Eliott Albaz Michele Franzoi
AS FOUND
théorie et procédure Mémoire Master Architecture & Experience 2018-2019 Sous la direction de Mariabruna Fabrizi, Eric Lapierre et Fosco Lucarelli École d’Architecture de la Ville & des Territoires à Marne-la-Vallée
INTRODUCTION As found est un terme anglais qui peut se traduire par : - ‘tel que trouvé’ (traduction de J. Lucan, 2015, dans un article de Rem Koolhaas dans International Architect (1980) ) dans le sens de ‘trouver’ comme « rencontrer, découvrir par hasard et prendre quelque chose, quelqu’un, un animal qui sont ou semblent perdus » (Larousse); - ‘tel quel’ (traduction de J. Taricat, dans l’article « New Brutalism » de Reyner Banham (1955) ) dans le sens de « quelconque, médiocre, aussi mauvais que bon, et même plus mauvais que bon, de peu de valeur, de peu de considération.» (Larousse) As found fonctionne comme un adjectif, « c’est avant tout la propriété d’une ‘chose’ – pas la ‘chose’ en soit ni l’activité qui la produite.» (Lichtenstein et Schregenberger ) Préexistant dans le langage courant, un historien et deux architectes britanniques, Peter Reyner Banham et Alison et Peter Smithson, s’en emparent en lui donnant une valeur de concept. Le premier rédige en 1955 pour Architectural Design l’article «The New Brutalism», où il définit les caractéristiques de l’architecture Brutaliste avec comme troisième point : « la mise en valeur des matériaux pour leurs qualités propres, utilisés ‘as found’ ». Il faut attendre trente-cinq années avant que les Smithson parviennent à formuler dans «The ‘As Found’ and the ‘Found’» une théorie plus complète faisant figure d’héritage du Brutalisme. Notre recherche s’attache à donner les éclairages nécessaires à une compréhension plus précise de ce qu’est le concept as found, dans ses théories et ses manifestations architecturales, autant passées que contemporaines. En le considérant dans sa spécificité architecturale, nous avons essayé de définir un procédé as found permettant, au concepteur et à l’observateur, de comprendre sa mise en œuvre construite.
1. MATÉRIAUX p.3 _brutalisme p.4 _héritage p.12 _bibliographie/1 p. 22
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_INTRO/1
1. MATÉRIAUX Par matériaux, il faut comprendre « matière servant à construire, fabriquer », et « matière » comme « substance qui constitue le monde sensible, les corps ». Le matériau, c’est le premier aspect du concept as found définit par Reyner Banham en 1955 – « Mise en valeur des matériaux pour leur qualité propre, montrés “as found”»1 – et repris plus succinctement par Alison & Peter Smithson en 1990 – « Nous étions intéressé par l’apparence du matériau pour ce qu’il était [...]»2.
1. Reyner Banham, «The New Brutalism», in Architectural review - Traduction Jean Taricat, in Marne n1, 2011; p.58
2. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group~ Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, 1990; p. 20
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1. MATERIAUX
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3. dans une lettre à Jean Luis Sert in François Haslin, Un Corbusier, Seuil, coll. « Fiction & Cie », p.55 (2015)
4. Reyner Banham, «The New Brutalism», op. cit. p. 63
Les « anglais », ce sont Alison et Peter Smithson, invités comme tous les autres membres du CIAM d’Aix en Provence (1953) par Le Corbusier sur le solarium de la Cité radieuse (1945-1952). Selon Banham, l’architecture brutaliste se recoupe avec l’art Brut de Jean Dubuffet, les toiles de Jackson Pollock (1912-56) et d’Alberto Burri, dans le sens où celles ci produisent des «images» avec une valeur visuelle particulière: « c’est la chose en elle même, dans sa totalité, et dans toutes ses connotations ou implications pour l’homme» 4. L’image brutaliste « émeut », elle ne cherche plus à plaire. Dans Précisions sur un état présent de l’architecture (2015), Jacques Lucan (1947) cite Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) pour définir ce qu’est la phénoménologie. Son but est « de décrire, et non pas d’expliquer ni d’analyser », de « réveiller […] cette expérience du monde », « revenir aux choses même, […] revenir à ce monde avant la connaissance dont la connaissance parle toujours […] »; il ajoute aussi que « le réel est à décrire, et non pas à construire ou à constituer »
Le Corbusier, escalier Unité d’habitation, Marseille, France, 1945-52
5. Jacques Lucan , Précisions sur un état présent de l’architecture: Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, EPFL, Lausanne, 2015; p. 117
« Le béton brut est né de l’Unité d’Habitation de Marseille où il y avait quatre-vingt entrepreneurs et un tel massacre de béton qu’il ne fallait pas rêver de faire des raccords utiles par les enduits. J’avais décidé : laissons tout cela brut. J’appelais cela du béton brut. Les Anglais m’ont immédiatement sauté sur le morceau et m’ont traité de brutal. En fin de compte, la brute c’est Corbu. Ils ont appelé cela le New Brutalism. Mes amis et admirateurs me tiennent pour la brute du béton brutal» 3.
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. Alors, l’architecture brutaliste a à voir avec la phénoménologie dans le sens où, par son image qui se comprend et s’éprouve directement, aucune explication ou analyse n’est nécessaire. Décrire la réalité du matériaux dans la construction, c’est comprendre et l’utiliser pour ses valeurs intrinsèques. Les artistes d’avant garde sont alors, pour les architectes brutaliste, des explorateurs de la spécificité des matériaux. Dans sa Texturologie (1959), Jean Dubuffet (1901-85) transposait la rugosité de surfaces brutes (terre, gravier, enduit, métal…) sur du papier vélin . Jackson Pollock expérimentait la peinture comme matière avec le dripping. Les figures de l’innocence pour l’artiste comme l’ingénieur, le scientifique, le fou viennent aussi alimenter un nouveau rapport à une esthétique brute et spécifique à l’époque – en témoigne les images de Parallel of Life and Art de l’Independent Group (Alison et Peter Smithson, Nigel Henderson, Eduardo Paolozzi) exposé à L’ICA en 1953.
Alison et Peter Smithson , École secondaire Hunstanton, Nulfok, Angleterre, 1949-52
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L’Unité d’Habitation de Marseille, conçu et réalisé par Le Corbusier entre 1945 et 1952, porte en elle « les graines » du mouvement (car préexistant au New Brutalisme) et du concept as found. Reyner Banham, après avoir donné les trois caractéristiques* de l’architecture Brutaliste déclare qu’il « est intéressant que ces qualités pourraient servir à décrire l’Unité d’habitation de Marseille » 6. Il confirme qu’à la différence des immeubles de Promontory et de Lake Shore (1949) de Mies Van Der Rohe (1886-69) et du centre technique de General Motors (1956) de Eero Saarinen (1910-61) (entre autres), l’Unité ne présente pas « un excés de ‘suaviter in modo’ (délicatement dans la manière». Ce qui le caractérise donc, c’est « sa brutalité, son ‘je-m’en-foutisme’, son côté buté » 7. Ce qui caractérise le matériaux de l’Unité, c’est ce qu’on appellera le ‘béton brut’, qui découle d’une attitude brutale face à la réalité du gros œuvre, trop peu précis. En considérant le béton as found, les imperfections du coffrage ne sont plus des fatalités, mais « le romantisme du mal foutu » 8. Alors la rugosité apparaît comme une qualité
*: 1.Memorabilite en tant que image (emotions) 2. Exhibition sans fard de la structure (relation entre parties) 3. Mise en valeur des matériaux tels quels (matériaux bruts)
6-7. Reyner Banham, «The New Brutalism», op. cit. p. 60
8. Le Corbusier, Entretien avec Georges Charensol et Robert Mallet, 1962
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1. MATERIAUX
révélant les traces de la mise en oeuvre, jusqu’à la texture hétérogène dévoilant sa constitution même (des coquillages présents dans le sable). Ici, un des accomplissements de Le Corbusier est la remise en question de la représentation du béton comme matière précise (modernité d’avant-guerre). 9. Dirk van den Heuvel «the Smithson vs Banham», dans Brutalism, contributions to the international symposium in Berlin 2012, Zurich, 2017. p.32
10. Dirk van den Heuvel, Max Risselada (ed.), Alison and Peter Smithson. From the House of the Future to a house of today, 010 Publisher, Rotterdam, 2004 p. 23
11. Philip Johnson, « School at Hunstanton», in Architectural review, Septembre 1954; p. 148
Le Corbusier, Maisons Jaoul Neuilly-sur-Seine, 1945-52
12. Reyner Banham, «The New Brutalism», op. cit. p. 67
C’est la même attitude qui semble animer les Smithson lorsqu’ils publient dans Architectural Design (1955) le projet d’une maison non réalisée dans le quartier de Soho. Ils utilisent pour la première fois le terme New Brutalism qui « fut […] inventé pendant que nous écrivions cet article» 9 , contrairement à ce qu’à pu dire Banham onze mois plus tard. Le concept original de la maison impliquait d’utiliser les matériaux de construction dans leur état banal. La structure était entièrement exposée, à l’intérieur et sur la façade sans finitions, comme dans un « petit entrepôt » 10: même les équipements de plomberie et d’électricité devaient être visibles. Cet article entre en résonance avec leur projet pour l’école d’Hunstanton (1949-1954), qu’ils venaient de réaliser, et qui fut le premier bâtiment anglais du New Brutalism. En effet, tous les matériaux sont mis en oeuvre pour garder visible leur mode d’assemblage. Il n’y a pas de finitions, et les réseaux sont bien visibles. Le projet est assimilé à une architecture ‘miessienne’ britannique 11, mais bien qu’ils utilisent les même matériaux, la mise en oeuvre reste ordinaire sans virtuosité particulière. Banham, dans l’article “New Brutalism” : « Hunstanton est si resté en travers de la gorge du public, c’est parce qu’il est pratiquement le seul bâtiment moderne à être fait de ce dont il a l’air d’être fait. Quoiqu’on ait pu dire de la franchise des matériaux, la plupart des édifices modernes semblent faits de chaux ou de vitrage, alors même qu’ils sont en béton et acier » 12. A la différence du béton, l’acier n’est pas un matériau fait sur place : il est standardisé. Il est donc à quelques nuances prêt, le même utilisé par les Smithson et Mies. Là où réside le concept as found dans l’école d’Hunstanton, c’est dans le détail constructif, l’assemblage sur chantier des éléments. Ne
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cherchant plus la beauté dans l’abstraction, ils génèrent une architecture de la vérité constructive. Une rationalité sans sophistications par des assemblages ordinaires.
