et de questionnements entre acteurs.
partenariat sur la thématique de l’Economie sociale et solidaire (ESS) dans les quartiers politique de la ville (QPV). Ces réflexions aboutiront en 2016 au projet « L’entrepreneuriat collectif, levier de développement socio-économique des quartiers prioritaires politique de la ville » co-construit en lien
Idées et Territoires #1 novembre 2017
étroit avec les acteurs pionniers de l’expérimentation CJS et CJM, les pôles ESS et les CAE. Ce projet entend soutenir le développement de nouvelles CJM et des coopératives de territoire (CT) tous publics, pour développer l’empowerment des jeunes adultes des quartiers prioritaires, tester et diffuser des expériences innovantes d’entrepreneuriat collectif et soutenir la création et le développement de projets ESS. Six territoires en politique de la ville sont investis dans cette expérimentation. Au premier semestre 2017, se mettent en place des coopératives éphémères à : • Redon / Bellevue : coopérative jeunes majeurs (Cades et Élan créateur)3 • Vannes / Kercado et Ménimur : coopérative tous publics (E2S et Filéo Groupe) • Brest / Kérourien et Bellevue : coopérative jeunes majeurs (ADESS Brest et Chrysalide) Sur les autres territoires, l’ingénierie se poursuit pour une mise en œuvre des projets prévue à l’automne 2017 : • Rennes / Maurepas : coopérative tous publics (Réso Solidaire et Élan créateur) • Saint-Brieuc / Croix Lambert : coopérative jeunes majeurs (Rich’ESS et Avant-Premières) • Saint Malo / La Découverte : coopérative tous publics (Horizons Solidaires) En février 2017, la CRESS Bretagne sollicite le Collège Coopératif en Bretagne (CCB) et une chercheuse du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Innovations Sociétales pour réaliser une évaluation participative du projet. Afin de préparer cette démarche l’équipe de chercheurs décide de mener une enquête exploratoire durant le premier semestre 2017 pour mieux s’approprier l’expérimentation, et identifier les traits saillants du projet. Trois territoires vont se porter volontaires : deux QPV à Vannes et Brest et la commune rurale de Locminé. Parallèlement, une enquête est menée au niveau régional pour appréhender le contexte d’émergence de l’expérimentation et les modalités d’implication de la CRESS4. Cet article a pour objet de restituer les principaux résultats de cette enquête exploratoire. Dans un premier temps, il explore le cadre commun à ces différentes coopératives, cadre adapté du modèle des CJS. Puis, il se penche sur la diversité des configurations sur les trois territoires enquêtés, selon les contextes de création, les logiques d’acteurs mobilisés et la pluralité des pratiques de fonctionnement. Pour finir, il présente les questionnements et les limites que soulève cette expérimentation. 3 Entre parenthèses, les porteurs du projet. Généralement le pôle ESS du pays concerné et une CAE. 4 L’équipe de l’enquête exploratoire était composée d’Alice Poisson et Yves Bonny pour le CCB et Sandrine Rospabé et Annie Gouzien pour le LIRIS.
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Un cadre commun : l’adaptation du modèle CJS
L
e cadre de fonctionnement global de la coopérative éphémère est très proche de celui des CJS. Comme les CJS, les CJM et les CT sont des projets d’éducation à l’entrepreneuriat coopératif dans une perspective d’émancipation mais pour des jeunes de 18 à 25 ans ou pour les habitants d’un territoire. Elles se distinguent des CJS par leur souhait de répondre aux besoins sociaux des quartiers politique de la ville ou des territoires ruraux en difficulté (Locminé). Elles ne se déroulent pas uniquement pendant la période estivale mais sur toute l’année par cycle de trois à six mois. Si le modèle CJS bénéficie d’un cadre et de références d’actions uniques (charte des CJS, formation collective des animateurs, coordination nationale), les autres coopératives sont en phase d’expérimentation et développent, chemin faisant, avec la participation de la CRESS, des modèles communs (première formation des animateurs des coopératives en février 2017, appellation commune en mars 2017...) Chaque coopérative est co-portée par une CAE et le pôle ESS du Pays concerné (à l’exception de la CJM de Locminé portée par le MRJC et le Conseil de Développement du Pays). Parfois, le projet est accompagné par une structure supplémentaire : Trajectoire Agiles (TAG) 35 à Rennes, La « Fédé » à Redon, la Mission locale et l’agglomération à Saint-Brieuc. Comme les CJS, les CJM et les CT fonctionnent en mettant en lien plusieurs acteurs essentiels : le comité local, la CAE, les coopérants et les animateurs. Des instances de pilotage inter partenariales similaires. Le comité local rassemble différents partenaires qui coopèrent sur le territoire pour l’intérêt du projet : les acteurs de l’emploi/formation/insertion, les acteurs de l’ESS, les structures jeunesse, les entreprises locales, les collectivités locales (et en particulier les services et responsables politiques en charge de la politique de la ville). Ces acteurs se mobilisent en comité local 6 à 8 mois avant le lancement de la coopérative pour créer les conditions favorables à sa mise en œuvre (financement, recherche des locaux, communication, recrutement des animateurs, formation). Ils suivent ensuite le projet et procèdent à son évaluation. Toutefois sur certains territoires, on trouve un comité de pilotage soit en complémentarité du comité local soit en substitution. Il rassemble les partenaires institutionnels ou financeurs qui ne s’impliquent pas directement dans la mise en place du projet mais participent à son suivi.
La Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE) est le porteur économique de l’activité. Les coopératives éphémères n’ont pas d’existence légale, elles facturent et existent juridiquement à travers la CAE. Dans la majorité des cas, cette dernière reçoit les financements, embauche les animateurs1 et est responsable de la sécurité et des conditions de travail. Elle porte la responsabilité civile et juridique et prend en charge le fonctionnement comptable, social et fiscal. Les coopérants signent un contrat CAPE (Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise), deviennent entrepreneurs salariés de la CAE et bénéficient des droits sociaux associés. Les CAE leur permettent de participer aux sessions d’émergence proposées aux autres salariés entrepreneurs ou à des modules de formation conçus spécifiquement pour les coopératives éphémères. Les CAE travaillent en étroite collaboration avec les pôles ESS qui portent l’ingénierie du projet, l’animation du comité de pilotage ou du comité local et l’évaluation de la démarche. Dans le modèle des CJS, chaque coopérative prévoit un encadrement par deux animateurs, dans l’idéal, l’un avec un profil « économie-gestion », l’autre avec un profil « animation/jeunesse/insertion ». Majoritairement issus du territoire d’implantation de la coopérative, ils sont recrutés par les membres du comité local et accompagnés ensuite par un parrain économique issu de la CAE sur la tarification, la facturation, le suivi comptable et la gestion. Le rôle des animateurs est à la fois, de conseiller et d’accompagner les coopérants au développement et à la consolidation de l’entreprise coopérative et de les soutenir dans une démarche d’acquisition d’autonomie dans un cadre d’entrepreneuriat collectif. Cependant, dans le cas des CJM et des CT, la présence de deux animateurs n’est pas forcément assurée pour des questions économiques. Les coopérants des CJM et CT intègrent la coopérative par l’intermédiaire de différentes structures : Structures de l’emploi et de l’insertion (mission locale notamment), foyer de jeunes travailleurs, structures d’éducation spécialisée, etc. Ils sont généralement peu qualifiés et avec des niveaux de formation variés (de niveau VI à III). Si la parité hommefemme est un objectif, elle est rarement atteinte2. Les coopérants commencent par vivre une semaine d’intégration qui favorise l’interconnaissance, la création d’une dynamique de groupe et le travail autour des valeurs et principes de la coopération. Arrive ensuite une phase de construction de la coopérative (organisation du temps de travail, répartition des missions, choix du nom de la coopérative etc.) puis de formation des coopérants. Dans le cadre de la vie économique de la coopérative, les coopérants réalisent des prestations pour les entreprises, les collectivités locales et les particuliers et mènent des activités d’autofinance1 A Brest, c’est le pôle ESS (ADESS pays de Brest) qui a endossé ces missions. 2 A Vannes, à la fin du projet, la coopérative de territoire ne compte que des femmes.
Les coopérants commencent par vivre une semaine d’intégration qui favorise l’interconnaissance, la création d’une dynamique de groupe et le travail autour des valeurs et principes de la coopération. Arrive ensuite une phase de construction de la coopérative (organisation du temps de travail, répartition des missions, choix du nom de la coopérative etc.)
ment. Ils participent aussi à la gestion administrative et à la promotion de la coopérative. Ces heures d’administration sont assurées volontairement et collectivement pour le bon fonctionnement de la coopérative. Ce qui distingue l’entrepreneuriat coopératif d’un entrepreneuriat classique réside dans cet engagement des coopérants dans la vie de la structure. Les coopérants sont détenteurs d’une part sociale (environ 10 à 15€), siègent au conseil d’administration hebdomadaire et participent ainsi à la prise de décision collective et démocratique de la coopérative. Selon leurs intérêts et leur volonté, ils sont également membres des comités marketing, finances et ressources humaines qui structurent l’organisation de la coopérative. Ces différents types de coopératives présentent donc des points communs sur le fond et sur la forme. Ces similitudes sont plus fortes entre les différentes coopératives ayant pour caractéristique commune d’être implantées sur un QPV : les coopérants résident majoritairement dans les QPV (c’est un critère de recrutement), le local (prêté ou loué par la ville ou un bailleur de logements sociaux) est implanté dans un QPV, les acteurs locaux du QPV sont sollicités pour participer au comité local, etc. Cependant, notre approche monographique exploratoire comparée a permis de mettre en lumière des configurations variées de CJM et CT sur les trois territoires enquêtés.
