Bernard milène mémoire de fin d'étude 2014

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Maisons individuelles modernes :

Etude comparative entre la ÂŤgrandeÂť architecture et les maisons nancĂŠiennes.





Maisons individuelles modernes :

Etude comparative entre la «grande» architecture et les maisons nancéiennes. Milène BERNARD

MASTER II ENCADREMENT 2014

Mémoire de fin d’étude Nadège BAGARD, Anne-Marie Crozetière Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy



Remerciements Je tiens sincérement à remercier mes professeurs référents, Anne-Marie CROZETIERE et Nadège BAGARD, pour leur encadrement et leur confiance. Je souhaite également remercier les propriétaires des maisons, d’avoir accepté de m’ouvrir leur porte et de m’avoir accordé de leur temps. Enfin, je remercie toutes les personnes qui ont, de près ou de loin, contribué à l’écriture de ce mémoire et m’ont apporté leur soutien.



Sommaire 5 11 29 47

Introduction Maison Rosenbaum de Frank Lloyd Wright Maison Gropius de Walter Gropius Maison Bailey de Richard Neutra

67 87 107

Maison de Claude Baudoin Maison de Henri Prouvé Maison de Raphaël Oudeville

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Conclusion Bibliographie Crédits photographiques

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Introduction La notion d’abri est à l’origine de l’architecture. L’homme, par besoin de protection, a cherché instinctivement des grottes ou comment faire tenir des branches d’arbres serrées au-dessus de sa tête. Cet acte premier de construction fait naître alors la conscience de l’intériorité, s’opposant à l’extérieur : c’est là qu’est la maison. Plus qu’un abri, elle est notre intérieur, un refuge vers lequel on se replie inlassablement. Extension de nous-même, elle nous voit naître. En sécurité en son sein, notre maison est tout notre univers au début de notre vie, c’est de là que l’on peut observer les phénomènes extérieurs. C’est ainsi, qu’une fois propulsé au dehors, le retour à la maison pour se ressourcer reste instinctif chez l’homme. Quoi de plus normal alors, en ayant entamé des études d’architecture, que de vouloir s’intéresser de plus près à cette substance à l’origine de notre métier ? En ce qui concerne mon propre parcours d’étudiante, c’est le sentiment d’être passée à côté d’une expérience importante qui m’a poussée vers ce sujet d’étude. En Hutte primitve, LAUGIER Marc-Antoine. 1763

effet, je n’ai que très peu étudié l’habitat individuel, ses caractéristiques, qualités et limites durant mon programme de ces cinq années. Mais c’est le propre de tout étudiant en architecture et de tout architecte, que de devoir être curieux et de ne cesser de s’intéresser, s’instruire, dans le but de compléter continuellement ses connaissances et améliorer son travail.

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Ainsi, ce mémoire n’est pas une réponse standard appor-

tée à un questionnement figé. Il n’est pas non plus un aboutissement. Bien au contraire, il se positionne comme étant un recueil personnel d’analyses, qui est une bouteille jetée à la mer. On ne trouvera pas de vérité absolue dans ce mémoire, mais il prend forme de mes propres questionnements, remarques et analyses, avis, sentiments et peut-être même erreurs, qui, réunis, constituent un bagage dans le domaine de la connaissance de l’habitat individuel. Un bagage pour moi, qui me trouve sur le seuil de ma vie professionnelle et un bagage ou un nouveau regard, pour ceux qui sauront l’utiliser, suivant la façon dont il sera utilisé,chacun à leur manière. J’ai eu la chance de bénéficier lors de ma quatrième année d’étude en Espagne, de cours de composition de l’architecture qui m’ont fait découvrir l’approche de l’architecture par des architectes modernes reconnus à travers le monde à l’époque et encore aujourd’hui. Frank Lloyd Wright a alors retenu particulièrement mon attention. En effet, le parcours de cet architecte, son approche du métier, de ces enjeux et possibilités, son architecture proche de la nature ont éveillé ma curiosité. Et plus encore, sa maitrise d’un habitat de qualité toujours au plus près du contexte et des attentes du client, sa recherche et son évolution constante sur ce sujet tout au long de sa carrière, m’ont poussée à cette étude et à vouloir découvrir d’autres références dans ce domaine. Partir pour mieux revenir. Cette année à l’étranger a changé mon regard en plus de l’élargir. En effet, mon retour à Nancy s’est accompagné d’une nouvelle vision sur l’architecture qui m’entou-

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rait, je redécouvrais ce que je pensais acquis, je redécouvrais ma ville, ces maisons qui nous entourent, que l’on ne voit pas si on n’y fait pas attention ou que l’on voit mais que l’on ne comprend pas. Concevoir une architecture de qualité commence par l’observation. Observation de ce qui s’est fait avant nous, de ce qui se fait autour de nous car on ne prend conscience des intentions architecturales et de la qualité qui en découle que par une démarche in situ. Ce mémoire propose une étude de cas en deux temps: tout d’abord l’analyse d’un corpus théorique de maisons individuelles modernes d’architectes internationalement reconnus, puis l’analyse après visite d’un second corpus de maisons, également modernes et individuelles mais nancéiennes. Ce croisement analytique à plusieurs échelles, offre la possibilité de mesurer l’influence de la « grande » architecture sur l’architecture régionale. Dans quelle mesure l’architecture est-elle influencée par le mouvement mondial ou à l’inverse par le contexte local ? De plus, ce mémoire a également pour but de mettre en avant une ou plusieurs typologies de la maison de qualité. En effet, y a-t-il des caractéristiques récurrentes quel que soit l’époque ou le lieu qui permettent d’assurer un habitat idéal ?

Les maisons constitutives du premier corpus ont été conçues

par les architectes Frank Lloyd Wright, Walter Gropuis et Richard Neutra entre les années 1938 et 1948. Cette époque se base en architecture sur de nouveaux critères de qualité, modernes, émergeant d’une nouvelle exigence rendue possible par des découvertes: techniques, tel

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que l’essor du béton armé, ou conceptuelles avec le développement de notions comme la structure poteau-poutre-dalle ou le plan libre. Les trois maisons sélectionnées sont toutes représentatives d’une approche particulière de l’architecte à un moment de sa carrière. Ce choix de premier corpus représente un extrait de témoignages de cette période innovante pour la maison individuelle qui, tout comme pour le second corpus, n’est donc pas exhaustif. Les maisons constitutives du second corpus, quant à elles, ont été réalisées par les architectes Claude Baudoin, Henri Prouvé et Raphael Oudeville, entre les années 1930 et 1958. Cette sélection de dates plus étendue que pour la première, permet de mettre en évidence le renouvellement du visage de la ville et des modes de vie de ses habitants à travers ces trois exemples de maisons. Enfin, tous ces cas d’étude ont en commun leur modeste taille, dans le but de rendre possible l’analyse de chacune d’entre elles et la comparaison plus particulièrement, des maisons nancéiennes confrontées au corpus des maisons dites théoriques. Les analyses se déroulent sensiblement de manière identique, suivant l’étude de l’implantation et du volume, de la composition, du parcours, de l’ambiance et de la construction.

« Avant d’être jeté dans le monde, l’homme est placé dans le berceau de sa maison » 1 Bachelard

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1 - NORBERG-SCHULTZ Christian, Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur. 1985




1939 Maison Rosenbaum

Frank Lloyd Wright

601 Riverview Drive, FLORENCE, Alabama, USA

Vue de la maison depuis le jardin SANDERSON Arlene, WRIGHT SITES A guide to Frank Lloyd Wright public places. Ed. Princeton Architectural Press. 2001

La crise de 1929 a des conséquences sociales bien connues,

mais également de fortes répercussions dans le domaine professionnel, entre autres celui de l’architecture. Elle marque, dans la carrière de Frank Lloyd Wright, le début d’une réflexion sur l’habitat individuel, se voyant concrétiser en 1936 par la construction de la première maison 1 - FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009

usonienne. « L’usonie peut avoir plusieurs significations, mais on retiendra ce terme comme un adjectif définissant les recherches constantes de Wright, dans l’élaboration d’une nouvelle qualité de vie » 1. Suit alors une longue série de constructions de maisons individuelles de petite

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taille à prix modérés, dont la famille Rosenbaum sera la troisième à bénéficier. Il existe différentes typologies de ces maisons usonniennes et la maison Rosenbaum se caractérise par son horizontalité et sa forme en « L ». Située au nord-est de Florence en Alabama aux Etats-Unis, elle se singularise par sa volumétrie qui fait écho au croisement perpendiculaire des deux rues d’accès. Quelle que soit notre approche, la lecture des deux ailes se fait toujours de manière indépendante : on découvre tout d’abord l’horizontalité de l’une alors que l’autre, cachée derrière, se révèle au fur et à mesure de l’avancée. Mais outre cet aspect, c’est bien l’angle à 90° que forme la maison, ainsi que son « carport » 2, que l’on note en premier lieu. Toutes les maisons individuelles de l’architecte se veulent intégrées à leur environnement et c’est donc de ce fait un point récurrent dans ses maisons usoniennes. Ce rapport à la nature se lit à différents niveaux. De manière globale à l’échelle de l’implantation, l’habitation demeure proche des limites de la parcelle de deux acres dans notre cas, ce qui permet la libération d‘un maximum de terrain au Sud pour ainsi profiter au mieux du jardin. La maison se positionne comme étant ancrée dans son environnement naturel par la présence des blocs maçonnés, seuls éléments en dur, qui ressortent : celui des services au niveau de l’entrée enracine la maison au sol, tandis que ceux en terminaison des ailes viennent borner et limiter l’emprise de celle-ci. A contrario les deux ailes, plus légères, se lisent comme un fondu de strates dans le paysage, venant contraster et équilibrer les hauts pins qui se situent sur le devant de la maison, au nord de la parcelle.

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2 - «auvent à voiture» FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009


L’environnement extérieur fait partie intégrante de la composition : les deux ailes délimitent et entourent le jardin qui devient un lieu à part entière de la maison et chaque pièce bénéficie d’ouvertures toutes hauteurs sur celui-ci. Depuis l’intérieur de l’habitation, le rapport à l’extérieur ne se limite pas à la simple ouverture sur le jardin, il est multiple : il peut être cadré par la fenêtre verticale étroite dans l’entrée, ou suggéré par les différentes volées de marches qui accompagnent le terrain naturel et nous guident de l’entrée au jardin, ou encore fondu, par les décrochements en façade sud. Le double décalage formé par le salon et le coin repas accroît de ce fait les interactions avec la terrasse et donc avec Vue sur la fenêtre verticale de l’entrée

l’extérieur. Mais au-delà de l’intériorité pensée en fonction de son environnement, c’est l’enveloppe même du bâtiment qui, traitée avec une certaine épaisseur, fait qu’intériorité et environnement se confondent. Ainsi, le carport se projette en avant comme une accroche, une invita-

3 - FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009

tion appuyée vers l’intérieur ; « en allant chercher la limite de la parcelle et en proposant un cheminement d’accès protégé, c’est un entre-deux reliant le domaine public au domaine privé » 3. De la même façon, le débord de toiture en périphérie de la maison et l’amplitude des menuiseries ouvertes, offrent la même sensation d’équilibre entre intérieur et extérieur. Enfin, les abords de la maison sont maîtrisés et insérés dans la composition générale et participent à cette interaction: la terrasse par exemple, avec ses quelques marches et ses bandes plantées cernées de murets, effectue la transition entre plantation, végétation existante et le terrain naturel. Ce traitement de l’ensemble de la maison avec son environnement est rendu possible par la mise en place d’une trame qui as-

Plan de masse et aménagement du jardin.

sure une parfaite cohésion et la maîtrise de chaque partie du projet. Cette

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méthode est systématiquement employée par Wright dès le début de la conception de toutes ses maisons. Ici, le module choisi est de 2*4 pieds. On le retrouve très clairement dans les dimensions des menuiseries par exemple. La trame façonne la volumétrie, la position du bâtiment ainsi que de chacun de ses composants. Elle offre une cohésion générale mais également une modularité de la maison et permet ainsi de pouvoir facilement prévoir son évolution. Une extension pour le fils de la famille Rosenbaum est ajoutée en 1948, une deuxième aile s’est alors développée en symétrie par rapport à celle du séjour, suivant l’axe

Plan après l’ajout de l’extension (grisée cidessus) en 1948

de la façade est, la transformant ainsi en épine dorsale du bâtiment. Cet ajout s’intègre parfaitement à la maison d’origine grâce à la trame. Ainsi, la maison agrandie semble avoir été conçue de cette façon dès le départ : la modularité qu’offre la trame, facilite la construction de la maison et donc l’ajout de l’extension sans qu’il n’y ait de différenciation.

Ci-contre: vue du carport

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Pour être au plus juste, par rapport aux fonctionnalités de chaque espace et par souci d’économie, Wright fait le choix d’octroyer une généreuse superficie aux espaces principaux communs, tels que le salon puis le coin repas et le bureau, alors qu’il réduit au minimum les chambres et salles-de-bain. On observe une hiérarchie dans le traitement des espaces, que ce soit entre les parties servies et servantes, ou entre « l’aile jour » et « l’aile nuit ». Dans le premier cas, l’ajout de toitures au-dessus du séjour et des chambres permet de distinguer par cette mise en valeur, les zones de services et de circulation des pièces de vie. En effet, ces dernières bénéficient par cet ajout de toiture, d’une hauteur sous plafond plus ample et d’un apport supplémentaire de lumière en partie haute. Dans le second cas, la double volée de marches empruntée obligatoirement pour se rendre dans l’aile des chambres, que

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De gauche à droite: schéma d’implantation, schéma de parcours, schéma de compostion spatiale.


l‘on vienne du couloir d’entrée ou du séjour, marque la séparation jour/ nuit. Ces quelques marches sont synonymes d’entrée dans un nouveau degré d’intimité; on s’enfonce vers les pièces les plus privées de la maison. Enfin, les parties servantes se regroupent pour l’essentiel à l’entrée, dans l’angle. Elles ont un rôle de transition, desservant au mieux l’une et l’autre des ailes suivant leurs fonctions respectives. « Wright concevait chaque détail |…| il juxtaposait larges et spacieux espaces et obscurité et lumière de manière complexe dans le but d’interpeller le résident 4

ou le visiteur et de les conduire d’un endroit à un autre » . Un angle,

4 - M. ROHAN Timothy, The architecture of Paul Rudolph Yale University Press, 2014.

dans toute composition architecturale que ce soit, demeure toujours un élément délicat à traiter pour qu’il ne soit pas un poids mort, fastidieux et résiduel mais au contraire pour qu’il ait une réelle dynamique dans la composition générale. Wright met en place une « triple rotule », un ensemble de trois éléments se chargeant d’effectuer une transition active entre les deux ailes du bâtiment. Ils sont complémentaires et leurs façons d’articuler les espaces sont propres à chacun. Tout d’abord, se trouve le bloc service de l’entrée, comme il a été décrit précédemment, puis vient le meuble encastré multi-usages en face de la cuisine, qui crée une séparation physique sans équivoque entre les deux ailes de par sa position et sa massivité. Enfin arrive l’espace salle-à-manger qui assure la transition au niveau de l’intérieur de l’angle. Sa position en saillie par rapport à la façade, en équilibre entre intérieur et extérieur, permet l’articulation de l’ensemble d’un point de vue essentiellement visuel depuis le jardin. Si l’articulation entre les deux ailes se lit grâce à l’avancée du coin repas, il est a noter que le bac floral qui le borde assure la séparation entre les espaces extérieurs de jour et de nuit.

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Plan de l’habitation avec addition

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Ces dispositifs de composition ont une influence directe sur le parcours de l’usager. Dans la séquence d’entrée par exemple, le visiteur ressent, dès le pas de la porte, la hiérarchie et la nature des différentes parties de la maison, ce qui lui est accessible et ce qui ne l’est pas. Dès l’entrée, deux couloirs, l’un face à nous et l’autre se glissant le long de la façade nord, se profilent de part et d’autre du bloc maçonné. Celuici, regroupant les placards de rangement, le foyer et la cuisine, est un réel pivot dans la maison offrant un panel de fonctionnalités adaptées à chaque lieu. Le visiteur est naturellement invité dans le couloir sur sa droite, d’une part par la présence des placards pour se délester de son manteau et d’autre part par la discrète bande lumineuse en plafond qui

Vue de la séquence d’entrée vers le séjour

indique et guide, en quelque sorte, le chemin à suivre jusqu’au séjour, que l’on devine déjà baigné de lumière naturelle. Le couloir face à nous, quant à lui, semble être destiné à un usage réservé aux hôtes. Il opère comme un raccourci vers les pièces secondaires de jour, telles que la cuisine ou le coin repas, déjà plus intimes. On ne le perçoit pas tout de suite, mais il se prolonge, désaxé, vers l’aile des chambres. La subtilité de ce décalage a toute son importance, en effet, en débouchant sur le meuble encastré imposant de la cuisine et non pas dans la continuité du couloir, le visiteur égaré est redirigé vers le séjour afin d’éviter qu’il ne s’aventure dans la partie privée. La maison Rosenbaum se compose donc de trois chambres avec deux salles-de-bain, d’un séjour et d’un bureau, d’une cuisine, d’un coin repas et d’un abri pour voiture. Cependant, il n’est pas tout à fait juste de segmenter et dénommer les « pièces » de cette façon, en effet, l’architecture de Wright possède la caractéristique d’avoir des espaces qui s’enchainent et dont les délimitations se

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Vue du coin-repas vers le séjour. Lecture de l’insertion paysagère.