James Stirling et James Gowan, Langham House Close (Ham Common), Angleterre 1955–1958
La brique est un matériau à part pour les modernes: il est préexistant au mouvement, ne permet pas de nouvelles prouesses techniques assurées par le béton armée mais constitue toujours un matériau économique et disponible. Il a néanmoins une connotation ‘traditionnelle’ derrière laquelle se réunissent par exemple les héritiers anglais du Arts & Craft, qui fustigent le mouvement moderne et les Brutalistes. Si ces derniers l’utilisent c’est suite à la réalisation des maisons Jaoul (1956) de Le Corbusier (encore) à Neuilly sur Seine. En 1955, le corpus d’œuvres architecturales construites constituée par Reyner Banham n’était composé que de l’Unité et d’Hunstanton. Il manquait un bâtiment qui puisse vraiment correspondre à la connotation du ‘brut’. La ‘brique apparente’ et le ‘gros béton’ (tel que les nomme Le Corbusier) fit du projet le nouveau ‘standard’ Brutaliste (que suivent notamment Stirling et Gowan pour Ham Common en 1958 13). C’est probablement l’archaïsme intrinsèque à la brique qui donna “l’image” manquante à l’architecture véritablement ‘brute’ des britanniques, et espérer réintégrer leurs motivations modernes dans une tradition autre que celle promue par leurs adversaires passéistes du «William Morris Revival» 14. L’utilisation de la brique pour ses valeurs intrinsèques, en tant que voûte ou murs porteurs, juxtaposée au béton brut, qui ceinture chaque plancher en constituant les linteaux des ouvertures. Cela tenant dans un plan orthogonal moderne. Le béton, l’acier et la brique constituent les matériaux structuraux, qui montrées as found exhibent la ‘vérité constructive’. Le matériau as found dans les années 1950-1960 est résolument structurel – exception faîte du contreplaqué et du bois, utilisés pour les menuiseries des Maisons Jaoul.
13. voir : Mark Crinson, The uses of nostalgia’, in Journal of the Society of Architectural Historians, Volume 65, juin, 2006; p. 216-237
14. Reyner Banham, «The new Brutalism», op. cit. p. 53
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1. MATERIAUX
_HERITAGE
16. Le Corbusier, Vers une Architecture (1923), Arthaud, Paris, 1977
17. Dirk van den Heuvel «the Smithson vs Banham», dans Brutalism, contributions to the international symposium in Berlin 2012, Zurich, 2017. p.32
19. voir: Oliver Elser, Philip Kurz, Peter Cachola Schmal, SOS Brutalism A Global Survey, Park Books, Francfort, 2017.
En 1990, les Smithson évoquent seulement « le boisé (woodness) du bois » de leurs Patio and Pavilion (1956) et Solar Pavilion (1959-1962) et le « sablé (sandiness) du sable » 15 de leur Iraqui House (1961) – des matériaux archaïques et non structuraux. Ils semblent chercher à se démarquer à tout prix de l’idée reçu du Brutalisme que l’article de 1955 et le corpus de The New Brutalism: Ethic or Aesthetic? (1966) mettent en exergue avec le « béton brut » et la phrase tirée de Vers une Architecture (1923) « L’architecture, c’est avec des matière brutes, établir des rapports émouvants » 16 de Le Corbusier. En 1957, dans Architectural Design, « Brutaliste signifiait pour nous ‘Direct’, disent les Smithson, pour d’autres il devint un synonyme de rugueux, cru, surdimensionné […] Brutalisme était l’opposé, la nécessité de s’adapter à la nouvelle situation, comme l’oeuvre de Khan à Yale » 17. Dans Précisions sur un état présent de l’architecture (2015), Jacques Lucan pose «l’hypothèse d’un nouvel intérêt récemment porté au brutalisme et à son exaltation des matériaux » 18 , d’une part basée sur des publications récentes sur le thème au moment où des œuvres majeures du mouvement sont menacée de destruction ou détruite 19 (Robin Hood Garden 1968-72 des Smithson dont la destruction est en cours depuis 2017); d’autre part sur l’approche récurrente de certains architectes contemporains de « passer par une approche “matérialiste”, ou d’y revenir » comme Frank O. Gehry (1929) dans les années
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1970, Jean Nouvel (1945) dans les années 1980 comme Nemausus (1985-87), Rem Koolhaas (1944) dans ses réalisations les plus économiques, etc. La différence avec «l’ancien brutalisme» serait une expression des matériaux « moins “rudimentaires” (briques et béton) et plus industriels » 20. En 1973 et 1978, deux chocs pétroliers mettent à mal l’économie mondiale et aboutissent à un nouveau type de construction faisant usage intensif d’isolation thermique. D’une part la structure porteuse est alors systématiquement recouverte d’une enveloppe intérieure et/ou extérieure, mettant à mal « un des impératifs moraux essentiels du mouvement moderne (l’honnêteté de la structure des matériaux) »21 ; d’autre part la question ‘des qualités propres’ de matériaux déjà transformé se pose. Dans le Danstheater à La Hague (1980-1987) d’OMA, la structure porteuse métallique isolée à la laine de roche est allègrement recouverte « de stuc, de marbre et de feuille d’or » 22. La dichotomie inévitable faîte par la feuille d’isolation glissée entre la structure porteuse et l’extérieur ne donne à l’enveloppe qu’une valeur ornementale. Le matériaux de l’enveloppe existe pour lui même. Si il peut entretenir une relation d’interdépendance avec ce qui constitue le squelette porteur du bâtiment, celle ci ne peut être que d’ordre symbolique. L’enveloppe a une valeur en soit. On trouve une piste dans la manière d’aborder l’enveloppe par les matériaux qui la compose dans l’explication que donne Donald Judd (1928-1994) pour les “matériaux spécifiques” : « La plupart des œuvres font appel à de nouveaux matériaux, récemment mis au point ou qui n’avaient pas auparavant été employé en art. [...] Les matériaux varient beaucoup et sont simplement des matériaux: formica, aluminium, acier laminé à froid, plexiglas, cuivre rouge ou ordinaire, etc. Ils sont spécifiques. S’ils sont utilisés directement, ils sont encore plus spécifiques » 23. Jacques Lucan
18-20. Jacques Lucan , Précisions sur un état présent de l’architecture; op. cit. p. 147
21. Reyner Banham, «The new Brutalism», op. cit. p. 58
22. Site internet OMA: https:// oma.eu/projects/ netherlands-dancetheater
23. Donald Judd, “Objets spécifiques”, dans Claude Gintz (dir.), Regard sur l’art américain des années soixante, Paris, 1979 traduction de “Specific Objects”, Arts Yearbook, n°8, 1965); p.70.
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24. J.Lucan Précisions sur un état présent de l’architecture; op. cit.; p. 118
1. MATERIAUX
ajoute à cette citation que « les matériaux sont encore plus spécifiques s’ils ne sont pas peints, ou traités d’autre manière par rapport à leur état initial de produits industriels » 24. Pour le théâtre d’OMA, l’utilisation du marbre et de la feuille d’or peut s’expliquer par leur valeur plastiques, laissés telles quel, mais il est difficile de parler d’as found pour des matériaux aussi ‘nobles’. Il faut voir le concept dans l’utilisation de matériaux plus courants, comme la tôle d’acier ondulée. Celle ci est employé en toiture à la fois pour couvrir et pour contreventer la structure. Mais elle est aussi employée en sous face, dans l’auditorium, pour des raisons acoustiques. La tôle est courbée dans le sens de ses ondes – une posture ‘naturelle’ pour la géométrie du matériau – ce qui permet d’orienter, selon les calculs de l’ingénieur, certaines fréquences et d’en atténuer d’autres. La structure du toit est autoportante, la tôle jouant aussi un rôle structurelle par la rigidité donné par les courbures.
25. Jacques Lucan, OMA - Rem Koolhaas. Pour une culture de la congestion, direction de l’ouvrage, Electa Moniteur, Paris, 1990
L’enveloppe – dans son sens non-porteuse – devenant la surface incarnée par le matériau as found, pose la question de ce qui est visible et de ce qui est caché.
OMA, théâtre de La Hague, Pays Bas,1980-87
La façade du Congrexpo (1990-1994) utilise de la même façon la courbure de la tôle en façade, mais pour rigidifier l’enveloppe. «Courber» est donc, dans les deux cas non, pas un choix arbitraire, mais découle à la fois des valeurs intrinsèques de la tôle ondulée (matériau non isotrope, se courbant dans un sens, rigide dans l’autre) et d’impératifs d’usage ou de statique de l’ensemble du bâtiment. « Les réalisations architecturales d’OMA ne cherchent donc pas à mettre en scène de façon insistante des prouesses d’ordre technologique. Au contraire, nous assistons à une espèce de sublimation sobre, mais volontaire, de matériaux ordinaires » 25.
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_HERITAGE
En 1987, Herzog et De Meuron livrent l’entrepôt Ricola de Laufon, un programme «without content» où l’architecture est seulement une enveloppe. « De loin, l’entrepôt est un parallélépipède dont la façade est composée de strates » . Lorsqu’on se rapproche suffisamment, « ce qui aurait pu […] nous apparaître comme une surface, acquiert une épaisseur. De cette épaisseur, nous pouvons comprendre la constitution : comment les plaques d’Eternit se superposent; comment légèrement inclinées, elles nous montrent la façon dont elles sont portées, et posées audevant de la couche devenue visible de l’isolant de l’enveloppe, etc. » 26. Se revendiquant d’une approche phénoménologique 27, les architectes ne se limitent pas à une enveloppe «muette» ou «codée». Au contraire, ils cherchent à construire une architecture comme « un objet offrant sa propre langue » 28.
