Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
école nationale d’architecture et d’urbanisme
Mémoire d’architecture
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
école nationale d’architecture et d’urbanisme
Mémoire d’architecture
Presenté par:
Arij METTICHI
Directrice de mémoire:
Mme.Nour Elhouda Hasni
juin 2024
co-directeur de mémoire:
M.Mohamed Amin Hasni
« Il n’y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance. »
Jean de La Bruyère
Je voudrais tout d’abord exprimer toute ma gratitude envers ma directrice de mémoire, Mme. Nour El Houda Hasni, pour sa rigueur, sa disponibilité et son soutien tout au long de cet exercice de réflexion.
Je tiens également à remercier chaleureusement M. Amin Hasni, mon co-directeur de mémoire, pour sa présence et ses judicieux conseils tout au long de l’élaboration de mon mémoire.
Enfin, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères à ma famille pour leur soutien indéfectible, leur encouragement constant et leur compréhension tout au long de ce parcours académique.
Partie I: Le paysage:
Ineterprétations et Interventions 15
introduction
Chapitre 1: le paysage: une symbiose évolutive 17
I-le paysage
II-L’évolution de la notion du paysage
III-La dualité Paysage/Paysans: une symbiose évolutive
Chapitre 2: le paysage: approches d’intervention
I-L ’approche fonctionnaliste dans l’espace rural
II-L ’approche territorialiste dans l’espace rural
Synthèse générale
Remerciement
Avant-propos
Introduction
Problèmatique
Méthodoologie
Objectifs
Partie II: Tbainia: un paysage multiple
introduction
Chapitre 3: à la découverte de Tbainia
I-lecture sitologique et paysagère
II-analyse macro du paysage
III-La coopérative agricole
Chapitre 4: Tbainia: Une lecture sensible
I-recueil des récits de vie des habitants
II- le parcours commenté
III- cartes sensorielles
Synthèse générale
Partie III: vers une nouvelle lecture du paysage
introduction
Chapitre 5: programmation participative
I-Approche réflexive et participative: Enquête
Quantitative
II-échelles d’intervention
III-la coopérative agricole
Chapitre 6: corpus référentiel
I- Immersion progressive dans le parcours :des séquences à contempler
II-dailogue ancien-nouveau
III-Une approche participative pour raviver l’âme d’un village :
IV-Architecture modulable et flexible
Chapitre 6: idéation et prejetation
I- Intentions et choix coneptuels
II-intervention
conclusion générale
Au cœur de la ruralité, un monde qui m’a toujours fasciné, s’écrit un récit que je me propose de partager à travers ces lignes.
Mon mémoire se dessine comme une quête visant à donner une voix ceux dont les paroles se perdent souvent dans le souffle du vent rural.
Ce travail se veut une invitation à écouter et comprendre les histoires de Tbainia, à révéler la poésie des paysages du nord-ouest à décrypter la vie quotidienne qui anime la ruralité
Que ces mots soient le reflet fidèle de cette réalité, une ode aux petites et grandes histoires qui tissent la trame de la vie des paysans.
Des échos ruraux.
conclusion générale annexe
bibliographraphie table de matières table des figures
Introduction:
«Le paysage n’est pas une toile morte, mais un organisme vivant.» - Yves Lacoste1
Le paysage, qu’il soit naturel ou rural, est une énigme à déchiffrer, une entité à la fois simple et complexe, une dynamique qui nous touche, nous habite nous définit, et nous imprègne. C’est tout un univers où se mêlent Nature et Homme, paysages et paysans dans une quête continue d’identification, d’appartenance, et de bien-être.
En effet, et dans une visée spécifique le paysage rural est souvent associé à un établissement humain assez solide. Cette structure sociale qui prédominait dans les sociétés agricoles d’autrefois demeure un pilier essentiel de leur identité. Elle est fondée sur les valeurs profondes de solidarité de coopération et d’entraide, qui a permis aux communautés rurales de prospérer et s’épanouir dans un environnement qu’il soit naturel ou bâti souvent qualifié de difficile.
Cette culture de solidarité relevée était ancrée dans le tissu social, guidant les interactions entre les membres de la communauté et régissant la gestion des ressources communes. Les biens communs, qu’il s’agisse des terres agricoles, des pâturages, des points d’eau ou d’autres ressources naturelles, étaient partagés et entretenus collectivement, assurant ainsi la pérennité et la durabilité de l’écosystème local.
Faisant face aux défis économiques et sociaux ainsi qu’aux bouleversements majeurs tels que la mondialisation et l’exode rural, le paysage rural est confronté de nos jours à une transformation profonde.
Autrefois ancrés dans leur essence et en harmonie avec leur environnement, les Paysans: principaux acteurs du paysage rural,se retrouvent désormais en position de fragilité dans un paysage en constante évolution.
Le nord-ouest tunisien soulève cette problématique et incarne parfaitement ce constat : Un paysage en voie de dégradation, où la splendeur de ses décors contraste vivement avec la misère et la pauvreté de ses habitants.
Le village de Tbainia, le lieu du corpus de notre étude situé au nord-ouest de la Tunisie non loin de Aindrahem, la réalité fait ce que ce village se classe parmi les villages les plus défavorisés en Tunisie, malgré ses abondantes richesses et ressources naturelles.
Ce village nous l’appréhendons en tant que paysage : un organisme vivant, offrant un mélange unique de beauté naturelle, d’histoires de culture et de traditions humaines.
1 Géographe français
C’est en effet, au fil de mes échanges avec les membres de cette communauté, j’ai été frappé profondément par la solidarité et l’esprit de cohésion qui semblent imprégner chaque aspect de la vie quotidienne à Tbainia. Malgré les épreuves et les changements qui ont pu toucher la région, cet esprit communautaire reste une force vitale, offrant un soutien mutuel et un sentiment d’appartenance profondément enraciné dans la culture locale.
Assurément, l’association ATLAS 2, créée en 1990, a pour mission de promouvoir cette culture de la solidarité et de concrétiser des projets de développement durable en impliquant activement les bénéficiaires dans la conception et la réalisation des initiatives dans le nord-ouest de la Tunisie.
En 2012, l’association a inauguré une coopérative agricole comprenant une petite huilerie, un dépôt et un espace de formation et un local de distillation des plantes aromatiques. Cette coopérative est gérée de manière autonome par les paysans, offrant ainsi une plateforme favorisant la durabilité et l’autonomie financière au sein de la communauté.
Intégrant les membres du village dans une collaboration visant des objectifs communs, notamment la production et la commercialisation de produits agricoles. Grâce à cette autogestion, les membres participent conjointement à la prise de décisions et à la distribution équitable des bénéfices, instaurant ainsi un modèle où les ouvriers sont responsables de la gouvernance et de la gestion collective de leur entreprise.
Ayant soulevé que malgré son impact, la coopérative n’a pas véritablement réussi à améliorer le quotidien des villageois. Les défis persistent, notamment en termes de commodités et d’amélioration des conditions de vie pour la population locale.
Le village de Tbainia, toile de fond des défis socio-économiques, devient le théâtre de cette vision prometteuse, où nous plaçons notre foi.
À travers ce mémoire, notre objectif est de renouer la relation des paysans à leurs paysages avec d’explorer et d’exploiter les ressources et la beauté du paysage, ainsi que la force de l’esprit communautaire, tout en renouant avec la culture de solidarité dans le village.
La réponse qui se veut à la fois sociale urbaine paysagère et architecturale que nous proposons est une tentative chronologique :
Dans un premier temps : -D’assimilation et de valorisation du paysage spécifique de Tbania dans ses deux vocations : naturelle et rurale.
Dans un deuxième temps de : -La création d’un parcours péri-urbain et paysager. -Le réaménagement de la coopérative agricole existante.
2 La Fondation ATLAS, fondée en 1990, se consacre à l’amélioration économique et sociale des populations en milieu rural, en réalisant des projets d’économie sociales et solidaires.
Problématique:
La région du nord-ouest de la Tunisie constitue l’un des paradoxes les plus saisissants du pays : bien que cette région soit renommée pour sa richesse en ressources naturelles et humaines, avec un paysage agricole diversifié et prospère, elle est malheureusement confrontée à des défis économiques et à une pauvreté persistante.
Cette région devient la scène où se déploie un dilemme complexe d’un paysage en perpétuelle évolution, produit par l’interaction des contours géographiques et naturels et d’un établissement humain assez particulier.
Le village de Tbainia est niché au cœur de la région du nord-ouest, reflète lui aussi cette manifestation saisissante où se mêlent richesse naturelle et défis socio-économiques. C’est là que se dessinent les enjeux cruciaux qui sculptent le quotidien des paysans, formant une trame tissée d’aspirations, de récits et de contes paysans face à la majesté et à la grandeur du paysage.
Décidément, ce paysage se présente pour nous comme une entité complexe où se mêlent des aspects tangibles et intangibles, incarnant une identité unique et véhiculant des perceptions et des valeurs profondément enracinées au sein de ses habitants.
Ce mémoire, interroge la crise profonde qui affecte l’espace rural se révèle comme une quête qui a pour but de capter la dimension intangible du paysage de saisir les dynamiques qui le construisent et déchiffrer le lien énigmatique ; Paysages/Paysans porteur de sens et d’identité, dans un contexte de transformation profonde.
De la une réelle problématique surgit surgit faisant face à ce foisonnement des données et de complexités plusieurs interrogations émergent:
- Quelles approches peuvent être adoptées pour appréhender les entités complexes qui composent le paysage rural ? (1)
- Comment la réinterprétation du lien entre les paysages et les paysans peut-elle contribuer à la préservation d’une identité singulière d’un paysage en de l’identité culturelle et environnementale de Tbainia ? (2)
- En quoi la valorisation du Paysage de Tbainia peut-elle créer un levier de revitalisation, catalysant le développement économique au sein du village ? (3)
Il s’agit pour nous d’une tentative vers une nouvelle réinterprétation de la notion du «Paysage» à scruter ses entités et à renouer les liens entre le paysage et l’établissement humain à travers une approche multiscalaire englobant les dimensions sociales, architecturale et paysagères.
Méthodologie :
Ce mémoire se dévoile comme une quête,interrogeant la crise profonde qui affecte le paysage et l’espace rural et cherchant des solutions en adoptant une démarche centrée sur l’usager (le paysan) et les liens qu’il entretient avec le paysage et l’établissement humain.
Afin de répondre aux présents questionnements soulevés dans la problématique, ce mémoire se structure en quatre parties:
Pour la première, nous abordons le concept le concept général du paysage ainsi que le concept particulier du paysage rural ses caractéristiques, composantes et son évolution puis les différentes approches théorisant l’intervention dans cet espace particulier.
La deuxième partie se focalisera sur le cadre de notre étude, à savoir le village de Tbainia, en explorant son paysage, ses caractéristiques naturelles et sa structure sociale à différentes échelles, allant de l’échelle macro à l’échelle micro.