5 - FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009

confondent. « La dilution de la boite » est une notion moderne, défendue par Frank Lloyd Wright comme étant selon lui, sans conteste, un gage de qualité de l’architecture, synonyme de fluidité du parcours. Dans le cadre de notre étude de cas, on peut très nettement noter ce principe « visant à abolir les cloisonnements des maisons traditionnelles » 5 entre le séjour et le coin repas ; leurs angles se confondent et s’interpénètrent créant un espace tampon, une épaisseur supplémentaire entre ces deux volumes qui s’expérimente comme une transition. Là où il n’y avait que deux pièces à deux fonctions séparées, il y a à présent trois lieux. Il s’agit également d’une économie non négligeable de la surface

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de plancher et il est donc naturel, en plus des qualités architecturales apportées, que Wright fasse prévaloir cette méthode pour ses maisons

Vue du séjour vers le coin-repas. Lecture des différents niveaux de toitures.

usoniennes qu’il veut avant tout, économiques, abordables à la « middle class » américaine.

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L’enjeu de ce concept de pièces ouvertes les unes sur les autres et se confondant à leurs extrémités, est de ne pas tomber dans « l’open space » que l’on connaît de nos jours et qui correspond à un échec d’une transposition de cette notion. En d’autres termes, l’enjeu est d’éviter la déqualification des espaces par une trop grande homogénéité et standardisation de ceux-ci. Wright trouve l’équilibre entre ouver6 - FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009

ture et qualification par la création de « micro-lieux ». Les microlieux sont des « zones de micro-espace nuancées à travers toute la maison pour toutes les activités imaginables » 6 . Il peut s’agir d’une disposition particulière des cloisons : d’un retrait, d’un décalage ou encore de l’insertion d’un meuble en particulier, etc… Ce traitement s’effectue toujours par une adaptation à chaque cas, à chaque maison, à chaque client et dans un total souci du détail. Ces espaces finis, maîtrisés permettent de libérer les fonctionnalités des espaces tel que le séjour, qui devient alors appropriable. Ainsi, dans le cas de la maison Rosenbaum, dès le palier d’entrée, on retrouve cet effet de micro-lieu : un rangement en maçonnerie pour outils de jardin de la largeur d’une voiture vient en finition du carport et sur la gauche une volée de trois marches annonce l’entrée. Celles-ci s’étendent sur la gauche au-delà du seuil clairement délimité par le recouvrement de la toiture et se terminent par un muret. Ainsi, elles enveloppent l’angle nord-est et par la poursuite de ce muret vers le jardin, le visiteur est invité à contourner la maison s’il le souhaite. L’entrée est également délimitée, de part et d’autre, par des plantations retenues par des murets. Ce ne sont donc pas schématiquement quatre murs qui viennent identifier ce lieu, mais bien une juxtaposition d’éléments de différentes natures qui créent ce microlieu : les plantations, les marches,

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la toiture finissant de délimiter le seuil de la maison et la position du rangement de jardin venant faire la transition entre carport et entrée. A l’intérieur, on retrouve ce même principe de délimitation des espaces, comme au niveau de la cheminée qui, par ses retraits et avancées de murs, crée une alcôve complexe autour du foyer, ou encore au niveau du coin repas qui rayonne autour de la table venant englober le mur. La gestion de l’ensemble, jusque dans ses moindres détails, hisse cette maison au rang d’œuvre reconnue de qualité. Wright a toujours mis un point d’honneur à maîtriser ses ouvrages jusque dans le dessin des ornements des fenêtres hautes, des meubles intégrés ou du mobilier. L’exemple de l’étagère de la bibliothèque est parlant : en plus d’être une requête du maître d’ouvrage rendant cette maison unique, elle contribue à part entière dans la dynamique de la maison. Caractérisée par sa linéarité, elle connecte les pièces les unes aux autres: amorce depuis l’entrée, elle se déploie dans le séjour et s’engouffre dans le bureau agissant ainsi comme une signalétique directionnelle. Aucun détail n’est laissé au hasard dans l’ensemble et cette gestion crée une atmosphère particulière où chaque chose est à sa place. Si un élément venait à manquer, la lecture globale viendrait à en pâtir. On pourrait y voir une des associations de la Gestalt théorie, une combinaison qui rend le tout harmonieux, agréable à l’œil. Ceci est rendu possible encore une fois grâce à la mise en place de la trame dès la naissance du projet jusqu’à son aboutissement. Celle-ci a une double fonction : unifier les éléments ainsi que la composition des espaces comme nous venons de la voir, mais elle permet également d’offrir la

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possibilité d’une construction simple et flexible par le principe de la standardisation. Standardisation des éléments de second œuvre comme les menuiseries extérieures par exemple : ce sont des portes fenêtres à double battants; dont les dimensions représentent une largeur de trame. Ou encore, standardisation des dimensions de gros œuvre permettant la préfabrication. En plus d’une facilité de mis en œuvre non négligeable, c’est surtout l’économie de la maison qui est recherchée : « la maison à prix abordable n’est pas seulement le principal problème architectural de l’Amérique mais le problème le plus difficile pour ses principaux architectes »

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. Caractéristique fondamentale des maisons

usoniennes en théorie, différents procédés sont mis en place pour traquer l’économie comme l’orientation au sud, le chauffage central au sol, innovant pour l’époque, ou encore le choix des matériaux. Le verre, la brique rouge en argile du nord de l’Alabama, les panneaux de bois en cyprès provenant du sud : ils sont au maximum sélectionnés dans la région. L’utilisation de revêtements ou de peintures est prohibée, à Ci-contre: coupe détail système constructif type usonien. En haut: mur. En bas: baie. Ci-dessus: Inventaire des éléments de mise en oeuvre. FUCKS Matthieu, La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif. Mémoire de fin d’études, 2009

la faveur de ces matériaux de construction qui se révèlent être à la fois structure et parement. Bien que Wright souhaite concevoir des maisons aux prix abordables, jamais il ne sacrifie la qualité et sa mise en œuvre très personnelle et inventive y contribue parfois au détriment du plus bas prix. Celle-ci nécessite bien souvent des ouvriers experts, comme pour la mise en place du porte-à-faux du carport soutenu par le bloc maçonné de l’entrée ou encore comme l’utilisation de charnière

7 - Propos de F. L. Wright, 1943, recueillis par

SANDERSON Arlene, WRIGHT SITES A guide to Frank Lloyd Wright public places. Ed. Princeton Architectural Press. 2001

de piano pour les menuiseries intérieures. Ces choix sont originaux et assurent une maison unique et d’une grande qualité, mais de ce fait, à l’économie limitée.

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8 - NORBERG-SCHULTZ Christian

Architecture essais et documents Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur, 1985

« La maison doit rapprocher de l’homme le paysage habité » 8 Heidegger Les maisons usoniennes de Wright et plus particulièrement la maison Rosenbaum, constituent une réponse apportée par l’architecte à l’habitat et aux modes de vie d’une époque. En effet, par l’utilisation des ressources industrielles du pays, Wright permet au plus grand nombre de pouvoir accéder à des maisons individuelles tout en préservant la qualité de celles-ci. L’équilibre se trouve au croisement d’un aspect logistique et technique en accord avec son temps, d’une qualité spatiale entre lieux appropriables et lieux finis définissant l’essence même de la maison, et d’une relation étroite entre maison et site par une

Mme Rosenbaum dans son ssalon effectuant une visite.

approche moderne et personnelle de l’architecte, qui s’ajuste au mieux aux besoins des clients.

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1938 Maison Gropius

LINCOLN, Massachusetts, USA

Vue façade nord. GROPIUS Ise GROPIUS HOUSE Society for the preservation of New England antiquities, 1996

Walter Gropius

C’est dans le paysage de campagne de Boston, au milieu des fermes et constructions traditionnelles de la Nouvelle-Angleterre que l’on découvre la maison que Walter Gropius a imaginé pour lui et sa famille en arrivant d’Allemagne. Blanche, compacte, comme un morceau de sucre perché en haut d’une colline à pente douce, elle apparaît depuis la route comme une curiosité à l’écart du passage. Cette maison est le résultat du savoir de Gropius et des influences du Bauhaus, adaptés à l’architecture locale. Cette dernière est essentiellement influencée par le climat et de ce fait la maison a pour principale caractéristique le

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rapport à son environnement. Elle s’installe, orientée au sud, en retrait de la route sur le point le plus haut offert par le terrain de 1,5 ha. Ce choix d’implantation s’explique par le climat qui impose des températures variant au cours de l’année entre -16° en hiver à +40° degrés en été, nécessitant de prendre certaines mesures. En effet, l’orientation plein sud permet un apport maximum maitrîsé de l’énergie solaire indispensable en hiver, alors que la position en hauteur sur la parcelle assure la ventilation de la maison par des brises d’été. L’emplacement du garage, lui, a été pensé en fonction des conseils donnés par Mme James Storrow, propriétaire foncier : prévoyant les fortes tombées de neige récurrentes pendant l’hiver, le garage près de la route permettait de ne déblayer l’allée jusqu’à la maison que sur une largeur de pasPlan d’accès et d’implantation

sage pour une personne à pied. A l’origine, la parcelle ne contenait que quelques arbres : un verger de quatre-vingt-dix pommiers, mais aucun arbre de grande hauteur. De cette façon la plantation a pu se faire de manière réfléchie : l’implantation des arbres par rapport à la maison et le choix des essences permettent de filtrer la lumière et d’adoucir l’air en été et les vues, telle que celle sur le Mont Wachusett, ont été préservées. « Lorsque j’ai construit ma première maison aux Etats-Unis, je me suis efforcé d’intégrer à ma propre démarche ces caractéristiques de l’architecture traditionnelle de la Nouvelle-Angleterre qui me semblaient toujours vivantes et pertinentes. La fusion de l’esprit régional et

1 - Propos: GROPIUS Walter Architektur, Ed. Fischer Bücherei, 1956. Recueillis par: BRADBURY Dominic Maisons de référence de 1900 à nos jours Ed. Chêne, 2009

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d’une approche contemporaine du design a produit une maison que je n’aurais jamais construite en Europe, dans un contexte climatique, technique et psychologique entièrement différent » 1 .


De gauche à droite : Vue de la terrasse-pergola. Vue de «l’arrière» de la maison, volumétrie découpée.

Le but dans cette conception est de jouir de la nature environnante tout en s’en protégeant. La typologie même de la maison est issue de ces contraintes. Les quatre façades sont différentes. Celles au nord et à l’est sont globalement fermées ne possédant que quelques ouvertures, des fenêtres en bandeau de « style corbuséen », qui cadrent sur le paysage. A l’opposé, celles au sud et à l’ouest sont complètement ouvertes -largeur maximale possible des châssis pour l’époqueet même extrudées. Le volume parallélépipédique se lit très clairement à l’avant de la maison alors qu’il se désintègre par les nombreux renfoncements dus à la création de terrasses à l’arrière. La maison est comme une sculpture et se retrouve par ce procédé proche de la nature. A l’ouest, la terrasse-pergola est en équilibre entre intériorité et extériorité: elle est partie intégrante de la maison puisqu’elle est à l’intérieur du volume et donne directement accès à une chambre à l’étage. De plus,

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elle est délimitée par des murs et des poutres, mais reste extérieure par définition, totalement ouverte en façade et sur le ciel laissant ainsi le «dehors » entrer dans le parallélépipède de base. Au sud, les débords de toiture et la pergola couvrent les passages qui longent la maison, jusqu’à venir se heurter sur le porche se projetant à l’extérieur du volume de la maison. Ce dernier était tout à fait inédit pour la région et l’époque: premièrement par sa position à l’arrière de la maison et deuxièmement par son immersion dans le jardin et son ouverture sur trois de ses faces grillagées. Ce jeu de volumes absorbés ou saillants permet à la maison et à l’environnement de se chevaucher et d’interagir. En ce qui concerne le traitement des abords extérieurs, on observe une progression jusqu’à retrouver une nature intacte : des terrassements de pleine terre retenue par des murets de soutènement de pierre en opus incertum entourent la maison par l’arrière, la plaçant comme sur un piédestal.

Vues du débord de toiture-pergola et du porche-véranda

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En longeant la route en contrebas, notre regard glisse sur cette maison sculpturale qui semble reposer sur un présentoir naturel.

Vue de «l’avant» de la maison, volumétrie compacte.

Son volume simple parmi les pommiers et ses faces fermées au nord en font un objet insolite que l’on contourne et aborde de biais lorsque l’on s’engage sur l’allée à notre droite. Le garage, au début de l’ascension vers la demeure, marque l’entrée sur la propriété. La perspective en angle de la maison donne d’abord l’impression qu’elle se dérobe à nous. Mais au contraire, celle-ci nous aspire dans un mouvement d’enroulement quel que soit le parcours emprunté. Enroulement, lorsque l’on dépose quelqu’un en voiture au pied de la maison et que l’on repart par le rond-point spécialement aménagé. Enroulement également lorsque l’on emprunte les entrées, principale et privative, sur le côté nord de la maison. Une grille blanche dans le prolongement de la maison à l’arrière et l’auvent anguleux à l’avant, se projetant au-devant de nous, indiquent

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Plan du rez-de-chaussĂŠe

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Plan de l’étage

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sans équivoque le chemin à suivre. Ce dernier nous aspire à travers lui pour nous faire ressortir dans le hall dans un mouvement rotatif. Le parcours à travers la maison se prolonge toujours en spirale, mais inversée et ascendante par l’emprunt de l’escalier desservant l’étage. La seconde entrée, privative celle-ci, s’effectue par un escalier extérieur et se situe aussi façade nord, venant ici équilibrer l’auvent de biais de l’entrée principale. Ce procédé « non frontal » d’accès à la maison, par le côté le plus long du parallélépipède, permet une approche plus douce, une inscription non agressive dans le site et un agencement interne transversal, donc plus fluide et plus en rapport avec l’extérieur à l’instar de la séquence d’entrée. On entre parallèlement au volume pour arriver transversalement à celui-ci dans le hall et pour, quelques pas Vue de l’accès privatif à l’étage par l’escalier extérieur

plus loin, sortir de nouveau de la maison. Dehors, dedans, dehors : le hall est traversant, comme dans toutes les maisons de la région pour des raisons de ventilation, ce qui crée une réelle proximité et confond la limite entre intérieur et extérieur. Le rez-de-chaussée compte un hall, un bureau, un salon, une salle-à-manger, une cuisine et son cellier, un porche-véranda et une chambre avec sa salle-de-bain. On distingue une trame conceptuelle qui délimite et définit les espaces dans le sens traversant de la maison. Au centre l’ensemble du auvent/hall/porche dessert les extérieurs à l’avant et à l’arrière, mais également les parties servies et servantes de part et d’autre. En effet, à l’est de la maison on trouve la cuisine directement accessible depuis une entrée de service par l’arrière de la maison et également un logement de service, se limitant à une chambre

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et une salle-de-bain avec sanitaires. Ces pièces fermées en enfilade, orientées vers l’arrière de la maison rappellent une configuration plus traditionnelle. A l’opposé, à l’ouest se trouvent les pièces de vie où l‘on accueille ses invités, aux dimensions plus généreuses, lumineuses, ouvertes sur le jardin et les unes sur les autres, offrant un certain confort et une liberté de parcours. La chambre parentale et son dressing, deux autres chambres et leurs rangements, deux salles-de-bain, un hall et une terrasse, se partagent l’étage. La chambre de la fille de W. Gropius est directement accessible de l’extérieur par l’emprunt de l’escalier privatif et possède deux orientation: un coin nuit et un coin jour. La trame du rez-de-chaussée est toujours lisible à l’étage mais n’a plus aucun sens dans la répartition des espaces : toutes les pièces sont de même nature; d’ordre intime. La distribution se fait de manière centrale depuis le hall. Ce procédé évite tout couloir, ce qui est l’un des points majeurs dans la conception de cette maison compacte. Dans ce but, Gropuis conçoit les pièces en enfilade et les espaces secondaires deviennent transitionnels, comme étant les antichambres des espaces nobles. L’office, par exemple, est un pivot entre la salle-à-manger et la cuisine mais également entre le hall et la véranda. Ainsi cet espace qui a sa fonction propre est également un connecteur. C’est aussi le cas du dressing à l’étage : il agit comme un tampon entre le palier et la chambre parentale avec sa salle-de-bain, effectuant la progression vers l’intimité. A l’échelle des pièces de vie au rez-de-chaussée, le bureau fait De haut en bas: schéma d’implantation, schéma de parcours, schéma de compostion spatiale.

