Reconstruire la ville dans l'urgence

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RECONSTR UIRE LA VILLE DANS L’URGENCE Limites et champs d’actions de l’architecte urbaniste au sein du processus de reconstruction de Port-au-Prince en Haïti


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Reconstruire

la ville dans l’urgence

Limites et champs d’actions de l’architecte urbaniste au sein du processus de reconstruction de Port-au-Prince en Haïti Mémoire de fin d’étude de Kuntz Marie-eve Sous la direction de Diestchy Mireille & Morovich Barbara

ENSAS 2018-2019


- AVANT-PROPOS Ce mémoire est le résultat de recherches et d’entretiens effectués auprès de personnes travaillant au sein d’organisme relatifs à l’architecture et l’urbanisme d’urgence ainsi que de personnes directement touchées par des catastrophes humanitaires. Le choix de recherche s’est imposé à moi suite à une année d’échange universitaire en 2017 à Lima au Pérou. En effet, cette expérience dans un pays d’Amérique latine m’a fait prendre conscience de plusieurs aspects que trop de gens ignorent encore. Lors des ravages provoqués par le phénomène des Huaicos (pluies diluviennes) dans les périphéries de Lima en mars 2017, événement très peu médiatisé en France, j’ai saisi l’importance d’organismes volontaires pour aménager des infrastructures rapidement afin d’aider les populations touchées par ces catastrophes. Durant cette année j’ai vu, appris et compris que l’architecture pouvait prendre une toute autre facette que celle généralement enseignée lors des premières années en école d’architecture en France. J’ai découvert une nouvelle façon de penser l’architecture, une architecture qui selon mon point de vue me paraît plus utile, plus nécessaire. D’autres expériences personnelles ont également participé à mon intérêt quant à ce sujet : en Thaïlande d’abord où j’ai pris part à un chantier de rénovation d’un orphelinat ; puis à Lima au sein de diverses associations, et surtout lors de mon dernier voyage, à Madagascar où j’ai véritablement pris conscience d’un manque d’infrastructures lié à la pauvreté. C’est suite à ces brèves interventions dans le domaine de l’architecture d’urgence que j’ai choisi de me rediriger vers cet univers pour effectuer le travail de recherche inclus dans ma 4


formation à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg (ENSAS). Le choix du sujet est en réalité directement issu du contexte actuel. Le changement climatique, le phénomène d’urbanisation et la marginalisation sociale et économique sont les moteurs de l’amplification de l’intensité et de la fréquence des catastrophes naturelles. Jamais encore, le monde n’a eu autant besoin de l’aide d’architectes urbanistes dans le cadre de la reconstruction post-urgence. Après quelques recherches sur le sujet j’ai très vite été interpelée par le peu de communication autour de l’architecture et de l’urbanisme d’urgence : Qui ? Pour qui ? Et comment ? De manière à illustrer mes propos je me suis rapidement tournée vers le cas de Haïti et en particulier de sa capitale Portau-Prince, victime de nombreuses catastrophes naturelles et plongée dans une phase d’urgence permanente, en particulier depuis le séisme dévastateur de janvier 2010. Si la résilience peut être définie comme « La capacité d’un système, d’une communauté ou d’une société exposée à un danger de résister à ce danger, de l’aborder et de s’y adapter de manière rapide et efficace.1 », le propos de ce mémoire est de connecter le rôle de l’architecte urbaniste au sein de la phase de reconstruction à l’enjeu des espaces urbains dans le processus de résilience à Port-au-Prince.

1 Définition donnée par le programme United Nations International Strategy for Disaster Reduction. 5


- REMERCIEMENTS Je souhaiterais avant toute chose remercier les personnes qui m’ont été d’une grande aide, en commençant par Xavier Génot pour sa disponibilité et son aide précieuse et éclairante sur un monde que je suis encore loin de maîtriser. Outre ses retours d’expériences, ses nombreux contacts m’ont permis de joindre des interlocuteurs pertinents et de qualité. Je tiens également à remercier ces personnes pour leur disponibilité et le temps qu’ils ont accordé à mes entretiens. De plus j’aimerais pouvoir remercier toute l’équipe de l’association JEDE Jeunesse en Développement en Haïti, et en particulier son Président, Julien Ganthier, pour m’avoir accueilli et accompagné tout au long de ma visite sur le territoire Haïtien. Je remercie bien évidemment Mireille Diestchy, ma directrice de la formation à l’ENSAS qui m’a permis de me lancer dans ce domaine, les sciences humaines, et qui, de par son écoute et son ouverture d’esprit m’a offert une liberté très appréciée. De même je tiens à remercier Barbara Morovich, qui a su prendre la relève dans mon suivi et m’a accompagné au moment le plus décisif dans l’élaboration de ce travail. Plus en amont j’aimerais remercier tous mes collègues et professeurs de l’ENSA de Strasbourg en France et de la PUCP de Lima au Pérou avec qui j’ai échangé au cours de ces six dernières années d’étude d’architecture et qui m’ont volontairement ou inconsciemment inspiré dans mon travail.

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- SOMMAIRE -

Avant-Propos

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Introduction

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I – L’architecture d’urgence dans le temps et à travers le monde

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Qui et comment ? Des architectures pour des cultures Du provisoire au durable

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II – Haïti en urgence permanente

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Un contexte spécifique La scène haïtienne au lendemain du séisme Les outils de la reconstruction

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III – La place publique dans l’urgence : l’urbanisme d’urgence 116 Caractéristiques d’une urbanisation non planifiée Equipements éducatifs et culturels au sein du processus de résilience L’aménagement de quartiers favorables à la vie collective

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CONCLUSION

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Bibliographie

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Corpus

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Iconographie

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Fig 1.


- INTRODUCTION L’architecture avec un grand A Qu’est-ce qu’un architecte aujourd’hui en France et dans le monde ? Si pour une grande partie de la population la fonction d’architecte s’apparente à celle d’un concepteur, d’un designer, voire d’un artiste, pour Xavier Génot, architecte coordinateur d’équipes de la Croix-Rouge sur des missions d’urgence et sur la thématique de l’abri, la définition de l’architecte est bien différente. Lui, attribue avant tout à l’architecte urbaniste les rôles de médiateur et de coordinateur. En effet, bien qu’aujourd’hui bon nombre de jeunes architectes, diplôme en main, formés à faire de la « belle architecture2 », soient à la recherche d’un travail au sein d’une agence de renom, il s’agit de garder à l’esprit que les missions de l’architecte urbaniste peuvent se décliner sous diverses formes de par le monde et selon le contexte dans lequel elles s’inscrivent. L’image de l’architecte bureaucrate partageant sa vie entre les chantiers la journée et les bureaux la nuit, ne résume pas de manière exhaustive les possibilités du métier que nous pratiquons et tend malheureusement à se désintéresser de plus en plus de la dimension sociale qu’on confère la pratique au profit de l’aspect technique. Autrement dit, selon X. Génot nous nous confrontons aujourd’hui à « trop d’architectes pour 2 Coulombel (Patrick), Architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 40. 10


ce qu’ils font mais pas assez pour ce qu’ils devraient faire3 ». L’ « architecture d’urgence », encore très peu enseignée au sein des écoles d’architecture en France, illustre parfaitement la pluralité des champs d’action de l’architecte d’aujourd’hui. La richesse et la diversité des cultures constructives aujourd’hui observables à travers le monde prouvent que les sociétés ont toujours su s’adapter à leur environnement et réagir face aux crises. Si le concept d’ « architecture d’urgence » est aussi ancien que la notion d’habiter, ce n’est en réalité qu’à partir de la seconde moitié du vingtième siècle que le terme d’ « architecture d’urgence » émerge. Basée sur le modèle de l’organisation des opérations de secours créé dans le cadre du contexte de reconstruction post seconde guerre mondiale en Europe, la démarche de l’architecture dite d’urgence se démarque du cadre habituel par un processus centré sur des impératifs de rapidité et d’efficacité, limité dans le temps.

3 Génot (Xavier), entretien du 07.12.18 à Strasbourg. 11


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Fig 2. Abris d’urgence à Port-au-Prince le 13 janvier 2010.


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Contexte actuel : L’URGENCE Typhons, tsunamis, tremblements de terre, cyclones, inondations, etc. La multitude de crises auxquelles le monde doit faire face aujourd’hui ne fait qu’augmenter, en 2018 plus de 10 000 personnes ont trouvé la mort suite à des catastrophes naturelles. Les températures records enregistrées en 2010 ont provoqué des incendies qui ont ravagé les forêts de Sibérie pendant que le Pakistan et l’Inde subissaient de grosses inondations. La même année, les États-Unis ont essuyé eux aussi un grand nombre de désastres, allant d’importantes inondations à l’ouragan Irene, en passant par la sécheresse au Texas. Parallèlement, en Chine, des régions entières furent victimes de sécheresses intenses tandis que des pluies diluviennes s’abattaient sur l’Amérique centrale et la Thaïlande. Pendant ce temps-là, suite au séisme de janvier Haïti entrait dans l’une des plus grosses crises humanitaires connue jusqu’à présent. Où que ce soit dans le monde, nous observons aujourd’hui une forte croissance des flux migratoires causés par l’effet dévastateur des catastrophes naturelles. Depuis 2008, plus de 22,5 millions de personnes par an se voient obligées de fuir en raison d’une catastrophe naturelle, l’équivalent de plus de 62 000 personnes par jour. En 2017 les catastrophes naturelles ont généré plus de 135 milliards de dollars US de dommages matériels dans le monde, ce qui représente une hausse de 166% par rapport à 2016. Si le changement climatique est en partie responsable de l’augmentation importante de la force et de la fréquence des catastrophes naturelles dans le monde, l’urbanisation effrénée à laquelle nous assistons avec l’accroissement du nombre de personnes vivant dans des zones dites « à risque », sujettes 14


aux catastrophes naturelles, tient également une grande responsabilité dans les bilans désastreux qui nous sont présentés aujourd’hui. Mais comment définir une phase d’urgence ? Dans quelle mesure une situation à un instant donné peut-elle être qualifiée d’urgente ? Dans le domaine de l’architecture on peut parler « d’urgence » lorsque constructions et destructions se suivent dans un espace temps restreint.

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État du savoir Dans l’optique d’écrire au sujet de l’architecture d’urgence je me suis, au lancement de la recherche relative à l’écriture de mon mémoire en octobre 2018, concentrée sur des ouvrages relatifs à la notion propre d’architecture de l’urgence. Mes premières interrogations étaient les suivantes : jusqu’où devons-nous, en tant que professionnels, nous impliquer dans le processus de construction lorsque la culture locale n’est pas la même que la notre ? Quelles sont les limites de notre intervention en tant qu’étranger ? Je me suis donc d’abord dirigée vers l’ouvrage de Patrick Coulombel, fondateur de l’association « Architectes de l’urgence », qui en 2007, a retranscrit l’histoire de son association depuis sa création en 2001. Architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire, comme son titre l’indique, nous permet à la fois de mieux comprendre le rôle de l’architecte au sein d’une association d’ordre humanitaire, mais aussi de retracer et de suivre l’évolution de cette pratique, qui aujourd’hui encore, reste très peu connue aux yeux de la population et même des architectes. Cet ouvrage se révèle être une véritable biographie de l’association « Architectes de l’urgence », ses débuts, son évolution, les problèmes rencontrés, ses succès comme ses défaites, etc. P. Coulombel, dans son ouvrage, tente également de nous faire part du point de vue des sinistrés : comment ces personnes perçoivent-elles ces étrangers venus depuis l’autre bout de la planète, des idées pleins la tête, pour leur venir en aide ? Cet ouvrage donne à son lecteur les clés pour comprendre ce « nouveau métier » que l’on appelle aujourd’hui « architectes

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de l’urgence » et permet d’appréhender les points de vue des architectes intervenants, celui de P. Coulombel avant tout, quant aux opérations menées sur place. Cette lecture m’a donc permis de mieux me préparer aux futurs entretiens que j’ai eu l’occasion de réaliser dans le cadre de mon mémoire. Cependant, même si P. Coulombel tente de comprendre et de nous transmettre ce qu’il a pu interpréter quant aux points de vue des sinistrés vis-à-vis de l’intervention d’organismes tel que « architectes de l’urgence », il est évident que cet ouvrage ne peut être totalement objectif, et par voie de conséquence, peut inciter son lecteur à se positionner trop rapidement en faveur de ces institutions. Ainsi, cet ouvrage m’ayant permis d’appréhender le rôle de l’architecte au sein du processus d’intervention lors d’une crise et de mieux comprendre le point de vue des architectes, il s’imposait désormais à moi de trouver davantage d’informations relatant des retours de la part des sinistrés afin de pouvoir bien comparer les deux points de vue et de rester impartiale ou neutre autant que possible lors de la rédaction de mon mémoire. Afin donc de comprendre le processus d’intervention dans le cadre d’une catastrophe humanitaire dans son intégralité, je me suis cette fois concentrée sur l’une des synthèses des résultats du travail mené par l’association CRAterre4 (Centre 4 Équipe pluridisciplinaire et internationale, CRAterre est une Association et un Laboratoire de recherche de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, qui rassemble chercheurs, professionnels et enseignants, et travaille avec de nombreux partenaires, ce qui permet d’établir des liens créatifs entre recherche, actions de terrain, formation et diffusion des connaissances. Source : <http://www.craterre.org>. 17


International de Construction en terre), en collaboration avec diverses organisations haïtiennes et internationales depuis le séisme de 2010 survenu à Port-au-Prince : (Re)construire Haïti : du séisme de 2010 à l’ouragan Irma en 2017. L’intervention menée par l’association CRAterre en Haïti avait pour objectif de renforcer et valoriser les cultures constructives locales de manière à rendre la population locale autonome dans la prévention des futurs catastrophes. L’étendue de cette brochure m’a permis à la fois de me familiariser avec le contexte de Haïti et de suivre l’intervention menée par CRAterre suite au séisme de 2010 à travers ses différentes phases. De la reconstruction d’habitats individuels, à la mise en place de formations en lien avec la reconstruction, en passant par la mise en valeur des savoirs locaux et l’étude de techniques constructives locales améliorées, cet ouvrage synthétise le large champ d’action d’une association lors d’une intervention d’ordre humanitaire. C’est suite à la lecture et à l’étude de cet ouvrage que j’ai décidé de me concentrer davantage sur le cas de Haïti et par voie de conséquence de choisir la capitale de Port-au-Prince comme cas d’étude pour la rédaction de mon mémoire. Toujours dans le but de me familiariser avec le processus d’intervention post catastrophe en Haïti, j’ai par la suite étudié l’ouvrage collectif suivant : Haïti : réinventer l’avenir, réalisé sous la direction de Jean-Daniel Rainhorn à la suite du colloque « Haïti : des lendemains qui tremblent » tenu à Genève en janvier 2011, soit un an après le séisme de 2010. Cet ouvrage est intéressant dans sa façon de confronter l’avis d’experts, toutes profession confondue, à celui de la société haïtienne, de sa diaspora et d’intervenants étrangers. De cette manière il analyse les faiblesses de la société haïtienne 18


et les enjeux de l’aide internationale et se questionne sur l’effet du séisme de 2010 dans l’évolution du pays au cours des prochaines années : Le séisme sera-t-il l’événement qui permettra à Haïti d’entrer enfin dans le XXIème siècle ? Cette analyse m’a quant à elle permis d’avoir un aperçu plus global au sujet de la reconstruction de Port-au-Prince après le séisme de 2010, quels effets ce tremblement de terre a-t-il eu sur la population et la ville ? Quels sont les besoins ? Quelles répercussions l’aide internationale engendre-t-elle sur l’état et ses habitants ? Etc. J’ai ainsi pu, grâce à la lecture de cet ouvrage, cibler et préciser mes questions lors des entretiens que je menais en parallèle. Pour finir, afin de varier les sources d’informations et de confronter différents types de récits et d’acteurs, j’ai décidé de me pencher sur le roman de l’auteure haïtienne Yanick Lahens : Failles : Récit, dans lequel l’écrivaine, présente le jour du séisme en 2010 et lors de la reconstruction de la ville, nous fait part de ses ressentis, de ses sentiments et de sa perception du processus de reconstruction. Pour l’écriture de cet ouvrage la romancière a, durant les mois qui ont suivi le séisme majeur de 2010, prit des notes dans l’espoir de pouvoir retranscrire la douleur et la détresse des victimes. À partir de son ressenti et de celui de ses proches Y. Lahens tente de relater le chaos qui règne sur la ville mais aussi la volonté des haïtiens de s’en sortir, les espoirs et les réussites, si petites soient elles. De cette manière l’auteure permet à ses lecteurs de mieux comprendre cette catastrophe, non pas à travers les chiffres et les images que les médias ont pour habitude de relayer et de répéter, mais de manière plus sensible. En effet, aussi dur soit-il, cet ouvrage fait découvrir à son lecteur l’horreur vécue en Haïti au lendemain des grandes crises directement à travers les yeux de l’une de ses victimes. 19


Cette lecture préliminaire au voyage en Haïti m’a à la fois permis de mieux comprendre certains aspects de la culture et de la société haïtienne, mais surtout, avoir un aperçu, aussi mince soit-il, du traumatisme subit par la population suite au séisme de 2010 et durant la phase de reconstruction de la ville. A partir de cela, je pense avoir su, une fois sur le terrain, mieux appréhender les besoins des habitants. C’est en partie grâce à la lecture de cet ouvrage que j’ai réalisé l’importance de l’espace public au sein de la ville, en particulier dans le contexte de la ville de Port-au-Prince ou l’espace privé reste relativement restreint et ou les gens cherchent à se rencontrer et à échanger pour se reconstruire ensemble. De ce fait, c’est grâce à l’accumulation de ces données que petit à petit s’est développé ma réflexion quant à l’importance de l’espace public dans le processus de résilience après une catastrophe naturelle pour la suite du mémoire et dans l’élaboration de mon projet de fin d’étude mené en parallèle.

