CJASS n° 90 - janvier/février 2012 - L’action civile des personnes publiques dans le procès pénal

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BIMESTRIEL

D’INFORMATION JURIDIQUE DE L’ADMINISTRATION SANITAIRE, SOCIALE ET DES SPORTS.

90

N° Janvier Fevrier

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2012

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L’ACTION CIVILE DES PERSONNES PUBLIQUES DANS LE PROCES PENAL

Une personne publique est-elle une partie civile comme une autre dans le procès pénal ? La personne publique victime d'une infraction pénale peut indéniablement être affectée dans son patrimoine mais peut-elle être atteinte dans son affection, son honneur ou sa réputation? En un mot, peut-elle solliciter la réparation de tous ses préjudices, y compris de son préjudice moral ? La personne publique a longtemps été considérée comme "tellement au dessus des particuliers que les actes de ceux-ci faits méchamment ne pouvaient l'atteindre"(1). Mais progressivement, dans un double mouvement inspiré par une politique de faveur pour les victimes, la Cour de cassation et le législateur ont octroyé aux personnes publiques un droit d'action civile que la conception inquisitoriale du procès pénal ne laissait pas présager.

Au siècle des Lumières déjà, le juriste Daniel Jousse estimait qu’il était possible de « considérer dans chaque crime deux intérêts différents : le premier qui regarde le public et le second qui regarde les particuliers »(2) et concluait en ces termes : « Ainsi, dans notre usage, deux sortes de personnes concourent à la punition d’un crime : 1° la partie civile qui demande la réparation de l’offense qui lui a été faite et des dommages-intérêts ; 2° la partie publique qui poursuit la punition du crime et la condamnation à la peine qu’il mérite »(3). Prenant en considération la volonté de justice des victimes, le système juridique français leur permet de déclencher les poursuites(4) ou d’intervenir à une instance initiée par le ministère public(5), afin d’obtenir réparation de leur préjudice. Notre système pénal fait ainsi montre d’originalité en accordant à la victime un rôle important dans le procès pénal, contrairement aux pays anglosaxons qui excluent l’action civile devant les juridictions répressives ou à certains pays européens tels que l’Italie qui restreignent l’action de la victime à la voie de l’intervention. Cependant, l’objet du procès pénal a toujours été, et doit demeurer, la défense de la société. L’action

(1) « Cours de droit pénal français » J.-A. Roux (2ème édition, T.I., Paris 1927). (2) Daniel Jousse : Traité de la justice criminelle en France, Paris, 1771, IIIème partie, livre 1, titre 1. (3) Glossaire Action publique : action en justice exercée contre l'auteur d'une infraction visant à le traduire devant une juridiction pénale. Elle est déclenchée par les magistrats du ministère public (Parquet), certains fonctionnaires ou par la victime (voir constitution de partie civile). Ministère public : ensemble des magistrats travaillant dans les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire, chargés de représenter les intérêts de la société et de veiller au respect de l'ordre public et à l'application de la loi. Le ministère public est hiérarchisé (procureur général, procureur, procureur-adjoint, vice-procureur et substitut) et subordonné au garde des sceaux.

civile, bien que née de l’infraction, n’est que l’accessoire de l’action publique sur laquelle elle vient se greffer et doit être réservée, à des conditions restrictives, aux seules véritables victimes de l’infraction. Au regard du particularisme du système français, la question de la place de l’Etat et plus généralement des personnes morales de droit public dans le procès pénal se pose donc de façon singulière. Les personnes publiques peuvent-elles en effet se comporter comme une partie civile ordinaire ? Les intérêts dont elles ont la charge ne se confondentils pas avec l’intérêt général que le ministère public a pour mission de protéger ? Dans un même mouvement, la jurisprudence(I) et le législateur(II) ont répondu à ces questions en octroyant progressivement aux personnes publiques un véritable droit d’action civile.

I. LA RECONNAISSANCE JURISPRUDENTIELLE D’UN DROIT D’ACTION CIVILE AUX PERSONNES PUBLIQUES Comme toute personne physique ou morale, les personnes morales de droit public peuvent se retrouver victimes d’une infraction pénale. Si les

Action civile : action en justice ouverte à la victime d'une infraction pénale (contravention, délit, crime) pour demander réparation du préjudice qu'elle a subi et réclamer des dommages-intérêts. Cette action peut être exercée, au choix des victimes, soit en même temps que l'action publique devant les juridictions pénales, soit séparément devant les juridictions civiles. Partie civile : ce terme désigne une personne, victime d'une infraction, qui demande réparation du préjudice qu’elle a subi à l’auteur de l’infraction devant les juridictions répressives. Il peut également désigner une procédure (la plainte avec constitution de partie civile) permettant à une victime de saisir, soit le juge d'instruction, soit le tribunal compétent, pour obtenir réparation (4) C’est la voie d’action. (5) C’est la voie d’intervention.


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personnes publiques se sont vu reconnaître par la jurisprudence la qualité de partie civile (1.1), la question de la réparation de leur préjudice se pose différemment selon que leur préjudice est matériel ou de nature morale (1.2).