le lien entre hall et séjour offrant ainsi la possibilité d’un parcours supplémentaire. Cette pièce judicieusement positionnée dans la composition,

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dynamise l’ensemble du séjour qui applique le principe du plan libre : séparables physiquement uniquement par un rideau que l’on déploie, la salle-à-manger et le salon sont ouverts l’un sur l’autre. Les dimensions et la position du bureau, ainsi que les ouvertures sur l’extérieur et la cheminée fermant l’angle sud-ouest, définissent et orientent les différents espaces constitutifs de ce grand séjour. En effet, celui-ci est composé de trois espaces aux proportions quasi identiques : le coin repas, le salon « côté cheminée» et le salon-bibliothèque. Ils s’enchainent et s’entremêlent mais se distinguent cependant. Le premier, se parcourant d’est en ouest et s’ouvrant sur l’extérieur au sud, se lit indépendamment des deux autres qui peuvent être considérés comme un seul espace à différentes orientations. Celui-ci est deux fois plus grand que le coin repas et se pratique dans une orientation nord-sud dans son ensemble. Chaque sous espace se caractérise d’une part, par la cheminée maçonnée et l’ouverture au sud, et d’autre part, par la bibliothèque au nord et la baie à l’ouest. La cloison courbée séparant le bureau du reste du séjour, ainsi que la cheminée bloquant la vue, connectent les angles opposés, ouverts, de la pièce. Cette association conceptuelle d’éléments a en effet pour but de révéler la diagonale entre le coin repas et la bibliothèque, que ce soit physiquement ou visuellement. L’espace est alors dilaté et unifié par la connexion de ces deux lieux opposés. Le seul bémol, relevé par Mme Gropius, serait que ce principe de plan libre se limite au séjour. En effet, l’accès par une seule porte à celui-ci semble limité pour recevoir des invités et la cuisine, aurait gagné à être partiellement ouverte sur le coin repas plutôt que fermée et en retrait dans une disposition plus traditionnelle, ne participant pas à la vie dans maison.

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Ci-contre: Vue du coin-repas vers le salonbibliothèque



La paroi séparant le bureau du séjour est en blocs de verre flouté, ce qui accentue la connexion entre ces deux pièces malgré la séparation physique voulue pour minimiser les bruits entre les deux espaces. La lumière est traversante et l’on devine aisément les ombres et ambiances de chacun. On retrouve ce même principe pour le mur de verre sous l’auvent, face à l’entrée. La fonction est identique : il délimite et définit deux zones de l’espace tout en les laissant se deviner. Le visiteur est guidé par ce mur vers l’entrée de la maison et sur le seuil de celle-ci, par l’effet de ce mur translucide, il se trouve dans un lieu en équilibre entre intérieur, à couvert, et extérieur, que l’on devine derrière cette paroi. A l’étage, un vitrage sépare la chambre parentale du dressing. Totalement transparent, celui-ci permet encore une fois la séparation physique des deux espaces, mais la vision d’une pièce unique reste intacte. De manière générale, Walter Gropius choisit les matériaux avec soin, en fonction des différentes atmosphères souhaitées aux quatre coins de la maison. Entre vernaculaire et modernité, entre ambiances chaleureuses et froides, la maison a su trouver un équilibre. A l’extérieur, les terrasses et les murets de soutènement de pierres en opus incertum contrastent avec le volume sorti de terre au bardage vertical de bois de séquoia peint en blanc. A l’intérieur, on retrouve le bardage vertical de bois blanc dans la double hauteur de l’escalier, participant à l’atmosphère épurée de l’ensemble de la maison. C’est Marcel Breuer, confrère, ami, collègue et voisin de Gropius qui, en plus d’aider à la conception de la maison, concevra une partie de l’espace intérieur comme certains meubles à ossature en tubes d’acier. Les meubles, les parois vitrées, les poignées de portes, le garde-corps de l’escalier

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Paroi vitrée entre le dressing et la chambre parentale


composé de tubes métalliques verticaux, ou encore la main courante laquée noir qui s’élève sans effort, quasi flottante accompagnant l’escalier: tous ces éléments d’intérieur ont pour caractéristique d’être épurés et confèrent ainsi une ambiance froide. Cet effet est cependant équilibré par d’autres éléments à caractéristique chaleureuse : les marches de l’escalier en bois, les lumières douces filtrées aux différents moments de la journée, la moquette au sol couleur noix, le revêtement de certains plafonds en plastique californien beige, ou encore la cheminée revêtue d’ardoises grises. On retrouve le même camaïeu de couleurs dans toute la maison : des couleurs douces telles que le beige des rideaux, ou neutres comme le blanc. La maison parée de cette unité chromatique semble être comme un coffret accueillant les meubles et décorations colorés de style Bauhaus que la famille a acheminé d’Allemagne et pour lesquels ils souhaitent un intérieur valorisant et adapté. L’équilibre de l’ensemble de cette composition crée une atmosphère douce de confort.

A gauche: Paroi translucide de pavés de verre séparant le bureau du séjour Adroite: Poignée métallique de porte

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La grande diversité des matériaux utilisés, que ce soit de revêtement ou de construction, et leur utilisation renvoient à une apparence de luxe, alors qu’il n’en est rien. En effet, la volonté de l’architecte était à ce sujet de démontrer que l’on pouvait construire une maison esthétique, confortable et moderne à des coûts limités. D’après le témoignage de sa femme, « sa principale motivation | était | de créer un maximum de résultat avec un minimum de moyens »

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. Ainsi, la mise

en œuvre alterne entre savoir-faire local et techniques modernes. Les murs de fondation sont en moellons récupérés dans les environs, appareillés en opus incertum encore une fois, imperméabilisés et crépis, ils sont remblayés avec des graviers pour assurer le bon drainage de l’eau. Ce genre de détail est indispensable à prendre en compte si l’on souhaite garder une maison saine et stable, pérenne, au vu du climat de cette région. Le toit terrasse était inconnu dans la région à cette époque et pour ces mêmes raisons d’évacuation des eaux en toiture, les maisons ont généralement un toit à deux pans. Ici, cachée derrière les acrotères, la toiture est également en deux pans mais inversés et à faible pente, ainsi l’écoulement s’effectue dans un conduit de descente d’eau, dimensionné pour de forts débits, passant à travers la maison ce qui évite tout risque de gel. Les évacuations d’eaux usées, elles, ont également été minimisées par la superposition des quatre pièces humides à l’étage et au rez-de-chaussée. La dalle du sous-sol est en béton armé tout comme le sol des terrasses et de l’entrée sous leur revêtement de pierres, alors que la superstructure de la maison est en ossature bois, comme le veut la pratique locale. La cheminée en briques fait exception tout comme quelques poteaux métalliques, pour

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2 - GROPIUS Ise GROPIUS HOUSE Society for the Preservation of New England Antiquities, 1996


soutenir les porte-à-faux de la toiture et l’auvent, ainsi que des poutres, également métalliques, « section en I », qui viennent renforcer les linteaux des baies à grande portée. Mr. Jenney, responsable du chantier 3 - GROPIUS Ise GROPIUS HOUSE Society for the Preservation of New England Antiquities, 1996

à l’époque affirme en parlant de la démarche de Gropius : « bien qu’il avait pour habitude d’utiliser des articles de stock, il les employait de manières différentes qui ne ressemblaient à rien de ce que j’ai pu faire auparavant » 3 . Les matériaux mis-en-œuvre ne sont donc pas luxueux ou même nobles, mais ceux que l’on peut trouver grâce à l’industrie américaine. De la même façon, tous les éléments de second œuvre et les aménagements intérieurs sont issus de manufactures, commandés sur catalogue, c’est le cas des portes et poignées de porte, des gardecorps, des luminaires et appliques, des étagères… Enfin, l’efficacité thermique est obtenue grâce à la combinaison de trois systèmes de chauffage, fuel, air chaud propulsé et radiateurs à thermostats indépendants, avec la cheminée d’appoint. De plus, la plantation des arbres, la pose de volets à l’extérieur, les débords de toiture ou les poutres sur la terrasses ombragent et évitent la surchauffe de l’air. La pose de stores pour filtrer la lumière, ou encore le vitrage entre la chambre parentale et le dressing, permettant de régler et d’ajuster la température d’une pièce à l’autre suivant les besoins. Toutes ces dispositions, prises dès la conception de la maison, complètent le système de chauffage et assurent une efficacité thermique optimale.

En haut: photographie de la terasse-pergola En bas: photographie du porche-véranda

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4 - NORBERG-SCHULTZ Christian Architecture essais et documents Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur, 1985

« Dans la maison, l’homme se familiarise avec l’immédiateté du monde ; là, il n’a pas à choisir un parcours et trouver une destination ; dans la maison et autour d’elle le monde s’offre spontanément. » 4 Cette maison a été l’objet des curiosités à l’époque pour son langage résolument moderne. Aujourd’hui, elle demeure intrigante pour l’adaptation locale dont elle a su faire preuve dans sa composition et sa construction malgré son langage moderne. Dans les deux cas, elle demeure une habitation de qualité, qui a su tirer le meilleur des différents contextes, historique et climatique, répondant ainsi au mieux aux besoins de chacun de ses occupants. C’est encore une fois un équilibre trouvé qui assure la pérennité du confort de cet habitat résolument relié à son environnement.

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1948 Maison Bailey

Richard Neutra

dite Case Study House 20, SANTA MONICA, Californie, USA

Vue du auvent à voiture vers la côte.

La maison, posée sur une falaise faisant face à l’Océan Pacifique, est un belvédère qui se laisse découvrir par l’emprunt d’un chemin privé en délaissant un boulevard de Los-Angeles. Le chemin serpente depuis le nord de la propriété jusqu’à la demeure où il se voit déformé quelque peu par une excroissance réservée au recul des voitures depuis le garage. La maison prend place sur un terrain de 2.02ha au milieu d’arbres de grandes hauteurs et d’une végétation luxuriante

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lorsqu’elle n’est pas asséchée par le soleil californien. Son implantation nord-est / sud-ouest permet de bénéficier d’un plein ensoleillement tout au long de la journée. L’avant de la maison, par là où s’effectue l’accès, pourrait en fait être considéré comme étant « l’arrière » puisque le bâiment tourne le dos au chemin pour se développer et s’ouvrir côté jardin. Au premier abord, on ne distingue pas la totalité de son étendue, Dessin d’insertion paysagère par de R. Neutra Arrivée par le chemin piéton

mais la maison nous apparaît au contraire compacte, fermée, presque rendue austère par ses murs et murets hauts qui délimitent le garage et encadrent la façade d’entrée. Un second itinéraire d’accès plus au sud, matérialisé par un sentier piéton pavé, s’élève avec la topographie et se fraie un passage parmi les roches et buissons depuis le bas de la parcelle jusqu’à une seconde entrée. Ces deux parcours offrent des approches totalement différentes et distinctes, aboutissant pourtant sur un même côté de la maison. Alors que les chemins se devinent l’un l’autre, les deux entrées elles, s’ignorent et ceci est dû au retrait de l’une par rapport à l’autre et au muret qui les sépare. A l’instar de ces séquences d’accès, la maison se révèle pleinement au fur-et-à-mesure qu’on en fait le tour. La lecture de l’ensemble de la maison se fait en deux temps: tout d’abord, le volume du patio d’arrivée accueillant le garage, très fermé latéralement mais découvert, puis, derrière, celui de l’habitation à proprement parler, couvert d’un large toit à débords qui ne laisse aucun contact avec le ciel, mais ouvert latéralement de toutes parts. De manière générale, l’altimétrie identique entre la toiture et la pergola définis-

Plan d’accès et d’implantation

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sant le garage, fait le lien et unifie ces deux parties. Cette caractéristique


et le fait que la maison ne possède pas d’étage génèrent une horizontalité radicale dans la lecture de son inscription dans l’environnement. En effet,

Vue de la séquence d’arrivée par le chemin piéton et de l’implatation paysagère parmi la végétation asséchée.

la demeure se lit comme étant un trait dans le paysage, ne l’altérant pas. Au-delà du patio d’entrée, seul le foyer se situant en bout d’habitation semble ancrer la maison au sol. Unique élément maçonné, son volume parallélépipédique prend solidement racine au sol pour s’élever un peu au-delà de la toiture : il est le seul point marquant une verticalité discrètement lisible au loin, ressortant légèrement de l’ensemble et empêchant la maison de « flotter ». De part et d’autre, la toiture déborde largement et son association avec le foyer donne à lire deux formes en « L » qui se déploient. En d’autres termes, la cheminée fédérant une centralité, les débords de toiture se projetant littéralement dans le paysage et les façades entièrement vitrées de l’habitation, procurent à l’ensemble malgré les dimensions, épaisseurs et poids réels des éléments constructifs, une légèreté proche de celle d’un pavillon, presque assimilable à l’image

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d’un simple abri. La partie habitation, pour sa part, se découpe ellemême en deux volumes : deux pavés simples glissant l’un sur l’autre sur leur longueur, dans un mouvement de cisaillement. Ainsi, la compacité apparente qu’on pouvait deviner aux abords de la maison est mise en tension.

Vue du Sud de la maison, terminaison de l’aile

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1- Propos de Richard Neutra recueillis par LAMPRECHT Barbara NEUTRA Ed. Taschen, 2006

Ce procédé étend la demeure qui perd sa perception de «petite maison », en incluant les cours et jardins créés par ce décalage, il augmente ainsi « l’indice de viabilité au mètre carré » 1 . La surface utile au sol est environ doublée. De cette façon, Neutra contourne la difficulté que peut engendrer un programme réduit pour offrir aux usagers le luxe et le confort de vivre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce mode de vie n’est envisageable que dans ce type de région. Ce simple glissement multiplie les jardins - dits « patios » - et leurs orientations. Suivant leurs positionnements, suivant les parties à l’intérieur de la maison avec lesquelles ils sont connectés et suivant les aménagements extérieurs, chacun est unique offrant ainsi à chaque usager, une diversité ainsi qu’une autonomie et une intimité dans leur utilisation. Par exemple, le jardin qui se trouve dans le prolongement de la chambre parentale est défini par deux façades. Il est engazonné, bénéficie de l’ombre d’un débord de toit et se situe à l’ouest. Plus au sud, en lien avec le séjour, une terrasse pavée, bénéficiant également de l’ombre de la toiture, est plus linéaire car définie par une seule façade. Cette conception d’implantation, finalement en « ailes qui se glissent dans le paysage », augmente le linéaire de façade et donc le contact avec l’extérieur, bénéficiant ainsi de celui-ci et du soleil au maximum à toute heure. La largeur étroite des ailes, les baies vitrées sur toute la hauteur et la continuité du niveau du sol entre intérieur et extérieur, nous projettent dans le jardin, ou aspirent celui-ci dans la maison. Ce rapport entre l’habitation et son extérieur, poussé à son maximum, peut être déstabilisant à vivre, générant un sentiment d’exposition avec aucune possibilité de retrait.