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Mais une diversité de configuration sur les territoires
U
n premier point de différenciation concerne les contextes de création des coopératives spécifiques au territoire enquêté et aux acteurs impliqués. A Brest et Vannes, l’existence antérieure d’une CJS ou d’une CJM a déjà permis aux porteurs de projet (Pôle ESS et CAE) de travailler ensemble, de se confronter parfois à des difficultés et également de fédérer un groupe d’acteurs. A Locminé, c’est un diagnostic de territoire sur la place des jeunes dans un territoire industriel rural, porté par le MRJC – précédemment impliqué dans l’expérimentation de la CJM de Saint Avé, territoire péri-urbain – qui préfigure la mise en œuvre de la CJM. La mise en perspective des configurations territoriales et d’acteurs contrastées montre que les combinatoires particulières de facteurs qui les spécifient peuvent avoir des effets sur la définition des objectifs ainsi que sur les « publics » visés. Une des premières missions des porteurs du projet de la coopérative est de mobiliser un groupe d’acteurs pertinents du territoire autour de leur projet. Leurs profils, compétences et prérogatives institutionnelles vont varier selon les configurations territoriales. Sur le territoire industriel rural de Locminé par exemple, plusieurs logiques d’action3 vont chercher à combiner leurs efforts dans une perspective large et renouvelée d’insertion et de stabilisation professionnelle des jeunes sur le territoire. Les points qui les rassemblent sont le respect du volontariat en opposition à une conception prescriptrice de l’orientation vers la coopérative, le fait de mettre les jeunes en position de partenaires dans le tissu territorial local, d’accroître leurs ressources, leur autonomie, leur confiance en eux. Les différences d’objectifs peuvent entrer en tension et générer des différences d’appréciation selon les acteurs. Cependant certains choix communs vont les rassembler par-delà les différences. Ils refusèrent d’un commun accord, malgré leurs difficultés de financement, d’avoir recours au financement d’un partenaire institutionnel qui aurait orienté leur recrutement vers des publics prescrits beaucoup plus contraints et moins volontaires dans leur orientation de vie. De façon transversale, toutes les expérimentations en œuvre sont 3 Les attendus des différents acteurs ne sont pas totalement similaires. Le MRJC vise un ancrage plus émancipé des jeunes dans l’économie locale (vivre et travailler au pays) ; Locminé formation cherche à améliorer la qualification et les capacités d’insertion des personnes qui résident sur le territoire ; la Mission Locale espère trouver dans les coopératives éphémères un outil d’insertion pour les jeunes les plus volontaires et débrouillards de la ML ; le club d‘entreprise met surtout l’accent sur l’acquisition de compétences techniques par ces jeunes et doute que le profil des jeunes recrutés le permette.
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confrontées à cette divergence d’objectifs. Ceux posés au niveau régional par le projet CRESS-CDC visent l’éducation à l’entrepreneuriat collectif et l’émancipation des coopérants. Au niveau local, certains acteurs se référent plutôt à l’insertion professionnelle, tout en se différenciant du champ « classique » de l’insertion, alors que d’autres orientent davantage le projet sur l’empowerment des publics1. Dans les expérimentations en QPV, l’ancrage territorial du projet n’est pas évident, par-delà l’origine géographique de la majorité des coopérants. Les acteurs du quartier impliqués dans le comité local ont surtout un rôle de soutien logistique et de recrutement des publics. L’implantation de la coopérative en QPV, parfois opportune en fonction des financements disponibles, ne s’est pas forcément construite avec les acteurs locaux, qui peuvent avoir du mal à trouver une place dans ce projet expérimental. Par ailleurs, la mobilisation des acteurs économiques du territoire n’est pas simple. A Brest et à Vannes, aucune entreprise n’est présente dans le comité local. A Locminé, elles le sont, par l’intermédiaire d’un club d’entreprises, mais qui n’a pas joué un rôle très actif d’intermédiaire avec le tissu socio-économique local. Enfin, les pratiques de fonctionnement des trois coopératives observées diffèrent. En premier lieu, au-delà d’un cadre pédagogique commun (apprentissage dans l’autonomie, par les pairs, pédagogie par l’expérience et le projet), le profil des animateurs (entre action sociale, animation socioculturelle, développement économique local) et leurs personnalités sont divers ainsi que leur mode d’animation de la coopérative qui peut être plus ou moins interventionniste. A Brest, l’animatrice a adopté une posture de laisser-faire qui permet aux coopérants d’expérimenter, de se tromper et d’apprendre de leurs erreurs. A Locminé c’est aussi l’apprentissage en situation qui prévaut. L’acquisition des compétences techniques et de la connaissance de soi et du groupe sont très articulées. A Vannes, le cadre et les limites seront davantage posés, les rôles et missions de chaque coopérant mieux définis, l’organisation au quotidien plus dirigée. L’animation de la coopérative influence le mode de gouvernance, plus ou moins formel. À Vannes, le conseil d’administration hebdomadaire des coopérants a joué un rôle central au niveau des prises de décisions. La « coordinatrice-facilitatrice » (le groupe a décidé de renommer ainsi la présidente afin d’éviter l’installation d’une hiérarchie et d’une prise de pouvoir) y a exercé un rôle de leader positif. A Brest, le comité exécutif et le conseil d’administration se sont progressivement effacés pour laisser la place à des prises de 1 Des réflexions similaires sont soulevées dans le travail de Fabien Gautrais qui s’interroge sur la place des CJS entre animation sociale, insertion professionnelle et éducation populaire : Gautrais, F (2015), « Les Coopératives Jeunesse de Services, quelle voie entre entrepreneuriat et éducation à la coopération ?», mémoire de master 2 La nouvelle économie sociale, Université de Toulouse – Jean Jaurès.
décisions « au fil de l’eau », facilitées par la petite taille du groupe de coopérants (5 personnes). Si un président a été formellement nommé en début de coopérative, il n’a pas, par la suite, joué un rôle différent des autres coopérants. Globalement, la démocratie interne semble avoir fonctionné dans les trois coopératives observées. Le projet économique de la coopérative ne s’est pas mis en place de la même façon dans les trois territoires enquêtés. En général, il prend la forme d’activités de prestations de service réalisées seul ou en groupe qui viennent alimenter un chiffre d’affaire global. Elles s’arrêtent à la fin de la coopérative. L’activité économique de la coopérative brestoise revêt une dimension particulière : elle s’inscrit dans une démarche entièrement collective, de la création jusqu’à l’après coopérative. Dès la phase d’intégration, les jeunes coopérants ont décidé de monter un projet d’activité commun d’impression sur tee shirt. Les prestations commerciales proposées, de petite restauration, ont servi d’auto-financement qui, complété par un financement participatif Kengo, doit permettre de constituer le capital nécessaire pour lancer leur activité au terme des 5 mois. Enfin, les groupes de coopérants ont un vécu et une identité propres. Que les relations d’apprentissage mutuel et d’entre-aide aient été formalisées (par des binômes à Vannes) ou non (de façon informelle à Brest), les coopérants soulignent leur complémentarité et leurs apports respectifs, au-delà des rôles qu’ils ont endossés au sein des différents comités au début de la coopérative. L’ambiance de groupe était globalement bonne dans les trois coopératives, malgré quelques conflits interpersonnels inévitables et les difficultés soulignées à travailler en groupe, s’écouter et prendre des décisions.
Conclusion
À
l’heure des bilans des premières expérimentations de CJM et CT, les acteurs s’interrogent sur l’impact de tels projets, à la fois sur les coopérants et sur le territoire. De façon transversale, que les coopérants soient entrés dans ce projet avec des motivations de reprise d’activités, de création d’entreprise ou bien pour vivre une expérience collective, on note chez la plupart une évolution positive dans la prise de confiance en eux, l’autonomisation, la responsabilisation, l’acquisition de compétences entrepreneuriales (gestion, marketing, animation de réunion, travail en équipe) et la création d’un réseau2. Mais ces 2 Sur l’impact des CJS sur les coopérants, voir le travail de Marie-Laure Point : Point, M-L. (2015), « Les CJS: un tremplin pour la vie personnelle et professionnelle des jeunes ? », mémoire de master professionnel « Droit et développement de l’ESS », Université de Poitiers.
Les coopératives éphémères permettent de mettre en lien acteurs économiques (de l’ESS et hors ESS), acteurs de l’emploi et de la jeunesse dans une dynamique d’action commune.