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Problématique S’il devient évident que les phénomènes liés aux catastrophes naturelles sont de plus en plus récurrents et violents, le processus d’urbanisation et d’évolution démographique auquel le monde doit aujourd’hui faire face ne fait qu’aggraver les conséquences désastreuses de ces aléas. La non prise en compte du facteur risque qu’engendrent ces phénomènes et la standardisation des modes constructifs à travers le monde présentent de lourdes conséquences à la fois sanitaires et sociales vis-à-vis des populations touchées. Face à ces constats interviennent alors les « architectes de l’urgence » en appui aux acteurs locaux afin de venir en aide là où les besoins sont les plus urgents. Si la pertinence de l’intervention d’organismes spécialisés dans la réponse à l’urgence est encore très controversée, les professionnels de l’urgence s’accorderont tous sur le fait qu’il n’existe pas de recette miracle de reconstruction. Reconstruire un territoire après une crise ne se limite pas à l’aspect physique que confère le terme de « reconstruction», le processus global doit inclure la reconstruction psychique de ses habitants, conséquemment il n’existe pas de solution universelle, ou autrement dit de mode d’emploi car c’est au sein même de chaque population que doit émerger la force utile à la reconstruction. Mais pour cela encore faut-il que les habitants du quartier ou de la ville impactée puissent se rencontrer. Malheureusement aujourd’hui, nombreuses sont les villes, qui de plus construites dans une phase d’urgence, ne laissent plus de place à la rencontre et à l’échange, et restreignent l’espace public aux espaces de circulation.

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Face à ces constats, les questions que je me pose sont les suivantes : Comment accompagner, au mieux, en tant qu’architecte urbaniste, les sinistrés dans le processus de résilience après une crise ? Comment prévenir des chocs futurs ? Le processus de reconstruction d’une ville se limite-t-il aux logements ? Qu’en advient-il de l’espace public partagé ? Le loisir s’oppose-t-il réellement à l’urgence ? Comment reconstruire une population si ces habitants ne peuvent s’approprier leur espace ? Dans cette démarche, je me suis appuyée sur le cas de Haïti, et plus particulièrement sur l’exemple de sa capitale Port-auPrince, proie à de nombreuses catastrophes naturelles. L’étude plus poussée de la place publique Tapis Rouge créée en 2016 dans le contexte de l’intervention post séisme de 2010, m’a permis de comprendre le rôle que joue la place publique dans le processus de résilience d’une communauté.

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Méthodologie adoptée pour l’étude Mon travail en amont de l’écriture de ce mémoire se décompose en trois phases. La première phase consistait à approfondir mes connaissances au sujet de l’architecture d’urgence à proprement parler. Consacrée alors à la recherche d’informations concernant la création d’associations intervenant dans des contextes postcatastrophe à la fois en France et à l’étranger de manière plus générale, je me suis logiquement adressée à la Croix-Rouge française et à l’association CRAterre, reconnues pour leurs nombreuses interventions en réponse aux crises humanitaires. La seconde phase était plus centrée sur le processus suivi par ces associations et réalisée à partir d’entretiens à la fois téléphoniques et physiques, dans le but de comprendre le côté social et humain de cette pratique. De quelle manière interviennent-elles sur le terrain ? Comment collaborent-elles avec les locaux ? Quels sont leurs buts ? La troisième phase enfin, se traduit par la prise de contact avec les acteurs locaux en Haïti lors d’un voyage sur place réalisé en février 2019, à Port-au-Prince principalement, où j’ai pu rencontrer et échanger à la fois avec des habitants de la ville et avec des intervenants présents sur les lieux et ayant participé au processus de reconstruction. Il est cependant important de mentionner que lors de ma visite à Port-au-Prince, le contexte politique ne m’a pas permis de me rendre sur le site de la place Tapis Rouge comme convenu avant le départ. En effet, d’importantes manifestations se sont déroulées durant mon séjour en Haïti et ont rendu impossible tout déplacement dans la capitale et dans le pays de manière plus globale. Si toute fois je n’ai pas pu me rendre sur le terrain 24


et exercer les recherches et enquêtes préparées au préalable, j’ai quand bien même pu tirer de ce voyage beaucoup d’informations relatives au mode de vie, et surtout, une toute autre vision de la réalité haïtienne à laquelle il est difficile de se préparer depuis un contexte totalement différent tel que le nôtre. Après avoir vécu durant deux semaines au sein d’une famille haïtienne, ce n’est donc pas riche en rapports d’enquête que je suis revenue mais plus riche humainement.

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I

L’ARCHITECTURE D’URGENCE DANS LE TEMPS ET À TRAVERS LE MONDE

Catastrophes naturelles, accidents industriels, épidémies, famines, déplacements massifs de populations, conflits armés, etc. Autant de facteurs induits ou non par l’homme menacent aujourd’hui le monde et sont à l’origine des nombreuses crises humanitaires. C’est souvent de l’autre côté de l’écran que nous assistons, le temps des informations, à l’épouvante, et que, pour la plupart d’entre nous l’incompréhension s’installe : comment se relever après de telles catastrophes ? Comment aider et qui est en mesure d’intervenir ? Si très vite les images se raréfient et les sujets d’actualités changent, la situation de crise persiste. Mais que se passe-t-il réellement en situation de crise postcatastrophe ? « Lorsqu’un cataclysme survient, le réflexe premier des personnes directement impliquées est sans doute d’unir leurs forces et compétences de manière à mieux affronter les réalités auxquelles elles doivent faire face, on parle d’une véritable solidarité. Le même mouvement d’entraide se génère ensuite internationalement, ce qui pousse des organismes et des gouvernements à fournir l’aide supplémentaire nécessaire aux sinistrés.5 » Cependant si les organisations internationales sont dans la mesure d’apporter leur soutien aux populations locales, ces 5 Collection École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, Autour de l’urgence / Modules d’habitation, publications de l’université de SaintEtienne, septembre 2007, p. 67. 26


dernières doivent rester au cœur du processus de reconstruction. L’histoire d’une société est la preuve que les constructeurs ont toujours su tirer conclusion des expériences vécues et su évoluer de manière à construire leur habitat selon les besoins et contraintes tant économiques, climatiques et sociales de leur environnement, pour aboutir à des architectures « situées ». Malheureusement aujourd’hui nous assistons de plus en plus à la perte de ces savoirs locaux, déconsidérés au profit de la modernité véhiculée par la mondialisation. Quelle place l’architecte urbaniste occupe-t-il finalement dans le processus de reconstruction après une crise ? Comment intervenir dans un contexte culturel étranger ?

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Fig 3. Maquettes de recherche dans le cadre du workshop «Abri d’urgence: une architecture minimum ?» à l’ENSAS.


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QUI ET COMMENT ? La notion d’architecte de l’urgence reste encore aujourd’hui très vague dans la plupart des esprits. Si la première image qui nous vient en tête lorsque l’on entend le terme « architecture d’urgence » est un terrain vague sous les décombres côtoyant de nombreux camps de fortune, la démarche ne se limite pas à fournir des abris provisoires aux sinistrés mais se poursuit bien au-delà et exige de la part de l’architecte urbaniste des qualités de coordinateur capable de travailler avec différents corps de métiers : sociologues, anthropologues, techniciens, etc.

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Fig 4.


Une nouvelle facette de l’architecture Pour Patrick Coulombel, fondateur de l’association « Architectes de l’urgence », le métier d’architecte qu’il juge aujourd’hui « trop lent, trop administratif, trop intellectuel et sans reconnaissance » 6 est bien loin de l’image qu’il s’en faisait avant de s’y plonger. À la recherche d’un moyen d’exercer sa profession de façon à être plus connecté à son environnement et, surtout, de se recentrer sur l’aspect social du métier, il fonde en 2001 l’association « Architectes de l’urgence » en rappelant ses valeurs : « Architectes de l’urgence n’est pas mis en place pour les architectes, mais pour les gens qui ont besoin d’aide7. ». Selon lui, il s’agit avant tout de rappeler que l’architecture ne se résume pas uniquement à des visées lucratives, l’architecte se doit d’apporter son aide à qui en a besoin, à l’image d’un intervenant permettant d’aider les plus démunis. À commencer par le 21 septembre 2001 à Toulouse lors de l’intervention en réponse à l’explosion de l’usine AZF, l’association « Architectes de l’urgence » et son réseau de volontaires ont déployés leurs interventions dans le monde entier. Jean-François Briand8, directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg, affirme que le cadre de « l’architecture d’urgence » requalifie le rôle habituel et connu de l’architecte. L’architecte ne donne pas des solutions mais des moyens pour parvenir à une proposition plus en adéquation avec un site fragilisé et étranger. Si les questions d’ordre sociologique n’étaient pas au cœur 6 Coulombel. Op. cit., p. 18. 7 Coulombel. Ibid., p. 34. 8 Briand (Jean-François), Table-ronde : dignité, abris d’urgence et mallogement, ENSAS, 31.05.18. 32


des préoccupations des architectes du 20e siècle, nous constatons désormais une évolution dans la place et le rôle de l’architecte au sein de la société : « Aujourd’hui les sciences sociales prennent une place à part entière dans le processus d’enseignement de l’architecture, la profession se diversifie et l’image de l’architecte indépendant qui décide seul d’un cadre de vie est révolue9 ». Selon Martin Chenot, directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne, « Une école d’architecture n’est pas une école de techniciens et encore moins une école de techniciens de l’urgence. Cependant, les élèves architectes doivent être amenés à se poser des questions sur le monde qui les entoure et sur la position qu’ils y tiendront en tant que professionnels.10 » Petit à petit donc, les études d’architecture en France tendent à se diversifier dans leur approche pédagogique. De cette façon, l’architecture d’urgence ne se limite à la simple dimension architecturale, elle va bien au-delà. L’objectif en soi n’étant pas seulement de distribuer un toit à chacun des sinistrés mais d’atteindre, de manière directe ou indirecte, un meilleur niveau de résilience, un retour à la normale pour les sinistrés, aussi difficile soit-il. Dans son ouvrage sur la thématique de l’architecture de l’urgence, P. Coulombel précise : « L’important pour nous consiste à comprendre, analyser, évaluer et informer au mieux : pourquoi tant de morts, quelles conséquences, quelles solutions à proposer ? 11 ». Il s’agit donc avant tout d’accompagner, au mieux, ces personnes dans leur processus de résilience. Si dans un premier temps il faut agir rapidement et fournir aux 9 Ibidem. 10 Collection École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Etienne. Op. cit., p.12. 11 Coulombel. Op. cit., p. 126. 33


sinistrés des logements provisoires dans lesquels ils pourront s’abriter, il s’agit ensuite de procéder au plus vite au lancement de programmes de reconstruction et de construction d’habitats de forme durable. Mais trop souvent les termes se superposent et portent à confusion, les spécialistes et journaux parlent à la fois d’habitats transitoires, d’habitats d’urgence et d’habitats pérennes sans réellement les distinguer. De cette façon nous pouvons en venir à nous questionner sur la frontière entre les notions d’« architecture d’urgence » et tout simplement celle d’ « architecture », à partir de quel moment, de quel stade, de quels résultats passons-nous d’une architecture dite d’urgence à une phase de reconstruction post-catastrophe ?

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La place de l’architecte dans le processus de reconstruction Face à l’existence de nombreuses organisations d’intervention post-catastrophe il devient important de se questionner sur la place que peuvent prendre les architectes urbanistes au sein de ce système ? Existe-t-il seulement une place pour nous dans ces situations extrêmes ? Être architecte de l’urgence, selon Olivier Moles, chargé de programme à CRAterre, c’est avant tout répondre à des besoins immédiats, aider les gens sans pour autant détruire ce qu’ils sont capables de bâtir de leurs propres mains : « Nous ne sommes pas là pour construire des maisons, mais pour aider des familles à se reloger.12 ». L’association CRAterre créée en 1979, aujourd’hui mondialement reconnue pour sa réponse dans le contexte de l’urgence post-catastrophe, tente au mieux de concilier urgence et architecture. Basée sur les trois programmes suivants : l’habitat, le patrimoine et la recherche, les missions au sein de l’association sont très variées : études de faisabilité, évaluation de projet, gestion de projet, rédaction de document de projet, élaboration de budget, sensibilisation, rapports, formation et éducation etc. En plus de porter les casquettes d’architecte, de coordinateur et de médiateur, l’intervenant doit être capable de faire preuve de sensiblité face à des problématiques tant sociologiques que anthropologiques. Car en effet, l’intervention d’une association à l’étranger, quelle qu’elle soit, nécessite à l’arrivée un certain temps d’adaptation pendant lequel il est nécessaire d’essayer de comprendre pour, par la suite, mieux s’adapter à la culture locale et au contexte culturel. Afin d’apprendre, de comprendre et de se familiariser avec cette culture nouvelle il est indispensable de se rendre sur place afin de pouvoir 12 Moles (Olivier), entretien téléphonique du 06.12.18. 35


procéder à un travail de « lecture de mode de vie des gens. 13 ». À l’occasion de la table ronde portant sur la dignité, l’abri d’urgence et le mal-logement, organisée à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg dans le cadre du workshop « L’abri d’urgence, une architecture minimum ? »14, O. Moles soutient que : « Souvent les architectes, lors d’intervention dites d’urgence, en pensant apporter une solution n’apportent finalement qu’un problème15 ». En effet, il apparait que beaucoup « d’architectes de l’urgence » s’imaginent apporter la solution adéquate, trop d’entre eux pensent pouvoir appliquer des méthodes constructives familières dans une situation d’urgence pourtant inconnue. La réponse universelle n’existe cependant pas, si certaines méthodes se révèlent efficaces dans un contexte donné, rien ne garantit que ces dernières soient transposables à une autre culture, une autre géographie et un autre environnement. O. Moles appelle donc à prendre du recul, à théoriser et à développer des outils, et des méthodes. Il s’agit de mettre en place un processus, un accompagnement des sinistrés, et de porter, dans la mesure du possible, le regard de l’habitant. Mireille Gaüzère, administratrice nationale engagée à la CroixRouge française depuis 2007, et invitée lors de la table ronde à l’ENSAS le 31 mai 2018, soutient les propos de O. Moles en précisant que en tant qu’architecte, pour bien construire il faut savoir se positionner au niveau du social avant celui du bâti. 13 Coulombel. Op. cit., p. 139. 14 Workshop « L’abri d’urgence, une architecture minimum ? », Sous la direction de Xavier Génot, architecte spécialisé dans la réponse aux désastres naturels, d’Anne-Sophie Kehr et de Bruno De Micheli, architectes et enseignants de l’ENSAS, ENSAS, 31.05.18. . 15 Moles (Olivier), Table-ronde : dignité, abris d’urgence et mal-logement, ENSAS, 31.05.18. 36


Le rôle de l’architecte lors d’une intervention post-catastrophe, n’est pas d’apporter un savoir mais d’aider les populations locales à organiser leur savoir. Selon Xavier Génot il s’agit de toujours se questionner sur notre « plus-value » en tant qu’architecte : Quelle « plusvalue » pourrions-nous apporter ? Si d’après O. Moles « L’indispensable c’est d’être plusieurs16 », c’est-à-dire réfléchir en communion avec les personnes concernées, selon X. Génot le plus important est de « Respecter l’habitant dans sa capacité d’être acteur dans son logement.17 » Le rôle de l’architecte en tant qu’intervenant est donc d’abord de digérer les études sur le terrain pour pouvoir dans un second temps accompagner, soutenir, compléter les efforts, les enseigner et les répandre au plus grand nombre de personnes, écouter les gens, sans imaginer détenir les réponses et valoriser les savoirs faire propres au terrain afin de pouvoir les développer et promouvoir des modèles pertinents toujours en relation avec les contextes locaux. En d’autres termes, il s’agit d’intervenir avec des méthodes, de l’envie, une posture et non des solutions. De la même manière, l’intervention dans un contexte étranger ne peut fonctionner qu’avec la participation des professionnels déjà présents sur place. Dans cette optique l’association « Architectes de l’urgence » ne renonce en aucun cas à honorer ses valeurs et continue de travailler avec des professionnels locaux : « Nous trouvons des professionnels de formation plus ou moins bonne, d’un niveau de compétence très disparate, mais nous avons pour habitude de prendre les ingénieurs et architectes locaux avec leur compétences – quelles qu’elles soient – et de les former au 16 Ibidem. 17 Génot (Xavier), Table-ronde, dignité, abris d’urgence et mal-logement, ENSAS, 31.05.18. 37


mieux pour qu’ils deviennent opérationnels ensuite.18 ». De cette manière l’association tente de faire comprendre qu’il n’est en aucun cas question de concurrencer leurs collègues locaux. Aujourd’hui, le rôle de l’architecte en phase d’urgence reste très controversé, si ce dernier vient en tant que professionnel il doit avant tout savoir faire preuve d’humilité et mettre de côté son étiquette qui le place trop souvent sur un piédestal. De concepteur à bâtisseur en France, dans le contexte d’intervention post-catastrophe il se transforme en médiateur au sein du processus de transmission des savoirs : « People working in disaster contexts are not heroes; they are doing a job just like thousands of others around the world in public service. If « humanitarian » is interpreted as active compassion then isn’t that a principle or objective for most architectural and planning practices, whereby we try to address a range of human needs: physical, social and emotional?19 » Maggie Stephenson

18 Coulombel, Op. cit., p. 164. 19 « Les personnes travaillant dans le contexte de catastrophes naturelles ne sont pas des héros. Ils travaillent simplement dans le service public comme des centaines de personnes à travers le monde. Si « l’humanitaire » est interprété comme de la compassion active n’est-il pas le principe même ou l’objectif pour l’ensemble des pratiques architecturales, selon lequel nous tentons de répondre aux besoins fondamentaux des personnes ? », Charlesworth (Esther), Humanitarian architecture, 15 stories of architects working after disaster, Abingdon, Routledge, 2014, p. 189. 38


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DES ARCHITECTURES POUR DES CULTURES Qu’il soit question d’architecture d’urgence ou bien d’architecture au sens plus large, Marwa Al-Sabaouni architecte syrienne, insiste sur le fait que « Les architectes doivent créer une identité en adéquation avec le lieu où ils construisent […]. Il n’existe pas de recette miracle pour créer une identité. Celle-ci n’est pas un objectif isolé du projet, mais découle d’une volonté de sens, d’utilité et de beauté, en accord avec l’esprit du lieu.20» Lors d’une intervention à l’étranger, le plus difficile semblet-il, est d’admettre que ce que nous avions qualifié jusqu’à présent comme étant « normal » n’est en réalité autre que culturel. Si une culture constructive peut se révéler efficace dans un environnement, elle peut, dans un environnement distinct, être totalement inefficace. Il s’agit donc de porter une dimension locale à l’intervention d’urgence, s’il faut en général agir rapidement, la systématisation des interventions peut se révéler très dangereuse.

20 Al-Sabouni (Marwa), Dans les ruines de Homs, Journal d’une architecte syrienne, Parenthèses, 2018. 40


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Fig 5.