Pour finir, La troisième partie sera consacrée à la réponse architecturale et paysagère en se basant sur les notions tirées des principes d’interventions et les ouvrages et projets des références.
Objectifs :
Dans le cadre de ce mémoire, nous avons établi divers axes afin de concrétiser nos objectifs. Ces orientations spécifiques ont été soigneusement développées dans le dessein d’explorer de manière approfondie et exhaustive les aspects que nous avons sélectionnés pour notre étude:
- Explorer le concept du paysage rural en analysant ses différentes interprétations et son évolution au fil du temps.
- Découvrir les différentes approches d’intervention dans l’espace rural en analysant les méthodes, stratégies et perspectives qui influent sur ce milieu spécifique
- Explorer les particularités du village de Tbainia, appréhender ses composantes et scruter sa structure sociale à travers une analyse attentive allant de l’échelle macro à l’échelle micro.
- Consiste à élaborer une nouvelle vision de Tbainia en s’appuyant sur les concepts tirées de projets de référence pour concrétiser un projet qui se déploie à trois échelles : Paysagère, architecturale et sociale
Le paysage, loin d’être une simple vue statique, est une entité complexe et dynamique, façonnée par l’interaction entre l’homme et son environnement. Il revêt une multitude de significations et d’interprétations, évoluant au gré des époques et des cultures.
Cette partie pose le cadre d’une réflexion approfondie sur la notion du paysage qui se déroule en deux phases :
La première présentant les multiples significations et interprétations de la notion du paysage ainsi que son évolution au fil du temps.
Cette analyse nous permettra de mieux comprendre les différentes perspectives et conceptions qui entourent cette notion fondamentale.
La deuxième est consacrée à l’étude de l’intervention dans le paysage à travers deux perspectives : l’approche fonctionnaliste et l’approche territorialiste.
Nous examinerons comment ces approches théoriques permettent de conceptualiser et de mettre en œuvre des interventions dans le paysage, en tenant compte à la fois de ses aspects fonctionnels et de sa dimension territoriale.
le paysage: une symbiose évolutive
Le paysage se présente comme une toile de fond de la vie des communautés, C’est une trame vivante où s’entrelacent des significations culturelles, humaines, sociales et économiques, tissées par les mains des paysans.
Dans ce prèsent chapitre, notre objectif est d’explorer progressivement les différentes strates de sens qui se cachent derrière ce concept fascinant.
Nous entreprenons ainsi une tentative de scruter ses multiples significations et son évolution à travers le temps.
Malgré la complexité et l’étendue apparente de la réflexion sur le paysage, notre démarche consistera à démystifier certains concepts fondamentaux.
Nous nous attacherons à dévoiler les fondements essentiels qui sous-tendent cette notion, afin de mieux appréhender ses multiples dimensions et ses implications.
En clarifiant ces concepts de base, nous visons à établir un cadre conceptuel solide pour notre étude, qui nous permettra d’aborder de manière éclairée les différents aspects du paysage et ses interactions avec l’homme et son environnement.
Le paysage, tel que défini par le dictionnaire Le Robert, renvoie à la partie d’un pays qui se présente à l’observation d’un spectateur. Englobant divers éléments naturels, créant des scènes de et des perspectives pittoresques ou panoramiques.
Dans un sens plus figuré, le terme s’étend à l’aspect général d’une situation, comme le paysage politique ou le paysage audiovisuel français. Ce concept peut également être représenté artistiquement, notamment à travers des tableaux de paysages réalisés par des peintres spécialisés dans le genre.
La définition ancienne du terme, tirée du Dictionnaire universel de Furetière (1690), signifie l’aspect d’un pays, couvrant le territoire visible à l’œil. Cela inclue des éléments tels que les bois, les collines et les rivières, contribuant à créer des paysages enchanteurs.Les tableaux représentant des vues de maisons ou de campagnes sont également inclus dans cette acception.
Depuis sa création au XVI siècle pour désigner l’arrière-plan des tableaux,le terme «paysage» a considérablement évolué pour revêtir une signification beaucoup plus vaste.
Aujourd’hui, le paysage dépasse sa simple dimension visuelle pour devenir une représentation dynamique et intégrée de l’environnement. Il fusionne de manière harmonieuse ses composantes matérielles et immatérielles pour refléter la complexité et la richesse du monde qui nous entoure.
D’un point de vue matériel, le paysage englobe toutes les caractéristiques physiques et palpables d’un territoire. Il comprend la topographie variée, qu’elle soit accidentée ou douce, ainsi que la diversité florale et faunique qui anime les plaines et les vallées. Les cours d’eau serpentent à travers les paysages, façonnant leur propre chemin, tandis que les infrastructures humaines, telles que les bâtiments et les routes, marquent de manière tangible le territoire.
Cependant, le paysage va bien au-delà de cette simple observation physique. Il est également composé de couches immatérielles, invisibles mais tout aussi cruciales pour sa compréhension. Ces dimensions immatérielles ajoutent une profondeur supplémentaire au paysage, en lui conférant une signification culturelle, historique et symbolique.
Elles incluent les valeurs transmises de génération en génération, les récits et légendes qui donnent vie au territoire, ainsi que les représentations sociales et symboliques qui le rendent unique. De plus, les émotions et les souvenirs qu’il suscite chez ceux qui l’observent contribuent à enrichir sa complexité et sa profondeur.
À la lumière de ces définitions, le paysage se révèle comme une entité bi-dimensionnelle, où se marient harmonieusement les aspects physiques et immatériels. Il est à la fois une représentation palpable de l’environnement, avec ses reliefs, sa végétation et ses infrastructures, et une manifestation symbolique de l’interaction humaine avec ce même environnement.
En explorant cette dualité, le paysage devient un véritable miroir de notre relation avec la nature et avec nous-mêmes, nous invitant à comprendre les histoires, les valeurs et les émotions qui le traversent.
A l’heure actuelle, spécialistes, auteurs, architectes, etc., s’accordent à reconnaître que le paysage comporte à la fois une composante objective et une composante subjective, cette dernière dépendant naturellement de la sensibilité de l’observateur impliqué.
En effet, de nombreux auteurs reconnaissent le paysage comme une construction complexe qui englobe à la fois des éléments objectifs et des interprétations subjectives.
La partie objective du paysage comprend des caractéristiques physiques telles que la topographie, la faune, la flore, etc. Ces éléments sont généralement observables et mesurables de manière consensuelle.
Cependant, la partie subjective du paysage se réfère à la manière dont ces éléments sont perçus, interprétés et ressentis par les individus. Cette interprétation est influencée par divers facteurs tels que la culture, les expériences personnelles, les émotions et même les attentes de l’observateur.
Ainsi, deux personnes peuvent percevoir le même paysage de manière différente en fonction de leurs perceptions individuelles. À la lumière de notre positionnement et des définitions attribuées à la notion de «paysage», nous adoptons l’idée d’assimiler ce dernier à une «construction complexe» émanant de sa pluridimensionnalité.
2-Le paysage : Approches multiples
2-Le p
2.1-Le
2.1-Le paysage, Un système complexe
Par un une ap comme entre tro
Par un système complexe, nous entendons une approche du paysage qui, selon la théorie de Vincent Clément1 se déploie comme un agencement enchevêtré de relations entre trois composantes intimement liées.
Premièrement, le paysage est perçu comme espace-support, incorporant des éléments naturels et humains qui définissent sa réalité physique.
Premièr un espa naturels physiqu
Deuxièm espacecaractér notre
Deuxièmement, il se présente en tant qu’ espace-visible, capturant l’ensemble des caractéristiques visibles qui façonnent notre expérience visuelle du lieu.
Enfin, la troisième composante, le paysage-représentation ou espace vécu, révèle la dimension mentale et symbolique du paysage,forgée par les perceptions individuelles et collectives, les expériences et les représentations.
Enfin, paysag symbol percept expérien
1 Vincent Clément, paysagiste et géographe français, s’est distingué par ses recherches approfondies sur la relation entre l’homme et son environnement paysager.
Dans cette même optique, Jane Jacobs1 , urbaniste et théoricienne, propose une vision tripartite du paysage :
“Les paysages peuvent être appréhendés selon trois dimensions : les matterscapes (leur réalité physique), les powerscapes (leur réalité sociale ou culturelle) et les mindscapes (leur réalité intérieure, constituée par la conscience ou les états d’esprit).”
Cette perspective reconnaît que le paysage est à la fois un objet physique et une construction mentale résultant de l’interaction complexe entre l’environnement extérieur et la perception humaine.
1 Jane Jacobs, écrivaine et philosophe de l’architecture et de l’urbanisme, Ses théories ont remis en question les conventions établies et ont mis l’accent sur l’importance des interactions sociales, de la diversité et de la durabilité dans la conception des espaces urbains.
Moine1 (2007, p. 35) présente le paysage comme un ensemble complexe constitué de trois sous-systèmes en interaction : l’espace géographique, le système de représentations et le système des acteurs
Ces sous-systèmes évoluent dans le temps, inscrits dans une boucle ininterrompue caractérisée par des principes de construction et de destruction perpétuelles.
L’approche de A. Moine envisage le territoire comme une entité dynamique constamment en mutation, résultant des interactions complexes entre l’espace physique, les perceptions collectives et les actions des acteurs impliqués.
Cette perspective souligne l’impératif d’une approche d’intervention qui reconnaît l’interconnexion entre la matérialité du paysage et la construction des représentations sociales qui lui sont attribuées.
Le processus de création de modèles ou d’archétypes paysagers, ainsi que l’invention du terme lui-même, démontre clairement la corrélation entre la réalité physique du paysage et les perceptions sociales qui en émergent.
Tout au long de ce chapitre nous essayerons de toucher de dévoiler ces concepts.
« Le plus simple et le plus banal des paysages est à la fois social et naturel, subjectif et objectif, spatial et temporel, production matérielle et culturelle, réel et symbolique. Le paysage est un système qui chevauche le naturel et le social. Il est une interprétation sociale de la nature. »
Bertrand
1 Alexandre Moine, professeur de géographie à l’Université de Franche-Comté, est un chercheur spécialisé dans les domaines du paysage et du territoire.
7:
2.2-Le paysage support d’identité
Le paysage en tant que support d’identité est une approche qui met en évidence le lien entre les caractéristiques physiques et tangibles d’un lieu, ainsi que les sentiments d’appartenance, d’attachement et d’identification d’un individu ou d’un groupe à ce lieu. Dans le cadre de notre étude, nous chercherons à explorer cette approche du paysage en tant que support d’identité.
« Le paysage est un miroir qui nous renvoie à nous-mêmes et aux autres ». (Rochefort1 , 1978)
Ayant adopté la notion du paysage comme un système complexe, est également le support de l’identité des acteurs qui le planifient et le pratiquent.
De la même façon que certains paysages emblématiques ont contribué à forger les identités nationales, les paysages ordinaires jouent un rôle dans le processus de reconnaissance et/ou de construction de l’identité à l’échelle des communautés locales (identité collective) et/ou à l’échelle individuelle (identité personnelle).