1.1. La qualité de partie civile des personnes publiques L’article 2 du code de procédure pénale, qui définit les conditions de recevabilité de l’action civile, ne limite pas le bénéfice de cette action à certaines catégories de personnes mais est, au contraire, rédigé en des termes relativement généraux: «l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction». La question s’est toutefois posée de savoir si une personne publique pouvait se voir octroyer la qualité de victime pénale et l’accès à l’action civile. Dans un arrêt du 27 novembre 1996(6), la Cour de cassation a répondu par l’affirmative en jugeant, à propos de l’action civile d’un centre hospitalier public, que «les articles 2 et 3 du code de procédure pénale [ouvraient] l'action civile à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite, sans exclure les personnes morales de droit public». Les personnes morales publiques ne détiennent toutefois un droit d’action civile pour le préjudice personnel qu’elles auraient subi du fait de la commission d’une infraction pénale que lorsqu’elles remplissent les conditions de recevabilité résultant de l’article 2 du code de procédure pénale : les faits dénoncés doivent donc à la fois être susceptibles de qualification pénale et avoir occasionné un préjudice personnel et direct à la partie civile. L’exigence d’un préjudice personnel directement causé par l’infraction est la condition cardinale posée par l’article 2 du code de procédure pénale. Une personne ne peut arguer de son préjudice devant une juridiction répressive que dans la mesure où elle démontre qu’elle a personnellement subi le préjudice que le législateur voulait éviter en prévoyant cette infraction. Cette condition est le fruit d’une logique procédurale, à dominante inquisitoire, qui ne confie au juge pénal qu’une compéten-

(6) Cass. crim., 27 novembre 1996. (7) Cass . crim., 8 juillet 1958. (8) Serge Guinchard, Procédure pénale, Ed Litec, n°1045. (9) Cass. crim., 27 novembre 1996.

ce exceptionnelle pour l’indemnisation et qui a longtemps amené la Cour de cassation à affirmer que «l’exercice de l’action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être enfermé dans les limites strictes posées par le code de procédure pénale, et en particulier dans celles que fixe l’article 2 de ce code»(7). Comme le propose le professeur Serge Guinchard, «pratiquement, pour savoir si telle personne qui argue d’un droit d’action civile est effectivement victime au sens de la procédure pénale, il suffit de vérifier si le préjudice né de l’infraction pénale, qu’elle dit avoir souffert personnellement, consiste bien dans une atteinte à l’intérêt légitime protégé par cette infraction»(8). Il convient donc de rechercher dans l’incrimination pénale l’intérêt protégé et de le confronter avec l’intérêt collectif prétendument atteint. C’est donc au regard de l’exigence du caractère direct du préjudice que la jurisprudence s’est prononcée sur la recevabilité d’une action civile en réparation du préjudice matériel mais surtout moral des personnes morales publiques.

1.2. La réparation du dommage subi par les personnes publiques 1.2.1 La réparation du préjudice matériel Au même titre que les personnes physiques ou morales de droit privé, les personnes morales de droit public peuvent subir une perte financière ou matérielle découlant de la commission d’une infraction. Dans ce cas, les personnes publiques doivent se comporter comme une partie civile ordinaire face à une infraction qui lui cause un préjudice, en démontrant que le préjudice matériel leur est personnel et directement causé par l’infraction et en présentant les justificatifs idoines. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a retenu le caractère direct du préjudice matériel d’un syndicat intercommunal, victime d’agissements de dirigeants d’une société d’économie mixte en violation de la législation sur les marchés publics, les infractions ayant été «de nature à entraîner un surcoût des frais engagés par ce syndicat et pouvaient lui causer un préjudice direct». Le préjudice matériel peut être de nature variée, allant de la détérioration d’un bien à un manque à gagner. La jurisprudence accorde aux personnes publiques la réparation de tous les préjudices matériels, à condition qu’ils soient directs et justifiés par la victime.

(10) Cass. crim., 27 mai 1987. (11) Cass. crim., 26 mars 1998. (12) Cass. crim. 1er mai 1925.

Ainsi, la Cour de cassation(9) a confirmé qu’un hôpital pouvait, après qu’un groupe de personnes se fut introduit dans l’une de ses salles d’opération en réclamant l’arrêt définitif des avortements dans cet établissement, obtenir réparation de son préjudice matériel consistant en la stérilisation de la salle d’opération, la remise en l’état des lieux et le retard pris pour les opérations qui devaient avoir lieu ce jour-là. Dans une espèce mettant en cause plusieurs individus ayant détérioré une cabine téléphonique et dérobé la somme de 2,50 francs, l’agent judiciaire du Trésor a été déclaré recevable à se constituer partie civile(10). Enfin, l’agent judiciaire du Trésor s’est vu reconnaitre le droit de se constituer partie civile dans le cadre d’une affaire d’escroquerie commise par les croupiers d’un casino et de joueurs complices ayant employé des manœuvres frauduleuses pour obtenir des sommes qui, à défaut, seraient entrées dans la cagnotte. La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’Etat et les collectivités territoriales intéressées sont propriétaires de la partie des sommes représentant le montant des impositions et prélèvements dus, dès leur entrée dans la cagnotte(11). Si la réparation du préjudice matériel des personnes publiques ne pose aucunement difficulté, la réparation de leur préjudice moral soulève de nombreuses questions. 1.2.2 La réparation du préjudice moral Lorsqu’il précise les chefs de dommages pour lesquels l’action civile est recevable, l’article 3 du code de procédure pénale vise sans ambiguïté le préjudice moral. Toutefois la question s’est longtemps posée de savoir si les personnes publiques étaient recevables dans leur demande d’indemnisation de leur préjudice moral.