éléments d’évaluation, recueillis « à chaud », restent insuffisants pour estimer les effets en termes d’émancipation ou bien d’insertion (lorsque ces objectifs ont été clairement posés au départ) qui nécessiteraient une évaluation à moyen et long terme. L’impact territorial du projet réside davantage dans l’interconnaissance et la mise en réseau d’acteurs que dans un éventuel développement socio-économique du quartier par le chiffre d’affaire généré3. Les prestations marchandes des coopératives demeurent insuffisantes pour générer une véritable activité économique sur le territoire. Mais, comme l’ont souligné Sandrine Rospabé, Hélène Lebreton et Emmanuelle Maunaye dans le cas des CJS, les coopératives éphémères permettent de mettre en lien acteurs économiques (de l’ESS et hors ESS), acteurs de l’emploi et de la jeunesse dans une dynamique d’action commune4. A l’issue de ces expérimentations, un certain nombre de questionnements émergent. Nous l’avons souligné plus haut, les finalités de ces coopératives éphémères (entre inclusion, insertion, émancipation, éducation à l’entrepreneuriat, à l’ESS) ne sont pas toujours claires et insuffisamment débattues entre les partenaires locaux du projet, ce qui peut susciter des malentendus quant aux résultats attendus. Par ailleurs, les acteurs s’interrogent sur les statuts des coopérants qui sont généralement dans des situations financières fragiles, bénéficiaires du RSA, de l’ARE, ou bien de contrat jeune majeur ou encore en dispositif « Garantie jeunes ». La faible rémunération issue de l’activité économique de la coopérative ne permet pas d’y remédier et d’éviter certains départs en cours du projet5. Parallèlement au statut des coopérants, c’est aussi celui des animateurs 3 D’après les bilans produits par les coopératives, les chiffres d’affaire étaient les suivants : à Vannes, 1464€ HT pour 3 mois ; à Locminé, 3368€ TTC pour 3 mois ; à Brest, 1850€TTC pour 5 mois. 4 Rospabé S., H Lebreton, E. Maunaye (2017), « Les Coopératives Jeunesse de Services importées du Québec : pour un rapprochement des acteurs « économiques » et « éducatifs » de l’ESS», RECMA, Revue Internationale de l’économie sociale, n°344, p.89-102 5 Le salaire par coopérant était le suivant : à Vannes, 180€ environ pour 3 mois ; à Locminé, entre 230 à 320€ pour 3 mois. A Brest, la somme dégagée par l’activité économique a été réinvestie dans l’achat de matériel pour poursuivre le projet à la fin de la coopérative.
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qui préoccupe les acteurs de terrain : contrat de courte durée et rémunération au SMIC ne favorisent pas une qualité de l’emploi en cohérence avec les valeurs défendues dans l’ESS. Enfin, d’après certains acteurs, la mise en œuvre d’une coopérative éphémère coûte cher (entre 20000 et 25000 € en moyenne, pour financer le salaire des animateurs, la rémunération de l’animation du comité local, de la CAE, etc.) et sur tous les territoires se pose la question de la pérennisation. Durant cette première phase d’expérimentation, ce sont essentiellement des financements publics qui ont été mobilisés (CDC, Développement Social Urbain (DSU), la DIRECCTE, Contrat de partenariat unique Europe/Région/Pays, etc.). Ces financements ne sont pas assurés et les porteurs locaux explorent la possibilité de recourir à des fonds privés, notamment par le biais de fonds de dotations, à l’exemple de ce qui a été fait à Saint-Brieuc pour les CJS. Ce recours au financement privé (d’entreprises de l’ESS et hors ESS) questionne. Quel peut être son impact sur des projets jeunesse d’insertion/éducation ou des projets de sensibilisation à l’entrepreneuriat collectif et à l’ESS ? Si, comme nous l’avons vu, les acteurs à l’initiative du projet défendent une philosophie d’éducation populaire, ce type de compromis peut l’éloigner de sa dimension politique d’action sur les rapports de domination et d’exploitation propres aux formes résolument capitalistes de l’activité et du travail6. Comment se prémunir du risque d’isomorphisme, défini comme « un processus contraignant qui force les unités d’un ensemble à ressembler aux autres unités qui affrontent les mêmes contraintes »7, qui touche par ailleurs nombre de structures d’ESS ? Dans leurs réflexions sur les CJS, Amandine Plaindoux et Geoffrey Volat (2017) remarquaient déjà que « les CJS flirtent parfois avec des pratiques isomorphiques (marketing, place hégémonique du marché, etc.) » et soulignaient en conséquence que « la dimension politique du concept CJS, la vision de la société qu’il souhaite véhiculer, doit déterminer les pratiques économiques qui lui sont inhérentes »8. Une vigilance particulière doit être portée à ces questionnements.
6 Mesnil A., Morvan A. & Storaï K., 2015, « Pour une éducation populaire politique », S!lence, n°440, p. 12-14. 7 Dimaggio P & Powell W. (1983), The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields, Rochester, NY, Social Science Research Network. p. 147-160. 8 Plaindoux, A & G. Volat (2017), « Les Coopératives Jeunesse de Services, vers une conscience citoyenne pour les jeunes coopérants », communication au colloque du RIUESS, 22-24 mai, Marrakech.
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S’engager dans une démarche participative, Archipel Habitat, Office Public pour l’Habitat de Rennes Métropole, face à de nouveaux besoins Vincent Souquet est architecte, diplômé d’État à l’ENSA Bretagne ; doctorant à l’Institut de Géoarchitecture Université de Bretagne Occidentale
Résumé A partir des opérations de réhabilitation du patrimoine de l’Office Public de l’Habitat de la Métropole de Rennes, Archipel Habitat, nous nous interrogeons sur les moyens, les objectifs et les obstacles qui font face à une plus grande implication des locataires dans la transformation et la gestion de leur cadre de vie. Comment les organismes HLM, se saisissent de l’émergence de concepts comme celui de l’habitat participatif et comment cela peut transformer leurs pratiques professionnelles ?
Vincent Souquet
Introduction
A
lors que les difficultés d’accès au logement dans les métropoles française sont plus que jamais d’actualité1, de nouveaux modes de production apparaissent dans ce contexte urbain « tendu ». L’habitat participatif est de ceux-là. Au-delà des complexités techniques de leur réalisation et des racines militantes des projets, c’est l’essor d’un nouveau rapport à la propriété privée que ces opérations mettent en évidence2. Les organismes de logement sociaux proposent eux, depuis longtemps, des solutions alternatives, intermédiaires ou provisoires à la propriété privée. Aussi il nous est apparu intéressant de comprendre quel regard ces derniers pouvaient porter sur ces nouveaux projets qui diffèrent de leurs pratiques habituelles et quelles sont les passerelles possibles entre ces deux manières d’envisager la fabrication et la gestion de l’habitat ? Ayant contesté, depuis les années 1960-1970, les productions publiques du logement, les organisations associatives, dont sont issues les actuelles associations militantes de l’habitat participatif, ont connu depuis 2010 un renouveau, un regain d’activité et surtout une nouvelle considération des politiques publiques du logement avec l’arrivée au pouvoir, dans certaines aires métropolitaines, de représentants du parti écologique « Les Verts »3. Ces mouvements militants, en se fédérant autour de valeurs 1 Driant J-C., Mobilité résidentielle et crise du logement, Politique du logement, www.politiquedulogement.com, consulté le 20/04/2017 2 Denèfle S. (dir), Repenser la propriété, des alternatives pour habiter, Rennes, PUR, 2016 3 D’Orazio A., Carriou C. , « L’habitat participatif », quand les institutions militent, Socio-anthropologie, n°32, 2015, p139-154.
L’habitat participatif : une recherche d’alternatives aux cadres de production classique du logement, qui positionne l’usager au cœur de la réalisation et de la gestion de son lieu de vie.