En effet, chaque groupe social entretient des liens multiples avec son paysage, à la fois tangibles (constructions, aménagements, pratiques spatiales) et symboliques (dénomination des lieux, évaluation esthétique et affective, attributions symboliques).
En explorant la notion du ‘paysage en tant que support d’identité’, plusieurs principes clés se dessinent :
-Le rapport émotionnel : Tout individu peut développer un attachement profond avec un paysage en raison de ses caractéristiques, créant ainsi un lien émotionnel fort.
-Le rapport culturel : Les paysages sont souvent chargés de symboles, de valeurs et de significations qui reflètent l’histoire, les coutumes et les traditions d’une société. Ces éléments contribuent à façonner l’identité collective et individuelle des habitants d’une région.
-Le rapport territorial : Les paysages peuvent servir de marqueurs territoriaux, définisant les limites géographiques et symboliques des communautés et des groupes sociaux. Ces frontières renforcent les sentiments d’appartenance et de familiarité, créant un sentiment de sécurité.
Figure 8:L’homme face aux paysages identitaires : Attachements et Relations»
source: Auteure
1 Michel Rochefort (1927-2015), est un géographe et un urbaniste français. Il a porté son attention sur les inégalités socio-spatiales et les problèmes de développement.
Ces aspects, mêlant matérialité et idéalité, s’entrelacent de manière constante, créant ainsi un réseau d’interrelations qui façonne une configuration singulière de l’espace.
Cette configuration dynamique, qui évolue au fil du temps en réponse aux changements économiques, sociaux et environnementaux, et qui implique le partage de l’espace, contribue à définir le groupe social. Il s’agit d’un processus en constante évolution, influencé par les rythmes de vie et les transformations de l’environnement.
« Ces éléments paysagers correspondent à des médiations symboliques qui arriment les individus à leurs espaces vécus. Ils forment bien ce lien identitaire, sensible, émotionnel, affectif, tendu entre le sujet, les groupes sociaux et les territoires » (Di Méo1 , Sauvaitre, Soufflet, 2004).
Le processus identitaire se manifeste à travers une relation forgée au quotidien, induisant une proximité accrue, une subjectivité plus marquée et une appréciation souvent dépourvue de critères esthétiques.
Par-delà l’esthétique, ces paysages incarnent des valeurs plus profondes qui unissent les habitants à leurs paysages quotidiens, légitimant ainsi leur identité par la puissante charge émotionnelle qu’ils véhiculent.
Ces paysages ordinaires, façonnés par les expériences individuelles et collectives, dévoilent des aspects chargés de symbolisme et de significations.
Les repères et les chemins deviennent des éléments essentiels de cette cartographie personnelle et collective. Révélant une identité partagée.
Malgré leur apparence anodine,ces paysages sont profondément enracinés dans les dimensions psychologiques, socioculturelles et affectives, dévoilent une richesse souvent ignorée, pour ceux qui les côtoient au jour le jour.
Ces paysages suscitent tout un processus de reconnaissance et de construction identitaire à l’échelle des communautés habitantes locales pour exprimer une identité indviduelle et collective conscientisé ou pas.
source: Auteure
1 Guy Di Méo, né en 1945, est un géographe français spécialisé dans la géographie sociale et culturelle. Il occupe le poste d’enseignant à l’université Michel de Montaigne.
D’où la dualité du paysage intime et paysage vitrine.
Saisir les mécanismes de cet attachement identitaire envers les paysages ordinaires représente une première étape cruciale.
Par notre appréhension de la notion du paysage, cette compréhension approfondie des territoires quotidiens et des modes d’appropriation constitue, d’une part, un socle essentiel pour mieux appréhender la vie quotidienne.
D’autre part, elle sert de fondement à la conception et à la mise en œuvre de projets d’aménagement.
Le paysage ordinaire, en tant que porteur de l’identité des habitants, devient ainsi le point de départ pour élaborer des initiatives d’aménagement.
En résumé, le paysage en tant que support d’identité illustre la manière dont les caractéristiques physiques d’un lieu associé à des significations.
2.3-Le paysage multi sensoriel
Le paysage multisensoriel offre une expérience immersive qui engage tous nos sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût. Chaque sens contribue de manière unique à enrichir notre expérience et notre appréciation du paysage.
La vue : Ce sens est primordial dans l’appréciation d’un paysage, car il nous permet de percevoir les formes, les couleurs, les textures et les perspectives visuelles. Il joue un rôle essentiel dans la perception esthétique du paysage.
L’ouïe : Les sons des animaux, tels que les oiseaux, ainsi que le bruissement des feuilles, la pluie et le vent, enrichissent l’expérience sensorielle d’un paysage. Ils apportent des dimensions dynamiques et vivantes au paysage.
L’odorat : Identifier un lieu grâce à son odeur, évoquer des souvenirs et des émotions liés au paysage sont des aspects importants de l’odorat. Ce sens joue un rôle crucial dans la création d’une atmosphère sensorielle immersive.
Le toucher : La sensation tactile nous permet de saisir les différentes composantes du paysage. Le contact avec le sol, les rochers, les herbes et l’eau peut enrichir l’expérience en ajoutant une dimension tangible et physique à la perception du paysage.
Le goût : Les paysages peuvent également avoir une dimension gustative, comme le goût des fruits de la terre. Intégrer le sens du goût dans l’expérience sensorielle peut compléter notre appréciation globale du paysage.
« On parle désormais des paysages sonores, mais aussi du paysage des saveurs, voire des paysages tactiles, dans le cadre d’une dimension de polysensorialité propre aux expériences paysagères. » (Besse 1, 2009, p. 13).
Le paysage a toujours été reconnu dans ses dimensions matérielles et immatérielles. Dans son ouvrage «Le goût du monde : exercices du paysage», Jean-Marc Besse s’oriente vers une approche multisensorielle du paysage qui place l’usager au centre de ses préoccupations, s’éloignant de toute imposition esthétique au profit d’une vision plus sensible axée sur la préhension humaine, les ressentis et les vécus.
Pour appréhender cette approche, le théoricien a mis en œuvre trois méthodes quantitatives : l’entretien, le parcours, et les baluchons multisensoriels, dans le but d’élaborer une approche empirique de l’appréciation de l’espace.
Les sens, tels que l’ouïe, le toucher, la vue, l’odorat et le goût, sont sollicités pour s’immerger dans le paysage, retracer le parcours, s’engager avec la temporalité du lieu et saisir les relations qui se déploient sur différentes échelles, des grands espaces jusqu’aux pratiques les plus minutieuses du quotidien
1 Jean-Marc Besse, géographe et philosophe français, Ses travaux explorent les différentes manifestations des connaissances et des représentations de l’espace et du paysage, tant à l’époque moderne que contemporaine.
Par le biais multisensoriel, le paysage se décompose en différentes échelles d’appréhension, où les composantes du paysage peuvent être saisies, apparaissant comme des vecteurs d’identification, des marqueurs d’appartenance créant des composantes et des hiérarchies sensorielles procurant des valeurs et porteurs de subjectivité dans le but d’identifier ses potentiels et ce qu’il renvoie aux regards.
En somme, comme l’exprime Avocat1 «Lire le paysage» (1983), «lire un paysage, c’est donc l’activité d’un regard qui parcourt, ordonne, relie les unités et pense leurs rapports de coexistence».
Par le biai d’appréhen paysage pe comme de marqueurs composante procurant d En somme dans «Lire c’e parcourt, o rappo
Appréhender le sensible, c’est mener une expérience immersive dans le paysage, y vivre, se laisser être interpeller d’interrogations et sensations fortes, c’est pratiquer l’espace.
Appréhend vivre, se d’interrogat pratiqu
1 Charles Avocat (1935-1984) était un géographe français qui a profondément exploré les paysages et leurs interactions avec les activités humaines.
2.4.-Espace anthropisé
Un paysage anthropisé ou anthropique signifie qu’il a été modifié par les sociétés humaines est donc soumis à leurs influences, transformations, aménagements,dégradations et exploitations des ressources.
Ces deux termes dérivent de la racine grecque «anthropos», signifiant «l’homme» ou «l’espèce humaine».
Il est important de noter qu’il n’existe pas de milieu totalement anthropisé où il n’y aurait aucune autre forme de vie que les humains.
Même au cœur des grandes villes, et de même dans les milieux dits «naturels», ceux-ci n’échappent pas totalement à l’influence des sociétés humaines, ne serait-ce que par les modifications induites par leurs activités
Ainsi, l’anthropisation est un processus graduel et complexe.
« Le territoire auquel je me réfère est un sujet produit par l’interaction, dans la longue durée, de l’établissement humain et d’un milieu, transformé par les sociétés et les cultures qui s’y succèdent. »
Dans cette citation, le théoricien Alberto Magnaghi 1 met en avant que le paysage ne soit pas une entité géographique figée, mais plutôt un sujet dynamique émergent de l’interaction constante entre l’ établissement humain et l’environnement au fil des années.
Il souligne que le paysage actuel émerge de la transformation induite par les diverses sociétés et cultures qui se relayent dans cet endroit au fil du temps.
1 Alberto Magnaghi, né en 1941, est un territorialiste italien et professeur à l’Université de Florence. Il est largement reconnu comme le fondateur de l’école territorialiste italienne.
Etablissement humain
Culture
Société
Par conséquent, le paysage est conceptualisé comme un produit évolutif, découlant de l’interaction réciproque entre les activités humaines et les caractéristiques du milieu et modelé par les dynamiques sociales et culturelles à travers les générations.
Les espaces ruraux se présentent comme des environnements façonnés par l’activité humaine, subissant des transformations substantielles de la part des sociétés, tout en évitant une artificialisation totale.
Cette caractéristique les distingue des espaces qualifiés de « naturels », moins impactés par l’intervention humaine, ainsi que des espaces urbains, où la plupart des sols ont été artificialisés.
De ce fait, et à la lumière des définitions, un paysage anthropisé est un paysage qui a été largement transformé, aménagé ou influencé par l’activité humaine
Contrairement aux paysages naturels, qui sont principalement formés par des processus naturels, les paysages anthropisés portent l’intervention humaine et reflètent souvent les besoins, les valeurs, les pratiques économiques, culturelles et sociales des communautés qui les habitent.
source: Auteure
3-Trajectoires Croisées de Paysage, Paysage Rural et Espace Rural :
3.1-Le paysage rural
Le paysage rural, également connu sous le nom de paysage agraire, représente l’espace naturel de la campagne tel qu’il est façonné par les hommes et leurs activités agricoles. En effet, un paysage rural se caractérise par une prédominance d’éléments naturels et une forte activité humaine liée à la vie rurale.1
L’organisation du paysage rural dépend de plusieurs facteurs, notamment le relief, l’habitat, le système de culture, les parcelles de terre et l’aménagement hydraulique. Ainsi, le paysage rural résulte de l’interaction de l’homme avec la terre dans un environnement rural.