l En 1925(12), la chambre criminelle de la Cour de cassation a clairement rejeté l’indemnisation du préjudice moral de l’Etat au motif que ledit préjudice se confondait avec celui de la société. Un commentateur de l’arrêt du 1er mai 1925 approuvait cette position en se fondant sur la qualité même de l’Etat: «l’Etat ne saurait être blessé par un préjudice simplement moral […] Il en est ainsi parce que l’Etat est tellement au-dessus des particuliers que les actes de ceux-ci faits méchamment, ne sauraient l’atteindre et parvenir jusqu’à lui.[…] L’acte perfide qui est commis ne peut arriver jusqu’à lui; la flèche empoisonnée qu’on a voulu


lancer retombe dans le vide. Il peut y avoir l’émoi des bons citoyens, il n’y a pas l’émoi de l’Etat. C’est là croyonsnous la justification de cette solution que l’on trouve dans l’arrêt. Il ne s’agit pas de soumettre l’action en réparation de l’Etat à des règles plus strictes du droit commun, mais de la subordonner à la qualité de la personne qui l’exerce »(13). Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le ministre de la Justice ne pouvait souffrir personnellement du dommage causé par le délit de diffamation publique envers les cours ou tribunaux et ne tient d’aucune disposition spéciale le pouvoir de se constituer partie civile afin d’obtenir réparation du préjudicie causé à des magistrats(14). Elle a également rejeté l’action civile de l’Etat pour le préjudice résultant des recherches policières provoquées par une dénonciation mensongère(15). Enfin, elle a également considéré qu’en matière de fraude fiscale, l’administration ne peut prétendre à la réparation d’un préjudice causé au Trésor public(16). La position de la Cour de cassation renvoyait alors au ministère public la charge de poursuivre les agissements pouvant affaiblir l’autorité de l’Etat, dans le cadre de sa mission de protection de l’intérêt général. De même, la Cour de cassation a estimé, à propos d’actions intentées par une région, un département(17) ou une commune(18), que la réparation du préjudice moral d’une personne publique se confondait avec l’intérêt général dont la protection est assurée par l’action publique du ministère public. Une série de décisions a toutefois marqué un infléchissement de cette position. l La recevabilité de l’action civile des personnes publiques en réparation de leur préjudice moral

En 1995, la Cour de cassation a rendu un arrêt annonçant implicitement l’évolution de sa position. En l’espèce, le

prévenu avait abattu un chamois à l’intérieur du Parc national de la Vanoise. Les animaux sauvages étant res nullius(19), le Parc national ne pouvait invoquer qu’un préjudice moral. La Cour, se fondant sur des dispositions du code rural prévoyant que les parcs nationaux pouvaient ester en justice pour réclamer les dommages-intérêts qui figurent au nombre de leurs ressources, a considéré que l’établissement public concerné était « en droit de soutenir avoir subi un préjudice personnel et direct découlant de l'atteinte portée, par l'infraction retenue, aux intérêts qu'en vertu de sa mission légale, il a la charge de préserver »(20 ). Quelques années plus tard, en 1999, dans une espèce similaire, la Cour de cassation est allée plus loin en considérant comme recevable l’action civile d’un parc national du chef de divagation de chiens, au motif que l’atteinte portée par la contravention reprochée aux intérêts dont le parc a la charge cause à celui-ci « un trouble distinct du trouble social »(21). Selon la doctrine, un tel arrêt ouvrait « une brèche dans l’admission restrictive de l’action civile des personnes morales publiques, d’autant que l’intérêt atteint n’apparaissait pas, en l’espèce, distinct de l’intérêt général »(22). Dans la même période, et dans des situations distinctes des deux arrêts précités, la Cour de cassation a consenti à l’indemnisation du préjudice moral de personnes publiques aussi variées qu’un office public d’HLM(23), des hôpitaux(24), une chambre des métiers(25)… Dans ces espèces, la chambre criminelle a admis le préjudice moral dès lors qu’il a été porté atteinte aux intérêts que la personne publique avait pour mission de préserver. Un hôpital peut agir lorsque certaines manifestations ont empêché le déroulement d’interventions chirurgicales ou une chambre des métiers lorsque le titre d’artisan a été usurpé par une grande surface. L’infraction, dans ces affaires, portait