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2- LAMPRECHT Barbara NEUTRA Ed. Taschen, 2006 3- DEXLER Arthur The Architecture of Richard Neutra Repris par LAMPRECHT Barbara NEUTRA, Ed. Taschen, 2006

4- Terme et signification employés par LAMPRECHT Barbara NEUTRA Ed. Taschen, 2006

« Ce que j’aime dans cette maison, c’est qu’il n’y a pas de maison » 2 Dr. Bailey « On pouvait être assis dans un séjour de Neutra et vouloir encore entrer dans la maison » 3

A. Drexter

Richard Neutra a toujours intégré l’environnement proche dans ses conceptions. Ce critère se rapporte à une notion qu’il invente et nomme le « bio-réalisme » 4 , « bios » signifiant « vie » en grec : « l’environnement humain devait interpeller les sens » 4 . L’homme et son quotidien sont pris en compte dans son univers, la maison se veut sensorielle, intuitive et fonctionnelle. L’absorption totale de la nature dans ses œuvres et surtout dans son rapport à l’homme, est un objectif récurrent chez l’architecte hissant la terrasse comme l’élément central, au sens de fédérateur de la maison. Ainsi en 1950, lorsque les moyens du foyer le permettaient et pour les enfants devenus grands, l’ajout d’une extension fut approprié et il fut naturel de voir une autre aile se déployer dans le paysage. La tension en plan, générée par le glissement des parties d’habitation, a évolué en éclatement. En effet, pour ne pas altérer la composition existante qui se suffisait à elle-même, ainsi que le paysage dans lequel la maison prenait place, Neutra fît le choix d’écarter l’extension. Celle-ci, comportant deux chambres, un dressing et une salle d’eau, est composée de la même façon que la maison : compacte, avec des décalages, pergola et débords de toitures harponnant

Ci-contre: Vue du séjour vers le patio de réceotion, Continuité du sol entre intérieur et extérieur;

l’extérieur entre autres aménagé d’une piscine. Orientée au sud-est, reliée « à bout de bras » à la maison par un couloir couvert, les deux

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composantes se côtoient et s’unissent par le patio/jardin auquel l’extension est venue dessiner un troisième côté. Un eucalyptus géant y est planté, la maison et l’extension le contournent, le magnifiant. Comme pour le reste, cette partie ajoutée de la maison est indépendante - elle possède sa propre cheminée - fonctionnelle et intimiste. Chaque pièce est orientée de manière à ne pas souffrir d’un éventuel vis-à-vis que pourrait engendrer cette nouvelle disposition, et également de façon à bénéficier, encore une fois, d’une partie plus privative de jardin. La maison d’origine compte un garage, un salon, une salleà-manger, une cuisine, une salle-de-bain et deux chambres dont une parentale avec dressing. On dénombre quatre patios créés et chacun a un usage défini en fonction de l’emploi des pièces d’habitation auxquelles il se rattache : le « patio repas », le « patio réception », le « patio jeux » et le « patio travail ». La maison fonctionne comme un « self-service » 5 ; ses usages sont variés et indépendants, offrant aux occupants la possibilité de vaquer à leurs occupations sans se gêner mutuellement tout en partageant le même espace. Ce principe d’indépendance est à l’image des multiples accès de la maison : trois autres entrées, côté jardin, viennent s’ajouter à celles côté cour et ceci sans tenir compte De haut en bas: Schéma d’implantation Schéma de composition Schéma de parcours Ci-contre: Plan de la maison avec addition 5- Terme et signification employé dans DIEDRICA, blog sobre arte y arquitecture

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des baies vitrées coulissantes qui permettent une relation directe avec l’extérieur. De la même façon que le reste de la composition, toutes ont leur usage particulier : l’entrée du « patio travail » connectée à la cuisine est plutôt secondaire, de l’ordre d’une entrée de service, alors que celle s’ouvrant directement dans le séjour représente l’entrée principale par laquelle les visiteurs accèdent après avoir emprunté le sentier piéton.


RECEPTION PATIO

WORK PATIO

PLAY PATIO

DINING PATIO


La troisième entrée au sud du salon, côté « patio réception », est plus privée, essentiellement utilisée par les usagers permanents et les deux dernières, connectant les chambres à leur jardin, sont d’ordre intime. Ce mode de vie, de manière générale multifonctionnel, est rendu possible par le caractère compact de la maison. En effet, le centre de celleci est occupé par les services : la salle-de-bain et la cuisine qui sont ainsi accessibles de toutes parts et le hall, qui regroupe chaque partie de l’habitation les connectant et évitant ainsi tout couloir. On observe également une finesse dans le dessin et le positionnement des murs et cloisons de cette partie servante. Ils se retournent ou s’épaississent par exemple, se plient pour accueillir des rangements, penderies et étagères, indispensables à la fonctionnalité de la maison. Cette alternance d’espaces servis ou servants, dilatés ou en retrait, et même la richesse des décalages sont dus à mise en place d’une double trame de dix et quatre pieds. La première correspond à une dimension structurelle et conceptuelle alors que la seconde intègre les marges, épaisseurs et opacités du projet.

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On constate une juxtaposition des pièces, séparées les unes des autres, le passage par le hall qui fait office de « noyau » est indispensable pour parcourir la maison, exception faite de l’extension dont le couloir se raccorde à une chambre. Le traitement particulier de celle-ci est donc différent du procédé de desserte centrée du reste de la maison. La chambre devient alors transitoire et évoluera très certainement en une pièce d’ordre intime secondaire telle qu’un bureau ou une salle Chambre parentale

de jeux. Plus généralement dans le reste de la maison, la définition de chaque pièce se fait simplement par l’emplacement des murs. Les deux chambres principales, dans l’extension et la maison, bénéficient cependant de quelques marches pour y accéder, seules variations de niveaux dans toute l’habitation, matérialisant ainsi l’entrée dans un nouveau degré d’intimité. Une séparation solide vient toujours délimiter une pièce de l’autre, faisant la spécificité de chacune d’entre elles suivant leur nature : un « mur-étagère » dans la cuisine devient un « mur-passeplat » pour le séjour, ou encore un « mur-dressing » pour une chambre devient un « mur-alcôve » dans une autre. Pour les chambres ayant un traitement identique au niveau de leur rapport à l’extérieur, ce genre de détail contribue à leur différenciation. La seule autre connexion possible entre chaque pièce se fait par le jardin, ce qui lui procure encore une fois toute son importance. La salle-à-manger et le salon, dans la continuité l’un de l’autre forment le séjour et sont les seules pièces traitées dans une dynamique de plan libre. La proximité de la salle-à-manger avec la cuisine, ainsi que le mobilier spécifique à chaque pièce, définissent la fonction de chaque espace. La cheminée, quant à elle, bornant le séjour au sud, limite l’effet d’étendue de la maison dans le paysage,

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Vue de l’ouest, Chambres de même conception avec débord de poutre

à l’image de la sous-face de toiture qui s’étire et pourrait continuer de s’étirer si elle ne venait pas se retourner et s’accrocher au foyer. Enfin, les meubles représentent une nouvelle astuce de Richard Neutra dans le but de contourner à nouveau le programme restreint de cette maison. En effet, la polyvalence des meubles, qui ne sont pas fixes, permet une modularité des différents espaces qui deviennent aménageables suivant les besoins et les envies des usagers.

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« Neutra prenait soin de chaque détail du projet dans le but d’améliorer le mode de vie de la famille. Pour lui la qualité des portes de la garde-robe était tout aussi importante que la couleur des pavés d’ardoise car le «tout» et le «détail» doivent s’assembler pour garantir le succès même d’une simple maison à deux chambres. »

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L’architecte

Vue du patio de réception vers le salon, Sous-face de toit filant vers la cheminée.

6- SMITH Elizabeth Case Study Houses, The complete CSH program 1945-1966, Ed. TASCHEN, 25th anniversary special editions, 2009

portait une vision « gestaltiste » à l’ensemble de ses conceptions dans le but de créer une harmonie, un ensemble agréable à l’œil et au cerveau de manière générale. Ainsi, rien n’était laissé au hasard. A l’époque de la finition de la maison, Mr. Bailey émit le souhait de peindre en blanc l’intérieur des placards afin de pouvoir mieux apprécier leur contenu.

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Neutra fut catégorique et annonça qu’il retirerait son nom du projet s’ils ne demeuraient pas bruns: les placards ne devaient pas agresser le regard mais se fondre dans le tout. En ce qui concerne les murs et plafonds, ils sont revêtus de bois, afin de réduire les coûts d’entretien et de futures décorations. L’ornementation et la décoration sont donc évitées au profit de l’expression de ce matériau naturel, dont la mise en œuvre devait être rigoureuse pour obtenir un rendu de qualité. L’intérieur de la maison offre donc une lecture épurée et le bois, sur lequel la lumière de fin de journée jette ses derniers rayons, habille chaque pièce de manière unique en jouant sur le contraste des différentes essences utilisées. Un bouleau lumineux orne les chambres, tandis que la cuisine est baignée des nuances plus foncées du noyer. L’acajou de la salle-à-manger laisse place à un orme clair de l’entrée jusqu’au foyer. On retrouve à travers toute la maison un panel de matériaux tels que la brique, le stuc blanc, le bois, l’ardoise, l’acier ou encore le verre, composant ainsi une atmosphère douce et moderne. La maison Bailey s’inscrit dans le programme Case Study House. Il est lancé par le magazine « Arts & Architecture » dont le rédacteur en chef, Mr. John Entenza, possède la propriété où sera construite la maison en 1948, la 20ème de la série. Il s’agit de la conception et construction de mai7- Propos ENTENZA John Arts and Architecture magazine, 1945 Recueillis par T. FRIEDMAN Alice Women and the Making of the Modern House, A Social and Architectural History, Ed. Harry N. Arams, 1998

sons d’après-guerre designs et économiques. « Le type de maison qui va naître sera conçu dans l’esprit de notre temps, utilisant autant que possible de manière optimum un grand nombre de techniques et matériaux d’après-guerre dans le but de l’expression du mode de vie de l’homme dans le monde moderne » 7 . En effet, le budget de ces projets reste limité mais l’objectif est de démontrer qu’une maison moderne de

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bonne qualité peut être abordable. Pour se faire, sept architectes de renom collaborent et se lancent dans l’aventure dont Richard Neutra qui compte uniquement cette maison à son actif dans le cadre de ce programme. Une des solutions envisagées pour réduire le budget a été de faire appel directement aux fabricants pour effectuer des réductions voire mêmes des dons sur leurs produits manufacturés. Le magazine s’engageait à publier chaque maison construite. Cet échange permetCuisine et équipements ménagés

tait d’une part, de faire la promotion des entreprises et d’autre part de faire profiter les futurs propriétaires de prix raisonnables pour construire et meubler leur demeure. Pour notre cas d’étude, l’ossature est en bois dans un assemblage poteaux-poutres classique n’ayant pas d’impact visuel dans la lecture de l’ensemble. La grande majorité des éléments constructifs ou de second œuvre sont donc préfabriqués comme les portes en aluminium, ou les trois portes coulissantes du séjour en bois et acier de 3,60*2.40cm. Ce procédé d’association avec les entreprises offre la possibilité de bénéficier des techniques les plus avancées, comme pour ces baies vitrées de très grande taille qui permettent de profiter au maximum, par une vue quasi ininterrompue, de l’ouverture

8- LAMPRECHT Barbara NEUTRA Ed. TASCHEN, 2006

sur l’extérieur. La maison possède également en termes de technologie du moment, « l’ensemble technique préfabriqué Ingersoll, qui regroupait les équipements de chauffage et de plomberie, qui fonctionnaient encore près 55 ans »

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. Ce noyau logistique, trouvant sa place entre

la cuisine et les pièces d’eau, a inévitablement influencé la composition spatiale de la maison et son caractère condensé.

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9 - NORBERG-SCHULTZ Christian Architecture essais et documents Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur, 1985 Chambre largement ouverte sur le jardin. Revêtement de mur bois.

« La maison ne visualise pas seulement les qualités atmosphériques de l’environnement mais doit aussi exprimer le caractère des activités qui ont lieu à l’intérieur. » 9 Ingénieuse, élégante et économique sont autant d’adjectifs qui conviennent à cette maison. Mais elle est avant tout, comme une œuvre, harmonieuse jusqu’au moindre détail et paradoxalement profondément humaine, répondant à une flexibilité appropriée. Ainsi chaque chose est prévue et a sa place, comme la part de hasard ; l’appropriation et la personnalisation des lieux intérieurs aussi bien qu’extérieurs, rend la vie possible et fait de cette maison ce qu’elle est.

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« La fonction de la maison urbaine prit une nouvelle direction

avec Frank Lloyd Wright ou plutôt celui-ci attira de nouveau l’attention sur la nature essentielle de la maison comme point de départ et refuge. 1- NORBERG-SCHULTZ Christian Architecture essais et documents Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur, 1985

Dans ses plans, il ouvrit en effet les espaces pour provoquer une interaction avec l’environnement, tout en créant un monde intérieur protégé et confortable. » 1

Wright n’est pas le seul architecte de son temps à se poser

les questions de l’habitat et de son environnement. On retrouve, chez ces trois architectes, une profonde réflexion sur la manière d’habiter ; appartenant à la même époque, poussés par les mêmes mouvements et standards, ils partagent certaines approches. Cependant, chacun possède son propre langage et bon nombre de leurs propositions peuvent être considérées comme des prototypes de réponses personnelles.

« Maison urbaine ». Aucune de ces trois maisons n’étaient au

départ issues d’une forte urbanité. La campagne offre une liberté d’expression et un attachement plus fort au sol, alors que les maisons citadines dialoguent plus communément avec le ciel. Deux des maisons de ce premier corpus prennent maintenant place dans un contexte urbain, comme c’est également le cas pour les maisons nancéiennes. Intégrées à la ville, elles possèdent des caractéristiques et des traitements inévitablement très différents des premières, mais les problématiques de l’habitat : sa qualité, sa construction, son rapport au site, ses influences historiques, demeurent posés.

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1968 Maison

Claude BAUDOIN

Rue du Général Gouraud, NANCY

Vue de la façade principale, Revêtement de pierre en opus incertum au rez-de-chaussée

En situant la maison rue du Général Gouraud sur un plan de

la ville lors de mes recherches, je fus surprise de constater la nature du quartier dans lequel elle prenait place. Il s’agit d’une petite maison de banlieue sur les hauteurs de Nancy à la limite de Vandœuvre, elle se trouve en continuité du Vélodrome, dans le quartier d’Haussonville. Je connais ces lieux pour y avoir effectué un suivi de chantier sur un ilot de logements sociaux individuels et collectifs. Le voisinage demeure

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résidentiel mais les immeubles collectifs à caractère sociaux ont pris le pas sur les petits pavillons individuels de banlieue. En effet, je souhaitais étendre ma démarche et visiter une autre maison dans la même rue, au numéro 57, mais je ne la trouverai jamais, la rue s’arrêtant bien avant, coupée par un de ces immeubles. C’est dans ce contexte, où deux visages de la ville cohabitent, que notre étude de cas s’installe. Face à la bâtisse, celle-ci se camoufle derrière de larges et hauts arbustes flanqués de part et d’autre du portail non moins haut. Derrière cette barrière d’intimité, on devine mal la maison par manque de recul : elle se trouve environ trois mètres en retrait par rapport à la limite de propriété, ce qui empêche d’apprécier la façade dans sa totalité. Isolée mais non loin de ses voisines, orientée nord/sud, elle se développe sur deux niveaux. Ce qui la caractérise au premier regard est son allure rustique, due à l’utilisation de moellons agencés en opus incertum en rez-de-chaussée. Ce procédé de revêtement, que l’on a pu également observer dans la maison Gropius, est synonyme dans les esprits d’architecture vernaculaire. En levant les yeux, s’impose alors le toit qui occupe un tiers de la composition de la façade et dont les quatre pans, inclinés à 45°, permettent à coup sûr un bon écoulement de l’eau, abondante dans cette région de fréquentes précipitations. La forte présence de la toiture par rapport aux autres niveaux confère à la façade une répartition verticale tripartite comme une réminiscence d’un classicisme lointain. A la seule différence qu’adapté à l’architecture domestique, le niveau noble, plus ample, se trouve être le second niveau. La dimension en hauteur de la toiture est identique

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à celle de l’étage, mais cette première est moins présente de par sa nature et sa forme. Cependant, ces deux derniers niveaux assemblés effectuent une poussée vers le sol, écrasant le rez-de-chaussée en retrait, de par leur massivité et assurent ainsi l’assise de la maison. La forme de l’emprise au sol est également issue d’un esthétisme classique puisqu’il s’agit d’un carré, figure parfaite bi-orientée. Ce choix formel procure à la maison une stabilité visuelle et donne cours à une répartition spatiale interne centrée, basée sur une trame ternaire, soit une répartition de neuf modules d’espace identiques. L’escalier de desserte verticale occupe le cœur de la maison alors que les pièces se distribuent à partir de ce noyau, la partie allouée aux chambres occupant une trame, soit un tiers de la surface habitable. On retrouve ici une version évoluée, plus moderne du schéma traditionnel centré ternaire, puisque la répartition des trames est déséquilibrée ; la proportion des espaces est asymétrique. Celle-ci s’effectue en fonction des besoins qu’impose la nature de chaque partie de la maison. La typologie traditionnelle du plan centré correspond également à une répartition tripartite dans la verticalité avec le dernier niveau habitable, ce qui n’est pas le cas ici puisqu’il s’agit de la toiture non aménagée. Le rez-de-chaussée, est occupé par le vestibule d’entrée et des pièces de services – à l’origine il s’agissait d’un cabinet professionnel accessible par l’arrière avec ses parties servantes - alors que l’étage est consacré à la partie réception de l’habitation ainsi qu’aux couchages. On observe également 1- DIEUDONNE Patrick, BRADEL Vincent, VIGATO Jean-Paul Existe-t-il une architectonique de la maison? 1985

que ceux-ci, le séjour et les chambres, se développent selon deux directions, ce qui peut être interprété comme « une restitution des séquences fastueuses du plan classique » 1 .