En somme, le paysage rural est le reflet d’une interaction étroite entre l’homme et la nature, avec les activités agricoles qui façonnent le territoire et contribuent à son identité culturelle et environnementale.
Les concepts de paysage, paysage rural et espace rural se tissent ensemble dans une symphonie conceptuelle complexe. Le paysage, dévoilé comme une étendue spatiale dotée d’une identité visuelle ou fonctionnelle distinctive, s’impose comme le point de départ de cette réflexion.
En explorant plus spécifiquement le paysage rural, cette notion prend forme autour des éléments physiques visuellement perceptibles de la campagne, tels que les champs, les forêts, les cours d’eau et les habitations.
Cette composition englobe harmonieusement les composants naturels et humains qui contribuent à forger l’apparence globale d’une région rurale, laissant entrevoir une œuvre artistique naturelle façonnée par l’interaction complexe entre l’Homme et son environnement.
3.2-L’espace rural
L’espace est une dimension fondamentale tant pour l’homme que pour l’animal, inscrite dans leur physiologie. L’espace rural, en tant que concept plus global, élargit cette perspective pour inclure l’intégralité d’une zone géographique marquée par des caractéristiques rurales, qu’elles soient évidentes ou latentes.
Cette dimension englobe une multitude d’aspects physiques, économiques, sociaux et culturels spécifiques à une région rurale, définissant ainsi son essence à travers une variété de critères géographiques, économiques, démographiques et autre.
En parallèle, l’agriculture se positionne au cœur de l’espace rural, dépassant sa fonction nourricière pour devenir le pilier culturel et identitaire de ces territoires.
1 (source : Encyclopédie Universalis Junior)
Comme le souligne Michael Pollan1 , « L’agriculture est le cœur battant des espaces ruraux , fournissant non seulement de la nourriture, mais aussi une identité, une culture et un lien avec la terre. ».
Cette fonction alimentaire essentielle non seulement façonne l’espace rural, mais sculpte également la culture et le mode de vie des communautés rurales, établissant ainsi une connexion profonde et indissociable entre l’agriculture et l’espace rural.
En résumé, l’espace rural, avec ses caractéristiques distinctes, présente des défis uniques ainsi que des opportunités spécifiques, représentant ainsi un pilier fondamental de la géographie et de la société. Il joue un rôle vital dans la fourniture de ressources alimentaires et la sécurité en fournissant des ressources agricoles essentielles tout en préservant la biodiversité et les écosystèmes naturels.
Il est important de souligner l’importance accordée aux notions de paysage et d’espaces ruraux, ainsi que leur contribution à la sauvegarde du patrimoine culturel et des traditions locales. Ceux-ci maintiennent un certain équilibre entre l’activité humaine et l’environnement.
1 Michael Pollan, est un journaliste, essayiste, militant et professeur de journalisme américain à l’UC Berkeley. Sa renommée repose sur ses essais axés sur l’agriculture et les communautés rurales, explorant de manière approfondie les liens entre l’alimentation, la culture et l’interaction humaine avec la terre.
4-Conclusion
Dans cette partie, nous avons exploré les diverses interprétations du paysage ainsi que les notions fondamentales qui le sous-tendent. Nous avons vu comment le paysage est bien plus qu’une simple étendue physique, englobant à la fois des éléments tangibles et intangibles qui lui confèrent sa richesse et sa profondeur.
II.L’évolution de la notion du paysage La notion de paysage a connu une évolution significative au fil du temps. Cette évolution de la notion du paysage reflète essentiellement une transition d’une perspective principalement esthétique et artistique à une approche plus holistique intégrant des dimensions sociales, culturelles, artistiques, etc.
Dans ce qui suit, nous nous intéressons à l’évolution de la notion du paysage dans l’art.
Il s’agit pour nous d’une démarche enrichissante qui va nous offrir une multitude d’opportunités pour l’appréciation esthétique du concept en question, d’une part, afin de nous guider vers notre exploration architecturale ultérieure en rapport avec la réflexion intellectuelle que nous menons sur la relation (et par la suite l’action) entre l’Homme et le Paysage.
En effet, le paysage a toujours été une source d’inspiration pour les artistes à travers les époques, reflétant non seulement la beauté de la nature, mais aussi les idées et les émotions.
Cela souligne l’importance du paysage en tant que sujet artistique et met en évidence sa capacité à capturer des aspects plus profonds que la simple apparence physique de la nature.
Essayons de voir de près les manières dont le paysage a été représenté dans l’art à différentes périodes.
1- Les paysages préhistoriques:
Dans l’art préhistorique, les paysages étaient souvent représentés dans des grottes, où les premiers humains ont laissé leurs marques il y a des millénaires. Un exemple notable est celui des grottes de Lascaux, situées dans le sud de la France.
Ces grottes abondent en dessins grandeur nature représentant fréquemment des animaux sauvages se nourrissant, arborant une palette de couleurs variées. Les peintures rupestres de Lascaux demeurent, jusqu’à ce jour, parmi les exemples les plus anciens de représentations paysagères dans l’histoire de l’humanité.
Les artistes préhistoriques ont utilisé les reliefs naturels des grottes pour créer des compositions complexes, donnant vie à des scènes de chasse, de rencontre entre humains et animaux, et d’autres éléments de leur environnement.
Ces représentations ne sont pas seulement des illustrations de la nature environnante, mais témoignent également de la relation profonde entre les premières communautés humaines et leur environnement naturel
2- Le paysage médiéval:
Pendant la période médiévale, le paysage était souvent représenté de manière stylisée et symbolique, fortement influencée par la religion chrétienne.
Les enluminures des manuscrits étaient parmi les formes d’art les plus courantes de cette époque. Elles présentaient généralement des paysages miniatures comprenant des éléments tels que des villes fortifiées, des châteaux, des collines, des forêts et des rivières.
Ces représentations étaient souvent simplifiées et schématiques, avec peu d’attention portée à la perspective ou au réalisme, car elles étaient destinées à accompagner le texte du manuscrit et à illustrer des concepts religieux ou historiques.
Dans cette œuvre, le peintre s’efforce d’illustrer le paysage du Jardin du Paradis, une scène religieuse imaginaire où l’artiste utilise des ombres et des angles variés pour créer un effet naturaliste.
Les plantes et les oiseaux sont également représentés avec des nuances d’ombre, certaines feuilles d’arbres étant plus en évidence tandis que d’autres se fondent dans le fond de manière plus sombre.
• Les paysages de la Renaissance : Toile de Fond Narrative:
À l’époque de la Renaissance, l’art du paysage s’est entrelacé avec des récits bibliques, mythologiques et historiques, offrant une toile de fond narrative à ces histoires.
Peu d’artistes ont accordé une place prépondérante au paysage à cette période, le dépeignant généralement en arrière-plan
Un exemple remarquable est l’œuvre de Joachim Patinier,“Paysage avec la barque de Charon”, réalisée entre 1520 et 1524. Cette peinture illustre le paysage comme un élément essentiel de l’histoire mythologique, où le décor naturel devient le théâtre des événements représentés.
Bien que la peinture de paysage ait été officiellement reconnue comme un genre artistique au 16e siècle, aux côtés de la peinture d’histoire, du portrait, de la peinture de genre et de la nature morte, elle demeura souvent reléguée à une position considérée comme inférieure aux genres plus conventionnels et académiques.
Néanmoins, les paysages de la Renaissance ont contribué à enrichir l’art en offrant une perspective unique sur le monde naturel et en fournissant un cadre évocateur pour les récits mythologiques et historiques
• Le paysage baroque:
Dans l’art baroque, le paysage a joué un rôle important en tant que décor dramatique et expressionniste pour les compositions artistiques.
Cette période, qui s’est étendue du 17e au début du 18e siècle en Europe, a vu émerger de nouvelles approches dans la représentation du paysage, souvent utilisées pour renforcer le caractère spectaculaire et émotionnel des œuvres d’art.
Les peintres baroques ont souvent utilisé le paysage pour créer des scènes théâtrales et religieuses, en les plaçant dans des environnements grandioses et dramatiques.
Les paysages étaient souvent peints avec un sens de la profondeur et de la perspective afin de créer une impression de grandeur et de majesté.
Dans cet exemple du paysage baroque, le peintre Salvator Rosa utilise un contrastes fort pour donner l’allure d’un paysage sauvage et tourmenté, peuplé de ruines personnages solitaires
3- Le paysage moderne:
Dans l’art moderne, la représentation du paysage a évolué de manière radicale, reflétant les changements sociaux et technologiques. Les artistes ont adopté des approches innovantes, explorant le paysage de manière subjective et expérimentale.
• Les paysages au cœur du romantisme:
Vers la fin du XVIIIe siècle, la peinture de paysage connaît une expansion notable grâce au mouvement romantique.
Au cœur de cette évolution, le paysage, se métamorphose en une expression personnelle.
Dès lors, les émotions et l’admiration pour la nature s’entremêlent harmonieusement.
On distingue généralement trois genres de peinture de paysage romantique :
1-Le pittoresque : ce genre cherche à magnifier la sauvagerie et la beauté des paysages naturels, préservés de toute influence humaine ou urbanisation.
Dans ses œuvres, J.M.W. Turner explore le romantisme pittoresque caractérisé par une admiration pour la nature dans son état le plus sauvage et intact.
2-La bucolique :la peinture de paysage bucolique célèbre principalement la souveraineté de l’homme sur la nature
Dans «Moulin de Flatford» ,la scène tranquille et pastorale dépeinte, avec ses douces collines, ses arbres luxuriants et son moulin pittoresque, illustre parfaitement le romantisme bucolique.
3-Le sublime : le sublime vise à exprimer la puissance divine inhérente à la nature. Le romantisme sublime repose essentiellement sur la crainte inspirée par le monde naturel et sa force imposante
Dans “Une avalanche de glace dans les Alpes”, l’œuvre capture la puissance et la grandeur terrifiantes de la nature, évoquant un sentiment de fascination mêlé de terreur devant la force démesurée de la nature.
• L’impressionnisme redéfinit le paysage : Une nouvelle ère picturale:
L’impressionnisme marque une véritable révolution dans l’histoire de l’art, redéfinissant la manière dont le paysage est représenté et perçu.
Cette nouvelle èrepicturale, qui émerge principalement en France à la fin du XIXe siècle, introduit un changement radical dans l’approche artistique.
Les artistes impressionnistes rejettent la tradition académique qui privilégie la représentation précise et détaillée de la réalité.
Au lieu de cela, ils cherchent à capturer l’instantanéité et l’éphémère des scènes de la vie quotidienne. Le paysage devient le terrain d’expérimentation idéal pour cette nouvelle approche, offrant une variété infinie de sujets et de jeux de lumière.
Dans «La Nuit étoilée» de Vincent van Gogh, l’audacité d’impressionnisme s’illustre par l’utilisation de couleurs vives et de traits de pinceau expressifs, créant une atmosphère émotionnelle et vibrante.