Architectures situées En tant qu’architecte de l’urgence il est nécessaire de savoir accepter que les individus d’une culture étrangère n’aient pas toujours la même vision de l’habitat que nous lui portons généralement : « Il faut aussi s’adapter aux caractéristiques géographiques : la situation n’est pas la même au Népal, territoire immense, en Afghanistan, terre montagneuse ou sur une île comme Madagascar.21 » Au Vanuatu par exemple, zone a grands risques cycloniques, les populations locales désormais habituées à ce type de catastrophe, et après maintes tentatives de résistance face aux cyclones, optent aujourd’hui pour une approche plus rationnelle : le vent étant trop fort, rien ne sert de dépenser trop d’argent dans la construction d’une maison, il s’agit plutôt de construire une maison « jetable » et facilement remplaçable. Les maisons ont donc désormais des durées de vie limitées, 5 ans environ, le temps qui s’écoule en moyenne entre deux cyclones : « Si le vent a pris ma maison et que je suis vivant, en 2 semaines je reconstruis une nouvelle maison et je poursuis ma vie.22 » Au Bangladesh, dans le delta du Gange, certaines populations se voient dans l’obligation de se déplacer tous les 5 ans afin d’éviter les inondations lors des grandes crues de la rivière qui entrainent la destruction des berges. De manière à répondre au mieux au besoin de mobilité et à la situation souvent très 21 Architectes de l’urgence. Les toits du monde © Le Télégramme, disponible en ligne : <https://www.letelegramme.fr/france/ architectes-de-l-urgence-les-toits-du-monde-21-10-2018-12111520. php#xTC3vCfbldDOzMYG.99>. Publié le 19 octobre 2018 à 16h25, Màj le 21 octobre 2018 à 06h00, [consulté le 23 octobre 2018]. 22 Témoignage d’un Ni-Vanuatu, rapporté par Xavier GENOT lors de l’entretien du 07.12.18 à Strasbourg. 42


précaires des habitants, ces derniers construisent leur habitat en partant du principe que celui-ci doit être facilement démontable et transportable, de manière à pouvoir déménager tout en emportant leur logement lorsque les conditions climatiques les poussent à fuir. Si en général se protéger des intempéries est synonyme de reconstruire de manière plus solide, dans le cas de ces populations, la reconstruction en dur généralement pratiquée dans les zones informelles, engendrerait une problématique supplémentaire et empêcherait les populations de suivre le modèle qu’elles ont développé. De la même manière, au Bangladesh, il est courant qu’au sein d’un même village coexistent deux typologies distinctes d’habitats : une typologie d’habitat pour les musulmans et une autre pour les animistes, deux religions possédant des modes d’habiter diamétralement différents. Dans l’hypothèse d’une intervention de la part d’organisations internationales étrangères à cette culture, l’omission de la considération de cette pluridisciplinarité des modèles tendant alors à favoriser un grouoe social plutôt qu’une autre à travers l’élaboration d’un modèle unique d’habitat, pourrait être à l’origine de tensions sociales, voire de conflits au sein de la population.23 Ces quelques exemples permettent de mieux comprendre pourquoi construire pour les gens, autrement dit, à la place des gens, ne se révèle généralement pas être la bonne solution à apporter.

23 Données récoltées lors de l’entretien avec Xavier GENOT le 07.12.18 à Strasbourg. 43


Il s’agit plutôt d’accompagner les populations locales dans leurs décisions, dans leurs choix et dans leurs idées de manière à ce qu’elles puissent mettre en œuvre leur volonté de la meilleure manière qu’il soit et obtenir ce dont ils ont réellement besoin au regard d’un contexte et d’une culture spécifiques. Le but ultime étant de « Promouvoir une approche qui met en priorité les connaissances qui nous sont transmises par les traditions locales.24 »

24 Joffroy (Thierry) (dir.) et aI, (Re)construire en Haïti: du séisme de 2010 à l’ouragan Irma en 2017, Villefontaine : CRAterre, 2018, p. 16. 44


Standardisation des modes de construction dans le monde Nous l’avons donc bien compris, le plus grand danger dans l’intervention au sein d’une culture étrangère reste le phénomène de « copier-coller » que la mondialisation tend aujourd’hui à généraliser. L’un des exemples pouvant illustrer ces propos serait celui de la tentative d’importation d’un prototype en forme d’igloo au Sri-Lanka. Selon des études menées en laboratoire, l’igloo se présente comme le prototype le plus performant face aux tsunamis et aux cyclones, en effet, la forme du dôme est celle qui permet au mieux de résister aux forces externes que viennent exercer à la fois un tsunami et un cyclone. Cependant malgré la mise en avant de ces prouesses techniques, la population Cingalaise a toutefois réfuté en bloc l’idée d’introduire ce type de construction, jugé inadapté dans ce contexte. Si cette typologie pourrait parfaitement se transposer dans certaines cultures nordiques, la copier dans un pays tel que le Sri Lanka où les traditions et les modes d’habiter sont totalement différents, s’apparente être une erreur de mode de lecture du mode d’habiter de la population Cingalaise25. Selon Patrick Coulombel « cette mauvaise appréhension des besoins réels – et aussi le fait de vouloir imposer aux sinistrés un standard d’habitat même temporaire – constitue […] une erreur du point de vue humain26. ». Aujourd’hui nous comprenons que « l’hégémonie d’un modèle international basé sur un nombre réduit de solutions constructives ”codifiées“, mais inaccessibles au plus grand nombre, pose problème. Cela conduit à la production d’habitats inadaptés et à l’instauration d’une plus grande 25 Données récoltées lors de l’entretien avec Xavier GENOT le 07.12.18 à Strasbourg. 26 Coulombel. Op. cit., p. 170. 45


dépendance des populations à l’égard de règles qu’elles ne peuvent respecter.27 » Ajouté à cela, de par la mondialisation et la sollicitation constante de références architecturales à travers internet, il est de plus en plus fréquent que certaines populations changent leur mode de construction afin de s’inspirer autant que possible des modèles modernes étrangers. De la même manière, les migrations urbaines tendent, elles aussi, à moderniser les constructions : « Un peu partout dans le monde, et même si cela peut paraître paradoxal, l’adoption de façon trop aveugle de normes ou modèles « exogènes », en particulier dans le domaine de l’habitat, est un facteur aggravant. Cela l’est doublement car il tend à faire renier par les populations locales, leurs cultures constructives, pourtant résultats d’un long processus endogène, souvent très savant, d’adaptation aux conditions locales, d’expérimentations insitu, de pratiques et de modes d’organisations ancrés dans les réalités locales, y compris des stratégies ou de dispositions constructives d’adaptation aux aléas naturels.28 » La tendance actuelle à l’image de la maison « riche », serait donc celle du béton, entrainant petit à petit la perte d’un savoir riche ancestral au profit d’un savoir moderne caricatural : « le quantitatif est privilégié au qualitatif avec des choix de solutions universelles et prêtes à l’emploi qui, certes, répondent aux besoins à très court terme mais sont moins pertinentes, voire contre-productives, à moyen et long terme.29 »

27 Joffroy et aI. Op. cit., p. 65. 28 Joffroy et aI. Ibid., p. 65. 29 Travaux de séminaires scientifiques « DSA - Terre Cultures constructives locales et amélioration de l’Habitat », Manifeste : Valoriser les cultures constructives locales pour une meilleure réponse des programmes d’habitat, GAIA, 21 et 22 mai 2010. , p. 18. 46


Ces actions ne restent en effet pas sans conséquence. Si les zones touchées par ce genre de problèmes sont régulièrement sujettes à des catastrophes naturelles, on constate souvent, suite à une nouvelle catastrophe que l’impact a été d’autant plus fort sur les constructions ayant effectué la transition au mode d’habiter moderne. Généralement, les constructions plus ancestrales, réalisées selon les modes de construction plus locaux et donc plus adaptés à leur environnement résistent bien mieux. Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’une modernité encore trop fragile, si les nouveaux matériaux sont déjà présents aux quatre coins du monde, tout le monde ne dispose pas du savoir technique nécessaire à la bonne mise en place de ces nouveaux modes de construction, il s’agit désormais de distribuer les outils et les savoirs afin de pouvoir les utiliser de la meilleure manière qu’il soit, de façon à ce que toutes les populations puissent évoluer en symbiose avec leur environnement.

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Fig 6. Prototype de maion Igloo Ă Pottuvil au Sri-Lanka.


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Mise en valeur et transmission des savoirs locaux Il existe à travers le monde une grande diversité de cultures constructives, chaque environnement, chaque histoire, chaque climat crée ses propres conditions de vie et par voie de conséquence ses propres modes d’habiter. Nous parlons aujourd’hui de Cultures Constructives (CC), définies comme : « La dimension immatérielle d’un édifice ou plus largement d’un établissement humain édifié par l’homme en interaction avec son environnement pour s’y établir, travailler, se déplacer, se récréer, etc.30 » En d’autres termes c’est définir l’action de construire comme étant un acte culturel durant lequel les savoirs techniques . Ainsi, l’intervention d’architectes urbanistes dans un contexte post-catastrophe a pour but de promouvoir ces intelligences via un véritable travail consistant à documenter les savoirs locaux dans le but d’entretenir la diffusion d’informations de manière continue : « En valorisant les matériaux et savoir-faire locaux, le but était aussi de rendre fiers les paysans de ce qu’ils savent faire à partir de leurs ressources et de leurs savoirs, en réponse aussi à leur identité culturelle.31 » Malheureusement, sous l’influence de la mondialisation et face à des méthodes de construction plus récentes, ces savoirs locaux sont de moins en moins considérés et délaissés au profit de méthodes plus Occidentales. Les méthodes plus ancestrales étant généralement considérées comme désuètes, les locaux finissent eux-mêmes par développer une attitude de rejet par rapport à ce qu’ils ont pourtant toujours côtoyé. Car en effet, si certaines populations ne veulent plus perpétuer leurs savoirs c’est avant tout du aux regards étrangers et souvent dépréciés qui ont été portés dessus. 30 Joffroy et aI. Op. cit., p. 18. 31 Joffroy et aI. Ibid., p. 22. 50


Aujourd’hui l’enjeu principal est de trouver un moyen de raviver ces savoirs locaux et ancestraux. Il s’agit donc, en tant qu’intervenant, de rendre la fierté des savoirs aux populations locales, de valoriser les traditions, mais avant tout, d’adopter une attitude miroir, autrement dit, aussi savoir valoriser les aspects positifs du sujet dont on parle, permet aux populations locales de reconsidérer la réelle valeur de leurs savoirs. Après le passage du cyclone Winston en février 2016 aux îles FIDJI, le bilan recensait plus de 32 000 maisons endommagées ou détruites. Les organisations alors présentes sur place ont opté pour la distribution fonds sous forme de « bons d’achat » à 28 000 des foyers affectés afin qu’ils puissent reconstruire de leur propre main, sans l’intervention directe d’un architecte, à l’aide d’un livret conseil crée par la Croix-Rouge. Ce livret, à l’aide de dessins sommaires, s’appuie sur des principes constructifs locaux améliorés de façon à ce qu’ils résistent mieux face aux catastrophes susceptibles de survenir, et ainsi permet d’accompagner les populations locales dans la phase de reconstruction de leur habitat 32. Au Vanuatu cette fois, la Croix-Rouge française a effectué un véritable travail de sensibilisation dans le but de raviver les savoirs et les pratiques locales. L’objectif principal étant de former le plus grand nombre de personne, l’association a commencé par former un groupe restreint de personnes qui à leur tour, ont pu elles-mêmes dispenser leurs savoirs à un plus grand nombre de personnes qui ainsi de suite ont pu transmettre ces savoirs à la population de manière plus globale. Un travail de sensibilisation à plus grande échelle a également été réalisé par l’intermédiaire de la radio : le programme « Showradio » mis en place permet aujourd’hui de répondre aux questions des locaux et de dialoguer avec les 32 Données récoltées lors de l’entretien avec Xavier GENOT le 07.12.18 à Strasbourg. 51


communautés de manière publique33. De la même manière, lors de certaines interventions l’association « Architectes de l’urgence » met en place, dans la mesure du possible, des partenariats avec des étudiants locaux, de durées variables permettent en général à un petit nombre d’étudiants de participer aux missions en cours. L’association CRAterre, très impliquée dans la formation des populations locales, a elle aussi su mettre en place de réels moyens concernant la formation des acteurs locaux en Haïti suite au séisme de 2010 : « Les projets sont l’occasion de former les professionnels locaux à différents niveaux de compétences, en alternant sessions théoriques et pratiques.34 » Car en effet, les formations ne portent pas uniquement sur l’architecture à proprement parler. Il est également question de former les services de l’État et du corps enseignant à gérer les crises de manière plus globale : ou sauvegarder la nourriture ? Ou loger les sinistrés ? Comment régler les problèmes d’hygiènes ? Etc.

33 Ibidem. 34 Joffroy et aI. Op. cit., p. 16. 52


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DU PROVISOIRE AU DURABLE Le vocabulaire propre au domaine d’intervention d’urgence se compose d’une multitude de termes et de dénominations tentant de définir ces réalités qu’on ne préférerait même pas imaginer. Lors d’une intervention d’urgence il est avant tout important de garder à l’esprit la différence notable entre ce que l’on nomme « habitat transitoire » et « habitat d’urgence », le second terme étant le seul à intégrer la notion de durable, et ce, malgré une réalisation rapide. Il s’agit autrement dit de construire rapidement tout en intégrant la notion de risque à laquelle la zone est confrontée. Intervenir en tant qu’architecte urbaniste dans la phase postcrise signifie intégrer une réflexion sur le court, moyen et long terme, mais aussi appréhender la notion des risques, anticiper quelle va être la prochaine étape de relèvement et surtout savoir être souple et réactif aux besoins et à l’évolution des sinistrés.

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Fig 7.


Les risques du temporaire Lors de la table ronde portant sur la dignité, les abris d’urgence et le mal-logement, organisée à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg en mai 2018 dans le cadre du workshop « L’abri d’urgence, une architecture minimum ? », Mireille Gaüzère invite à réfléchir à la question suivante : Est-il possible qu’un habitat temporaire soit acceptable ? Quelles sont les limites des modules d’habitats provisoires mis en place dans la phase d’urgence ? La réponse semble être unanime, il est important de sortir de l’urgence, on ne peut pas, dans la durée, se satisfaire d’un habitat temporaire. En tant qu’architecte, urbaniste ou citoyen, le devoir collectif est d’offrir un parcours d’accès à toute personne vers le logement durable de la manière la plus rapide possible. Comme le souligne Bernard Salignon dans son ouvrage « Habiter c’est bien plus que s’abriter35 ». Cependant s’il existe un grand nombre de propositions architecturales en réponse à l’urgence du relogement après une crise et que les tentes sont de plus en plus rapidement remplacées par des modules, ces derniers ne sont pas forcément des logements qualifiés de durables. « “Tant que t’as un toit au-dessus de la tête” Qu’il s’agisse d’une discussion entre étudiants, travailleurs pauvres ou sansdomicile fixe, cette expression, à valeur presque incantatoire, rappelle que l’abri, dont le toit est le symbole, est un élément de survie premier.36» 35 Salignon (Bernard), Qu’est ce qu’habiter ?, Paris, Le seuil, 2013. 36 Collectif Acte Sud / Cité de l’architecture & du patrimoine, Habiter le campement, 2016, p. 10. 56


Le logement représente en effet l’élément le plus important, le plus vital à la survie d’une population. Il est question cependant de ne pas oublier et de comprendre la différence fondamentale entre un « abri », synonyme de logement transitoire dans lequel on survit, et un « logement durable » dans lequel on vit : « Habiter, c’est investir un lieu, le charger de projets, de subjectivité. L’habitat crée des habitudes. […] Habiter c’est se sentir chez soi.37 »,

37 Collectif Acte Sud / Cité de l’architecture & du patrimoine, Ibid., p. 7. 57


Vers une pérennité des interventions L’intervention post-catastrophe, comme nous l’avons compris, ne se limite pas à réparer les dommages causés mais se poursuit bien plus loin dans le temps. En effet, des réflexions sur le long terme se posent également afin de prévenir des risques majeurs comme ceux récemment subis par les sinistrés. Intervient donc ici la « notion des risques », qui représente un point important aux yeux des organismes de financements. Si une autre catastrophe arrivait, les locaux seraient-ils capables d’assurer une nouvelle situation d’urgence sans aide extérieure ? Car si les sinistrés n’ont pas la capacité, à leur tour, de répandre les savoirs acquis lors de la reconstruction au reste de la population, les dégâts seront les mêmes lors de la prochaine catastrophe : « L’idée de base est de maximiser les bénéfices pour les populations, non seulement directement, mais aussi indirectement dans la perspective d’atteindre un meilleur niveau de résilience.38 » Il s’agit d’être capable de garantir la pérennité des constructions effectuées, et ce même face à une catastrophe d’ampleur équivalente, de façon à promettre un avenir plus stable aux populations touchées. Si l’objectif initial est de réduire l’impact des risques naturels sur les constructions, il s’agit de garder à l’esprit que l’idée de réaliser des bâtiments résistants à tout type de catastrophe naturelle reste une utopie. Le but de l’association « Architectes de l’urgence » n’est donc pas de chercher la prouesse technologique, coûteuse et rare, qui finalement n’aidera qu’un habitat sur 100 touchés, mais d’intervenir à plus grande échelle afin de d’impacter un plus grand nombre de personnes :

38 Joffroy et aI. Op. cit., p. 14. 58


« Notre organisation doit pouvoir répondre à ces attentes : performants dans la gestion de l’urgence, nous sommes tout aussi capables de répondre intelligemment en apportant de réelles solutions dans le cas d’un développement durable et cela en utilisant les matériaux locaux ainsi que le savoir-faire incontestable des populations, malgré le décalage culturel que l’on peut rencontrer.39 » Comme l’explique ici Patrick Coulombel, il s’agit de penser une approche que les locaux seront capables, par la suite, d’imiter sans la moindre aide ni financière ni technique extérieure. Si l’aide directe apportée ne touche en général en moyenne que 20% des sinistrés (les plus vulnérables), les 80% des sinistrés qui ne bénéficient pas de cette aide directe doivent être en mesure de pouvoir s’imprégner des méthodes dispensées aux autres. Les solutions proposées doivent donc être appropriables au reste de la population pour qu’elle puisse améliorer elle-même son habitat. Si l’on transposait cet objectif dans nos modes de vie en France cela reviendrait à ne pas seulement réfléchir à « nos clients » mais aussi aux voisins, afin qu’eux aussi puissent comprendre et imiter le processus mis en place : « Il s’agit par ailleurs de proposer des solutions para sinistre qui soient à la portée du plus grand nombre, accessibles économiquement et donc facilement reproductibles. […] La conception des modèles de base proposés permet de construire, ou de réparer, un cœur de maison évolutif qui peut ensuite être agrandi selon les besoins et avec les moyens de la famille.40 »

39 Coulombel, Op. cit., p. 142. 40 Joffroy et aI. Op. cit., p. 23. 59


Si l’intervention en situation d’urgence diffère d’un environnement à l’autre, elle doit cependant toujours intégrer la notion de durabilité et de pérennité des actions mises en place afin de permettre au pays touché d’acquérir les outils nécessaires à son relèvement et à sa protection face aux risques à venir. « Quand un homme à faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poi(s)son.41 » Dans certaines situations cependant la diversité et la récurrence des aléas susceptibles de survenir tendent à complexifier les interventions. Haïti malheureusement se présente comme l’un des pays les plus touchés par le phénomène de crises humanitaires, la succession de catastrophes naturelles et de crises qui touchent cette zone engendrent des effets dévastateurs sur son développement et remettent sans cesse en cause la pérennité des interventions réalisées ces dernières années.