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Vue séquence d’entrée, Percée vers le jardin.

Le mur porteur en façade principale, au nord, se biaise au niveau du rez-de-chaussée invitant le visiteur à franchir les quelques marches du palier et à s’engouffrer dans la demeure. La porte d’entrée, qui est toute hauteur, est composée en trois parties vitrées : les deux battants de la porte à proprement parler et une partie fixe en blocs de verre permettent

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d’éclairer convenablement le vestibule que l’on devine derrière. On remarque dès à présent des effets décoratifs comme la niche à mi-hau-

Vue du vestibule, Entrée porte et paroi de verre.

teur dans le mur, ou encore la variété des matériaux et leurs mises en œuvre. En effet, les pavés rectangulaires des blocs de verre positionnés à la verticale ainsi que les figures géométriques également verticales

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Vur escalier en marbre, Marches décollées du mur et rampe inclinée.

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dessinées par le fer forgé de la porte, viennent contraster avec les pierres du mur majoritairement appareillées à l’horizontale. Le seuil de la maison assume totalement sa fonction : la volée de marches, signalant l’entrée dans l’intimité, marque la transition entre le domaine public et privé. De plus, l’avancée de l’étage, offrant une protection contre les intempéries, ainsi que la continuité du sol, que ce soit en termes de niveau ou de rendu esthétique et chromatique, indiquent la transition entre intérieur et extérieur. Cet espace en équilibre peut être considéré comme un microlieu à la manière de Wright de par son traitement, bien qu’il soit borné, délimité physiquement. A travers la porte, on perçoit une transparence sur l’arrière de la maison qui laisse deviner une végétation dense côté jardin. Il s’agit de la seconde entrée, dans l’axe de la principale : on venait l’emprunter pour accéder au cabinet médical qui a laissé place à une dépendance constituée d’une chambre, d’un bureau et d’une pièce d’eau. Le rez-de-chaussée comprend, en plus de la dépendance occupant tout l’arrière de la maison, un garage en lien direct avec le vestibule, un bureau, une buanderie et un accès au sous-sol qui s’étend à toute l’emprise de la maison. Des sauts-de-loup tout autour de celle-ci éclairent les différentes caves, cellier et chaufferie, affectant l’esthétique des aménagements extérieurs. L’entrée - qui est aussi le vestibule est très sobre à l’exception de l’escalier : un fauteuil posé en angle « côté garage » et une commode contre le mur au fond, habillent la pièce. Des placards encastrés aux lignes épurées, certes d’une autre époque comme me le fait remarquer le propriétaire, se font discrets tout

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le long du mur adjacent à la buanderie et au bureau. L’atmosphère est chaleureuse avec les placards en bois mais presque pesante avec le revêtement en lambris de bois foncé au plafond succédant au lambris peint en blanc en sous-face du perron. Le sol d’un revêtement beige très clair tout comme l’escalier principal en dalles de marbre, viennent contraster et rééquilibrer l’ambiance. On retrouvera cette ambivalence chromatique un peu dans toutes les pièces de jour de la maison. Trois marches face à nous descendent vers la partie côté jardin, marquant le caractère indépendant de ce secteur de la maison et n’invitent donc pas à aller plus avant sans y être convié. A contrario, l’escalier principal sur la gauche attire le regard et impose le parcours de l’ascension vers l’étage de par son caractère monumental. Ce n’est pas sa largeur qui impressionne, il reste aux proportions d’une cage d’escalier domestique, mais ses marches de marbre si massives, qui s’élèvent pourtant sans effort effleurant à peine les murs qui les contraignent, en une courbe gracieuse déposant le visiteur sur le palier. Le vestibule d’origine accueillait un parterre planté sous l’escalier, accentuant ainsi le côté faste luxuriant du cœur de la maison. La cage d’escalier est éclairée de façon zénithale, ce qui manque de pertinence et d’efficacité au vu de l’imposante toiture à quatre pans. Des tuiles de verre filtrent la lumière jusqu’à une seconde paroi de verre flouté en plafond au-dessus de l’escalier. Des apports de lumière artificielle d’appoint sont disposés le long de cette paroi, camouflés « côté grenier », afin de pallier cette déficience lumineuse. Cependant, cet espace central n’est pas sombre et ceci est dû au vestibule baigné de la

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Vue de l’escalier principal et des marches qui descendent vers la dépendance.


lumière homogène du nord ainsi qu’à la bibliothèque vitrée servant de cloison séparatrice avec le séjour. L’étage comprend en plus du séjour, un salon, une cuisine, un coin repas, deux chambres et une salle-debain avec un sanitaire séparé. L’escalier et le dégagement à l’étage desservant les différents espaces pouvaient être considérés comme formant une pièce à part entière à l’époque. Tout d’abord, grâce au garde-corps en bois qui connecte l’escalier et son palier en se prolongeant le long du dégagement. Le sol de celui-ci n’est pas droit mais trapézoïdal, s’évasant dans un angle suggéré par la dernière marche et ouvrant sur la desserte des chambres, il unifie ainsi encore une fois l’ensemble. Ensuite, la présence systématique de portes confère des Vue du dégagement vers le séjour à travers le meuble bibliothèque, Eclairage zénithal de la cage d’escalier

limites physiques à cet espace. Bien que fermer physiquement une pièce ne soit pas nécessairement ce qui définisse un lieu, comme a pu nous l’apprendre Wright, dans ce cas de cage d’escalier déjà ouverte en hauteur, ce procédé semble approprié. Deux de ces menuiseries intérieures imposaient la privatisation : de la salle-de-bain pour une chambre et des sanitaires pour la seconde. Peut-être par un manque de fonctionnalité flagrant dans ce système et surtout pour éviter une sensation de confinement, toutes les portes ont été supprimées. Cette modification a pour conséquence l’effet souhaité : le non confinement et une fluidité de parcours ont été gagnés, mais ceci au détriment de la définition de l’espace central en tant que pièce à proprement parler. En effet, la continuité visuelle que formaient les murs et les portes étant interrompue à présent par des renfoncements, la sensation de couloir a pris le dessus.

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Plan de l’étage, échelle 1/100e Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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On observe en coupe ce que l’on peut expérimenter réellement dans la maison par l’usage des quelques marches descendant à la dépendance ou celles montant vers les chambres, il s’agit d’un début de Raumplan. Cette conception de l’espace introduite par Adolf Loos est ici interprétable par une variation des hauteurs. De la même façon que le plan est asymétrique, les hauteurs sont calculées en fonction de la nature et des besoins de chaque partie de la maison. On retrouve ce dispositif dans les trois cas d’étude théorique précédents: Neutra introduit également quelques marches pour marquer l’intimité des chambres, le rez-de-chaussée de réception de la maison Gropius, quant à lui, a une hauteur plus élevée que celle de l’étage privé, alors que Wright fait le choix de combiner à la fois un dénivelé au sol et une alternance des hauteurs en plafond. Ces procédés contribuent à la hiérarchisation mais également à l’identification des espaces, par la création de microlieux. Permettant de définir un espace par son usage, alors que celui-ci se trouve flottant dans un plan libre, cette pratique wrightienne remplace la notion plus commune de « pièce ». Elle est utilisée ici à plusieurs reprises. Le coin repas et le salon sont tous deux des microlieux, se trouvant dans la continuité du séjour. Ils possèdent pourtant leurs propres natures. Les avancées formées par la cage d’escalier et la cuisine créent des décalages réduisant la taille de ces deux espaces par rapport au séjour, les rendant plus intimes. Enfin, les aménagements de chacun entrent en jeu : un léger débord du mur en façade sud par rapport au nu intérieur du séjour laisse entrevoir un voile Vue du salon vers le séjour, jusqu’au coin repas. Décalage spatial des trois sous-espaces.

structurel maçonné qui entre dans la composition et oriente le coinrepas. Une porte privative donnant accès à l’extérieur, ainsi qu’un vitrail

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tout en verticalité, unique dans toute la maison, participent à l’identité de la pièce. En ce qui concerne le salon, celui-ci se différencie par son orientation est-ouest dans l’axe fenêtre-cheminée. A l’époque, une banquette longeait le mur et se retournait jusqu’au foyer, accentuant cette sensation d’appartenance au même espace. Actuellement, la cheminée s’est décalée dans l’angle et la banquette a été remplacée par un ensemble canapé et fauteuils, mais leur position entre le séjour et le salon remplit à sa manière sa fonction de délimitation et d’identification de ce lieu. Dans un tout autre registre, lorsque l’on ressort de la maison, on retrouve un autre procédé wrightien, dit moderne, dans le traitement des façades et des abords qui nous interpellent davantage que lors de notre première lecture. Le bandeau de bardage bois de quelques dizaines de centimètres qui s‘intercale entre le haut de la façade et la toiture et effectue le tour de la maison, n’est pas sans rappeler le procédé de Wright de décollement des toitures de ses maisons. En effet, celui-ci avait pour habitude de dématérialiser le volume en introduisant Vue du vitrail actuel.

une bande de fenêtres en partie haute, comme à l’avant de la maison Rosenbaum. La différence ici, outre le fait que l’on a affaire à un revêtement et non à des menuiseries extérieures, réside dans la forme du toit. Celui-ci n’étant pas horizontal, l’effet de légèreté et de décollement obtenu par Wright est ici inversé par l’accentuation de l’effet de masse de la toiture. Même dans son registre de modeste pavillon de banlieue et même si elle ne possède pas clairement les cinq caractéristiques de type corbuséen, la maison recèle donc quelques agencements modernes dans sa

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composition. On remarque que, comme dans le cas de la Case Study House de Neutra, les bandes de services servent de prétexte et les murs s’épaississent pour accueillir de nombreux rangements, comme entre la salle-de-bain et le palier. Dans le prolongement du bloc maçonné du foyer et des installations de la cuisine, deux placards, occupant la largeur de ces deux bandes de service, viennent en terminaison en se tournant vers le dégagement ou la chambre. Les pièces de jour s’organisent, elles, dans un plan libre : le coin repas se lit comme une grande alcôve dans la continuité de la longueur du séjour et est directement en lien avec la cuisine. Celle-ci, pour des raisons logistiques, possède deux accès. Le coin repas et le séjour, bien qu’ayant aujourd’hui fusionnés leurs fonctions en une salle-à-manger, s’enchainent dans la continuité l’un de l’autre un peu comme le séjour de la maison Bailey à la différence que, dans ce cas présent, ce n’est pas le foyer mais les murs maçonnés qui bornent de part et d’autre cet ensemble qui occupe tout l’arrière de la maison à l’étage. On profite également d’une large ouverture sur l’extérieur au sud grâce aux châssis de grandes dimensions des menuiseries extérieures. Celles-ci donnent accès à un balcon qui se trouve à la hauteur des arbres tout proches. Un débord de toiture vient le couvrir à moitié sur toute la longueur et comme pour le traitement du seuil en retrait couvert par l’étage, cette association est en soi une transition diffuse entre intériorité et extériorité. A l’origine du projet, en empruntant l’escalier extérieur à quart-tournant à l’angle sud-ouest de la maison, on accédait à l’extrémité du balcon. Le longeant sur toute l’étendue de la façade, nous n’étions déjà plus réellement à l’extérieur. En effet, face à nous, un claustra venait l’interrompre sur toute sa largeur,

Vue du séjour vers le balcon

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se prolongeant par le mur, il nous orientait ainsi vers l’intérieur. En se retournant, on remarquait alors les baies vitrées et en approchant, on entrait dans un nouveau degré d’intériorité. Le voile, en débord face à nous, encore une fois, nous contraignait à emprunter la baie alors que le débord de toiture nous accompagnait jusqu’au séjour. Ce processus est aujourd’hui quelque peu altéré par l’absence de l’escalier. Plus généralement, la volumétrie de la maison et son implantation, se rapprochent davantage de la maison Gropius. Toutes deux sont de simples pavés compacts, l’une parallélépipédique et l’autre cubique et sont orientées au sud côté jardin, faisant bénéficier à leurs pièces de jour d’une lumière abondante. Elles ont « la tête dans les arbres » au niveau de leurs terrasses et balcons respectifs auxquels on accède par un escalier extérieur réservé à cet effet. La différence demeure encore une fois dans la forme de la toiture et également dans la matérialité des façades. Bien que la maison de Walter Gropius offre une large variété de l’utilisation des matériaux, ses façades sont essentiellement composées d’un seul revêtement, contrairement à la maison de Baudouin. Et enfin, toutes deux possèdent leurs quatre façades asymétriques dans leurs compositions et surtout totalement différenciées les unes des autres. On retrouve sur les quatre côtés de la maison nancéienne, en plus du bandeau en partie haute, une différenciation des deux niveaux, le rez-de-chaussée étant revêtu de pierre en opus incertum sur trois des faces, tout le reste demeure revêtu d’enduit. Sur les deux façades latérales, on remarque une interruption de cette disposition par le traitement d’une « bande de composition verticale » en bardage bois servant de

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En haut: façade est En bas: façade ouest Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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En haut: façade nord En bas: façade sud Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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fond commun aux ouvertures des chambres, garage et buanderie. La façade arrière, elle, est la plus ouverte mais tout comme celle à l’ouest, elle est composée de percements de formes variées ce qui confère à la maison son aspect asymétrique. La proportion des châssis de fenêtres, ainsi que les deux cheminées, participent également et renforcent ce côté hétéroclite. Pour sa part, la façade avant propose une composition de deux formes rectangulaires se superposant mais qui demeurent dissociées, chacune venant interrompre un étage. Elles semblent s’intégrer dans leur proportion au reste de la façade par un jeu de composition de lignes directrices « de type corbuséennes ». La maison est isolée et décollée de ses limites parcellaires, cependant je ne suis pas sûre que l’on puisse en faire le tour et je ne verrai jamais le dernier côté de la maison à l’est, non pas qu’il soit impossible d’accès mais parce que mon parcours ne m’y a pas emmenée. En effet, le contournement de la maison par l’extérieur se fait dans un enroulement «anti-horaire». Le voile, à l’angle est de la façade avant, se détache sur toute la hauteur. Cette avancée contraignante, ainsi que le mur biaisé de l’entrée se déroulant à l’opposé, incitent tous deux à contourner la maison par l’ouest. Au sud, le claustra se développant sur la hauteur des deux niveaux, marque la fin du parcours comme pouvait le faire les grilles de la maison Gropuis, excluant ainsi le quatrième côté de la maison. Ce jeu de débords des voiles structurants, de détachement des différents nus des revêtements en façade, ainsi que le renfoncement du rez-de-chaussée par rapport à l’étage, contribuent à la « dislocation de la boîte-cercueil » 2 . Ce procédé, adaptation d’une certaine manière de la « syntaxe de la décomposition quadridimensionnelle de Zevi » 2 , affirme le caractère moderne de la demeure.

2- DIEUDONNE Patrick, BRADEL Vincent, VIGATO Jean-Paul Existe-t-il une architectonique de la maison? 1985

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La maison Baudoin est une maison pleine de dualité dans sa composition et sa construction trouvant son équilibre entre modernité et tradition. Son agencement intérieur semble figé au premier regard, alors que les espaces se révèlent au contraire riches dans leurs nombres et leurs aménagements. La prochaine maison de l’architecte Henri Prouvé, d’une composition proche de celle-ci, pourrait pourtant être considérée Escalier principal décollé du mur

comme étant la négation de la maison Baudoin.

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1958 Maison

Henri PROUVE

Rue de Beauregard, NANCY

Vue de la maison depuis la rue, aujourdh’ui.