Herzog&deMeuron, Stockage pour Usine Ricola, Laufen, Suisse,1986-87
Au regard de ce projet, il faut comprendre que le concept as found appliqué au matériau doit permettre à l’observateur d’appréhender directement les qualités propres du matériau et son rapport avec le reste des éléments qui composent le bâtiment. Ce qui est remarquablement as found dans l’entrepôt Ricola de 1987, ce n’est pas nécessairement les plaques d’Eternit non transformée et utilisée pour leur caractéristiques hydrofuges, c’est le fait qu’on le comprenne immédiatement. L’intelligibilité est une des particularité manifeste du concept as found, cela peut aussi se retrouver chez les ‘anciens’ Brutalistes – nous le verrons dans le chapitre Juxtaposition. La spécificité de l’économie contemporaine de la construction est la standardisation généralisée autant dans les matériaux que dans les procédé de mise en oeuvre. Anne Lacaton (1955) et Jean Philippe Vassal (1954) prennent particulièrement en compte ce second aspect du matériau contemporain.
26. Jacques Lucan , Précisions sur un état présent de l’architecture; op. cit. p. 130 27. dans «Continuities» entretien d’Alejandro Zaera avec Herzog & De Meuron, in El Croquis n° 60 («H & de M19831993). p.15 28. Jacques Herzog, Theodora Vischer: «Interview by Theodora Vischer with Jacques Herzog» In: Architectures of Herzog & de Meuron. Portraits by Thomas Ruff. Exh. Cat. Herzog & de Meuron. Peter Blum Gallery, New York. Summer 1994. P.28-32
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29. Conversation avec Jean-Philippe Vassal, Pais, 22 juillet 2003, dans Éric Lapierre, «Inquiétant readymade », Matières, n°7, 2004; p. 21 30. Conversation avec Anne Lacaton, Paris, 2 juin 2004, dans Éric Lapierre, op.cit.; p. 21
1. MATERIAUX
En effet, l’un affirme « on se fiche de l’aspect extérieur de nos bâtiments 29» tandis que l’autre souligne que leur démarche « […] est une façon totalement directe de mettre en œuvre les choses, d’assumer les matériaux, d’assumer les assemblages : cette performance, devient aussi une qualité esthétique 30» Dans l’ensemble de leurs projets, ce n’est pas tant la transposition du plexiglas dans des habitations qui est remarquable, mais la technique de mise en œuvre standardisée, empreinte à d’autres domaine de la construction comme industrielle ou agricole. Le matériau ne fonctionne pas seul, il est intrinsèquement liée à sa mise en œuvre standardisé. Pour la maison Latapie (1993) le jardin d’hiver est une serre agricole de catalogue adaptée pour une habitation. Ce n’est pas un ready-made, comme on le verra dans la maison Coutras (2000), mais une mise en œuvre du matériaux selon son mode de construction standard. L’as found doit donc aussi se voir dans l’absence de transformation d’un procédé standard (et dans sa transposition comme nous le verrons dans le chapitre 2.Objets Trouvés).
La Casa 712 (2007-2011) d’Harquitectes arbore sur ses trois façades des parpaings de brique. Leur
Lacaton&Vassal, Maison Latapie, Floirac, France,1993
31. Jacques Lucan , Précisions sur un état présent de l’architecture; op. cit. p. 153
Un matériau as found peut aussi présenter des caractéristiques plastiques surprenantes. C’est le cas de l’enveloppe en paxaluminium du centre d’art contemporain du Point du Jour (2008) d’Eric Lapierre (1966). Utilisé dans la construction comme protection d’étanchéité des toitures terrasses, il est rarement visible, et presque jamais utilisé sur des surfaces verticale. Sa brillance argentée donne au bâtiment une plasticité singulière, qui produit un fort effet de contraste avec «un site périurbain ingrat»31, malgré que le matériau puisse être considéré comme "pauvre".
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_HERITAGE
harquitectes, Casa 712, Gualba, Espagne, 2007-09
profil correspond à un rectangle extrudé, percé de petits trous circulaires. La couleur peut renvoyer au matériau archaïque de la brique traditionnelle, mais la technique de standardisation lui donne une nouvelle image, plus précise. En retournant la brique non porteuse, les architectes montrent ce qui est généralement invisible. Le choix de cette utilisation suit deux intentions: un coût réduit; des caractéristiques thermodynamiques permettant d’aérer et de chauffer naturellement.
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1. MATERIAUX
_bibliographie/1
OUVRAGES: - Reyner BANHAM, Le brutalisme en architecture: éthique ou esthétique ?, Dunod, Paris, 1970; - Jean-Louis COHEN, L’architecture au futur depuis 1889, Phaidon, Paris, 2012; - Dorothea DESCHERMEIER (ed.), Brutalism, Contributions to the international symposium in Berlin 2012, Wustenrot Fondation, Park Books, Zurich, 2017 - Roberto GARGIANI, Rem Koolhaas/OMA: the construction of merveilles, EPFL Press, Lausanne, 2008; - Dirk van den HEUVEL, Max RISSELADA (ed.), Alison and Peter Smithson. From the House of the Future to a house of today, 010 Publisher, Rotterdam, 2004; - Claude LICHENSTEIN et Thomas SCHREGENBERGER, As found, The Discovery of the Ordinary, Lars Müller Publishers, Zurich, 2001; - Jacques LUCAN, OMA - Rem Koolhaas. Pour une culture de la congestion, direction de l’ouvrage, Electa Moniteur, Paris, 1990; - Jacques LUCAN, Précisions sur un état présent de l’architecture: Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, , Lausanne, 2015; - Alison et Peter SMITHSON, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 1955-1972, The MIT Press, Cambridge (Massachusetts), 1973; ARTICLES: - Reyner BANHAM, «The New Brutalism», in Architectural review, Traduction Jean Taricat, in Marne n1, Editions La Villette, 2011. p.58; - Dirk van den HEUVEL «the Smithson vs Banham», dans Brutalism, contributions to the international symposium in Berlin 2012, Zurich, 2017. p.32; - Philip JOHNSON, « School at Hunstanton», in Architectural review, Septembre 1954; p. 148; - Alison et Peter SMITHSON, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990. p. 201-202; - Maëlle TESSIER, «La contemporanéité du concept de as found», in La revue Lieux Communs, Les Designers Graphiques, Nantes, 2012;
2. OBJETS TROUVÉS p.27 _ordinaire p.31 _archaïque p.35 _standard p.42 _bibliographie/2 p.46
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_INTRO/2
2. OBJETS TROUVÉS « En architecture, l’esthétique ‘as found’ est quelque chose que nous pensons avoir défini au début des années 1950 lorsque nous rencontrâmes pour la première fois Nigel Henderson et que nous vîmes dans ses photographies une reconnaissance perspicace de la réalité autour de sa maison à Bethnal Green : dessins tracés sur le trottoir par les enfants pour jouer, portes recyclées en palissade, détritus sur les sites bombardés, tels des vieilles chaussures, des tas de clous, des fragments de sac, de grillage, etc. Nous fixant pour tâche de repenser l’architecture au début des années 1950, nous voulions dire par le ‘as found’ non seulement les édifices adjacents mais toutes ces marques qui constituent les souvenirs d’un lieu et que nous devons lire pour découvrir comment le tissu bâti existant est ce qu’il est devenu... » 1. Lorsque Banham déclare en 1966 « que quelque lecteur qui seraient suffisamment intéressé pour la reformuler devra lire ‘cum grano salis’ comme description du New Brutalism» 2, il attire notre attention sur ce qui y est écrit comme ne pouvant être pris littéralement à tous les égards, mais contenant tout de même un « grain de vérité ». As found est une des trois « qualités de l’objet » Brutaliste, qui sert à l’historien qu’est Peter Reyner Banham de définir son corpus d’oeuvres architecturales (comme label). La position des Smithson en tant que praticiens semble plutôt les mener à considérer le as found comme une démarche, une méthode, un processus qui serait plus à même de concevoir et réaliser des bâtiments
1-3. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990. p. 201 (L’article “The ‘As Found’ and the ‘Found’” pose des questions sur la réelle généalogie du concept: avant 1990, aucune occurrence du terme ‘as found’ ne paraît dans les textes des architectes anglais.)
2. Reyner Banham, Le brutalisme en architecture: éthique ou esthétique?, Dunod, Paris, 1970
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4. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group~ Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, 1990; p. 20
3-5. Reyner Banham, «The New Brutalism», in Architectural review - Traduction Jean Taricat, in Marne n1, 2011; p.63
6. Note écrite à la main de the Henderson collection, Tate Archive, citè in: Victoria Walsh, Nigel Henderson. Parallel of Life and Art, London, 2001, p. 92
2. OBJETS TROUVÉS
répondant mieux aux spécificités de leur époque. Ils mettent donc en garde sur la caractérisation et la compréhension du brutalisme par « 1. Mémorabilité en tant qu’image; 2. Exhibition sans fards de la structure » 3 probablement car ce ne serait que des manifestations spécifiques des années 1950-60 (et enfermerait le mouvement dans un style). En 1990 4, peut-être envisagent-t-ils qu’un héritage du brutalisme s’opère mais suivant seulement leur nouvelle théorie sur le as found et le troisième point dicté par Reyner Banham en 1955: «mise en œuvre du matériau as found (selon ses valeurs intrinsèques)» 5. En soit, les visions différentes des Smithson et de Banham ne seraient pas contradictoires, et permettent plutôt de donner au concept une dimension évolutive, réagissant spécifiquement à chaque époque, à chaque culture. Par lui, le Brutalisme peut être considéré dans d’autres contextes spatio-temporels comme « slogan », car les matériaux as found qui le constituent répondent d’abord à une «éthique (ethic)», et non à une « esthétique (aesthetic)». Dans les notes personnelles de Nigel Henderson (à l’époque de l’Independent Group), on remarque d’autant plus les origines Surréalistes de l’attitude as found. Il utilise le terme « HASARD SELECTIF (SELECTIVE ACCIDENT) » comme une méthode apparentée à « l’objet trouvé » qui se compose d’« un ensemble aléatoire de phénomènes “found” entraînant un ordre [...] idéalement souhaité / inventé de créer à partir de zéro. C’est une question d’IDENTIFICATION (RECOGNITION) » 6.
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Carrelage mural en mosaïque de la salle du Old People’s Club au Robin Hood Gardens. Composée d’éclats ramassés sur le site du Robin Hood Gardens par Alison Smithson et son fils, Simon, ensuite moulés dans du ciment dans un coffrage en bois, 1968-1970.