41 Citation du philosophe chinois Confucius. 60


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II

- HAÏTI EN URGENCE PERMANENTE

Entre cyclones tropicaux, crues, inondations et séismes, Haïti ne cesse de crouler sous les catastrophes naturelles provoquant sur cette portion d’île d’importants bouleversements à l’origine de nombreux dégâts humains et matériels. Si les catastrophes naturelles sont provoquées par des phénomènes météorologiques ou sismiques que l’homme ne peut maîtriser, le bilan post-catastrophe dépend cependant essentiellement du facteur humain. En effet, le niveau de déforestation très avancé du territoire haïtien, notamment dans l’intérieur des terres, favorise d’autant plus les inondations et les glissements de terrains particulièrement dévastateurs. Toujours en phase de reconstruction aujourd’hui, la capitale de Port-au-Prince a cependant vu, depuis 2010, se construire plus de cinq à six mille logements ainsi que des dizaines de maisons communautaires permettant de maintenir une vie sociale au sein de la ville.

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Fig 8. Déstructions dans la capitale de Port-au-Prince en Haïti après le séisme de janvier 2010.


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UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE Située dans les grandes Antilles, la République d’Haïti partage une partie de l’île Hispaniola avec sa voisine la République Dominicaine. Deuxième pays le plus peuplé des Caraïbes, Haïti compte aujourd’hui près de 12 millions d’habitants dont environ 3,8 millions dans l’aire urbaine de sa capitale Port-auPrince. Issue d’une révolte d’esclaves, la République d’Haïti nait en 1804 et se présente comme la première République noire indépendante du monde. Malheureusement, de par sa situation géographique, le pays semble être plongé dans le chaos depuis de nombreuses années : si les catastrophes naturelles en Haïti s’enchaînent et se répètent sans jamais ne laisser de temps au répit, le contexte général de celui-ci ne fait qu’aggraver les conséquences de ces catastrophes à répétition. Aujourd’hui encore, Haïti tente de s’organiser et de se reconstruire suite aux aléas qui ont touché le pays et notamment sa capitale Port-au-Prince.

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Fig 9.


Une série de catastrophes sans fin 16 heures 52 minutes, le 12 janvier 2010, un séisme d’une magnitude 7 sur l’échelle de Richter frappe la ville de Portau-Prince et les zones péri-urbaines de la capitale de Haïti. Le bilan est lourd, on dénombre plus de 220 000 morts et environ 300 000 blessés. Dix jours plus tard, le 20 janvier, encore sous le choc, Haïti subit une réplique d’une magnitude de 6,1. Très vite les médias relaient l’information et qualifient cet évènement comme étant l’une des plus grandes catastrophes humanitaires connues jusqu’à présent. Au lendemain du tremblement de terre, près de 1,5 millions de personnes ont perdu leur logement et plus de 600 000 d’entre elles ont dû quitter la capitale afin de pouvoir trouver un espace où construire un abri temporaire où vivre, voir survivre pour certains d’entre eux. Les années qui suivirent cette catastrophe majeure, Haïti ne fut pas épargnée par les aléas météorologiques. Deux ans après le séisme à peine, en 2012, Haïti a été victime de deux nouvelles catastrophes naturelles importantes : la tempête tropicale Isaac et l’ouragan Sandy qui ont provoqué quant à eux d’importants dégâts dans la zone sud, sud-est et ouest du pays. Quatre ans après ces deux évènements, en 2016, un nouvel ouragan, Matthew, ravage le sud et l’ouest du pays faisant un bilan désastreux de plus de 2 millions de sinistrés. Un an plus tard, en 2017, c’est l’ouragan Irma cette fois qui vient frôler Haïti et causer d’importantes inondations dans le nord du pays. À cela s’ajoutent également les épisodes de grandes sécheresses causées par le phénomène océanique El niño42. 42 El Niño, et son pendant La Niña sont des phénomènes océaniques 68


Selon les médias et les statistiques établies, Haïti semble être le pays au monde ayant enregistré le plus de décès liés aux catastrophes naturelles ces vingt dernières années, avec pour conséquences directes l’apparition de crises alimentaires et diverses épidémies : « En dix ans ces désastres naturels ont fait plus de 800 000 morts et au moins autant de blessés. Des millions de personnes ont perdu des êtres chers, leur maison, souvent leur travail. Elles ont été déplacées dans des habitats de fortune où, dans la majorité des cas, elles vont passer plusieurs années quand ce n’est pas le reste de leur vie.43 » Marjory Clermont Mathieu, Ronald Jean Jacques et Daniel Dérivois, membres de l’Association haïtienne de psychologie44 tentent ensemble de redéfinir et de comprendre les conséquences du traumatisme vécu par les Haïtiens lors du séisme de 2010 : « Pour ce qui est d’Haïti, les situations adverses sont diverses et peuvent éventuellement être antérieures au tremblement de terre. La population haïtienne ayant connu ces vingt dernières années des situations de catastrophe naturelle presque annuelles ainsi que de tensions politiques, sociales et économiques, il semble important de situer le traumatisme du 12 janvier 2010 dans le cadre d’un polytraumatisme.45 » à grande échelle du Pacifique équatorial, affectant le régime des vents, la température de la mer et les précipitations. Définition tirée du site : <http://www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/comprendre-leclimat-mondial/el-ninola-nina>. 43 Rainhorn (Jean-Daniel), « Introduction. Quand les catastrophes naturelles changent le destin des peuples ». In : Rainhorn (Jean-Daniel) (dir.), Haïti, réinventer l’avenir, Coédition de Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, Portau-Prince, 2012, p. 16. 44 Organisation apolitique, non partisane et non confessionnelle, composée de psychologues spécialisés dans différents champs de la psychologie. Site web : <https://ahpsy.org.ht>. 45 Mathieu (Marjory Clermont), Jean Jacques (Ronald) et Dérivois (Daniel), « Résilience et processus créateurs dynamiques : pour une reconstruction des jeunes ». In : Rainhorn et aI. Op. cit., p. 231. 69


Nous l’avons bien compris, malgré sa plus grande médiation à travers le monde, le séisme de janvier 2010 ne se présente pas comme un évènement isolé : l’enchainement des catastrophes naturelles palliée à la forte instabilité politique qui touche le pays faisaient de Haïti un environnement fragile déjà bien avant la catastrophe majeure de 2010.

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Un contexte générateur de vulnérabilité dans un cadre non règlementé : le 12 janvier 2010 une catastrophe prévisible ? Jean-Daniel Rainhorn, spécialiste de santé internationale et auteur de l’un des nombreux ouvrages traitants de la situation haïtienne consécutive au 12 janvier 2010, pose les questions suivantes : « Pouvait-on éviter la catastrophe du 12 janvier 2010 ou au moins en réduire les conséquences ? Comment peut-on expliquer une telle tragédie ? Est-ce essentiellement à cause de la fragilité des constructions qui, à l’exception d’une minorité d’entre elles, ne respectaient pas les règles antisismiques ? 46 ». Selon lui « […] la probabilité d’une catastrophe est la rencontre entre un phénomène extrême – un aléa – et le niveau de vulnérabilité d’une communauté.47 ». En d’autres termes, l’intensité du séisme, la force du cyclone et la durée d’un épisode de sécheresse ne sont pas les seuls éléments à influer sur le bilan qui suit une catastrophe. Nathalie Barrette et Laura Daleau, spécialistes dans le domaine de la climatologie, comparent Haïti à son île voisine Cuba quant aux dégâts et au nombre de victimes reportées après une catastrophe naturelle : « Cuba est un pays souvent cité en exemple pour le haut niveau d’intégration de ce phénomène naturel à la vie et à l’organisation de la société. […] La grande différence entre Cuba et Haïti, c’est la vulnérabilité. Haïti est caractérisée par une très grande vulnérabilité environnementale, économique et sociale.48 »

46 Rainhorn (Jean-Daniel), « Chapitre premier. Chronique d’une catastrophe annoncée ». In : Rainhorn et aI. Ibid., p. 33. 47 Rainhorn. Ibid., p. 34. 48 Barrette (Nathalie) et Daleau (Laura), « Haïti, également terre de cyclones ». In : Rainhorn et aI. Ibid., p. 60. 71


En effet, victime des mêmes évènements cycloniques qu’en Haïti, l’île de Cuba, pourtant située à tout juste 600 kilomètres de Haïti, n’a recensé aucune victime et que très peu de dommages matériels. De la même manière, JeanJacques Wagner, grand spécialiste suisse en évaluation et gestion des risques géologiques, ainsi que membre de la commission extraparlementaire suisse sur les dangers naturels (PLANAT49), compare quant à lui le cas de Haïti à celui du Chili où surviennent régulièrement des séismes de forte magnitude : « Quelques semaines plus tard, un tremblement de terre d’une magnitude moment de 8,8, soit cinq cents fois plus énergétique que celui d’Haïti secoua le Chili. Les dégâts furent importants, mais le nombre de victimes fut relativement bas grâce à l’application des mesures parasismiques.50 » Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, certains spécialistes attestent que les conséquences désastreuses du séisme de 2010 auraient été prévisibles à la veille du séisme. Pierre Salignon, chef de projets division Santé et protection sociale à l’agence française de développement, nous fait part de sa vision quant au « désastre » humanitaire induit par la situation du pays : « Si le tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti a été dévastateur et meurtrier, le désastre humanitaire et sanitaire qui a suivi était prévisible. La pauvreté généralisée et l’impréparation générale ont grandement favorisé ses effets : surpopulation d’une capitale bidonville, faible qualité des constructions, système de santé démuni, inégalités sociales et précarité, corruption, État défaillant… ».

49 Plate-forme nationale « dangers naturels » fondée en suisse en 1997 par le conseil fédéral. Site web : <http://www.planat.ch/fr/home/>. 50 Wagner (Jean-Jacques), « Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 : un désastre prévisible ? ». In : Rainhorn et aI. Ibid., p. 74. 72


En d’autres termes, si la zone géographique qu’occupe Haïti souffre de manière récurrente de catastrophes naturelles relativement violentes, les conditions économiques et sociales du pays sont également des facteurs aggravants et participent grandement à la vulnérabilité de la population face à ces crises. En effet, Haïti, avant même le séisme de 2010, avait été classée, d’après diverses études, comme étant l’un des pays les plus pauvres au monde. L’ingénieur géologue haïtien Prépetit Claude, moins de quatre semaines avant le séisme du 12 janvier 2010 avait pourtant tiré le signal d’alarme dans l’une des interviews qu’il avait donné dans le quotidien haïtien Le Nouvelliste : « […] le jour où les contraintes vont se relâcher avec fracas, les conséquences seront catastrophiques pour la région métropolitaine, compte tenu de sa morphologie, de sa densité actuelle, de la population, du type d’habitat adopté, de la mauvaise occupation de l’espace et de l’impréparation de la population et des entités d’intervention en cas de désastres. Vivons-nous sur une poudrière ? 51 ». Le message était clair, pourtant, les autorités n’ont pas su réagir à ces appels.

51 Prépetit (Claude), « Vivons-nous sur une poudrière ? » in Le Nouvelliste [en ligne]. Décembre 2009. Disponible en ligne : <https://lenouvelliste. com/lenouvelliste/article/76637/Vivons-nous-sur-une-poudriere>. 73


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Fig 10. Quartier de Piéton-ville à Port-au-Prince en Haïti.


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Port-au-Prince, capitale de Haïti ou cauchemar urbanistique ? La situation socio-économique de Port-au-Prince, capitale qui compte aujourd’hui plus de 2,5 millions d’habitants au sein de son aire urbaine, soit 25% de la population globale de Haïti, souvent décrite comme « ville de carton », « cauchemar urbain » ou « monstre insatiable »52 selon les médias, de par sa vulnérabilité, a fortement contribué à la situation catastrophique au lendemain du séisme du 12 janvier 2010. Max Chauvet, directeur du journal Le Nouvelliste en Haïti exprime son inquiétude quant à l’impuissance de sa ville, Portau-Prince, à faire face aux conséquences du désastre qu’elle vient de vivre : « Comment une ville qui s’essoufflait à faire vivre, à faire cohabiter ses deux ou trois millions d’habitants peut-elle se payer le luxe de continuer à les accueillir après une telle hécatombe ?53 ». Selon des études menées par ONU-Habitat54, la surface habitable par personne à Port-au-Prince avant le séisme de janvier 2010 était de 1,98 mètre carré. Selon ces études, 80% de la population de l’agglomération de Port-au-Prince se concentre sur une surface n’excédant pas 20% de la ville. Cette extrême densité, couplée au cruel déficit de services de base, a fait de ces quartiers les premières victimes lors des catastrophes naturelles survenues dans le pays. 52 Manuel (Patrice), « Port-au-Prince, un défi à l’urbanisme » in Le Nouvelliste [en ligne]. Novembre 2008. Disponible en ligne : <https:// lenouvelliste.com/article/50972/port-au-prince-un-defi-a-lurbanisme>. 53 Chauvet (Max), « Témoignage. Où en est Haïti un an après le séisme ? ». In : Rainhorn et aI. Op. cit., p. 126. 54 ONU-Habitat est le programme des Nations Unies œuvrant à un meilleur avenir urbain. Sa mission est de promouvoir le développement durable des établissements humains sur le plan social et environnemental ainsi que l’accès à un logement décent pour tous. Site web : < https://fr.unhabitat. org>. 76


L’occupation des sols, dense et non contrôlée, dans la ville de Port-au-Prince, est aussi en partie responsable de la forte vulnérabilité de la ville face aux crises qu’elle doit traverser. En effet, de trop nombreuses constructions sont encore implantées dans des endroits très fortement exposés aux catastrophes naturelles. On emploie aujourd’hui régulièrement le terme « d’urbanisation sauvage » pour illustrer la tendance des constructions informelles qui ne suivent aucune règle d’urbanisme et qui font régner un véritable chaos au sein de la ville. François Grünewald, ingénieur agronome travaillant dans le secteur de la solidarité internationale, décrit la zone de Port-au-Prince et de ses municipalités comme un « étonnant patchwork55 » où viennent se côtoyer de riches zones urbaines et bidonvilles informels. Dans certains quartiers de la ville, plus aucun espace public n’est laissé libre, les habitants vont jusqu’à construire dans les ravines et sur des pentes extrêmement abruptes, là où les risques en cas de catastrophe naturelle deviennent inévitables. À cela vient encore s’ajouter la mauvaise qualité des constructions. La qualité des matériaux utilisés joue elle aussi un rôle important dans la résistance des constructions face aux risques naturels : « Les matériaux utilisés pour la construction ne sont en effet pas toujours de bonne qualité à l’image des fers utilisés (lisses et parfois apparents) et la disposition en encorbellement des habitations augmente également la vulnérabilité du bâti face aux séismes.56 ». 55 Grünewald (François), « L’aide humanitaire : quel bilan deux ans après le séisme ? ». In : Rainhorn et aI. Op. cit., p. 176. 56 ONU-Habitat Haïti : Planification communautaire pour l’aménagement post-séisme des quartiers précaires, Diagnostic Urbain et Projets d’Aménagement, Carrefour-Feuilles, Quartiers de Descayettes, Saieh, Sanatorium et Savane-Pistaches, Programme des Nations Unies pour les Établissements Humains en Haïti (ONU-Habitat), 2012, p. 21. 77


En effet, la mode du béton n’a pas épargné Haïti. Si cette méthode de construction importée ces dernières décennies permet une bonne résistance face aux risques cycloniques auxquels le pays est également régulièrement confronté, le paradoxe résulte dans le fait que ce matériau a tendance à augmenter la vulnérabilité des constructions face aux risques sismiques. Le célèbre écrivain haïtien Dany Lafferière, présent lors du séisme de janvier 2010, de par son observation postcatastrophe, nous confirme ces propos : « Une secousse de magnitude 7,3 n’est pas si terrible. On peut encore courir, c’est le béton qui a tué. Les gens ont fait une orgie de béton ces cinquante dernières années. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tôle, plus souples, ont résisté.57 » Entre forte densité et mauvaise qualité des constructions à Port-au-Prince, chaque catastrophe naturelle prend des proportions énormes et se transforme en catastrophe humanitaire, engendrant à son tour d’autres crises d’ordre politiques, sociales et sanitaires.

57 Laferrière (Dany), Tout bouge autour de moi, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2011, p. 14. 78


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Fig 11. Etat des lieux Ă Port-au-Prince au lendemain du sĂŠisme de janvier 2010.


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LA SCÈNE HAÏTIENNE AU LENDEMAIN DU SÉISME DU 12 JANVIER 2010 Pour tout Haïtien, le séisme du 12 janvier 2010 est devenu un repère dans le temps, une date clé ; aujourd’hui nous entendons parler « d’avant » et « d’après » 2010 : « Ce moment fatal qui a coupé le temps haïtien en deux.58 » Cette catastrophe propulse en quelque secondes Haïti dans l’une des crises humanitaires mondiales majeures. Depuis, ces huit dernières années, les organisations ne cessent d’œuvrer à la reconstruction du territoire et de la population : « Comme un électrochoc, le séisme est venu rappeler qu’Haïti était toujours en vie et que son avenir ne dépendait que de lui-même. Que le pays avait un futur et que celui-ci ne reposait que sur le regard que la société haïtienne portait sur elle-même.59 » Qu’en est-il aujourd’hui ? Qui sont les acteurs œuvrant à la reconstruction ? Comment appuyer la population dans la reconstruction et comment revaloriser les modes de constructions locaux ?

58 Laferrière. Op. cit., p. 22. 59 Rainhorn. Op. cit., p. 24. 82


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Fig 12.


