Mémoire de Master d'Architecture

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ENSAM | Antenne de la Réunion Mémoire de Master

DÉLINQUANCE URBAINE ET ARCHITECTURE DANS

QUELLES

MESURES

LA

DÉLINQUANCE

URBAINE PEUT-ELLE ÊTRE LE SYNDROME D'UN MALAISE

ENGENDRÉ

PAR

ARCHITECTURALE ET URBAINE

L'IDENTITÉ

?

ÉTUDE DE CAS AU PORT, SUR L'ÎLE DE LA RÉUNION

SAUTET Mika Sous la direction de : Mme CHOUILLOU Delphine Décembre 2020



ENSAM | Antenne de la Réunion Mémoire de Master

DÉLINQUANCE URBAINE ET ARCHITECTURE DANS URBAINE MALAISE

QUELLES

MESURES

PEUT-ELLE

ÊTRE

LA

LE

ENGENDRÉ

ARCHITECTURALE ET URBAINE

DÉLINQUANCE

SYNDROME

PAR

D'UN

L'IDENTITÉ

?

ÉTUDE DE CAS AU PORT, SUR L'ÎLE DE LA RÉUNION

SAUTET Mika Sous la direction de : Mme CHOUILLOU Delphine Décembre 2020



Remerciements Je remercie tout d'abord Delphine Chouillou, professeur encadrant ce travail, pour sa disponibilité, ses conseils et son soutien durant ces mois de rédaction. Je la remercie également pour les efforts et la pédagogie qu'elle m'a accordés afin de me permettre d'effectuer ce travail à distance. Merci à Christophe Gaeremynck, Emmanuel Souffrin et Maxence Lefebvre, pour les échanges et les informations qu’ils m’ont apportées pour ce travail, mais aussi tout l'enrichissement personnel que cela représente. Merci aux habitants du Port qui m'ont accompagné et qui ont contribué de près ou de loin à l'accomplissement de cette étude, et en particulier Jahman, pour sa disponibilité, son investissement et sa gentillesse. Je tiens également à remercier tous mes amis pour leur bienveillance et les conseils qu'ils ont su m'apporter. Parmi eux, Estelle Quittard pour ses relectures et ses encouragements, et également pour le savoir qu'elle a su me communiquer dans la maîtrise de Photoshop. Un grand merci à mes parents, Pussadee et Bernard, pour toutes les relectures, leur soutien infini, leur preuve d'empathie tout au long de mon parcours en école d'Architecture.


SOMMAIRE AVANT-PROPOS................................................................................................................................7 INTRODUCTION..............................................................................................................................8 CHAPITRE I – PROBLÉMATIQUE À PARTIR D'UNE REVUE HISTORIQUE..................12 CHAPITRE II - MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN....................................40 CHAPITRE III – ANALYSE DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN .................................................56 CONCLUSION GÉNÉRALE..........................................................................................................77 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................80 TABLE DES MATIÈRES................................................................................................................86 RÉSUMÉ...........................................................................................................................................90

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AVANT-PROPOS Dans ce mémoire qui aborde les rapports possibles entre architecture et délinquance, j'aimerais commencer mon propos et expliquant rapidement l'influence qu'a eu mon vécu, sur le choix du thème retenu pour cette étude. Le parcours d'étudiante en architecture a révélé que les tissus sociaux des civilisations, sont pour moi un point important, puisqu'ils peuvent témoigner d'une capacité d'adaptation, d'appropriation et d'attachement à un milieux, qui ne favoriserait pas l’épanouissement de chacun par l'architecture ou l'urbain. Cet épanouissement recherché, dans le sentiment du bien être « chez soi », et qui n'est pas trouvé dans la réponse architecturale, se construirait de manière alternative par le biais de liens sociaux solidaires. Dans cette même idée, je pense qu'un quartier n'est pas qu'une esthétique, mais qu'il est question d'un réel art de vie. La beauté de ce lieu pourrait s'exprimer sous d'autres aspects, qui sont pour nous, architectes et futurs architectes, importants à prendre en compte. J'ai grandi au milieu d'une mixité sociale et culturelle. Beaucoup de mes amis étaient d'origines différentes, avaient des situations familiales différentes, habitaient dans des logements avec de fortes disparités, et n'avaient pas les mêmes parcours scolaires. Parmi eux, j'étais l'une des seules à vivre dans une grande maison individuelle, et avec encore mes deux parents unis. Sans voir ou prendre en compte nos différenciations sociales, nos liens amicaux m'ont permis de me familiariser aux quartiers d'habitat collectif souvent victimes de préjugés, de part leurs mauvaises réputations. Je n'ai jamais vraiment fait attention aux contrastes entre leurs environnements (qu'ils soient familial, urbain ou quotidien) et les miens. Leurs « cités » étaient plaisantes, du moins en leur compagnie : tout le monde se connaissait, occupait n'importe quel espace, écoutait du rap, des histoires s'y racontaient, les gens se croisaient. Sensible à la destruction des immeubles, je déplore la destruction brutale des sentiments et des souvenirs qu'elle emporte avec elle. Quand les gens sont contraints de s'habituer à un environnement qui ne leur plaît pas, des réseaux de solidarité se créent avec le temps. Dans l’effondrement des grands-ensembles notamment, s’évanouissent des vies qui ont eu tant de mal à se construire. Est-ce donc cela la « rénovation urbaine » ? Entre souvenirs urbains et influences, voilà peut être les raisons qui m'ont poussé à traiter ce sujet.

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INTRODUCTION DANS QUELLES MESURES LA DÉLINQUANCE URBAINE PEUT-ELLE ÊTRE LE SYNDROME D'UN MALAISE ENGENDRÉ PAR L'IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET URBAINE ? Que ce soit en zone climatique chaude ou en zone climatique tempérée, l'Homme n'a de cesse de modifier l'environnement par le bâti. C'est dans cette démarche qu'il est en quête d'innovations en se basant sur les savoir faire ancestraux. Parmi les améliorations menées jusqu'à présent, de nombreux progrès se démarquent tels que les progrès technologiques, scientifiques, mais aussi architecturaux. Les projets d'architecture, actes culturels qui sont le reflet d'un art de vie, constituent un témoignage de nos compétences d'aujourd'hui, au service du monde de demain. Renzo Piano disait que l'architecte « est vraiment un des métiers les plus anciens du monde, puisqu’il s’agit au fond de protéger. »1. Cette citation nous rappelle qu'il a toujours été question de se protéger, comme il a aussi toujours été question du chez soi. Ce mémoire s’intéressera à la question du chez soi au 21ème siècle, sur un territoire en zone tropicale, lorsque l'habitant est concerné par des difficultés socio-économiques. En effet, c'est un sujet qui me tient à cœur car comme j'ai pu le remarquer, quelle que soit l'époque, l'environnement, la latitude ou le style architectural, la délinquance est toujours présente. Bâtisseur de l'environnement de demain et sculpteur de celui d'aujourd'hui, l'architecte a le pouvoir de dresser le cadre spatial du milieu de vie. Cet environnement répondant aux besoins essentiels et culturels, est en connexion directe avec les critères de bien être des occupants. La question de la considération par le travail architectural est directement mise à l'épreuve2. PROBLÉMATIQUE Si l’architecte-urbaniste a une responsabilité vis à vis du confort des habitants, il pourrait donc être responsable de malaises amenant à la délinquance. Je souhaite questionner dans ce mémoire le lien entre les formes d'architecture et d'urbanisme des quartiers prioritaires issus des politiques de la ville, et la délinquance urbaine.

1 MADEC Philippe, Habitant, le texte (livret du film Habitant), Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, 1998, page 77. 2 AL-SABOUNI Marwa, Dans les ruines de Homs - Journal d’une architecte syrienne, 2018. p.183

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Dans quelles mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ? L'urbanisme de l'après guerre a été marqué par l'arrivée du béton dans le logement d'urgence. La crise du relogement a ainsi permis d'inscrire les grands-ensembles réalisés en béton dans le paysage urbain des villes de métropole, et de la Réunion. Un nouvel art de vie s'est installé de manière précipité, en rupture avec les modes de vie précédents, et isolé de tout équipement. S'est ajouté à cela des problématiques d'insertions professionnelles, de déconnexion sociale et une forte pression policière. Les sentiments de répression et d'abandon ont fait germer un malaise proliférant. Les raisons des délinquances urbaines sont diverses. Nous allons en ce qui nous concerne nous concentrer sur la question de l'architecture. Cette dernière, qui modifie et pétrie les conditions de vie, n'aurait-elle pas aussi une influence sur la délinquance ? La délinquance pourrait-elle être le syndrome de malaises engendrés par le cadre de vie bâti ? Mon intention est de relever les effets néfastes que le milieu de vie peut avoir sur son occupant, autour de la question de la délinquance. Comment l'architecture peut-elle être responsable de l'aggravation d'un malaise social ? L'héritage architectural de la Réunion est une composition d'essence coloniale, riche et variée à l'image d'un peuple aux origines diverses, avec des spécificités liées à l'insalubrité et aux conditions climatiques difficiles. Pendant une soixantaine d'années, l'île a subi de nombreuses mutations urbaines, qui ne se sont pas toujours déroulées sans accrocs. La question de la tropicalité dans le contexte de la crise du logement et des modes de vies qui y sont associés, fait de ce territoire un terrain d'enquête intéressant pour cette étude. La ville réunionnaise du Port, est la ville où se concentre le plus de quartiers en difficultés socioéconomiques de l'île. Sous ces airs de ville portuaire, c'est d'un passé compliqué que les habitants témoignent, aux travers des récits, des appropriations des espaces, et des usages observés dans la ville.

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UNE MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE BASÉE SUR UNE ENQUÊTE DE TERRAIN L'objectif de ce mémoire est de tenter de répondre aux questionnements posés en problématique, autour de la question principale : Dans quelle mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ? Pour cette étude, nous adapterons une méthodologie de recherche fondée sur trois volets : Chapitre I. Interroger le lien entre architecture/urbanisme et malaise social à travers une revue historique : - En premier lieu, nous étudierons les impacts négatifs des grands-ensembles liés à la crise du logement, en métropole et à la Réunion, ainsi que les démarches mises en place d'après les bilans de prévention de la délinquance. - En deuxième lieu, nous clarifierons les définitions qui jalonnent notre étude. - En troisième lieu, nous réaliserons une étude théorique sur les émotions que peuvent procurer l'architecture ou la forme urbaine. Peut-on aller jusqu'à dire qu'il existerait une forme d'architecture qui engendre de la délinquance urbaine ? Chapitre II. Interroger le lien entre architecture/urbanisme et malaise social à travers une enquête de terrain, dans un quartier prioritaire de la ville du Port, par des entretiens semi-directifs et une analyse architecturale et urbaine. - En premier lieu, nous porterons une attention particulière à la ville du Port et son urbanisation conséquente, mais qui pourtant, est victime de décroissance démographique depuis 2007. Avec l'ajout d'une étude de la délinquance dans ce secteur, l'ensemble des axes cohérents à nos théories justifierons le choix du terrain d'enquête : « La 1ere et 2eme couronne », un quartier prioritaire de la ville du Port. - En second lieu, explication de la méthodologie de l'enquête de terrain : une enquête à dimensions sociales et architecturales. Chapitre III. Analyser les résultats des enquêtes en réponse aux hypothèses énoncées en chapitre I. - En premier lieu : Vérifier les émotions que témoignent les habitants, dans l'hypothèse : les

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formes architecturales et urbaines des quartiers prioritaires de la ville sont responsables des émotions négatives perçues par les habitants, ce qui favorise les malaises. - En deuxième lieu : Analyser l'enquête sur l'identité architecturale et urbaine, qui s'appuie sur l'hypothèse : L'identité architecturale et urbaine des quartiers prioritaires sont inadaptées à la culture et aux modes d'habiter de la population locale, ce qui peut conduire à la délinquance. - En troisième lieu : Relever par l'enquête, les indices amenant à l'hypothèse : L'architecture et l'urbanisme des quartiers prioritaires sont «obsolètes », ce qui pourrait créer du malaise amenant à la délinquance.

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CHAPITRE I – PROBLÉMATIQUE À PARTIR D'UNE REVUE HISTORIQUE I - A : LA CRISE DU LOGEMENT, LES RETOMBÉES NÉGATIVES SUR LES HABITANTS L'objectif de ce chapitre est d'illustrer quelques faits qui se sont déroulés en métropole et à la Réunion, qui exprimeraient le malaise social pouvant être engendré par le milieu de vie. Les émeutes urbaines ou certaines délinquances par exemple, pourraient être des signes d'une révolte témoignant d'un long mécontentement et d'une profonde colère. Plusieurs causes entrent en jeux, notamment le sentiment d'abandon. Ces phénomènes, observés par des sociologues, philosophes, et historiens de l'architecture, semblent ressortir des environnements similaires aux quartiers en difficultés socio-économiques. Nous verrons comment les politiques des grands ensembles de 1950 à 1970, à l'origine de l'utilisation du béton valorisé comme solution rapide et économique à la crise du logement, auraient pu faire naître des architectures et des formes urbaines qui maintiendraient une position de rupture sociale et physique. Entre ségrégation socio-spatiale et tissu social fort, on y trouve dans ce décor rigide, des réseaux de solidarité intéressants entre les habitants. Néanmoins, si la classe populaire est contrainte de subir des qualités urbaines et architecturales médiocres en plus d'affronter des difficultés économiques, la bloquer dans cet environnement aggravant le malaise social pourrait provoquer de la délinquance. I – A. 1. VIOLENCES URBAINES EN BANLIEUE LYONNAISE DÈS 1981 Vénissieux et Vaulx-en-Velin sont des banlieues de la grande agglomération Lyonnaise, mais aussi le terrain des premières émeutes des banlieues françaises. En 1981 les incidents qui se sont déroulés dans ces « cités dortoirs », ont marqué l'« été chaud » du quartier des Minguettes, et le début d'une série de crises des banlieues en France. Les affrontements entre jeunes et forces de l'ordre, les rodéos de voitures et les violences urbaines, ont captivé les regards de l'ensemble du pays, qui a découvert l'existence de ces cités à l'abandon (Linhart, 1992). Les médias ont évoqué avec beaucoup de pudeur et de retenue « le malaise des grands ensembles ». Le sociologue Adil Jazouli, dans ses nombreuses études sur les conflits de banlieues (Jazouli, 1991) explique que les raisons qui ont poussé les émeutiers à se révolter sont la rage résultant de leur 12


situation, ainsi que l'envie de parler de leurs difficultés. Celles-ci feraient émerger des difficultés d'accès à l'éducation et à l'emploi, ainsi qu'une exploitation sans bornes des travailleurs immigrés, mais aussi un urbanisme et des conditions de logement intolérables (Collovald, 2001). Lors de ces émeutes urbaines, les revendications sur l’arrêt des violences policières, et la demande de reconnaissance des actes racistes stigmatisés sont également au rendez-vous. Face à la gravité des événements surmédiatisés, le constat d’échec et le sentiment d'urgence provoqués ont engendré un questionnement amorçant les prémices d'un changement de politique. Peu après, une première tour du quartier des Minguettes est détruite par explosifs en 1983, puis dix autres dix ans plus tard. La table rase du 11 octobre 1994, a marqué la fin de la banlieue des Minguettes. Les anciens habitants du quartier étaient sur les lieux lors des destructions. Ils ont exprimé leur peine et leurs regrets, « c'est du gâchis » ont même évoqué certains. Le groupe de rap lyonnais « IPM » a composé une chanson pour transcrire cet événement traumatisant3.

Illustration 1: Destruction d'une tour des Minguettes, 1983 3 Institut National de l'Audiovisuel : Destruction du quartier des Minguettes

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L'automne 2005 a connu une vague d'émeutes urbaines, dont l'ampleur, l'intensité et l'échelle n'avaient jamais été connus auparavant en France. Au départ de Vaulx-en-Velin encore une fois, la colère collective contre les violences policière marque le début d'une période d'affrontements. (Kokoreff, 2006) « Les émeutiers sont seuls. Ils n'ont aucun soutien politique. Il est vrai qu'ils sont difficilement défendables. Ils sont agressifs et violents. Ils ont souvent un présent ou un passé de délinquants. Ils brûlent des voitures et affrontent durement la police. », commentent les sociologues Didier Lapeyronnie et Laurent Mucchielli à Libération en novembre 2005 (Beaud & Masclet, 2006). Les analyses des « crises des banlieues » par les sociologues, témoignent d'une dimension politique inadaptée à l'intégration de ses immigrants, d'un racisme institutionnel de la police, et d'un taux de chômage ahurissant chez la population de moins de 25 ans. Cependant, quelque soit les territoires, les dimensions des émeutes sont les mêmes. Il n'y a donc aucune différence territoriales entre les événements, qui sont tous d'ampleur remarquable. Les secteurs concernés relèveraient des problèmes de contrôle social, et seraient facilement identifiables par des qualités urbaines souvent similaires (Mohammed, 2007). Cela laisse à penser que tout est lié : on retrouve les difficultés socio-économiques dans différents endroits qui se ressemblent en tous points. Serait-il question d'une réelle ségrégation spatiale ? Le philosophe français Thierry Paquot, cite une forme de ségrégation urbaine dans l'« enfermement des indésirables », à travers les grands-ensembles : « À partir des années 1970, les grands ensembles ne sont apparus aussi désirables. Leur population s'est transformée, avec un laminage des revenus par le bas. Une sorte de paupérisation invisible s'est développée progressivement, cage d'escalier après cage d'escalier. Le « progrès social » tant espéré par leurs initiateurs s'est mué en son contraire : l'enfermement des « indésirables ». A l'uniformisation de l'architecture a correspondu l'homogénéisation des conditions socio-économiques des habitants. La majorité d'entre eux sont devenus des « cas sociaux » : mères célibataires, familles nombreuses, forte proportion de chômeurs, de jeunes en voie de décrochage scolaire, d'immigrés, de retraités aux revenus modestes.. Pour toutes ces raisons, plus ou moins combinées entre elles, le grand ensemble n'est plus apparu à la personne comme un lieu d'une renaissance urbaine, mais plutôt comme son tombeau. » (Paquot, 2015, p.69)

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PARADOXE La « politique de la ville » désigne la politique mise en place par les pouvoirs publics. Elle consisterait à revaloriser les zones urbaines en difficulté, et à réduire les inégalités entre les territoires4. Confrontée aux études des diagnostics de la délinquance, elle permet la mise en place plusieurs plans d'actions. Les quartiers en reconquête républicaine sont des quartiers caractérisés par un taux élevé de la délinquance et sont soumis à de nouvelles stratégies pour renforcer la sécurité. Cette sécurité recherchée est mise en œuvre par l'augmentation de la présence des forces de l'ordre sur le terrain, et par des mises en place de partenariats avec les acteurs sociaux, comme les centres sociaux, les maisons des jeunes, etc5. Cependant, le mode de fonctionnement du système policier a pu provoquer des tensions extrêmes entre les jeunes de banlieues et les forces de l'ordre. La sociologue Virginie Linhart en parle : « Il semblerait que les rapports sociaux se soient progressivement réduits à un face à face entre les jeunes issus de l'immigration et les forces de l'ordre. Cette situation est liée à une évolution relativement récente qui révèle la dégradation de la qualité de vie dans les banlieues. […] Les élus n'ont pas les moyens de contrôler les modes d'intervention de la présence policière, notamment ses rapports avec la jeunesse issue de l'immigration maghrébine, cible d'une injustice dont le harcèlement routinier des contrôles d'identité reste la forme la plus directe. Ils sont parallèlement confrontés à une demande sécuritaire qui réclame explicitement une augmentation de cette présence et risque de jouer l'agent provocateur de l'émeute par trop de contrôles systématiques. » (Linhart, 1992) De plus, la présence de caméras de surveillance ou plutôt, de vidéo-protections, a été augmentée sur les voies publiques et en particulier dans les secteurs exposés à des risques de délinquance, afin de prévenir des atteintes à la sécurité des personnes et des biens 6. En réalité, le contrôle vidéo n'est pas tourné uniquement sur le délinquant, mais sur l'ensemble de la population. À travers l'enregistrement de comportements et de déplacements qu'il opère, il créerait des fiches types

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Contrats de ville 2015/2020 : outil rénové de la politique de la ville

5 MINISTERE DE L'INTERIEUR. Effectifs de juin 2019 dans les quartiers de reconquête républicaine. 2019 6 SENAT. La vidéosurveillance : pour un nouvel encadrement juridique. 2020.