Le paysage nocturne est représenté de manière subjective, capturant l’intensité et le mouvement des éléments naturels, et invitant le spectateur à ressentir la magie de la nuit étoilée.
• Le paysage surréaliste:
Dans l’art surréaliste, la représentation du paysage va au-delà de la simple imitation de la nature.
Les artistes surréalistes utilisent le paysage comme un moyen d’explorer les recoins de l’inconscient et de créer des mondes imaginaires.
Les paysages surréalistes sont souvent déformés, transformés et chargés de symbolisme, reflétant les états d’esprit tumultueux et les rêveries intérieures des artistes.
Ces paysages sont parfois irréels, avec des formes organiques étranges, des couleurs vives et des perspectives déconcertantes, invitant le spectateur à plonger dans des mondes fantastiques et parfois perturbants.
Dans «La Persistance de la Mémoire» de Salvador Dalí, le paysage est un terrain de distorsion et d’étrangeté.
Des montres molles, déformées, dominent un décor désertique où les repères temporels semblent s’effacer.
Le ciel profond contraste avec la mollesse des montres, créant une ambiance irréelle et déconcertante.
Ce paysage devient le reflet des profondeurs de l’inconscient et de l’exploration des mystères de la perception dans l’art surréaliste de Dalí.
4-Le paysage dans l’art contemporain
Dans l’art contemporain, la représentation du paysage a subi une évolution significative, souvent marquée par une remise en question des conventions et des traditions artistiques.
Une approche courante consiste à recomposer le paysage, en le réinterprétant ou en le déformant pour exprimer des idées nouvelles et des perspectives originales.
Les artistes contemporains explorent souvent le paysage en tant que concept plutôt que comme une simple représentation visuelle de l’environnement naturel.
Ils utilisent une variété de médiums et de techniques, allant de la peinture et de la photographie à l’installation et à la vidéo, pour créer des œuvres qui interrogent notre relation à l’espace et à la nature.
Le paysage au cinéma transcende la simple représentation visuelle pour devenir un véritable protagoniste, porteur de sens et de symbolisme.
Cette dimension complexe offre une palette infinie de possibilités narratives et émotionnelles, explorées par des réalisateurs du monde entier.
Afin d’explorer cette facette, nous avons choisi d’illustrer la notion de paysage à travers les œuvres de deux cinéastes, Jean-Luc Godard côté français et Salma Baccar coté tunisien.
source: Internet
• Voyages dans les paysages de Jean-Luc Godard:
La représentation du paysage a connu une évolution significative grâce à l’art cinématographique, en particulier après la Seconde Guerre mondiale et avec l’émergence du mouvement New Topographics
Jean-Luc Godard, l’une des figures emblématiques de ce mouvement, a profondément marqué cette transformation.
À travers ses gestes cinématographiques, Godard offre aux spectateurs une expérience immersive, explorant de manière sensible et poétique les décors réels de ses derniers films, de la Romandie à la Bosnie, en passant par la mer Méditerranée.
Cette approche cinématographique révolutionnaire redéfinit la manière dont nous percevons et interagissons avec le paysage à l’écran.
Dans «Le Mépris» (1963), Jean-Luc Godard utilise les paysages méditerranéens pour symboliser la grandeur de la nature et la fragilité des relations humaines, ajoutant ainsi une dimension poétique et métaphorique au film.
source: Internet
le paysage:
• La Poésie des Collines du nord-ouest dans le Cinéma Tunisien:
Dans le cinéma tunisien, le paysage occupe une place privilégiée, notamment les décors pittoresques de la région nord-ouest , qui deviennent des toiles de fond oniriques et des espaces investis physiquement à travers le médium cinématographique.
Des chefs-d’œuvre tels que “Khochkhach, la fleur de l’oubli” de Selma Baccar utilisent le paysage du nord-ouest de manière emblématique.
À travers ce poignant récit, dépeignant l’histoire d’une femme confrontée à son destin et exilée dans un asile au nord-ouest, la réalisatrice illustre, par le regard de Zakia, la beauté et la splendeur des panoramas végétalisés de cette région.
Le choix de situer l’histoire dans le nord-ouest n’est pas anodin, car la réalisatrice utilise délibérément le paysage comme un élément narratif essentiel.
Les collines verdoyantes deviennent le reflet symbolique des contrastes de la vie de Zakia, juxtaposant la dureté de son destin avec la beauté paisible de la nature. Ainsi, la nature ellemême devient une protagoniste silencieuse, évoquant des émotions et des sentiments au sein de l’histoire.
source: Internet
• Recomposer le paysage:
Dans ses œuvres, David Hockney révolutionne la représentation du paysage en utilisant la technique du photocollage.
Cette approche artistique lui permet de capturer la grandeur du paysage en recomposant l’espace visuel à partir de multiples perspectives
En combinant et juxtaposant différents points de vue dans une seule composition, il crée ainsi un nouveau paysage qui transcende les limites de la perception traditionnelle.
Cette méthode donne une profondeur et une dimension supplémentaires à ses œuvres, offrant aux spectateurs une expérience visuelle unique et immersive.
Utilisant sa technique distinctive de photo-collage, Hockney juxtapose des perspectives multiples du Grand Canyon, créant ainsi une composition dynamique et immersive.
Les couleurs vives et contrastées captent l’éclat naturel du canyon, tandis que les formes géométriques s’entrelacent pour former une vision kaléidoscopique de cet environnement spectaculaire.
En combinant la précision de la photographie avec l’expressionnisme de la peinture, Hockney offre une réinterprétation audacieuse et captivante de ce paysage emblématique.
• Créer des observatoires:
Les paysages, avec leur majesté naturelle et leurs histoires silencieuses gravées dans chaque relief, offrent parfois des toiles vierges pour les esprits créatifs.
Dans cet élan d’exploration et de réinvention, John Turrell a métamorphosé un cratère volcanique en un observatoire céleste, fusionnant ainsi art, architecture et paysage dans une expérience transcendante.
Son projet a transcendé les frontières traditionnelles de l’observation astronomique en transformant le cratère en un sanctuaire dédié à la contemplation de la lumière céleste.
Conçu avec minutie, l’observatoire permet une observation du ciel sans entrave, grâce à une ouverture zénithale qui efface toute perception de profondeur depuis le sol de la pièce.
En exploitant la forme en bol du volcan, suspendue au dessus de l’horizon, Turrell a donné naissance à une installation remarquable et évocatrice qui invite les visiteurs à une expérience sensorielle et spirituelle unique.
source: Internet
5-Conclusion
Le paysage, envisagé comme un réseau complexe d’éléments interdépendants, va au-delà de sa simple existence matérielle pour acquérir une dimension poétique qui s’est manifestée et exprimée à travers l’art pictural au cours des différentes périodes.
La complexité systémique du paysage se manifeste à travers la fusion harmonieuse de multiples éléments, englobant à la fois l’étendue physique du lieu et les dimensions perceptuelles et symboliques qui lui sont attribuées.
Le paysage, perpétuellement en métamorphose, révèle ses significations changeantes à travers les œuvres artistiques qui explorent ses multiples facettes. Ces représentations artistiques agissent comme des témoins de l’évolution constante du paysage, capturant tant ses transformations physiques que les interprétations changeantes qui lui sont attribuées.
Les œuvres d’art deviennent ainsi des médiums dynamiques, révélant les strates complexes du paysage et soulignant son caractère changeant au fil du temps. C’est dans cette optique que nous proposons, dans le chapitre suivant, d’explorer l’établissement humain en précisant le rôle, l’impact et la relation avec “son” paysage.
Figure 30:l’évolution du paysage dans l’art
source: auteure
III-La dualité Paysage/Paysans: une symbiose évolutive
1-Le paysan : protagoniste de l’espace rural
L’établissement humain et le paysage entretiennent une relation complexe et interdépendante, où chacun influence l’autre. Ainsi, l’homme et le paysage sont étroitement liés par des interactions complexes qui façonnent à la fois l’environnement naturel et les sociétés humaines.
Comprendre cette relation peut nous aider à approfondir notre connaissance et à promouvoir une cohabitation harmonieuse et bénéfique entre l’homme et la nature, en prenant en compte les besoins et les intérêts des deux parties.
Nous nous focalisons spécifiquement sur l’étude du paysan en tant qu’acteur principal du paysage, ainsi que sur la dynamique qu’il établit avec ce dernier.
Au cœur des territoires ruraux, les paysans se dressent comme les acteurs essentiels qui influent sur l’évolution et la métamorphose des paysages. Porteurs de perceptions et de valeurs paysagères.
Ces individus exercent une influence significative sur la formation et la conception du paysage, assurant ainsi la responsabilité de sa création et de son maintien.
Cette partie se propose d’explorer cette dynamique complexe, examinant comment les paysans jouent un rôle central dans les mutations paysagères. et comment sont ils influencés de transformations paysgères.
D’après le Robert, le terme “paysan” se déploie en tant que nom et adjectif. En qualité de substantif, il désigne un individu, homme ou femme, résidant à la campagne et s’adonnant au travail de la terre, englobant ainsi diverses professions agricoles telles que l’agriculteur, le cultivateur, l’exploitant agricole, le fermier ou encore le métayer.
Du point de vue adjectival, “paysan” qualifie ce qui appartient aux habitants de la campagne ou est relatif à leurs activités, associé à des termes tels que rural, rustique, terrien ou agricole. Il trouve également application dans des contextes syndicaux avec l’expression “syndicats paysans” et historiques avec la mention de “révolte paysanne” ou “jacquerie”. Toutefois, en tant qu’adjectif ou nom péjoratif, “paysan” désigne une personne dotée de manières grossières, pouvant être assimilée à un terme tel que “rustre”.
En résumé, le terme “paysan” embrasse une pluralité de significations, évoluant de la simple désignation d’un travailleur de la terre à la connotation englobant les résidents de la campagne, reflétant ainsi l’évolution sémantique et culturelle de ce concept.
2-Le paysage à travers le prisme des paysans
Les paysans et les paysages sont intrinsèquement liés, et il existe différentes perspectives pour en parler. Certains considèrent que les paysans ont la capacité de “produire des formes” (Deffontaines 1, 1994), assumant ainsi la responsabilité de la création et de l’entretien des paysages.
Ils sont également porteurs de perceptions et de valeurs paysagères qui peuvent être partagées ou divergentes par rapport à d’autres points de vue. Les paysans agissent en tant qu’acteurs influents à l’échelle régionale et temporelle, offrant des services environnementaux et contribuant à la préservation des aspects paysagers.
Cependant, les discours qui associent les paysans aux paysages semblent inévitablement créer une certaine distance avec la réalité concrète de la fabrication paysanne des paysages.
Ces discours ont tendance à occulter la vie quotidienne des paysans, leurs interactions socio-environnementales au sein et en dehors des champs, et la complexité de leur réalité.