État des lieux de la ville de Port-au-Prince au lendemain du 12 janvier 2010 « Ce jour-là, les entrailles de la terre se sont fendues pour engloutir hommes, femmes et enfants, leurs rêves et leurs ambitions aussi. D’un coup, en quelques secondes peut-être, minutes sûrement, le monde a vacillé sous les pieds de centaines de milliers de personnes et la désolation s’est invitée.60 » Les experts en sismologie déclarent cette catastrophe comme un séisme d’une ampleur de VIII sur l’échelle de Mercalli61 dans la capitale, allant jusqu’à X sur XII pour la zone la plus touchée à l’ouest de Port-au-Prince. 220 000 morts, 300 000 blessés, plus de 1,5 million de sinistrés, sans parler des conséquences psychologiques et morales qui touchent l’ensemble de la ville : « un événement qui a laissé les gens nus dans un espace brisé62 ». Les Haïtiens ont peur, peur de retourner vivre et dormir sous un toit dont on doute désormais de la résistance face aux aléas que vient de traverser le pays, les Port-au-Priciens passent de nombreuses nuits dehors, dans la rue et dans la cour, loin du béton. L’état des lieux est difficile à établir, peu d’informations, beaucoup d’incertitudes :

60 Belaski (Yahia), Haïti, en lettres et en images, Paris, Megallan & Cie, 2014, p. 9. 61 L’une des échelles d’intensité, destinée à mesurer l’importance des dégâts provoqués par un séisme. Inventée par le sismologue et volcanologue italien G. Mercalli [1850–1914], elle permet de caractériser la nature et l’importance des dégâts provoqués par un séisme. Elle comprend douze degrés, notés de I à XII, par ordre croissant des dégâts. Définition tirée du site : < https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ échelle_de_Mercalli/50564>. 62 Dorismond (Edelyn), « Exister dans les catastrophes : souffrance et identité ». In : Rainhorn et aI. Op. cit., p. 205. 84


« Les gens, comme les maisons, se situent dans ces trois catégories : ceux qui sont morts, ceux qui sont gravement blessés, et ceux qui sont profondément fissurés à l’intérieur et qui ne le savent pas encore. Ces derniers sont les plus inquiétants. Le corps va continuer un moment avant de tomber en morceaux un beau jour. Brutalement. Sans un cri.63 » Au lendemain du séisme, une seule station de radio locale, radio FM, est encore susceptible d’émettre, la seule à ne pas avoir été détruite, endosse la lourde responsabilité d’expliquer à la population l’inexplicable, comment réagir, comment ne pas céder à la panique. Les réseaux, eux aussi, avaient été coupés : plus d’internet, plus de signal réseaux, impossible de joindre sa famille, ses amis, ou tout simplement impossible de se tenir informer et d’informer. Les destructions ne se limitent pas aux petites constructions informelles des quartiers précaires, des édifices de plus grande échelle et plus solides sont également détruits ou fortement endommagés. Des édifices gouvernementaux comme le Palais National, le ministère des Finances, le Parlement, le Palais de Justice et beaucoup d’autres encore se sont également effondrés. Les universités, les écoles, les bureaux, aussi. L’aéroport quant à lui est resté in-opérationnel durant les quelques premiers jours après le séisme et les premiers secours extérieurs ont dû transiter par la République Dominicaine, voisine de Haïti. Grand nombre d’infrastructures de services ont aussi été très touchées et les hôpitaux peinent à subvenir aux besoins des habitants. Les espaces publics sont très rapidement investis : tentes, bâches plastiques, envahissent les rues, les places, les parcs, le moindre espace libre où le béton ne s’est pas effondré. Les odeurs prennent rapidement le dessus et deviennent insupportables. 63 Laferrière. Op. cit., p. 39. 85


Les Haïtiens tentent de s’organiser au mieux, l’assistance est avant tout locale, mais la Croix Rouge haïtienne peine à accueillir tous les blessés. Très vite la population doit faire face aux problèmes sanitaires induits par le séisme : Que faire des corps qui jonchent le bord des routes en ville ? Comment distribuer de l’eau potable afin d’éviter les épidémies ? Comment nourrir une ville entière qui n’a plus accès aux moyens usuels de cuisiner et ne peut se déplacer pour s’approvisionner en produits frais ? Comment éviter la propagation des infections si la plupart des blessés n’ont pas accès aux centres médicaux et sont généralement soignés à même la rue ? Se pose également le problème de la sécurité : Comment assurer la sécurité des habitants dans le chaos ? La ville est éventrée, les portes grandes ouvertes lorsqu’elles n’ont pas été détruites. Les habitants ne sont plus des habitants, ils vivent à même la rue où l’électricité se fait très rare et l’insécurité règne de plus en plus : « Face à ce cumul d’urgences, difficile de donner un ordre de priorité : la recherche des survivants sous les décombres, s’occuper des morts, ou aider les rescapés.64 » À l’occasion du colloque « Haïti : des lendemains qui tremblent » tenu à Genève en janvier 2011, soit un an après le séisme de 2010, grand nombre de spécialistes se réunissent autour d’une table pour échanger à propos de la situation de Port-au-Prince : « comment ne pas comprendre l’impatience de ces milliers d’Haïtiens encore sous les tentes ou tout juste relogés dans des abris temporaires en bois, qui suintent souvent dès qu’il pleut un peu fort ?65 » 64 Ledésert (Soline), « Face au désastre, la difficile mission des ONG en Haïti » in Rue 89 [en ligne]. Janvier 2010. Version archivée le 08.04.2010 disponible en ligne : <http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Feco.rue89. com%2F2010%2F01%2F15%2Fface-au-desastre-la-difficile-mission-desong-en-haiti-133849>. 65 Grünewald. Op. cit., p. 176. 86


Le constat semble alarmant, malgré l’arrivée massive de l’aide internationale, l’injection de fonds, l’intervention des ONG et la mise en place d’un plan de reconstruction, la situation s’enlise et ne parait pas avoir beaucoup évoluée en l’espace d’un an.

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Fig 13. Etat des lieux Ă Port-au-Prince au lendemain du sĂŠisme de janvier 2010.


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« L’après » 2010 à Port-au-Prince : qu’en est-il de la reconstruction ? Les neuf années écoulées et les nombreuses autres catastrophes essuyées depuis la crise humanitaire majeure de 2010 ont permis aux acteurs locaux de prendre du recul et de dresser un bilan quant au fonctionnement des projets, à la fois techniques et sociaux, mis en place au fil de ces dernières années. Lors de cette phase post-catastrophe les enjeux étaient multiples, il s’agissait de traiter ce qui touchait à la fois à la reconstruction, à la réhabilitation, à l’intégration sociale des projets, mais aussi au renforcement des capacités techniques et institutionnelles du pays. Lors de la phase dite « d’urgence » durant les quatre premiers mois suivant le séisme, les principaux objectifs étaient de rendre l’accès à l’eau à la population et d’offrir un abri à travers la distribution de kits d’urgence aux sinistrés. Puis, six mois après la catastrophe, Haïti passait à la phase dite de « post-urgence » ou de « T-shelter » durant laquelle l’objectif était de redévelopper le tissu économique à travers l’emploi des gens dans le but de leur offrir un travail. C’est à ce moment que naquit le prototype standard de logement pour cinq personnes d’une superficie de 18 mètres carrés. Ces « boîtes à dormir66 », au départ conçues pour une durée provisoire allant de trois à cinq ans maximum, sont encore visibles aujourd’hui et malheureusement utilisés dans la capitale. Un an après la catastrophe, le constat est le suivant : la ville ressemble à un immense camping où les tentes recouvrent une grande partie du territoire et les plans d’urbanisme sont toujours inexistants. 66 Grünewald. Ibid., p. 177. 90


Selon François Grünewald « Les agences dotées d’une réelle expérience urbaine, comme UN-Habitat, n’ont pas été assez mises en position d’orientation stratégique et les organisations internationales payent encore maintenant, même si des progrès ont été réalisés, le fait qu’elles n’aient pas su prendre immédiatement des « lunettes urbaines ».67 » Face à ces constats, la phase de « post-urgence » amorcée en 2011 changea brutalement son plan d’action et ainsi, les acteurs humanitaires, en collaboration avec la population locale, mirent en place de nouveaux objectifs basés sur trois grands axes : Aider les sinistrés qui souhaitent sortir du camp, créer des quartiers intégrés selon les besoins propres de ses habitants et autonomiser les camps pour les familles qui n’ont pas de solutions de relogement. Effectuer un bilan est toujours difficile, comment estimer si Port-au-Prince est en voie de guérison ou non ? F. Grünewald juge que « Deux ans après le séisme, les cicatrices physiques sur le paysage sont encore très prégnantes : la république de Port-au-Prince et les villes de la plaine des Palmes sont encore couvertes de camps de toile, de maisons écroulées, de gravats non déblayés.68 ». Depuis 2010 cependant, en neuf ans, c’est l’équivalent de cinq à six mille maisons qui ont pu être construites dans la ville, mais aussi, des dizaines de maisons communautaires qui permettent le maintien d’une cohésion sociale au sein de la ville et des quartiers. Ces premières phases post-catastrophe ont permis aux constructeurs de comprendre et de maîtriser les concepts mis en place et ainsi de mettre en œuvre les premiers projets en réponse aux besoins les plus urgents. 67 Ibidem. 68 Grünewald. Ibid., p. 176. 91


LES OUTILS DE LA RECONSTRUCTION Depuis le séisme de 2010 en Haïti, l’association CRAterre, en collaboration avec de nombreuses associations locales et internationales, tente d’accompagner les populations locales dans le processus de reconstruction afin de recouvrir au « droit fondamental : des conditions de logements dignes69 ». Pour le gouvernement haïtien, reconstruire Haïti après le séisme ne signifiait en aucun cas revenir à la situation du pays à la veille du séisme, l’objectif était avant tout d’évoluer, de comprendre et de résoudre les problèmes majeurs du pays afin de pallier aux aléas de la nature.70 ».

69 Joffroy (Thierry), Avant-Propos. In : Joffroy et aI. Op. cit., p. 2. 70 Grünewald. Op. cit., p. 12. 92


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Fig 14.


Richesse des Cultures Constructives Locales en Haïti Prendre en compte le potentiel remarquable des Cultures Constructives Locales d’un pays c’est en réalité intégrer dans le processus de construction les systèmes constructifs et les modes d’organisations des communautés locales de manière à répondre aux besoins sociaux, économiques et environnementaux du lieu. Haïti, peuple de tradition, dispose d’une Culture Constructive Locale très riche. Nous retenons notamment la typique maison « Gingerbread » ou « pain d’épice » apparue dans le pays à la fin du 19ème siècle. Si ce modèle architectural s’inspire grandement de mouvements architecturaux internationaux tel que les bâtiments de l’époque victorienne aux États-Unis, aujourd’hui propre à Haïti, la maison « Gingerbread » a su au fil des années s’adapter aux besoins locaux et sait désormais répondre aux problématiques propres au climat et au contexte économique et social du pays : La façade principale de la maison haïtienne par exemple, comporte une avancée de toiture qui permet de recevoir des invités ou d’y vendre des produits quand celle-ci est située le long d’un passage fréquenté, espace qui se révèle être d’une grande importance dans un pays ou l’espace public est restreint et que les personnes peinent à se rencontrer. Au-delà de sa fonction pratique, cette avancée de toiture assure également une fonction technique : structurellement indépendante de la toiture principale, elle permet de limiter, dans la mesure du possible, l’arrachement de la toiture en cas de vents forts. Le grenier, lui, permet de stocker autant des aliments que des objets et fait office de refuge pour ses habitants en cas d’inondation.

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Quant aux matériaux utilisés pour la toiture, la paille de Vétiver est une solution peu onéreuse et non dangereuse en cas de chute lors d’un cyclone. Les Haïtiens accordent également une grande importance à la couleur dans leur architecture. Si les peintures colorées des maisons jouent un rôle identitaire et culturel important elles permettent également de protéger les façades des intempéries. Si ce modèle architectural présent dans différentes régions du pays s’adapte et répond aux nécessités du contexte local, la flexibilité de sa structure l’a également doté d’une bonne résistance face au séisme qui a touché le pays en 2010. Un soin particulier est également apporté au respect de l’organisation sociale sous laquelle, en général, s’organise les constructions des habitats traditionnels. En effet, les Haïtiens s’organisent selon le système « Lakou » consistant à rassembler les maisons d’une même famille autour d’une cour centrale commune, occupant une place importante dans la vie de ces familles. Malheureusement, comme nous l’avons déjà abordé précédemment, malgré cette grande diversité de matériaux, d’organisations et de savoirs, les architectures traditionnelles locales souffrent, du point de vue de la société, « d’une image passéiste et paupérisée par rapport aux constructions récentes qui emploient des matériaux industriels (ciment, acier, etc.) qui véhiculent une image de modernité et de solidité71 ».

71 Joffroy et aI. Op. cit., p. 17. 95


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Fig 15. Exemple de Culture Constructive Locale en HaĂŻti : utilisation de la couleur.


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Fig 16. Exemple de Culture Constructive Locale en Haïti : utilisation de la couleur à Aquin en Haïti.


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Fig 17. Exemple de Culture Constructive Locale en Haïti : utilisation de la couleur à Jalousie en Haïti.


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Fig 18. Exemple de Culture Constructive Locale en HaĂŻti : la maison Gingerbread.


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Techniques de Constructions Locales Améliorées (TCLA) Le principe du programme de Techniques de Constructions Locales Améliorées (TCLA) mené par CRAterre à partir de 2010 en Haïti, consiste en l’analyse des Cultures Constructives Locales afin de pouvoir identifier leurs forces et faiblesses et ainsi entreprendre un processus d’amélioration de la construction en elle-même : « Différentes améliorations des techniques traditionnelles ont été apportées par le projet TCLA. Elles portent sur un meilleur comportement de la construction dans le temps72 ». Pour cela, il est évidemment nécessaire de procéder à une phase d’étude des caractéristiques des cultures constructives traditionnelles et locales. Il s’agit ensuite, en s’appuyant sur ces études préalables, d’en dégager les aspects positifs et de comprendre ce qui pourrait éventuellement évoluer de manière à mieux résister aux catastrophes naturelles à venir : « Dès les missions préliminaires, des efforts ont été faits pour bien analyser les architectures traditionnelles en termes de pertinence architecturale et de comportement face au séisme. Le principe était d’en extraire les intelligences constructives et de proposer des solutions qui pourraient les valoriser tout en considérant d’éventuelles faiblesses à améliorer.73 » Car en effet, l’enjeu majeur en Haïti est avant tout de réparer et d’améliorer, quand c’est encore possible, et non de reconstruire. Afin d’illustrer ce principe de Technique Constructive Locale Améliorée, l’exemple le plus concret à mentionner serait celui de la réflexion portée autour du soubassement des murs de constructions. 72 Joffroy et aI. Ibid., p. 37. 73 Joffroy et aI. Ibid., p. 22. 104


Le constat était le suivant : après le séisme de 2010 l’état des lieux révèle que la forte teneur en humidité dans le sol dégrade trop rapidement les types de bois utilisés comme matériaux structurels dans les murs, seules essences de bois actuellement disponibles dans le pays et utilisées dans la plupart des constructions. Afin de palier à ce problème, l’une des solutions proposées était la mise en place d’un soubassement en pierre qui permettait ainsi d’isoler la structure bois du sol humide. À plus long terme, le projet de reboisement en bois plus durs permettrait également de revenir à un système entièrement bois, mais cette fois-ci à partir de bois plus résistants et capables de supporter le taux élevé d’humidité du sol. De cette manière, ce type d’intervention en Haïti cherche avant tout à « Promouvoir une approche qui met en priorité les connaissances qui nous sont transmises par les traditions locales.74 ». Afin de mieux appréhender les risques environnementaux susceptibles de survenir dans le futur en Haïti, le projet de recherche ReparH (Reconstruire para sinistre en Haïti), soutenu par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche)75 a conduit à de nombreux essais scientifiques permettant de comprendre au mieux le comportement des constructions face à divers types de chocs et ainsi conforter ou non le choix des acteurs locaux vis-à-vis des méthodes utilisées.

74 Joffroy et aI. Ibid., p. 16. 75 Informations disponibles sur le site de l’ENSAG École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble en ligne : <http://www.grenoble. archi.fr/recherche/reparh.php>. 105


Pour que ces programmes bénéficient à l’ensemble de la population haïtienne, et ainsi, que la totalité du pays puisse faire face à la récurrence des désastres naturels et envisager le lancement d’un processus de développement durable, divers systèmes de transmissions des savoirs ont été mis en place. L’association des Techniciens et Professionnels de la Construction Moderne (ATProCoM) créée en 2014 par des artisans et techniciens en partenariat avec les formateurs d’Entrepreneurs du Monde (Edm)76, ont su développer des activités de formation ayant permis de former à ce jour plus de 66 artisans en Haïti. Ces formations, basées sur les Techniques de Construction Locales Améliorées (TCLA), ont pour objectif de former les acteurs locaux à la réparation et au renforcement des bâtiments existants. De cette manière, les professionnels locaux, une fois autonomes, sauront euxmêmes assurer la formation d’autres professionnels au mode de construction TCLA. Poursuivant ce même objectif de transmission des savoirs, l’association CRAterre, en partenariat avec d’autres associations, a également pris l’initiative de mettre en place un guide illustré regroupant les points importants relatifs aux systèmes constructifs. Ce support a été utile aux nouveaux encadrants qui dispensaient à leur tour des formations à un panel plus large de personnes. Petit à petit, de nouvelles associations sont nées, ATECOVA (Association des Techniciens de la Construction Vernaculaire Améliorée) par exemple, et poursuivent le travail de formation entrepris quelques années plutôt par les premières organisations présentes sur place et confirment ainsi la prise en main de ce processus par les acteurs locaux.

76 Informations disponibles sur le site de l’association en ligne : <https:// www.entrepreneursdumonde.org/fr/>. 106


Cependant, si dans la plupart des cas la transmission des techniques de construction locales améliorées (TCLA) a été un véritable succès dans la phase de reconstruction en Haïti, il existe toujours des soucis d’incompréhension pouvant être sources de danger. La réinterprétation des techniques d’amélioration peut en effet conduire à des constructions structurellement non adaptées, plusieurs cas par exemple de constructions alors trop solides, et n’absorbant de ce fait plus les ondes sismiques comme une construction antisismique, ont été répertoriés dans la ville et peuvent se révéler dangereuse en cas de réplique. Si les dégâts subis chaque année lors de la saison des cyclones handicapent le processus de développement du pays, le cyclone Matthew de 2016 a permis en quelque sorte d’analyser les procédés mis en place depuis 2010 et d’en tirer des leçons dans le but d’une constante remise en question afin d’améliorer au maximum l’approche sociale et technique en cours et permettre de pérenniser les interventions pour enfin envisager une résilience générale des populations locales sur le long terme. De cette manière, le cyclone Matthew a, malgré lui, permis de prouver la bonne résistance des constructions réalisées depuis 2010 selon les Techniques de Construction Locales Améliorées. En effet, les études de terrain démontrent une grande différence quant aux dégâts reportés sur les bâtiments n’ayant subi aucune transformation et ceux « améliorés » lors de la phase d’intervention post-catastrophe depuis 2010.