La maison rue de Beauregard est une œuvre de Henri Prouvé. Située sur les hauteurs de Nancy entre l’avenue de Boufflers et Laxou village, cette maison est intrigante au premier abord par sa forme et sa structure. Ses grandes dimensions lui permettent d’être à la fois introvertie, cachant en son sein un patio, et très ouverte. Avec un balcon orienté au sud, elle se positionne comme un belvédère sur la ville qui se

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développe en contrebas. Ce fut donc avec une curiosité aiguisée que je me lançai à la recherche de cette maison. J’avais été mal informée et l’adresse que je possédais m’indiquait d’aller chercher quelques numéros plus loin. Cependant, une fois dans la rue, il était impossible de se tromper. Flanquée de sa voisine, sœur d’architecte, au profil cubique se développant sur trois niveaux, ces deux maisons font figures à part dans ce quartier de résidences individuelles de par leurs volumétries que l’on peut qualifier de modernes. Un peu surélevée par rapport à la rue, la maison, aux allures de villa de forme carrée, se hisse sur ses pilotis renforcés de murs maçonnés en pierre au rez-de-chaussée lui servant de socle. Maison à deux niveaux, elle se présente comme une composition de plusieurs lignes horizontales qui se succédent : le rezde-chaussée, le balcon, l’étage et la toiture. Mais on ressent, par la position de chacun des éléments de cet assemblage, une dualité. En effet, le volume de l’étage semble vouloir se projeter vers le ciel par les poteaux qui le portent, alors que le rez-de-chaussée beaucoup plus massif retient et accroche la maison au sol. Enfin, la toiture épaisse, en léger débord dans toutes les directions, termine de bloquer le volume de l’étage et d’asseoir la maison, comme écrasée. Une grande surprise ainsi qu’une déception m’attendaient alors que j’abordais cette maison en empruntant l’escalier réservé à cet effet : quatre boîtes-aux-lettres trônaient suspendues à un voile structurel délimitant le seuil d’entrée. La maison, depuis son origine, a été divisée en quatre appartements, deux par étage. Cependant, je décide de ne pas m’arrêter là et envisage ce contretemps comme étant l’occasion d’être témoin de l’évolution et de la restructuration d’une architecture domestique.

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Boîtes-aux-letres des quatre locataires actuels


On ne peut parler de requalification étant donné que la bâtisse reste dans le domaine résidentiel. Cette transformation est rendue possible grâce aux impressionnantes dimensions de la demeure, son emprise de forme carrée, mesurant aux alentours de dix-sept mètres de côté, engendre au niveau de la composition spatiale intérieure de très grands espaces. Aujourd’hui, les modes de vie ayant changé - on ne vit plus dans d’aussi grandes pièces - et surtout semblerait-il par recherche pécuniaire, quatre logements résident là où autrefois il n’y en avait qu’un. On observe que chacun des côtés de la maison est tramé en trois travées et on dénombre seize poteaux soit neuf modules. La répartition en plan des espaces se fait selon un plan centré parfaitement équilibré. Unique maison à patio de Nancy à l’époque, celui-ci occupait la centralité de la maison, place plus communément occupée par l’escalier et le hall dans la typologie classique. Actuellement, pour des raisons de desserte des différents appartements, on assiste à un retour du genre de base : le patio a été supprimé – à mon grand regret – et substitué par une cage d’escalier commune. Cette disposition se rapproche plus à présent de celle d’un petit immeuble d’habitation que d’une demeure. Dans ce cas particulier, la typologie du plan centré s’est vue rationalisée et la structure poteaux-dalles restait volontairement lisible, répondant ainsi à la théorie de l’ossaturisme du mouvement moderne. Dans cette hiérarchie du porteur et du porté, « la traduction de la trame est la mise en œuvre de poteaux visibles, qui prennent place dans un contraste opposant structure et remplissage par l’alternance des matériaux. Le bois, la brique, le verre et la pierre prennent chacun leur part dans cette hiérarchie» 1 .

1- DIEUDONNE Patrick, BRADEL Vincent, VIGATO Jean-Claude Existe-t-il une architectonique de la maison? 1985

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La rationalisation constructive était contraignante pour la conception spatiale d’origine : chacun des neuf modules accueillait un type de pièce bien spécifique. Cependant, celles-ci n’étaient pas rationalisées suivant les dimensions imposées par la structure, leurs proportions répondaient à leurs natures et leurs besoins comme pour les études de cas des maisons modernes précédentes. Ainsi, un jeu entre poteaux et cloisons indépendantes de la structure ont façonné les différents lieux de l’étage selon un plan libre mais paradoxalement tout de même contraint. Les niveaux inférieurs, eux, répondaient à une répartition plus traditionnelle, structurée par des murs maçonnés. Le rez-de-chaussée étant en retrait de toute part par rapport à l’étage, les modules perdaient leur forme carrée et étaient moins lisibles. Cinq de ces cellules étaient reportées et utilisées en sous-sol pour des espaces de logistique et de stockage, agencés en enfilade les uns par rapport aux autres, comptant trois caves, une buanderie et un espace de dégagement avec l’escalier. Les deux niveaux hors-sol se répartissent, encore actuellement, comme pour la maison Baudouin : les services et pièces secondaires au premier et les pièces principales au second niveau. Dans une dynamique d’orientation nord-sud, l’entrée de la maison se fait tout à droite de la façade sud. Celle-ci, correspondant à un module, était composée à l’origine par l’association d’un seuil et d’un double sas, avec une partie réservée au passage et une partie non accessible, vitrée, réservée à la plantation. Le seuil se prolongeait tout le long de la façade avant, défini par la sous-face du balcon qui venait également couvrir l’entrée du garage occupant, lui, les deux tiers de la trame sur la gauche. Dès le tambour d’entrée, on devinait par transparence l’escalier droit, face

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à nous, que l’on viendrait chercher par l’arrière pour explorer le reste de la maison. Une porte mettait en lien direct le vaste garage et le pied de cet escalier. Le hall contenant l’escalier, quant à lui, se prolongeait dans la continuité de l’entrée, finissant par une porte qui donnait accès au jardin. Les deux derniers tiers de la façade nord, au niveau du rezde-jardin, étaient occupés par deux chambres avec leurs pièces d’eau dépendantes et une pièce de rangement commune aux deux. Les deux chambres et le hall, s’ouvraient ainsi largement sur l’arrière de la maison profitant d’une abondante lumière diffuse et homogène.

Vue actuelle d’une terrasse vers le seuil d’entrée qui sépare les deux espaces extérieurs des logements du rez-de-chaussée.

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A l’étage, comme au rez-de-chaussée, les deux chambres étaient orientées au nord à la différence qu’ici elles occupaient toute la longueur de la façade arrière sur la largeur d’un module. Y accédant par un couloir qui longeait le patio central, les chambres et leurs sallesde-bain respectives se répondaient dans une symétrie quasi parfaite. Les deux pièces d’eau s’imbriquaient l’une l’autre au niveau de leurs baignoires et occupaient à elles deux la travée centrale, regroupant ainsi les arrivées et descentes d’eau entre les deux niveaux. Dans la continuité du couloir de desserte, les chambres bénéficiaient de rangements. Le reste de l’habitation, pour sa part, se développait en U, « coincé » entre les façades et le patio, dans une succession plus ou moins fluide d’espaces. L’escalier, montant contre une cloison de la cuisine, débouchait sur un dégagement communiquant avec celle-ci et le séjour, de part et d’autre du palier, et avec la salle-à-manger, en face au sud. En se retournant, on pouvait accéder à l’arrière de l’escalier, au couloir des chambres et sanitaire ainsi qu’à l’office. Ce dernier communiquait directement avec la cuisine et les deux accès unissaient ainsi les espaces du dégagement et ceux de l’office-cuisine se tenant dos-àdos, éclairés d’un côté par le patio, de l’autre directement par l’extérieur. De manière générale, les pièces s’enchainaient en enfilade dans un mouvement d’enroulement dû à la contrainte « du U » mais également à la disposition des voiles orientant le parcours. Celui-ci était double: soit rapide longeant le patio, il connectait les pièces les plus imposantes et centrales dans la trame, l’ensemble de la cuisine, le séjour et le bureau, soit plus lent, en intégrant à l’itinéraire les pièces en angles, plus petites, telles que la salle-à-manger ou le salon. On peut observer dans cet

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agencement que certains espaces se ressemblaient dans leurs proportions et se succédaient formant une séquence : l’ensemble de la cuisine et le séjour occupaient un peu plus d’un module, alors que la salle-à-manger et le salon, s’intercalant entre les précédents, sont eux un peu plus petits. Dans une autre dynamique, les espaces de réceptions, se développaient sur tout l’avant de la maison, profitant du balcon. Enfin, le patio central était accessible seulement sur deux de ses côtés consécutifs, attenants aux pièces de jour, dissociant ainsi les espaces jour-nuit et servi-servant.

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Après la découverte de l’existence de quatre logements dans cette maison, il était intéressant de mesurer l’impact de cette modification sur l’extérieur, directement sur la composition des façades. Toutes étaient et demeurent différentes les unes des autres mais à l’époque, se relevait une unité d’ensemble par des jeux de symétrie ou de répétition, dans l’alternance des menuiseries extérieures et revêtements. Aujourd’hui, les modifications ne dénaturent pas à première vue l’allure générale de la maison : la mise en œuvre et les matériaux semblent essayer de se raccorder au mieux aux originaux et certaines symétries sont conservées alors que d’autres sont créées. Les façades latérales par exemple, ont été sujettes à des modifications d’ouverture au rez-dechaussée, mais celles-ci ont été réalisées dans l’alignement et dans le même langage d’assemblage que celles de l’étage. Cependant, cette attention particulière ne suffit pas car quelques exceptions parmi les modifications n’ont pas pu faire autrement que d’altérer la cohérence de composition de la façade. C’est le cas par exemple à l’arrière, au rez-de-chaussée, les menuiseries au centre étaient dans la continuité de celles de l’étage ce qui assurait une cohésion d’ensemble, alors qu’actuellement, elles respectent un gabarit dans l’ensemble allongé, ne brisant pas la lecture horizontale, mais la symétrie et le lien entre les deux étages n’existent plus. Quant à la façade d’accès, la répétition dans l’alternance des baies à l’étage a été révisée : les deux travées de droite sont en miroir marquant ainsi leur appartenance au même logement. Au rez-de-chaussée sud enfin, on ne lit plus l’escalier d’accès au Plan de l’étage d’origine Echelle 1/100e Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

balcon qui a été supprimé, de même que le garage et l’entrée, quant à elle, a été déplacée plus au centre.

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En montant les quelques marches qui nous portent au niveau du seuil d’entrée, des voiles s’avançant sous le balcon délimitent les espaces des deux jardins et terrasses des logements à ce niveau de part et d’autre de l’entrée. Derrière la porte, on découvre une large cage d’escalier éclairée de manière zénithale par quelques uns des puits de lumière. La propriétaire de l’appartement « en haut à droite » est surprise de ma visite n’ayant pas reçu ma lettre, mais accepte tout de même de m’ouvrir les portes de chez elle et de me conter ce qu’elle connait de l’histoire de la maison. En entrant, la vision est bouchée : face à nous une autre porte s’ouvre sur une chambre, remplaçant l’office. Cet accès, tout comme celui de la cuisine, demeure inchangé mais la séparation des fonctions et donc des pièces brise l’unité que formait ce double accès entre cuisine et dégagement. Celui-ci reste également presque le même : quelque peu étendu sur l’espace de l’ancien patio, il a aussi bénéficié de la superficie de la trémie d’escalier d’origine qui a été rebouchée. Sur la gauche, à l’arrière de l’appartement, la salle-debain et le sanitaire restent inchangés et deux chambres se glissent en enfilades l’une de l’autre, là où il n’y en avait qu’une. La salle-à-manger et le salon demeurent également là où ils étaient. Finalement « peu de choses» ont changé, mais la perte du patio a engendré, outre la perte de lumière et de végétation non négligeable, un manque de fluidité dans le parcours. L’aisance entre les salles de séjour et le balcon représente la seule variation de parcours dans l’appartement. Celui-ci Plan actuel d’un appartement sur l’ancien tracé de Prouvé, Echelle 1/100e Restitution graphique d’après les documents d’origine et une visite in situ. Archives municipales de Nancy.

en tant que tel n’est pas désagréable à vivre. Il est certes, comme la maison rue Gouraud, d’une autre époque avec son lambris sombre au plafond, mais reste spacieux, fonctionnel et bien orienté. Le dégage-

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ment central est mal éclairé mais il a la qualité, de par sa largeur, de pouvoir être appropriable et aménageable de manière personnelle et variée par les occupants. Les qualités spatiales de la maison sont très fortement réduites, mais il est intéressant de constater que la rigueur et la neutralité d’un tel plan à l’origine a permis très facilement une nouvelle réinterprétation de l’espace.

Puit de lumière Apport de lumière zénithale dans le dégagement de l’entrée actuelle;

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L’emplacement des pièces n’a peut-être que très peu bougé, mais les cloisons ont tout de même été modifiées : démolies puis reconstruites, comme celle de la cuisine qui a été légèrement décalée par exemple, ou totalement nouvelles comme celle entre les deux chambres ou celle qui sépare l’appartement de son voisin et de la cage d’escalier. En effet, les espaces entre les poteaux ont été comblés, non pas dans une hiérarchie de porteur et porté en différenciant les composant du mur, comme la théorie de l’ossaturisme prônée à l’origine du projet, mais totalement remplis en absorbant la structure porteuse des poteaux. A la différence de la maison Rosenbaum de Wright, où la structure demeurait visible, incitant à un choix des matériaux de qualité et à une mise en œuvre soignée, on observe ici une superposition de strates de différents matériaux. Toutes ces modifications ont donc pour conséquence que nous n’avons plus affaire à la mise en œuvre et à la matérialité de l’époque. Seule demeure la lecture de la rationalisation à l’extérieur, par la structure qui se devine dans la composition des façades et à l’intérieur, par la présence de certaines fenêtres qui ont été conservées. Celles de la chambre principale sont d’origine, alors que celles du séjour ont été remplacées mais conservent les proportions initiales. On peut observer de l’extérieur, aujourd’hui comme à l’époque, un bandeau en partie haute constitué par une alternance entre des menuiseries extérieures et un revêtement bois camouflant le volet. Ce bandeau, qui compose parfaitement avec le reste de la façade, crée, par sa dimension étroite, une rupture entre murs et toiture comme pouvait le faire communément Wright. Ce procédé, que nous avons déjà évoqué, confère une impression de décollement de la toiture. Ici, la lec-

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ture est ambiguë : ce bandeau effectuant tout le pourtour du bâtiment, l’effet d’arrachement de la toiture fonctionne d’autant mieux que celleci est horizontale. Cependant, les proportions entre l’épaisseur de ce bandeau et celle de la toiture étant sensiblement les mêmes, on assiste davantage à un effet de doublement de cette dernière ce qui, à l’opposé du phénomène d’arrachement, accentue le sentiment d’assise. On notera qu’à l’intérieur, les pièces ayant été divisées et diminuées, l’effet visuel de ce jeu de fenêtres n’a plus tellement d’intérêt et certaines en partie haute ont été en grande partie occultées. Contrairement à toutes les maisons que l’on a pu obserVue de la cuisine actuelle Fenêtre bandeau ocultée en partie haute

ver jusqu’à présent, la maison de Prouvé possède un accès depuis la rue qui se fait par le sud. Cette variante engendre un rapport à l’extérieur totalement différent. Par rapport à la maison Bailey de Neutra par exemple, l’accès se faisait depuis le chemin privatif au nord et la maison s’ouvrait sur le jardin à l’arrière au sud. Ici, celui-ci demeure à l’arrière mais au nord, alors que la maison s’ouvre au sud, donc côté rue. A l’origine comme aujourd’hui, on observe d’ailleurs que les ouvertures côté jardin sont soit des fenêtres pour apporter de l’éclairement aux pièces à l’arrière, soit une simple porte d’accès logistique qui existait alors. On est loin des larges baies vitrées de la maison de Neutra, s’ouvrant dans une continuité du sol sur le jardin. Ainsi, les terrasses et balcons situés au sud sont les seuls utilisés plus régulièrement, pour la vie quotidienne, la prise des repas par exemple. La proximité de la rue ne dérange pas tellement car la différenciation entre les secteurs, public et privé, est

Vue de la façade nord existante

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bien démarquée : la maison est plus haute que la rue de quelques


Façades d’origine, de haut en bas: sud, est nord, ouest. Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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mètres, elle observe un retrait correct et bénéficie de murets, d’arbres et d’arbustes complétant cette délimitation. A l’instar de la Case Study House toutefois, le patio et le balcon étaient semblables aux cours de Neutra dans leur utilisation et leur rapport à l’extérieur. Tous deux respectaient la continuité du niveau du sol entre intérieur et extérieur et tous deux s’ouvraient très largement sur les espaces intérieurs. La superficie utile était également agrandie, ce qui, dans ce cas, n’avait pas tellement d’utilité directe au vu de l’ampleur du programme, mais ce système permettait d’avoir affaire à un réel plan libre pour les espaces de jour, fluidifiant et variant ainsi les parcours. Enfin, toujours comme pour la maison Bailey, mais également pour la maison Beaudouin, les murs s’épaississaient accueillant des rangements ou placards techniques, créant des bandes de services utiles aux parties de jour comme de nuit, délimitant ainsi la partie privée de la partie de réception de la maison. Comme pour la maison précédente, le prisme de la maison n’est pas sans rappeler la maison de Walter Gropius. Cependant, dans ces deux cas, les volumes ne sont pas brisés et restent hermétiques, alors que la maison Gropius voit son volume sculpté au sud dans le but d’intégrer et de profiter au maximum de l’extérieur. Le balcon dans notre cas d’étude, possèdait à l’origine un accès indépendant extérieur, et le patio est un apport direct de végétation au cœur même de la maison. Quant aux débords de toiture, de l’étage par rapport au rez-de-chaussée, ou encore la sous-face du balcon, tous ces espaces d’entre-deux, de transition entre intérieur et extérieur, contribuent également à la maîtrise de l’apport lumineux. La matérialité, quant à elle, n’est pas mise à

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Vue du salon actuel vers le balcon


l’honneur dans la nouvelle version de la maison, contrairement à nos trois cas d’étude théoriques et la hiérarchie des pièces reste très figée. On ne devine pas les pièces servies des servantes par une variation des hauteurs comme dans les cas précédents, mais le cloisonnement systématique se charge de définir chaque espace au point qu’il ne soit quasiment plus adaptable. On observe un peu ce phénomène dans la maison Gropius: chaque pièce est à sa place, est définie et possède sa fonction, seuls les espaces de séjours peuvent être aménageables et appropriables par l’utilisation de mobilier non fixe. Mais comme dans ce cas de la maison Prouvé, les variations possibles restent limitées, la disposition est suggérée : on ne place communément pas le salon à côté de la cuisine et le coin repas à l’opposé près de la cheminée même s’il s’agit d’un plan « libre ».