communes, ont fait naître le terme « d’habitat participatif ». En 2011, le livre blanc éponyme définit ainsi cet objet : les projets d’habitats participatifs se rassemblent autour d’objectifs qui sont « la recherche d’alternatives aux cadres de production classique du logement, en positionnant l’usager au cœur de la réalisation et de la gestion de son lieu de vie ». La loi ALUR du 24 mars 2014, met en lumière ces projets jusque-là relativement confidentiels en octroyant à des coopératives habitantes ou sociétés d’attribution et d’autopromotion le droit « de construire, d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis». Certains groupes d’habitants ayant un projet d’habitat participatif, font ainsi de leur indépendance par rapport à tout professionnel de la construction du logement, une condition essentielle pour que leur projet puisse être qualifié d’habitat participatif4. Néanmoins, ces projets, souvent portés par une poignée d’initiés, se diversifient et se diffusent, notamment vers des publics plus modestes n’ayant pas les moyens d’accéder classiquement à la propriété (même partagée), mais pouvant en revanche, bénéficier de l’accès au logement locatif social. L’habitat participatif s’est donc positionné comme une tentative de réponse aux problématiques actuelles mêlant, crises financière, sociale et écologique, dans le secteur du logement, en proposant une variation du mode de propriété, en particulier lorsque le groupe d’habitants se fédère en coopérative. Ceci étant, il ne relève pas d’une labélisation, d’une marque déposée ou d’une quelconque appellation contrôlée. Le terme recouvre ainsi un large spectre d’initiatives et de projets, il est en outre concurrencé par des quasi-synonymes : « habitat groupé », « habitat coopératif », « habitat autogéré », « cohousing », etc. Ce qui contribue à une certaine confusion. Ainsi, la coopérative d’habitants n’est pas le seul modèle de propriété qui puisse être attribué à l’habitat participatif : d’autres projets peuvent s’organiser différemment, en simple copropriété par exemple5. 4 Devaux C., L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique, PUR, Rennes, 2015 5 Bresson S., La copropriété repensée dans l’habitat participatif, in Denèfle S. (dir.), Repenser la propriété, des alternatives pour habiter, PUR, 2016, p.103-114
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Les chercheurs ne se sont pas accordés sur le qualificatif le plus pertinent. Mais c’est « habitat participatif » qui semble être le plus fédérateur pour rassembler ces grandes variétés de modes de propriétés « alternatives »6. Alors que l’habitat participatif renaît au travers de quelques initiatives dans les années 2010, les organismes HLM eux, travaillent depuis longtemps à l’implication des locataires dans leurs activités. Les recherches sur la place de « l’usager » de « l’habitant » ou du « locataire », en particulier dans les opérations de réhabilitations rattachées aux programmes de politique de la ville, se succèdent des années 1970 à nos jours et nous donnent un aperçu de l’évolution du sujet de la participation au cours de cette période : de Henri Lefebvre en 1968, à Marion Carrel en 2013 ou Jeanne Demoulin en 2014, en passant par André Sauvage, sociologue à l’ENSA Bretagne, ou Philippe Warin qui, en 1995, avec le titre de son article « Les HLM : impossible participation des habitants » fut le plus provocateur7. Les sociologues se sont largement fait les porte-voix de la nécessité d’impliquer davantage les habitants dans la définition et la gestion de la ville et des ensembles de logements sociaux. Ils ont réinterrogé les objectifs poursuivis par les organismes qui mettent en œuvre une politique et des dispositifs d’accompagnement social de leurs locataires. Ils en viennent généralement à considérer ces dispositifs comme instruments du maintien d’un ordre social plutôt que comme outils pour une véritable satisfaction de l’usager inscrite dans une visée émancipatrice.
E
n se rencontrant sur des problématiques communes : loger et faire participer à cet objectif les personnes qui ont peu de ressources financière, comment les tenants de l’habitat participatif et les organismes HLM peuventils s’inspirer mutuellement? L’habitat participatif s’est positionné avant tout comme une autre voie, un complément, et non pas comme un dispositif « concurrentiel » des organismes HLM. Aujourd’hui, une partie des militants intensifient leurs liens avec ces derniers, prenant conscience qu’ils peuvent avoir à travailler ensemble. L’habitat participatif peut ainsi préfigurer, par certains de ces aspects, les transformations nécessaires des organismes HLM pour assurer leur mission de service public et leur rôle dans la fabrication d’une ville plus soutenable.
6 Devaux C., L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique, PUR, Rennes, 2015 7 Warrin P., « Les HLM : impossible participation des habitants ». Sociologie du travail, 37 (2), pp. 151-176, 1995
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Posture de recherche, méthodologie
P
our repérer les ponts possibles entre habitat participatif et logement social, nous bénéficions d’un programme de recherche en convention Cifre, établi entre l’Institut de Géoarchitecture de l’Université de Bretagne occidentale et l’Office Public de l’Habitat de la métropole de Rennes, ancien office municipal, Archipel Habitat. Le cadre de travail que nous fournit ce dernier nous permet alors de suivre des projets de réhabilitation importants, mais aussi de participer à l’échelle nationale à différentes rencontres professionnelles afférentes aux questions de l’habitat participatif et/ou de la participation des locataires. Nous suivons, entres autres, les réunions du « réseau HLM pour l’habitat participatif » créé à la fin de l’année 2015 par l’Union Social pour l’Habitat (USH). Nous sommes donc à la fois en immersion sur le terrain avec les équipes d’Archipel Habitat, qui mettent en place des dispositifs de concertation pour les travaux de réhabilitation, et en immersion dans « l’univers HLM », en découvrant les sujets d’actualité et d’innovation (en particulier l’habitat participatif), qui agitent l’ensemble de cette famille professionnelle, sur le territoire national. Ceci va nous permettre de distinguer diverses postures adoptées par les organismes et, en particulier, celle d’Archipel Habitat, qui se démarque, sur cette question de l’habitat participatif. Notre recherche, quant à elle, découle directement de la formule énoncée par l’Office HLM pour cadrer notre intervention: « La qualité de service via la participation des habitants ». Elle vise le déploiement de « méthode de travail permettant une participation active des habitants(…) », ainsi que « la mise en place d’un dispositif de transformation des pratiques professionnelles dans le but d’améliorer les services rendus aux locataires, en les rendant, chaque fois que possible, acteurs de leur cadre de vie. » La convention signée entre le laboratoire et l’office public met en évidence le caractère prescripteur du travail de recherche. La formulation retenue nous permet de poser une première question : que signifie « être acteur de son cadre de vie » et quel(s) besoin(s) recouvre cette expression ; comment y répondre? Y répondre implique une analyse critique des projets d’habitats participatifs. Avant tout, il nous faut comprendre comment est pensé aujourd’hui le rôle des organismes HLM et particulièrement celui des Offices publics, alors que nous découvrons les différents projets qui forment la vitrine de l’évolution de leurs pratiques professionnelles, en particulier de ceux qui se sont engagés dans des programmes d’habitat participatif sur le
L’habitat participatif s’est positionné comme une tentative de réponse aux problématiques actuelles mêlant, crises financière, sociale et écologique, dans le secteur du logement, en proposant une variation du mode de propriété, en particulier lorsque le groupe d’habitants se fédère en coopérative. territoire national. À Rennes peut-être plus qu’ailleurs, le sujet pose une véritable question d’éthique. La politique volontariste de la ville, puis de la métropole, en matière de logement social, fait figure d’exemple à l’échelle nationale : elle applique entre autre, un système largement éprouvé d’attribution, contrôlé par des critères précis, gradués, et s’est engagée dans la production de logements locatifs sociaux à destination des plus modestes (PLAI). Ne se reconnaissant vraisemblablement pas intégralement dans les projets, parfois stéréotypés, d’habitat participatif, la collectivité s’est réapproprié le concept en l’adaptant à ses attentes et en l’inscrivant dans son PLH sous le terme « d’habitat concertatif ».
À
l’échelle nationale, les collectivités bénéficient d’une relative autonomie dans l’organisation de la politique du logement qu’elles souhaitent mener, ce qui produit une dilution du concept du logement social. La notion reste floue : le « droit public français ne donne aucune définition précise de la notion de logement social » 1 et « il existe, (…) une grande variété de définitions qui traduisent des conceptions plus ou moins restrictives du logement social »2. Ce que nous nommons « logement social » recoupe ainsi des notions construites tout au long de son développement et de l’évolution de son rôle au cours de cette histoire. Ceci n’exclut pas des orientations nationales : « Hier, on demandait aux offices HLM de loger les salariés de la croissance. Aujourd’hui, on attend d’eux qu’ils accueillent les salariés de la précarité, voire ceux qui ne sont même pas salariés. »3. La conception du rôle des organismes de logements sociaux, en particulier celui des Offices Publics, reste éminemment politique4. Ainsi, c’est entre une fonction de spécialisation vers des publics défavorisés et celle d’un généraliste de l’habitat en faveur d’une mixité sociale, que les débats ont lieu, comme l’évoque, plus haut, cette allocution de Pierre-André Périssol, ancien ministre du Logement dans 1 Graëffly R., Le logement social : étude comparée de l’intervention publique en France et en Europe occidentale, Paris, LGDJ, 2006, p.2 2 Quilichini P., Logement social et décentralisation, Paris, LGDJ, 2001, p. 2 3 Perissol P., En mal de toit, Pour sortir de la crise du logement, Paris, L’Archipel, 1995, p. 73. Pierre-André Périssol est ministre du Logement dans le gouvernement Juppé, de mai 1995 à mai 1997. Cet ingénieur général des Ponts et chaussées faut aussi vice-président de l’Union HLM. 4 Bonnet L., Métamorphoses du logement social-Habitat et citoyenneté, Rennes, PUR, 2015
le gouvernement Juppé. L’orientation actuelle étant plutôt à la spécialisation en faveur des publics précaires, tout en cherchant à favoriser un « parcours résidentiel » faisant du logement locatif social, une étape, une période transitoire pour le foyer, avant d’acquérir un logement. C’est cette stratégie qui est déployée à Rennes et fortement encadrée par les pouvoir publics. Or, les différentes crises financières conduisent à sédentariser les locataires de ces logements, qui n’ont plus les moyens d’accéder à la propriété, malgré les nombreux dispositifs d’accession sociale. À Rennes, la production massive de logements engagée dans le Plan Local de l’Habitat 2005 - 2014 (environ 37500 logements livrés) a permis la sortie de la liste des « zones tendues », mais aussi une meilleure fluidité des parcours et un rééquilibrage du territoire5. Néanmoins, face à une crise économique durable, on peut s’interroger sur la reprise de l’allongement de l’attente pour obtenir un logement locatif social (le délai normal de proposition d’un logement HLM est de 30 mois dans Rennes Métropole, pour les T1 jusqu’aux T36).