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Fig 19. Réparation et renforcement des toitures d’après la démarche TCLA à Abricots en Haïti.


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Fig 20. Construction de bureaux d’après la démarche TCLA à Belot en Haïti.


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La société civile, le peuple haïtien « Il n’y a pas de fatalité historique, malgré une succession incroyable de catastrophes politiques, sociales ou naturelles, la société haïtienne est vivante et capable de rebondir […].77 » Si la volonté est présente, les obstacles auxquels se heurtent les haïtiens ne sont cependant pas des moindres. Jean-Daniel Rainhorn dénonce la réelle difficulté à laquelle Haïti doit faire face au lendemain de son cauchemar : « Reconstruire un pays pauvre avec une administration publique très affaiblie et un secteur privé tétanisé devant le risque d’investir dans un tel contexte est une tâche surhumaine qui ne se décide pas d’un simple coup de baguette magique. Elle nécessite un large débat national autour des priorités et le soutien sans arrièrepensée de partenaires internationaux prêts à sortir de leur paternalisme – “nous savons ce qui est bon pour vous !“ - et de leur rigidité administrative.78 » Selon lui, la reconstruction de la ville de Port-au-Prince et le développement du pays dépendent de trois facteurs : « le fait que les Haïtiens croient en eux-mêmes et en leur capacité de prendre en main le destin de leur pays ; l’évolution de la diaspora face à l’idée du retour au pays ou au moins d’une large participation à la reconstruction ; et le comportement de la communauté internationale trop souvent engluée dans une vision stéréotypée de l’aide et donc capable du meilleur comme du pire.79 » Selon Pierre Salignon il est important de garder à l’esprit que ce sont les Haïtiens eux-mêmes qui ont été les premiers et principaux acteurs suite au séisme : « Malgré ce déferlement de 77 Rainhorn. Op. cit., p. 26. 78 Rainhorn. Ibid., p. 16. 79 Rainhorn. Ibid., p. 24. 112


compassion planétaire, ce sont les Haïtiens, il faut ici le redire, qui, dans les premières heures, se sont pourtant organisés avec leurs propres moyens pour dégager leurs proches des décombres, dénombrer les victimes et les enterrer, tenter d’avoir accès aux soins auprès des structures médicales encore fonctionnelles ou installées dans l’urgence. Les volontaires étrangers déjà présents ont certes participé aux secours, mais l’essentiel de la solidarité a été porté par les Haïtiens.80 » Ainsi, la volonté des Port-au-Priciens de sortir de cette situation et d’aller de l’avant ne peut être remise en question et constitue le principal moteur de la reconstruction : « L’acteur majeur de la reconstruction post-désastre reste la population locale, qui malgré les moyens limités, fait de son mieux pour (se) reconstruire.81 » Se familiarisant petit à petit avec le système de fonctionnement de l’association CRAterre, les Haïtiens étaient d’abord surpris, voir même pour certains, opposés à ce système de collaboration. En effet, les populations locales, qui jusqu’à présent n’avaient quasiment essuyé que des propos négatifs quant à leurs systèmes constructifs locaux, avaient fini ellesmêmes par rejeter ces savoirs jugés comme dépassés et inefficaces. Il fallut donc attendre le succès des premières constructions pour prouver aux communautés locales la nécessité d’associer les méthodes constructives locales à de nouveaux systèmes constructifs pensés en adéquations avec ces méthodes. C’est ainsi que CRAterre et ses partenaires ont su parvenir à valoriser les acteurs locaux et les acteurs de proximité. Grâce à la mise en place de ce processus basé sur la mise en valeur des savoirs locaux et de la participation de la population, cette dernière a pu développer une certaine 80 Salignon. Op. cit., p. 191. 81 Joffroy et aI. Op. cit., p. 64. 113


confiance qui lui a permis de prendre son indépendance et de construire par elle-même, sans aide extérieure, simplement en s’appuyant sur des modèles locaux techniquement et financièrement à la portée des populations : « We see architecture as more than just a design. For us it is an inclusive process based on collaborative effort.82 ». Pour CRAterre, l’objectif reste avant tout de maintenir un processus de co-développement de nouveaux outils et de nouvelles stratégies, et vise ainsi un changement d’échelle, soit offrir une accessibilité des savoirs à l’ensemble du pays. Malgré les nombreuses catastrophes auxquelles ils sont fréquemment confrontés, les Haïtiens savent faire preuve d’une grande capacité d’entraide. Le mode d’organisation « Kombit », basé sur un système d’entraide au sein de la famille et des voisins, met en avant ce principe de solidarité et de réciprocité auquel les Haïtiens sont très attachés.

Si ces neuf dernières années ont permis de prendre du recul et d’évoluer dans le processus de reconstruction des habitats il s’agit maintenant de voir quelles ont été les conséquences de cette reconstruction sur la ville de manière globale ? Nous parlons généralement d’architecture d’urgence mais qu’en est-il à de l’échelle de l’urbanisme ? Comment les habitats se connectent-ils entre eux ? Comment les habitants habitent-ils leur ville et leur quartier ?

82 « Nous voyons en l’architecture plus qu’un simple design. Pour nous, c’est un processus basé sur un effort collectif. » EVA, Emergent Vernacular Architecture LTD, Studio Portfolio, Londres, 2017, p. 3. 114


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III

L’ESPACE PUBLIC DANS L’URGENCE : L’URBANISME D’URGENCE

Après avoir étudié le processus de résilience post-catastrophe à l’échelle de l’individu n’est-il pas tout aussi important de penser au phénomène de résilience communautaire ? Si le terme de résilience collective ne diffère de celui de résilience personnelle que par la pluralité des personnes qu’il implique, la résilience communautaire se révèle bien plus complexe dans le sens où elle doit répondre aux besoins d’un ensemble de personnes fondamentalement différentes. Ainsi il parait indispensable, lors du processus de reconstruction d’une ville, de penser de manière globale, d’aller au-delà de l’échelle de l’individu et de reconstruire pour l’ensemble de la population. Mais pour cela n’est-il pas nécessaire que les individus se rencontrent les uns les autres afin d’échanger, de partager et de penser ensemble ? Encore faut-il disposer d’espaces enclins à la rencontre, or, l’espace public à Port-auPrince, fort restreint, n’est pas forcément synonyme d’espaces propices à la rencontre des individus. En effet, les habitants de la ville de Port-au-Prince, de par l’exiguïté des rues et des espaces, se croisent dans la rue mais ne disposent que très rarement d’espaces pour réellement s’arrêter et se rencontrer. Michel Bassand, sociologue suisse, caractérise pourtant l’espace public comme étant « l’épine dorsale des villes contemporaines », selon lui, c’est avant tout à partir des espaces publics que se développent par la suite les autres réseaux essentiels au bon fonctionnement de la ville. Lors de la conférence Séisme en Haïti, de l›urgence à la reconstruction donnée par Charles Aurouet et James Bellamy dans le cadre du workshop Abri d’urgence à l’École Nationale 116


d’Architecture de Strasbourg en mai 2018, J. Bellamy, directeur des travaux au sein de la Croix-Rouge américaine basée à Port-au-Prince entre 2013 et 2017 interroge son auditoire sur la question suivante : « Can public spaces in informal settlements enhance community resilience ? Publics spaces links communities together, one public space can be use as differents ways. It could be a space where people could breath, where community could come together, talk together, maybe resolve problems together.83 »

83 « Les espaces publics peuvent-ils favoriser le processus de résilience dans les quartiers informels ? Les espaces publics lient les communautés, un espace public peut être utilisé de différentes façons. Il peut être un espace ou les gens peuvent respirer, ou ils peuvent se rassembler, parler ensemble, peut-être résoudre des problèmes ensemble. » Bellamy (James), dans le cadre du workshop «Abri d’urgence», organisé en partenariat avec la croix rouge française, séisme en Haïti, de l’urgence à la reconstruction, ENSAS, 30 Mai 2018. 117


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Fig 21. Appropriation de l’espace public par la jeunesse au sein d’un camp.


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CARACTÉRISTIQUES D’UNE URBANISATION NON PLANIFIÉE Si Haïti est avant tout connu de par l’ampleur des catastrophes naturelles qui l’ont touché ces dernières années, d’autres risques majeurs menacent également le pays. Les risques liés à la l’insécurité et à l’insalubrité des quartiers au sein de la ville ne sont-ils pas aussi alarmants que ceux liés aux catastrophes naturelles que rencontre le pays ? En effet, les catastrophes d’ordre naturel, politique et économique qu’essuie constamment le pays ne lui ont pas laissé le temps jusqu’à présent de se reconstruire. Les villes en Haïti, et notamment sa capitale Port-au-Prince, ont été contraintes de se reconstruire avec le peu de temps et de moyens dont elles disposaient entre deux catastrophes. Cette urbanisation sauvage transforme les villes en de véritables cauchemars urbanistiques où l’espace public et les équipements communautaires deviennent très rares et tendent de ce fait à rendre les relations entre leurs habitants de plus en plus anonymes. « L’espace public est un terme polysémique qui désigne un espace à la fois métaphorique et matériel. Comme espace métaphorique, l’espace public est synonyme de sphère publique ou du débat public. Comme espace matériel, les espaces publics correspondent tantôt à des espaces de rencontre et d’interaction sociales, tantôt à des espaces géographiques ouverts au public, tantôt à une catégorie d’action.84 »

84 Fleury (Antoine), Espace Public, in HyperGeo [en ligne]. 2014 [consulté le 14 mai 2019]. Disponible en ligne : <http://www.hypergeo.eu/spip.php?article482#> 120


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Fig 22.


Défaillance des services urbains : répondre aux besoins de base L’absence de planification urbaine dans une grande partie des quartiers de la ville de Port-au-Prince est induite par une déficience générale en services et équipements indispensables au bon développement de la ville. Nous observons aujourd’hui en effet un retard important dans la mise en place des réseaux d’eau et d’assainissement induisant de sérieux soucis d’hygiène, fragilisant davantage la population en proie au développement d’épidémies : neuf mois seulement après le séisme majeur de janvier, la population de Port-au-Prince fut touchée par l’épidémie du choléra ayant fait un bilan de plus de 10 000 morts. La forte densité de certains quartiers de la capitale reste également source de problèmes. Si nous nous fions aux chiffres, Port-au-Prince, d’une densité avoisinant 24 000 habitants au kilomètre carré, comparé à 21 000 habitants au kilomètres carré pour Paris, ne semble pas excessivement dense, cependant il est important de rappeler que, faute de moyens et dans un contexte hautement sismique, les constructions de Port-au-Prince n’excèdent que très rarement deux étages et se résument pour la plupart à un rez-de-chaussé. L’ensemble de la population se partageant alors le sol, l’espace public est réduit à son minimum et les constructions accolées les unes aux autres. À cela vient s’ajouter le fait que Port-au-Prince dispose d’un dénivelé relativement important de par sa situation géographique, construite en bord de mer, la capitale n’a eu d’autre choix que de s’étendre au fur et à mesure sur les flancs de la montagne de la chaîne de la Selle qui borde la ville. Ainsi, nous assistons aujourd’hui à l’accélération de la densification des pentes en raison d’un manque croissant d’espace dans la plaine. Les nouveaux arrivants aménagent par des terrassements des sites afin de construire leurs foyers 122


sans réellement prendre en compte les risques d’accélération de l’érosion ou de glissement de terrain que ces aménagements induisent. Depuis le séisme de 2010 la situation s’aggrave encore, face au manque de place dans la capitale certains foyers n’ont eu d’autres choix que de reconstruire leurs maisons à proximité immédiate, voir pour certains à l’intérieur même, des ravines creusées dans la montagne. La gestion des déchets solides représente encore une grande part des problèmes de la ville. À défaut de système de ramassage des ordures, les citadins n’ont souvent d’autres choix que de brûler ou de jeter leurs déchets solides dans la rue, là où ils dérangent le moins. Avec le vent et les pluies ces déchets viennent ensuite obstruer les égouts et les voies de canalisation créant des inondations et favorisant ainsi la montée des eaux et par voie de conséquence l’inondation de zones plus larges également recouvertes de déchets qui viennent à leur tour s’ajouter au tas de résidus obstruant déjà la voie. De cette manière les nombreuses ravines qui jonchent la capitale ont été transformées en de véritables décharges à ciel ouvert. En 2006, le PNUD85 a mis en place un centre de recyclage des déchets dans le quartier de Savane-Pistaches à Port-au-Prince. Si ce projet a en partie permis de réguler la collecte de déchets dans cette zone pendant un moment, le centre de tri a depuis 2012 finalement dû être suspendu pour causes de problèmes d’ordres financiers et organisationnels. Selon le rapport de ONU-Habitat Haïti, la situation est alarmante :

85 Programme des Nations Unies pour le Développement. La mission primaire du PNUD est d’accompagner le Gouvernement haïtien et de renforcer les capacités des institutions nationales, du secteur privé local, de la société civile et celles des communautés en Haïti, afin de mieux préparer l’avenir du pays et construire une nation forte et résiliente. Description tirée du site du PNUD : <http://www.ht.undp.org/content/haiti/fr/ home/about-us.html>. 123


« Il est important de tenir compte de la gestion des déchets, tant sur le plan de l’hygiène que sur leur impact au niveau des eaux afin de trouver des solutions pérennes à l’élimination des déchets et limiter les dépôts sauvages d’ordures sur les espaces publics ou dans les ravines. 86 » La gestion des sanitaires reste également source de préoccupation en Haïti aujourd’hui. Si 90% des ménages disposent tout de même de toilettes au sein de leur foyer, la grande majorité de ces toilettes sont encore situées à l’extérieur du logement, sans même être raccordées à un quelconque système d’assainissement, l’évacuation se faisant généralement vers l’espace public par de simples tuyaux ou sillons creusés à même le sol. De la même manière, les eaux usées empruntent les mêmes voies d’écoulement que les eaux de pluies, souvent les caniveaux à ciel ouvert, et viennent rejoindre les déchets accumulés au bas de ces derniers. Quant au réseau électrique, EDH (électricité d’Haïti), ne dessert toujours pas l’ensemble de la capitale et n’est opérationnel que quelques heures par jour. De plus, une grande partie des raccordements restent encore informels et la plupart des ménages ne disposent même pas de compteur et sont simplement branchés sur des réseaux voisins. Mais le problème se pose avant tout au niveau de l’éclairage public, la grande majorité des lampadaires des quartiers défavorisés ne fonctionnent plus ou n’ont jamais fonctionnés, quant à ceux qui fonctionnent en règle générale ils sont souvent éteints la nuit. 86 Données tirées du rapport de ONU-Habitat Haïti : Planification communautaire pour l’aménagement post-séisme des quartiers précaires, Diagnostic Urbain et Projets d’Aménagement, Carrefour-Feuilles, Quartiers de Descayettes, Saieh, Sanatorium et Savane-Pistaches, Programme des Nations Unies pour les Établissements Humains en Haïti (ONU-Habitat), 2012, p. 43. 124


Or, l’absence d’éclairage pose à la fois des problèmes au niveau de la circulation mais favorise aussi la délinquance et rend l’espace public dangereux le soir. Entre ruelles étroites et absence d’éclairage, grand nombre des habitants de la capitale de Port-au-Prince avouent éviter de devoir sortir de chez eux après la nuit tombée car pour beaucoup d’entre eux cela représenterait un risque certain et inutile.

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Fig 23. Densité extrême sur les pentes du quartier de Piéton-Ville à Port-au-Prince en Haïti.


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De l’absence des espaces publics au manque d’infrastructures Il suffit de se rendre à Port-au-Prince pour constater que les équipements communautaires, associatifs et culturels sont encore trop peu nombreux. L’espace public est restreint et les initiatives à l’origine de la mise en place d’espaces de loisirs encore trop rares : « Globalement, ces quelques rares espaces sont sales et peu entretenus. De la même façon, les équipements et mobiliers urbains sont endommagés, dysfonctionnels ou ont disparus. L’éclairage public est absent ou ne fonctionne pas régulièrement.87 ». Si les espaces réservés aux loisirs étaient déjà rares avant 2010, depuis le séisme de janvier 2010 ils sont, mis à part quelques projets qui ont su voir le jour, quasiment inexistants. Après le séisme dévastateur de 2010, grande quantité de foyers ayant été détruits, les habitants n’avaient d’autres choix que de s’installer sur les terrains libres, loin des gravats et des constructions fragilisées et menaçantes : « L’extrême densité des quartiers est due au fait que l’État n’est pas ou peu intervenu pour organiser le territoire ; aussi, la communauté a-t-elle utilisé l’ensemble de l’espace disponible pour le logement sans se mettre d’accord sur des réserves de terrain destinées aux rues et aux équipements collectifs.88 » Malgré un fort sentiment de solidarité lors de la reconstruction post-séisme de la ville, les Port-au-priciens constatent une importante dégradation de la vie communautaire au sein de la ville . Aujourd’hui le manque d’espaces publics et la situation socio-politico-économique fragile du pays engendrent l’insécurité dans de nombreux quartiers de la ville. Les espaces publics se faisant de plus en plus rares, les activités susceptibles 87 ONU-Habitat Haïti. Ibid., p. 59. 88 Données tirées du rapport ONU-Habitat Haïti / FAU, Planification communautaire à Port-au-Prince, Janvier 2012. 128


de rassembler la population au sein de la ville tendent, par voie de conséquence, aussi à disparaitre. Hormis les églises, il n’existe pratiquement aucun lieu susceptible d’accueillir des réunions et des activités culturelles. De la même manière, la ville ne dispose que de peu de terrains de sports, et de quasiment aucune aire de jeux pour les enfants en bas âge. Jusqu’aux années 1990, de nombreux évènements culturels étaient encore organisés dans le quartier de Saieh à Port-auPrince, en particulier à l’occasion du Carnaval. Aujourd’hui, l’état des rues et des places publiques ne permet plus l’organisation de tels évènements dans la ville et beaucoup de ces évènements ont disparu : « La dégradation des aménagements et lieux publics, qui limite les activités et suscite une certaine désaffection vis-à-vis du quartier, constitue ainsi un obstacle au développement de la vie sociale et de la convivialité. Il en va de même, de façon encore plus directe, pour le manque d’équipements associatifs, qui limite de façon significative le dynamisme associatif.89 ». La place publique se révèle donc déterminante dans la qualité de vie des habitants de la ville, source de liens sociaux, elle permet de rassembler les habitants et de maintenir une dynamique entre ces derniers au sein du quartier. Selon les données fournies par le rapport de ONU-Habitat Haïti pour l’aménagement post-séisme des quartiers précaires, 34% des habitants des quatre quartiers étudiés à Port-au-Prince (Carrefour-Feuilles, Quartiers de Descayettes, Saieh, Sanatorium et Savane-Pistaches) ont moins de 16 ans et 57% ont moins de 25 ans. De ce fait, l’éducation semble s’imposer comme l’une des priorités de l’État.