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d’individus, un réel tri social de la population7. Enfin, l'INSEE a publié un constat d'après l'observation de ces stratégies de 2010 à 2019. Si les actes de vandalisme ont pu diminuer, la gravité des délits a quant à elle subi une hausse. Aucune baisse n'est observable au sujet du sentiment d'insécurité en France métropolitaine durant cette période, au domicile et dans le quartier/le village, pour les femmes comme pour les hommes8. Il y aurait un effet paradoxal : la criminalité ne serait pas réduite, mais déplacée. De plus que les violences policières sont clairement dénoncées par les émeutiers, ce mode de fonctionnement par l'intervention des forces de l'ordre dans un environnement sociale fragilisé pourrait être remis en question dans l'efficacité réelle dans la prévention de la délinquance. Donc, on pourrait supposer que si la réponse des politiques publiques qui se réduit uniquement à une réponse sécuritaire et à l'augmentation de la surveillance policière, cela ne peut résoudre entièrement le problème car le malaise est plus profond. La mise en place des acteurs sociaux sont une réponse incomplète à ce problème d'ampleur. « La violence c'est d'avoir 20 ans, pas de boulot et les flics sur le dos », inscription sur un mur d'un local, à la cité des Minguettes en 1983 (Barou & Mélas, 1999).

Illustration 2: Intervention des forces de l’ordre dans le quartier Monmousseau à Vénissieux en 1981 7 DOUSSON Lambert. Cours d'Espace(s)/Critique(s) S3, ENSAM. 2016. 8 L'INSEE. Criminalité – Délinquance. 2020.

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I – A. 2. GRANDS-ENSEMBLES, FORME URBAINE ET FORME SOCIALE Nous avons pu remarquer rapidement dans la partie précédente, que les émeutes urbaines ont été essentiellement observées dans les banlieues. Ces quartiers qui présentent le plus souvent des difficultés socio-économique, semblent porter des similarités esthétiques architecturales et urbaines, comme les grands-ensembles. Pour aller plus loin et cerner le cadre spatial de cette étude, nous allons étudier ici quelles ont été les défaillances et les bons fonctionnements des grands-ensembles. Quelle serait la part de responsabilité des grands-ensembles dans le reflet des comportements d'une classe populaire ? Est-il question d'une ségrégation entre classe sociale et forme architecturale et urbaine ? Cette partie s’appuie principalement sur les réflexions de Christian Bachman et de Nicole Le Guennec, dans l'ouvrage Violences Urbaines, 2002. La qualité de l'urbain pourrait-elle être le reflet de profils socio-démographiques en France ? Les grands-ensembles sont nés d'une urgence de relogement des plus vulnérables, en métropole dans les années 1950. Dans cette période d'après guerre, le béton a été utilisé comme principal matériau moderne, par sa rapidité de mise en œuvre et ses qualités plastiques de maniement dans la construction d'importants volumes. Les constructeurs ont ainsi développé des techniques de construction économiques et efficaces, afin de lutter contre le cauchemar relogement. Ces nouvelles solutions novatrices et à moindres coûts ont permis la production (que l'on pourrait presque qualifier d'industrielle) de quartiers entiers sur l'ensemble de l'hexagone en des temps records. Le grand-ensemble comme objet urbain pouvant accueillir un très grand nombre de résidents, comme jamais vu de cette manière en France dans les années précédentes, a suscité de nombreuses critiques dès sa médiatisation par les journalistes, qui ont pu lui reprocher une « uniformisation de la France » et un « nouveau mode d'habiter ». Au sujet de la réponse architecturale, la mise en place de plans et d'équipements rudimentaires a été assumée par les constructeurs pour des raisons économiques. Le manque de certains conforts et de certaines habitudes non retrouvées dans le mode de vie qu'impose le grand-ensemble, a laissé place à de nouvelles expériences à l'échelle de l'habitat et des relations sociales. L'équilibre entre le logis et l'environnement a évolué entre l'échange des biens-matériels et de certains conforts (comme l'intimité) contre les liens sociaux et la vie en commun. Sous le principe de la ville-dortoir, ces formes urbaines sont isolées du centre-ville, sous-équipées

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en installations culturelles et sportives, et manquent de vie collective : « Les nouveaux locataires acceptent ainsi une transplantation forcée, l'éloignement de leurs parents, de leurs amis, parfois même du travail. Une école en projet et des transports défaillants. L'enthousiasme des premiers temps s'est envolé. » (Bachmann, Le Guennec, 2002, p.175) Le haut fonctionnaire d'Etat Michel Rocard, a parlé en 1990 d' « une certaine forme d’architecture quasi concentrationnaire dans sa nature et criminogène dans ses résultats »9. En effet, les tendances criminogènes font rapidement surface. Pour faire entendre leur malaise, de premières émeutes urbaines ont éclaté en 1979, en 1980, en 1990 et encore. L'image péjorative véhiculée sur les cités et ses résidents, fera naître de nombreux amalgames d'une part, et facilitera les confrontations fréquentes entre jeunes et forces de l'ordre. Politiques, sociologues, urbanistes, spécialistes et résidents, ne voudront désormais plus aucune nouvelle construction de grands-ensembles : « Cet âge d'or sera bref. L'histoire des grands-ensembles est aussi celle d'une étonnante dégradation symbolique et d'une véritable chute libre. » (Bachmann, Le Guennec, 2002, p.169). Quelques années plus tard, malgré l'adaptation supposée des résidents, les familles ne cessent de rejeter ces modes d'habiter. La nouvelle expérience du lien social n'a pas semblé suffisant pour compenser l'expérience du chez soi. Les retours négatifs des médias, ont provoqué un lourd constat : L'urbanisme et l'architecture des cités construites après la seconde guerre mondiale facilitent l'aggravation du sentiment d'insécurité : « Il est pire encore : La délinquance juvénile. Le phénomène n'est pas neuf. Dès le début des années soixante, les grands ensembles se peuplent de figures menaçantes : les blousons noirs. « La délinquance juvénile s'accroît dans certains grands-ensembles », constate Le Figaro, à la pointe des alertes sécuritaires, en 1963. Le phénomène ne fera qu'empirer. Pour occuper les jeunes désœuvrés, on s'en remet à des équipements – qui n'existent pas encore... Les architectes ont pensé aux garages et aux parkings. Mais pas aux terrains de sport. » (Bachmann, Le Guennec, 2002, p.176) FORMES URBAINES Le grand ensemble avant d'être une forme architecturale, pourrait être question d'une forme urbaine (Tomas, Blanc & Bonilla, 2003). 9 LARCHER Gérard. Rapport d'informations. (n°107). 1992

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Dans ce mémoire, il se pourrait que « forme urbaine » et « formes architecturales » fonctionnent ensemble. La forme urbaine est la morphologie de la ville construite sur des valeurs historiques, culturelles et sociales (Genestier, 1988). La forme architecturale inscrite dans un environnement, prend part spontanément au contexte urbain. On peut percevoir la forme architecturale comme partie résultante de la forme urbaine, auquel cas elle serait une interprétation réduite d'un caractère urbain. L'architecture ne resterait donc pas indifférente à son environnement. D'une forme urbaine avec des dominances négatives, l'architecture pourrait en subir les effets ; à moins qu'elle se positionne en anticipation offrant ainsi des alternatives. L'architecte-urbanisme Genestier Philippe considérait déjà en 1988, les grands-ensembles de métropole en tant que forme urbaine. Comme reflet de la société industrielle d'après guerre, il citera un constat : « Les grands-ensembles sont aujourd'hui désavoués par les décideurs de l'aménagement, après que les résidents aient exprimé leur opinion par leur déménagement. Le taux de dégradation des immeubles, le taux de loyers impayés sont les effets auxquels on peut mesurer la non-intégration sociale des classes défavorisées qui les occupent. » (Genestier 1988:13)

Illustration 3: Les grands-ensembles comme forme urbaine : Sarcelles, l'année 1960. Crédits : AFP 19


I – A. 3. LA RÉUNION, ENTRE MODES DE VIE ET NOUVELLES FORMES URBAINES Cette partie permet d'amener le cadre d'étude sur le territoire de l'île de la Réunion, en faisant le parallèle avec les situations métropolitaines évoquées dans les parties précédentes. Ce passage est essentiel pour connaître et comprendre comment les mêmes problématiques étudiées pour la métropole, comme les grands-ensembles et les émeutes urbaines, sont apparues dans l'évolution du territoire Réunionnais. Cette partie s'appuie principalement sur la documentation de Leveneur Bernard, dans l'ouvrage 60 ans de culture urbaine, Île de la Réunion : SIDR, de 2009.

Illustration 4: Paillotte au Port, vers 1950 L'île de la Réunion est un territoire français depuis 1665. Les « paillotes » sont des habitats vernaculaires réunionnais, premières habitations sur l'île, et sont construites à partir de matériaux du pays comme le bambou, les palmes ou le latanier. Très vite, les cases créoles traditionnelles d'armature de bois prennent place et s'inscrivent dans le patrimoine créole réunionnais. Les maisons de tôles qui faisaient également partie des logements courants des réunionnais, sont maintenant considérées comme habitat précaire. Le mode de vie s'articulait autour de l'agriculture, de la pèche et de l'élevage de la basse cour. Le solide tissu social existant entre les habitants, pouvait être qualifié de type communautaire10. Au cours des années 1960 et 1970, l'apparition d'une forte augmentation de la population entraîne 10 Habiter à la Réunion : Architecture créole réunionnaise, (2018)

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un développement conséquent des bidonvilles. Pour rappel, la métropole combattait au même moment, la crise du logement avec la politique des grands-ensembles. Malgré le fait que l'île ait déjà connu une départementalisation dans les années 1950, de nouvelles notions d'urbanisme s'imposent à présent. Ces nouveaux projets urbains contemporains se caractérisent par une architecture en rupture totale avec l'architecture créole traditionnelle. En effet, l'urgence étant d'apporter des logements ainsi que de grandes capacités d'accueil pour les plus démunis, plusieurs programmes de développement urbain ont été mis en place. Les architectes modernes métropolitains furent en désaccord avec les architectes locaux, sur les nouveaux caractères urbains et architecturaux à réemployer. Pour trancher les longs débats et faire cesser les mésententes, le modernisme s'est présenté aux exécuteurs comme une opportunité idéale, une solution rapide et bon marché, sacrifiant toutefois les modes d'habiter locaux. Ainsi les projets de la SIDR, plus grand bailleur social à la Réunion, ont été pilotés par l'équipe du modernisme. (Leveneur, 2009) Peu de temps après, le nouvel « urbain contemporain » sur l'île rentre radicalement en contraste avec l'architecture créole traditionnelle autant sur le plan esthétique que des usages. Une réelle absence de sensibilité transpire de ces architectures : rien ne semble être vraiment adapté au contexte climatique, environnemental et culturel. Les parois en dur sont rassurantes, l'accès à l'eau potable et à l’électricité assure un confort primaire fondamental, les résidents ne se seraient pas tout de suite plaints du changement. Pourtant, certains appartements ont difficilement trouvé de nouveaux locataires. Peu de temps après, les grands-ensembles réunionnais ont connu une arrivée subite de critiques similaires à celles de la métropole. Une remise en cause rapide par la vague patrimoniale et « néo-créole » questionne sur le devenir des valeurs architecturales créoles dans les nouvelles constructions. L'adaptation forcée des populations provenant d’anciens bidonvilles, ne s'est pas faite aussi bien que prévu par les politiques de la ville. Une première crise éclate en 1973 au Chaudron, puis la première grosse émeute urbaine dix huit ans après (Leveneur, 2009). En effet, l'émeute urbaine de 1991 au Chaudron, un des quartiers difficiles de Saint Denis, a laissé derrière elle onze morts, des voitures calcinées, des magasins pillés, un environnement vandalisé. A ce moment là, les journalistes annoncent qu'un réunionnais sur trois est au chômage. Selon le maire de la ville, 60% des colères seraient liées à « la vie chère et le chômage ». Cet événement, serait

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l'explosion au grand jour d'un profond malaise social11. Des lieux laissés parfois sans lien avec le territoire, ni local, ni communal, ni Réunionnais : la cité Herbert Spencer a fait partie de ces références. Située dans un quartier du Port, ville portuaire de la Réunion, la cité Herbert Spencer a été construite un an après l’émeute du Chaudron, par un des bailleur sociaux réunionnais : la SEMADER, puis fut détruite pour insalubrité en septembre 2019. Peut de temps avant la démolition, la fédération CNL 974 évoque la situation critique de la cité Spencer : l'immeuble se dégrade de plus en plus. Selon Eric Fontaine, administrateur de la CNL, la cité s'est désormais présenté comme «un bidonville moderne», et a également été appelé l'«immeuble de la honte». Après avoir vécu pendant plusieurs années dans des conditions déplorables, une cinquantaine de locataires de la cité avaient décidé de poursuivre la SEMADER. Ils ont finalement obtenu gain de cause, allant de 500 à 2 500 euros d'indemnisation, après plusieurs années de bataille judiciaire12.

Illustration 5: À gauche : une vue aérienne sur les logements de la SIDR au Port, vers 1965. À droite : La cité Herbert Spencer, un "bidonville moderne", le Port en 2013. 11 FRANCE INFO, Outre Mer .1. Archives d'Outre-mer - 1991 et 2012 : les précédentes crises sociales à La Réunion. 2018. 12 NPNRU ARISTE BOLON/SIDR HAUTE, APPROCHE HISTORIQUE ET ANTHROPOLOGIQUE Histoire, économies et usages du quartier, 2017

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I – A. 4. ANALYSE : LA FORME URBAINE ET ARCHITECTURALE COMME DÉTERMINANT COMMUN À LA MÉTROPOLE ET À LA RÉUNION Quelles que soient les zones climatiques, les violences urbaines portent un message clair : un malaise est présent au sein d'une population, a priori recensée dans les quartiers nés d'une urgence de relogement, dont la plupart correspondent aujourd'hui aux quartiers concernés par les politiques de la ville. Nous retiendrons qu'en métropole comme à la Réunion, la conception des grands-ensembles porte des défaillances conséquentes, telles que le manque évident de considération, l'ignorance des modes d'habiter de la population locale, des qualités architecturales et urbaines désolantes et le sentiment d'isolement sous différentes formes. De la ségrégation socio-urbaine qui en découle, se concrétiserait le sentiment d'un tri et d'une sélection sociale injuste, pouvant amener à une délinquance fréquente. Face à ce phénomène, le gouvernement aurait tenté de rétablir le calme par les solutions de reconquête urbaine, sans finalement en tirer de résultats convaincants et durables. Un paradoxe se présente alors : lorsqu'il est question de prévention de la délinquance amenée par un contexte architectural et urbain défaillant, n'est-il pas essentiel de questionner cette dimension avant la mise en place de plans d'actions sociaux et policiers ? S'il était question d'une rénovation urbaine et architecturale, quelles répercussions pourrait-elle engendrer sur un solide tissu social, construit dans un contexte négatif ? Une tentative de réhabilitation d'un environnement architectural positif pourrait-elle effacer le malaise social présent ? Nous pouvons terminer cette partie par le constat que : La délinquance est un terme vaste à définir précisément pour cette étude ; que les quartiers nés de situations de relogement d’urgence ont un rôle déterminant dans la délinquance par le biais de plusieurs facteurs ; que la ségrégation urbaine pourrait être un phénomène entraînant à la délinquance ; que l'architecture aurait un impact sur les émotions ; et qu'il y aurait une dimension fondamentale des modes d'habiter des différentes cultures à prendre en compte par les architectes.