La fabrique paysanne des paysages, qui constitue leur quotidien, semble parfois se dissoudre dans ces représentations.
Observer le paysage à travers le regard des paysans dévoile une perspective profonde et enrichissante, soulignant la relation intime et complexe entre les habitants des zones rurales et leur environnement naturel. Cette approche révèle une connexion profondément ancrée dans la terre et la culture locale.
Leur relation avec le paysage est à la fois pratique et spirituelle, témoignant d’une connexion intime et respectueuse avec la nature. Les paysans possèdent une connaissance profonde et empirique de leur territoire, cette familiarité leur permet d’interpréter les signes de la nature et de s’adapter aux variations environnementales. Ainsi, pour les paysans, le paysage ne se réduit pas à un simple décor naturel, mais revêt une signification bien plus profonde.
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1 Pierre Deffontaines, un géographe français qui a incontestablement joué un rôle majeur au sein de l’école géographique française du milieu du XXe siècle.
L’établissement humain dans les villages paysans se caractérise par une forte culture de l’entraide, une forme de collaboration et d’organisation du travail basée sur la réciprocité et la solidarité dans la production.
Cette relation sociale implique des liens sociaux, affectifs et symboliques, souvent encouragée par des normes sociales telles que l’honneur et le prestige, bien qu’elle ne soit ni contractuelle ni obligatoire.
De plus, elle peut être différée dans le temps, assumée par d’autres membres de la famille ou se manifester par diverses formes d’assistance, telles que des dons de semences ou des gestes d’amitié.
Le village représente l’espace privilégié pour les interactions sociales et économiques au sein de la communauté villageoise. Grâce à un système de surveillance étendu, il influence les valeurs, les comportements individuels, les habitudes traditionnelles, et détermine les besoins, aspirations, le rythme de la production agricole, la vie sociale (à travers les festivités) et la propension à l’innovation, tous imprégnés d’une forte dimension collective.
L’organisation selon un modèle familial semble être le dénominateur commun entre les diveres communautés agricoles. Cependant, dans son ouvrage “La fin des paysans”,Mendras 1 souligne que le terme “famille” englobe chaque fois une réalité différente.
Le socle fondamental des sociétés paysannes réside dans la communauté domestique.
Il s’agit d’un collectif agricole de personnes qui coordonne la production et la consommation des fruits du travail collectif à des fins communes
Idéalement, il rassemble plusieurs générations d’une même famille, tout en incluant des domestiques et d’autres individus sans lien de parenté.
Ce collectif se définit par rapport à un patrimoine commun de terres, de travail et de produits de consommation.
1 Henri Mendras, né le 16 mai 1927 et décédé le 5 novembre 2003, était un sociologue français, reconnu comme le fondateur de la sociologie rurale en France.
Son intégration et sa stabilité sont renforcées par la rareté des terres disponibles, qui décourage la fragmentation, et par l’indivisibilité du patrimoine foncier, conférant parfois un caractère patriarchal à cette structure.
Avec l’avènement du modernisme et l’exode rural vers les grandes villes, cette structure traditionnelle a commencé à se désintégrer progressivement.
4-Les paysans : A travers les siècles
À l’époque médiévale, la société était principalement constituée de paysans, représentant près de 90 % de la population.
Leurs conditions de vie étaient extrêmement dures, avec une espérance de vie limitée à environ 40 ans.
La vie quotidienne des paysans est dictée par le cycle agricole annuel, comprenant les périodes de moissons, de fenaisons, de plantations, etc.
Chaque jour est rythmé par les mouvements du soleil et le son des cloches, tandis que les paysans travaillent sans relâche du matin au soir, à l’exception du dimanche pour les chrétiens et du vendredi pour les musulmans, jours consacrés aux activités sociales et religieuses.
Le mode de vie des paysans a longtemps suivi un rythme immuable, dicté par les cycles naturels et les traditions agraires séculaires.
Cependant, l’émergence de la révolution industrielle et l’avènement du modernisme ont apporté des changements radicaux qui ont profondément affecté la population rurale.
L’arrivée de ces changements a engendré une transformation sans précédent dans les traditions agraires.
L’industrialisationet le progrès technologique ont entraîné l’automatisation de nombreuses tâches agricoles, réduisant ainsi la dépendance à l’égard du travail manuel et des méthodes traditionnelles.
Cela a non seulement modifié les pratiques de travail, mais aussi les structures sociales au sein des communautés rurales.
De plus, l’exode rural, résultant de l’attraction des opportunités économiques offertes par les industries en expansion dans les zones urbaines, a entraîné un déclin de la population rurale.
De nombreux jeunes ont quitté les campagnes pour chercher du travail dans les villes, laissant derrière eux des communautés vieillissantes et une main-d’œuvre agricole réduite.
En Tunisie, depuis la fin de la période coloniale, le monde rural tunisien a connu des transformations profondes touchant ses aspects économiques, sociaux et environnementaux.
Sur le plan social, la montée du chômage, de la pauvreté et de la précarité en milieu rural, ainsi que l’intensification des flux migratoires, témoignent de la crise profonde qui sévit dans le monde rural et agricole.
En effet, ces phénomènes reflètent les défis socio-économiques auxquels sont confrontées les communautés rurales, exacerbés par la transition vers des modes de vie plus industrialisés et urbains.
Cette crise est exacerbée par le vieillissement de la population et des chefs d’exploitations, le faible niveau d’instruction des actifs agricoles, le désintérêt marqué des jeunes hommes pour le travail agricole et l’augmentation de la féminisation de la main-d’œuvre dans le secteur.
La paupérisation massive de la population rurale est telle que parmi les 800 000 ruraux, seulement 60 % vivent dans des exploitations agricoles.
Ainsi, 40 % des ruraux sont des paysans sans terre, souvent inclus dans le peuple des « ayants-droits ».
Parmi les 60 800 exploitants, 50 % ont moins de 5 ha et 20 % moins de 10 ha.
Ces exploitations, représentant 70 % du total, sont souvent situées dans les zones montagneuses et fragmentées en une multitude de micro-parcelles, constituant l’une des contraintes principales à la restructuration d’une paysannerie viable1
Les défis auxquels est confronté le monde agricole, notamment dans la région du nord-ouest et spécifiquement dans notre corpus d’étude à Tbainia, nécessitent des approches spécifiques pour améliorer la situation paysanne.
Ces approches doivent être contextuelles, c’est-à-dire qu’elles doivent émerger des besoins spécifiques de ces communautés.
Il est crucial de prendre en compte les caractéristiques uniques de la région , y compris les conditions géographiques, climatiques, économiques et sociales, afin de développer des stratégies efficaces pour soutenir les paysans et promouvoir le développement durable.
Dans cette lecture géospatiale des mutations actuelles, nous mettrons en lumière les transformations significatives des fonctions inhérentes à l’espace rural, en réponse aux mouvements migratoires et aux déséquilibres démographiques.
Dès lors, l’effondrement de cette structure humaine particulière entraîne une perte profonde de l’identité paysanne, marquant une transformation radicale des villages et du paysage.
À la suite de l’effondrement de la structure sociale traditionnelle dans les espaces ruraux, de nouvelles institutions ont émergé pour soutenir le développement et faire face aux crises rencontrées par le monde rural.
1 Problématique du développement du NordOuest tunisien. [Article].Habib Attia
Ces paysages se muent en paysages hybrides, témoignant des changements profonds et de la complexité résultant de cette évolution.
En effet, cette métamorphose profonde, transformant cet espace en des zones résidentielles, avec une activité agricole résiduelle dans certains cas ou même des villages fantômes
Cette évolution reflète une dissociation entre la fonction productive de l’espace rural et d’autres fonctions qui lui sont traditionnellement attribuées, telles que le logement ou la préservation patrimoniale.
Le déséquilibre démographique a engendré une dissolution de l’établissement humain traditionnel qui a redéfini la nature même de ces lieux, les façonnant en des entités hybrides où les éléments traditionnels coexistent avec de nouveaux éléments, reflétant ainsi les défis et les dynamiques contemporains qui redéfinissent la ruralité. p p
L’adhésion de la population à ces nouveaux instruments de développement a entraîné, dans certains espaces caractérisés par un dense tissu associatif ou propices à son émergence, une restructuration spatio-économique complète.
Dans ces zones, on observe l’émergence et la structuration d’une économie locale, notamment à travers des Groupements de Développement Agricole (GDA) mis en place par l’État vers la fin des années 90, ainsi que des associations régionales composées de membres de la communauté.
Ces institutions visent à renforcer le levier du développement économique, à promouvoir la culture de la solidarité, et à mettre en œuvre des projets de développement durable en impliquant activement les bénéficiaires dans la conception et la réalisation des projets.
Cette approche collaborative et participative de co-conception a joué un rôle crucial ces dernières années dans le renforcement des communautés agricoles, notamment dans le village de Tbainia.
Le Groupe Féminin de Développement Agricole (GFDA) a réussi à autonomiser les femmes et à stimuler le développement économique grâce à ses activités de distillation de plantes aromatiques et médicinales.
De même, l’Association Atlas, en créant une coopérative agricole en 2012, a contribué à soutenir la solidarité et le développement agricole au sein du village.
5-Conclusion
De l’aube de l’agriculture jusqu’aux complexités modernes, les paysans ont joué un rôle essentiel dans l’évolution des paysages, non seulement en façonnant la terre, mais aussi en influençant les sociétés qui en dépendent.
Leur histoire est caractérisée par une résilience face aux transformations économiques, sociales et environnementales, malgré leur marginalisation historique.
Nous avons déjà exploré dans cette section les relations entre les paysages et les établissements humains, ainsi que l’évolution dynamique des villages paysans au fil du temps, ainsi que les défis auxquels ils sont confrontés.
Dans le prochain chapitre, nous examinerons comment les architectes perçoivent ces transformations et envisagent d’intervenir dans le monde rural, en mettant particulièrement l’accent sur l’approche fonctionnaliste et l’approche territorialiste.
« Le paysage est un palimpseste, où les traces du passé se superposent aux marques du présent.»
Augustin Berque
Le paysage rural qui a toujours été impensé par le mouvement moderne, rares sont les architectes qui s’y intéressé à l‘exploration de cet espace énigmatique.
Cette exploration s’est diversifiée à travers deux approches distinctes : fonctionnaliste,et territorialiste.
Comment ces architectes ont-ils abordé ces territoires, ont-ils réussi à intégrer les spécificités des paysages ruraux dans leur conception architecturale ?
À travers l’analyse de ces différentes approches, nous chercherons à comprendre comment les visions novatrices de ces architectes ont interagi avec la réalité complexe des paysages uraux.
I-L ’approche fonctionnaliste dans l’espace rural
1-La notion de fonctionnalisme
La notion de focntionnalisme en architecture, selon LE ROBERT,renvoie à la théorie d’après laquelle la beauté d’une œuvre dépend de son adaptation à sa fonction
Cela signifie que la forme et la conception d’un bâtiment doivent découler directement des besoins qu’il est censé satisfaire.Ainsi,le fonctionnalisme peut etre considéré comme une réponse plus ou moins appropriée aux besoins spécifiques d’une époque ou d’une société donnée.