89 ONU-Habitat Haïti. Op. cit., p. 61. 129


Cependant, même si le gouvernement a pu mettre en place des aides, la ville ne dispose aujourd’hui quasiment que d’établissements privés affichant des prix encore trop élevés pour la plupart des familles. Les quelques écoles publiques en Haïti souffrent d’un réel manque de moyens tant sur le plan infrastructurel qu’humain. À cela vient s’ajouter le fait que beaucoup d’établissements de la ville de Portau-Prince ont été endommagés lors du séisme de 2010 et certains d’entre eux ne sont aujourd’hui toujours pas remis en état. Parallèlement à cela, Haïti manque cruellement d’infrastructures d’enseignement supérieur et par la même occasion de formations professionnelles, ce qui ne fait qu’aggraver la situation du pays qui assiste, impuissant, à l’exode de la jeunesse dont Haïti a besoin pour se relever.

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Fig 24. Absence totale d’espaces publics : rÊappropriation des toits comme espaces de loisirs.


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ÉQUIPEMENTS EDUCATIFS ET CULTURELS AU SEIN DU PROCESSUS DE RESILIENCE Reconstruire une population ne se limite donc pas à reconstruire un toit pour chacun. Il s’agit de penser un cadre de vie que les habitants pourront s’approprier, soit introduire une valeur ajoutée dans le contexte post-désastre et informel de Port-au-Prince. La population de la capitale se révélant être très jeune, il parait évident de renforcer la mise en place d’équipements éducatifs et culturels au sein de la ville. Selon le programme Initiatives Jeunes – FOKAL90, « un espace d’expression et de créativité est un lieu physique, virtuel ou symbolique dans lequel un individu peut exercer sa liberté de communiquer, de s’exprimer, d’apprendre, d’agir, de créer, d’inventer, de s’épanouir dans les limites et le respect de la loi.91 ». S’il est évident que ces paramètres ne rentrent pas dans le contexte d’urgence à proprement parler, il est important de savoir mettre fin à la période restrictive d’urgence et d’engager un processus plus vaste visant à reconstruire la population dans toutes ses dimensions, autant physique que psychique. 90 Fondation Connaissances et Liberté est une fondation nationale haïtienne créée en 1995 et reconnue d’utilité publique depuis 2000 et membre du réseau de l’Open Society Foundations. Site web : <https:// www.fokal.org/index.php>. 91 Anis (Jean-Gérard) et Schermann (Carine), « Loisirs et vie associative : quels espaces d’expression et de créativité en Haïti ? » in Programme initiative Jeunes [en ligne]. 12 mai 2014 [consulté le 23 février 2019]. Disponible en ligne : <https://vaguedufutur.blogspot.com/2014/05/ loisirs-et-vie-associative-quelshtml?spref=fb&fbclid=IwAR0WHcdHtmJe R2tkhsLIDcnKJFaDh4pglC1LegxAM8eP3TakclqArz0ZooQ>. 134


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Fig 25.


Le loisir en opposition à l’urgence ? Suite à une catastrophe naturelle, nous l’avons compris, il faut agir vite, de la manière la plus efficace possible, afin d’offir un toit aux sinistrés. La question qui se pose rapidement est la suivante : l’obtention d’un toit, provisoire pour la plupart, plus pérenne pour d’autres, permet-elle d’atteindre un niveau de résilience suffisant pour retrouver le sentiment de dignité que chaque homme devrait pouvoir éprouver ? Si rendre un toit à chaque foyer est la première priorité, Portau-Prince nous démontre aujourd’hui que d’autres paramètres entrent en compte dans la capacité de résilience des sinistrés. Dans un premier temps, il parait instinctif de vouloir opposer la notion de divertissement à celle d’urgence, cependant, pour que la population soit apte à rebâtir n’est-il pas nécessaire qu’elle retrouve le sentiment d’être encore présente et vivante dans un environnement meurtri où quasiment tout a disparu ? Selon Nathalie Barrette et Laura Daleau, les infrastructures et les espaces publics représentent les enjeux majeurs de la société civile permettant à celle-ci de se relever et de se construire à partir de bases solides : « Dans le cas d’Haïti, l’événement du 12 janvier 2010 a créé, fortuitement, une conjoncture favorable à l’intégration de mesures d’adaptation en obligeant, par l’ampleur des dégâts, à repenser l’aménagement du territoire et à reconstruire une grande partie des infrastructures, deux éléments majeurs souvent propices à l’insertion de telles mesures.92 ».

92 Barrete et Daleau. Op. cit., p. 63. 136


Si la première urgence suite à une catastrophe de l’ampleur de celle du séisme de janvier de 2010 est de reloger l’ensemble des sinistrés, ces derniers ont besoin également d’espaces communs où ils peuvent venir se rencontrer, échanger et s’évader de leur quotidien. Il s’agit d’aménager des quartiers favorables à la vie collective, et ce en parallèle à la reconstruction individuelle : « De même qu’elles ont sous-tendu l’organisation de l’espace dans les villes du XIXème siècle, les stratégies de planification urbaine ont, quoique de façon inattendue, conservé un rôle significatif sur le théâtre des opérations humanitaires.93 » On assiste aujourd’hui à l’effervescence d’idées, tant de la part des Haïtiens que de la part d’acteurs étrangers sensibilisés à la cause de Haïti, en faveur de la mise en place d’espaces partagés propices aux loisirs. La plateforme en ligne d’échanges et de ressources haïtienne Aetypik94 par exemple, se présente comme un incubateur d’idées pour tous les domaines créatifs confondus, de l’architecture au design graphique. Car s’il s’agit de mettre en avant l’importance du loisir à Port-auPrince, chacun doit pouvoir y participer, à sa propre manière, et chacun doit pouvoir en tirer des bénéfices et s’épanouir pour ensuite se sentir intégré à son quartier, à sa ville et à son pays malgré les aléas qui touchent régulièrement ce dernier. Ainsi, ces évènements permettent, dans une certaine mesure, de valoriser les riches expressions culturelles dont dispose le pays, et ce faisant, de redonner confiance aux Haïtiens en leurs capacités de production. Il s’agit désormais d’aller au-delà du fonctionnel, de focaliser son énergie sur la phase dite de posturgence et d’aider les gens à enfin se relever : « Reconstruire Haïti, c’est inventer de nouvelles manières de vivre ensemble 93 Collectif, Habiter le campement, Coédition Acte Sud / Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016, p. 302. 94 Site web : <http://www.aetypik.net>. 137


en mobilisant les énergies jusqu’alors bridées.95 » « Il s’agit aussi de proposer des cadres de vie adaptés à la diversité des environnements et des modes de vie et, pour le cas spécifique de Haïti, de donner toute la place à la qualité esthétique, voire même l’expression artistique, une pratique quasi constante dans tout le pays, y compris dans l’habitat.96 »

95 Rainhorn. Op. cit., p. 17. 96 Joffroy et aI. Ibid., p. 14. 138


L’éducation au centre du processus de résilience Comme énoncé précédemment, en Haïti la jeunesse représente près de la moitié de la population globale, la question qui découle de ce constat est la suivante : par quels moyens faire participer ces jeunes à la reconstruction d’Haïti ? À partir de leurs expériences professionnelles, Marjory Clermont Mathieu, Ronald Jean Jacques et Daniel Dérivois montrent qu’il existe une importante capacité de résilience chez ces jeunes et que leur offrir aujourd’hui un « engagement social et communautaire ainsi qu’une implication au niveau de la cité […] facilite leur intégration dans la reconstruction97 » L’enjeu majeur se concentre donc dans la jeune population de Port-au-Prince, il s’agit d’aider cette nouvelle génération qui ne dispose pas encore des outils nécessaires à la mise en route de leurs idées : « L’attention et le soutien portés aux adolescents constituent un des éléments clés de la refondation et sans doute de la réinvention d’une nouvelle Haïti.98 ». Comment occuper le temps libre de ces jeunes ? Comment et où les former ? La notion d’espaces physiques, comme l’école obligatoire, les écoles plus spécifiques (sportives, musicales, théâtrale, etc.), la rue, l’église, les centres sportifs, les centres culturels, les clubs, permettent aux jeunes de s’exprimer, d’apprendre et de se développer à partir d’éléments distincts du cercle intime et familier. Si tous les jeunes n’ont pas encore la chance d’être scolarisés aujourd’hui en Haïti, certaines associations luttent pour le développement des activités accessibles pour tous : des concours ou compétitions, des spectacles ou des sessions courtes d’apprentissage en tout genre. 97 Rainhorn et aI. Op. cit., p. 202. 98 Mathieu, Jean Jacques et Dérivois. Op. cit., p. 235. 139


Certaines associations s’inspirent d’autres types de loisirs généralement dispensés à l’étranger comme des camps d’été ou bien du tourisme local à moindre coût. Pour ce faire, ces associations ont pour objectif d’investir dans de nouveaux équipements et infrastructures encore trop peu, voire pas du tout, présentes dans le pays : aires de campings, parcs naturels, zoos, réserves biologiques, parcs à thèmes, parcs d’attractions, gymnases, salles de concerts, de cinéma, etc. Si en général le terme « éducation » renvoie à l’enfance, l’éducation concerne l’ensemble de la société. Jean-Joseph Moisset, spécialiste haïtien en économie, planification et gestion de l’éducation, voit en l’éducation une manière « d’assurer la formation et le développement d’êtres humains.99». En effet, l’éducation se décompose sous différentes formes, nous parlons d’éducation générale lorsque nous faisons références aux connaissances principalement acquises lors des premières années de scolarisation, c’est-à-dire : lire, écrire, compter, etc. Vient ensuite ce que nous nommons éducation spécialisée, plus professionnelle car se référant à des qualifications et compétences spécifiques à un domaine d’activité. L’éducation s’impose donc comme un élément clé de l’évolution des sociétés et selon J-J. Moisset : « La finalité essentielle de l’éducation est de rendre l’homme plus humain, ou en termes plus concrets, de lui permettre de développer toutes ses dimensions et ses potentialités, en particulier économiques et sociales. […] Voilà pourquoi l’éducation constitue le principal facteur de l’épanouissement des individus mais aussi ce par quoi une société peut maintenir une certaine cohésion et assurer son développement.100 » 99 Ibidem. 100 Moisset (Jean-Joseph), « L’éducation pour tous : priorité des priorités? ». In : Rainhorn et aI. Ibid., p. 312. 140


En somme, il s’agit aujourd’hui de développer le système éducatif, et de manière parallèle ce que nous pouvons nommer l’industrie de loisirs au sein du pays. Si selon certains points de vue le plus important est d’assurer la transmission des savoirs entre les générations, il me parait tout aussi important de stimuler ces nouvelles générations afin que celles-ci puissent s’ouvrir à de nouveaux modes de pensée et acquérir les bases nécessaires à toute innovation ou développement de projet : « Idéal voire utopique, diront certains, mais c’est le chemin long, ardu et malaisé par lequel il faudra passer pour qu’en Haïti, les lendemains qui tremblent deviennent des lendemains qui chantent.101 » Si l’éducation semble se positionner comme l’une des priorités dans le processus de reconstruction de la population de Port-au-Prince, il semble tout aussi important de réfléchir à la place du divertissement au sein de la ville. En effet, bien que les infrastructures éducatives permettent de rassembler la population autour d’une activité cela ne semble pas suffisant. Afin que la cohésion communautaire puisse fonctionner les habitants doivent pouvoir se rassembler autour d’autres activités quelles qu’elles soient.

101 Moisset. Ibid., p. 323. 141


L’AMÉNAGEMENT DE QUARTIERS FAVORABLES À LA VIE COLLECTIVE Selon le programme de ONU-Habitat Haïti l’objectif principal est le suivant : « permettre à chaque quartier de posséder d’un “cœur de vie”, intégrant des espaces publics agréables et éclairés, et des équipements communautaires de loisirs, culture et sports, où puisse se développer une vie sociale dans des conditions satisfaisantes.102 ». Dans le cadre de la reconstruction post-séisme de 2010 à Port-au-Prince, certaines organisations ont, afin d’améliorer les conditions de vie au sein des quartiers précaires durement touchés par le séisme, réfléchi à des espaces communautaires pour et avec ses usagers. Nous parlons dans ce cas de « planification communautaire » comme étant un outil de l’urbanisme qui consiste à impliquer, à l’échelle locale la population dans l’aménagement de son territoire. Ce procédé participatif permet à la fois de démocratiser l’exercice de planification urbaine mais aussi de récolter au mieux le diagnostic de la population sur son environnement. Dans cette optique, plusieurs projets d’espaces publics ont vu le jour dans la capitale de Port-au-Prince, la place Tapis Rouge construite dans le quartier de Carrefour-Feuilles en est une parfaite illustration.

102 ONU-Habitat Haïti. Op. cit., p. 62. 142


143

Fig 26.


Reconstruire le quartier par et pour ses habitants Pour qu’un quartier corresponde aux besoins de ses utilisateurs, il semble logique que le processus de « Planification urbaine » soit pensé comme un exercice participatif, où chaque habitant apporte son idée en fonction de ses besoins. À partir de ce constat, les deux organisations internationales non gouvernementales Global communities103 et Build Change104, spécialisées dans l’accompagnement aux différentes communautés à travers le monde à accéder à un développement durable, ont en partenariat avec la CroixRouge américaine, généré le programme de reconstruction et de relèvement LAMIKA105. Les champs d’actions de ce programme étant à la fois sociaux, physiques et économiques, le programme LAMIKA se base avant tout sur le processus de résilience des sinistrés et s’attache à faire des communautés locales les principaux moteurs du programme. De cette manière ce sont ces communautés ellesmêmes qui ont su dans un premier temps détecter les besoins les plus importants et ont par la même occasion pu participer à la conception du programme dans son intégralité. Cependant, le bon fonctionnement d’un espace public dépend aussi de sa fréquentation et de l’intérêt que cet espace peut avoir pour ses utilisateurs. En effet, la place publique doit être pensée de manière à ce que différentes catégories d’usagers puissent s’y rencontrer et y cohabiter. L’usage de la place doit pouvoir varier selon les moments de la journée, les jours de la semaine et les moments de l’année : « Même s’il existe des places plus ou moins spécialisées dans l’accueil d’un certain type de fonctions, le 103 Site web : <https://www.globalcommunities.org>. 104 Site web : <https://www.buildchange.org>. 105 L’acronyme Lamika vient du slogan « une meilleure vie dans mon quartier » en Créole. 144


meilleur fonctionnement de l’espace public semble être assuré par une certaine mixité des fonctions abritées.106 ». La construction du parc de Martissant par FOKAL en 2007 illustre bien l’approche de planification urbaine explicitée cidessus. Ce parc, pensé comme un espace public, a été conçu dès son origine avec une approche communautaire et un objectif global d’amélioration du cadre de vie dans la Zone d’aménagement concerté de Martissant dans la banlieue proche de Port-au-Prince. L’objectif étant de « permettre aux habitants de la zone d’habiter un cadre de vie à visage humain.107 » et ainsi d’inciter les acteurs à travailler à l’amélioration de quartier populaire tout en « traitant en citoyens ses résidents108 ».

106 Université de Nice : l’analyse des espaces publics. Les places [en ligne]. Nice (France) 1994. Màj janvier 2019 [consultée le 16 avril 2019]. Disponible en ligne : <http://unt.unice.fr/uoh/espaces-publics-places/> 107 Couet (Lucie), « Un projet de revitalisation urbaine à Martissant, quartier de la capitale haïtienne » in dialogues, propositions, histoire pour une citoyenneté mondiale [en ligne]. Mars 2008 [consulté le 18 avril 2019]. Disponible en ligne : <http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-7649.html>. 108 Ibidem. 145


Le cas de la place Tapis Rouge Tapis Rouge est l’un des projets construit en 2016 dans le cadre du programme de la Croix-Rouge américaine LAMIKA, commandé par Global Communities dans le quartier périphérique de Carrefour-Feuilles à Port-au-Prince. Pour ce faire, le programme LAMIKA a fait appel à une agence d’architecture Londonienne, EVA Studio109, coutumière du processus de travail en collaboration avec les communautés, associations et artistes locaux. Située au sein du quartier de Carrefour-Feuilles à Port-auPrince, la place s’inscrit dans un contexte urbain précaire, le quartier ayant été gravement touché par le séisme de janvier 2010. En effet, le site sur lequel se trouve actuellement la place Tapis Rouge avait été transformé en énorme camp abritant des centaines de tentes au lendemain du séisme. Si les sinistrés ont pu, peu à peu, regagner des habitats plus durables et libérer cet espace, les habitants de Carrefour-Feuilles, pour la plupart, n’ont accès ni à l’eau courante, ni au réseau d’assainissement et d’électricité et vivent généralement dans des habitats encore très précaires et souvent informels. L’espace public quant à lui est quasiment inexistant, ni places publiques, ni routes ne sont clairement définies ici, l’accès aux logements se fait souvent par de petits chemins étriqués entre deux constructions. Au vu des faits, l’objectif du programme LAMIKA était de construire un espace multifonctionnel permettant de promouvoir la cohésion sociale à travers une approche participative.

109 Site web : <http://www.evastudio.co.uk>. 146


Ainsi, le but de cette place était de créer un environnement plus sécuritaire et plus sain, afin de réduire la criminalité, la violence et l’aspect antisocial dont souffrait cette zone de la ville. L’agence Londonienne Eva Studio a choisi de baser la conception de la place sur les volontés des habitants et, afin de répondre aux besoins de ces derniers de la manière la plus exacte possible, le programme, les plans architecturaux et les travaux ont été directement établis en collaboration avec les communautés locales. De cette manière l’approche participative et l’engagement communautaire visent à faciliter le processus d’adoption et d’appropriation des espaces. Concernant l’architecture de la place Tapis Rouge, celleci se compose d’un grand amphithéâtre ouvert autour duquel se déploient différents espaces subdivisés en anneaux concentriques permettant un zonage des différents éléments de son programme multifonctionnel : équipements d’exercices physiques, espaces verts plantés d’arbres et de plantes, réservoirs d’eau et station de distribution d’eau potable. Enfin, le centre de la place a été pensé comme un amphithéâtre ouvert pouvant ainsi accueillir un grand nombre de personnes et tout type d’évènements. D’autre part, la peinture et la couleur étant deux composantes importantes dans la culture haïtienne, les murs entourant la place ont été investis par des artistes et par la communauté locale. La pièce majeure de la fresque, illustrant une partie importante de la tradition haïtienne, a été élaborée conjointement par les enfants, leurs parents, les artistes locaux, et l’artiste français Bault. Au sein d’un contexte précaire et déconnecté du réseau de la ville, il est important de souligner que la place Tapis Rouge bénéficie d’éclairage solaire permettant ainsi de réduire le taux d’insécurité qui règne dans le quartier. 147


148

Fig 27. Tapis Rouge : un espace public au sein du quartier dense de Carrefour-Feuilles Ă Port-au-Prince en HaĂŻti.