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I – B . ÉTUDIER LES DÉTERMINANTS DE LA DÉLINQUANCE Dans cette partie, nous définirons le cadre sociologique de notre étude. Pour se faire, il sera nécessaire de déterminer les définitions des notions contenues dans la question de départ : Dans quelles mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ? Les termes à clarifier sont : la délinquance, le malaise, et l'identité. Dans l'étude de la définition du « malaise », s'y ajoutera une spécificité « sociale ». A celui de « l'identité », se joindra une particularité « tropicale ». En lien avec les trois termes à définir, la ségrégation urbaine sera également questionnée dans cette partie, dans son rapport à l'organisation sociale et spatiale de la ville. Une fois ces notions correctement définies, le périmètre de cette étude nous permettra de cibler un terrain réunionnais, pour effectuer de manière cohérente une enquête de terrain dans le chapitre suivant. I – B. 1. LA DÉLINQUANCE « Lorsque les désavantages sociaux se cumulent – faible revenu familial, habitat et quartier délabrés, famille nombreuse - qu’il apparaît une corrélation statistique significative entre pauvreté et délinquance » (Filleule, 2001, p.66). Du latin delinquere , qui signifie être en faute, la délinquance est l'ensemble des infractions commises considérées sur le plan social13. Cette définition montre l’ampleur du champ d’observation qui concerne en général, trois types de définitions: une définition juridique, une définition sociologique, et définition psychologique. Le sociologue Philippe Robert, donne une manière de définir la délinquance par rapport à ce que l’on entend aujourd’hui, avec la définition de « l'ensemble des comportements qui contreviennent au droit pénal et exposent ainsi leurs auteurs à une peine. La délinquance constitue la déviance d'une norme particulière, le droit pénal. Dans chaque société coexistent de multiples systèmes de normes. On les distingue selon leur plus ou moins grande formalisation, leur plus ou moins grande proximité

13 PETIT LAROUSSE, Dictionnaire français. 1995

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aux situations ou conduites qu'ils prétendent régler14». Il découle de cette définition, que la « délinquance » ne peut exister sans « règles ». Quelles soient morales ou juridiques, elle ne sont pas identiques dans toutes les sociétés, les cultures, les religions, ou les communautés. Il existerait alors plusieurs types de « délinquance ». De plus, ce qui est considéré comme « faute » dans un temps, peut ne plus l'être à une autre époque grâce l'évolution des mœurs. Si nous pensons qu'une société avec ses imperfections, restera toujours fidèle au respect des règles qu'elle a établies, cela voudrait dire que nous aurions toujours affaire à la délinquance. En ayant conscience que tout et rien peuvent être « délinquance », il est nécessaire de bien déterminer le contexte spatial, social et temporel pour cibler la définition la plus appropriée à ce sujet. L’idée de départ est donc celle de « faire défaut ». Les délinquants serait ceux qui ont, d’une façon d’une autre, rompu le pacte de coopération qui est le fondement même de toute société. Ils se réfèrent à la « déviance », qui désigne l’ensemble des conduites sociales qui s’écartent d’une norme15. La définition de la « délinquance » qui nous intéresse dans cette étude, est celle qui s’appréhende au rejet de l'environnement quotidien ou familier. Rejet, qui pourrait se traduire par des signes de révoltes, de dégradations, d’in-considérations. Nous nous appuierons à plusieurs reprises sur l'exemple des émeutes urbaines, mais aussi sur d'autres types de violence des quartiers : « En effet, les jeunes des banlieues sont de plus en plus explicitement désignés comme "violents en bandes". Or, cette violence répond davantage à des dysfonctionnements institutionnels qu'à l'émergence en France de bandes organisées. » (Linhart, 1992) D'après la sociologue Virginie Linhart, une émeute urbaine serait le témoignage d'une dégradation de la qualité de vie dans les quartiers. Aujourd'hui, le problème des violences urbaines n'est pas seulement ce qu'elles expriment au sujet des quartiers en difficultés, mais également ce qu'elles déclenchent. Il y aurait des répercutions sur les modes de relations entre les jeunes des cités et le monde public, comme la justification de nouveaux élus, les nouvelles procédures de développement social urbain, etc. Les acteurs des violences gagneraient la certitude qu'il faut ravager pour se faire entendre, perpétuant ainsi la culture de l'émeute. Didier Lapeyronnie est un sociologue qui définit l’émeute comme fait primitif de la révolte, à défaut 14 Rapport finale 2017 de l'ETUDE SYSTEMIQUE SUR LES POPULATIONS FRAGILISÉES ET EN RUPTURE ISSUS DES QPV, par l'ESOI. 15 Ibid

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d'avoir d'autres moyens de révolte que les violences collectives. Au delà d'être un simple phénomène structurel et déterminant, l’émeute posséderait sa logique propre : « C’est donc d’elle qu’il faut partir pour éclairer l’ordinaire de la vie sociale dans les cités dégradées, le climat de tensions qui y règne et les phénomènes qui l’alimentent, plutôt que l’inverse. » (Kokoreff, 2006) Il est tout à fait difficile d'apporter une définition exacte à la délinquance. Autour des notions d'architecture et d’urbanisme, la définition de « délinquance » la plus favorable que nous retiendrons dans cette étude, sera la pratique des violences collectives et l'instauration d'un climat d'insécurité dans le milieu urbain, avec les atteintes à la paix publique, les atteintes aux personnes et les atteintes aux biens. Le délinquant dénoncerait un ou plusieurs malaises de nature différentes, comme vu précédemment avec l'inadaptation à l'environnement, une situation sociale difficile, l'ennui et la frustration, le sentiment d’injustice, ou le dénuement de son quartier. En agissant collectivement, ce comportement ne débute pas d'une démarche individuelle ou meurtrière, mais est plutôt fondée d'un esprit communautaire. Le principe du comportement d'émeutier serait de montrer que les quartiers sinistrés existent, et veulent délivrer un message. Les différentes façons employées pour rendre le message audible ont souvent recours à la haine.16 Cette définition ne comprend pas l'ensemble des comportement jugés « hors la lois », ni le hooliganisme17. LES MALAISES D'après l'étude de la définition précédente, la délinquance serait en partie l'extériorisation par la violence d'un malaise intérieur. S'il est initialement question de « malaise », avant d'être question de « délinquance », nous allons théoriser plus concrètement par l'étude de la définition du « malaise », quelles seraient les provenances et les types de malaises qui engendrent de la délinquance. Un malaise par sa pure et simple définition, est une crise, un mécontentement social inexprimé18.

16 TRUONG Fabien à OUEST FRANCE. Affaire Théo. L’émeute, « un jeu et un message politique inaudible ». 2017 17 Le hooliganisme : actes de violence ou de vandalisme lors des compétitions sportives, et qui concernent essentiellement les publics juvéniles. (Bodin, Héas, & Robène, 2004) 18 PETIT LAROUSSE, Dictionnaire français. 1995

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L'énoncé de notre objet d'étude, qui est celui d'étudier la délinquance du point de vue architectural et urbain, pourrait mener à des raccourcis entre « environnement urbain », « malaise » et « délinquance », laissant entendre que l'environnement quotidien pourrait à lui-seul créer de la délinquance. Or, dans l'observation des violences urbaines, deux catégories de malaises semblent être liées : social et environnemental. Il faudrait donc que malaise social et environnemental soient associés pour provoquer de la délinquance. Nous pouvons face à cette affirmation, émettre l'hypothèse qu'un malaise social sans un contexte urbain mal aisant, ne suffit pas à provoquer de la délinquance. Et qu'à l'inverse, le contexte urbain provoquant du malaise sans être accompagné d'un malaise social ne peut pas créer seul de la délinquance. Si l’assimilation systématique de ces deux schémas est réelle, et bien qu'elle fabriquerait à coup sûr des modèles propices à la délinquance, c'est la raison pour laquelle nous aborderons la question de la ségrégation sociale-urbaine. Cependant, il y aurait des raisons naturelles chez l'Homme qui peuvent être responsable d'un mal être profond, jusqu'à dégrader son comportement. L'Homme a naturellement besoin de se sentir utile, de contrôler, de s’épanouir dans quelque chose qui reflète son identité. Le malaise chez l'Homme pourrait provenir de l'inadaptation, ou de l'incapacité de l'appropriation. En effet, « l'incapacité à » traduit l'inaptitude, le manque de cohérence, peuvent handicaper un individu face à un milieu : « Il semble a priori sensé d'affirmer que l'inadaptation de l'Homme à son milieu est source de dépression, de tristesse. C'est un fait certain, l'Homme inadapté se sent inutile, il perd toute raison d'être lorsqu'il ne forme plus symbiose avec son milieu de vie. » (Rollot, 2016) Si le milieu quotidien ne favorise aucune possibilité d'adaptation et d'acceptation, alors une rupture est créée et positionne l'habitant dans une situation de malaise. Il serait absurde à ces hypothèses de penser que l'Homme peut s'adapter à tout. Dans ce cas il ne serait question d'aucun malaise. L'adaptation difficile est possible à condition qu'elle soit compensée ou équilibrée par de l'acceptable : « Ainsi, tout autant qu'une inadaptation trop intense, l'adaptation trop parfaite de l'Homme à son monde tue le désir de celui-ci. Lorsqu'il n'a plus besoin de cette énergie inventive qui lui fait créer, construire, modeler et concevoir pour rendre le monde vivable, habitable et aimable, alors ne l'attendent que dépression et destructivité. L'Homme est ainsi paradoxalement celui qui a toujours dû adapter le monde à lui même – et qui, fort heureusement n'avait jusque -là pas réussi. » (Rollot,

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2016, p.107) De ce fait, les émeutes urbaines proviendraient d'un contexte urbain avec des dimensions de malaise environnemental, car il a toujours été question jusqu'à présent de rapport des violences dans un contexte urbain répétitif, dont les grands-ensembles. Donc la possibilité que l’architecture procure un mal être dans les quartiers, est une réelle problématique pour l'architecte. I – B. 2. L’IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET URBAINE L'hypothèse tirée des définitions précédentes, serait que l'identité urbaine qui procure du malaise est en partie responsable de la délinquance. De quelle manière l'identité architecturale et urbaine peut être qualifiée pour ainsi mieux saisir la relation entre identité urbaine et malaise social ? La définition de « l'identité architecturale et urbaine » que nous élaborons spécialement pour cette étude est la suivante : C'est la résultante des déterminants d'une culture, d'un mode de vie, et d'une philosophie, par l'architecture et l'urbain. Elle traduirait ainsi l'identité de l'habitant par les aspects qu'elle libère. Des études et des observations commentées par le sociologue Chombart de Lauwe Paul-Henry et le psychologue René Kaës, citent que le type de logement (collectif ou individuel) en France, induirait un type de population : « Comme les grands-ensembles sont semblables, leurs résidents vont aussi se ressembler, dit-on. Cette argumentation ravive au passage les vieilles rancunes à l'égard des petits pavillons : « Les familles qui vivent en pavillon sont souvent repliées sur elles-mêmes, épuisées par les sacrifices qu'il a fallu faire pour construire la maison, ne s'intéressant que médiocrement à la vie rurale. Le développement des pavillons a donc des conséquences très importantes sur l'orientation des transformations sociales et sur la vie politique d'une nation. » Le pavillon, c'est le règne du chacun pour soi ; le collectif, c'est l'ascension de la communauté. » (Bachmann, Le Guennec, 2002 :161) L'identité architecturale et urbaine, en plus d'avoir une influence sur le comportement, pourrait avoir une influence sur la spiritualité. Dans cet ouvrage, les auteurs vont jusqu'à dire que l'habitat est un reflet de l'âme, et que ce qu'on reprocherait aux classes défavorisées soit l'habitat qui impose le reflet de l'âme, et non pas l'âme qui a donné le choix à l'habitat. Le choix de programmation de la plus petite à la plus grande échelle du projet est crucial. La 28


programmation participe de façon fondamentale à l'identité urbaine : « Aujourd'hui dans les banlieues françaises, ce qui préexiste c'est l'ennui, l'absence de repères, le vide social, économique et culturel. L'anomie vécue, intériorisée, explique l'inexistence de véritables bandes, tout comme elle éclaire l'absence de projets scolaires, professionnels, mais aussi amoureux, des jeunes de ces quartiers. En ce sens, la "galère" décrite il y a quelques années par François Dubet reste le dénominateur commun d'une majorité des jeunes de banlieues. » (Linhart, 1992) Pour finir, y aurait-il vraiment une différence entre l’identité urbaine métropolitaine et réunionnaise, qui rencontrent les mêmes problèmes ? Comme nous l'avons vu dans les premières parties, les modes d'habiter sont propres à une culture, et la culture métropolitaine est bel et bien différente de la culture créole. Néanmoins, ces deux territoires disparates sont victimes de problèmes de délinquance liés à des situations similaires. Alors que nous avons supposé que l'identité urbaine peut être responsable de la délinquance, il serait tout à fait possible de penser qu'importe les territoires, si l'identité urbaine se positionne en rupture avec les modes de vies locaux, alors un pré-schéma de la délinquance est créé. Le grandensemble ne serait pas une réponse favorable aux modes de vie de la métropole française ou de la Réunion. Cette étude qui se concentre uniquement sur l'observation de la délinquance dans le territoire tropical, à partir des cas observés en métropole française, consiste à effectuer un travail d'observation en sens inverse : analyser les modes de vie réunionnais, relever les traces qui s’apparentent à la délinquance, et déduire les dysfonctionnements à l’appui des cas métropolitains observés. SÉGRÉGATION URBAINE L'étude menée jusqu'à présent laisse deviner une approche indirecte sur le tri social et le choix de l'identité urbaine et architecturale. Ce qui nous laisse sous-entendre que depuis les premières réflexions sur les solutions au relogement, une politique de rassemblement des populations et classes sociales les plus démunies serait effectuée. L'exemple de cette citation illustre bien ce propos : « Même les cités jardins d'Henri Sellier se soumettent à une logique scientiste pour gérer les vilains petits canards de la sociabilité urbaine : tout au bout du terrain, à Suresnes, on construit un 29


immeuble spécial pour « familles d'une éducation sociale douteuse », qui ont besoin d'être « observées » et « améliorées avant d'entrer dans un milieu normal ». Le docteur Hazeman, célèbre médecin des pauvres, propose aux communes, dans Le service social municipal, un étrange indice mathématique de la pauvreté urbaine permettant de classer objectivement les familles - « la machine statistique est impartiale ! » précise-t-il. Il affecte à chaque famille des coefficients variables, selon les maladies de ces membres, leurs infirmités et leurs périodes de chômage, le revenu familial étant « recherché par l'assistance sociale ». » (Bachmann, Le Guennec 2002 :189) La question n'étant pas de connaître les raisons de cette politique, elle serait plutôt de mener une réflexion pour comprendre comment la ségrégation urbaine aurait une responsabilité dans la reproduction d'un schéma socio-spatial de la délinquance. Dans quelles mesures peut-on affirmer que la qualité architecturale et urbaine est reflet d'une situation socio-économique ? Pour se faire une idée, appuyons-nous désormais sur le travail de Louafi Bouzouina dans sa thèse « Ségrégation spatiale et dynamiques métropolitaines », pour tenter de définir la « ségrégation urbaine » et comprendre ses enjeux. L'étymologie du mot « ségrégation » vient du latin segregatio, lui même venant du mot segregare19 qui désigne « séparer du troupeau ». Cette définition latine a évolué sous plusieurs définitions nuancées, et qui se rapprochent de l' « action par laquelle on met quelqu'un ou quelque chose à part »20. Louafi Bouzouina explique dans sa thèse que « la ségrégation est vue comme un processus qui maintient la concentration des populations les plus défavorisées dans certains quartiers de la ville à travers le logement ». Dans cette citation nous avons les notions de « population des plus défavorisées » et « à travers le logement », donc une dimension qui existerait entre une situation sociale défavorable et l’identité du logement. Comme vu plus haut dans cette même partie, l'habitat de part son simple rôle de répondre aux besoins de se protéger, change de forme architecturale suivant les cultures. Ainsi la forme architecturale refléterait l'âme de son occupant (Bachmann, Le Guennec, 2002). Mais quand une construction ignore toutes considérations en lien avec la culture, il s'avère difficile à l'âme de trouver son reflet dans la forme architecturale imposée, sauf lorsqu'il est question d'appropriation ou d'adaptation (Al-Sabouni, 2018). 19 Dictionnaire de Trévoux, 1771. 20 Dicoweb :dictionnaire et encyclopédie en ligne.

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En effet, si les ségrégations urbaines renferment des formes architecturales et urbaines qui déconsidèrent l’identité des habitants qu'elles regroupent, de façon systématique ou non, elles auraient ainsi une part de responsabilité dans la production de la délinquance. I – B. 3. LE REFLET DE LA DÉLINQUANCE URBAINE PAR L'IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET L'URBAINE À travers cette partie B, nous avons émis l'hypothèse que la délinquance serait un syndrome de plusieurs types de malaises. La délinquance urbaine, qui se traduit par les violences urbaines et le sentiment d'insécurité dans l'espace urbain, est un phénomène qui se manifesterait lorsque les malaises sociaux économiques et les formes architecturales et urbaines défavorisées cohabitent en un même lieu. Le schéma qui lie les aspects négatifs des dimensions sociales et spatiales, serait un schéma qui favoriserait la délinquance urbaine. La prise de conscience des enjeux que peut provoquer la ségrégation urbaine, ne serait-elle pas une alerte, qui questionne les positions politiques de l'architecte ? Donc en théorie, les quartiers en difficulté socio-économique se composent d'une forme urbaine et architecturale favorable à la délinquance. Nous pouvons émettre l'hypothèse que les habitants asservis par un revenu insuffisant, sont à la fois contraints à cohabiter dans des lieux conçus pour les pauvres, qui renfermeraient une architecture et des formes urbaines les plus indésirés. La situation socio-économique de l'habitant serait une déterminante aux qualités architecturales et urbaines auxquelles il aurait accès. Lorsque j'ai pu échanger avec Emmanuel Souffrin, directeur chez ESOI (Etudes ethnosociologiques de l'Océan Indien), il m'a évoqué que « l'architecte a une responsabilité de loger des personnes dans de bonnes conditions ». À ce sujet, l'extrait d'une conversation que j'ai eu avec Maxence Lefebvre, architecte en chef de l'agence URBAN architectes à la Réunion, informe que « le logement social représente la demande la plus importante à la Réunion. Cependant, l'aspect des logements sociaux est en train de changer. Je trouve qu'il y a plus d'innovations architecturales et technologiques dans le logement social car on nous laisse plus de champ libre. Un peu comme sur un terrain d'expérimentation, en terme d'avancées au niveaux des matériaux, des essais de couleurs, de nouvelles formes, etc. En plus, la

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RTAA DOM21 exige des critères bioclimatiques dans les nouvelles conceptions, ce qui engendre obligatoirement une architecture différente ». Selon lui, la réglementation spécifique adaptée aux départements d'Outre-Mer, qui s’applique depuis 2010 aux logements neufs, a peut être su aider les architectes à proposer des améliorations dans l’habitat collectif réunionnais. Nous aurons l'occasion de revenir sur cet aspect dans le prochain chapitre de cette étude. Avant cela, et en dernière partie de ce premier chapitre, nous allons étudier une phase essentielle qui rappelle de quelle manière l'architecture, qu'elle soit amenée à varier ou non, a un impact sur l'émotion des usagers. Si nous gardons l'hypothèse que la forme architecturale et urbaine peut obéir à une forme de politique, de quelle manière peut-elle avoir une influence sur l'usager ? Et par conséquent, de quelle façon le milieu urbain peut-il être vecteur de malaises ?