Rendre les locataires « acteurs de leur cadre de vie », c’est leur donner plus d’autonomie, de liberté dans la gestion de leur habitat et des espaces qui le constituent.
Ceci implique de répondre de manière différente aux attentes des locataires, qui peuvent avoir le sentiment d’être « assignés à résidence », en redéfinissant par exemple la manière dont ils peuvent intervenir dans la gestion de leur cadre de vie, ou dans l’organisation de l’espace de leur foyer. Se résigner à ne pas accéder à la propriété ne devrait pas empêcher d’autres formes d’implication des habitants dans la gestion de leurs espaces de vie. C’est ici le statut du locataire qui doit être repensé : lorsqu’une location a vocation à devenir le mode d’habitat durable du foyer, comment organiser les relations entre bailleur-locataire d’une part et locataire-locataire d’autre part ? Si la crise financière globale provoque de nouveaux modes de propriété des logements, comme l’habitat participatif, auxquels peuvent encore 5 PLH 2015-2020, Rennes Métropole. 6 Les « délais anormalement long d’attribution » sont répertoriés sur https://www.senat.fr/rap/r08-092/r08-0927.html consulté le 18/10/2017, passé ce délais, la demande devient prioritaire.
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accéder les plus aguerris au combat, il convient aussi de repenser les modes de gestion et de gouvernance de l’habitat collectif existant, qui lui aussi a besoin de se réinventer. Les nouvelles aspirations d’une partie des locataires découlent d’une certaine frustration devant l’inaccessibilité de la propriété privée, ce qui nécessite une forme de compensation, par une capacité plus grande à maîtriser son environnement : rendre les locataires « acteurs de leur cadre de vie », c’est leur donner plus d’autonomie, de liberté dans la gestion de leur habitat et des espaces qui le constituent. C’est le paradoxe de l’action du bailleur, qui pour mieux répondre aux attentes de certains de ses locataires, devrait en quelque sorte se désengager partiellement de la gestion de son patrimoine et par là, peut-être, changer le statut du locataire. La difficulté tient aussi au fait que seule est concernée par ce phénomène une partie des locataires, tandis que d’autres parviennent à suivre un parcours résidentiel « classique » et continuent d’utiliser le logement social comme une passerelle vers autre chose. Les autres, qui ne disposent pas de ces capacités, nécessitent un accompagnement différencié. Par ailleurs, la coexistence dans les mêmes bâtiments de ces différents publics, aux trajectoires résidentielles proches mais néanmoins distinctes, peut être génératrice de tensions ou tout du moins constituer un facteur de faible cohésion sociale7, ceci nous renvoie donc à ce que l’on met derrière la notion de mixité sociale.
Le positionnement d’Archipel Habitat, face à ces enjeux : une expérimentation
O
n voit donc que l’ensemble des sujets de préoccupation des organismes HLM sont solidaires les uns des autres et se rencontrent autour de la question de la participation des locataires via l’adaptation à leurs aspirations. Le questionnement d’Archipel Habitat consiste à comprendre comment l’organisme peut mettre en place des processus de dialogue, d’échange et de partage avec les locataires, tant dans la gouvernance, que dans les projets de site, d’animation sociale, de réhabilitation ou de construction de logements neufs, qui puissent lui permettre de passer 7 Authier J-Y, Bonvalet C., Lévy J-P. (dir.), Elire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon, PUL, 2010. Et Gilbert P., Devenir propriétaire en cité HLM, Petite promotions résidentielles et évolution des styles de vie dans un quartier populaire en rénovation, Politix 2013/1, n°101, p. 79-104
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d’un travail fait pour le locataire à un travail fait avec lui. Le bailleur ne s’intéresse pas à un projet d’habitat participatif, qui pourrait rester une opération anecdotique, mais plutôt au moyen de faire participer l’ensemble des locataires dans les logements dont il a la gestion. Il s’appuie pour cela sur une longue expérience de politique de proximité, en particulier au travers du maintien d’agents dans une grande partie de ses immeubles. L’intérêt pour l’habitat participatif est ainsi plutôt une forme de « curiosité », qui est examinée comme un phénomène relativement périphérique à l’activité de l’office et peu adapté au cœur de métier du bailleur de logement locatif qu’est Archipel Habitat. Mais, surtout, nous percevons au travers des différents discours de l’Office, qu’il s’agit avant tout, au travers de cette étude, de réaffirmer le travail social du bailleur et son approche égalitaire de l’accès au logement pour tous en tant que détenteur d’une mission d’intérêt générale.
A
rchipel Habitat déploie ainsi de nombreux outils devant permettre d’aller plus loin dans l’implication des locataires. Dans les projets de réhabilitation des immeubles, cela se traduit entre-autre par une série de dispositifs, comme les réunions publiques, l’enquête sociale individuelle puis un diagnostic en marchant et, enfin, dans les projets les plus récents, l’introduction « d’ateliers participatifs » devant impliquer les habitants tout au long du projet. Par ces dispositifs, Archipel Habitat, tente d’organiser une sorte d’habitat participatif, sans s’attacher à une définition stricte du terme, à partir d’immeubles existants et de locataires en place en proposant à ces derniers de les accompagner tout au long du projet. Les objectifs recherchés sont l’adhésion des locataires au projet et l’adaptation de celui-ci à leurs aspirations. Les équipes de maîtrise d’œuvre du bailleur font ainsi l’expérience d’une plus grande exposition du projet aux remarques et aux avis des locataires. Après trois, quatre ou cinq rencontres avec ces derniers, les opérateurs du projet ont parfois instauré avec eux des relations presque amicales : un dialogue plus naturel et une confiance se sont alors construits. Les demandes des locataires prennent une autre dimension. S’engager dans ce type de démarche oblige les équipes à plus d’inventivité et de réactivité pour répondre aux attentes. De nombreux éléments restent encore à travailler, comme une transparence plus accrue sur les enjeux des projets ou sur la manière dont les programmes sont déjà partiellement définis. Les équipes peuvent ainsi avoir le sentiment de manipuler les locataires lorsqu’ils présentent un dispositif de concertation à forte valeur « participative » alors que la grande majorité des éléments du projet leurs apparaissent déjà déterminés. Penser ainsi reviendrait à dire que ce sont les marges de manœuvre qui déterminent la valeur participative d’un projet, alors que ce qui compte réellement c’est la délégation du choix aux usagers: quelle est la liberté dont ils disposent
pour refuser ou non ce projet1 ? Évidemment, si ce choix se restreint à celui de la couleur des murs des escaliers, on peut dire que la collaboration reste limitée. Ces expériences peuvent donc se révéler peu concluante sur le plan du « poids des locataires » dans les grandes orientations du projet et en cela être assez éloignées de « l’habitat participatif ». C’est donc plutôt dans la reconstruction d’un lien entre les habitants et leur bailleur, et entre eux, que se situe la plusvalue majeure de ce type de projet. Malgré une grande volonté de l’organisme pour s’impliquer dans des démarches participatives, il semble que les processus de participation des habitants soient absorbés voire dominés par d’autres dispositifs de programmation, de planification et d’organisation du logement social sur le territoire.