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Ci-contre: Vue du seuil de l’entrée vers une terrasse en sous-face de balcon.

Répondant à une dualité comme la première maison, celleci semble cependant paraître d’abord moderne, dans son allure, sa structure, puis tout de même traditionnelle dans sa composition. En effet, la modernité revendiquée ici engendre cependant des espaces qui tendent à être figés. Il semble s’agir plus d’un essai de langage moderne, qui voit son développement retenu par des contraintes d’ordre local, à l’inverse de la maison Baudoin qui, partant de données imposées par la localité, ne choisit que des réponses pertinentes dans les possibilités qu’offre le mouvement moderne. Dans un autre exemple, la prochaine maison utilise ces contraintes « de site » comme réel moteur d’architecture et la modernité, quant à elle, en découle.

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1930 Maison

Raphaël OUDEVILLE

Avenue de Boufflers, NANCY

Vue de l’escalier d’entrée vers la porte de seuil

En empruntant quotidiennement l’avenue de Boufflers pendant quelques mois, j’ai pu remarquer des maisons aussi diverses et variées qu’atypiques. Cependant je ne notai la présence de celle-ci qu’à partir du moment où elle est entrée dans mon corpus d’étude. Atypique est pourtant l’adjectif qui la qualifie le mieux, mais elle se préserve des

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regards et se camouffle derrière une façade sobre. Occupant pourtant un angle de rue, sa discrétion est sûrement due d’une part à cause de sa situation de double mitoyenneté et d’autre part, à cause de sa double volumétrie. Effectivement, si l’œil ne s’arrêtant pas sur cette façade sobre, perçoit deux maisons là où il n’y en a qu’une, c’est parce qu’elle possède deux façades avant : une faisant face à chaque rue du carrefour et toutes deux sont dissociées par un vide, un renfoncement. Cependant, il n’y a pas de doute au vu des menuiseries extérieures qui sont identiques, il s’agit bien de la même demeure. A mi-hauteur dans l’avenue, elle est traversante, orientée du nord au sud et s’organise sur bon nombre de niveaux et demi-niveaux. Ceci est dû à un terrain en pente, on observe un fort dénivelé entre le rez-de-chaussée et le rezde-jardin, et également à sa situation urbaine : en plein Nancy non loin du centre-ville, la densité sur rue est élevée dégageant les jardins, ce qui engendre la mitoyenneté et des maisons qui doivent se développer dans les étages. La bâtisse, construite en 1930 était la propre demeure de l’architecte Raphaël Oudeville, celle-ci lui servait semblerait-il de garçonnière. Les façades nord se présentent comme de simples pans de murs uniformes perturbés par seulement quelques percements, tous de formes et de tailles différentes suivant le type d’éclairage adapté à la pièce qui se situe derrière, ce qui peut être considéré comme une caractéristique du mouvement moderne. Si on essaie de rapprocher cette maison d’une typologie, ce serait de celle des maisons à deux travées. Dans ce cas, les deux travées se chevauchent en finissant par se

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Croquis axonométrique de la répartition volumétrique et de la façade «côté jardin». 1- DIEUDONNE Patrick, BRADEL Vincent, VIGATO J’ean-Claude Existe-t-il une architectonique de la maison? 1985

confondre. La « travée de service passe quasiment en position transversale le long de la façade avant » 1 ce qui correspond à une inversion par rapport à la solution distributive de la typologie traditionnelle. Dans cette bande d’espaces servants, se loge à l’entrée de la maison l’escalier qui assure le rôle de rotule entre les deux volumes et les différents niveaux. Celui-ci ne dessert qu’un étage sur les deux, mais descend jusqu’au rez-de-jardin, desservant donc au total quatre paliers. Cette distribution verticale imposante ainsi que le rapport entretenu entre l’escalier et le reste de la maison, confèrent à celui-ci une ressemblance à une « cage d’escalier d’immeuble ». En effet, l’escalier n’aboutit jamais directement dans les espaces de vie, mais toujours sur des paliers distributifs qui sont physiquement séparés des pièces par des portes. Le thème de l’escalier, que l’on retrouve dans cette coupe « hachée » en demi-niveaux, est rappelé un peu partout dans la maison: de la découpe sur le mur de la façade avant, en passant par les moulures présentes en plafond du séjour à l’origine, ou encore dans la forme du plancher du salon à l’étage. Ce motif géométrique récurrent, semble être issu d’une influence « Art Déco », autre mouvement moderniste de l’époque, et infuse ainsi toute la maison de la décoration et de l’aménagement intérieur, jusqu’à

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l’architectonique. Dire que le mouvement Art Décoratif fût un moteur à l’agencement spatial de la maison est un peu forcé, il s’agit plutôt et surtout de la contrainte de la pente qui est responsable de la coupe et de la réorganisation hiérarchique spatiale qui en découle. En effet, à l’opposé de l’ordre commun, les chambres se situent entre le rez-dechaussée et le rez-de-jardin, alors que les parties de jour se répartissent les étages supérieurs. Le séjour, lui, se voit prolongé par une mezzanine qui s’ouvre sur la grande hauteur sous plafond de celui-ci. L’ensemble de cette disposition se rapproche de celle des ateliers d’artistes parisiens du début du siècle. L’architecte dessina une série de quatre plans lorsqu’il a conçu cette habitation, mais il est difficile de statuer sur le nombre réel d’étages tellement il y a d’entre-deux. La maison d’époque compte huit niveaux différents de tailles diverses, de l’ensemble du séjour à l’entrée uniquement. La maison actuelle, bien que très fidèle à celle de l’époque, a subi quelques modifications, ainsi, un étage supplémentaire se voit ajouté en toiture, donnant l’accès à celle-ci devenue terrasse. Actuellement, neuf niveaux sont donc constitutifs de l’habitation. Au rez-de-chaussée on trouve uniquement le garage, situé tout à gauche en façade avant, il est la seule partie de la maison en rapport direct avec la rue. L’entrée, elle, est surélevée d’un peu moins d’un mètre par rapport à celui-ci. La porte d’entrée, une fois face à elle, nous interpelle : faite de verre flouté monté sur un châssis de barres d’acier horizontales, elle est doublée dans les mêmes proportions d’une fenêtre, occupant Ci-contre: Vue de l’entrée

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uniquement la partie haute sur une moitié de hauteur de porte, de telle



sorte à former un « L ». L’association de ces deux éléments, de mise en œuvre identique, crée un ensemble menuisé d’entrée atypique et imposant, d’autant plus qu’on l’aborde en contre-plongée étant donné que deux marches nous séparent de la maison. Les angles supérieurs biseautés de cet ensemble « porte/fenêtre », rappellent le traitement de ces quelques marches, également biseautées. Cette thématique de mise-en-œuvre décorative sera reprise, tout comme celle de l’escalier, dans toute la maison. Une fois ce seuil passé, on pénètre dans l’entrée. Celle-ci est modeste : petite comme une alcôve, elle n’est autre que l’extension d’un des paliers de l’escalier principal. Bien qu’elle soit de ce fait isolée des autres pièces, ou peut-être parce qu’elle l’est, cet espace avec la cage d’escalier est un univers à part entière et son atmosphère intimiste suggérée par son aménagement, met le visiteur à l’aise. Une petite commode et un rideau qui voile partiellement la lumière du nord, déjà tamisée par le vitrage, habillent cette pièce alors qu’un mur rouge contraste avec les autres en blanc pour ne pas obscurcir le lieu. Le sol de granit qui semble se prolonger depuis le bas jusqu’à l’étage supérieur est doublé de la rampe métallique qui, s’accrochant au mur de ce même étage, descend accompagnant l’escalier jusqu’on ne sait où. Ce lieu, pièce à part entière de la maison, est le lien entre les niveaux supérieur, accueillant les parties de réception et inférieurs, où se logent les pièces privées. Le propriétaire actuel m’explique que la main-courante – un tube de métal monté sur de simples pièces rectangulaires également métalliques peintes en noir – est une œuvre de Victor Prouvé. Cet ouvrage

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Vue de l’escalier de desserte des étages inférieurs.

design nous accompagne alors vers les parties basses de la maison par cet escalier à deux quarts tournants laissant un jour central de forme

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triangulaire. Cette allure peu commune que prend l’escalier est due à sa position à cheval entre les deux volumes en éventail. Après la descente de seulement quelques marches, une première porte face à nous, permet l’accès au garage qui est traversant sur tout le «côté gauche» de la maison. Un mètre plus bas toujours, cette fois-ci dans le volume de droite, deux chambres occupent tout le niveau. Les deux possèdent leurs salles-de-bain privatives, cependant, leurs orientations respectives engendrent une non-équité en termes de confort. La première est orientée au nord, mais étant en dessous du rez-de-chaussée, la présence d’une cours anglaise est nécessaire pour offrir à cette pièce un éclairage par une fenêtre traditionnelle aux proportions correctes. De ce fait, outre le manque d’intimité car l’ouverture se fait côté rue, la vue depuis cette chambre au niveau des voitures qui passent, ne peut que nous rappeler que nous sommes enterrés. Le cabinet de toilette privé ne se trouve pas au sein de la chambre, mais en avant de la façade. Cette disposition en saillie, également répétée à l’étage de réception, crée en façade un édicule ressortant du volume principal, contribuant à l’allure décalée de la demeure. La seconde chambre, quant à elle, s’ouvre largement au sud, profitant ainsi de la vue du jardin, ainsi le ressenti y est tout autre que dans la précédente : à hauteur des arbres, on se croit suspendu comme dans une cabane. Trois baies trament cette pièce : deux éclairent la chambre alors que la troisième est réservée pour la partie salle-de-bain. Incluse dans l’emprise de la chambre, on accède à celle-ci aujourd’hui uniquement par une porte côté façade marquant ainsi, par cet enroulement de parcours, comme par la traversée de la pièce dans le cas précédent, un caractère privatif accru.

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1275.5

1046.0

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00.0

Coupe transversale nord-sud, Echelle 1/100e, du rez-de-chaussÊe au rez-de-jardin Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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En continuant notre descente, on trouve au palier intermédiaire la cave et en bas enfin, la chaufferie avec son espace de stockage du charbon, d’une part et un jardin d’hiver aujourd’hui dépendance ouverte sur un jardin tout en longueur, d’autre part. Les deux derniers niveaux de la maison sont isolés du reste de celle-ci par un mur venant se hisser en travers de l’escalier, peut-être pour créer en rez-de-jardin une dépendance ou dans le but plus technique d’isoler la partie supérieure de la maison du froid. On remarque qu’il s’agit là d’un ajout postérieur à la construction de la maison puisque la main-courante continue de filer à travers la cloison et dans un souci de fluidité du parcours, des travaux de restauration et donc de démolition de la cloison sont prévus par le propriétaire, soucieux de l’authenticité. Pour continuer la visite des pièces de jour, il faut remonter les deux étages – tous ces escaliers maintiennent en forme, me dit-on – . Depuis l’entrée, la porte qui se tenait face à nous sur le palier en haut des marches a été comblée, remplacée par une niche. Une porte à gauche, conduit à un couloir desservant la cuisine contre la façade côté rue, un accès secondaire au petit salon et le sanitaire. On remarque que ce dernier possède une configuration un peu particulière et l’on comprend vite que sa forme anguleuse découle d’une transition dans l’orientation des murs. En effet, les murs de refends du premier volume, ceux de la cuisine par exemple, sont perpendiculaires à la façade et donc à l’avenue de Boufflers. Ceux du séjour, sont également perpendiculaires, mais à la seconde rue du carrefour, ce qui engendre une intersection de ces deux inclinaisons. Cette inévitable contrainte dans la composition

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Vue de lla rampe interrompue de l’escalier de desserte des étages inférieurs.


Ci-dessus, de gauche à droite: séquence d’approche de l’escalier de desserte des étages.

spatiale est quelque peu disgracieuse et c’est pourquoi elle est reportée au niveau d’espaces secondaires voire même perdus, comme des gaines de ventilation. De retour sur le palier, une porte à droite ouvre sur le séjour, grand espace de réception divisé en deux parties : le grand et le petit salon. Le premier bénéficie, d’une double hauteur l’ouvrant ainsi sur les espaces supérieurs, d’une large baie vitrée derrière laquelle se trouve un balcon dans son prolongement, et d’un immense miroir occupant presque un pan de mur reflétant les pièces qui s’ouvrent sur lui. Tous ces dispositifs contribuent à la grandeur physique et spirituelle de ce lieu. Le petit salon, servant à l’époque de fumoir et aujourd’hui de salle-à-manger, se situe dans des proportions plus raisonnables, sous la mezzanine et tout proche de la cuisine par la seconde porte d’accès. Satellite du hall de réception, il est de par sa position d’alcôve, comme un écrin intimiste dans lequel on viendrait se ressourcer de l’imposant et voyant hall : dualité, opposition et équilibre s’instaurent entre ces

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deux lieux. Contre le mur du fond, face à la grande fenêtre du séjour, un second escalier à quart tournant s’élève vers la mezzanine. Plus large, avec des marches en bois et un effet d’appel par le biseau de ses trois premières marches, cet escalier est à l’image du grand salon, précieux mais aux formes simples, l’opposé encore une fois de l’escalier de desserte de l’entrée. Dans une alternance de lieux dilatés ou contenus, le palier intermédiaire de cet escalier nous dépose face à une toute petite Vue de la mezzanine.

pièce, cachée derrière une porte, elle se loge juste au-dessus de la salle-de-bain privative de la chambre à l’étage inférieur. Elle est donc partie constitutive de l’édicule qui ressort en façade. Enfin, l’escalier de bois abouti à la mezzanine. A l’origine celle-ci était aménagée en une partie galerie, et plus curieusement en une partie salle-de-bain et sanitaire séparé, en façade nord comme toutes les parties servantes. La maison étant actuellement une habitation et non plus une garçonnière, la pièce d’eau donnant l’opportunité de se rafraichir aux gens de passage, n’a plus tellement d’utilité. Elle laisse aujourd’hui la place à une extension de la mezzanine devenue bureau et se différencie par une surélevation de quelques marches et la présence d’un imposant pilier décoratif. Le sanitaire demeure, il est logé sous un nouvel escalier. Plus discret, encore une fois derrière une porte et n’existant pas à l’origine, il prend naissance dans la continuité de l’escalier précédent et s’élève le long de la façade nord pour aboutir à un solarium au niveau du toit devenu terrasse.

Vue du miroir et de la double hauteur du séjour. Reflet du séjour, de la mezzanine et de l’escalier.

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Plans Echelle 1/100e Ci-contre: niveau du sÊjour Ci-dessus: niveau mezzanine Restitution graphique des documents d’origine, Archives municipales de Nancy.

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Vue du palier intermédiraire donnant accès à la «petite pièce».