(13) Cf. note 1. (14) Cass. Crim. 15 décembre 1998. (15) Cass. Crim. 20 janv. 2009. (16) Cass. Crim. 17 avril 1989. (17) Cass. Crim., 19 déc. 2006, « Que les atteintes alléguées aux missions générales de développement économique et de protection de l'environnement, dévolues au département par l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales, ne sont pas distinctes de la lésion de l'intérêt social dont la défense n'appartient qu'au ministère public par la mise en mouvement de l'action publique ; que, d'autre part, les faits susceptibles de contrarier l'efficacité économique d'investissements privés, subventionnés par une collectivité territoriale, ne peuvent être directement à l'origine d'un préjudice personnel éprouvé par celle-ci ». (18) Cass. crim., 16 janvier 1975 : une commune ne peut se porter partie civile pour obtenir réparation du préjudice causé par une contravention à un arrêté municipal, « la sanction de l’inobservation de ces règlements [étant] assurée exclusivement par l’action du ministère public poursuivant l’application de la loi pénale »

atteinte aux intérêts que la personne publique devait protéger et, partant, au bon déroulement de la mission même de service public. La Cour de cassation a franchi une nouvelle étape dans un arrêt du 10 mars 2004 en décidant que, dans le cadre de poursuites contre certains de ses agents des chefs de trafic d’influence et de favoritisme, l’Etat pouvait demander la réparation non seulement du préjudice matériel qui lui avait été causé par ces infractions, mais aussi du préjudice moral résultant du discrédit que le comportement des prévenus a jeté sur la fonction publique toute entière et de l'affaiblissement de l'autorité de l'Etat qui en est résulté. Au cas particulier, des employés de la Direction de la construction navale (DCN) favorisaient, moyennant compensations financières, certaines entreprises dans l’attribution de commandes ou de marchés publics. L’Etat a été considéré comme victime d’un préjudice moral par la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation. C’est le préjudice moral découlant d’un discrédit jeté sur l’Etat lui-même, au-delà de la DCN, et sur son autorité qui est ici réparé, et non plus un préjudice moral causé directement par une atteinte aux intérêts particuliers qu’une personne publique a pour mission de protéger. En conséquence, depuis 2004, l’Etat paraît recevable à solliciter la réparation de son préjudice moral lorsque les faits commis par un agent public jettent un discrédit sur la fonction publique. Il faut néanmoins que le préjudice subi par l’Etat résulte suffisamment directement de l’infraction commise pour entraîner une condamnation à des dommages-intérêts au profit de l’Etat. A cet égard, la jurisprudence postérieure à l’arrêt du 10 mars 2004 a montré que la Cour de cassation n’entendait pas prendre en considération des préjudices par trop éloignés de l’intérêt légitime protégé par la loi pénale et

(19) Res nullius (la chose de personne) est une expression latine utilisée en droit civil (droit des biens) qui désigne une chose sans maître, c'est-à-dire qui n’a pas de propriétaire mais qui est néanmoins appropriable. (20) Cass. crim., 8 mars 1995. (21) Cass. Crim., 7 avr.1999 « Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'atteinte portée, par la contravention retenue, aux intérêts que le parc national a pour mission légale de préserver en application de l'article L. 241-1 du code rural, caractérise, pour celui-ci, un préjudice personnel découlant directement des faits poursuivis, distinct du trouble social, l'arrêt a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ». (22) Serge Guinchard, Procédure pénale, éd. Litec, n°1078, p 745. (23) Cass. crim. 18 déc. 1996 : « si le préjudice moral d'une collectivité ou d'un établissement public peut se confondre avec le trouble social, que répare l'exercice de l'action publique lorsque l'infraction ne porte atteinte qu'à l'intérêt général, il n'en est pas de même lorsque cette infraction cause un préjudice direct à leurs intérêts personnels ». (24) Cass. crim. 27 nov. 1996. (25) Cass. crim. 20 févr. 2001.


qu’elle n’hésite pas à considérer comme indirects certains préjudices résultant, selon l’Etat, du discrédit qui lui serait porté(26). Ainsi, la Cour de cassation a estimé à plusieurs reprises que ce lien n’était pas suffisamment caractérisé, notamment dans une espèce où un membre d’une région avait prononcé lors d’une réunion des propos qualifiés de provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale(27). La Cour de cassation a également infirmé l’arrêt rendu par une cour d’appel qui avait jugé recevable la constitution de partie civile réalisée par l’Etat pour préjudice moral à propos de malversations exercées par un dirigeant d’association reconnue d’utilité publique, placée sous la tutelle du ministère de la santé et à laquelle l’Etat allouait des subventions(28). Le sujet demeure donc très casuistique. En matière de recevabilité de l’action civile des personnes publiques en réparation de leur préjudice moral, on l’a vu, la jurisprudence a sensiblement évolué. Elle s’est largement inspirée du législateur qui admet de plus en plus fréquemment que l’Etat ou certaines personnes morales de droit public puissent exercer une action civile.