Nigel Henderson, ‘‘Walls, textures’’ photo prise en Providence Place, à Londres, Tate Archive (1945-50)
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Independent Group, Parallel of life and Art, ICA, Londres, 1953; quelques images selectiones sur le 122 que comptait l’instalation.
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_ORDINAIRE
_ORDINAIRE Dans “Une dynamique générative” 7, l’historien néerlandais Dirk Van Den Heuvel revient sur le parcours théorique et conceptuel de l’œuvre des Smithson et sur le paradoxe mis en lumière après la théorie de 1990 : « d’un côté, les Smithson s’inscrivent résolument dans l’historiographie d’une modernité en constante accélération cherchant à ré-évaluer l’architecture moderne de l’après guerre […] d’autre part, […] la philosophie du quotidien […] et leur concept du “as found”, présentant ainsi leur travail sous un éclairage existentialiste 8». L’article de 1990 paraît alors comme la formulation d’une théorie sur une architecture basée sur « d’autres ressentis que le visuel 9» – qu’ils arrivent (enfin) à réaliser dans des projets tardifs comme l’école d’architecture de l’université de Bath (1988). Leur « double allégeance à une modernité fulgurante et à une approche existentialiste de l’architecture 10» coexiste dans leurs premières œuvres, notamment les expositions faîtes avec l’Independent Group (Parallel of Life and Art, 1953; Patio and Pavilion, 1956). Celles ci instaurent d’ailleurs les bases d’une avant-garde British Pop (dont avait bien besoin l’Angleterre dans les années 1950 d’après Banham 11 – auxquels les architectes seront sans cesse rapportés (en témoigne l’ouvrage où paraît l’article “The ‘As Found’ and the ‘Found’”, The independent Group: Postwar Britain and the aesthetic of Plenty12 ). On peut distinguer cette double allégeance par les notions d’“image” (pop art) et de “regard” 13(as found). Alors que la notion de regard sur l’ordinaire est nouvellement exprimée et instaurée par le concept
7-8. Dirk Van Den Heuvel, «Une dynamique générative», in Architecture d’Aujourd’hui n°344, février 2003; p. 30
9. Alison et Peter, Italian thoughts, publication privée, Stockholm, 1993
10. Dirk Van Den Heuvel, op. cit. p. 32
11. Reyner Banham, Le brutalisme en architecture: éthique ou esthétique?, Dunod, Paris, 1970
12. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990. p. 201-202
13. Maëlle Tessier, «La contemporanéité du concept de as found», in La revue Lieux Communs, Les Designers Graphiques, Nantes, 2012;
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14. Pierre Chabard, Contextes, Catalogue du Pavillon français, Biennale de Venise 2002, Éditions Hyx/A.F.A.A., Orléans, 2002 15. Hugo Dardenne, Camille Lot, «FUCK CONTEXT», le paysage idéologique comme méthode, mémoire master A&E, 2016-17
16. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», op. cit. 17. Sarah Williams Goldhagen dans son essai «Freedom’s Domiciles: three projects by Alison and Peter Smithson» in Sarah Williams Goldhagen et Rejean Legault (éd.): Anxious Modernisms, Experimentation in Postwar Architectural Culture, Montreal, CCA: Cambridge Mass/London, The MIT Press, 2000 18. Gerhard Seel, « La morale de Sartre. Une reconstruction », in Le Portique. Revue de philosophie et de sciences humaines, Association Les Amis du Portique, no 16, 2005
19. Reyner Banham, Le brutalisme en architecture; op. cit.
2. OBJETS TROUVÉS
d’as found, l’image s’inscrit dans un long désaccord entre les Smithson et Banham. Dans son rapport au contexte, le concept as found s’inscrit dans un cadre fictionnel (Le “contexte comme fiction” 14 ) car « il dépend d’un point de vue et semble toujours émerger d’une série d’opérations de sélection, de tri, de choix » 15. L’ordinaire donne le cadre spatial et temporel à la sélection des éléments constitutifs du projet. L’existant est premier, le nouveau est secondaire. « Ainsi, le « as found » était une nouvelle manière de voir l’ordinaire, une ouverture vers la manière dont les “choses” prosaïques pouvaient re-dynamiser notre activité inventive. Une reconnaissance polémique de ce que le monde d’Après-guerre était vraiment. Dans une société qui n’avait rien. Vous avez atteint ce qu’il y avait auparavant d’impensable. En retour vous étiez, de force, contraint […] de voir comment le nouveau pouvait ré-énergiser le tissu existant. »16 Si on peut considérer qu’il existe une approche existentialiste17 dans le concept as found, c’est que la définition philosophique d’“authenticité” que développe Jean Paul Sartre dans “L’Être et le Néant” (1943) – résumée par Gerhard Seel par l’attitude consciente de « supporter le paradoxe de l’existence humaine et de son échec » 18 – se matérialise par le regard que porte les Smithson sur les ruines de Londres causées par la seconde guerre mondiale. Peut être de la même manière que le « béton brut » de l’Unité d’habitation était « l’abandon de la fiction d’avant-guerre selon laquelle le béton armé était un matériau de la précision, de l’“âge de la machine” » 19, les sites bombardés laissés intact dans le projet de Golden Lane étaient le refus d’une fiction utopique et fonctionnaliste moderne de la tabula-rasa. Le projet de logements de Golden Lane (1952) est présenté dans la grille des CIAM détournée par Alison et Peter Smithson en 1953 à Aix en Provence (CIAM IX), la Grille de RE-identification urbaine,
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Alison et Peter Smithson, Building 6, axonométrie et photo de École d’architecture de Bath, 1982-88
Alison et Peter Smithson, Building 6, photo de l’extérieure de École d’architecture de Bath, 1982-88
Alison et Peter Smithson, collage qui montre le processus de construction du projet pour Golden Lane, 1952
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2. OBJETS TROUVÉS
Alison et Peter Smithson, CIAM Grille, préparé pour le Ciam à Aix-en-Provence, 1953
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_ORDINAIRE
où ils remplacent les quatre fonctions de la ville moderne – travailler, se loger, circuler, se divertir – par des caractéristiques plus traditionnelles et intuitives – la maison, la rue, le quartier, la ville – en y intégrant des photos prises par Nigel Henderson (1917-1985) dans les rues de Bethnal Green (Londres). Cette attitude positive envers ce qui constitue les strates du passé peut paraître anti-moderne – en contraste avec Le Plan Voisin (1922-1925) de Le Corbusier qui prévoyait de raser le centre de Paris – mais s’inscrit dans sa « re-découverte »20, qui les mène à désigner une période « héroïque »21. RE-découvrir pour REdynamiser. Cette attitude revient à considérer le déjà là comme une matière première pouvant être employée dans une architecture spécifique au contexte. Mais au lieu de transformer cet existant ordinaire par une architecture utopique et fonctionnaliste, celui ci doit l’intégrer en respectant ses qualités propres. Afin de perfectionner son identification, la pratique architecturale des Smithson s’ouvrait à d’autres domaines – comme l’écriture, la photographie, l’art et les sciences humaines – et à d’autres “regards”, plus innocents – comme l’enfant, le scientifique, le paysans, etc… En témoigne leurs diagrammes dans le chapitre “Patterns Association” dans Urban Structuring, où Alison et Peter Smithson intègrent « les qualités de l’architecture rurale (anonyme) dans des situations générales pour de nouveaux développements résidentiels ».22
20-21. Bruno Krucker, Complex ordinariness: The upper lawn pavillon by Alison and Peter Smithson, Eth, Zurich, 2002
22. Alison et Peter Smithson, Urban Structuring, Littlehampton Book Services, Londres,1967
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2. OBJETS TROUVÉS
_ARCHAÏQUE 24. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», op. cit. p. 201
25. Alexis Hagard et Domitille Michard, INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ, Mémoire: Master théorie et projet, 2012 p.47 26. Alison et Peter Smithson, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 19551972, The MIT Press, Cambridge (Massachusets), 1973; p.47 27. Bruno Krucker, Complex ordinariness: The upper lawn pavillon by Alison and Peter Smithson, op. cit. p.18 28. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», op. cit. p. 202
« Vue de la fin des années 1980: le ‘as found’, où l’art est dans le piocher, le retourner et le mettre avec… »24 En introduction de leur article de 1990, Alison et Peter Smithson donnent une définition du as found – ou plutôt, de la procédure de transposition as found : « la transposition ‘As Found' est donc le déplacement d’un matériau pour révéler des qualités physiques et esthétiques propres mais jusqu’alors inexploitées »25 – qui semble proche du principe « select and arrange » 26 déjà exprimé dans Without Rhetoric (1973). Bruno Kruker défini ce dernier dans Complex Ordinariness : « […] (les Smithson) ont tiré leur technique de “select and arrange” de Ray et Charles Eames et l’ont utilisée dans leurs projets. Un objet créé selon le principe “select and arrange” se distingue par le caractère reconnaissable de simples éléments rappelant leur origine et enraciné dans le familier. […] Leur principe atteint une signification encore plus élevée grâce à d’autres allusions comme les "objets trouvés" de Le Corbusier et les "readymades" de Marcel Duchamp ».27 L’as found aurait alors à voir avec les “objets trouvés” dadaïstes. Les Smithson en rappellent d’ailleurs la définition: « ce sont, des objets “découverts” et transformés en objets d’art » .28 Selon Claude Lichtenstein and Thomas Schregenberger, as found a un sens d’action autonome (autonomus action), il n’est pas passif comme peut l’être le ‘trouvé’ (found) qui est hasardeux. Dans ce sens il se démarque de l’“objet trouvé” dadaïste dans sa phase d’identification (recognition).