Conclusion
L
es avancées que proposent ces modes de concertation avec les locataires sont salutaires dans la gestion des conflits qui sont monnaie courante dans ce type de projet. Pour autant, ceci permet-il un changement de perception, par les habitants, du rôle qu’ils peuvent jouer dans la définition du projet ? La réponse plus précise à leur demande ne masque pas l’insatisfaction d’un besoin plus profond2 que peut ressentir une partie grandissante des locataires. La frustration d’une inaccessible ascension du statut locatif à la propriété, reste, elle, inassouvie pour une partie d’entre eux. Alors que les crises économiques renvoient à des discussions sur l’obsolescence de la propriété privée classique et provoque l’apparition de modes alternatifs, comme l’habitat participatif, est-ce que le logement locatif et plus particulièrement le logement locatif social devient, lui aussi, obsolète ? Les organismes de logement social ont toujours répondu au besoin essentiel des citoyens les plus modestes d’habiter dignement. Ils doivent encore pouvoir se réinventer pour répondre à ces nouveaux enjeux, ce qui implique spécialement de réfléchir aux moyens de sortir de la dichotomie : accession à la propriété privée – locatif social3. Archipel Habitat a, par exemple, mutualisé l’effort financier sur l’ensemble de son patrimoine afin de compenser la variété des situations de ses ensembles. D’autre projets qui sont portés par le bailleur, comme celui d’un loyer unique par type de logement (T1-T2-T3…) sont des tentatives de réponse à l’inflation immobilière géographiquement 1 Compte rendu du séminaire praticien-chercheurs autour de la participation – institut de la concertation, MSH Montpelier et groupe montpelliérain des questions de la participation. L’évaluation de la participation, 19 avril 2010. 2 « La demande porte sur autre chose que la satisfaction qu’elle appelle » Lacan. 3 Denèfle S., Repenser la propriété – des alternatives pour habiter, PUR, 2016
différenciée : le coût du logement ne dépend que de sa typologie et non plus de sa surface ou de sa localisation. L’Office et sa métropole poursuivent ainsi la fabrication d’un patrimoine immobilier commun, réparti sur leur territoire afin d’offrir plus de liberté aux habitants sur leurs choix résidentiels. Mais la propriété publique est elle-même une notion largement réinterrogée par certaines doctrines qui plaident pour une réappropriation par la population de ces biens publics4. On voit donc que la volonté des institutions de faire ce pas, ne suffit pas à transformer les relations de pouvoir. L’issue se trouve donc dans le domaine des moyens dont dispose la population, de se saisir des politiques publiques, de les interpeler, de les refuser ou non, de la même manière que lors des projets de réhabilitation. On pourra ainsi évoquer la capacité ou « capabilité »5 des citoyens à se saisir de ces opportunités et de la mise à disposition par les institutions de ces moyens. C’est un chemin long et cahoteux qui est emprunté et la réussite de ces transformations tient peut-être paradoxalement à un prolongement durable d’une « crise économique » du système productiviste permettant une prise de conscience généralisée. Nous pourrions accéder ainsi à une nouvelle étape de l’évolution de ce système, une sorte de reboot de notre modèle de production basé en grande partie sur la propriété privée. Dans ce cadre, le logement locatif social a donc toujours son rôle à jouer.
Denèfle S., Repenser la propriété – des alternatives pour habiter, PUR, 2016 Devaux C., L’habitat participatif. De l’initiative habitante à l’action publique, PUR, Rennes, 2015 Driant J-C., Mobilité résidentielle et crise du logement, Politique du logement, www.politiquedulogement.com, consulté le 20/04/2017 Gilbert P. , Devenir propriétaire en cité HLM, Petite promotions résidentielles et évolution des styles de vie dans un quartier populaire en rénovation, Politix 2013/1, n°101, p. 79-104 Graëffly R., Le logement social : étude comparée de l’intervention publique en France et en Europe occidentale, Paris, LGDJ, 2006 Quilichini P., Logement social et décentralisation, Paris, LGDJ, 2001 Sen A., L’économie est une science morale, Paris, la découverte, 2003 Warrin P., « Les HLM : impossible participation des habitants ». Sociologie du travail, 37 (2), pp. 151-176, 1995
BIBLIOGRAPHIE Authier J-Y, Bonvalet C., Lévy J-P. (dir.), Elire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon, PUL, 2010 Baudrillard J., La genèse idéologique des besoins, (Cahier internationaux de sociologie, 1969), in Pour une critique de l’économie politique du signe, Paris, Gallimard, 1972 Bonnet L., Métamorphoses du logement social- Habitat et citoyenneté, Rennes, PUR, 2015 Bresson S., La copropriété repensée dans l’habitat participatif, in Denèfle S. (dir.), Repenser la propriété, des alternatives pour habiter, PUR, 2016, p.103-114 Carriou C., D’Orazio A., « L’habitat participatif », quand les institutions militent, Socio-anthropologie, n°32, 2015, p139154. Dardot P., Laval C., COMMUN, Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La découverte, 2014 4 Dardot P., Laval C., COMMUN, Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La découverte, 2014 5 Sen A., L’économie est une science morale, Paris, la découverte, 2003
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Recherche-Action « L’action publique de proximité face aux évolutions sociales et culturelles dans le quartier du Blosne à Rennes » Chafik HBILA est docteur en sociologie et sociologue à Jeudevi (www.jeudevi.org). Spécialiste des questions de jeunesse et de la politique de la ville, il est aussi chercheur associé à la Chaire de jeunesse sur les questions de jeunesse de l’EHESP, à Rennes.
Contexte et objectifs de la démarche
D
es témoignages issus du vécu quotidien de ces agents de proximité parvenaient de façon isolée aux différentes institutions présentes dans le quartier du Blosne et réunis au sein de l’APRAS (Ville de Rennes, Rennes Métropole, bailleurs sociaux, etc.). Il s’agissait d’expressions qui, de plus en plus, mettaient en scène des rapports tendus des agents à une partie de la population en raison de comportements jugés déviants aussi bien dans les espaces publics du quartier (usages et appropriation, etc.) que dans les immeubles (voisinage, gestion des communs, etc.). Les organismes HLM, la Ville de Rennes et Rennes Métropole réunis au sein de l’APRAS ont décidé d’explorer ces questionnements en interpellant prioritairement la perception qu’ont les agents de cette situation. Pour ce faire, ils ont souhaité solliciter un prestataire extérieur afin de proposer une mission d’accompagnement des agents de proximité du quartier du Blosne à Rennes.
Chafik Hbila L’APRAS observe également des transformations sociales dans le quartier du Blosne depuis quelques années, notamment à travers l’évolution de la sociologie de la population de ce territoire ; ce qui pose, de manière générale, les questions de la cohésion sociale dans le quartier, d’une part, et des interventions publiques qui lui sont dédiées, d’autre part. Les objectifs et le contexte de l’accompagnement Au regard du contexte et des attentes de l’APRAS et de ses partenaire, trois objectifs peuvent être reformulés pour guidé cet accompagnement : - Proposer un espace de dialogue et d’échange aux agents de proximité - Objectiver les phénomènes sociaux observés (passer du ressenti à l’explicitation) - Outiller les agents de proximité en articulation avec les autres missions des institutions concernées par l’accompagnement Les agents concernés par l’accompagnement étaient ceux qui agissent quotidiennement dans le cadre de missions de proximité relatives à la gestion urbaine de proximité : gardiens d’immeuble, correspondants de nuit, agents de propreté urbaine, agents des services voirie et espaces verts, gardiens de gymnase, Police Municipale, etc. Le groupe de travail a été ouvert à 25 agents qui ont été identifiés par leur hiérarchie dans le cadre du comité de pilotage de l’APRAS. Méthodologie d’intervention de la recherche-action
Le quartier du Blosne en quelques mots… Le Blosne, quartier politique de la ville (QPV) de Rennes Métropole était peuplé de 15 621 habitants en 2011 avec un revenu médian par unité de consommation de 1 009€, soit légèrement inférieur à celui des 5 autres QPV de Rennes Métropole (1 113€) . Le quartier est retenu dans la liste des 200 quartiers du NPNRU et va faire l’objet de profondes transformations urbaines dans les années à venir, ce qui représente un atout considérable pour ce territoire.
En termes de posture durant l’accompagnement, nous avons tenté de créer les conditions d’une expression de tous agents et avons été vigilant à cela. Le défi était d’autant plus grand que nous étions face à des professionnels qui ne sont pas immergés dans une culture professionnelle de l’écrit et de la conceptualisation de leurs missions. Il nous a donc fallu mettre en confiance afin de faciliter les prises de parole et les échanges. Nous leur avons bien entendu garanti l’anonymat. Il s’est agi également, afin de faire progresser les agents, de leur apporter quelques éclairages sur les mutations sociales, les quartiers prioritaires et sur d’autres thématiques en jeu dans l’accompagnement (rapports aux institutions, besoins de reconnaissance, vécu discriminatoire, relations interculturelles…). Plus concrètement, nous avons proposé
un cycle réflexif de 4 demi-journées allant des constats à la formulation de pistes d’amélioration. En parallèle, un comité de pilotage a été mis en place afin de suivre la démarche. Animé par l’APRAS, il était composé des représentants des services et institutions engagés dans la démarche (bailleurs sociaux et services de la Ville de Rennes), mais aussi du directeur de RésO Villes.