II. LA RECONNAISSANCE LÉGISLATIVE D’UN DROIT D’ACTION CIVILE AUX PERSONNES PUBLIQUES Comme nous venons de le voir, l’action civile des personnes publiques est soumise à des conditions précises et restrictives. A défaut de les remplir, les personnes publiques sont sans qualité à introduire l’action civile. Le ministère public est alors chargé d’exercer, au nom de la société, l’action publique qui a pour but de réprimer le trouble social et c’est par ce seul biais que sera réparé le dommage causé à la société. Mais, il est des cas où, par habilitation législative, les personnes publiques peuvent introduire une action civile pour défendre l’intérêt public alors qu’elles ne sont ni personnellement, ni directement victimes d’une infraction pénale

(2-1) et d’autres où elles se trouvent subrogées dans les droits de la victime directe de l’infraction (2-2).

2.1. La loi comme fondement d’un droit d’action civile collective La loi est venue reconnaître à certaines personnes morales publiques un droit d’action civile collective pour certaines infractions limitativement énumérées. 2.1.1 Habilitations législatives avec démonstration d’un préjudice direct ou indirect Certaines personnes publiques ont été habilitées, à raison de leur mission d’intérêt public, à exercer une action civile lorsqu’elles ont subi un préjudice direct ou indirect. Ainsi, le code de procédure pénale accorde aux personnes publiques la possibilité de se constituer partie civile en vue d’obtenir le remboursement des frais exposés pour lutter contre les incendies (code de procédure pénale, article 2-7). Une action analogue en remboursement des frais exposés existe au bénéfice des personnes morales de droit public pour les accidents présentant un danger pour la conservation de l’eau (loi n° 92-3 du 3 janvier 1992, article 18), ou en cas d’accidents causés par une installation classée mentionnée à l’article L. 511-1 du code de l’environnement (code de l’environnement, article L. 514-16). Plusieurs personnes publiques(29), telles que de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et les parcs naturels régionaux, se sont vu reconnaître une faculté de même nature (code de l’environnement, article L. 132-1). En outre, les caisses de sécurité sociale, qu’il s’agisse des caisses nationales ou des caisses de base, personnes privées investies d’une mission de service public, sont autorisées à poursuivre devant la juridiction pénale l’employeur ou le travailleur indépendant qui n’a pas payé ses cotisations. En sus du paiement des cotisations et des majorations de retard, la caisse peut obtenir des dommages-intérêts(30), mais uniquement à condition de démontrer l’existence d’un préjudice distinct de celui qui est compensé par les majorations de retard(31).

(26) Cass. Crim., 6 février 2008 : « le préjudice invoqué [le discrédit jeté sur l’Etat] ne résulte pas directement des délits d’abus de confiance dont le prévenu a été reconnu coupable » ; Cass. Crim., 14 février 2006 : « ne peut qu'être indirect, pour une Région, le préjudice résultant du discrédit que lui porteraient les propos tenus par l'un des ses membres » (27) Cass. crim.,14 février 2006. (28) Cass. Crim., 6 février 2008 : « Attendu que, pour faire droit à la demande de l'agent judiciaire du Trésor qui sollicitait la réparation du préjudice moral de l'Etat, résultant des détournements commis au préjudice du Comité national contre le tabagisme, par un de ses salariés, l'arrêt énonce que ces faits " jettent le discrédit " sur l'Etat qui assure la surveillance et le financement de ce comité ; Que, pour accueillir la demande de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés présentée sur le même fondement, les juges relèvent que ces délits portent atteinte

2.1.2 Habilitations législatives sans condition de préjudice Le législateur est allé jusqu’à reconnaître un droit d’action civile à certaines personnes publiques, sans même le subordonner à une condition de préjudice. Il en est ainsi des communes pour les infractions à l’urbanisme (code de l’urbanisme, article L. 480-1), de l’administration des impôts (livre des procédures fiscales, article L. 232), ou du Centre national du cinéma et de l’image animée (code de la propriété intellectuelle, article L. 331-3). De même, le Comité national olympique et sportif français ainsi que les fédérations sportives agréées qui sont chargées d’une mission de service public peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne une infraction sur le dopage (code du sport, article L.232-30), tout comme l’Agence française de lutte contre le dopage lorsque des poursuites ont été engagées pour dopage. Par ailleurs, le législateur a également octroyé à certaines personnes publiques un droit d’action civile, malgré le caractère indirect de leur préjudice par rapport à l’infraction commise.

2.2. La loi comme fondement de l’action civile des personnes publiques subrogées dans les droits de la victime Lorsqu’une personne publique verse à la victime directe de l’infraction une indemnité couvrant le dommage, elle devient alors une victime indirecte puisque le dommage qu’elle subit ne consiste pas dans l’atteinte à l’intérêt légitime protégé par la loi pénale. Peutelle alors exercer l’action civile dans les mêmes conditions que la victime et se constituer partie civile devant la juridiction répressive ? Afin de conserver à l’action civile son caractère exceptionnel, la jurisprudence, appliquant strictement l’article 2 du code de procédure pénale, a longtemps refusé tout droit d’action civile à ces victimes par ricochet devant le juge pénal, soulignant même qu’elles pouvaient toujours obtenir réparation du juge civil. Le législateur, accompagnant un mouvement jurisprudentiel tendant à admettre comme victimes pénales les héritiers et les proches de la victime immédiate(32),

au crédit de la démarche de prévention et de santé publique de cet organisme qui verse des subventions audit comité ; Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice invoqué ne résulte pas directement des délits d'abus de confiance dont le prévenu a été reconnu coupable, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ». (29) Il s’agit de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, du Conservatoire de l’espace littoral, de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, des agences financières de bassin, du Centre des monuments nationaux, des parcs naturels régionaux... (30) Cass. crim., 15 mars 1973. (31) Cass. crim., Cass. crim., 8 févr. 1983. (32) Pour les héritiers Cass. ass. Plén., 9 mai 2008 ; pour les proches de la victime Cass. crim., 9 févr. 1989.


a habilité certains tiers payeurs, au nombre desquels certaines personnes publiques, à engager une action civile. 2.2.1 L’Etat et certaines collectivités publiques Le législateur a attribué à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux établissements publics à caractère administratif et à la Caisse des dépôts et consignations un droit d’action civile, à l’encontre du responsable tenu à réparation du dommage causé à un agent public aux fins d’obtenir remboursement des sommes versées à cet agent(33). Par ailleurs, aux termes de l’alinéa 4 de l’article 11 du statut général des fonctionnaires, la collectivité publique dont dépend un agent public qui a fait l’objet de menaces ou d’attaques constitutives d’infractions pénales, peut exercer un droit d’action civile devant la juridiction répressive, par la voie de l’action ou de l’intervention. 2.2.2 La Sécurité sociale La question s’est posée avec une acuité particulière pour les caisses de Sécurité sociale. La Sécurité sociale qui a payé à la victime des prestations ou indemnités dispose d’un recours contre le responsable de l’accident ou des blessures (articles L. 376-1 CSS; L. 454-1 CSS). Ce recours peut aussi être exercé devant les tribunaux répressifs à la condition notamment qu’il soit exercé par la voie de l’intervention(34). 2.2.3 Les fonds d’indemnisation Les fonds de garantie, tels que le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages(35) en matière d’accidents automobiles, sont subrogés dans les droits des victimes contre les auteurs d’infraction, à due concurrence des sommes versées pour l’indemnisation de certaines infractions pénales.

De même, aux termes de l’article L. 3122-4 du code de la santé publique, l'Office national d’indemnisation des accidents médicaux (O.N.I.A.M.) « peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis à l'alinéa premier de l'article L. 3122-1. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi ». Dans un double mouvement inspiré par une politique de faveur pour la victime, la Cour de cassation et le législateur ont donné aux personnes morales de droit public une place que la conception stricte du procès pénal ne laissait pas présager. Les personnes publiques disposent, en effet, d’un droit d’action civile à géométrie variable selon qu’elles sont les victimes directes ou indirectes des infractions poursuivies devant les juridictions répressives, ou qu’elles réclament la réparation d’un préjudice matériel ou moral. L’évolution jurisprudentielle permet aux personnes publiques d’espérer, dans de nombreuses situations, se voir octroyer une indemnisation en réparation de leur préjudice. S’agissant du préjudice moral des personnes publiques, il est maintenant acquis qu’il peut donner lieu à une réparation privée, distincte de la sanction publique, même lorsqu’il découle d’un discrédit jeté sur l’Etat, distinct d’une atteinte à des intérêts particuliers qu’une personne publique a pour mission de protéger. Malgré tout, une partie de la doctrine(36) a pu qualifier l’évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation en matière d’indemnisation du préjudice moral des personnes publiques d’ « extravagante »

(33) Ordonnance n°59-76, 7 janv. 1959 relative aux actions en réparation civile de l’Etat et de certaines autres personnes publiques (34) Le recours des caisses de Sécurité sociale est recevable dans les conditions suivantes : - par voie d’intervention et non par voie d’action. Ainsi, si la victime n’agit pas ou n’est pas recevable devant le tribunal répressif, la Sécurité sociale ne peut elle-même intervenir, Cass. crim., 19 déc. 1995 ; - intervention dès la première instance, Cass. crim., 26 nov. 1991 ; - la victime immédiate doit être partie à l’instance quand bien même elle se serait ensuite désistée

DOMAINE/PATRIMOINE

À LIRE

á «Dossier. Code général de la propriété des personnes publiques» (La semaine juridique – édition administrations et collectivités territoriales, n° 6, 13 février 2012).

DROIT CONSTITUTIONNEL

ou de « dérive ». Soulignant les avantages que présente, tant du point de vue de la politique criminelle que de celui de la protection des droits des victimes, le système actuel, le professeur Maistre du Chambon s’inquiète néanmoins de la prolifération de parties civiles non victimes dont la présence au procès pénal en dénature l’objet : « le sentiment d’une privatisation de l’action publique est empreint des plus grands errements, en conduisant à solliciter abusivement le juge pénal entraînant une pénalisation excessive de la vie sociale, préjudiciable à l’efficacité du droit pénal ramené au droit de la sanction. Devant cette véritable dénaturation du procès pénal, il est peut-être temps de revenir au principe initial posé par l’article 2 du code de procédure pénale, en réservant l’accès aux juridictions répressives aux seules victimes qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction, en renvoyant les autres parties civiles devant leur juge naturel, le juge civil ». Il n’en demeure pas moins que l’histoire judiciaire va dans le sens d’une reconnaissance accrue de l’action civile des « groupements » tels que les associations, les syndicats, les ordres professionnels et les personnes publiques. Reste aux personnes publiques à en user de façon à renforcer leur autorité et non à l’affaiblir. En effet, l’action civile des personnes publiques leur permet de défendre leurs intérêts propres mais aussi, dans bien des cas, de protéger l’intérêt public(37).

Ce dossier a été préparé par la Délégation aux affaires juridiques (DAJ).

ou aurait acquiescé, Cass crim. 12 mars 1957 et Cass. crim. 28 nov. 1989. (35) Article L. 421-5 du code des assurances (Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, chapitre II recours des tiers payeurs). (36) Cf. JurisClasseur Public – Contentieux pénal, action publique et action civile, fasc . 3, Patrick Maistre du Chambon. (37) L’exercice de l’action civile par les personnes publiques : une action au service de l’intérêt public, Xavier Cabannes, Revue du droit public, n°1-2005, p125

á « La modulation dans le temps des effets des décisions d’inconstitutionnalité a posteriori » (N. Tilli, Revue du droit public n° 6-2011). á « Les effets secondaires de la question prioritaire de constitutionnalité » (N. Zinamsgvarov, Revue du droit public n° 6-2011).

HOSPITALISATION SANS CONSENTEMENT

á « Nouvelle saisine du Conseil constitutionnel à propos de la réforme du soin sous contrainte : les limites de la QPC en matière de protection des libertés » (E. Péchillon, La semaine juridique – édition administrations et collectivités territoriales, n° 7, 20 février 2012)

SPORT

á « Quand le législateur préfère le sprint au fond. A propos de la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs » (J-C. Lapouble, La semaine juridique – édition générale, n° 8, 20 février 2012).


JURISPRUDENCE ETABLISSEMENTS D'ACCUEIL DES JEUNES ENFANTS (LÉGALITÉ DU DÉCRET) Le Conseil d'Etat a reconnu la légalité du décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans, pris pour l'application de l'article L. 2324-1 du code de la santé publique qui a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les conditions de qualification ou d'expérience professionnelle, de moralité et d'aptitudes physiques requises des personnes exerçant dans ces structures (CE 25 janvier 2012, n° 342210). Le Conseil d'Etat a validé toutes les dispositions qui étaient contestées: possibilité pour le président du conseil général d'autoriser des capacités d'accueil différentes selon les périodes de l'année, de la semaine ou de la journée (article 5); possibilité pour le médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile de déléguer aux personnels de son service ayant la qualité de puéricultrice ou qualifiées dans le domaine de la petite enfance, la visite de contrôle effectuée dans le cadre de la procédure d'autorisation ou d'avis de création, d'extension ou de transformation d'un établissement ou d'un service, dès lors que cette intervention est assurée par des personnes compétentes et sous sa responsabilité (article 7); possibilité d'accueil des enfants en surnombre certains jours de la semaine sous réserve du respect de limites fixées en pourcentage de la capacité d'accueil et sans prévoir de dispositions différenciées pour les enfants présentant un handicap ou atteints d'une maladie chronique, dès lors qu'aucune disposition législative ne le prévoit (article 9) ; possibilité pour une personne présente dans la structure et disposant de la qualification et de l'expérience professionnelle requises, d'assurer des fonctions de direction en l'absence de la personne habituellement chargée de celles-ci (article 15); réduction des exigences en matière de qualification des personnels encadrant les enfants, dès lors qu'il ne ressort pas des rapports et des publications produits que ce choix soit entaché d'une erreur manifeste d'appréciation (article 19) ; fixation d'un taux d'encadrement dans les jardins d'éveil destinés à accueillir des enfants de deux ans ou plus différent de celui applicable en établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans (article 25).

PRATIQUE D'ACTES À VISÉE ESTHÉTIQUE (ANNULATION DU DÉCRET) Le Conseil d'Etat a été saisi d'une série de recours pour excès de pouvoir dirigés contre le décret n° 2011-382 du 11 avril 2011 par lequel le Premier ministre a interdit, en application de l'article L. 1151-3 du code de la santé publique, d'une part, cinq techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique, en raison du danger grave que ces actes présentent pour la santé humaine (article 1er du décret), et d'autre part, des techniques à visée lipolytique utilisant des agents physiques externes en raison de la suspicion de danger grave qu'elles présentent pour la santé humaine.

Sur le plan de la légalité externe du décret, les requérants soutenaient notamment que l'avis rendu par la Haute autorité de santé (HAS) sur le décret avait été élaboré en méconnaissance du principe d'impartialité, compte tenu de l'absence de souscription et de publication de l'ensemble des déclarations d'intérêts des membres de l'équipe chargée de l'évaluation de la technique mise en cause. Pour écarter ce moyen, le Conseil d'Etat a relevé que cette absence de déclaration d'intérêt "ne révèle pas, par ellemême, malgré le caractère impératif de ces formalités, une méconnaissance du principe d'impartialité". Il a jugé qu'il appartenait en revanche à la Haute autorité de santé de verser au débat contradictoire l'ensemble des éléments permettant au juge de s'assurer de l'absence ou de l'existence de liens d'intérêts et d'apprécier si ces liens sont de nature à révéler des conflits d'intérêt. En l'espèce, la HAS a produit l'ensemble des déclarations d'intérêts qui ont permis au Conseil d'Etat de constater qu'aucun de ses membres n'étaient en situation de conflit d'intérêts. S'agissant plus précisément de la situation d'un membre, le Conseil d'Etat a considéré que la circonstance que ce praticien exerce dans le même établissement qu'un professeur qui a pris publiquement une position défavorable aux techniques de lyse adipocytaire à visée esthétique et qu'il a cosigné avec lui deux études médicales n'est pas de nature à révéler une situation de conflit d'intérêts. Au fond, le Conseil d'Etat a confirmé l'interprétation du Premier ministre selon laquelle peut être regardé comme un "danger grave" au sens des dispositions de l'article L. 1151-3 du code de la santé publique, "la survenance de complications (…) nécessitant des interventions chirurgicales ou des traitements médicaux lourds et pouvant provoquer des séquelles douloureuses et esthétiques, accompagnées d'une invalidité permanente". Il a toutefois considéré que l'article 1er du décret qui interdit cinq techniques de lyse adipocytaire pour danger grave était entaché d'erreur manifeste d'appréciation, dans la mesure où si les conclusions du rapport d'évaluation de la HAS exposent que ces techniques peuvent présenter des risques pour le patient, cette étude relève que le nombre de cas répertoriés demeure faible et souligne qu'une partie au moins de ces complications est davantage imputable à des conditions inadéquates de mise en œuvre des techniques (défaut d'assepsie, manque de formation des professionnels, mauvaise concentration du produit) qu'aux techniques elles-mêmes. Le Conseil d'Etat a toutefois accepté de procéder à la substitution de motifs qui était demandée par le Premier ministre tendant à remplacer le motif tiré de l'existence d'un danger grave pour la santé par celui tiré de l'existence d'une suspicion de danger grave. Le Conseil d'Etat a considéré que ce dernier motif n'était pas, quant à lui, entaché d'erreur manifeste d'appréciation compte tenu des complications relevées par le rapport d'évalution et des incertitudes attachées à leur survenance. Il n'a donc pas annulé l'article 1er du décret qui était attaqué. Le Conseil d'Etat a, en revanche, annulé son article 2 qui interdit la mise en œuvre des

techniques à visée lipolytique utilisant des agents physiques externes en raison de la suspicion de danger grave pour la santé humaine. Le Conseil d'Etat a en effet relevé que si l'avis de la HAS évoque une suspicion de danger grave, le document d'évaluation sur la base duquel cet avis a été élaboré, tend à relativiser les risques liés à l'utilisation des techniques en cause. Il estime, dans ces conditions, que le Premier ministre ne pouvait, sans erreur manifeste d'appréciation, considérer que la mise en œuvre de ces techniques présentait une suspicion de danger grave pour la santé. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, il décide que l'annulation de l'article 2 ne prendra effet qu'au 1er mars 2012 (CE 17 février 2012, n°s 349431 et autres).

HARCÈLEMENT MORAL (SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE VICTIME) La chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui a refusé de reconnaître l'existence d'un cas de harcèlement moral dont a été victime le supérieur hiérarchique d'un salarié pénalement mis en cause. A la suite du suicide du chef d’un service d'une municipalité, un éducateur de ce service a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 222-33-2 du code pénal qui définit le délit de harcèlement moral. Cette juridiction a admis que le dénigrement auquel ce salarié s'était livré pendant plusieurs années avait contribué à la dégradation des conditions de travail de son supérieur hiérarchique au point d'altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel. La cour d'appel a infirmé ce jugement en s'appuyant sur le fait que le prévenu, subordonné de la victime, "n'avait ni les qualités ni les moyens de compromettre l'avenir professionnel de celle-ci, et qu'aucun élément de la procédure ne permet d'établir que les faits en cause aient été à l'origine d'une dégradation physique ou mentale du défunt". La chambre criminelle a jugé, pour prononcer la cassation, que "la cour d'appel, qui a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas, d'une part, en retenant que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité de cette dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral, et, d'autre part, en subordonnant le délit à l'existence d'un pouvoir hiérarchique, alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l'infraction" (Cass. Crim., 6 décembre 2011, n° 10-82266).

Courrier

Juridique des

Affaires sociales et des

Sports

Directrice de la publication : Catherine de Salins Rédactrice en chef : Pearl Nguyên Duy Directeur de la rédaction : Serge Horville Conception : Réalisation maquette : Bénédicte Villechange ISSN : 2107-5433 Dicom : 10.029


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