Le fonctionnalisme est défini donc comme le principe selon lequel les bâtiments doivent être conçus uniquement dans le but de leur foction et de leur utilité.
2- A l’origine de l’approoche fonctionnaliste
La base théorique du fonctionnalisme dans les bâtiments puise ses racines dans la triade vitruvienne, où l’”utilitas” (traduit par “utilité”)se tient aux côtés de la “venustas” (beauté) et de la “firmitas” (fermeté) comme l’un des trois principaux objectifs de l’architecture classique.
La révolution industrielle du 19e siècle a été un tournant majeur dans l’histoire humaine, influençant profondément l’architecture. L’émergence du rationalisme, le développement technologique et les avancées scientifiques ont offert des solutions pour concilier les changements sociaux et le progrès technologique, contribuant ainsi à façonner de nouvelles perspectives dans le domaine architectural.
Après la Première Guerre mondiale, le fonctionnalisme a pris une nouvelle ampleur dans le contexte du modernisme. Inspirées par la nécessité de reconstruire un monde meilleur après les ravages de la guerre, ces idées ont été largement soutenues par les mouvements sociaux et politiques en Europe. L’architecture fonctionnaliste est ainsi devenue étroitement associée aux idéaux du socialisme et de l’humanisme moderne.
Cette période a également introduit une nouvelle dimension dans le fonctionnalisme. En plus de concevoir des bâtiments en fonction de leur utilité, l’architecture a été envisagée comme un moyen de matérialiser physiquement un monde et une vie meilleurs, dépassant ainsi les simples considérations pratiques pour embrasser une vision plus holistique de la société et de l’environnement bâti.
Dans ce mémoire, notre attention se porte spécifiquement sur le mouvement fonctionnaliste dans l’espace rural, plutôt que sur l’ensemble du mouvement fonctionnaliste.
3-Contexte d’émergence de l’apprcohe fonctionnaliste dans l’espace rural
L’émergence de l’approche fonctionnaliste dans l’espace rural s’inscrit dans le contexte particulier du Mouvement moderne, qui a audacieusement étendu ses horizons vers des territoires auparavant négligés par les architectes.
Cette démarche novatrice, initialement conçue pour les milieux urbains, s’est développée comme une réponse impérative aux défis cruciaux rencontrés par la classe paysanne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, durant la crise des années 1930.
Face aux difficultés substantielles auxquelles étaient confrontés la population rurale et dans le cadre d’un projet global visant à sauver l’agriculture et les communautés rurales, l’approche fonctionnaliste a émergé comme une volonté essentielle de s’engager localement et régionalement pour transformer la vie quotidienne de tous.
La nécessité de transformation des campagnes est devenue une réflexion impérative, ancrée dans des considérations sociales. Cette réflexion trouve son origine et sa continuité dans le contexte des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) et, ultérieurement, de l’ASCORAL (Assemblée de Constructeurs pour une Rénovation architecturale).
Le Corbusier, architecte éminent de l’époque, en collaboration avec Bézard 1, le village du Piacé 2 a été choisi comme village type pour ces études, marquant ainsi l’intérêt croissant pour l’architecture rurale fonctionnaliste.
Figure 37: le paysans révoltent source: Archives nationales du monde du travail
1 Norbert Bézard est un militant fasciste, syndicaliste et politique de la Sarthe, né le 7 juin 1896 à Loué et mort à Paris le 19 juin 1956. Norbert Bézard a collaboré avec Le Corbusier à un projet de « village radieux ».
2 Piacé est une commune française, située dans le département de la Sarthe en région Pays de la Loire, peuplée de 376 habitants.
Le village radieux est l’exemple phare illustrant les principes d’intervention fonctionnaliste dans un espace rural en crise.
« Le « Centre coopératif » (ou bien le « Village radieux », comme nous autres paysans l’avons baptisé), n’est pas une fantaisie économique et sociale, ou doctrinale. Il represente un ordre architectural (du point de vue de l’urbanisme rural) ; un ordre économique intégral (son principe étant la conjonction des efforts de tous en vue de la satisfaction des légitimes besoins de la communauté et des individus). » Norbert Bézard.
Dans ce passage, Bézard évoque le concept du village coopératif, également connu sous le nom de «Centre coopératif» ou «Village radieux», et insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une utopie économique ou sociale, ni d’une abstraction doctrinale.
Il représente un ordre architectural, principalement du point de vue de l’urbanisme rural, et un ordre économique intégral.
L’idée fondamentale derrière ce concept est la conjonction des efforts de tous les membres de la communauté en vue de satisfaire les besoins légitimes tant de la communauté que des individus.
En d’autres termes, il propose une approche collective et coopérative pour répondre aux besoins essentiels de la vie quotidienne.
4.1-L’organisation du village
-Le club, la maison des jeunes : « Ce club, véritable ensemble administratif et éducatif, hors de tout parti et de toute religion,accueille les usagers de tous âges et devient le centre vivant de la commune ».
-Le syndicat communal et le silo coopératif : « Le silo coopératif communal, propriété du syndicat communal, est l’assurance-sécurité du village et aussi du pays entier »
-L’atelier syndical : « L’artisanat rural était en voie de disparition et c’était une catastrophe. C’est aux paysans de susciter un nouvel artisanat en appelant au besoin les ouvriers en surnombre dans les villes »
-La coopérative de distribution : « Le jour où les ruraux trouveront pour eux, chez eux, toutes les commodités, qui sont jusqu’à présent l’apanage des villes, ils n’auront plus aucune raison de partir. »
-La Mairie, Un immeuble résidentiel et une école.
4.2-Logique d’organisation
La conception du village radieux selon Le Corbusier repose sur la résolution des problèmes «de circulation, d’entreposage et de manutention».
Ce village s’appuie sur la logique de «l’enchaînement des fonctions», une configuration fonctionnaliste caractérisée par la séparation des fonctions
Cette approche avait déjà été utilisée comme logique de distribution des plans des abattoirs dans les annés1910.
Ce projet est structuré le long d’un axe central majeur, matérialisant dans l’espace un processus de fonctionnement et un modèle de production agricole
Le village coopératif obéit à cette même logique fonctionnaliste. Il est relié directement par un échangeur aux grandes voies de circulations qui irriguent le pays.
Il est ainsi directement en prise avec les Villes radieuses régies par le même zoning,et à l’ensemble du territoire. Le Village radieux est connecté
À l’entrée, le bloc du « silo coopératif », image même du principe associatif joue le rôle du portail monumental sous lequel file la route d’accès.
La perspective est délibérément encadrée par la présence symbolique de la mairie.
Les divers édifices du village s’alignent perpendiculairement ou parallèlement à l’axe central, démontrant une préoccupation évidente pour l’équilibre des masses, la séparation des fonctions et une lisibilité optimale.
41: l’universalité corbuséenne
source:Auteure
Figure 40: enchainement des fonctions
source:Auteure
Ces édifices reflètent l’ampleur de la vision corbuséenne. Le principe de construction et la structure adoptés agissent comme des éléments unificateurs essentiels de la composition, recentrant l’attention sur l’humain et ses préoccupations
Le principe de l’universalité recherchée par le Corbusier se traduit sur plusieurs plans ;
- (i) Universalité culturelle dans la quête d’une architecture supra-culturelle, symbolisée par le purisme des années 1920 comme son expression la plus authentique.
- (ii) Universalité géographique incarnée par la quête d’une architecture aérienne, où le pilotis représente l’image paradigmatique.
- (iii) Universalité sociale incarnée par la recherche d’une architecture uniforme, dépourvue de distinctions de classe.
L’originalité de l’approche de Le Corbusier, en plus de son intérêt pour l’aménagement rural, rare parmi ses contemporains, réside dans la diversité des échelles qu’elle englobe : des détails architecturaux des bâtiments agricoles au remembrement parcellaire et à la connexion au réseau national de circulation.
Ainsi, la déclinaison rurale de la Ville radieuse s’inscrit dans une réflexion globale sur l’aménagement du territoire, formant un concept rigoureusement articulé.
Le modèle urbain novateur du village radieux de Le Corbusier n’a jamais cessé de susciter débats et réflexions depuis son élaboration.
-Rigidité et Uniformité : le village radieux est fréquemment critiqué en raison de sa rigidité et de son uniformité. Les structures sont élaborées selon un modèle standardisé, créant parfois une impression de monotonie architecturale.
-Déconnexion avec la Nature : Malgré la présence d’espaces verts, le village peut donner l’impression d’être déconnectée de la nature. Les grands bâtiments et les surfaces bétonnées peuvent contribuer à créer une atmosphère urbaine dense et artificielle. L’absence apparente de symbiose entre le village et son contexte naturel peut avoir des implications sur l’expérience vécue.
-Austérité et Monotonie : Certains critiques ont souligné que la Ferme radieuse manque de chaleur et d’humanité. Les bâtiments sont souvent austères et géométriques, ce qui peut sembler impersonnel. Cependant, d’autres apprécient sa simplicité et son minimalisme.
-Séparation des Fonctions : Cela permet une organisation efficace, mais peut également entraîner une certaine rigidité dans la planification. Certains pourraient critiquer cette approche pour son manque de flexibilité.
-Complexité de Gestion : Gérer une communauté aussi vaste et diversifiée peut présenter des complexités. Coordonner les services, assurer la maintenance des bâtiments et résoudre les conflits sont autant de défis que certains critiques estiment n’avoir pas été résolus de manière efficace dans le cadre de la Ferme radieuse.
-Innovation et Vision : Le Corbusier a été visionnaire en proposant un modèle de vie communautaire qui intègre des logements, des espaces de travail, des équipements sociaux et des espaces verts. La Ferme radieuse a été conçue pour favoriser la convivialité et la qualité de vie, en mettant l’accent sur la fonctionnalité et l’efficacité.
-Échec de Réalisation Complète : Bien que la Ferme radieuse ait été conçue comme un modèle de vie idéal, sa mise en œuvre réelle a été limitée. Seules quelques versions ont été construites, et certaines n’ont pas réussi à a tteindre les objectifs initiaux. Cela soulève des questions sur la faisabilité et la pertinence du modèle à grande échelle.
43: besoins de la communauté source:auteure
« L’architecture est jugée par les yeux qui voient, par la tête qui tourne, par les jambes qui marchent. L’architecture n’est pas un phénomène synchronique, mais successif, fait de spectacles s’ajoutant les uns aux autres et se suivant dans le temps et l’espace, comme d’ailleurs le fait la musique ».
Le Corbusier. Le Modulor. éd. L’Architecture d’Aujourd’hui, 1983
II-L’approche territorialiste
1-La notion du territoire
La notion de territoire, d’après LE ROBERT, signifie une étendue de la surface terrestre où vit un groupe humain, englobant des notions telles que le sol et l’aménagement du territoire. Il peut également faire référence à l’étendue d’un pays sous une autorité ou juridiction spécifique, comme le territoire d’une commune.