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Au regard de l’œuvre des Smithson, l’identification porte sur trois types d’éléments: le matériaux (comme le suggère Reyner Banham); des éléments du contexte (Sugden House, Solar Pavilion); des objets standardisés (École Hunstanton). En 1956, Alison et Peter Smithson livrent la Sugden House, réalisée pour un employé de Ove Arup 29. Les architectes Jonathan Sergison (1964) et Stephen Bates (1964) la visitent en 1995 : « La Sugden House apparaît au premier regard comme acceptant le règlement urbain conservateur de sa situation suburbaine. Avec son toit en pente, ses murs en briques, ses tuiles et sa forme de “maisonnette” […]. Un regard plus approfondi, en revanche, révèle un engagement silencieux à l’idiome du modernisme. Les fenêtres nonchalamment placées suggèrent la condition d’une ‘façade libre’, plutôt qu’une pseudovernaculaire, et le plan du rez de chaussée est ouvert plutôt que ‘par pièces’ ».30 La condition ordinaire de la construction vernaculaire pavillonnaire est transposée dans un champs de conception moderne, sans transformer ou refuser ses valeurs intrinsèques. C’est à la fois le prosaïque ‘re-dynamisant’ le mouvement moderne, et l’idiome du modernisme qui fait du pavillonnaire vernaculaire une oeuvre d’art. L’identification d’un tel “objet” – qui est plutôt culturel que physique – est cohérent avec l’intérêt que porte les Smithson sur l’ordinaire, notamment sur l’architecture anonyme, et sur comment l’architecture peut être la résultante inconsciente d’un mode de vie. Sergison Bates restaurent en 2003 une autre habitation construite par Alison et Peter Smithson, le Solar Pavilion (ou Upper Lawn Pavilion, 1962), dans le Wiltshire, qui met en œuvre un autre ‘objet trouvé’: la ruine. À l’acquisition de la parcelle du projet, les Smithson choisissent de détruire le corps de ferme existant. Mais au lieu de faire table rase, ils conservent les murs d’enceintes et la cheminée en moellons. On pourrait faire un parallèle avec le bâtiment manifeste du mouvement moderne de Le Corbusier, la Villa Savoye (1928-1931): au
29. Le même bureaux d’études qui avait suivi le projet de l’École d’Hunstanton, en 1952
30. Jonathan Sergison et Stephen Bates, «Lessons Learnt from Alison and Peter Smithson», in Pamela Johnston (ed.), Architecture is not made with the brain: the labour of A&PS, AA Publications, 2005; p. 93
Alison et Pete Smithson, CIAM Grille, préparé pou le Cia à Aix-en-Provenc 195
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2. OBJETS TROUVÉS
lieu d’implanter leur projet au centre d’un tapis vert comme Le Corbusier, ils l’accolent contre le mur d’enceinte, laissant au centre de la parcelle, un puits existant. Si on raisonne de manière strictement rationnelle, la cheminée pourrait servir de mur porteur et de paroi extérieure, en adossant le nouveau bâtiment dessus. Mais la ruine devenant ‘objet trouvé’ elle doit être considéré comme élément principal dans la conception du bâtiment. Le plan du bâtiment fait une sorte de cadre autour. Les valeurs porteuse et thermique sont exploitées en y posant la poutre principale du plancher et en réactivant la cheminée avec un poêle. Alors que la Villa Savoye était composé en triptyque ex nihilo, le Solar Pavilion considère le site comme élément majeur. La parcelle cernée par son mur d’enceinte, laissé as found, comme base, peut être comme la métaphore du solarium couronnant la villa Savoye. Mais la ruine peut elle être considérée as found si celle ci est ‘aidée’? Les Smithson incarne à la fois une idéologie moderne et un regard positif sur la réalité prosaïque. La coexistence de la ruine et du pavillon, et leur relation inter-dépendante, suggèrent que la modernité n’efface pas, mais amplifie. Elle n’invente pas un nouveau monde en soit, elle transforme l’ancien en quelque chose d’à la fois similaire et différent. Les Smithson identifient la ruine au cours de la démolition, ce qui entraîne l’arrêt de la destruction et le début du chantier. Construction et dé-construction se fondent. C’est une autre attitude envers le pré-existent qu’ont Quintus Miller (1961) et Paola Maranta (1959) en 1997 quand ils dessinent l’École Volta à Bâle. Ils prolongent un bâtiment industriel abandonnée qui occupait la parcelle. L’école assume la même épaisseur que le bâtiment existant, en générant un système spatial et structurel particulier, résolue par des patios et un système complexe de voiles tirants. Le béton de la façade, laissé apparent, sert à établir le bâtiment scolaire comme interface entre le quartier résidentiel et l’élément industriel adjacent. En faisant ça, les architectes, à travers l’objet
_ARCHAÏQUE
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Alison et Peter Smithson, Solar Pavilion, Upper Lawn, 1962; la cheminé existante en maçonnerie
Alison et Peter Smithson, Solar Pavilion, Upper Lawn; Schéma intervention
Alison et Peter Smithson, Solar Pavilion, la maison terminé (en premier plan le puits)
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2. OBJETS TROUVÉS
Branlhuber + Emde, Antivilla, Potsdam, 2014; Ruines présentes sur site
Branlhuber + Emde, Antivilla, Potsdam, 2014; Schéma de l’intervention
Branlhuber + Emde, Antivilla, Potsdam, 2014; La maison terminé
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_ARCHAÏQUE
trouvé, mettent en évidence la fragmentation de la structure urbaine de la ville. L’image de la ruine n’est probablement plus la même dans l’Antivilla (2014) de Arno Brandlhuber (1964), et Emde sur le lac Krampnitz à Potsdam. Un projet qui, à bien des égards, rappelle le Solar Pavilion. Des efforts considérables sont employés pour donner à l’état délabré existant une dimension sublime exacerbée: béton projeté sur les façades, dalles auto-portantes pour permettre des espaces intérieurs sans partitions, ouvertures ‘défoncés’ au marteau. En mettant en parallèle ce que nous disent le Solar Pavilion et l’Antivilla, le chantier ou la démolition ont en commun une dimension anticonservatrice. Ils représentent un changement d’état, et sa transposition dans un bâtiment remet en question les dogmes de « l’éternellement neuf ». Le regard honnête de l’attitude as found nous conduit à percevoir cette dimension cachée. Dans sa transposition, la ruine de l’Antivilla garde toutes ses significations intrinsèques, mais la manière très sophistiqué dont celle ci est modifiée nous pousse à ne pas la considérer as found dans le bâtiment final. Ou mieux, le projet de Brandlhuber réactive l’architecture latente présente dans la ruine, la recréant à nouveau. L’état de ruine et le vernaculaire renvoient à une certaine conception de l’as found, archaïque, qui renvoie aux origines de notre civilisation.
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2. OBJETS TROUVÉS
_STANDARD 31. Alison et Peter Smithson, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 19551972, The MIT Press, Cambridge (Massachusets), 1973; p.29
32. Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée, Éditions Allia, Paris, 2017 p.18
Dans Without Rhetoric, les Smithson précisent que « la procédure sérielle habituelle pour un bâtiment implique rarement de grands nombres »31 d’éléments standardisés différents, paradoxalement au nombre d’éléments dupliqués qui est énorme. La répétition fait partie de la condition ordinaire. Par rapport à l’œuvre d’art, Walter Benjamin dit qu’à « […] la reproduction même la plus perfectionnée […], un facteur fait toujours défaut : son hic et nunc, son existence unique au lieu ou elle se trouve ».32 Par extension pour l’as found, l’architecture faite par des éléments standardisés n’est pas rendue plus significative si celle ci tente de reproduire des formes non spécifiques à sa nature. On en revient aussi aux paroles de Judd citées plus haut sur le matériau spécifique. L’identification de ‘‘l’objet trouvé” standardisé est souvent dans les produits de base, les plus disponibles, les plus économiques. A la manière de Fountain de Marcel Duchamp, qui choisi un urinoir dans une attitude d’anesthésie totale. Dans les toilettes de l’école d’Hunstanton, les lavabos sont alignées en rangées avec des séries de tuyaux visibles, hommage peut être au célèbre ready-made. Devant les vitres en verre translucide, ils développent leur plein impact lors de leur utilisation, lorsque l'eau s'écoule jusque dans un caniveau ouvert au sol. La transposition des lavabos devant les façades vitrées révèle leur nature auparavant insoupçonnée. Les Smithson vont encore plus loin en transformant la plomberie habituelle en un système archaïque d’écoulement des eaux, mais qui révèle le fonctionnement de l’objet. L’action est radicalement
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Marcel Duchamp, Fountain, 1917
Alison et Peter Smithson, École Hunstanton, 1952 Lavabos en façade
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2. OBJETS TROUVÉS
Lacaton&Vassal Maison à Coutras, 2000; «Un maximum d’espace construit avec le minimum de matière»
Yan de Vydler, Inge Vinck et Jo Taillieu: La maison Rot-Ellen-Berg (20072011) à Oudenaarde, Belgique; La maison de verre, construite avec des planchers faites d’éléments de coffrage supportes par des éléments d’échafaudage permanents
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_ STANDARD
as found, car par la presque disparition de la plomberie, les lavabos semblent directement sortis de l’usine. Pour la maison à Coutras (2000), Lacaton&Vassal conçoivent « une cabane primitive pour le temps présent » 33 fait d’un ready-made de deux serres horticoles juxtaposées, l’une intégrant une ‘boîte isolé’. Le choix de cet objet est intrinsèquement lié au contexte immédiat, un paysage de campagne agricole, où des serres similaires sont déjà utilisées. Les architectes suivent un processus de conception qui suit plusieurs axes complémentaires: l’usage, qui est prioritaire; l’économie qui doit permettre de bâtir, au même prix, le double de surface habitable; une indétermination formelle qui laisse libre toute sa capacité d’appropriation. La serre horticole comme “objet trouvé” as found dans la réalisation d’une habitation, satisfait simultanément les trois axes: elle permet de « vivre dans de grandes surface thermiquement contrôlées ». La transposition as found ne se fait donc pas seulement dans une dimension formelle: elle inclut aussi l’économie et la thermique. Les projets de Jan De Vylder (1968), Inge Vinck (1973) et Jo Taillieu (1971) considèrent les bâtiments existants à leur juste valeur. Leur hypothèse étant qu’ « il n’y a pas de bâtiments mineurs » 34, leur attitude consiste à effacer le moins possible ce qui constitue leurs particularités, mais aussi de définir, dans un équilibre complexe, la manière dont le bâtiment existant est déconstruit, et le nouveau construit. Pour l’architecte, le chantier est souvent le contexte le plus immédiat, qui permet d’identifier dans matériaux et objets une capacité à être utilisé autrement. A l’image dans la maison Rot-EllenBerg (2007-2011) à Oudenaarde, des étais et des échafaudages, traités objets as found destinés à être temporaires mais utilisé pour un usage permanent (structurel).