21 RTAADOM : Réglementation Thermique, Acoustique et Aération dans les Départements d'Outre-Mer

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I – C. L'ARCHITECTURE PEUT ÊTRE UNE SOURCE DE MALAISES Cette dernière partie sera une étude littéraire scindée en trois parties, dont la démarche sera d'étudier de quelle manière l'architecture pourrait procurer un environnement bâti à caractère négatif. En complémentarité avec nos études précédentes, nous pourrons ainsi déterminer les hypothèses qui ouvrirons l'étude à l'enquête de terrain par la suite. I – C. 1. L'ARCHITECTURE PROCURE DES ÉMOTIONS L'architecture et l'urbanisme fabriquent le décor spatial commun, à travers les reflets culturels, de mode de vie et de société. La première variable que l'architecture prend en compte est l'Homme. Car sans les attentes de l'Homme, elle n'a de point de départ. (Eleb, Nivet & Violeau, J. L., 2005) Le biologiste et philosophe Jacob von Uexküll, a évoqué que « la science de l'environnement est une sorte de science de l'âme extériorisée ». A ce propos, le médecin psychanalyste Mitscherlich Alexander questionnera les effets de l'environnement sur les êtres humains, en particulier du milieu urbain. Selon lui, « les constructions, un paysage urbain, un agencement spatial peuvent être pathogènes et influer sur le psychisme. Personne n'est indifférent à son environnement, certaines volumétries de bâtiment écrasent le passant, certains matériaux ou revêtements se révèlent répulsifs, certains parcours imposés ne sont pas seulement contraignants mais autoritaires. » (Paquot, 2015:85) En plus d'être la structure solide du milieu de vie, et un moyen de réponses aux besoins de l'homme, l'architecture procurerait des émotions. Les couleurs, les odeurs, les sons, les textures, la température, les volumétries, sont des expériences qui séduisent le corps humain. Elles toucheraient d'une certaine manière aux émotions, aux souvenirs, aux sentiments. Les cinq sens que possède l'homme, traduisent l'instant réel à la conscience, ce qui permettrait l'expérience émotionnelle. De nombreux architectes ont déjà monté des expérimentations sur l'impact que peut avoir l'architecture sur l'observateur, à travers leurs projets. De ceux-ci, nous pouvons retenir à titre d'exemple, le travail de Peter Eisenman, pour le mémorial de l’Holocauste à Berlin. Ce projet en hommage aux Juifs assassinés d'Europe, est une expérience corporelle et sensorielle. Entre œuvre d'architecture et de sculpture, le visiteur effectue un parcours entre 2711 blocs de béton, mis en œuvre pour que celui-ci perçoive des sensations particulières. Dans cette mise en situation, l'alignement, la couleur brute, les textures lisses et froides des parallélépipèdes à hauteurs 33


variables, procurent au visiteur des sentiments divers, et contradictoires. Angoisse ou perte de repères, c'est dans les sentiments qu'éprouve le visiteur, que le monument prend son sens.

Illustration 6: Mémorial de l’Holocauste à Berlin par Eisenman Architects, 2005 L'architecte syrienne Marwa Al-Sabouni, évoque dans son ouvrage intitulé « Dans les ruines de Homs - Journal d’une architecte syrienne » publié en 2018, qu'il existerait une structure dynamique et une structure universelle, pour expliquer comment la forme du bâtiment dialogue avec l'observateur : « Le saule est un exemple qui comprend les deux structures. Pourquoi renvoie-t-il à l'observateur un sentiment de tristesse ? La réponse se trouve peut être dans ses branches tombantes qui, du fait de pendre, suggèrent une forme de langueur, une existence qui tristement s'affaisse. Il y a un isomorphisme entre la structure de l'arbre et la structure du sentiment. » (Al-Sabouni, 2018:173) Puisque la forme structurelle et la structure des sentiments peuvent être liées, l'architecte aurait une

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partie de responsabilité sur les qualités relationnelles entre la conception et les sentiments perçus par les observateurs. En se questionnant sur ce qui est acceptable ou pas, il y a une forme de considération pour les utilisateurs, pouvant éviter l'aggravation des malaises existants. L'architecte ajoutera aussi qu'« en revanche, un objet ou un bâtiment peut devenir étranger s'il échoue à inviter l'observateur à le comprendre et à s’identifier à lui. Un bâtiment qui « n'affiche pas de manière visible ce qui est approprié » entretient une relation distante avec l'observateur ». (AlSabouni, 2018 :177). Le projet est un échange entre le concepteur et le milieu. Si celui-ci n'est pas appropriable, la rupture pourrait amener des répercutions négatives ( Al-Sabouni, 2018 :175). L'inadaptation relèverait de l'incohérence. L'Homme qui n'arrive pas à s'adapter à son milieu de vie ne formerait aucune symbiose avec celui-ci, et perdrait toute raison d'être. L’expérience corporelle impacte le moral : « tout autant qu'une inadaptation trop intense, l'adaptation trop parfaite de l'Homme à son monde tue le désir de celui-ci. Lorsqu'il n'a plus besoin de cette énergie inventive qui lui fait créer, construire, modeler et concevoir pour rendre le monde vivable, habitable et aimable, alors ne l'attendent que dépression et destructivité. L'Homme est ainsi paradoxalement celui qui a toujours dû adapter le monde à lui même – et qui, fort heureusement n'avait jusque -là pas réussi. » (Rollot, 2018 :107) Finalement, l'architecture pourrait être en capacité de procurer de la négativité via la structure sentimentale, l'in-appropriation, et l’inadaptation. Donner du sens à l'esthétique et à une expérience sensorielle au bâtiment seraient deux approches différentes. En effet, l'esthétique est la représentation matérielle du projet qui est vécu au travers l'expérience visuelle. Alors que la conception de l'expérience du bâtiment met l'accent sur les différentes approches sensorielles, qui fabriquent des émotions. C'est peut être pourquoi les malaises d'ampleur ne peuvent se réduire à un simple revêtement de façade, et que les constructions doivent être habitables avant toutes fantaisies. Néanmoins, serait-il question d'obsolescence ou d'anti-culture dans l'architecture lorsqu'il est sujet de non appropriation/adaptation des usagers ?

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I – C. 2. L'OBSOLESCENCE EN ARCHITECTURE La destruction d'un bâtiment est-elle une conséquence de l'obsolescence ? Face au constat que certaines constructions ne semblent plus être appropriées aux besoins actuels des usagers, et que d'autres ne peuvent faire l'objet de réhabilitations accessibles, nous étudierons brièvement dans cette partie, l'idée de l'obsolescence en architecture, en s'appuyant sur l'ouvrage de Rollot Mathias, « L'obsolescence – Ouvrir l'impossible » publié en 2016. Ce passage dans cette étude nous permettra d'avoir une conscience, dans les futures analyses de l'architecture et de l'urbain de notre terrain d'enquête, de la possible responsabilité de l'obsolescence dans les dysfonctionnements relevés. Si l’architecte a conscience que l'adaptation à l'architecture qu'il met à disposition peut parfois s'avérer compliquée, l'expérience du projet pourrait être compensée par la satisfaction d'une qualité environnementale. Si aucune issue n'est favorable dans l'expérience architecturale et urbaine, cet environnement pourrait procurer du négatif. Ainsi, l'obsolescence pourrait concerner autant la forme urbaine que l'échelle de l'habitat. Un objet obsolète garde sa forme mais est inutilisable. Même si sa fonction est toujours permise, son usage est devenu absurde dans son contexte. L'obsolescence concerne la relation d'un objet avec son monde environnant, par le biais de sa fonction ou de son intérêt d'être. L'obsolète n'a pu s'adapter au changement et devient hors d'usage (Rollot, 2016 : 124). À la différence de l'altération, l'obsolescence naîtrait là ou commence le progrès. En architecture, le « patrimoine » serait une forme d'obsolescence face à l'évolution des modes d'habiter. L'obsolescence d'un bâtiment apparaîtrait lorsque celui-ci ne répondrait plus aux besoins attendus par le milieu. C'est une structure qui arrive au bout de son temps, mais qui par ailleurs garde sa forme initiale. Habiter l'obsolescence, signifierait d'habiter un mode de vie révolu. Absurde comme satisfaisant, il peut être totalement assumé ou rejeté. Néanmoins, si un profit, permet d'apporter un confort, une qualité, ou un avantage à l'égard de l'habitat obsolète, il permettrait de pouvoir vivre l'obsolescence dans la pleine acceptation. Née d'un contexte d'urgence, l'architecture des quartiers populaires de l'après-guerre a été étudiée et appliquée pour répondre à une efficacité économique et constructive. De nos jours, ces formes architecturales et urbaines difficilement évolutives, ne sont-elles pas obsolètes et sans profits qualitatifs ? L'auteur ira même jusqu'à évoquer que :

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« L'obsolète est bien souvent un sujet prioritaire, dans les processus de transformation urbaine par exemple, mais aussi pour ce qui est de la réhabilitation architecturale ou de l’invention paysagère. Les sites laissés vacants, les zones délaissées parce que leur usage est devenu vide de sens ou résolument impossible, les complexes militaires, industriels ou économiques aujourd'hui abandonnées, les villes fantômes dont la population continue chaque année de baisser... Ils sont légion, ceux qui à travers toute l'Europe, peuvent aujourd'hui a priori, être estampillés du sigle « obsolète » ; c'est particulièrement visible dans les commissions d’experts nationales et internationales qui étudient ces sites à l'abandon, soudain devenus des potentialités de développement urbain, des opportunités de régénération territoriale. » (Rollot, 2016 :120) À travers de terme de l'obsolescence, il serait évoqué la limite de l'évolution. Or, tout être vivant évolue jusqu'à la limite de la mort. Donc les habitants qui évoluent dans un décor qui n'évolue pas de même, pourraient être assimilés à des personnes qui n'existent pas, ou plus. Ce manque de considération pourrait être vecteur de malaises et amènerait les habitants faire entendre leurs frustrations. I – C. 3. L’ARCHITECTURE ANTI-CULTURE La dernière dimension hypothétique, de la forme architecturale et urbaine propice à la délinquance urbaine que nous étudions dans cette étude, est celle de l'architecture anti-culture. La culture est ce qui distingue l'homme de l'animal, car il est question d'éprouver des désirs22. Par le biais des cultures, des communautés humaines forment une identité qui les distinguent des autres. L'ensemble des traditions, des pratiques, des habitudes, des valeurs, sont des signes d'appartenances qui rendent un individu identifiable. Préserver sa valeur culturelle, serait de maintenir l'existence d'une communauté, rester attaché à une communauté, préserver une identité. « Dans beaucoup de constructions contemporaines, de nouveaux principes sont inventés pour donner du sens aux partis pris esthétiques, mais sans aucune connaissance ou respect des populations auxquelles ces choix seront imposés. » ( Al-Sabouni Marwa 2018:177) L'identité architecturale se réfère à une culture, un mode de vie, une société. Elle est la forme structurelle d'une identité. L'habitable ne fait pas de différence entre les riches et les pauvres, les chrétiens et les musulmans, les adultes et les enfants, etc. Si l'être humain accorde beaucoup d'importance à s'identifier, c'est qu'en s'y retrouvant cela lui permet d'accepter le lieu, de le 22 DOUSSON Lambert. Cours d'Espace(s)/Critique(s) S3, ENSAM. 2016.

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préserver, comme s'il prenait soin d'une partie de lui. Rechercher pour qui on construit c'est prendre conscience que tout n'est pas acceptable. Dans le changement trop brusque et précipité des modes de vie, le territoire de la Réunion est un cas observable : Avec le plan de relogement des populations des bidonvilles, de nouvelles méthodes modernes ont fait surface sans perdre de temps (l'air conditionné remplace les techniques architecturales créoles bioclimatiques par exemple). La disparition des techniques locales dans le nouvel essor urbain aurait engendré un manque de considération des modes de vie, et donc un manque de considération de l'identité créole (Leveneur, 2009). Les premières émeutes au Chaudron ont pu témoigner que les anciens habitants des bidonvilles auraient été mal préparés à vivre dans ces appartements. De la « case à terre » aux barres de béton, de nombreux problèmes d'adaptation apparaissent. La sociabilisation entre habitants provenant de quartiers différents ne serait pas toujours évidente. Avec la crise économique de 1973, beaucoup d’événements de grève générale se sont mis en place, suivis par de nombreuses manifestations et émeutes. Les habitants reprochent un « manque d'humanité des nouveaux quartiers ». Des logements les uns sur les autres construits trop vite pour la population rurale. L'urbain de béton a d'ailleurs été construit sur le rural lui-même : Les habitants ne se sont pas déplacés, par dessus leur ancien mode de vie a directement été construit le nouveau. Un écart culturel dans un temps d'adaptation trop court seront déclencheurs de malaises pour cette population économiquement contrainte. (Leveneur, 2009) D'année en années, les nombreux retours négatifs auraient engendrés une image péjorative du logement social. Pour y remédier, les projets de logements sociaux actuels à la Réunion se baseraient sur des plans plus durables et appropriables, répondant mieux à une identité culturelle et aux modes de vie locaux23. Sans aller jusqu'à vérifier au cas par cas si ces nouveaux modèles fonctionnent, nous analyserons plutôt de quel type de logement sociaux il est question, dans les quartiers marqués par la délinquance urbaine à la Réunion. I – C. 4. EN CONCLUSION : LA DÉLINQUANCE URBAINE A UN LIEN AVEC L’IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET URBAINE Nous avons débuté ce chapitre I par différents constats, qui questionnent le rapport entre architecture et délinquance urbaine. 23 Entretien de LEFEBVRE Maxence, architecte en chef de l'agence URBAN Architectes, Le Port. 2019

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En introduisant cette étude par l'apparition des émeutes urbaines, nous avons développé la théorie des grands-ensembles, de la ségrégation urbaine, du malaise social des habitants, du malaise spatial des habitants, et de la procuration des émotions par l'architecture, dans le contexte des territoires métropolitain et réunionnais. Sans aller jusqu’à justifier la délinquance, ces théories démontrent que les formes architecturales et urbaines en métropole comme à la Réunion, ont un impact sur le bien être d'une part, mais aussi sur les usages ou les actions des usagers, que ce soit de façon négative (émeutes, violences urbaines, etc) ou de façon positive (lien social consolidés, appropriation des espaces extérieurs très active plus que nulle part ailleurs, etc). En considérant la délinquance urbaine comme syndrome de malaises, nous devons nous intéresser plus en détail à une identité urbaine particulière. Cette dernière serait concernée par la ségrégation sociale et spatiale, mais aussi par le traitement des émotions négatives à travers l'architecture et l'urbain. Maintenant, nous nous préparons à l'élaboration de l’enquête de terrain, afin de vérifier si les hypothèses émises à la base de cette étude littéraire, sont vérifiables dans le contexte actuel réunionnais. Ainsi nous avons : 1. Les formes architecturales et urbaines des quartiers prioritaires de la ville sont responsables d'émotions négatives perçues par les habitants. 2. Les identités architecturale et urbaine des quartiers prioritaires sont inadaptées à la culture et aux modes d'habiter de la population locale. Les habitants ont du mal à s'identifier à l’environnement bâti qu'ils sont contraints de fréquenter. Cette rupture omniprésente procure des malaises pouvant amener à la délinquance. 3. L'architecture et l'urbanisme des quartiers prioritaires sont «obsolètes » : Un milieu sans issue, qui n'évolue plus, semblable à un milieu à l'abandon, et avec une régression constante. Vivre dans l'obsolescence sans avoir les moyens d'en partir, placerait les habitants dans une position de frustration, jusqu'à la volonté de rejeter cet environnement qui est le leur : car si le milieu obsolète a des répercutions sur l'habitant, il pourrait être à l'origine des comportements en décrépitude au fil du temps.

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CHAPITRE II - MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN Des recherches antérieures sur les communes de la Réunion ont permis d'orienter plus facilement le choix final du terrain, qui semble rentrer en cohérence avec nos études littéraires précédentes. Néanmoins, il nécessite d'étudier ce dernier plus en détail pour notre enquête. Pour tenter de répondre aux hypothèses énoncées précédemment, la méthodologie de l'enquête de terrain est la suivante : - En premier lieu, nous étudierons l'identité urbaine et sociale de la ville du Port sous trois approches : L'historique du développement urbain de la ville représente une étape primordiale à la compréhension de la situation actuelle. La prise de connaissance des enjeux socio-économiques et urbains permet d'orienter le regard sur le constat de la délinquance au Port, effectué par des spécialistes en charge de la délinquance. A partir de cet état des lieux, nous pourrons justifier notre terrain d'enquête : « la 1ere et 2eme couronne » de la ville du Port. - En second lieu, nous élaborerons le plan d'enquête à mener sur le terrain : Il sera composé d'une analyse sociologique sous forme d'entretiens semi-directifs avec les habitants, et d'une analyse architecturale et urbaine, par le parcours commenté et la rencontre d'acteurs de la rénovation urbaine et à la mesure de la délinquance dans le quartier. Ce chapitre II consiste à détailler le processus d'enquête en pleine connaissance du terrain. Les analyses des données récoltées se trouveront en réponse à chacune des hypothèses traitées en Chapitre III.

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II – A. ÉNONCÉ DU TERRAIN D'ENQUÊTE La ville du Port est une commune fragile de 34 128 habitants, répartis sur une superficie de 16,62 km². Malgré l’évolution radicale qu'elle a connu durant ces cinquante dernières années, elle fait l'objet d'importants travaux de renouvellement urbain de nos jours. Des décisions qui s'appuient sur des diagnostics qui témoigneraient d'une dégradation accélérée de certains bâtis, d'une obsolescence urbaine, et d'une situation socio-économique particulièrement difficile. II – A. 1 . LE PORT, UNE COMMUNE CONSTITUÉE MAJORITAIREMENT DE QUARTIERS PRIORITAIRES HISTORIQUE Au Nord-Ouest de l'île, c'est sur un emplacement stratégique que né en 1886, l'unique port maritime de la Réunion. Au fil des années, les industries portuaires ont attiré la main d’œuvre ouvrière, et les familles ont décidé de venir s'installer à proximité des activités économiques. L'environnement de type « plaine », ou « savane », a permis un accueil spontané de la nouvelle population, jusqu'à la mise en place d'un schéma d'aménagement directeur de la ville en 1970. A ce moment là, 80% des logements étaient sans eau courante. La ville a été confrontée à d'importants défis tel que les habitats très précaires, l'aridité, ou l'absence d'équipements. Le plan d'aménagement apporte une vision claire dans le développement de la ville et permet l'instauration de nouveaux modes d'habiter vers les années 1950. Le nouvel urbain contemporain se caractérise alors par les maisons individuelles, jumelées ou en bande, dont l'architecture de béton est en rupture totale avec l'architecture créole traditionnelle. Vingt ans plus tard, l'augmentation de la population a provoqué d'importantes apparitions d'habitats insalubres, et pourtant 56% des logements n'ont toujours pas bénéficié ni d'eau et ni d'électricité.