Thématiques de travail
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l’issue de l’après-midi de la première séance de travail, après le diagnostic en marchant et les échanges qui ont eu lieu, les participants décident d’approfondir leur analyse sur quatre thématiques qu’il conviendra de déconstruire afin d’objectiver les constats pointés : 1/ Sociologie de la population et évolution dans le temps : Comment qualifier la population du Blosne ? Quelles sont les sous-populations qui composent la population du quartier ? En quoi la population du Blosne a-t-elle évolué ? Quels sont les forces et les faiblesses de cette population dans sa pluralité ? Quels sont les problèmes repérés ? 2/ Relations agents de proximité – population : Quels rapports entretiennent les agents avec la population dans sa diversité ? Comment la population en général perçoit et s’approprie le travail des agents de proximité ? Y a-t-il des rapports différents entre les agents et les habitants selon les différentes catégories de population repérées (ethnique, genre, génération, statut social, etc.) ? Quels sont les problèmes à traiter ? 3/ Rapports des habitants aux espaces publics : Comment les habitants dans leur diversité s’approprient les espaces publics ? Quels sont les usages repérés des différents espaces publics ? Y a-t-il des usages spécifiques des espaces publics selon les différentes catégories de population ? Lesquels ? Quels sont les problèmes repérés ? 4/ Tranquillité publique (trafics, nuisances, vandalisme, etc.) : Quels sont les actes déviants les plus visibles et les plus problématiques ? Comment comprendre l’occupation des espaces publics par différents groupes d’individus ? Quelles sont les alternatives éducatives qui pourraient être envisagées ? Les thèmes de travail retenus pour formuler des préconisations Après avoir objectivé les constats, le groupe a priorisé 10 thèmes de travail dans le but de produire des préconisations en vue d’améliorer la gestion urbaine de proximité
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au Blosne : la gestion des encombrants ; la lutte contre le vandalisme ; les déchets ménagers et détritus ; les déchets polluants ; le stationnement ; les intrusions sauvages dans les équipements ; les regroupements d’individus ; l’interconnaissance ; la reconnaissance du travail ; l’information sur les politiques publiques. Pour chacun de ces thèmes, des questionnements précis ont été formulés par les agents afin d’orienter rigoureusement le travail de production des préconisations. Trois grands types de mesures Au final, nous pouvons synthétiser les pistes d’amélioration et les préconisations des agents en trois grands types de mesures, certaines étant transversales à toutes les institutions et d’autres ne relevant de la compétence que d’une seule d’entre elles. Préventives et éducatives : • Transversales à toutes les institutions : campagne de sensibilisation, opérations avec les habitants en lien avec les acteurs socioéducatifs, etc. • Relevant de la compétence d’une seule institution : renforcement ou création de postes spécifiques, etc. Coercitives : • Transversales à toutes les institutions : vidéo-protection, verbalisation, etc. • Relevant de la compétence d’une seule institution : vidéo-protection, dispositifs d’alarmes anti-intrusion, délivrance d’autorisations diverses, etc. Managerielles et institutionnelles : • Transversales à toutes les institutions : suite du réseau, planning des travaux, newsletter, voyage d’études, etc. • Relevant de la compétence d’une seule institution : rapports à la hiérarchie sur l’information, etc.
Quelles suites pour cette recherche-action ? Les travaux de la recherche-action ont été présentés par les agents eux-mêmes lors de l’assemblée générale de l’APRAS en juin 2017. Désormais, cette dernière et ses partenaires ont engagé une réflexion avec les mêmes agents, auxquels d’autres se sont ajoutés, afin de travailler à la déclinaison opérationnelle de ces préconisations. Des groupes de travail sont organisés à cet effet.
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Communiquer auprès des habitants des quartiers prioritaires : pour une approche consacrée aux « nœuds sémantiques » Albin Wagener est enseignant-chercheur en sciences du langage, affilié au laboratoire CoDiRe (EA 4643) de l’Université de Nantes. Il s’intéresse aux questions de discours et de communication politiques, numériques et organisationnels et est également directeur général de la société Cleverance.
Résumé La communication auprès des habitants des quartiers prioritaires de la ville présente un défi considérable, dans le sens où elle connecte questions institutionnelles et organisationnelles d’une part, et questions de vie quotidienne d’autre part. Ces deux sphères peuvent être réunies grâce à la recherche de « nœuds sémantiques » communs, permettant de travailler le sens avant la forme.
Albin Wagener
La communication comme partage de sens
I
l n’y a rien de nouveau à dire que chaque type de communication doit s’appliquer à un public précis ; le souligner en guise d’introduction peut paraître peu pertinent. Toutefois, il convient de préciser la problématique de la communication à destination de publics de manière plus complète, dans la mesure où tout type de communication s’inscrit dans une dynamique systémique, qui implique émetteur(s) et récepteur(s), en plus du contenu même du message (Meunier 2003). Pour le dire autrement, et sans reprendre inutilement les questionnements de base des théories de l’information et de la communication, une transmission bien comprise du message, c’est-à-dire dans des dispositions acceptables et efficientes à la fois pour l’émetteur et le récepteur, ne peut se faire que sur une base mutuelle et partageable de sens. En tant que chercheur, nous avons traité la question du rapprochement de ces deux instances de multiples fois (Wagener 2012 ; Wagener 2015). En tant qu’acteur professionnel de ces thématiques, nous avons pu observer, au cours d’interventions diverses, que les personnes qui doivent transmettre un message et concevoir une communication « efficace » ne sont pas toujours au clair sur leurs propres représentations de 1/ ce qu’est une communication « efficace », 2/ du public cible auquel ils doivent s’adresser et 3/ de leur propre rôle d’émetteur et de ce que cela implique. La question devient plus épineuse encore lorsqu’un ou plusieurs paramètres sociaux éloignent les émetteurs et les récepteurs, comme cela peut être le cas dans le cadre de la communication auprès des habitants de quartiers prioritaires de la ville. Nous sommes déjà intervenus, dans ce périmètre précis, auprès de professionnels et d’élus : l’objectif de cet article est de pouvoir proposer une méthodologie d’intervention en prenant appui sur une théorisation systémique et discursive de ce qu’implique concrètement la problématique de communication, notamment lorsque celle-ci concerne la politique de la ville et les quartiers prioritaires qui y sont associés.
Les élus et professionnels opposaient aux « ils » et « eux » des quartiers prioritaires un « nous » distant, comme s’ils n’étaient eux-mêmes pas réellement des habitants ou citoyens concernés.
Déconstruire les représentations
A
fin d’interroger la pertinence d’un processus de communication, il convient selon nous d’encourager un questionnement de l’émetteur du message. Celui-ci ou celle-ci peut rapidement ne s’interroger que sur deux éléments certes fondamentaux, mais pas suffisants : 1/ quel message ai-je la volonté de transmettre et 2/ comment le transmettre de manière efficiente. En effectuant cette opération, l’émetteur du message oublie une chose fondamentale : il est lui aussi une composante non négligeable de la communication. En tant qu’émetteur, il s’implique durablement dans la construction du message, sur la forme comme sur le fond ; en ce sens, la communication s’imprègne donc de ses représentations à propos du message et du public ciblé, mais également de ses expériences. En s’isolant, et en s’imaginant comme indépendant du processus de communication, l’émetteur ou le producteur du message se trompe grandement : sa personnalité et ses compétences vont grandement influer sur la qualité et la forme du message. En optant pour un réalisme critique et utile (Fairclough 2005 ; Boltanski 2009), nous pensons que la première question à poser est bel et bien celle des représentations. Dans un premier temps, ce questionnement peut paraître théorique, voire radicalement éloigné des problématiques concrètes d’une opération de communication. Pourtant, il n’en est rien : comment s’adresser à des individus lorsque l’on est pas au clair sur ce que ces individus représentent pour nous ? Comment faire sens de quelque chose qui n’en a pas forcément pour l’émetteur ? En intervenant auprès de RésO Villes, par exemple, nous avions posé une question simple aux participants des ateliers, et le constat était souvent sans appel : les élus et professionnels opposaient aux « ils » et « eux » des quartiers prioritaires de la ville un « nous » distant, comme s’ils n’étaient eux-mêmes pas réellement des habitants ou citoyens concernés. De fait, ne vivant pas nécessairement dans ces quartiers dits prioritaires, ils ne le sont pas nécessairement : cela implique donc un questionnement éthique et un important déplacement de perspective pour aller à la rencontre, au moins de manière sémiotique, des habitants concernés. Déconstruire ses propres représentations, c’est d’abord prendre acte des récits qui structurent nos visions du monde
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et la manière dont nous envisageons les relations avec autrui (Ochs & Capps 2001). Cela implique donc une sincérité radicale dans la manière dont on traite ces représentations, avec tout ce que cela comporte comme biais émotionnels et cognitifs (Stockinger 2001). A partir du moment où je suis au clair avec la manière dont je vois les publics auxquels je m’adresse, je peux alors commencer à travailler à la conception du message et à la forme choisie. Bien évidemment, cette opération doit également composer avec les contraintes inhérentes aux logiques institutionnelles et organisationnelles : pour autant, une telle opération est plus qu’impérieuse.
Reconstruire un sens partagé
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partir du moment où les représentations des émetteurs sont déconstruites, ceux-ci peuvent établir une véritable cartographie mentale du sens qu’ils donnent à l’action de communication et à la manière dont celle-ci doit résonner auprès des publics concernés. A partir du moment où cette opération est réalisée, il s’agit alors d’effectuer une délicate opération de projection : quelles sont les représentations que les récepteurs du message ont ou auront à propos des émetteurs eux-mêmes ? Comment concevoir des terrains intermédiaires où ces deux cartographies se rencontrent, à la croisée des interdiscours (Garric & Longhi 2013), soit des ensembles de discours qu’émetteurs et récepteurs nourrissent de manière réciproque à propos de leurs interlocuteurs ? Reconstruire du sens partagé passe selon nous par trois étapes capitales, et peut être représenté par une logique propre à la cartographie – voire à la topographie, dans le sens où les reliefs du territoire sont importants : - La constitution d’une carte du sens du territoire de départ, avec l’intégralité de ses reliefs, soit ses points de confiance et ses points de fragilité, qui reprend notamment la totalité des éléments de sens et des valeurs des émetteurs, des récepteurs, des institutionnels, des partenaires et du terrain ; - La constitution d’une carte du sens du territoire d’arrivée, soit la situation vers laquelle les partenaires de discours et de communication souhaitent tendre à l’issue des opérations de transmission de message, avec également la même logique de description des points de confiance et de fragilité ; - La proposition d’étapes intermédiaires entre les deux territoires décrits, appelées îles « pirate », qui permettent de connecter provisoirement les éléments de sens importants des territoires d’arrivée et de départ, en acceptant de procéder par étapes, de façon progressive, afin de pouvoir élaborer une progressivité dans le plan de transmission de message, afin d’en garantir la pertinence à terme.