33. Eric Lapierre, «Inquiétant ready-made», in matières, n°7, août 2004 p.24
34. Presentation de la maison Rampelken, in 2G, n°66 architecten de vydler vinck taillieu, 2013, p.131
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2. OBJETS TROUVÉS
_bibliographie/2
OUVRAGES: - 2G, n°66 «architecten de vydler vinck taillieu», 2013; - ACCATTONE n°2, SNEL, Liège, Belgique, septembre 2015; - Walter BENJAMIN, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée, Éditions Allia, Paris, 2017; - Pierre CHABARD, Contextes, Catalogue du Pavillon français, Biennale de Venise 2002, Éditions Hyx/A.F.A.A., Orléans, 2002; - Sarah Williams GOLDHAGEN et Rejean LEGAULT (éd.): Anxious Modernisms, Experimentation in Postwar Architectural Culture, The MIT Press, Londres, 2000; - Gennaro POSTIGLIONE (ed.), A+P Smithson, una piccola antologia critica, LetteraVentidue, Siracuse, Italie, 2015; - David ROBBINS, The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990; - Max RISSELADA (ed.), Alison & Peter Smithson, a Critical Anthology, Ediciones Poligrafa, Barcelone, 2011; - Alison et Peter SMITHSON, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 1955-1972, The MIT Press, Cambridge (Massachusets), 1973; - Victoria WALSH, Nigel Henderson. Parallel of Life and Art, TATE, Londres, 2001; ARTICLES: - Mariabruna FABRIZI, in http://socks-studio.com/2017/01/21/alisonand-peter-smithsons-upper-lawn-pavilion-also-known-as-the-solarpavilion-1959-1962/ ; - Dirk van den HEUVEL, «Une dynamique générative», in Architecture d’Aujourd’hui n°344, février 2003; - Dirk van den HEUVEL, «As Found Aesthetics: notes on the formation of the context debate in architecture», in Year Book, Delft, 2015; - Eric LAPIERRE, «Inquiétant ready-made», in matières, n°7, août 2004; - Thomas SCHREGENBERGER, «As found is a small affair, it is about being careful”, in M. Mostafavi (ed.) Architecture is not made with the brain : the labour of Alison and Peter Smithson, AA Londres, 2003; - Alison et Peter SMITHSON «Aujourd’hui, c’est les pubs que l’on collectionne», in Architecture d’Aujourd’hui n°344, février 2003.
3. JUXTAPOSITION p.51 _processus p.55 _non-articulation p.60 _prĂŠcisions p.66 _conclusion p.69 _bibliographie/3 p.70
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_INTRO/3
3. JUXTAPOSITION « ...Le “found”, où l’art est dans le processus et le regard vigilant » 1 Dans leur article de 1990, Alison et Peter Smithson associent une définition du as found à un autre concept, le found, qui met en exergue une notion de non-decisionnelle, une méthode de travail proche de l’“Architecture automatique” tel que le définissait Breton dans son Manifeste du Surréalisme. 2 Les Smithson, Eduardo Paolozzi (1924-2005) et Nigel Henderson, manifestent une attitude intellectuelle se démarquant des autres membres de l’Independant Group (IG). Lors de réunions très privées à l’ICA (Institut of Contemporary Art) entre ceux qui composent l’avant garde artistique britannique des années 1950 (Lawrence Alloway, Reyner Banham, Toni del Renzio et John Mc Hale), le quatuor monte une exposition « qui n’avait rien à voir avec l’IG ». 3 Parallel of Life and Art, exposé en 1953, sera considéré par Reyner Banham comme un locus classicus du mouvement Brutaliste. L’installation est comme un processus en cours rendu visible. Les “objet trouvés” avec des origines, époques, et destinations différentes, après une sélection, sont imprimées à la même dimension, et placés dans tout l’espace d’exposition sans hiérarchie, comme un refus de composition (a-formel). 4 Chaque élément participe au tout et en même temps reste reconnaissable en tant que fragment (à l’image des pièces de la montre). Cela crée une nouvelle forme de relation entre l’observateur et le créateur de l’œuvre: une forme
1. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990. p. 201
2. Dirk van den Heuvel, «As Found: The Metamorphosis of the Everyday, on the Work of Nigel Henderson, Eduardo Paolozzi, and Alison and Peter Smithson (1953-1956)», in OASE 59, 2002
3. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’» op.cit. p.202
4. Alison et Peter Smithson, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 19551972, The MIT Press, Cambridge (Massachusets), 1973; p.30
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5. Claude Lichenstein et Thomas Schregenberger, As found, The Discovery of the Ordinary, Lars Müller Publishers, Zurich, 2001
6. Dirk van den Heuvel, «As Found: The Metamorphosis of the Everyday..» op. cit. p. 60
7. Reyner Banham, Le brutalisme en architecture: éthique ou esthétique ?; op.cit
8. Alexis Hagard & Domitille Michard, INQUIÉTANTE MATÉRIALITÉ, Master théorie et projet, 2012
3. JUXTAPOSITION
ouverte, un résultat non figé, complété par chaque individu. 5 « La méthode utilisée sera juxtaposée […] Partant de l'appel d’une nouvelle technique de composition, qu'elle soit a-formelle ou antiacadémique, le type d’ 'ordre idéalement créée à partir de rien' et de 'sélection' et d’'identification' qui jouent un rôle dans le processus sont d'une importance décisive. »6 C’est ce qui distingue la position de Reyner Banham et celle des Smithson par rapport au concept d’image. L’image a la spécificité d’exister bien plus mentalement que physiquement. Banham voyait dans l’image Brutaliste un passage vers une architecture autre, ne répondant plus nécessairement au concept de beauté ou aux règles de composition. Il en répondait à l’a-formel, une composition anti-académique basée sur « un sentiment intuitif de la topologie ».7 Les Smithson ne se sont jamais vraiment intéressés à l’image en tant que résultat, mais plutôt à la manière dont celle ci pouvait être générée, presque automatiquement. Donc l’as found pourrait se voir comme un concept opératoire pour révéler des qualités physiques et esthétiques propres d’un matériau/objet.8
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David Vélez Santamaría, Schéma d’installation , Parallel of Life and Art Disposition a-formelle des images
Image n°1 : “ A Watch ” from Cassell’s Book of Knowledge, Vol.2
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Jackson Pollock, Dripping, 1949
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_PROCESSUS
_PROCESSUS « Opposer procédure et processus, c’est respectivement opposer un mode de conception à partir de règles connues, et un mode de conception déterminé par des actions qui n’augurent pas de tous les résultats, mais laissent ouvertes des possibilités inexplorées ».9 Si on reprend les interprétations du nouveau brutalisme données par R. Banham et les Smithson, ils ont en commun une attention particulière portée au travail de Jackson Pollock. Pour Banham cela consiste dans « l’attitude architecturale [qui] entend se tenir au plus près de la nature des matériaux, en les utilisant en les transformant le moins possible lors de leur mise en œuvre. Ils sont utilisés “ as found, dans une attitude proche, à la fois, de celle de l’art brut et de Jackson Pollock ».10 D’une manière différente pour Alison et Peter Smithson, l’attention est dans le processus : « L'image a été découverte dans le processus de fabrication du travail. Ce n'était pas préfiguré mais recherché comme un phénomène dans le processus ».11 « Selon les Smithson, cela va au-delà du processus qui sous-tend l'objet trouvé surréaliste »12 car Pollock construit une chose complètement différente, immatérielle: un processus. Ce raisonnement prend racine dans les différent Clusters des Smithson qui produit une « esthétique de l’aléatoire »13, une forme ouverte pouvant être modifiée sans déséquilibrer l’ensemble. Si on fait une autre analogie avec l’art contemporain, l’artiste Carl Andre (1935) nous donne une piste quand à la nécessité d’appliquer le type de processus créatif dont parle les Smithson: par rap-
9. Jacques Lucan, “On en veut à la composition”, matières 5, 2002, p 78
10-13. Reyner Banham, Le brutalisme en architecture: éthique ou esthétique ?; op.cit, p.68 11. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», op.cit, p. 203 12. Dirk van den Heuvel, «As Found: The Metamorphosis of the Everyday..» op. cit. p. 60
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14. Phyllis Tuchman, “Entretien avec Carl Andre”, Art Minimal II, Bordeaux, Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1986 (traduction de “An Interview with Carl Andre”, Artforum, VIII, juin 1970), p.36.
15-16. Philip Johnson, “School at Hunstanton”, in Max Risselada (ed.) Alison & Peter Smithson, A Critical Anthology, Barcelone, 2011 (first published in Architectural Review, sept 1954), p.88
17. Eric Lapierre, “L’ordre de l’ordinaire Architecture sans qualités” (pour la Villa Tamaris et les Presses du réel), in Catherine Perret (dir.), Peinture sans qualités, Dijon, Les Presses du réel, 2005.
2. OBJET TROUVÉ
port à 144 Pieces of Lead (1969) il dit « mon premier problème est de trouver un ensemble d’éléments, un ensemble d’unités, et de les assembler en fonction de lois spécifiques à chaque élément plutôt que de les assembler d’après une loi qui s’applique à l’ensemble […] ».14 On peut donc imaginer qu’un matériau ou un objet identifié as found puisse perdre ses caractéristiques intrinsèques si leur mise en oeuvre se plie à une forme préconçue. C’est donc au processus auquel nous portons maintenant attention et ces spécificités avec le concept as found dans l’architecture. Si on reviens à l’Ecole de Hunstanton des Smithson, la forme est la résultante d’une séquence de portiques en acier, qui définit trois différents vides au centre, dont deux sont des cours extérieures. « En utilisant un système de ‘portiques’ les architectes se sont donnés une problématique complexe là où les portiques se rencontre aux angles droits ». « La régularité [du bâtiment final] est indéniablement [d’influence] miesienne »,15 mais en même temps le traitement des angles (comme les systèmes de réseaux exposé et les lavabos en façade) montrent encore une fois la logique didactique composante du bâtiment. Le processus est assumé et poussé jusqu’à son état limite, et par le fait que les façades soient différentes, là où les surfaces se plient correspondent aussi un détail d’angle différent. « Definitely not elegant! ».16 Tout ça crée une complexité inattendue et non-recherchée, une succession de détails under-design et une intangibilité des éléments ordinaires, composants du bâtiment (acier, briques et verre). Tout cela résulte d’un assemblage de fragments qui vis à maintenir inaltéré leur potentiel d’expression et d’émotion. C’est, enfin, un moyen de produire une architecture « sans rhétorique (A&P Smithson), qui ne représente rien d’autre qu’elle-même.»17 En 1980, Rem Koolhaas s’était déjà approprié le concept as found dans son rapport à un processus non décisionnel – avant que les Smithson ne le reformule. Dans un article apparu dans Internatio-
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A+PS, École de Hunstanton, 1952; Plan premier étage
A+PS, École de Hunstanton, 1952 8 détails d’angles différents
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Flatiron bulding, Daniel Burnham, New York, 1900-02 Les gratte-ciel sont «des bâtiments mutants» ne sont conçus mais générés en dupliquant les sites entiers as found. Un coin aigu de 23 niveaux.
A+P S, the Economist Building, Londres, 1959-64; Détail d’un module de façade, composé de la structure et de la menuiserie. L extrusion laisse visible la forme de base. Le procédé industriel comme de construction du bâtiment se décompose.
_PROCESSUS
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nal Architect n°3, il porte un certain regard sur les Gratte-ciel de New York qu’il considère comme « bâtiment mutants, pas conçu mais générés en dupliquant les sites entiers ‘as found’ […] ».18 La parcelle et le règlement urbain sont “objets trouvés” dans le processus, et l’ « opération d’extrusion »19 conserve leur intégrité formelle. « [L’économie] est un processus de travail, mais pas un point de départ. Elle n'est pas ce qui fait l'architecture, mais est un excellent moyen d'arriver à produire ce qu'on a envie de produire sans se laisser freiner par les contraintes budgétaires. »20 explique Anne Lacaton. L’économie, dans son sens antique « d’ordre dans la conduite d’une maison », paraît comme un corollaire pouvant satisfaire un processus ne nécessitant pas une transformation d’un objet ou d’un matériau. Le processus fonctionne progressivement, comme une série de choix qui entraîne une multitude de conséquences dans la forme finale. Le concept as found, dans son ethique du quotidien, pourrait pousser des architectes comme Lacaton Vassal à considérer l’habitant et les manifestations de son appropriation comme élément à part entière dans le processus : « notre souci est toujours de nous arrêter à un moment donné pour laisser la place à l'habitant ; c'est à lui de finir, d'occuper d'une façon qui n'est pas forcément celle qu'on avait imaginé ».21 Il y a une évolution par rapport au concept d’“ordering conglomerate” que formule Alison et Peter Smithson comme proto-concept du processus as found: « le principe d'organisation d'un bâtiment ‘congléméré’ ne consiste pas en des formes et des volumes soigneusement composés, mais en un assemblage beaucoup plus difficile qui nécessite de se représenter ses activités pour le compléter ».22
18. O.M.A. : Office for Metropolitan Architecture, “Urban Intervention Extention, The Hague”, Internationnal Architect, n°3, vol.1, 1980 (passages traduits par J. Lucan dans “Processus et programme contre composition Rem Koolhaas”), p.50 19. Jacques Lucan, Composition non-composition, op.cit, p.547
20-21. Eric Lapierre, « Inquiétant readymade », Matières, n°7, 2004
22. A.+ P.S., Italian Thoughts, Stockholm, 1993, p. 84
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3. JUXTAPOSITION
_NON-ARTICULATION
23. Jacques Lucan, Précisions sur un état présent de l’architecture: Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, op.cit, p.149
La spécificité du mode d’assemblage de matériaux et d’objet as found, au regard des projets présentés jusqu’à présent, semble être, volontairement sans articulations, autrement dit la juxtaposition : « Les architectes ont donc marqué un intérêt pour des matériaux « ordinaires », parties prenantes d'une expression architecturale brutale, matériaux souvent hétérogènes dont la mise en œuvre ne donnait pas lieu à des détails d'articulation ou de liaison qui soient trop ouvragés. Assemblés ou juxtaposés, ils étaient véritablement exposés, et leurs modes de relation et de construction étaient visuellement intelligibles. Cette attitude se voulait implicitement critique ; elle voulait se détacher des formules consacrées, manière de renouer ainsi avec des problématiques constructives, mais sans trop de sophistications. Cette attitude ne pouvait manquer de rappeler les préoccupations de ceux qui avaient été nommés en leur temps brutalistes, et qui avaient voulu remettre sur le devant de la scène architecturale la présence des matériaux comme tels, comme matériaux bruts. [Précisions sur un état présent de l’Architecture (2015)] »23 A l’image d’Hunstanton cette attitude peut être le résultat ‘automatique’ du processus de conception, qui ne prévoit pas forcément des jonctions harmonieuses et continues. L’architecte est conscient de cette mise en forme particulière, même s’il ne modifie pas ce qui est généré, c’est un choix conscient, propre au concept as found.
_ NON ARTICULATION
« Le joint ne fait plus problème : les transitions se font par agrafage et collage, les vieilles bandes marrons maintiennent tout juste l’illusion d’une surface sans rupture, des verbes inconnus de l’histoire de l’architecture sont devenus indispensables : serrer, sceller, plier, jeter, coller, amalgamer…[...]. Là où autrefois le détail suggéré le rapprochement, peut être définitif, de matériaux disparates, il n’est plus maintenant qu’un attelage transitoire, attendant d'être défait et démonté, une étreinte temporaire laquelle aucune partie prenante ne pourra survivre. C’est plus la rencontre orchestrée de la différence mais l’impasse, la fin abrupte d’un système. » (Junkspace) Le concept as found étant particularisé par un regard attentif sur l’ordinaire, qui identifie l’« ordre idéalement créée à partir de rien », il reconnait la juxtaposition dans le mode d’assemblage privilégié par la condition ordinaire de l’architecture. Pour les façade de la Kunsthal (1987-1992) à Rotterdam, OMA formalise pour les angles extérieurs une attitude différente par rapport à Hunstanton. L’effet de juxtaposition naturellement généré par des structures différentes est exacerbé par les matériaux de l’enveloppe (verre, pierre, béton, …) qui semblent avoir été choisis au hasard. Cette attitude nous rappelle les collages surréaliste comme ceux de Fernand Léger (1881-1955) : « Un jour, après avoir dessiné un trousseau de clefs, je me suis demandé quel était l’élément le plus éloigné du trousseau de clefs et je me suis dit : c’est une figure humaine. Je sors dans la rue, et je trouve dans une vitrine le portrait de la joconde. »25 Ces rencontres inattendues génèrent une telle complexité au bâtiment qu’il est évident que son « image était découvert au cours du processus de travail »26 et n’était pas préexistante. On peut voir comment Rem Koolhaas est l’un de ceux qui, dans la période contemporaine, explore de la façon la plus significative les collages, assemblages et
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24. Rem Koolhaas, Junkspace, A+U, mai 2000, p.71
25. Jacques Lucan, Composition non-composition, op.cit, p.380
26. Alison et Peter Smithson, «The ‘as found’ and the ‘found’», op.cit, p. 203
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3. JUXTAPOSITION
montages, mais encore les opérations formelles qui cherchent à se détacher de procédures compositionnelles, en développant des processus selon règles définies a priori.
27. Jacques Herzog et Theodora Vischer, “Entretien”, dans Herzog et Demeuron, Bâle, editions Wiese, 1988, p.56
28. Jacques Lucan, Précisions sur un état présent de l’architecture: Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, op.cit, p.146
Si on revient à l’Usine Ricola de Laufon, Herzog et De Meuron présentent une autre attitude derrière cette juxtaposition. L’idée de processus est moins perceptible, c’est surtout l’intelligibilité des éléments que permet l’assemblage sans articulations d’éléments. « Toute la structure devenue visible se soumet à l'idée de l'empilement de planches (d’Eternit) – nous explique Herzog – où le "porter" et le "peser" se montrent dans chaque élément ».27 Les architecte permette à l’observateur de comprendre à la fois en quoi est fait le bâtiment, et comment. La plaque d’Eternit peut être considérée à la fois comme matériau as found, et comme “objet trouvé”, dans le sens où on identifie dans ses limites spécifiques comme fragment constituant un ensemble : « Ce n 'est pas la construction d'un entier mais c'est un entier créé par de petits éléments qui restent indépendants, qui restent libres. »28 Un entier est donc fait avec des éléments distincts les uns des autres, sans que ce tout ne soit jamais opaque du point de vue de la construction, donc-du point de vue de la perception de ce qui le constitue. Dans le travail de Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, on retrouve une succession de matériaux laissés bruts, dont les modes d’assemblage sont, encore un fois, explicites. La juxtaposition rend lisible, à l’échelle du bâtiment, le processus économique qui permet l’ajout d’espace en plus. Pour la maison Latapie (1993), une serre est strictement juxtaposée à la maison. L’étude PLUS (2004), qui permit entre autres la transformation de la Tour Bois le Prêtre, se formalise par le même type de juxtaposition mais à l’échelle d’un immeuble.