Je me questionne sur l’usage de tous ces escaliers au quotidien: trois en tout et neuf volées. C’est physique et contraignant, on ne peut pas facilement prendre le déjeuner dans son jardin par exemple. Mais cette disposition, imposée dans tous les cas par la nature du terrain,

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engendre de manière générale une volumétrie extérieure justement proche de son site, totalement unique et adaptée à son contexte. A l’intérieur, cela entraine une riche diversité d’espaces. La maison Rosenbaum de Wright n’a pas cette configuration, mais elle présente les mêmes caractéristiques : sa volumétrie et sa disposition de plain-pied sont en adéquation avec le site quasiment plat et à l’intérieur, l’unique volée de trois marches sert à hiérarchiser les espaces. Ici, non seulement c’est le cas, la séparation servi/servant, jour/nuit, privé/public s’effectue par l’intermédiaire de l’escalier d’entrée, mais plus encore, ces différences de niveaux définissent des lieux de vie au même titre que des microlieux. Le plan n’est pas libre mais le hall, le petit salon, le bureau et Détail de la poignée de porte

son extension peuvent être considérés comme faisant partie du même espace par extension et continuité de l’un à l’autre. Ainsi, il est indispensable de différencier chaque « micro-lieu », de lui donner une identité et une limite, ce qui est le rôle de ces plafonds élevés ou rabaissés et de ces nombreuses marches dans la composition générale. L’entrée et la « petite pièce », sont des excroissances lovées comme des cocons accrochés à la maison, elles sont intimistes et personnelles dans leurs agencements. L’extension du bureau et le petit salon sont tous deux de tailles intermédiaires et servent de plus grands espaces, représentant leurs parties plus privatives. Enfin, le bureau en mezzanine et le hall surtout sont les espaces les plus exubérants, destinés à la réception leurs emprises occupent les trois quart de leur étage dans leur volume respectif. Mais c’est l’association et l’alternance de ces lieux qui créent une maison dynamique, riche de spatialités.

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Neutra avec la Case Study House, a fait preuve d’une grande considération du quotidien des habitants dans la répartition, la composition et la flexibilité de ces espaces. Dans la maison avenue de Boufflers, on pourrait penser que le quotidien est entravé par les inévitables emprunts d’escaliers et qu’ainsi, la fonctionnalité générale est perturbée. Cependant, certaines dispositions nous montrent bien que ce n’est pas le cas. Bien que les pièces soient figées et non pas ouvertes en plan libre, leur diversité, comme nous venons de le voir, permet de répondre au mieux aux différents besoins et occupations de ses usagers, leur offrant ainsi une certaine autonomie, comme on pouvait le trouver pour la maison Bailey sous forme d’espaces adaptables suivant la disposition du mobilier. Aussi, les pièces de nuit de la maison et celles de jour sont totalement distinctes, dans des étages séparés, ce qui minimise les allées et venues. De la même façon, les trois accès extérieurs répartis dans toute la maison, autre que l’entrée et le garage, permettent de bénéficier d’un peu de « dehors » tout en minimisant encore une fois les déplacements inutiles. Tous ces dispositifs permettent la fonctionnalité de la maison au-delà de l’entrave des escalier. Outre la fonctionnalité, on retrouve dans la maison de Neutra cette particularité de posséder des pans de murs entiers presque totalement vitrés, ce qui permettait, avec l’effet de continuité du sol, de faire s’interpénétrer l’intérieur et l’extérieur et même parfois au point de ne plus avoir l’impression d’être « dans » la maison. Dans notre cas, le rapport à l’extérieur est différent : les espaces extérieurs sont également dans le prolongement des pièces par la continuité du sol, mais on ne se retrouve que très Vue du séjour vers le balcon par la baie vitrée.

rarement au niveau du sol à proprement parler. Le séjour est baigné

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d’une abondante lumière du sud par la grande et haute baie, mais le fait qu’elle soit à l’étage ne donne pas l’impression d’un extérieur qui s’engouffre. Ici, on est «avec» l’extérieur, on en bénéficie, mais on n’est pas «dedans» : le rapport est donc différent, contrairement à la maison Bailey où le jardin nous est imposé – est ceci se justifiait pour un agrandissement de la maison – ici on peut faire le choix d’en profiter ou non. Enfin, les nombreux espaces extérieurs proposés, tout comme les espaces intérieurs, contribuent au panel de possibilités « d’activités » qui s’offre aux occupants. Ils contribuent à la diversité des espaces offerts par la maison, tout en étant aussi étroitement liés à la pièce à laquelle ils se rattachent : la terrasse sur le toit pour le solarium, le balcon avec le séjour et le jardin bénéficiant aux chambres à coucher. La disposition atypique de cette maison lui confère une atmosphère particulière, mais l’ambiance générale est pour beaucoup également une question d’aménagement intérieur. Comme pour la maison Gropius qui habillait son intérieur de différentes textures, formes et couleurs pour accueillir au mieux les meubles Bauhaus de la famille, la maison avenue de Boufflers multiplie également les décors où viennent se loger mobiliers et décorations. Ceux-ci, pour la plupart chinés par le propriétaire, sont hétéroclites et issus d’époques différentes, se voyant offrir ici une deuxième vie. Les abondants tableaux sur les murs, le souci du détail jusqu’au bibelot posé sur l’escalier ou la poignée de porte, viennent compléter avec bonheur les ouvrages design de l’époque comme les divers garde-corps de Prouvé père, ou encore le meuble épuré en bois dans lequel s’encastre le canapé, dessiné par Majorelle.

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Echantillonnage des revêtements de sol. Ci-dessus: granite et mosaïque Ci-dessous: bois et céramique, granite et marbre.

Marbre et tissage de fibres.

Carrelage et granite.

On retrouve à l’instar de la maison Gropius un large panel de revêtements de sol : du granit à la mosaïque, en passant par du tissage, du bois ou encore du carrelage, tous contribuent à l’identité et à l’usage de la pièce dans laquelle ils sont utilisés. Ce savant mélange entre aménagements d’origine bien conservés et ajouts judicieux, variés et de bon ton, confère à l’habitation une réelle énergie, la dynamique d’un univers créé qui nous transporterait à l’époque où Oudeville tenait ses réceptions dans son salon. Il s’agit presque d’une maison musée, une maison témoin comme peut l’être celle de Gropius, à l’image du plafond du petit salon habillé de feuilles d’argent, celui-ci est devenu patiné par le temps et par la fumée des cigares des hommes qui s’isolaient du hall. Outre les décorations intérieures, ce sont littéralement les murs qui habillaient

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Vue du petit salon, DĂŠcaissĂŠ en plafond et echo en pied de table.

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également le lieu de découpes épurées. En effet, l’habitation d’origine voyait ses murs se plier en accordéon, marquant les pans trop lisses de crans sur toute leur hauteur, ce qui était le cas dans le fumoir et la galerie de l’époque mais qui s’est perdu à l’heure actuelle. On retrouve tout de même toujours cet agrément discret, clairsemé dans toute la maison : des feuillures supplémentaires au niveau de la grande baie, à la forme de la dalle de la mezzanine au niveau du garde-corps en passant par le plafond du petit salon. Ce dernier se voit décaissé à trois reprises, garnissant ainsi le passage du sol au plafond. Pour l’anecdote et en témoignage de l’intérêt porté à l’âme de la maison, la table de la salle-à-manger qui trône désormais sous ce plafond, a été choisie pour son pied également en triple décaissé mais inversé, faisant ainsi écho au plafond.

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On retrouve dans cette maison un renversement de la composition habituelle, ce qui la situe dans une sphère du modernisme par ce bousculement des idées reçues. Elle demeure traditionnaliste dans certains de ses aspects mais utilise un langage moderne diffus au-delà de sa composition inversée. Elle use, à son avantage, de différents codes pour servir au mieux la vie en son sein. Vue du séjour, reflet petit salon et mezzanine.

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Conclusion Le choix de ces maisons, qu’elles soient nancéiennes ou construites aux quatre coins du monde, reflète les questionnements du mouvement moderniste qui remettait en cause toutes les idées reçues et traditionnelles. Cette nouvelle dynamique s’inscrit dans une réelle volonté de servir mieux les usagers de la maison, de s’adapter à leur époque et leur façon de vivre ; les pièces se voient réduites, ou en tout cas redimensionnées dans des proportions plus en adéquation à leur nature. On fait davantage attention à la fonction de chaque pièce qui se trouve également réajustée : la cuisine devient familiale et prend part à la vie au cœur de la maison, les chambres se voient réduites mais demeurent plus intimes tout en s’ouvrant sur l’extérieur. Les avancées techniques permettent d’explorer et d’exploiter ces nouvelles directions conceptuelles ; on s’ouvre davantage sur le jardin qui devient par extension une pièce de vie de la maison par exemple. Les intérêts se portent sur la standardisation, peut-être dans la recherche d’une facilité de mise en œuvre ou d’un soutien patriotique, mais surtout pour permettre la réduction des coûts et ainsi offrir au plus grand nombre des maisons de qualité à prix abordables.

1- ROWE Colin, Mathématiques dela villa et idéale et autres essais, Ed. hazan, 2000.

« A des affirmations d’un idéal hiérarchique, s’opposent des affirmations d’un idéal utilitaire » 1 .

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Standardisation des éléments de construction mais également des méthodes. En effet, le mouvement moderne pousse certains de ses architectes jusqu’à ses limites ; la composition est restructurée jusqu’à ce que la spatialité soit harmonieuse et porteuse de sens, mais certaines de ces dérives sont parfois bouleversantes au point d’aller à l’encontre des coutumes de l’homme, et donc par extension à l’encontre de ce qui fait la maison. Bon nombre d’architectes s’influencent mutuellement, contribuant ainsi à la diffusion de ce mouvement. Cependant, certains savent s’approprier cette doctrine et en exploiter les ressources et les limites de manière très personnelle, mais toujours dans le but de servir l’usager. Ainsi, certaines notions sont conservées et d’autres oubliées, au cas par cas, au profit d’une tradition persistante. L’étude du mouvement moderne dans ce mémoire représente un choix d’outil d’analyses. En effet, il représente un mouvement révolu pas si éloigné de ce que nous pratiquons actuellement, ce qui permet une analyse en fonction de ce que l’on connait actuellement de la maison et de ses besoins. Ainsi, la comparaison des diverses influences mutuelles reste possible. Cependant, l’analyse du modernisme est une étude à part entière qui n’est pas au programme de ce mémoire et ne représente pas ici plus qu’un lien diffus, évoqué de manière personnelle, entre ces différentes analyses. En ce qui concerne l’architecture nancéienne, on ne peut pas affirmer qu’elle soit influencée par la « grande » architecture de l’époque au sens de parodier. Mais elle a su interpréter une nouvelle vision pour l’adapter au contexte, à l’instar de nos trois architectes « théoriques ».

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Au-delà d’une question d’influence, s’effectue un rapprochement qui soulève la question de la qualité d’habitation. On retrouve alors des notions communes telles que l’ouverture sur l’extérieur, la hiérarchie des espaces et leur intimité, la fonctionnalité et la flexibilité des lieux qu’ils soient appropriables ou totalement définis, l’harmonie et la qualité des matériaux, la fluidité et la multiplicité des parcours, des zones de services non pas poids mort mais réelles composantes dynamiques, l’écoute du client… autant de points à prendre en compte pour répondre au mieux à la vie de l’homme moderne, autant de points qui reviennent dans tous ces projets, interprétés selon la sensibilité de chaque architecte et en fonction du rapport entretenu avec les usagers. « Il est certain que le développement actuel de la construction se concentre sur l’habitation et, plus spécialement, sur l’habitation des 1- NORBERG-SCHULTZ Christian Architecture essais et documents Habiter vers une architecture figurative. Ed. electa moniteur, 1985

gens ordinaires … De nos jours, l’édifice public et l’usine ne revêtent pas la même importance. Cela veut dire que nous avons recommencé à nous occuper de l’être humain . 2 »

Giedion 1929

Enfin, il est certain que ce mémoire ne constitue pas une fin en soi, qu’il s’agisse de la problématique de l’influence de la « grande » architecture sur l’architecture locale ou celle de la qualité de l’architecture. Dans le premier cas, le corpus reste trop mince pour s’apercevoir d’un domaine précis d’influence et ce mémoire demeure comme une porte ouverte à une étude plus vaste, élargie à une analyse plus poussée de l’époque et à d’autres architectes sur l’ensemble de leur travail. Dans le second cas, même avec un corpus plus étendu, il est impossible

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d’élaborer une méthode récurrente, qu’il soit possible d’extraire puis replacer, pour apporter une réponse à de futures constructions de qualité. Et heureusement, car là n’est pas notre métier. L’intention n’était donc pas d’entrevoir une « méthode » ou de s’inspirer d’une influence, mais, dans un cas comme dans l’autre, d’étendre mes connaissances. Etre plus sensible à nos coutumes et notre histoire, à nos références, aux erreurs et réussites passés, permet pour un avenir pas si lointain d’exercer sa profession avec le meilleur des outils : la compréhension.

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Bibliographie LIVRES

ROWE Colin, Mathématiques de la villa idéale et autres essais, Ed. hazan, 2000 NORBERG-SCHULTZ, Habiter vers une architecture figurative, Architecture, Essais et Documents, Ed. Electa Moniteur, 1985 FUCKS Matthieu. La maison usonienne : l’expression d’un principe constructif, Mémoire de fin d’études, 2009 M.ROHAN Timothy, The Architecture of Paul Rudolph, Yale University Press, 2014 SANDERSON Arlene, Wright Sites. A guide to Frank Lloyd Wright public places, Princeton Architectural Press, 2001 KIMBERLIN Barbara, E.LAMBERT Donald, BAGBY Milton, Frank Lloyd Wright’s ROSENBAUM HOUSE, The birth and Rebirth of an American Treasure, Ed. Grenade, 2006 SUMMERLIN Cathy, Voyager Trace, Ed. Thomas Nelson Inc., 1995 LIND Carla, Frank Lloyd Wright’s Usonian Houses, Ed. Archetype Press Inc., 1994 BROOKS PFEIFFER Bruce, Frank Lloyd Wright selected houses, Ed. ADA Edita, 1990-91 SERGEANT John, F. L. Wright’s Usonian Houses, designs for moderate cost one-family homes, Ed. Whitney, 1984 BRADBURY Dominic, Maisons de référence de 1900 à nos jours, Ed. chêne, 2009

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a+u Architecture and Urbanism, Visions Houses in the 20th Century, Special Issue, 2000 FRAMPTON Kenneth, LARKIN David, Grands architectes et maisons américaines du XXe siècle, Ed. Seuil, 1995 GROPIUS Ise, GROPIUS HOUSE, Society for the Preservation of New England Antiquities, 1996 LAMPRECHT Barbara, Neutra, Ed. TASCHEN, 2006 SMITH Elizabeth, Case Study Houses. The complete CSH Program 1945-1966, Ed. TASCHEN, 25th anniversary Special Editions, 2009 T.FRIEDMAN Alice, Women and the Making of the Modern House. Asocial and Architectural History, Ed. Harry N. Abrams, 1998

SITES

DIEUDONNE Patrick, BRADEL Vincent, VIGATO Jean-Claude, Existet-il une architectonique de la maison?, Contributions à une critique architecturale de la maison individuelle, financements du Plan Construction et du Secrétariat de la Recherche Architecturale, 1985

http://www.diedrica.com/search/label/Case%20Study%20Houses http://katdemoura.blogspot.com.ar/ http://esotericsurvey.blogspot.fr/2013/05/csh-20-neutra.html http://www.midcenturyhome.com/case-study-house-20-the-richardneutra-baily-house/ http://www.archigraphie.eu/?page_id=182

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Crédits photographiques p 13, 15, 16, 21, 22, 23 – dans Frank Lloyd Wright selected houses, de BROOKS PFEIFFER Bruce p 25 – dans Frank Lloyd Wright’s Usonian Houses, de LIND Carla p 29 – dans Voyager Trace, de SUMMERLIN Cathy p 31- dans GROPIUS HOUSE, de GROPIUS Ise p 34 (en bas à droite), 35, 38, 41, 46 – FREEMAN Michael et ROCHELEAU, dans Paul dans Grands architectes et maisons américaines du XXe siècle, de FRAMPTON Kenneth p 33, 42, 43, 45 – TADASHI OSHIMA Ken, dans Visions of the real. Modern houses in the 20th century I, a+u p 52, 54, 61, 65 – SHULMAN Julius, dans NEUTRA, de LAMPRECHT Barbara p 52, 60, 63 – SHULMAN Julius, dans Case Study Houses. The complete CSH program, de SMITH Elizabeth p 49, 51, 59 – SHULMAN Julius, sur www.esotericsurvey.blogspot.fr

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