Illustration 7 Premier lotissement au Port en 1953 41


Pris par l'urgence de relogement, les bailleurs sociaux ont choisi la solution des grands-ensembles. Rapidement critiqués, le problème d'identité urbaine que ces derniers soulèvent apparaît : la population doit apprendre à vivre ensemble, à modifier ses modes de vie, à créer de nouveaux liens, de nouvelles solidarités. En quarante ans, le logement social bouleverse les paysages urbains. La notion de « grands-ensembles » sur l'île a du être remise en cause suite au rejet des populations. Les bailleurs sociaux ont dû une nouvelle fois trouver d'autres solutions, comme développer de nouveaux programmes pour inventer un « mode d'habiter » plus humain. (Leveneur, 2009) D'important travaux de réhabilitation s'en sont suivi pour les bâtiments les plus anciens, mais aussi des démolitions, comme pour la cité Herbert Spencer au Sud de la ville du Port en 2019.

Carte 1: L'évolution du tissu urbain au Port

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DE NOS JOURS... Malgré cinquante années de développement urbain conséquent, Le Port connaît depuis 2009 une perte sans précédent de sa population avec 4000 habitants de moins, selon l'INSEE. L'image de la ville est très dégradée et générerait « des migrations résidentielles dans les communes voisines » qui rendraient « difficile la production de logements libres et intermédiaires » d'après le NPNRU, qui cite aussi que « cette perte de population affecte en premier lieu les plus jeunes et les actifs, entraînant un fort vieillissement avec 17% de plus de 60 ans, mais aussi les ménages avec enfants 24». Par le dialogue entretenu avec l'anthropologue Emmanuel Souffrin, celui-ci me révéla que « 80% de la commune du Port est en quartier prioritaire de la ville, donc on y retrouve les populations les plus pauvres de l'île, ce qui implique une probabilité d'avoir une délinquance plus importante que dans les autres communes ». Il en tira une étude systémique de la délinquance dans la commune du Port en 2017 sur laquelle nous reviendrons. Sur la carte ci-dessous, qui représente les typologies des grands quartiers des communes réunionnaises en 2005, nous constatons que la ville du Port est majoritairement constituée de zones urbaines vulnérables et de zones urbaines qui cumulent les difficultés socio-économiques.

Carte 2: Typologie des grands quartiers à la Réunion, en 2015 24 Convention Pluriannuelle du projet de renouvellement urbain des quartiers Ariste Bolon/SIDR Haute, par L’ANRU dans le cadre du NPNRU

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La commune du Port qui est concernée par les difficultés les plus importantes, cumule le manque d’emplois, retrouve une forte proportion de logements locatifs sociaux (58%) et abrite une population qui dépend fortement des prestations sociales 25. Néanmoins, cette population portoise est une population présente depuis des générations, avant même le développement de la ville. C'est un contexte particulier par rapport aux agglomérations métropolitaines qui subissent les situations de difficultés socio-économiques similaires, car elles ont tendance à accueillir une population d'origines étrangères. La ville du Port exercerait-elle une « culture » des difficultés socio-économiques, qui maintiendrait la population dans un mode de vie propre à son territoire ? CONSTAT DE LA DÉLINQUANCE « Le Port est une ville sensible, écorchée vive, susceptible, ingénieuse, attachante, dynamique. Des faits historiques et divers marquent les esprits. Mais après décantation des actualités, il reste en mémoire une ville rebelle. Cette image ne reflète pas toutes les réalités. C’est pourquoi, il est indispensable de travailler à rendre notre territoire attractif. » - Extrait du discours de M. le Maire, le 11 juin 201526 Par le biais de l'anthropologue Emmanuel Souffrin, et directeur chez ESOI 27, j'ai pu prendre connaissance de plusieurs documents, tels que : •

Le Bilan 2014 du CLSPD (Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance) de la Ville du Port. Ce document interprète l'état des lieux de la délinquance sur le territoire, les données de la ville, le bilan des actions qui permet d'énoncer du plan local d'actions de prévention de l'année suivante.

Le Plan départemental de Prévention de la Délinquance de la Réunion de 2013-2015, par le Préfet de la Région Réunion. Il illustre l'évolution de la délinquance à la Réunion entre 2010 et 2012, les dispositifs départementaux et communaux de prévention de la délinquance, les fonds interministériel de prévention de la délinquance, les priorités, le plan d'action et les fiches d'action.

25 Ibid 26 Le Bilan 2014 du CLSPD de la Ville du Port 27 ESOI : Études ethno-sociologiques de l’océan indien

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Le Rapport final 2017 de l'étude systémique sur les populations fragilisées et en rupture issu des QVP, par l'ESOI . Il a pour objectif d'apporter un éclairage sur les fondements de la délinquance sur le territoire (chemin de vie de la cellule familiale, mixité sociale, politique d’aménagement du territoire…), sur le traitement des questions de sécurité et/ou de tranquillité publique sur le territoire, et sur les perceptions et les attentes de la population en matière de tranquillité ou sécurité publique. Cette étude permet d’apporter des éléments de compréhension du phénomène de « délinquance » pour la construction du plan d'action de la ville.

Cette revue m'a permis de tirer plusieurs constats sur la commune du Port au sujet de la délinquance, dont nous allons également traiter dans la partie II- A.2 suivante. Pour commencer, l'analyse de l'étude systémique nous démontre qu'une évolution de la criminalité a été recensée de 1996 à 2016 en passant de 51,5%° à 57%. De façon progressive, puis constante sur une longue période, la Police Nationale a noté qu'elle était répartie sur tous les agrégats qui composent la délinquance générale. 1993

2010

2014

2015

2016

1832

1776

1828

2129

2138

Tableau 1: Augmentation des faits constatés. (Source : étude systémique sur les populations fragilisées et en rupture issu des QPV, par l'ESOI) En 23 ans, la délinquance générale sur Le Port a augmenté irrégulièrement de 1% par an, avec une plus forte augmentation entre 2014 et 2015 28. Dans ces observations, les « atteintes aux personnes 29 » sont des phénomènes à croissance constante observées jusqu'en 2016 (date d'observation limite de l'étude systémique), alors que les « atteintes aux biens30 » sont en augmentation depuis 2008. Le passage de l'étude qui dit que : « les acteurs de la politique de la ville parlent de « quartiers en souffrance » pour ces territoires qui ont connu diverses expérimentations d’aménagement », rentre en parfaite cohérence avec les relevés que nous avons effectué précédemment.

28 GRAFOS (1996), Police Nationale 2016, CLSPD 2016 29 Les atteintes à la personne désignent toutes les formes d’infractions qui ont pour motivation ou pour effet de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’autrui. Exemples : violences, viol, harcèlement, homicide, etc. 30 Les atteintes aux biens concernent les infractions portant sur la propriété des personnes ou de l'État, par un acte d'appropriation frauduleuse telle que le vol ou l'escroquerie, mais aussi par atteinte directe comme la dégradation.

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Cependant, l'ESOI s'est appuyé un instant sur la thèse de Bernard Rémy, qui étudie la violence à La Réunion. Celui-ci estimer que « la réduction des vols violents et des vols des deux roues passe par une amélioration de la qualité architecturale des immeubles collectifs, de l’aménagement de l’espace et par une meilleure intégration générale à la ville ». L'ESOI commente à cela que « si ce propos ne peut que susciter l’approbation de tous, améliorer les conditions de vie des personnes est toujours une action productrice de mieux-vivre, il ne démontre pas la relation de cause à effet, ni même dans quelle mesure il y a un lien direct entre les mauvaises qualités des logements et le passage aux actes violents ». En effet, parmi les grands facteurs de la délinquance, deux points semblent tout à fait intéressants à cette étude : - L’habitat des grands ensembles au Port, qui regroupent de nombreuses familles défavorisées, peut créer des situations sans avenir, avec des mobilités bloquées et en retour des attitudes d’isolement social, voire de relégation. - L'absence de repères identitaires : à la fois historiques, chronologiques, visuels et symboliques, qui peut créer des désordres identitaires plus ou moins marqués. Cette affirmation s'appuie sur les études du « phénomène de la non-appropriation des territoires » par Cambresy et Bourgeois-Quinty, qui cite que : « l’absence de repère patrimoniaux territorialisés, prive le groupe d’une expression identitaire spatialement exprimée, à travers des lieux affectifs. Elle le prive aussi d’un outil de contrôle (par le biais d’un consensus ou d’une appropriation) de son territoire. […] Le patrimoine est alors appelé à jouer le rôle qui lui est généralement attribué, à savoir celui de « ciment identitaire.» ». A partir de ce point, l'étude considère que « la commune fait partie de celles qui se sont préoccupées régulièrement de son patrimoine et qui ont par des slogans ciblé, une identité fortement différenciée des autres communes. Toutefois, l’accès à ce patrimoine reste encore à être mieux connu, non seulement pour s’ancrer au Port, mais également pour que les nouveaux arrivants puissent s’inscrire dans son histoire. » Finalement, il serait bien question de la délinquance au Port, au moins durant la période qui a suivi le changement urbain et architectural de la ville jusqu'en 2016, ce qui en fait un territoire propice au choix du terrain d'enquête.

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II – A. 2 . LA « 1ERE ET 2EME COURONNE », UN QUARTIER PRIORITAIRE DU PORT COMME TERRAIN D'ENQUÊTE Les politique de la ville ont pour objectifs « d'assurer une meilleure égalité entre les territoires, de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et d'améliorer les conditions de vie de la population » selon l'INSEE. Ils mettent en place des dispositifs pour lutter contre les difficultés sociales, économiques et urbaines de certains quartiers, qui se traduisent par les habitats dégradés, le chômage, le taux d'échec scolaire, la délinquance, l'enclavement, etc. À la Réunion, les quartiers prioritaires des politiques de la ville sont concernés par une méthode de détermination géographique « de pauvreté » : ils sont identifiés par les revenus médians de la population, qui doivent être inférieurs à cinq cent euros par mois 31. Depuis 2015, ils représentent l'unique zonage officiel en matière de précarité urbaine, et bénéficient de programmations spécifiques en aménagement ou d'amélioration du cadre de vie. Cependant, contrairement à la métropole, « les taux d’installations dans les quartiers prioritaires sont assez comparables à ceux mesurés dans le reste du département, autours de 17 %. Il n’y a donc pas de différenciation forte en matière de dynamique économique entre quartiers prioritaires et reste de La Réunion.32». Pour rappel, plus de la moitié des réunionnais vivent dans un quartier précaire et que 38% de la population vit sous le seuil de pauvreté métropolitain33. De nos jours, un réunionnais sur cinq vit dans un quartier prioritaire 34. Dans le total des quarante neuf quartiers prioritaires de la politique de la ville répertoriés sur l'île, notre enquête de terrain concernera uniquement la « 1ere et 2eme couronne » au Port.

31 LINFO.RE. 50 quartiers prioritaires à la Réunion. 2018. 32 Ibid. 33 INSEE (2015) Cartographie de la pauvreté à La Réunion. N°34 34 SIG, Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (2014-2020). 2019.

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Carte 3: Carte de la commune du Port, avec la localisation des quartiers prioritaire et du centre ville Ce secteur a pour particularité de s'étendre sur 188 ha, et de recenser 24 600 habitants selon l'INSEE35, ce qui fait de lui le quartier prioritaire le plus important et le plus étendu de l'île. Avec un total de 34 128 habitants recensés au Port en 2017, « la 1ere et 2eme couronne » représente 70% de la population portoise. Ce quartier prioritaire ne concerne pas le centre ville ni le port industriel. C'est une découpe urbaine qui s'étend en bande depuis les entrées de la ville jusqu'au centre ancien. C'est dans ce secteur que seront menés les entretiens semi-directifs et l'enquête architecturale et urbaine. Dans le Bilan 2014 du CLSPD, j'ai pu relever des cartes illustrant des points d'atteinte à la paix publique, d'atteinte à la personne et d'atteinte aux biens autour du terrain d'enquête, que j'ai 35 L'INSEE. Renouvellement urbain et politique de la ville. Six projets pour améliorer le cadre de vie de 46 000 Réunionnais. 2015.

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retranscrit de manière plus adaptée sur cette carte :

Carte 4: Reconstitution graphique, du relevé des faits par le bailleur de la SIDR - Ville du Port, dans les alentours du quartier prioritaire. Nous pouvons ainsi observer une forte concentration de ces phénomènes dans les secteurs bas et haut du quartier prioritaire, un indice à prendre en compte lors de notre enquête. En effet, ce quartier prioritaire est concerné par le changement du modèle d’habitat de la SIDR 36. Celle-ci avait annoncé que les habitations insalubres seront désormais remplacées par deux types d'habitations : •

La Kaz à ter : La SIDR explique qu' « avoir sa case et son bout de terrain est toujours symbole social de « liberté », même si l’habitation est petite et sans confort. C’est un modèle de référence pour la majorité de la population éligible à un logement social. »

La Kaz en ler, est la verticalisation de l’habitat : « L’introduction des logements collectifs, qui s’inspire, pour beaucoup, d’un modèle métropolitain, a constitué à La Réunion une évolution importante qui va bien au-delà de la simple mutation urbaine. L’immeuble d’habitation collectif est plus souvent vécu comme une nécessité par les

36 Etude sur la stratégie patrimoniale de la SHLMR, de la SIDR, de la SEMADER et la SEDRE au sein des quartiers du NPNRU

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réunionnais qu’un choix réel. L’habitat collectif a remis en cause profondément le mode d’habitat traditionnel : Les espaces de sociabilité sont renvoyés à l’extérieur de l’espace familial, « en ville ». Il y a ainsi émergence des espaces publics urbains, jusque-là inconnus dans les villes réunionnaises. » Dans ces deux définitions des nouveaux modes d'habiter, la SIDR aurait bien conscience qu'il n'y a aucune relation avec l'identité créole portoise existante, et font pourtant l'objet de développement urbain sur la grande majorité du territoire résidentiel portois. L'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) est porteuse de projets de rénovation urbaine, en particulier dans les quartiers prioritaires des politiques la ville, dont les stratégies sont orientées vers la mise en place d'une mixité sociale. Le quartier « 1ere et 2eme couronne » est concerné par ses programmes, qui auraient comme stratégie de donner plus d'accès aux portois, comme en permettant par exemple, aux anciens habitants de revenir au Port sans passer par le logement social. Favoriser la mixité sociale (cadres, employés, etc), pourrait amener une mixité architecturale et pourrait être l'occasion de proposer une architecture et un urbanisme plus adapté aux besoins et à l'identité de la population locale.

II - B. ÉTAPES D’ÉLABORATION DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN II – B. 1. LA CARTE PARTICIPATIVE Avant même de commencer mes interventions sur terrain, j'ai voulu me procurer une carte officielle du Port et de ses quartiers. Mon objectif était de distinguer les différents lieux-dits qui constituent la 1ere et 2eme couronne, afin de situer les habitants interrogés dans mon enquête, et de me repérer plus facilement dans mon parcours. Je me suis alors rendue à l'office du tourisme du Port. L'agent qui m'a reçu n'a pu me fournir qu'une carte touristique, d'un style graphique simple et schématique. Je l'ai tout de même emporté avec moi, puis je me suis rendue à la mairie du Port, à la recherche d'autre carte qui correspondrait mieux à mes attentes. La responsable d’accueil m'informe qu'elle n'en possède pas d'autres que celle de l'office du tourisme, et qu'il n'existe pas de cartes officielles situant les « lieux-dits ». Puisqu'il n'en existait pas, il suffisait maintenant de la créer. Cette même personne, agent municipale, résidente du Port depuis de nombreuses années, a accepté de me situer au stylo les 50


différents lieux-dits, et d'y inscrire leurs noms. Cependant, il y avait des endroits de la carte dont elle n'était pas certaine. Je l'ai remercié d'avoir fait de son mieux pour m'aider, et je suis repartie avec la carte griffonnée. Ensuite, je me suis rendue dans le secteur de l'Oasis 37 pour retrouver un ami portois qui y vit. Il voulait me présenter une personne à interroger, mais celle-ci eut un empêchement. J'en profitais pour lui montrer la carte du Port retravaillée, en lui demandant si les tracés étaient corrects, et si des choses étaient à rajouter. Nous nous sommes installés, et il a complété la carte en me racontant comment différencier les secteurs et de quelle manière ils sont délimités. Comme l'a dit le géographe Gilles Palsky au sujet de l'élaboration de la carte participative, « l'essentiel n'est pas la précision ou l'échelle, mais bien les informations qui révèlent les perceptions locales des frontières, de la disponibilité des ressources, de la vie sociale »38. Ci dessous, le résultat de la carte participative à l'état brut :

Carte 5: La carte participative du Port

37 Voir « Carte 5 » page 55. 38 Palsky, G. (2010). Cartes participatives, cartes collaboratives. La cartographie comme maïeutique-Le Comité Français de Cartographie (CFC), Paris, (205), 49-59.

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À partir de ces tracés, je me suis aidée de logiciels de cartographie et de graphisme, pour produire la carte souhaitée ci dessous :

Carte 6: La ville du Port et les lieux-dits du quartier prioritaire « 1ere et 2eme couronne » Dorénavant, nous pouvons distinguer que le secteur d'étude encadre toute la partie est, extérieure au centre ville, et constitue une bande construite qui s'étend jusqu'aux trois principales entrées de ville. Ce périmètre conséquent comprend onze lieux-dits officiels (aux yeux des habitants). Nous y reviendrons plus tard avec les déroulés des enquêtes de terrain. II – B. 2. LES PLANS D'ENQUÊTE : ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS ET ANALYSE ARCHITECTURALE ET URBAINE Dans la question de la délinquance et de l'architecture/cadre urbain, j'ai trouvé pertinent de diviser l'enquête de terrain en deux approches : une enquête sociologique des habitants, et une enquête architecturale/urbaine d'un lieu-dit de la « 1ere et 2eme couronne ». 52


Toutes deux, consistent à vérifier les impacts des difficultés sociaux-économiques sur les habitants du Port, mais aussi d'identifier le degré d'appropriation de l'environnement socio-spatial des habitants. Y a-t-il parmi les résultantes, une délinquance urbaine qui aurait marqué la ville du Port ? Comment les habitants ont-ils vu changer leur quartier ? Leur ville ? Pour quelles raisons restent-ils habitants de ces lieux ? Mesurer le degré d'appropriation des habitants, permettrait de comprendre à quel prix, ils semblent être attachés à leur milieu urbain. Est-ce un attachement par dépit ou par choix ? Si la délinquance des quartiers existe ou a existé, connaître dans quel contexte celle-ci s'est déroulée pourrait nous éclairer sur la vie des quartiers aujourd'hui. Les ambiances sont des indices dans la perception du lieu par son utilisateur. Ceux-ci pourraient-ils témoigner d'un environnement sécuritaire ou plutôt insécuritaires ? Quel genre de rapports existe-til entre les habitants ? Qu'elle est la qualité de vie au sein de ce quartier en particulier ? Au sujet de l'identité esthétique des habitations, effectuer des relevés dans certains lieux-dits de la « 1ere et 2eme couronne », pourrait nous révéler à quel style de vie les habitants font face. Ci dessous, j'ai constitué une grille d'avant enquête qui lie les intentions recherchées, face aux actions à mener : INTENTIONS

ACTIONS

Mesurer le degré d'appropriation

Analyser le dialogue, les termes employés, les

des habitants Enquêter sur la délinquance de

informations témoignées Relever les témoignages. Noter si des changements se sont

quartier Décrire les ambiances

fait sentir dans le temps. Analyser les discours sur : Sécuritaire/in-sécuritaire, le rapport entre les habitants, et la qualité de vie du quartier racontée/perçue

Noter les qualités spatiales et architecturales

Relever les marques d'adaptation, les identités culturelles, la présence d'obsolescence, les traces de renouvellements/d'embellissements, les espaces d'attractivité

L'enquête sociologique sera menée à travers des entretiens semi-directifs. Nous relèverons les 53


discours se répétant, les thermes employés, et la qualité des informations qui nous sont données. Le profil interrogé peut concerner les hommes et les femmes qui habitent actuellement au Port et dans notre secteur d'enquête, ou qui y ont habité une grande partie de leur vie. Il n'y a pas de limite d'âge, ni de différenciation ethnique. Néanmoins, il sera nécessaire de dresser une fiche identitaire avant de débuter les entretiens de sorte à maintenir une cohérence dans les discours. Ci dessous, une grille qui illustre les questions de relance posées dans le dialogue, et les intentions recherchées : QUESTIONS DE RELANCE

CE QUE L'ON CHERCHE

Depuis quand vivez-vous dans ton logement ? Et

Renseigner le degrés d'appartenance à la

au Port ? Pourquoi habitez-vous ici ? Pouvez-vous

ville/au quartier

me décrire votre logement ? Quel est l'endroit où vous passez le plus de temps et pourquoi ? Comment trouvez-vous votre

Identifier les sentiments et la considération exprimés pour son lieu de vie

quartier ? Quels sont les évolutions/changements que vous avez remarqué au niveau de votre quartier/ou au Port depuis vos débuts ? Quels sont les points positifs et négatifs de votre

Relever le taux d'acceptabilité

quartier ? Qu'aimeriez-vous de différents ? Pouvez vous me raconter votre style de vie ?

Cerner le rapport spatial intérieur-extérieur

Comment vous êtes vous adapté au confinement de

et les modalités de déplacements

la crise pandémique ? N'importe qui peut accéder à votre quartier ?

Dissimuler les liens entretenus avec les

Votre bâtiment ? Connaissez vous vos voisins ? Qu'est ce que « la délinquance urbaine » vous

autres habitants Cerner la fréquence des potentiels conflits

évoque-t-elle ? Pour quelles raisons vous êtes vous déjà senti en insécurité quelque part dans la ville ? La délinquance est-elle la même ailleurs ?

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de quartiers Potentielles anecdotes


Quelles sont les choses selon vous qui sont

Relever l'identité perçu pour la ville

propres au Port ? Si la ville avait la possibilité, que demanderiezvous pour votre quartier/bâtiment/milieu de vie ?

Noter un potentiel manque / relever un souhait

La méthode de l'enquête se structure de la sorte : •

Une enquête sociale : Par les entretiens semi-directifs, les habitants du quartier prioritaire ont pu témoigner de leurs sentiments et leur attachement, évoquer leurs points de vue, ou même raconter des anecdotes. L'analyse de ce travail amène à percevoir une partie de la dimension sociale actuelle de la classe populaire portoise, face à la problématique de la délinquance et de l'architecture.

Une enquête architecturale et urbaine : Dans un premier temps, par le parcours sensible et le parcours commenté. Puis par la rencontre du chef de projet rénovation urbaine au Port, Christophe Gaeremynck, et l'analyse des données qu'il m'a partagé. Enfin, par l'échange tenu avec l’anthropologue Emmanuel Souffrin, et l'analyse des documents dont il m'a fait part.

Nous tenterons de répondre à nos hypothèses, par l'observation des caractéristiques et défaillances urbaines, l'analyse esthétique des bâtis et de l'espace environnemental, des marques d'adaptation et d'appropriation des habitants, les traces de changements, les fonctions des espaces et leurs fréquentations. Le parcours sensible consiste à une analyse des formes et des identités architecturales et urbaines, des ambiances perçues, des arts de vies observés. Le relevé s'effectue par une récolte photographique, de croquis, d'un relevé d'occupations des espaces, et de notation des qualités spatiales et architecturales. Ce travail nous permettra également de comprendre de quelle manière le quartier est concerné par la rénovation urbaine et la réhabilitation urbaine du NPNRU, mais aussi comment la culture créole s’y est adaptée, et part quelle dimension elle peut devenir une ligne directrice de projet atténuant la délinquance.

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CHAPITRE III – ANALYSE DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN Les enquêtes réalisées à partir de l'étude du chapitre II, nous permettrons dans ce dernier chapitre III, de tenter de répondre à nos trois hypothèses évoquées en chapitre I. Pour rappel, les hypothèses sont : 1. Les formes architecturales et urbaines des quartiers prioritaires de la ville sont responsables d'émotions négatives perçues par les habitants. 2. Les identités architecturales et urbaines des quartiers prioritaires sont inadaptées à la culture et aux modes d'habiter de la population locale : Les habitants ont du mal à s'identifier à l’environnement bâti qu'ils sont contraints de fréquenter. Cette rupture omniprésente procure des malaises pouvant amener à la délinquance. 3. L'architecture et l'urbanisme des quartiers prioritaires sont «obsolètes » : Un milieu sans issue, qui n'évolue plus, semblable à un milieu à l'abandon, dont la régression semble constante. Vivre dans l'obsolescence sans avoir les moyens de s'en soustrair, placerait les habitants dans une position de frustration, jusqu'à rejeter cet environnement qui est le leur : car si le milieu obsolète a des répercutions sur l'habitant, il pourrait être à l'origine d'une décrépitude des comportements au cours du temps. Les réponses de ces trois approches se composent et s'appuient sur : •

L'analyse des résultats des entretiens semi-directifs : Quatre portois ont été sollicités et interrogés. Ce sont des hommes âgés de 23 à 37 ans, qui résident en « kaz à ter39 » et « kaz en ler40 » dans les différents lieux-dits de la « 1ere et 2eme couronne » depuis leur naissance, ou depuis une grande partie de leur vie. Dans le contexte de l'épidémie mondiale du COVID19, j'ai passé les deux premiers entretiens en appel-visio. Lors du dé-confinement, j'ai pu aller à la rencontre des portois pour le restant de l'enquête. Ce travail m'a permis d'identifier plusieurs éléments qui répondent en partie à nos hypothèses, mais aussi qui ouvrent à de nouvelles réflexions sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir à la fin de cette étude.

Le parcours commenté : Un ami portois qui a l'habitude de fréquenter régulièrement les

39 Kaz à ter : Maison social en béton, construite par les bailleurs sociaux. D'après la SIDR, l’habitation est petit et sans confort. C’est un modèle de référence pour la majorité de la population éligible à une logement social. 40 Kaz en ler :La verticalisation de l’habitat : L’immeuble d’habitation collectif par les bailleurs sociaux.

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différents coins de la ville, a accepté de me guider lors d'un parcours commenté dans tous les lieux-dits de la « 1ere et 2eme couronne ». J'ai ainsi pu effectuer un relevé photographique, dessiner des esquisses d'ambiances, et recueillir quelques informations propres au quartier, qui complètent l'analyse architecturale et urbaine. •

La rencontre de Christophe Gaeremynck : Directeur du projet de la rénovation urbaine et du renouvellement urbain du Port. Notre échange a surtout été orienté sur les projets du NPNRU41 qu'ils soient validés ou en cours de réflexion. Cette opportunité m'a permis de prendre connaissance des transformations futures de certains secteurs du quartier, qui ont la particularité d'être les plus impactés par des dysfonctionnements. Ces derniers qui ont été communiqués par les bailleurs sociaux, sont similaires à ceux identifiés précédemment dans notre étude. De plus, j'ai pu analyser les documents que m'a communiqué le directeur, qui répondent de manière statistique à nos hypothèses.

L'échange avec Emmanuel Souffrin : Anthropologue et directeur de ESOI. En plus d'avoir analysé son étude systémique de la délinquance au Port de 2017 et les autres documents qu'il m'a transmis, j'ai pu relever par notre dialogue, le regard critique de ce spécialiste, au sujet de la délinquance et de l'architecture au Port.

Enfin, nous conclurons par la réponse à la question qui a donné lieu à cette étude : « Dans quelles mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ? », avec une réflexion portée sur le rôle du métier de l'architecte.

41 NPNRU : Le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain

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III - A : HYPOTHÈSE 1 : LES FORMES ARCHITECTURALES ET URBAINES DES QUARTIERS PRIORITAIRES DE LA VILLE SONT RESPONSABLES D'ÉMOTIONS NÉGATIVES PERÇUES PAR LES HABITANTS Tout d'abord, je tiens à préciser que l'analyse qui sera exposée dans cette partie n'est qu'une analyse personnelle que je propose, des entretiens semi-directifs que j'ai mené. Pour répondre à cette hypothèse, j'ai cherché dans les discours ce qui me semblait témoigner du négatif, et j'ai relevé les propos qui revenaient les plus souvent, afin d'en tirer une analyse. III – A. 1. LE POSITIF À PARTIR DU NÉGATIF Pour commencer, j'ai pu remarquer qu'à plusieurs reprises dans chacun des discours, lorsque la personne s'exprimait sur le présent, de façon pessimiste ou optimiste, elle avait souvent recours au passé comme élément d'analogie. C'est à dire, que les habitants utilisent la comparaison d'une époque, pour appuyer leur propos sur les événements actuels : « mais maintenant ... » ; « car à notre époque ... » ; « … moins qu'avant » ; « … que quand j'avais 12 ans » ; « alors qu'avant c'était comme … » ; ou encore : « Il est devenu plus sécurisé, plus accueillant » qui laissent sous entendre qu'avant le quartier ne l'était pas ; sont des exemples relevés dans les discours qui illustrent cette remarque. Ces comparaisons discrètes, pourraient laisser paraître que le passé n'est pas à la hauteur du présent. Pour vérifier que les réflexions vont bien dans cette direction et non pas dans pas dans le sens contraire, donc vers le positif au lieu du négatif, nous allons vérifier les informations des propos qui font l'objet de comparaisons temporelles : « Maintenant, avec la pétanque le grand moun (l'ancien) peut jouer avec les jeunes ! » - Anonyme de la ZAC II. Ici, l'habitant témoigne que l'attractivité apportée par le boulodrôme favorise un échange inter-générationnel dans le quartier, qui semblait moins évidente avant sa présence. « … maintenant tu prends une moto, tu roules tranquille, y a personne qui va t'agresser, au Port surtout » - Anonyme 2. Cette citation laisse sous-entendre que les déplacements à l'heure actuelle semblent plus faciles qu'à une certaine époque.

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« Mon cousin il a bien embelli le quartier […] parce que quand par exemple j'avais 12 ans, les gens ils venaient pas trop dans notre quartier. Y avait des voitures brûlées, des voitures cassées » Anonyme 1 de l'Oasis. Cet exemple est plus complet dans la comparaison d'émotions de deux époques : il y a la dimension positive du présent avec le terme « embellir » et la négativité du passé avec le décors de la « voiture brûlée » et de la « voiture cassée ». Ainsi, nous pouvons supposer la présence d'une amélioration des cadres urbain et social, par rapport à ceux du passé. Ce sont donc des émotions positives qu'expriment ici les habitants, au sujet de leur quartier. III – A. 2. UN ENTHOUSIASME DU « CHEZ-SOI » QUI RÉ-ADAPTE L’ÉCHELLE DE LA VILLE En ce qui concerne les émotions évoquées par la forme urbaine et architecturale dans les discours, il a été question de l’échelle du Port et de la proximité des habitants. Dans chacun des entretiens, les portois ont cité que « Le Port c'est pas une ville, c'est un quartier ». Quelles émotions sont suscitées par la considération de la ville à l'échelle d'un quartier ? Le sentiment du « chez-soi » dans l'ensemble du territoire portois, et pas seulement autour de sa parcelle, pourrait s'expliquer par l'assimilation des nombreux repères spatiaux, et par la présence du fort tissu social qui lie les habitants, entre famille et lien d'amitié : « Le port, même si t'es nouveau, tu vas connaître du monde vite fait quoi ! Parce que tu vois souvent les mêmes personnes, tu connais qui était là, ce sont des familles qui sont là depuis des décennies ! » - Anonyme 2 de l'Oasis. Nous avons remarqué que les habitants sont très familiarisés à la ville par le travail de la carte participative. Ils ont été capables de déterminer des limites, les noms des lieux-dits, de citer quelques repères spatiaux pour appuyer leur certitude. Aucun espace de la ville n'a été oublié. De plus, il serait question de la proximité à grande échelle lorsque la personne habite à l’échelle de la ville. Ainsi, l'échelle du « chez-soi » qui s'étend sur tout le territoire portois, explique la comparaison et la considération de la ville comme étant un quartier. Les émotions positives qui se dégagent ici, se construisent à partir du sentiment de l'appartenance à

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un milieu, une forme de raison d'être créée par la symbiose entre l'habitant et son milieu de vie 42. Néanmoins, n'y a-t-il pas un avantage à la proximité justifié par la concentration de la population dans des secteurs moins étalés dans la ville ? Les logements collectifs abritant plusieurs familles, n'ont-ils pas permis un voisinage plus évident ? « Nous ici dans notre quartier on habite tous ensemble en fait. Moi par exemple j'ai 23 ans, mes parents ils ont grandi avec les parents de mes potes, comme les parents de mes potes ils ont grandi avec les parents de mes parents » - Anonyme 1 de l'Oasis. Cette citation connote la croyance d'une grande communauté portoise. Cependant, si la connaissance de la ville et des habitants permet d'étaler l'échelle du « chez-soi », il y a aussi la dimension de l'absence de sentiment d'insécurité : « … dans Le Port j'suis à l'aise partout » - Anonyme 1 de l'Oasis. Le non-rapport à l’insécurité est souvent ressorti dans les entretiens. Il n'y aurait aucune raison de se sentir en danger par un cadre architectural ou une organisation spatiale en particulier. Par contre cela peut éventuellement être le cas lors d'une situation de conflit par rapport à une personne. Cette certitude à la sécurité compléterait la dimension du « chez-soi » de la sorte : comme à la maison, le sentiment qu'il ne peut rien arriver, et que même si l'occasion se présente, le portois n'est jamais seul. L'habitant est rassuré par le sentiment de vivre au sein d'une grande communauté, peut être amplifié grâce à la forme urbaine finalement. III – A. 3. D'ATTACHEMENT ET D'ESPOIR Dans cette dernière analyse des émotions, j'ai pu relever des formulations dans les discours qui s'apparentent à « l'espoir ». En effet, les portois qui se considèrent enracinés au Port et fiers, cacheraient quelques lacunes derrière une volonté d'évolution, d'émancipation de la ville. Tout d'abord, c'est une population qui a connu une destruction de leurs habitats traditionnels à une certaine époque, dans la promesse de recevoir mieux par le plan d'urbanisation de la ville. Qu'ils soient restés au Port par attachement ou par dépit, une chose est claire : ils n'ont jamais vraiment quitté la ville et ne veulent pas en partir. On peut traduire cette décision par un grand attachement, ou par une forme de résistance :

42 Voir Chap. I – C. 1.

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« Quand j'suis pas au travail j'suis dans ma cité quoi. Parce que y a ma famille.. j'ai grandi là.. j'suis à l'aise dans ma cité. J'ai une autre maison tu vois à St pierre, j'habite à St Pierre aussi. Mais tu vois là j'suis au Port, parce que c'est là ma zone de confort » - Anonyme 1 de l'Oasis. « Au départ c'est mon quartier d'enfance on va dire. Je suis né là, j'ai grandi là jusqu'à 8 ans. Et je suis partie dans un autre quartier en bas, bin.. après avec la vie que j'ai mené on n'est revenu là. Le logement il est pas très grand, il est pas trop petit mais.. après c'est des logements qui datent pas d'hier non plus. C'est des logements qui ont bien au moins 30 ans ! Mais ça me plaît dans mon petit monde » - Anonyme de la ZAC II. Ces deux exemples illustrent le fait que ces personnes ne restent pas par résistance, mais bien par attachement. Pourtant, il y a bien une chose que les habitants ont tendance à blâmer : le souséquipement. Par la citation d'Emmanuel Souffrin : « La délinquance commence souvent dans les quartiers où il n'y a pas d'activité », je me suis penchée sur les formes d'occupation des portois relevées dans leurs discours. L'un d'eux, s'est donné les moyens d'aménager un parc pour enfant dans son quartier, proche de la gare routière. Il racontait que pendant son enfance, il n'y avait qu'un seul parc pour enfant dans toute la ville. Les jeunes avaient pris l'habitude d'errer le long des routes, de stades en stades, cherchant une occupation. Un autre a raconté que l'aménagement du boulôdrome a permis de favoriser les rencontres dans son quartier (vu plus haut). Puis un dernier, a exprimé entièrement son avis sur le manque d'attractivité qu'il sent : « Nous à la Réunion y a pas trop vraiment d'activités, y a pas vraiment des trucs bien pour les plus âgés tu vois ? Les plus de 20 ans […] Moi un truck qui serait bien à la Réunion, c'est tu vois en France il y a les bowlings là, y a des jeux, y a plein de trucs ! Ici il manque d'animation. Surtout au Port, y a rien au Port » - Anonyme de Maloya. Finalement, l'attachement et l'envie de l'amélioration de certains aspects de l'urbain, manifestent bien l'espoir qui anime les habitants. Les habitants qui résident au Port volontairement, ont conscience que des changements sont possibles. Pour cette fois, ce sont des émotions négatives qui tendent à être transformées, par le biais d'émotions positives que procurent les sentiments d'attachement et d'appartenance.

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III – A. 4. SYNTHÈSE Bien que les nouvelles formes urbaines et architecturales du Port ont pu procurer des émotions négatives, nos entretiens ont témoigné que les habitants semblent prendre le dessus sur les blessures du passé, par le biais de plusieurs stratégies. Les portois ont parlé des avantages du Port par les sentiments d'attachement qu'ils portent, pour le tissu social et pour le tissu urbain qu'ils connaissent bien. La perception de l'échelle de la ville est également remise en question : les habitants se sentent partout chez-eux, semblent se sentir proches et regroupés, ce qui favorise le sentiment d'appartenance à une communauté. Le manque de divertissement dans la ville qui a pu causer une un sentiment de déconnexion chez les habitants, semble petit à petit être traitée à l’échelle des petits quartiers, sous le rôle de l'espace public : des équipements sous plusieurs formes sont mis en place pour se rencontrer, s'occuper, ou échanger dans le quartier. Enfin, les émotions dégagées par les entretiens relèvent majoritairement du sentiment positif, mais c'est une valeur positive qui n'est que très récente : Les habitants seraient satisfaits d'un nouvel état d'esprit commun, qui pousse vers un changement d'image de la mauvaise réputation qu'a pu connaître la ville, mais aussi parce que qu'ils semblent persuadé d'un changement proche. Le Port a beaucoup changé depuis leur première occupation du territoire et ils ont la certitude qu'encore beaucoup de choses s’apprêtent à évoluer. La conclusion finale que l'on pourrait tirer dans ce travail d'analyse d'émotions des habitants à l'heure actuelle, serait que la diminution de la délinquance semble apparaître lorsque qu'il y a un espoir réel au changement vers le bien être d'une population, qu'il soit amené par les acteurs du changement urbain de la ville, ou par les actions des habitants eux-mêmes. Alors pourquoi ne pas travailler autour du bien être des habitant des le départ pour éviter la délinquance ?

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III - B : HYPOTHÈSE 2 : L'IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET L'URBAINE DES QUARTIERS PRIORITAIRES SONT INADAPTÉS À LA CULTURE ET AUX MODES D'HABITER DE LA POPULATION LOCALE III – B. 1. L'URBANISME ET L'ARCHITECTURE, CE QU'EN FONT LES PORTOIS Dans la partie précédente, force est de constater que les habitants se sont appuyés sur du négatif (du passé) pour produire du positif (du présent), nous pouvons y joindre la dimension de la « fierté identitaire » et de la « culture locale ». En effet, les portois témoignent de nos jours, d'une tendance à défendre leurs valeurs et leur identité, par la ré-adaptation de l'identité urbaine à leur identité sociale. Selon eux, ce n'est pas de leur faute si l'identité urbaine se maintient en rupture avec les habitants, car ils n'ont été que spectateurs du changement. La responsabilité de ce changement d'identité urbaine et architecturale, quelle soit acceptée ou non, dépendrait des bailleurs sociaux. La SIDR 43 a cité d'elle-même que l'élaboration de la « perspective d’évolution du quartier, est une vision pour le devenir du quartier et de son environnement » par le changement urbain et le changement du modèle de l'habitat (avec les constructions des Kaz à ter et des Kaz en ler)44. Puisque les habitants ne veulent quitter les lieux, sûrement pour toutes les raisons énoncées dans la précédente partie A ; ou qu'ils ne peuvent quitter les lieux selon la SIDR, qui cite que « l’immeuble d’habitation collectif est plus souvent vécu comme une nécessité par les réunionnais qu’un choix réel », les portois ressentiraient néanmoins le besoin de retrouver une identité urbaine qui leur correspond. Ainsi, ils souhaiteraient « inverser les rôles » : c'est à leur identité socio-culturelle de faire l'urbain et l'architecture, et non pas l'identité urbaine et architecturale actuelle d'influencer la leur. Plusieurs stratégies se déclinent, à commencer par le rejet de l'environnement urbain ou architectural, pour rendre évident certain dysfonctionnements. Cette série photographique prise en particulier autour de l'opération Émile Zola, dans la ZAC II, illustre la dégradation et l'incivilité urbaine :

43 SIDR (Société Immobilière de la Réunion), bailleurs sociaux 44 Etude sur la stratégie patrimoniale de la SHLMR, de la SIDR, de la SEMADER et la SEDRE au sein des quartiers du NPNRU

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Tableau 2: Via le parcours sensible dans la ZAC II : Dégradations des espaces extérieurs et des cheminements. Mauvais entretien de la propreté urbaine. Les images montrent qu'une identité urbaine décisive est en rupture totale avec l'usage qu'aimerait en avoir les résidents. Sur cette même opération, immeuble collectif de 255 logements et construit en 1987, la SIDR avait écrit que : « Malgré des qualités urbaines et architecturales, les espaces collectifs et publics ne sont pas aménagés et l’opération manque de profiter de son grand potentiel45 ». Or, nous pouvons remarquer sur cette même série photographique, qu'il n'est pas uniquement question d'espaces collectifs et publics manquants, mais qu'il est également question d'un manque de qualités urbaines et architecturales. D'autres exemples à ce propos sont observables dans les différents lieux-dits du quartier :

45 Ibid

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Illustration 8: Via le parcours sensible : différentes typologies de logements sociaux mais qui présentent des dysfonctionnements similaires. En effet, nous pouvons porter nos critiques sur les traitements de façades qui n'offrent aucune protection solaire, ce qui est primordial en zone chaude ; Aucune varangue ni terrasse n'est apparente, alors que ce sont des élément essentiels dans le plan du logement réunionnais ; Une stratégie de ventilation naturelle inexistante, car des éléments de brises-vues sont positionnés devant les ouvertures, et les typologies des bâtiment laissent difficilement deviner des ventilations traversantes possibles ; Des espaces extérieurs très minéraux, ce qui renforce la diffusion, ou la perception, de la chaleur ; Les rez-de-chaussés sont difficilement exploitables ; Le béton en matérialité reste un choix très critiquable en territoire réunionnais. Dans la convention du NPNRU, le diagnostic sur la sphère privée témoigne de l'apport d'une solution de moins bonne qualité par rapport à la culture réunionnaise : « Au niveau de la parcelle individuelle, la tendance est à l’imperméabilisation des sols et à la fermeture en dur des limites qui

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remplacent les haies fleuries dans le prolongement des jardins créoles. Les cours privées ellesmêmes cèdent leur nature végétalisée à des aires bétonnées, ou bien sont englouties par les extensions à l’horizontale. Ce type de développement génère un étouffement qui contribue fortement à la vétusté des logements (pièces aveugles, humidité, absence de ventilation, absence de porosité des sols et de gestion des eaux pluviales). Ainsi, des cases de bonne facture peuvent être concernées par des problématiques thermiques majeures (problématiques de confort / notion d’insalubrité climatique/ épaves thermiques). »

Illustration 9: Croquis, Bâtiment nord de Emile Zola, ZAC II, le Port Par ce croquis que j'ai effectué lors du parcours sensible, on peut observer que la place de la voiture pour les habitants est une vraie question puisqu'elles stationnent de façon informelle : les rochers devraient bloquer l'accès aux véhicules, qui sont pourtant garée en face des rez-de-chaussées. De plus, au sein de ce bâtiment même, j'ai pu remarquer que certains habitants se sont appropriés de façon anodine, les espaces de circulation :

Illustration 10: Le linge est étendu dans la coursive : privatisation de l'espace collectif

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Nous sommes encore dans l'appropriation des espaces, avec une prise du dessus par les modes de vie. Dans l'instant d'après, j'ai remarqué que des enfants jouaient sur un des parkings d'Emile Zola. Il y a un stade de foot pas loin, mais celui-ci se situe à la rencontre de trois secteurs : ZAC I, Rico Carpaye et ZAC II. Les enfants regroupés sont trop nombreux pour laisser place aux plus jeunes. Ces derniers ont alors décidé de jouer sur le bitume, entre les voitures cassées ou abandonnées. Ici, il serait question de la place des jeunes dans les espaces extérieurs du quartier.

Illustration 11: Via le parcours sensible : les jeunes de quartier se divertissent en fin d'après midi, un jour de semaine. Ensuite, j'ai pu relever de nombreux de signes qui s'apparentent à un marquage de territoire, comme tag avec les noms des lieux-dits, comme « Titan », « ZAC II », « ZAC I », « ZUP », et d'autres. Je lie cette remarque à cette étude car je trouve que ces inscriptions témoignent d'une revendication identitaire à un milieu urbain. Ce n'est pas un phénomène que l'on retrouve fréquemment dans des quartiers bien entretenus par les collectivités, ou dans les quartiers plus aisés.

Illustration 12: Exemple de délimitation du territoire : Le "II" a été ajouté de façon informelle

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Pour finir, les espaces publics ou collectifs extérieurs des immeubles semblent avoir été oubliés, car plusieurs indices évoquent la nécessité de leur présence : Des hommes s'assoient sur des chaises au bord de la route, des personnes âgées sur les bas murets, des mères au bord des trottoirs à l'ombre d'un arbre discutent. Les rares placettes disponibles ne bénéficient ni d'ombre, ni de mobilier urbain. Un entretien semi-directif a également ressorti qu'« il faut penser aussi aux jeunes du soir. Y a des gens qui ne dorment pas la nuit […] combien de jeunes ils fument la chicha dehors, après les gendarmes viennent les interpeller. » - Anonyme 1 de l'Oasis. Les habitants rechercheraient cruellement des endroits avec des réelles qualités d'espaces publics, et collectifs. Il semble presque absurde de ne pas avoir pensé à ces équipements au vu des modes de vie réunionnais. Les habitants vivent autant en extérieur qu'en intérieur. Par exemple, la varangue de la case kréole est un véritable espace de vie de l'habitat. Par ces relevés nous pouvons déduire que les portois tendent à fonctionner à l'encontre de l'identité urbaine et architecturale présente. Ils font abstraction des limites des espaces, du bon entretien, et créent leurs propres espaces collectifs et publics. III – B. 3. UNE RECONSTRUCTION DE L'IDENTITÉ ARCHITECTURALE ET URBAINE EN COURS La plupart des portois rencontrés dans l'enquête sociale sont propriétaires et heureux de l'être. Christophe Gaeremynck m'a expliqué que le droit d'achat des logements locatifs peut prendre effet après plusieurs années de versement du loyer aux bailleurs sociaux, et que le cumul de ces loyers équivaut la valeur du logement. Donc les propriétaires ne sont pas forcément ceux qui disposeraient des moyens d'achat sans l’existence de cette possibilité. Devenir propriétaire permettrait de récupérer le droit/pouvoir de réhabilitation du logement, ce qui donne la liberté d'exprimer son identité et ses besoins, comme l'a fait un des portois rencontré avec sa « kaz a ter » : « Après l'agrandissement c'est fait comme il convient tu vois ? Nous on a fait une terrasse ! » Anonyme 2 de l'Oasis. En suite, j'ai pu constater grâce au parcours sensible, des embellissements sur les pignons des grandes unités d'habitation : des fresques sur toute une façade aveugle, effectuées par des professionnels graffeurs réunionnais. Le message qui peut être véhiculé, c'est qu'on aurait préféré

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voir de l'art plutôt que le reste. Des associations, et des acteurs culturels et artistiques se seraient donnés les moyens, en accord avec la municipalité, d'embellir l'image de urbain, afin de le rendre plus acceptable, ou même plus familier. Ces actions de plusieurs associations sur le quartier, sont des exemples qui expriment la motivation de la valorisation de l'urbain. Elles ont fait l'objet de l'opération « Ville Musée sur les façades des logements collectifs portois 46».

Illustration 13: Via le parcours sensible : exemples de pignons embellis.

46 Convention pluriannuelle de renouvellement urbain relative au NPNRU BOLON Le Port.

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III – B. 3. SYNTHÈSE L'analyse urbaine, architecturale et sociale que nous avons mise en œuvre pour répondre à cette deuxième hypothèse, démontre que l'identité architecturale et urbaine du quartier prioritaire est inadaptée à la culture réunionnaise, et aux modes de vies de la population portoise. En effet, mises à part que les qualités architecturales et urbaines reflètent clairement une occupation sociaux-économiques difficile, les éléments qui les composent ne répondent pour autant ni à une identité locale, ni à des principes bioclimatiques. D'une certaine façon, le confort des occupants aurait été négligé par l'in-considération des questions primordiales à la conception d'un projet de « bien être ». Ces choix qui révèlent les directives de l'apport du strict nécessaire et de l'urgence du logement, laissent apparaître des dysfonctionnements absurdes au fil du temps. Cependant, les espaces extérieurs du quartier posent de réelles questions en terme de qualités environnementales, par l'observation des usages qu'en font les habitants. Ceux-ci ne prendraient même plus en compte la nature des éléments urbains initiaux. L'appropriation irait même jusqu'aux marquages des territoires par des codes, des signes, ou des inscriptions dans l'espace urbain. Enfin, les habitants s'investissent dans le quartier et veulent l'embellir, ce qui laisse sous entendre qu'il n'était pas à la hauteur de leurs critères d'acceptation, ou pas assez adapté à leurs attentes. Les usagers qui n'ont pu trouver de manières à s'identifier à l'identité architecturale et urbaine, chercheraient à ce que celui-ci s’identifie à eux, de sorte à créer une symbiose, et donc un dialogue cohérent entre le quartier et l'habitant. C'est ainsi qu'ils s'autorisent de prendre la liberté d'y parvenir ensemble.

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III - C : HYPOTHÈSE 3 : L'ARCHITECTURE ET L'URBANISME DES QUARTIERS PRIORITAIRES SONT «OBSOLÈTES » Pour répondre à cette hypothèse sur l'obsolescence, j'ai relevé certains aspects des documents qui se référent aux projets de rénovations et de renouvellement urbain, qui comprennent d'une partie du terrain d'étude. Je me suis également appuyée sur les conversations entretenues avec Christophe Gaeremynck et Emmanuel Souffrin, et sur quelques analyses d'entretiens semi-directifs. III – C. 1. LA DÉGRADATION NON-TRAITÉE A ACCÉLÉRÉ L'OBSOLESCENCE « Il est anormal que la dégradation du logement soit quasi totale pour s’intéresser à une rénovation » - Emmanuel Souffrin Bien que nous ayons observé que les bâtis et que les espaces urbains des quartiers prioritaires sont victimes de nombreuses dégradations, et qui ne datent pas d'aujourd'hui, nous pouvons porter un regard critique sur la question de l'entretien des lieux. Selon Christophe Gaeremynck, il y a un réel manque de réactivité de la part des bailleurs sociaux, lorsque des réparations, des nettoyages, ou améliorations sont à apporter dans les opérations de logements sociaux. Ce retard ou cette absence d'un entretien vigilant de environnement spatial, ont fait l'objet de plusieurs constats : le quartier devient rapidement obscène, repoussant, avec une impression de laissé à l'abandon. C'est un fait qui a également été évoqué dans le discours des habitants : « Tu vois à St Denis ils peuvent pas laisser les ronds points comme ça alors qu'ici ils laissent les ronds points comme ça tu vois » - Anonyme 1 de l'Oasis « Seulement pour moi il manque un peu d'entretien de l'espace vert ... il manque des emplois pour nettoyer ! Nettoyer la cité quoi […] Faut un vrai entretien ! […] C'est pas que la route principale ... ils regardent même pas les coins » - Anonyme de la ZAC II Selon Emmanuel Souffrin, ce qui crée de la délinquance « ce n'est pas le niveau de pauvreté, ni le logement social, c'est le non-entretien des lieux ». Nous avons ici un aspect que nous n'avons pas relevé dans nos études littéraires, et qui pourrait faire objet d'obsolescence des lieux, pouvant amener à la délinquance. Si l'entretien est connoté comme le fait de « donner de la considération », ou de « préserver une valeur/fierté », alors l'in-entretien amènerait à ces contraires. 71


De plus, cet anthropologue a évoqué que « l'incivilité non traitée va toujours créer de l'incivilité. Donc il faut réparer rapidement car sinon il y a une considération que l'espace est dégradable et abandonné. Il faut redonner la valeurs des endroits aux gens ». A ce même propos, nous pouvons raccorder le constat que non seulement une dévalorisation est créée envers les habitants, mais aussi qu'il entraînerait une accélération de l'obsolescence des bâtiments. III – C. 2. DES DIAGNOSTICS DE L'OBSOLESCENCE... VERS LA RÉNOVATION URBAINE

Carte 7: Projets de démolition dans le périmère ANRU, le Port En effet, trois autres opérations après celle de Herbert Spenser, font l'objet de démolition par l'ANRU. Nous analyserons ici, si l'obsolescence est la cause de ces nouvelles démolitions. L'opération « Port 15 » sont des immeubles sociaux de 85 logements construits en 1967, et appartiennent à la SIDR. Cette dernière informe que : « Malgré une implantation urbaine avantageuse et de larges espaces disponibles au sol, les espaces collectifs et publics manquent de définition. Ces grands espaces n’ont pas été aménagés depuis la construction de l’ensemble », c'est à dire depuis plus de cinquante ans. Elle ajoute également que « les habitants ont fait part du

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manque de sécurité au sein de l’opération », lors des enquêtes menées par ESOI47 . Parmi les raisons de la démolition énoncées par la convention NPNRU, nous retenons pour cette étude la « faible qualité architecturale, de l’état de son bâti (avec la présence d’amiante identifiée dans les logements) » et « de sa faible emprise au sol (les bâtiments occupent 16% de la parcelle) »48. Les diagnostics indiquent que sont retrouvés « quelques extensions parasites au RDC », « un enclavement social et urbain » et que l'état de l'immeuble est « mauvais ». Selon la SIDR, la moitié des ménages ont déclaré que leur logement présente au moins un défaut de confort, par la présence d’humidité sur les murs pour 40 % d'entre eux, des infiltrations d’eau pour 14 %, et des problèmes d’évacuation d’eau pour 6 % :

Graphique 1: Par de logement comportant des défauts de confort. Source : SIDR L'opération Rico Carpaye a été réalisé dans les années 1990. Il sera question d'une démolition partielle, puisqu'elle concerne 114 logements sur les 196 que compte aujourd’hui l’opération. La démolition est nécessitée face à « l’état très dégradé du bâti ». La partie de l’opération non démolie fera l’objet d’une réhabilitation49. De nos jours, cette opération collective est une escale pour les habitants à bas revenus, en situation de file d'attente, prenant en patience la chance d'être relogé par un bailleur social. Les gens ne voudraient pas rester trop longtemps dans cet immeuble, qui a déjà fait l'objet de plusieurs critiques, comme ces exemples cités par Christophe Gaeremynck : une mauvaise réputation de l'opération, des espaces traités comme des décharges publiques, la présence de zones de squat, des logements difficiles à rénover, un entretien des lieux peu fréquent par les services responsables, une présence 47 Etude sur la stratégie patrimoniale de la SHLMR, de la SIDR, de la SEMADER et la SEDRE au sein des quartiers du NPNRU – Port XV 48 Convention pluriannuelle de renouvellement urbain relative au NPNRU Le Port, 2019 49 Ibid

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de réseaux de trafiquants dans le parking sous-terrain, des jardins individuels qui demandant un entretien aux résidents qui n'en ont pas les moyens, des terrasses infréquentables qui ne sont pas protégées du soleil, ... Ce projet de logements sociaux est un exemple parmi ceux qui fonctionnent le moins au Port, mais qui n'est pas forcément le lieux où se concentre le plus la délinquance. Au delà de ces projets de démolitions, les bailleurs sociaux ont dû diagnostiquer dans le cadre de l'élaboration de projet de renouvellement urbain, les dysfonctionnements des secteurs sud du quartier prioritaire « 1ere et 2eme couronne » : Ariste Bolon et la SIDR Haute, qui sont des secteurs où nous avons identifié le plus d'atteintes à la paix publique précédemment. Les dysfonctionnements pertinents à cette étude, sont : •

« Une population pauvre, vieillissante et qui diminue : La décroissance de la population depuis 2014 concerne la perte des plus jeunes et des actifs en premier lieu, entraînant un fort vieillissement (17% ont plus de 60 ans). De plus, 59% sont des ménages avec enfant qui gagnent moins de 833€ par mois.

Un habitat très dégradé : Dont le périmètre était à l’origine presque entièrement constitué d’opérations de logements locatifs sociaux construits entre 1966 et 1998. Les enquêtes Habitat/Familles et les études sur le patrimoine des bailleurs montrent un état général du bâti assez dégradé. En ce qui concerne l’habitat individuel, 27% des logements doivent faire l’objet d’intervention lourde d’amélioration ou être démolis et 33 % d’amélioration moyenne. Pour l’habitat collectif, moins de 15% des logements sont en bon état alors que 54% sont considérés en mauvais état.

Des équipements de proximité à reconsidérer : Le quartier ne bénéficie pas d’équipements attractifs en son sein. En revanche, les équipements publics de la ville en dehors du quartier restent nombreux et facile d'accès. Le quartier manque d’équipements dédiés aux associations, à la petite enfance et aux jeunes.

Des espaces publics à qualifier : A part quelques opérations clôturées, l’ensemble du quartier est ouvert et perméable, constitué de nombreux espaces libres, interstitiels, mais aussi de vestiges d’espaces publics définis. Les espaces publics « internes » sont souvent peu entretenus et peu investis. Ils accueillent souvent des concentrations d’épaves de véhicules, des dépôts sauvages. La tendance à l’imperméabilité des sols ne participe pas à la 74


qualité des espaces et entraîne des dysfonctionnements hydrauliques en cas de forte pluie. Ponctuellement, des appropriations spontanées qualitatives, telles des plantations, des potagers ou encore salons d’extérieur, font discrètement émerger une figure identitaire qui pourrait devenir une signature du quartier 50». Qu'importe les objectifs du renouvellement urbain, le diagnostic illustre un message clair : il y a de l'obsolescence dans le quartier. Pourtant, deux tiers du parc de logements sociaux dans le secteur d'Ariste Bolon et SIDR ont moins de 20 ans51, ce qui indique que la mutation urbaine s'effectue de façon rapide. Si l’obsolescence avait déjà été prise en compte dans les actions et décisions du relogement d'urgence, alors peut-on affirmer que l'impact négatif a été assumé, en vue d'une prospective vers la rénovation urbaine ? III – C. 3. SYNTHÈSE L'obsolescence dans le quartier a été identifiée dans notre enquête suivant deux constatations qui semblent se suivre l'une l'autre. D'une part, la négligence vis à vis de l'entretien serait la marque d'un début d'obsolescence dans le quartier. Les habitants peuvent se sentir abandonnés, à défaut de trouver aucune opportunité de bien être, ou de quelconques avantages pouvant compenser les malaises, que peuvent procurer l'habitat obsolète. Puis, le manque d'entretien qui accélérerait l'arrivée d'une dégradation plus conséquente, peut être le début du cycle de l'obsolescence du bâtiment. Lorsque la dégradation est trop importante pour une qualité de vie censée, la rénovation urbaine et architecturale intervient comme solution de renouveaux. L'architecture et l'urbanisme du quartier prioritaire sont en partie obsolètes, et donc peuvent véhiculer des malaises provocant de la délinquance. Cependant, cette obsolescence ne serait-elle pas une stratégie maîtrisée, donc une délinquance assumée, au vu de la rénovation urbaine mise en place ?

50 Convention pluriannuelle de renouvellement urbain relative au NPNRU BOLON Le Port, 2019 51 Etude sur la stratégie patrimoniale de la SHLMR, de la SIDR, de la SEMADER et la SEDRE au sein des quartiers du NPNRU

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CONCLUSION GÉNÉRALE Cette étude qui questionne la délinquance urbaine et l'architecture, démarre d'un constat observé à la métropole et sur l'île de la Réunion : les violences urbaines sont originaires d'environnements qui renferment plusieurs types de malaises. Les grands-ensembles ont été la réponse rapide et économique face à l'urgence de la crise du logement, quel que soit ces territoires. Ce sont dans ces milieux urbains, qu'ont été observés pour les premières fois les émeutes urbaines. Ces phénomènes véhiculent un message clair : des malaises sont présents dans les quartiers concernés par des difficultés socio-économiques. Notre étude spécifiée sur l'architecture, s'interroge sur la question de ces malaises qui produisent de la délinquance et leur rapport avec le contexte architectural et urbain, par la problématique de départ : Dans quelles mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ? Ainsi, par une revue de littérature, nous avons étudié plusieurs axes : La délinquance peut naître d'accumulation de malaises ; L'architecture peut véhiculer des émotions négatives ; L'identité architecturale et urbaine en rupture avec l'habitant peut procurer des malaises ; Vivre l'architecture obsolète peut amplifier les malaises. Les trois hypothèses résultantes à cette recherche, ont eu pour objectifs de déterminer si oui ou non, l'identité architecturale et urbaine du quartier prioritaire est propice à la délinquance. Pour se faire, nous avons élaboré une enquête de terrain sur le territoire réunionnais, scindée en deux dimensions : une enquête sociale dans un premier temps, et architecturale et urbaine dans un second. La dimension sociale est essentielle, car la problématique porte une perception des sentiment des habitants, alors que la dimension architecturale et urbaine questionne le décor spatial subi par les habitants. Le déroulé de notre enquête est le suivant : Dans un premier temps, nous avons repéré un environnement commun aux cas métropolitains étudiés et où a été observé la délinquance urbaine : un quartier prioritaire de la ville du Port. Ensuite, j'ai mené sur ce terrain d'enquête, des entretiens semi-directifs avec les habitants, des rencontres des acteurs, un parcours sensible, et l'analyse de documents qui ont servi de sources à

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cette étude. Finalement, nous avons analysé les résultats des enquêtes. Ceux-ci nous ont révélé que dans le quartier prioritaire, l'identité architecturale et urbaine aurait d'une part provoqué des émotions négatives dans le passé. Les habitants ont maintenant un espoir de changement, et témoignent ainsi d'émotions positives. D'autre part, l'identité architecturale et urbaine est en rupture avec l'identité locale, ce qui crée des dysfonctionnements pouvant amener au rejet de celle-ci. L'appropriation et l'embellissement sont des indices qui amènent à constater, que l'habitant essaie d'adapter l'environnement spatial dans lequel il vit, pour mieux l'accepter. Nous avons ainsi affirmé qu'il y a eu et qu'il y a toujours une rupture entre les identités architecturale et urbaine et les habitants, mais qu'il est sujet aujourd’hui de transformation. Enfin, l'obsolescence a été observée à la base d'un manque d'entretien fréquent, de l'incivilité, et des dégradations précoces. Peut être que si ces quartiers avaient été mieux considérés, l'obsolescence n'aurait pas été aussi conséquente et déterminante qu'elle est aujourd’hui. Cela aurait pu éviter l'aggravation de la délinquance. Cependant, nous avons remarqué une spécificité : les gens veulent rester, et semblent ne ressentir aucune frustration quant à une éventuelle ségrégation sociale. Néanmoins, ils vont dégrader ce qui ne correspond pas à leur mode de vie, ou à leur culture, et qu'ils ne peuvent pas adapter eux même. Finalement, apporter une architecture qui ne considère pas l'identité des futurs usagers, peut provoquer de la délinquance si d'autres malaises rentrent également en jeu. Les gens ne sont pas délinquants de nature, ils sont prêts à produire du positif et démontrer de l'enthousiasme. Cette enquête a permis de dégager des axes de réflexions, pour les progrès que l'architecte devrait accomplir, face à une délinquance naît en partie d'un défaillance architecturale et urbaine.

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« Construire, c'est faire en sorte qu'un pays soit habitable à la fois par les riches et les pauvres, les musulmans et les chrétiens, les propriétaires et des locataires, les adultes et les enfants ; c’est faire en sorte que les régions, les localités, les responsables et les entreprises s'entre-croisent dans un tissu continu et qu'un ordre moral commun apparaisse comme allant de soi. » - Marwa Al-Sabouni, Architecte

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ENTRETIENS Anonyme 1, résident du secteur Maloya, Le Port – Appel visio le 8 avril 2020. Anonyme 2, résident du secteur de l'Oasis, Le Port – Appel visio le 22 avril 2020. Anonyme 3, résident du secteur de l'Oasis, Le Port – Entretien en présentiel le 14 septembre 2020. Anonyme 4, résident du secteur ZAC II, Le Port – Entretien en présentiel le 16 septembre 2020. GAEREMYNCK Christophe, chef de projet ANRU au Port – Entretien en présentiel en novembre 2020. LEFEBVRE Maxence, architecte en chef de l'agence URBAN Architectes, Le Port – Entretien en présentiel en décembre 2019. SOUFFRIN Emmanuel, anthropologue et directeur de ESOI – Appel téléphonique en novembre 2020.

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INDEX DES ILLUSTRATIONS INDEX DES ILLUSTRATIONS Image de couverture : Photographie capturée dans le secteur de la ZUP, le Port, 2020. © Mika SAUTET Illustration 1: Destruction d'une tour des Minguettes, 1983: © Ahmed Benhamoud / IM'mdéia : https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1999_num_1217_1_3271.......................................................15 Illustration 2: Intervention des forces de l’ordre dans le quartier Monmousseau à Vénissieux en 1981 : © Maxppp / BEP/LE PROGRES : https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-22juin-2017 .......................................................................................................................................................18 Illustration 3: Les grands-ensembles comme forme urbaine : Sarcelles, l'année 1960 : © AFP : https://www.franceculture.fr/sociologie/sociologie-Chamboredon-mort........................................................21 Illustration 4: Paillotte au Port, vers 1950 : Dans LEVENEUR Bernard (2009), 60 ans de culture urbaine. Île de la Réunion : SIDR......................................................................................................................................22 Illustration 5: À gauche : une vue aérienne sur les logements de la SIDR au Port, vers 1965 : Dans LEVENEUR Bernard (2009) 60 ans de culture urbaine. Île de la Réunion : SIDR. À droite : La cité Herbert Spencer, un "bidonville moderne", le Port en 2013. © IPR : https://reunion.orange.fr/actu/reunion/le-port-cite-herbert-spencer-un-bidonville-moderne.html...................24 Illustration 6: Mémorial de l’Holocauste à Berlin par Eisenman Architects, 2005 : https://eisenmanarchitects.com/Berlin-Memorial-to-the-Murdered-Jews-of-Europe-2005.............................36 Illustration 7 : Premier lotissement au Port en 1953 : Dans LEVENEUR Bernard (2009) 60 ans de culture urbaine. Île de la Réunion : SIDR...................................................................................................................43 Illustration 8: Via le parcours sensible : différentes typologies de logements sociaux mais qui présentent des dysfonctionnements similaire : © Mika SAUTET..........................................................................................67 Illustration 9: Croquis, Bâtiment nord de Emile Zola, ZAC II, le Port : © Mika SAUTET...........................68 Illustration 10: Le linge est étendu dans la coursive : privatisation de l'espace collectif : © Mika SAUTET..68 Illustration 11: Via le parcours sensible : les jeunes de quartier se divertissent en fin d'après midi, un jour de semaine. : © Mika SAUTET.........................................................................................................................69 Illustration 12: Exemple de délimitation du territoire : Le "II" a été ajouté de façon informel : © Mika SAUTET.........................................................................................................................................................69 Illustration 13: Via le parcours sensible : exemples de pignons embellis. : © Mika SAUTET......................71

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TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES AVANT-PROPOS................................................................................................................................7 INTRODUCTION..............................................................................................................................8 Dans quelles mesures la délinquance urbaine peut-elle être le syndrome d'un malaise engendré par l'identité architecturale et urbaine ?.............................................................8 Problématique....................................................................................................................8 Une méthodologie de recherche basée sur une enquête de terrain..................................10 CHAPITRE I – PROBLÉMATIQUE À PARTIR D'UNE REVUE HISTORIQUE..................12 I - A : LA CRISE DU LOGEMENT, LES RETOMBÉES NÉGATIVES SUR LES HABITANTS.....................12 I – A. 1. Violences urbaines en banlieue lyonnaise dès 1981..........................................12 Paradoxe......................................................................................................................15

I – A. 2. Grands-ensembles, forme urbaine et forme sociale...........................................17 Formes urbaines..........................................................................................................18

I – A. 3. La Réunion, entre modes de vie et nouvelles formes urbaines.........................20 I – A. 4. Analyse : La forme urbaine et architecturale comme déterminant commun à la métropole et à la Réunion................................................................................................23 I – B . ÉTUDIER LES DÉTERMINANTS DE LA DÉLINQUANCE........................................................24 I – B. 1. La délinquance...................................................................................................24 Les malaises................................................................................................................26

I – B. 2. L’identité architecturale et urbaine....................................................................28 Ségrégation urbaine.....................................................................................................29

I – B. 3. Le reflet de la délinquance urbaine par l'identité architecturale et l'urbaine.....31 I – C. L'ARCHITECTURE PEUT ÊTRE UNE SOURCE DE MALAISES................................................33 I – C. 1. L'architecture procure des émotions..................................................................33

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I – C. 2. L'obsolescence en architecture..........................................................................36 I – C. 3. L’architecture anti-culture..................................................................................37 I – C. 4. En conclusion : La délinquance urbaine a un lien avec l’identité architecturale et urbaine.........................................................................................................................38 CHAPITRE II - MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE DE TERRAIN....................................40 II – A. ÉNONCÉ DU TERRAIN D'ENQUÊTE...................................................................................41 II – A. 1 . Le Port, une commune constituée majoritairement de quartiers prioritaires. .41 Historique....................................................................................................................41 De nos jours................................................................................................................43 Constat de la délinquance............................................................................................44

II – A. 2 . La « 1ERE et 2EME couronne », un quartier prioritaire du Port comme terrain d'enquête..........................................................................................................................47 II - B. ÉTAPES D’ÉLABORATION DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN.......................................................50 II – B. 1. La carte participative........................................................................................50 II – B. 2. Les plans d'enquête : entretiens semi-directifs et analyse architecturale et urbaine.............................................................................................................................52 CHAPITRE III – ANALYSE DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN .................................................56 III - A : HYPOTHÈSE 1 : LES

FORMES ARCHITECTURALES ET URBAINES DES QUARTIERS

PRIORITAIRES DE LA VILLE SONT RESPONSABLES D'ÉMOTIONS NÉGATIVES PERÇUES PAR LES HABITANTS..................................................................................................................................58

III – A. 1. Le positif à partir du négatif............................................................................58 III – A. 2. Un enthousiasme du « chez-soi » qui ré-adapte l’échelle de la ville..............59 III – A. 3. D'attachement et d'espoir................................................................................60 III – A. 4. Synthèse..........................................................................................................62 III - B : HYPOTHÈSE 2 : L'IDENTITÉ

ARCHITECTURALE ET L'URBAINE DES QUARTIERS

PRIORITAIRES SONT INADAPTÉS À LA CULTURE ET AUX MODES D'HABITER DE LA POPULATION LOCALE......................................................................................................................................63

III – B. 1. L'urbanisme et l'architecture, ce qu'en font les portois...................................63 86


III – B. 3. Une reconstruction de l'identité architecturale et urbaine en cours................68 III – B. 3. Synthèse .........................................................................................................70 III - C : HYPOTHÈSE 3 : L'ARCHITECTURE ET L'URBANISME DES QUARTIERS PRIORITAIRES SONT «OBSOLÈTES »............................................................................................................................71 III – C. 1. La dégradation non-traitée a accéléré l'obsolescence.....................................71 III – C. 2. des diagnostics de l'obsolescence... vers la rénovation urbaine......................72 III – C. 3. Synthèse ........................................................................................................75 CONCLUSION GÉNÉRALE..........................................................................................................76 BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................................79 Ouvrages.....................................................................................................................79 Articles scientifiques...................................................................................................80 Cours...........................................................................................................................81 Sites web.....................................................................................................................81 Entretiens....................................................................................................................83 Index des illustrations.................................................................................................84

TABLE DES MATIÈRES................................................................................................................85 RÉSUMÉ...........................................................................................................................................89

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RÉSUMÉ Ne vous êtes vous jamais posé la question, de l'impact que pourrait avoir un contexte architectural et urbain qui ne vous satisfait pas, et que vous êtes contraint de subir pour une durée indéterminée ? L'architecte est en partie responsable des apparences spatiales du milieu que nous habitons. Si vous étiez architecte, quelle architecture imagineriez-vous, pour un lieu qui procure des émotions négatives ? Auriez vous songé à la possibilité de créer des environnements propices à la délinquance urbaine ? Cette étude, qui questionne le lien entre architecture et délinquance urbaine à la Réunion, est une enquête sur les émotions que peuvent procurer l'architecture sur l'usager, sur l'identité architecturale et urbaine d'une ville fragilisée, et sur l'obsolescence d'un quartier prioritaire, qui pourraient être des facteurs aggravant de malaises. La délinquance urbaine comme syndrome de malaises, révèle une rupture entre les habitants et leur « chezsoi ». Dans cette course que représente la conquête du bien être, dans quelles mesures l'identité architecturale et l'urbaine pourrait-elle engendrer des malaises, provoquant de la délinquance urbaine ?

ABSTRACT Have you ever wondered about the impact of an architectural and urban context which does not satisfy you, and which you are forced to endure for a period of time that you do not know ? The architect is partly responsible for the spatial appearances of the environment we inhabit. If you were an architect, what kind of architecture would you imagine for a place that gives you negative emotions ? Would you have thought about the possibility of creating environments conducive to urban delinquency ? This study, which questions the link between architecture and urban delinquency in Reunion Island, is an investigation into the emotions that architecture can bring out in the user, on the architectural and urban identity of a fragile city, and on the obsolescence of a priority neighbourhood, which could be aggravating factors of discomfort. Urban delinquency, as a syndrome of discomfort, reveals a rupture between the inhabitants and their « home' ». In the race to conquer well-being, to what extent could architectural identity and the urban environment

lead

to

discomfort

leading

to

urban

delinquency ?


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