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DĂŠtail de non-articulation: - Herzog & de Meuron, EntrepĂ´t Ricola, Laufen, 1985 -Oma, Maison Lemoine, Bordeaux, 1998
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100cm
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A+PS, Soho House, Londres; projet apparu dans la revue Architectural Design, Novembre 1953
_NON-ARTICULATION
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_PRÉCISIONS Dans le cahier des charges que rédige les Smithson pour leur Soho House, on peut lire que « l’entrepreneur devra viser un haut niveau de gros-oeuvre, comme pour un petit entrepôt »,29 paradoxalement au fait d’utiliser des matériaux pauvres. Il semble que pour beaucoup de projets « une mise en œuvre appropriée [d’un matériau transposé] révèle paradoxalement la beauté de sa banalité, une beauté qui résulte précisément de la tension entre signification et effet ».30 Il y a donc un équilibre à trouver. Si la sophistication n’est pas dans le matériau ou l’objet as found, et que son processus de conception laisse la liberté à une forme non pré-définie, sa mise oeuvre sur le chantier doit dans certains cas être d’une précision inhabituelle.*
29. A+P S, “New Brutalism”, Architectural Design, op.cit
Pour la maison Lemoine (1998) à Bordeaux, OMA formalise l’intention de ne « pas à mettre en scène de façon insistante des prouesses d’ordre technologique »,31 pourtant bien présent dans la plupart des détails. Celui de l’accroche du vitrage du premier étage avec le volume supérieur en béton, nous permet de lire les deux volumes, qui légèrement, glissent entre eux: une désarticulation qui matérialise un déséquilibre des éléments. Le détail complexe permettant de joindre les deux éléments se réduit à une ligne qui pénètre le bloc en béton. Ce n’est pas la vérité qui est montrée. C’est “vraisemblablement” une juxtaposition. De la même façon, les hublots du volume supérieur sont composés par un système de menuiserie fixé au béton, et la partie ouvrable est juste composée d’une plaque de verre ronde avec une grosse charnière. Tout est laissé apparent. La rencontre
31. Jacques Lucan, OMA - Rem Koolhaas, Electa Moniteur, 1990
30. Martin Steinmann, “Les dessous de Madonna : du fait de montrer des matériaux qui ne sont pas destinés à l’être”, dans Forme forte : écrits 1972-2002 , Basel, Birkhäuser, 2003, p. 210 * Ce n’est en revanche pas le cas pour l’Unité, ou mise en oeuvre considère comme un ‘massacre’ par Le Corbusier, révèle une poésie du béton brut.
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32. Jacques Lucan, OMA - Rem Koolhaas, op.cit
3. JUXTAPOSITION
entre différents matériaux sont manifestées et pas cachées. « Les réalisations architecturales d’OMA ne cherchent pas à mettre en scène de façon insistante des prouesses d’ordre technologique. Au contraire, nous assistons à une sublimation sobre, mais volontaire, de matériaux ordinaires, la “richesse” venant quelquefois souligner parcimonieusement des parties restreintes des édifices. Une dimension high tech n’est pas ici requise pour former l’image de l’architecture et de sa “modernité”».32 Pour H Arquitectes, chaque projet est dessiné dans ses moindres détails et le chantier est suivi minutieusement par ses architectes. Les objets les plus prosaïques, laissé as found, comme les fils électrique et la plomberie, sont placés précisément. La transposition de l’objet est donc double: rendre apparent quelque chose d’habituellement invisible, et révéler une beauté inconnue par une mise en oeuvre précise. On peut reprocher à cette attitude de n’être pas assez radicale par rapport au concept, mais ce paradoxe semble nécessaire pour lui permettre de re-dynamiser l’architecture savante. Elle fait tout de même le choix d’une mise en valeur de techniques de construction rudimentaires.
33-34. Emmanuel CAILLE, ”Bâtiment machine vs machine à Habiter“ dans D’architecture, 267 Novembre 2018
« Comme dans un jeu de construction, tous les éléments sont identifiables »33 dans la résidence pour chercheurs (2018) de Bruther, à Paris; E. Caille remarque, qu’au delà de la « satisfaction esthétique » que peut procurer la maitrise des dessins d’assemblage de matériaux bruts « on comprend comment ils sont montés et comment s’il fallait changer l’usage du bâtiment - on pourrait les démonter pour mettre à nu la structure et reconstruire autrement ».34 Différemment de OMA qui transmute des détails sophistiqués en simples joints, Bruther précise la conception de chaque élément et leur assemblage, dans une intention de lisibilité et de simplification de l’ensemble. L’observateur peut mentalement reconstituer l’architecture du bâtiment et l’identité de ses éléments.
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Oma, Kunsthal, Rotterdam, 1987-92 photos maquette de quatre faรงades
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Oma, Kunsthal, Rotterdam, 1987-92 photo chantier
_CONCLUSION
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_CONCLUSION Le concept as found est, à la fois, une caractéristique et une attitude. En tant que caractéristique, il désigne le matériaux et l’objet identifiés et transposés pour ses qualités propres. Comme attitude, il est une remise en question radicale de notre rapport à l’ordinaire, qui permet un ajustement de notre regard par rapport aux spécificités de notre époque. Nous avons vu que le concept se matérialise dans des architectures assurant l’intelligibilité de ses parties, dans des assemblages le plus souvent juxtaposés. La conception est progressive et suit un processus ouvert qui assure l’intégrité des matériaux et objets trouvé dans le contexte immédiat. Le concept as found, qu’il soit conscient ou non, devient opératoire au regard de ces architectures et leur permet d’être significatives. Procédure as found: Conserver les caractéristiques intrinsèques de matériaux et d’objets ordinaires, préalablement identifiés dans le contexte immédiat, à travers un processus assurant l’intelligibilité de chaque élément.
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3.JUXTAPOSITION
_bibliographie/3
OUVRAGES: - H Arquitectes, 2G, 74, Koening Books, London, 2016 - Bruther, 2G, 76, Koening Books, London, 2017 - Rem KOOLHAAS, Junkspace, Manuels Payot, Paris, 2011 - Dirk van den HEUVEL, Max Risselada (ed.), Alison and Peter Smithson. From the House of the Future to a house of today, 010 Publisher, Rotterdam, 2004; - Jacques LUCAN, Composition non composition, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009 - Jacques LUCAN, Précisions sur un état présent de l’architecture: Architecture et théories, XIXe-XXe siècles, , Lausanne, 2015; - Jacques LUCAN, OMA - Rem Koolhaas. Pour une culture de la congestion, direction de l’ouvrage, Electa Moniteur, Paris, 1990; - Max RISSELADA (ed.), Alison & Peter Smithson, a Critical Anthology, Ediciones Poligrafa, Barcelone, 2011; - Alison et Peter SMITHSON, Without Rhetoric: An Architectural Aesthetic 1955-1972, The MIT Press, Cambridge (Massachusets), 1973; ARTICLES: - Dirk van den HEUVEL «the Smithson vs Banham», dans Brutalism, contributions to the international symposium in Berlin 2012, Zurich, 2017. p.32; - Philip JOHNSON, « School at Hunstanton», in Architectural review, Septembre 1954; p. 148 - Alison et Peter SMITHSON, «The ‘as found’ and the ‘found’», in The Independent Group - Postwar Britain and the Aesthetics of Plenty, Mit Press, Londres, 1990. p. 201-202; - Martin STEINMANN, “Les dessous de Madonna : du fait de montrer des matériaux qui ne sont pas destinés à l’être”, dans Forme forte : écrits 1972-2002 , Basel, Birkhäuser, 2003 - Maëlle TESSIER, «La contemporanéité du concept de as found», in La revue Lieux Communs, Les Designers Graphiques, Nantes, 2012;
4. Annexes _bâtiments 1.200 _details et juxtaposition
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BĂ‚TIMENTS - Le Corbusier, Villa Le Sextant, 1935, La Palmyre - Alison et Peter Smithson, Maison Soho, 1953, Londres - Alison et Peter Smithson, Maison Sugden, 1955, Watford - Alison et Peter Smithson, Solar Pavillion/Upper lawn, 1962, Wiltshire - Sigurd Lewerentz, Flower Kiosk, 1969, Malmo - Lacaton & Vassal, Maison Latapie, 1993, Floriac - Bordeaux - Lacaton & Vassal, Maison Ă Coutras, 2000, Coutras - deVydler Vinck Taillieu, Maison Rot-Ellen-Berg, 2011, Braives, Belgique - Harquitectes, Casa Parets de Valles, 2011, Barcelone - Arno Brandlhuber + emde, Antivilla 2014, Potsdam
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DÉTAILS - Alison et Peter Smithson, Hunstanton School, 1949-54, Norfolk - OMA, Kunsthal, 1987-92, Rotterdam - Herzog & de Meuron, Ricola Storage Bulding, 1987, Laufen - Alison et Peter Smithson, Solar pavillon, 1962, Wilthshire - OMA, Netherlands Dance Theater, 1982-87, La Haye
Axonométrie détail menuiserie / structure 1:200
Alison & Peter Smithson Hunstanton School - 1949_1954 Norfolk
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E jonction faç
Kunst
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mithson - 1949_1954
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Elevation jonction façades sud et ouest 1:100
OMA Kunsthal - 1987_1992 Rotterdam
en
Herzo Ricola Sto
on sud et ouest
7_1992 m
Coupe enveloppe 1:50
Herzog & De Meuron Ricola Storage Building - 1987 Laufen
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Ax ruine, structure
Alison Solar Pavill
e pe
Meuron ding - 1987
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Axonométries ruine, structure ajoutée et contruction 1:50
Alison et Peter Smithson Solar Pavillion/Upper lawn - 1962 Wiltshire
Axonométr toiture
Netherland Danc
ries e et contruction
mithson r lawn - 1962
Axonométrie plafonnante (30°) toiture de l’auditorium 1:500
OMA Netherland Dance Theatre - 1981_1987 (x2015) The Hague
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première demi-page: photo de Nigel Henderson du quartier de Bethnal Green à Londres, 1945 dernière demi-page : photo interiore deVydlerVinckTaillieu Rot-Ellen-Berg (2007-11)
Mémoire Master Architecture & Experience 2018-2019 Sous la direction de Mariabruna Fabrizi, Eric Lapierre et Fosco Lucarelli École d’Architecture de la Ville & des Territoires 12 avenue Blaise-Pascal Champ-sur-Marne 77447 Marne-la-Vallée Cedex 2
Le concept as found est, à la fois, une caractéristique et une attitude. En tant que caractéristique, il désigne les matériaux et les objets identifiés et transposés pour ses qualités propres. Comme attitude, il est une remise en question radicale de notre rapport à l’ordinaire, qui permet un ajustement de notre regard par rapport aux spécificités de notre époque. Le concept as found se matérialise dans des architectures assurant l’intelligibilité de ses parties, dans des assemblages le plus souvent juxtaposés. La conception est progressive et suit un processus ouvert qui assure l’intégrité des matériaux et objets trouvés dans le contexte immédiat. Le concept as found, qu’il soit conscient ou non, devient opératoire au regard de ces architectures leur permettant d’être significatives. Procédure as found: conserver les caractéristiques intrinsèques des matériaux et des objets ordinaires, préalablement identifiés dans le contexte immédiat, à travers un processus assurant l’intelligibilité de chaque élément.