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es trois étapes permettent de reconstruire du sens, pas uniquement pour relier émetteurs et récepteurs de manière phasée, en fonction des contextes territoriaux et institutionnels, mais aussi pour pouvoir ensuite déterminer la meilleure stratégie de communication possible. Cette proposition méthodologique, héritée de la théorie des seuils (Keating 2013), part du principe qu’il n’y a jamais de donnée absolue dans les postures sociales et individuelles, mais des relations qui constituent de véritables entre-deux au sein desquels se jouent des processus de construction de sens et de contacts interactionnels entre différentes instances. Ces relations s’organisent autour de nœuds sémantiques (Wagener 2012), soit des éléments de sens non négociables et fondamentaux qui relient émetteurs et récepteurs de manière relationnelle, mais également de manière transversale, à travers les différents territoires conçus. Partager du sens ne signifie pas que l’on partage absolument et radicalement tout : les impératifs des émetteurs ne sont pas ceux des récepteurs, dans la mesure où les impératifs des communicants institutionnels ne sont pas ceux des maisons de quartier, pour ne citer que cet exemple. Cependant, cette véritable géographie sémiotique fait le pari de pouvoir, durablement et respectueusement, rapprocher d’abord des individus et groupes d’individus pour en faciliter les processus de communication. Transmettre un message, c’est d’abord comprendre ce que je cherche à y injecter – et comprendre ce que l’autre a intérêt souhaite y trouver.
Concevoir une stratégie de communication adaptée
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ne fois ce travail de déconstruction et de reconstruction établi, il reste maintenant tout simplement à établir une stratégie de communication adaptée à la territorialité installée. Cette stratégie permet de cibler étapes, contenus et formes afin de pouvoir répondre au mieux au besoin de l’institution, tout en permettant de rencontrer de la meilleure manière possible les besoins des acteurs de terrain qui reçoivent la communication. A partir de là, nous entrons dans une construction classique de plan de communication, qui invite à envisager plusieurs étapes élémentaires – plus particulièrement pour ce qui concerne les habitants des quartiers prioritaires de la ville : - Acteurs de la communication : les émetteurs (élus, professionnels), les récepteurs (public cible des quartiers : segments socio-professionnels, classes d’âge, etc.) et les relais de la transmission de messages (acteurs associatifs, par exemple, notamment dans les quartiers prioritaires) ;
- Intention de la communication : l’objectif ou les objectifs assumés visés par le plan de communication, qu’il s’agisse de la promotion d’un événement, jusqu’à la mobilisation de la population autour d’un projet de consultation ; - Contenu du message : création langagière au sens large à part entière (Howarth 2000), permettant de mettre en sens le message lui-même, à travers les tournures linguistiques, mais également des choix sémiotiques plus variés (images et photographies, par exemple, ou encore vidéos d’information ou de promotion) ; - Forme du message : il s’agit de choisir le bon support pour permettre de véhiculer le message de manière optimale, de la chaîne d’émission jusqu’à la chaîne de réception, et d’assurer le bon relais de la forme par les acteurs intermédiaires de la communication, comme les associations de quartier : flyers, affiches, site internet, réunions d’information, etc. ; - Monitoring de l’action de communication : à chaque étape de la stratégie de communication, il est important de s’assurer de la mise en place de l’action de communication, en effectuant une sorte de « prise de température » qui permet de vérifier que l’on prend bien en compte, de manière efficiente et opérationnelle, les éléments que nous venons d’énumérer. La véritable valeur ajoutée d’un tel processus est de reposer exclusivement sur les nœuds sémantiques identifiés pendant les phases de déconstruction et de reconstruction du sens. En ce sens, elle s’articule donc prioritairement autour d’ancrages sémiotiques forts, qui ne doivent pas être travestis ou ignorés pendant le processus de communication – sous peine d’en menacer la pertinence et la portée. En proposant ainsi une véritable grammaire du sens (Lemieux 2009) pour sous-tendre la stratégie opérationnelle de communication, nous avons pour ambition de rendre cette dernière adaptée aux publics et aux territoires, tout en assurant à la stratégie de communication une véritable force de percussion sur le terrain.
Les quartiers prioritaires comme laboratoire communicationnel
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lus qu’aucun autre environnement, les quartiers prioritaires de la ville et leurs habitants se prêtent particulièrement à une communication organisée autour des nœuds sémantiques. En effet, les habitants ne sont pas des acteurs « professionnels » de la communication ; en ce sens, la communication qui les implique diffère ostensiblement du système de communication commerciale ou marchande, qui permet par exemple à un fournisseur de
Le sentiment d’appartenance, c’est précisément ce qui permet de dégager des marqueurs d’identité stables, autour desquels la vie de quartier peut s’organiser en toute cohésion, notamment à travers la constitution d’un tissu associatif dense. cibler des clients et conquérir des marchés. Ici, il s’agit avant tout de mobiliser des populations et de pouvoir les impliquer de manière citoyenne et durable pour un certain nombre de chantiers. A ce titre, la détermination et la conservation des nœuds sémantiques, tout au long du processus de communication, devient capital. En effet, toute institution ou organisation doit effectivement se comporter de manière professionnelle auprès des habitants – alors qu’eux-mêmes n’ont pour seul impératif que de se comporter de manière civique, en restant ancrés dans un rapport d’authenticité à leur vie quotidienne au cœur de la ville. Pour le formuler de manière plus évidente : il est inutile de chercher à vendre quoique ce soit à des habitants, qui ont avant tout un rapport citoyen à l’institution ou l’organisation qui essaie de les atteindre.
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est pour cette simple raison que l’incursion des nœuds sémantiques devient capitale. Elle permet ainsi de se mettre d’accord sur des institutions de sens partageables (Sarfati 2011), qui vont permettre d’établir autant de relais de circulation de discours mis en commun entre émetteurs et récepteurs (Wagener 2016). Cette création de nœuds sémantiques se base d’abord sur une théorie claire : celle du besoin de sentiment d’appartenance que nous nourrissons tous, quels que soient nos rôles sociaux et professionnels (Wagener & Rahimy 2015). Ce sentiment d’appartenance, c’est précisément ce qui permet de dégager des marqueurs d’identité stables, autour desquels la vie de quartier peut s’organiser en toute cohésion, notamment à travers la constitution d’un tissu associatif dense. Le rôle des nœuds sémantiques est donc le suivant : permettre de dégager un accord de principe et d’entente sociale et civique entre acteurs de terrain, habitants des quartiers prioritaires, et institutions et organisations communicantes. Plus qu’une simple astuce de communication, la détermination des nœuds sémantiques est une étape essentielle, dans la mesure où elle ne sert pas simplement à la mise en place d’une stratégie de communication précise ; plus largement, elle permet d’installer des institutions de sens durables et partageables entre associations de quartier, habitants et organisations. Ainsi donc, la communication ne devient plus qu’un outil parmi d’autres, au milieu de toutes les actions de cohésion citoyenne ; de surcroît, les nœuds sémantiques deviennent non seulement des repères incontournables de dialogue entre institutions et habitants, mais également des bases de travail opérationnelles qui permettent de gagner du temps dans la constitution d’un plan de communication. Dans cette optique, nous estimons que l’application pratique de la théorie des nœuds sémantiques dans des opéra-
Idées et Territoires #1 novembre 2017
tions de communication auprès des habitants des quartiers prioritaires de la ville constitue d’abord un repérage citoyen de ce qui peut permettre de relier de manière intelligente institutions, trop souvent prisonnières de leurs logiques propres, et habitants, qui expérimentent leurs quartiers dans l’écosystème de leur vie quotidienne et associative.
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Idées &
Territoires La revue Idées & Territoires complète les outils proposés par RésO Villes. Support de diffusion des connaissances, elle contribue à rapprocher les milieux universitaires et la société civile dans une perspective d’utilité sociale. Ce premier numéro regroupe huit articles abordant des questions urbaines et sociales en réponse à un appel à contribution qui englobait des thématiques très larges : l’urbanisme, l’architecture, l’éducation, le développement économique, les innovations sociales,... Si l’origine professionnelle des auteurs est diverse (architecte, formateur, sociologue, directeur de maison pour tous, sciences du langage, sciences économiques…), leurs écrits interrogent tous la place et le rôle des habitants issus de territoires différents : c’est un fil rouge qui peut orienter leur lecture et les mettre en résonance.
MINISTÈRE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES