CJASS n° 91 - mars/avril 2012 - Les contrats de quasi-régie ou de prestations intégrées

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D’INFORMATION JURIDIQUE DE L’ADMINISTRATION SANITAIRE, SOCIALE ET DES SPORTS.

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LES CONTRATS DE QUASI-RÉGIE OU DE PRESTATIONS INTÉGRÉES

Une personne publique normalement soumise au code des marchés publics peut, sous certaines conditions, conclure directement des contrats de fournitures, de travaux ou de services, sans publicité ni mise en concurrence, avec un cocontractant, lorsque celui-ci peut être regardé comme le prolongement administratif de cette personne publique et qu’il réalise l’essentiel de ses activités pour elle. Ces contrats, appelés contrats de quasi-régie(1) ou de prestations intégrées («prestations in house» dans la terminologie communautaire), sont exclus du champ d’application du code des marchés publics et de celui de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux pouvoirs adjudicateurs non soumis au code des marchés publics(2). Le principe de mise en concurrence, qui permet la sélection de la meilleure prestation dans l’intérêt de la collectivité, s’inscrit, avant tout, dans une logique de bonne utilisation des deniers publics et d’ouverture de la commande publique aux entreprises, dans l’intérêt de l’économie de marché. Il contraint ainsi les personnes publiques à rechercher l’obtention d’un meilleur rapport qualité-prix. Il ne faut donc pas perdre de vue que toute dérogation aux principes de la commande publique ne peut être envisagée qu’à titre exceptionnel, n’en déplaise aux tentations toutes naturelles de l’acheteur de souhaiter continuer à travailler avec le même fournisseur qui donne satisfaction, et d’éviter les contraintes du droit de la commande publique. De telles velléités sont encore plus compréhensibles lorsque le cocontractant est structurellement lié à l’acheteur au point que son activité en dépende et se trouve presque entièrement tournée vers ses besoins. Faut-il, alors, nécessairement avoir recours à une procédure de mise en concurrence ? En d’autres termes, le contrat que l’on envisage de signer entre-t-il, en ce cas, dans le champ d’application du code des marchés publics ? A cette question, dans un contexte où les personnes publiques tendent de plus en plus à externaliser leurs services ou la réalisation d’opérations à des organismes qui leur sont plus ou moins liés, le code des marchés publics et la jurisprudence offrent la possibilité aux acheteurs de déroger au principe de mise en concurrence dans des conditions strictement limitées : ce sont les contrats dits de quasi-régie ou de prestations intégrées. (1) Terme retenu par la Commission générale de terminologie et de néologie (JORF 19 novembre 2008, NOR : CTNX0825937X) (2) Certaines personnes publiques ou privées, bien que non soumises au code des marchés publics, sont assujetties à des obligations de mise en concurrence imposées par le droit communautaire, dès lors qu'elles peuvent être qualifiées de pouvoir adjudicateur ou d'entité adjudicatrice. Ces organismes

I. LES CONTRATS DE QUASI-RÉGIE NE SONT PAS SOUMIS AUX RÈGLES DE PUBLICITÉ ET DE MISE EN CONCURRENCE IMPOSÉES PAR LE CODE DES MARCHÉS PUBLICS 1. Rappel des règles de la commande publique Les marchés publics sont définis par l'article 1er du code des marchés publics (CMP) comme des contrats de fournitures, de travaux ou de services conclus à titre onéreux pour répondre aux besoins des acheteurs que le CMP désigne sous le vocable de «pouvoir adjudicateur». Ces besoins doivent être définis avec minutie: la définition précise du besoin permet en effet de rédiger un cahier des charges qui permettra aux candidats de répondre de manière adaptée aux attentes de l’acheteur, tandis que l’évaluation financière du besoin déterminera le choix de la procédure à utiliser pour passer le marché. Cette procédure doit assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics, en donnant la possibilité à l’acheteur de choisir l’offre la plus économiquement avantageuse, tant en termes de prix et de performance que de valeur technique ou de qualité. Lorsque le montant du contrat envisagé dépasse un certain seuil(3), le CMP impose la mise en œuvre de mesures de publicité et de mise en concurrence. Celles-ci sont destinées à assurer le respect des trois grands principes de la commande publique rappelés à l'article 1er du CMP: - le libre accès de toutes les entreprises candidates à l’attribution d’un marché (principe qui suppose relèvent du régime de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 modifiée relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics et de ses décrets d'application (Décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 relatif aux pouvoirs adjudicateurs et décret n° 2005-1308 du 20 octobre 2005 relatif aux entités adjudicatrices.).


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d’avoir recours à une publicité la plus large possible des appels d’offres); - le principe d’égalité de traitement des candidats (qui conduit à ce que toutes les candidatures et toutes les offres proposées soient traitées par le pouvoir adjudicateur de la même manière, en particulier tous les candidats doivent recevoir le même niveau d’information de l’acheteur pour pouvoir faire une offre adaptée aux besoins, le délit de favoritisme étant réprimé par l’article 432-14 du code pénal) ; - la transparence à toutes les étapes de la procédure (publicité en amont pour pouvoir garantir une vraie mise en concurrence, conservation de tous les documents retraçant les communications et les négociations avec les candidats et, en aval, justification du choix du titulaire du marché, motivation du rejet des candidatures non retenues, publication a posteriori du nom de l’attributaire du marché ) qui impose à l’acheteur de prédéterminer les critères de sélection des offres, avant l’examen des candidatures et de les porter à la connaissance de tous les candidats, dès le début de la procédure d’appel d’offres (valeur technique, performance, prix, délais…).

2. L’exclusion des contrats de quasi-régie du champ d’application du code des marchés publics En vertu de l’article 3 du CMP, les contrats de quasi-régie, c'est-à-dire les contrats de fournitures, de travaux ou de services conclus entre deux personnes morales distinctes, mais dont l'une peut être regardée comme le prolongement administratif de l'autre, sont exclus du champ d’application du code des marchés public. Ils ne sont donc pas soumis aux règles de la commande publique qui viennent d’être rappelées. Mais que doit-on entendre par «prolongement administratif» ? Avant d’être reprise par le code des marchés publics, la notion de prestation in house est d’abord apparue dans la jurisprudence communautaire vers la fin des années 1990, notamment dans un arrêt du 18 novembre 1999 de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE,

18 novembre 1999, Teckal, aff. C-107/98), alors que celle-ci était confrontée à la nécessité de délimiter le champ d’application du droit européen des marchés publics. Dans cette affaire, une commune avait confié la gestion des installations de chauffage de certains bâtiments communaux et la fourniture des combustibles nécessaires à un groupement de communes, sans recourir à une procédure de mise en concurrence. La Cour a posé en principe que les directives relatives aux marchés publics sont applicables dès lors qu’un contrat est conclu entre une collectivité publique et une personne juridiquement distincte de celle-ci, sauf lorsque la collectivité publique « exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détienne». Dans ce cas, on est, en réalité, «dans la maison», «in house», c’està-dire dans le champ de l’autoprestation, que les disciplines de marché n’ont pas vocation à régir.»(4). L’exception « in house », qui a été précisée par des arrêts postérieurs de la CJUE(5), correspond ainsi à la situation dans laquelle l’opérateur économique, certes juridiquement distinct au plan formel de la collectivité, entretient néanmoins avec elle des relations si étroites, notamment sur le plan décisionnel et du point de vue de son activité, «qu’on peut légitimement y voir des relations intégrées, avec un «autre soi-même», donc un faux tiers. En ce cas, les relations sont assimilées à un accord passé entre deux services d’une même personne morale».(6) Cette jurisprudence communautaire a été suivie par le Conseil d’Etat à compter de 2001 (CE, 27 juillet 2001, CAMIF, req. n°218067), avant d’être consacrée par le code des marchés publics. Le 1°) de l’article 3 du CMP reprend ainsi les conditions issues de la jurisprudence, en précisant que le cocontractant doit être, lui-même, soumis au CMP: «Les dispositions du présent code ne sont pas applicables […] aux accords-cadres et marchés conclus entre un pouvoir adjudicateur et un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour lui à condition que, même si ce

(3) Les seuils de passation ont été modifiés par le règlement UE n°1251/2011 de la Commission européenne en date du 30 novembre 2011 modifiant les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et 2009/81/CE. En vertu des décrets n°2011-2027 du 29 décembre 2011 et n°2011-1853 du 9 décembre 2011 pris pour l’application de ces textes, les seuils au-dessus desquels s’appliquent les procédures formalisées (II de l’article 26 du CMP : appel d'offres, dialogue compétitif, procédure négociée, concours, système d'acquisiton dynamique) sont de 5 000 000 euros HT pour les marchés de travaux et de 130 000 euros HT pour les marchés de fournitures et de services de l'Etat et de ses établissements publics. Le seuil à partir duquel l'acheteur public a obligation de mise en concurrence avec avis de publication (procédure adaptée) est de 15 000 euros HT en dessous duquel le pouvoir adjudicateur peut décider de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables. (4) En l’espèce, la Cour a relevé que la participation de la commune à l’assemblée du groupement ne s’élèvait qu’à hauteur de 0,9% et que le groupement pouvait assurer la prestation de certains services à des communes, à des particuliers ou des organismes publics n’y

cocontractant n’est pas un pouvoir adjudicateur, il applique, pour répondre à ses besoins propres, les règles de passation des marchés prévues par le présent code ou par l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics(7)». Au regard de ces dispositions, trois conditions cumulatives doivent donc être remplies pour que le pouvoir adjudicateur soit exonéré des formalités de mise en concurrence: 1. l’acheteur doit exercer sur le cocontractant un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services, ce qui suppose qu’il exerce une influence déterminante sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de celui-ci, notamment dans le domaine de la gestion. ; 2. le cocontractant doit réaliser l’essentiel de ses activités avec ou pour le compte de l’acheteur, la part des activités effectuées au profit d’autres personnes devant demeurer marginale ; 3. le cocontractant doit appliquer, pour répondre à ses propres besoins, les règles de la passation des marchés prévues par les textes. Il convient de souligner que, contrairement au droit communautaire qui considère que la prestation in house ne constitue pas un marché public, le droit français reconnaît bien l’existence d’un contrat entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur. Ce contrat est toutefois exonéré des règles du CMP. D’ailleurs, cette exclusion des contrats de quasi-régie du champ d’application du CMP ne signifie pas que le pouvoir adjudicateur doive nécessairement renoncer à une mise en concurrence, mais seulement qu’il peut y renoncer.

II. INDICES D’IDENTIFICATION DES CONTRATS DE QUASI-RÉGIE OU DE PRESTATIONS INTÉGRÉES La relation de quasi-régie s’apprécie au regard d’un faisceau d’indices mettant en évidence l’absence d’autonomie du cocontractant.

1. L’opérateur doit être soumis à un

participant pas. Elle en a par conséquent déduit que le contrat litigieux ne pouvait être regardé comme un contrat in house. (5) CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, affaire C-26/03 ; CJCE, 21 juillet 2005, Coname, affaire C-231/03 ; CJCE, 13 octobre 2005, Parking Brixen GmbH, affaire C-458/03 ; CJCE, 10 novembre 2005, Commission c/ Autriche, affaire C-29/04 ; CJCE, 11 mai 2006, Cabotermo SpA, affaire C-340/04 ; CJCE, 6 avril 2006, ANAV, affaire C-410/04 ; CJCE, 19 avril 2007, ASEMFO, affaire C-295/05 ; CJCE, 17 juillet 2008, Commission c/ Italie, affaire C-371/05 ; CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SA, affaire C-324/07 ; CJCE, 6 juin 2009, Commission c/ Allemagne, affaire C-480/06 (6) Conclusions du rapporteur public Anne Courrèges sur la décision du Conseil d’État du 4 mars 2009 Syndicat national des industries d’information de santé n° 300481. (7) Des dispositions analogues figurent au 1° de l’article 23 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et concernent les marchés passés par les pouvoirs adjudicateurs non soumis au code des marchés publics.


contrôle comparable à celui que le pouvoir adjudicateur exerce sur ses propres services Pour remplir cette première condition, le contrôle doit s’inscrire dans un lien de dépendance très fort. A cet égard, l’autonomie juridique du prestataire qui peut résulter de ce que celui-ci est doté d’une personnalité juridique propre, n’implique pas nécessairement qu’il dispose d’une véritable autonomie décisionnelle. Le juge doit donc vérifier, dans le cadre d’une analyse factuelle, le degré d’autonomie dont bénéficie le prestataire. Il s’agit de mesurer la capacité et la possibilité du pouvoir adjudicateur d’influencer de façon déterminante les objectifs stratégiques et les décisions importantes du prestataire. Si cette autonomie est insignifiante, alors la condition du contrôle analogue sera considérée comme remplie. Par exemple, la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient 100% du capital du cocontractant peut faire présumer l’existence d’un contrôle comparable à celui exercé sur ces propres services. Elle ne constitue pas cependant un critère décisif (CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA, aff. C-340/04). De même, dans la décision du 27 juillet 2001, CAMIF, n° 218067, le Conseil d’Etat a pu estimer que la tutelle que l’Etat peut exercer sur un établissement public administratif n’est pas un élément suffisant, pour admettre que le contrôle est comparable à celui que le pouvoir adjudicateur exerce sur ses propres services. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a jugé que: « l’UGAP [Union des groupements d’achats publics] est un établissement public de l’Etat à caractère industriel et commercial sur lequel l’Etat n’exerce pas un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services; qu’en outre, aucun des clients de l’UGAP, et notamment pas l’Etat, ne représente à lui seul une part essentielle de l’activité de l’UGAP»(8). La notion de «contrôle analogue» est, par conséquent, entendue de manière étroite, par le juge administratif. Dans un arrêt en date du 19 mars 2008 (n° 98BX02208) relatif à une convention confiant à l’AURBA (Agence d’urbanisme et de recherche Bordeaux Aquitaine), association régie par la loi du 1er juillet 1901, l’étude et la réalisation d’un schéma directeur des déplacements urbains communautaires, la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir qualifié la convention de marché public au sens de la directive

92/50/CEE, a pu juger, de façon pour le moins laconique, que «la communauté urbaine de Bordeaux n’exerce pas sur AURBA un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services; que d’ailleurs l’agence peut (…) procéder également à des études…pour des collectivités publiques, des établissements publics, ou même des particuliers, tant en France qu’à l’étranger…». L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 20 avril 2005 Commune de Boulogne-Billancourt (n°02PA02193), dont le raisonnement sur l’assimilation de l’association cocontractante à un service de la commune a été entièrement confirmé par le Conseil d’Etat dans sa décision du 21 mars 2007 (n° 281796), est pour sa part beaucoup plus explicite. Le juge administratif a admis en l’espèce que l’association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de la commune devait être regardée, en dépit de sa forme juridique, comme un service de la commune, dès lors qu’elle a été créée dans le but exclusif de répondre à ses besoins, que 11 des 13 membres composant le conseil d’administration appartenaient de droit au conseil municipal et que plus de la moitié de ses ressources était constituée par des subventions municipales. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le juge en a déduit que la commune exerçait un contrôle prépondérant sur les modalités de fonctionnement de cet équipement sportif. Autrement dit, et pour reprendre les termes de la décision du Conseil d’Etat du 21 mars 2007, «lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme "transparente" et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs»(9). Il convient donc de prendre en compte plusieurs éléments pour qualifier une relation de «in house». Il paraît possible de considérer que, dès lors que l’Etat est conduit à approuver, dans le cas où le prestataire est un établissement public, par exemple, les décisions les plus importantes du conseil d’administration, notamment les décisions de portée budgétaire (décret n° 99-575 du 8 juillet 1999 relatif aux modalités d’approbation de certaines décisions financières des établissements publics de l’Etat), le contrôle

(8) Il convient de préciser que cette conception restrictive de la prestation in house concernant les centrales d’achat a été neutralisé par des directives communautaires en 2004 qui ont prévu expressément la possibilité pour un pouvoir adjudicateur de recourir à une centrale d’achat sans nécessité d’application les règles de publicité et de mise en concurrence. (9) Alors que la CJCE utilisait les critères de l'arrêt Teckal pour écarter la relation d'un pouvoir adjudicateur et d'un organisme satellitaire du champ d'application des directives « marchés publics », le Conseil d’Etat fait application de ces critères pour qualifier la relation entre l’association et un tiers : dès lors que la relation entre la commune et l'association est une

exercé peut être qualifié de contrôle étroit, ce qui paraît de nature à permettre de considérer que l’acheteur exerce un contrôle comparable à celui qu’il exerce sur ses propres services. Il n’existe donc pas de critère déterminant pour qualifier la relation entre le pouvoir adjudicateur et son prestataire. Dès lors que le cocontractant ne dispose pas d’une réelle autonomie dans son fonctionnement ou son activité, l’existence d’un lien de dépendance caractérisé peut être présumée, même si un examen des autres indices d’identification s’impose pour pouvoir qualifier le contrat envisagé de contrat de quasi-régie. La Cour de justice de l’Union européenne a par ailleurs admis que les relations in house pouvaient s’entendre de relations entre un opérateur et plusieurs pouvoirs adjudicateurs, notamment plusieurs collectivités publiques (CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA et Consorzio Alisei, aff. C-340/04; CJCE, 19 avril 2007, ASEMFO). La décision du 6 avril 2007 Commune d’Aix-en-Provence du Conseil d’Etat (n° 284736) confirme cet assouplissement. Le Conseil d’Etat a précisé en effet que, pour une délégation de service public, un organisme dédié «peut notamment être mis en place lorsque plusieurs collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public». La décision du Conseil d’Etat en date du 4 mars 2009 Syndicat national des industries d'information de santé (n°300481) a confirmé cette jurisprudence à propos de la création d’un groupement d'intérêt public par plusieurs établissements publics de santé pour la réalisation d'activités communes ainsi que pour créer et gérer des équipements et services d'intérêt commun en application de l’article L. 6134-1 du code de la santé publique. En revanche, cette jurisprudence ne joue pas s’agissant de la collaboration entre collectivités publiques autonomes (CJCE, 6 juin 2009, Commission c/ Allemagne, affaire C-480/06)(10). Dans ce cas, lorsque la coopération des collectivités a pour but l’organisation d’une mission de service public commune, on n’est nullement en présence de contrats de quasi-régie, dès lors qu’aucune des collectivités qui contractent entre elles n’exerce sur l’autre un contrôle analogue à celui exercé sur leurs propres services, bien que ces contrats échappent également aux règles de la commande publique. Dans l’affaire Stadt halle (CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt halle),

relation de quasi-régie, l’association peut être assimilée à un organisme de droit public, pouvoir adjudicateur, ce qui conduit à analyser les contrats conclus par cette association en marchés publics. (10) Quatre collectivités allemandes avaient conclu avec la ville de Hambourg un contrat destiné à assurer la mutualisation du traitement de leurs déchets. La Cour de justice a estimé que la passation d’un tel contrat n’était pas soumise à des règles de publicité et de mise en concurrence.


la CJUE a également jugé que la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services. Cette analyse semble fondée sur le postulat qu’un actionnaire privé d’une société d’économie mixte ne peut pas partager les objectifs d’intérêt général des collectivités publiques auxquelles il s’associe.

2. Le cocontractant doit réaliser l’essentiel de ses activités avec ou pour le compte du pouvoir adjudicateur L'exigence que le cocontractant réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent a pour objet de garantir que la réglementation sur les marchés publics demeure applicable dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités est active sur le marché, et donc susceptible d'entrer en concurrence avec d'autres entreprises. En effet, pour le juge communautaire, le critère du contrôle analogue ne suffit pas à lui seul à garantir le respect du libre jeu de la concurrence, si l’entité contrôlée peut encore exercer une partie importante de son activité économique auprès d’autres opérateurs. Il faut donc que les prestations de cette entité soient substantiellement destinées à la collectivité. Ce n’est en effet, dans de telles limites, qu’il apparaît justifié que cette entreprise échappe aux contraintes des règles de passation des marchés, cellesci étant dictées par le souci de préserver une concurrence qui n'a, en ce cas, plus lieu d'être. C’est dans l’arrêt Carbotermo de 2006 (11 mai 2006, Carbotermo SpA c/ Commune di Busto Arsizio, aff. C-340/04) que la CJCE a précisé comment manier le critère lié à l’activité du cocontractant pour le compte du pouvoir adjudicateur. Le litige concernait une société par actions dont le capital était entièrement détenu par une société dont le capital était lui-même détenu par des communes, dont la commune de Busto Arsizio, à hauteur de 99,98%. En 2003, la commune de Busto Arsizio, après avoir publié un appel d’offres pour la fourniture de combustibles et pour la remise à niveau technique et réglementaire des installations de chauffage des bâtiments municipaux, jugeant que sa relation avec la société remplissait les conditions posées par l’arrêt Teckal pour admettre la possibilité d’un contrat «in house», a décidé de retirer l’appel

d’offres et d’attribuer directement le contrat à cette dernière. Deux entreprises concurrentes intervenant sur le même marché ont aussitôt attaqué la légalité de cette décision. Dans cette affaire, la CJUE a confirmé sa jurisprudence antérieure à propos du contrôle analogue(11). S’agissant du critère de l’essentiel des activités, elle a jugé que, pour que l’on puisse considérer cette condition comme remplie, il faut déterminer si l'activité du cocontractant est consacrée principalement à la collectivité adjudicataire, toute autre activité ne revêtant qu'un caractère marginal. Pour ce faire, la jurisprudence communautaire ne fixe pas de seuil chiffré, mais privilégie là encore une appréciation, tant quantitative que qualitative, au cas par cas, prenant parallèlement en compte l’autonomie de l’opérateur(12). La CJUE précise que «le chiffre d'affaires déterminant est celui que l'entreprise en question réalise en vertu des décisions d'attribution prises par la collectivité de tutelle, y compris celui réalisé avec des utilisateurs en exécution de telles décisions». Les activités d'une entreprise adjudicataire dont il convient de tenir compte sont par conséquent toutes celles que cette entreprise réalise dans le cadre d'une attribution faite par le pouvoir adjudicateur, et ce, indépendamment de l'identité du bénéficiaire ou de la personne qui rémunère l’entreprise concernée, qu'il s'agisse du pouvoir adjudicateur lui-même ou de l'usager des prestations. Dans le cas particulier où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, l'activité à prendre en compte est celle que cette entreprise réalise avec l'ensemble de ces collectivités. Dans sa décision du 6 avril 2007, le Conseil d’Etat a admis qu’une «diversification purement accessoire» ne permettait pas de considérer que le cocontractant conservait une liberté d’action. En l’espèce, la commune d’Aix-en-Provence avait confié à l’association pour le festival international d’art lyrique et l’académie européenne de musique d’Aix-enProvence, une mission de service public et lui avait attribué à ce titre une subvention, sans mise en concurrence. Le juge administratif a considéré que, compte tenu de l’objet statutaire de l’association et du contrôle exercé par le pouvoir adjudicateur sur elle, le cocontractant ne pouvait être regardé «comme un opérateur sur un marché concurrentiel», «eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l’exerce», après avoir relevé que la présence de représentants de l’Etat et des collectivités territoriales, de personnes

(11) Elle a considéré en l’espèce que le pouvoir adjudicateur n'exerçait pas sur la société adjudicataire du marché public en cause un contrôle analogue à celui qu'il exerçait sur ses propres services. (12) Cf. conclusions de l’avocat général, CJCE, 7 décembre 2000, ARGE, aff. C-94/99, Rec. p. 111037, point 40 : « le principe énoncé dans [l’] arrêt [Teckal] est fondé sur le critère de l’autonomie de l’opérateur. Une entité n’est pas nécessairement privée de liberté d’action du seul fait que les décisions la concernant sont prises par la collectivité qui la détient, si elle

qualifiées dont une nommée par le maire de la commune et trois par le ministre de la culture, un conseil d’administration composé à 80% de membres désignés par les collectivités publiques militaient dans le sens de l’absence d’autonomie du cocontractant. En termes de droit de la concurrence, le critère de l’exercice de l’essentiel de l’activité est un moyen efficace pour s’assurer que l’entité contrôlée ne fausse pas le libre jeu de la concurrence par l’avantage que lui procure l’attribution directe de prestations par le pouvoir adjudicateur. Mais, le droit français est allé plus loin que le juge communautaire en prévoyant une condition supplémentaire. En effet, le code des marchés publics dispose que, pour répondre à ses besoins propres, le prestataire «in house» doit mettre en œuvre les règles de publicité préalable et de mise en concurrence.

3. Le cocontractant doit appliquer, pour répondre à ses propres besoins, les règles de la passation des marchés prévues par les textes. Cette dernière condition ne résulte pas des textes ou de la jurisprudence communautaires, mais de l’article 3 du CMP. Le droit de la commande publique français semble en effet procéder, sur ce point, d’une logique différente de celle du droit communataire. On a vu que le juge communautaire raisonne en termes de délimitation du champ d’application des directives. Les directives communautaires ne s’appliquent qu’aux contrats qui sont conclus à titre onéreux. En l’absence de contrat, elles ne peuvent être invoquées. Le propre de la relation «in house» étant qu’elle ne peut donner lieu à un vrai contrat, la théorie communautaire de la prestation «in house» est une «théorie du non contrat». Le droit français appréhende, pour sa part, la notion de «in house» comme une exception à l’application des dispositions normatives relatives aux marchés publics. Celles-ci ne peuvent être écartées qu’en raison de l’existence d’un lien particulier entre le pouvoir adjudicateur et l’entité qu’il contrôle. Dès lors, dans cette logique, le prestataire auquel profite la qualification de relation «in house» doit, pour répondre à ses propres besoins, se soumettre aux règles du CMP. En d’autres termes, dans la logique du droit de la commande publique français, les obligations pesant sur le pouvoir adjudicateur sont transférées de la collectivité publique vers le prestataire contrôlé par le pouvoir adjudicateur, celui-ci étant en

peut encore exercer une partie importante de son activité économique auprès d’autres opérateurs. En revanche, elle doit être considérée comme totalement liée à son autorité de tutelle lorsque le rapport organique qui l’unit à elle se double d’une quasi-exclusivité, au profit de cette dernière, des services qu’elle fournit. Cette situation témoigne d’une volonté de la collectivité non seulement d’utiliser les prestations à des fins publiques, mais également de les destiner principalement à son profit ».


quelque sorte «transparent». L’article 3 du CMP ne permet donc pas au pouvoir adjudicateur de contourner les formalités de passation des marchés publics en ayant recours à une entité distincte juridiquement et sous son étroite dépendance, et de s’exonérer des règles de publicité et de mise en concurrence préalables. Généralement, cette troisième condition ne pose pas de problème: soit le cocontractant applique l'ensemble des règles du CMP ou de l'ordonnance du 6 juin 2005 pour répondre à ses propres besoins, soit il n'y est pas légalement soumis, auquel cas, il doit s'y soumettre volontairement, pour que l'exclusion de «quasi-régie» s'applique. Toutefois, que faut-il entendre par «besoins propres»? Si l’entité contrôlée doit réaliser principalement, voire presque exclusivement, ses activités avec le pouvoir adjudicateur, si son objet substantiel est la satisfaction des besoins de ce dernier, et qu’en conséquence toute activité en dehors de sa relation avec celle-ci reste marginale, comment définir ses besoins propres? Concevoir ces besoins propres comme couvrant les prestations autres que celles fournies au pouvoir adjudicateur serait absurde, car cela reviendrait à admettre l’exonération de la soumission au code des marchés publics d’une part substantielle des achats réalisés par le prestataire. La troisième condition posée par le code des marchés publics pour reconnaître une «prestation intégrée» doit donc conduire à soumettre au code, l’ensemble des achats du prestataire, que ces achats soient réalisés dans le cadre de la relation «in house» ou en dehors de cette relation, même pour une part marginale. Les besoins propres doivent donc s’entendre de l’ensemble des besoins de l’opérateur contrôlé. Il résulte de ce qui précède que tous les cas d’externalisation de services des pouvoirs publics ne peuvent être concernés par le contrat de quasi-régie. Ce dernier ne peut être réservé qu’à des cas très limités. En introduisant une condition supplémentaire, le CMP a réduit la marge d’interprétation du contrat «in house» par rapport à la jurisprudence communautaire. On peut donc se demander dans quels cas le

contrat de prestations intégrées trouvera naturellement sa place. S’agissant de la formule de l’établissement public, si les attributs de cette catégorie juridique le prédisposent plus ou moins à l’application des critères posés par l’arrêt Teckal, il convient d’être cependant vigilant dans l’analyse des relations que ce type de structure juridique peut entretenir avec le pouvoir adjudicateur qui souhaite en faire son prestataire. En effet, doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, l’établissement public dispose d’organes propres, de biens propres, d’un budget autonome et d’une organisation interne, mais cette autonomie n’est pas dépourvue de contrôle: la tutelle exercée par la collectivité de rattachement peut être plus ou moins intense selon les établissements. Ainsi, le critère du contrôle analogue doit-il être apprécié au cas par cas en évaluant le degré d’autonomie dont bénéficie l’établissement public par rapport à sa collectivité de rattachement. Dans le cas d’un établissement public de l’Etat, il conviendra d’examiner plusieurs questions : le directeur de l’établissement est-il nommé sur proposition du ministre de tutelle? La composition du conseil d’administration de l’établissement comporte-t-elle une majorité de représentants de l’Etat? Y a-t-il un commissaire du gouvernement disposant d’un droit de veto suspensif sur les délibérations prises par le conseil d’administration de l’établissement? Par ailleurs, si le principe de spécialité fait de l’établissement public une structure intervenant dans un domaine précis auquel la collectivité a entendu conférer une gestion efficace, il reste qu’il faut encore vérifier que le recours à cette formule ne porte pas une atteinte excessive aux règles de concurrence. Il s’ensuit que le pouvoir adjudicateur doit être en mesure de démontrer que l’établissement public qui lui est rattaché a, à la fois par son statut et par son mode de fonctionnement, les qualités nécessaires pour être considéré comme un prestataire « in house ». S’agissant de la formule de l’association, l’utilisation du contrat de quasirégie apparaît pertinente lorsque l’association a été créée comme un mode d’exercice d’un service public, même si

on assiste, en ce cas, à une sorte de détournement du statut associatif. Ainsi dans l’affaire de la commune d’Aix-enProvence de 2007 susmentionnée, le juge administratif a recours à la notion d’association transparente, parce que créée dans le but exclusif de répondre à un besoin spécifique identifié par la ou les collectivités, financée en grande partie par celles-ci et étroitement contrôlée par elles. En ce cas, l’association peut se voir conférer la qualité de prestataire « in house » sans difficulté. Pour ce qui concerne la formule du GIP (groupement d’intérêt public), structure juridique qui présente l’intérêt de réunir des personnes morales de droit public et de droit privé, pour une durée, en principe, déterminée, aux fins d’exercer des activités ou de gérer des équipements, la jurisprudence de l’arrêt Teckal semble difficilement applicable. Ainsi une collectivité publique ne pourrait confier, par exemple, la gestion d’un service public culturel à un GIP auquel elle appartient, sans passer par une mise en concurrence conformément aux dispositions de la loi Sapin du 29 janvier 1993. Enfin, pour ce qui concerne un prestataire de type entreprise privée, il reste possible d’appliquer la jurisprudence Teckal notamment lorsque la collectivité publique détient 100% du capital social, mais comme on l’a déjà souligné, cela ne saurait constituer, en tout état de cause, une présomption de recours autorisé à des prestations intégrées. Surtout, il convient de prendre garde à ce que, lorsqu’un opérateur est un opérateur « dédié »(13) à un pouvoir adjudicateur, il ne peut pas l’être, sous réserve des hypothèses de coopération spéciale entre plusieurs collectivités, à l’égard d’un autre pouvoir adjudicateur. Ce dossier a été préparé par la délégation aux affaires juridiques. Pour plus d’informations sur les contrats de quasi-régie, vous pouvez consulter la fiche technique « Les contrats de quasi-régie » et sur les règles de passation des marchés publics le guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics, deux documents réalisés par la DAJ de Bercy.

(13) Cf. E. Fatôme et A. Ménéménis, Concurrence et liberté d’organisation des personnes publiques, AJDA 2006, n°2 p. 67-72.

À LIRE

AGRÉMENT DES ASSISTANTS MATERNELS

á «Un référentiel national pour l’évaluation des critères d’agrément des assistants maternels » (L. Poullain et B. Fleury, La semaine juridique – Edition administrations et collectivités territoriales, n° 14, 10 avril 2012).

CONTENTIEUX DES CIRCULAIRES

á « Les joies de la modernité : une décennie de contentieux des circulaires » (X. Domino et A. Bretonneau, responsables du centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’Etat, AJDA, 9 avril 2012).

DROIT CONSTITUTIONNEL

á « Le changement de circonstances dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel » (P. Gervier, Revue du droit public n° 1-2012).

RELATIONS ENTRE L’ADMINISTRATION ET LES CITOYENS

á « Que peut faire une administration « harcelée » par un citoyen ? » (J. Jimenez et V. Saliceti, Le courrier juridique des finances et de l’industrie n° 67, premier trimestre 2012)

RESPONSABILITÉ CIVILE DES SPORTIFS

á « La loi de la course » (D. Bakouche, La semaine juridique – Edition générale n° 14, 12 avril 2012).


JURISPRUDENCE DÉCRETS D’APPLICATION Le Conseil d’Etat était, en l’espèce, saisi de recours dirigés contre les décisions implicites du Premier ministre refusant de prendre les décrets d’application de l’article 31-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. Cet article encadre la constitution de sociétés de participation financière par des personnes exerçant une profession libérale et prévoit que des décrets en Conseil d’Etat, propres à chaque profession, pourront interdire la détention, directe ou indirecte, de parts ou d’actions à des catégories de personnes physiques ou morales déterminées, lorsqu’il apparaîtrait que cette détention serait de nature à mettre en péril l’exercice de la ou des professions concernées dans le respect de l’indépendance de ses membres et de leurs règles déontologiques propres. Le Conseil d’Etat constate que le Gouvernement n’a pas procédé à un tel examen, profession par profession, mais a, s’agissant des professions de santé et des professions paramédicales, subordonné l’intervention éventuelle de décrets d’application à la formulation de demandes en ce sens émanant des instances représentatives de ces professions. Le Conseil d’Etat considère que le Gouvernement a méconnu la volonté du législateur et qu’il lui incombe, par conséquent, de se prononcer à nouveau sur le point de savoir s’il n’est pas nécessaire de prévoir des règles particulières de nature à assurer le respect de l’indépendance des membres des professions en cause et les règles déontologiques qui leur sont propres. Il enjoint le Gouvernement de procéder à ce réexamen dans un délai de six mois (CE 28 mars 2012, n° 343962).

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ (SOINS PSYCHIATRIQUES SANS CONSENTEMENT) Sur saisine du Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel (décision n°2012-235 QPC, 20 avril 2012) s’est prononcé sur la constitutionnalité de quatre dispositions du code de la santé publique issues de la loi n° 2011803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, adoptée à la suite de précédentes déclarations d’inconstitutionnalité. Etaient en cause : - l’article L. 3211-2-1 du code de la santé publique relatif au régime des séjours en hospitalisation imposés dans le cadre d’une prise en charge ambulatoire ; - le 3° du paragraphe I de l’article L. 321112-1 du CSP qui concerne le délai de réexamen par le juge des libertés et de la détention (JLD) des hospitalisations ordonnées par une juridiction ; - le paragraphe II de l’article L. 3211-12 et l’article L. 3213-8 relatifs au régime dérogatoire applicable à la sortie des personnes déclarées pénalement irresponsables et des personnes ayant séjourné en unité pour malades difficiles (UMD). Aux termes de l’article L. 3211-2-1 du CSP, une personne peut être soumise à des soins psychiatriques sans son consentement, soit

sous la forme d’une « hospitalisation complète », soit « sous une autre forme incluant des soins ambulatoires pouvant comporter des soins à domicile, dispensés par un établissement [psychiatrique] et le cas échéant des séjours effectués dans un établissement de ce type ». Il résulte du premier alinéa de l’article L. 3211-12-1 du CSP qu’un contrôle systématique du JLD est prévu pour les mesures de soins prises dans le cadre d’une hospitalisation complète et non pour celles qui prennent une autre forme. L’association requérante dénonçait, dans cette hypothèse, l’absence d’un tel contrôle. Le Conseil constitutionnel relève « qu’en permettant que des personnes qui ne sont pas prises en charge en « hospitalisation complète » soient soumises à une obligation de soins psychiatriques pouvant comporter, le cas échéant, des séjours en établissement, les dispositions de l’article L. 3211-2-1 n’autorisent pas l’exécution d’une telle obligation sous la contrainte ; que ces personnes ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissements prévus par le programme de soins. ». En d’autres termes, le Conseil constitutionnel juge qu’aucune mesure de contrainte à l’égard d’une personne faisant l’objet d’une prise en charge ambulatoire ne peut être mise en œuvre sans que la prise en charge ait été préalablement transformée en hospitalisation complète. Le Conseil constitutionnel en conclut que le grief tiré de la violation de la liberté individuelle manque en fait. Dans ces conditions, l’article L. 3211-2-1 est déclaré conforme à la Constitution. L’association requérante contestait également le 3° du I de l’article L. 3211-12-1 du CSP, au motif que le délai de six mois à l’expiration duquel toute mesure d’hospitalisation ordonnée par une juridiction ou sur laquelle le JLD s’est déjà prononcé ne peut se poursuivre sans que celui-ci n’ait statué sur cette mesure, était excessif et par conséquent inconstitutionnel. Le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition conforme à la Constitution après avoir relevé que le législateur est parvenu à une conciliation équilibrée entre les exigences de l’article 66 de la Constitution et l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, dès lors que la loi impose un réexamen périodique, au maximum tous les six mois, des mesures de soins sans consentement sous la forme de l’hospitalisation complète sur lesquelles une juridiction s’est déjà prononcée et qu’elle n’interdit pas que le JLD puisse être saisi, à tout moment, à fin d’ordonner la levée immédiate de la mesure. En revanche, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution le II de l’article L. 3211-12 et l’article L. 3213-8 et a reporté leur abrogation au 1er octobre 2013. Ces dispositions visent les personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou ayant été admises en unité pour malades difficiles (UMD). Le Conseil constitutionnel a estimé que les garanties entourant les possibilités de mainlevée des mesures de soins psychiatriques les concernant (le JLD ne peut statuer qu’après avoir recueilli l’avis d’un collège de soignants et ne peut décider la mainlevée

de la mesure sans avoir ordonné deux enquêtes supplémentaires établies par des psychiatres. D’autre part, le préfet ne peut mettre fin à une mesure de soins psychiatriques qu’après avis du collège de soignants et deux avis concordants sur l’état mental du patient) étaient insuffisantes. Le Conseil constitutionnel, reprenant une formulation qu’il a déjà utilisée (décision n°2012-185 QPC du 21 octobre 2011), admet que ces personnes se trouvent dans une situation spécifique qui peut justifier des mesures particulières : « qu’en raison de la spécificité de la situation des personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou qui présentent, au cours de leur hospitalisation, une particulière dangerosité, le législateur pouvait assortir de conditions particulières la levée de la mesure de soins sans consentement dont ces personnes font l’objet ». Toutefois, le Conseil prend soin d’ajouter qu’il appartient au législateur « d’adopter les garanties légales contre le risque d’arbitraire encadrant la mise en œuvre de ce régime particulier ». Or, pour les personnes ayant séjourné en UMD, le Conseil constitutionnel a constaté qu’aucune disposition législative n’encadre les formes ni ne précise les conditions dans lesquelles une décision d’admission en UMD est prise par l’autorité administrative, de sorte que les règles concernant ces personnes sont plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes admises en hospitalisation complète. Il a donc jugé cette absence de garanties légales contraire à la Constitution. Pour les personnes qui ont commis des infractions pénales en état de trouble mental, il est prévu que l’autorité judiciaire avise le préfet de la décision de classement sans suite ou de la déclaration d’irresponsabilité pénale pour qu’il puisse ordonner éventuellement des soins psychiatriques. Le Conseil constitutionnel relève que la transmission au préfet intervient quelle que soient la gravité et la nature de l’infraction commise en état de trouble mental et qu’elle se fait sans information préalable de la personne intéressée. Il constate que « faute de dispositions particulières relatives à la prise en compte des infractions ou à une procédure adaptée, ces dispositions font découler de cette décision de transmission, sans garanties légales suffisantes, des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes soumises à une obligation de soins psychiatriques, notamment en ce qui concerne la levée de ces soins » et a donc conclu à leur inconstitutionnalité.

Courrier

Juridique des

Affaires sociales et des

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Directrice de la publication : Catherine de Salins Rédactrice en chef : Pearl Nguyên Duy Directeur de la rédaction : Serge Horville Conception : Réalisation maquette : Bénédicte Villechange ISSN : 2107-5433 Dicom : 12.051


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