Selon DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE FURETIÈRE (1690), le territoire était également associé à des notions de juridiction, de ressort, de permission épiscopale, et à l’étendue d’une seigneurie ou d’une paroisse.
Le territoire est donc non seulement un espace physique et rationnel, mais aussi un espace caractérisé par une faune, une flore et une population humaine qui y crée des liens sociaux, économiques et politiques.
Cette approche s’est apparue en Italie à partir des années 1990 suite aux recherches d’Alberto Magnaghi et son idée de « développement local auto soutenable », systématisée dans son ouvrage «Il progetto locale» (2000).
Né en 1941, Alberto Magnaghi est un architecte italien qui travaille en tant que professeur à l’Université de Florence en tant qu’urbaniste et territorialiste.Il est reconnu comme étant le fondateur de l’école territorialiste italienne.
A travers le territorialisme, Magnaghi exprime sa volonté de protéger le territoire. Il nous présente à travers son œuvre « Le projet local », sa pensée à la fois politique, écologique, anthropologique et urbanistique.
Il cherche à instaurer une «renaissance» des territoires appauvris en promouvant une approche territorialiste et en préconisant un développement local auto-soutenable.
Cette pensée repose sur la relation vertueuse de soutenabilité à tous les niveaux entre l’Homme et son environnement, car elle tire son essence de la conception selon laquelle un territoire est une construction conjointe de la nature et de l’homme.
L’essentiel de cette approche consiste à identifier les fondements essentiels nécessitant un renouvellement ou une redéfinition, dans le but d’instaurer un projet local innovant visant à revitaliser le territoire où il s’implante.
3-Le territoire chez les territorialistes
Le territoire ici est envisagé comme un organisme possédant une «identité» ou une «personnalité»;
«un sujet, un organisme vivant complexe, produit de la rencontre entre événements culturels et naturels, composé de lieux (ou de régions) dotés d’identité, d’histoire, d’un caractère et d’une structure de longue durée » (Magnaghi, 2014, p. 10).
Cette conception du territoire met en lumière le travail de domestication entrepris par l’Homme sur son environnement.
Au cours des millénaires, hommes et milieux ont co-évolué, façonnant conjointement le territoire dans un processus de coévolution.
Ainsi, le territoire est bien plus qu’un simple agencement de lieux physiques ; il est le reflet de l’interaction dynamique entre l’hommeet son environnement, marqué par des influences culturelles, historiques et écologiques.
Dans cette perspective territorialiste, on consate une convergence entre la notion du territoire et celle du paysage.
En effet, le territoire est souvent assimilé au paysage, car les deux sont le résultat de l’interaction entre l’Homme et son milieu.
Dans cette optique, le territoire est considéré comme une extension du paysage, où les aspects physiques, culturels et historiques se mêlent pour former une entité cohérente.
45: le territoire; une entité cohérente
source: auteure
Le paysage tel que défini dans le chapitre précédent, est anthropisé, c’est-à-dire qu’il est largement façonné par l’activité humaine.
De même, le territoire est perçu comme étant domestiqué, dans le sens où l’homme exerce un contrôle et une influence sur son environnement pour répondre à ses besoins et aspirations.
Ainsi, les deux concepts partagent cette idée fondamentale d’une interaction constante entre l’homme et son milieu
De plus, tant le paysage que le territoire sont porteurs d’identité.
Le paysage reflète les valeurs, les traditions et les modes de vie d’une communauté, tandis que le territoire incarne ces caractéristiques à une échelle plus vaste, englobant plusieurs paysages et lieux spécifiques.
Cette notion d’identité est essentielle pour les territorialistes, car elle contribue à définir le lien étroit entre l’homme et son territoire, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance et de cohésion sociale.
Ainsi, le paysage et le territoire sont deux concepts interdépendants, où l’homme joue un rôle central dans leur formation et leur évolution.
Ils reflètent tous deux la relation dynamique entre l’homme et son environnement, en témoignant des changements sociaux, économiques et environnementaux au fil du temps.
4-Un scénario comme stratégie
Ernst Bloch 3:« Le scénario stratégique esquisse un avenir possible […] il se fond sur la désignation des énergies, des acteurs, des utopies diffuses et des « petites utopies » qui « zèbrent » le territoire, l’enrichissent de leurs réseaux et les orientent vers de nouvelles finalités. […] le scénario stratégique constitue l’ébauche d’une nouvelle culture; il propose une reterritorialisation, fondée sur la désignation, la sélection et la valorisation des nouveaux sujets et des nouveaux comportements visant une transformation soutenable de la ville et du territoire .»
Pour Magnaghi , mettre en place un projet local implique l’établissement d’un «développement local auto-soutenable» et la définition des conditions essentielles qui doivent être établies en fonction de cinq types de «soutenabilités» (politique, sociale, économique, environnementale et territoriale) afin de réaliser un changement positif durable sur le territoire.
Les différentes soutenabilités visent à changer le mode de vie, la consommation et la production d’une population en valorisant les ressources locales, permettant aux acteurs locaux de se développer en autonomie et en préservant l’environnement.
La théorie se déploie en trois phases distinctes. La première consiste en une analyse descriptive des lieux, soulignant l’identité territoriale énoncée précédemment.
La deuxième phase se caractérise par l’élaboration d’un plan stratégique sous la forme d’un scénario. Enfin, la troisième phase englobe l’élaboration d’un plan d’évaluation.
5-Gion A. Caminada4 et ses neuf points « stratégiques »
L’architecte Gion A. Caminada développe une «stratégie» visant à créer un espace construit qui valorise le territoire rural. Son objectif principal est de maintenir une économie locale robuste, de préserver les liens sociaux et de perpétuer une identité locale
Cette stratégue comporte 9 points:
1- « Les territoires excentrés en tant que catalyseurs »
Caminada souligne que ces villages éloignés des centres doivent constituer une force en tant que lieux autonomes, tout en étant des espaces capables d’interagir avec les centres urbains.
2- « Les différences entre périphéries et centres »
Caminada souligne l’importance de préserver une distinction entre les zones périphériques et les centres urbains pour valoriser les territoires ruraux incarnés par les villages.
3- « La planification urbaine doit promouvoir l’indépendance des territoires excentrés »
Ces zones éloignées des centres ne doivent pas suivre une évolution économique liée aux demandes des résidences secondaires, ce qui pourrait nuire au développement économique local.
4- « Les méthodes de gestion et l’attractivité des paysages »
Caminada souligne la prépondérance du paysage dans la culture des régions montagneuses.Il insiste sur la nécessité d’une évolution conjointe et locale de l’aménagement et de l’exploitation de ce paysage par les habitants dans le futur.
5- « L’économie agricole authentique et holistique des régions de montagne »
La promotion des produit agricoles du terroir ces produits confectionnés par les acteurs locaux pourrait stimuler l’économie du territoire.
6- « Le client est roi, l’habitant aussi »
L’architecte souligne que le tourisme peut amener les habitants à dépendre de cette industrie, entraînant la perte de l’essence originelle de leur lieu de vie pour satisfaire les touristes. Caminada propose la création de parcs naturels pour renforcer l’économie locale et restaurer la valeur des habitants.
7- « Les constantes du lieu constituent la base d’une architecture nouvelle »
Il met en avant l’importance des caractéristiques naturelles d’un lieu pour créer une architecture authentique.
8- « Haute valeur ajoutée= beaucoup de travail et des coûts de matériaux faibles »
Il met en avant l’importance de privilégier l’utilisation de matériaux locaux dans la construction, en vue de stimuler l’économie locale de manière durable et écologique, tout en mettant en valeur une culture spécifique.
3 Philosophe allemand marxiste
4 Gion Antoni Caminada est un architecte suisse et professeur d’architecture à l’ETH Zurich. Qui s’intéresse à l’avenir des territoires ruraux écartés des villes. Son objectif est d’établir des propositions pour améliorer la vie des habitants, et maintenir une économie stable.
9- « Esthétique de l’usage »
Dans cette dernière considération, Caminada souligne que «préserver le paysage» diffère de le concevoir.
Pour garantir sa préservation, il est impératif de prendre en compte les éléments physiques du paysage, notamment la topographie, l’eau, la faune et la flore, le climat, tout en maintenant une approche esthétique.
6-Critique
L’approche territorialiste en architecture offre une lueur d’espoir pour la régénération des territoires ruraux. En mettant l’accent sur l’identité locale et la promotion de modes de vie durables, elle aspire à instaurer une symbiose entre les habitants et leur environnement.
D’un côté, l’école territorialiste met en avant le potentiel transformateur de l’architecture. En préservant la richesse culturelle des territoires ruraux et en tissant des liens harmonieux entre les habitants et leur cadre de vie, elle ouvre la voie à des solutions novatrices pour dynamiser ces espaces.
Cependant, l’école territorialiste ne fait pas l’unanimité et suscite des critiques. Son manque de spécificité, sa focalisation sur le contexte local au détriment des dimensions sociales et économiques sont sujets à débat. De plus, ses risques de gentrification et son insuffisance à prendre en compte les enjeux globaux et la diversité sont soulevés par ses détracteurs.
Malgré ces défis, l’école territorialiste offre des avantages indéniables. Son aptitude à mobiliser les communautés autour d’un développement autonome et durable constitue un atout majeur pour revitaliser les territoires ruraux.
En conclusion, l’école territorialiste ouvre des perspectives prometteuses pour l’avenir des territoires ruraux. En relevant les défis qui se posent et en continuant à affiner ses concepts, elle pourrait devenir un outil essentiel pour façonner des communautés durables et inclusives.
Dans cette partie, nous avons examiné deux approches fondamentales relatives au paysage : le fonctionnalisme et l’approche territorialiste. Le fonctionnalisme, incarné par Le Corbusier et son concept du «village radieux», privilégie une approche collective et coopérative de la conception architecturale, axée sur les besoins de la société moderne.
D’autre part, l’approche territorialiste intègre les notions de paysage et de territoire pour placer l’homme au centre de ces concepts, en envisageant des stratégies territoriales adaptées aux espaces ruraux.
Ces deux approches offrent des perspectives complémentaires pour aborder la relation complexe entre l’homme, le paysage et l’architecture.
2.le paysage entre l’approche fonctionnaliste et territorialiste
Dans cette partie nous avons exploré les différentes dimensions de l’évolution du paysage, mettant en évidence le rôle central des paysans dans cette transformation. Malgré leur marginalisation, ils se révèlent être les acteurs principaux influant sur ces changements.
Les approches fonctionnaliste et territorialiste explorent la relation complexe entre les activités agricoles et la configuration sociale des territoires. L’impact de l’architecture en tant que catalyseur du paysage est également souligné, mettant en lumière le lien dynamique entre les interventions humaines, les structures locales et les évolutions du paysage rural.