149


150

Fig 28. Tapis Rouge : un espace public au sein d’un quartier précaire.


151


152

Fig 29. Fresque participative sur la place Tapis Rouge.


153


154

Fig 30. Fresque participative sur la place Tapis Rouge.


155


156

Fig 31. Fresque participative sur la place Tapis Rouge.


157


158

Fig 32. Eclairage public sur la place Tapis Rouge.


159


Aujourd’hui, quasiment trois ans après la construction de la place Tapis Rouge à Carrefour-Feuilles, les habitants viennent se regrouper autour de cette place afin de discuter, de jouer, d’étudier ou simplement se reposer. L’état physique irréprochable de la place parle de lui-même, les usagers sont regardants vis-à-vis de la propreté de celle-ci, très peu de déchets jonchent le sol contrairement à ce que l’on peut généralement voir dans les autres espaces publics de la ville. S’il est difficile d’obtenir un avis objectif quant au succès de cette place, les habitants du quartier eux paraissent unanimes : cette place se présente comme une réelle oasis au sein du désert. Somme toute, malgré les obstacles rencontrés lors de la reconstruction de Port-au-Prince, la société haïtienne démontre par ces projets qu’elle est vivante et prête à rebondir, selon Jean-Daniel Rainhorn il suffit de se rendre en Haïti pour sentir « circuler le bouillonnement des idées110 » et constater que l’envie d’avancer est plus forte chaque jour.

110 Rainhorn. Op. cit., p. 16. 160


161


162

Fig 33. Création de centres socios éducatifs en Haïti : JEDE Jeunesse en Développement.


163


- CONCLUSION La hausse des catastrophes humanitaires à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est pas sans conséquence sur le développement des sociétés à travers le monde. Nous parlons désormais de séisme social, politique et environnemental. Les changements climatiques, la mondialisation et la précarité obligent de nos jours l’homme à faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Aujourd’hui, neuf ans après le séisme majeur de 2010, Haïti se montre encore très dépendante de l’aide internationale. Face à un État à l’équilibre précaire et extrêmement fragilisé au lendemain du séisme de 2010, les limites d’interventions de la part des organismes étrangers ne sont pas toujours faciles à déceler. Or, pour que la reconstruction d’un pays soit effective, celleci doit se faire par l’intermédiaire de ses propres habitants, sans qui la compréhension des besoins réels du pays ne peut se faire. En d’autres termes, intervenir en tant qu’architecte urbaniste de l’urgence, ne signifie rien d’autre que de travailler en collaboration avec la population du pays affecté. Il s’agit d’être capable à la fois de juger si notre présence représente une réelle plus-value et d’avoir une approche empathique de compréhension face aux besoins des populations locales. Ce n’est donc pas tant en qualité d’architecte urbaniste qu’il faudrait se présenter dans le contexte de l’urgence post-catastrophe, mais en tant que coordinateur, capable de réfléchir avec et pour les sinistrés à un avenir plus stable de façon à les accompagner dans le processus de résilience. 164


Loin du rôle habituel de l’architecte, dans le contexte de l’urgence ce dernier doit être capable d’analyser et de valoriser les savoirs locaux, souvent délaissés au profit de savoir plus modernes mais non toujours adaptés au contexte local. La mise en valeur de ces savoirs permet à la fois de requalifier des modes constructifs dépréciés et d’assurer la transmission de ces savoirs à un plus large échantillon de population. D’autre part, si intervenir dans le cadre d’une intervention d’urgence signifie travailler vite et répondre aux besoins primaires, l’expériences démontre aujourd’hui que penser la reconstruction de manière globale et durable dès le lancement des opérations est le seul moyen de permettre à la population d’acquérir un niveau de résilience leur permettant de se reconstruire, non pas pour survivre mais bien pour vivre. Selon Jean-Daniel Rainhorn « La reconstruction physique des immeubles et des maisons écroulés ne serait alors que l’un des éléments – le plus immédiatement visible – d’un processus beaucoup plus vaste qui conduirait Haïti sur le chemin de la modernité.111 » En effet, bien que le terme d’architecture d’urgence renvoie principalement à l’intervention à l’échelle de la famille et du logement, les besoins s’étendent bien au-delà. L’urbanisation spontanée et accélérée qui fait des villes de véritables cauchemars urbanistiques créée de réelles carences en termes d’urbanisme et vient imputer à la capacité de résilience des sinistrés avec la création de milieux de très forte densité et la disparition des espaces publics qui empêchent les habitants de la ville et du quartier de se rencontrer et par voie de conséquence 111 Rainhorn et aI. Op. cit., p. 29. 165


accroit la violence dans un contexte déjà vulnérable. Outre les projets d’habitat il s’agit donc de penser des espaces publics et communautaires. Le travail des espaces et des lieux publics vise de ce fait à améliorer la qualité de vie d’un quartier et représente un véritable enjeu pour la cohésion communautaire au sein de celui-ci. De cette manière il est important de garder à l’esprit que le travail sur les infrastructures publiques comme investissement communautaire représente un enjeu fondamental dans le processus de résilience post-catastrophe. Il ne s’agit plus de percevoir l’espace public simplement comme une valeur ajoutée dans le contexte post-désastre mais comme un investissement indispensable au bon fonctionnement de la ville. D’autre part, au sein du processus de reconstruction d’une population constituée majoritairement de jeunes, les premiers efforts devraient être portés vers la mise en place de formations basées sur la gestion des risques et les changements climatiques. Favoriser la résilience par l’éducation des jeunes générations permet ainsi de limiter l’exode des jeunes en soif de savoir et incite ainsi ces nouvelles intelligences à se pencher sur le développement de leur pays. Suite à ces recherches et face à ces constats les questions que nous nous posons alors sont les suivantes : Quand passer à autre chose ? À partir de quand l’intervention d’urgence s’élargit-elle à l’échelle de la ville plutôt que de la famille ? Dans quelle mesure est-il possible d’intégrer le loisir en ville après une catastrophe de l’ampleur de celle du séisme de 2010 à Port-au-Prince ? Car il s’agit désormais, neuf ans après le grand séisme d’aller au-delà du fonctionnel et de focaliser son énergie sur la phase de post urgence, soit non plus aider les sinistrés à se relever 166


mais aider les habitants à anticiper et à vivre avec leur ville. « Il n’y a pas de fatalité historique, malgré une succession incroyable de catastrophes politiques, sociales ou naturelles, la société haïtienne est vivante et capable de rebondir […].112 »

112 Rainhorn. Op. cit., p. 26. 167


- TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS AVANT PROPOS INTRODUCTION

Etat du savoir Problématique Méthodologie adoptée pour l’étude

4 6 10 16 22 24

I – L’ARCHITECTURE D’URGENCE DANS LE TEMPS ET À TRAVERS LE MONDE

26

QUI ET COMMENT ?

30

-Une nouvelle facette de l’architecture -La place de l’architecte dans la reconstruction

32 35

DES ARCHITECTURES POUR DES CULTURES

40

-Architectures situées -Standardisation des modes de construction dans le monde -Mise en valeur et transmission des savoirs locaux

42 45 50

DU PROVISOIRE AU DURABLE

54

-Les risques du temporaire -Vers une pérennité des interventions

56 58

II - HAITI EN URGENCE PERMANENTE

62

UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE

66

-Une série de catastrophes sans fin -Un contexte générateur de vulnérabilité dans un cadre non règlementé : le 12 janvier 2010 une catastrophe prévisible ? -Port-au-Prince, capitale de Haïti ou cauchemar urbanistique ? 168

68 71 76


LA SCENE HAÏTIENNE AU LENDEMAIN DU SÉISME

-État des lieux au lendemain du 12 janvier 2010 -« L’après » 2010 à Port-au-Prince

LES OUTILS DE LA RECONSTRUCTION

-Richesse des Cultures constructives locales en Haïti -Techniques de Constructions Locales Améliorées -La société civile, le peuple haïtien

82 84 90

92 94 104 112

III – LA PLACE PUBLIQUE DANS L’URGENCE : L’URBANISME D’URGENCE

116

CARACTÉRISTIQUES D’UNE URBANISATION NON PLANIFIÉE

120

-Défaillance des services urbains : répondre aux besoins de base -De l’absence des espaces publics au manque d’infrastructures

122 128

ÉQUIPEMENTS ÉDUCATIFS ET CULTURELS AU SEIN DU PROCESSUS DE RESILIENCE

134

-Le loisir en opposition à l’urgence ? -L’éducation au centre du processus de résilience

L’AMÉNAGEMENT DE QUARTIERS FAVORABLES À LA VIE COLLECTIVE -Reconstruire le quartier par et pour ses habitants -Le cas de la place Tapis Rouge

136 139

142 144 146

CONCLUSION

164

BIBLIOGRAPHIE CORPUS ICONOGRAPHIE

170 178 184

Rencontrer les bonnes personnes, au bon endroit, au mauvais moment

188 169


- BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES: Coulombel (Patrick), architectes de l’urgence, un nouveau métier de l’humanitaire, Paris, L’Harmattan, 2007. Esther (Charlesworth), Humanitarian architecture, 15 stories of architects working after disaster, Abingdon, Routledge, 2014. Collectif, Habiter le campement, Coédition Acte Sud / Cité de l’architecture & du patrimoine, 2016. Lahens (Yanick), Failles : récit, Sabine Wespieser Eds, 2017. Œuvre collective sous la direction de Rainhorn (Jean-Daniel) (dir.), Haïti, réinventer l’avenir, Coédition de Éditions de la Maison des sciences de l’homme à Paris et Éditions de l’Université d’État d’Haïti à Port-au-Prince, 2012. Collectif, Haïti parmi les vivants, Acte Sud, 2010. Laferrière (Dany), Tout bouge autour de moi, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2011. Belaski (Yahia), Haïti, en lettres et en images, Paris, Megallan & Cie, 2014.

170


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- ICONOGRAPHIE (Fig. 1) Illustration : Marie-eve Kuntz (Fig. 2) Photographie : United Nations Development Programme Source : https://www.flickr.com/photos/unitednationsdevelopmentprogramme/4274634444/in/photostream/ (Fig. 3) Photographie : ENSAS Source : https://www.strasbourg.archi.fr/events/abri-durgence-une-architecture-minimum (Fig. 4) Illustration : Marie-eve Kuntz (Fig. 5) Illustration : Alisa Burke Source : https://www.shopalisaburke.com/collections/coloring-pages/ products/neighborhood-and-cities-5-coloring-pages-1 (Fig. 6) Photographie : Green Leafy Lady Source : http://greenleafylady.com/2018/08/14/three-months-in-srilanka/ (Fig. 7) Illustration : Marie-eve Kuntz (Fig. 8) Photographie : United Nations Development Programme Source : https://www.flickr.com/photos/unitednationsdevelopmentprogramme/4274633152/in/photostream/ (Fig. 9) Illustration : Marie-eve Kuntz (Fig. 10) Photographie : U/loulan Source : https://i.redd.it/kysp3gi8b5my.jpg (Fig. 11) Photographie : United Nations Development Programme Source : https://www.flickr.com/photos/unitednationsdevelopmentprogramme/4274632760/in/photostream/ (Fig. 12) Illustration : ColorPageForMom 184


Source : https://i.pinimg.com/736x/65/b5/e1/ 65b5e19916548a227644f39777610cdb.jpg (Fig. 13) Photographie : United Nations Development Programme Source : https://www.flickr.com/photos/unitednationsdevelopmentprogramme/4274634000/in/photostream/ (Fig. 14) Illustration : Educol Source : https://www.educol.net/coloriage-puzzle-i29083.html (Fig. 15) Photographie : Visual Geography Source : http://www.visualgeography.com/pictures/haiti_2_6.html (Fig. 17) Photographie : Luc Marc Source : https://www.flickr.com/photos/lucmarc/16781123195/in/ photolist-ryTDhg-tTG6w-qK3K1G-7vUN3n-btPhV4-qtgNid-qYB5oa7vrPMr-bFpsCZ-7zfhDt-baVEcR-dK4iVG-e4uqGc-uq5pr-qnFvRU7vFUbi-4iFmvo-4GQj2E-7w5vWH-4sAkK2-7yXfxi-a5VziX-f41ghMf5hG5S-7xiqPX-q6CeBu-b2gvrM-dZiQt4-7vzz83-qzRCZ2-dAp83Y2cXAqer-qyGuBA-7zf5zU-qwS9nh-bnJR7g-6MBCr8-qtAPzJ-dvs1S77vttwV-7U8X5M-e4ckJS-7vfmzb-7x2c1D-aWaS4K-b7fiJK-7NxP4h-daMeMu-rc2Jhz-JHzPoX (Fig. 18) Photographie : Lëa-Kim Châteauneuf Source : https://www.flickr.com/photos/lea-kim/28609131837/ in/photolist-75rUFB-75wj2d-B5pvbE-diaFpB-BZBmNs-EbQNJBE9vPmu-jdsEuF-p6F658-p4RDvN-fWwkXK-cegwUC-6MnJAe-75F8dr75K5BA-75Favk-2sbnxi-75w1NS-8haVkV-ePzt2G-BtpdGe-BSjBiG7znwjg-KA6haK-26vN3DC-26vN28G-568hR1-27TBFcV-27TBEvV-5645Hg-26vN2Db-E3Zkbs-27TBFGH-27TBC6p-27TBDWP27TBHax-26vN35m-27TBGkM-28bdZkm-27TBAvv-28be1kC-28be3gw-27TBCTB-JWLbsL (Fig. 19) Photographie : Kettie Jean Source : https://archive.org/details/PlaquetteHaiti2018/page/n55 (Fig. 20) Photographie : CRAterre Source : https://archive.org/details/PlaquetteHaiti2018/page/n65 (Fig. 21) Photographie : Brasilisnet 185


Source : https://www.flickr.com/photos/158802252@ N05/43762291564/ (Fig. 22) Illustration : Edgar Bak Source : https://youtreau.tumblr.com/post/128928946948/edgar-bąk (Fig. 23) Photographie : u/coolmandan03 Source : http://i.imgur.com/PLdJX8Y.jpg (Fig. 24) Photographie : Vision Carto Source : https://www.flickr.com/photos/visionscarto/15390342359/ in/photolist-f41ghM-2eRETMS-LQVgYe-pJxSTN-pJeHcP-prZwAkprYWu4-QAo2hp-2emGppZ (Fig. 25) Illustration : Edgar Bak Source : https://www.pinterest.fr/pin/342836590360973742/visualsearch/?x=16&y=16&w=526&h=666 (Fig. 26) Illustration : Marie-eve Kuntz (Fig. 27) Photographie : EVA Studio Source : http://www.evastudio.co.uk/tapis-rouge (Fig. 27) Ibidem. (Fig. 28) Ibidem. (Fig. 29) Ibidem. (Fig. 30) Ibidem. (Fig. 31) Ibidem. (Fig. 32) Ibidem. (Fig. 33) Photographie : Julien Ganthier Source : https://www.facebook.com/jeunesseen.developpement

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Rencontrer les bonnes personnes, au bon endroit, au mauvais moment Embarquée dans un élan soudain, motivé par le mémoire de Master, je me retrouve actuellement assise dans cet avion, installée à côté de Jean-Marie Théodat, maître de conférence à l’Université Panthéon-Sorbonne, membre de l’association Haïti Futur et ancien directeur de la mission de l’AUF en Haïti. Les Quelques huit heures de vol qui séparent Haïti de la France nous ont offert huit heures de discussion autour de Haïti, son contexte, sa force, ses exploits, ses échecs et son potentiel futur. Huit heures au bout desquelles j’ai la chance d’être invitée à l’université de Port-au-Prince pour pouvoir échanger avec les étudiants de la section urbanistique spécialisée dans le processus de résilience des sinistrés suite à une catastrophe naturelle. C’est donc pleine d’entrain que je pose pour la première fois le pied sur le territoire Haïtien. Très vite et très bien accueillie par Julien, mon seul et unique contact en Haïti, je profite de la rencontre avec la grande famille de ce dernier pour échanger sur mes premières impressions, pour poser toutes les questions qui me trottent dans la tête depuis plusieurs mois et pour en apprendre tout simplement plus sur cette culture qui, dès le premier abord, diffère bien de la mienne. Tout s’organise et se goupille très bien, une semaine au sein de l’association à Pétion-Ville dans Port-au-Prince et une semaine de rencontre avec l’association TECHO Haïti, les habitants du quartier de la place Tapis Rouge et les étudiants de l’université d’urbanisme de Port-au-Prince. Mais très vite on me met en garde « ici en Haïti, tout est compliqué, tu verras ! ». Beaucoup d’informations, beaucoup d’émotions, c’est avec le sentiment de bien commencer mes recherches relatives au mémoire que j’entame ma première nuit. « Tu vois je te l’avais dit… » Julien disait vrai, en Haïti tout semble compliqué. Dès mon deuxième jours en Haïti, mercredi 6 février, les haïtiens lancent une grève pour la démission du président Jovenel Moise. Les routes sont bloquées et les établissements fermés. Une semaine plus tard, mercredi 13 février, les routes sont encore bloquées, les voitures brulées, 188


les commerces pillés, les habitants cachés et les ressortissants étrangers rapatriés. Pas de visite à l’association, pas de rencontre à l’université et impossible de se rendre sur la place Tapis Rouge. Cela fait une semaine que nous sommes ici, dans cette maison, au fond de cette cour. Les denrées deviennent de plus en plus difficiles à trouver, Port-au-Prince ne peut plus être alimentée par les provinces et il est dangereux de sortir au marché. Si la situation, bien que quasiment non médiatisée en France, apparait alarmante, les haïtiens eux, font preuve d’une capacité d’adaptation, qui je dois le dire, m’a longtemps sidéré. « C’est pas grave on verra demain, ça ira peut-être mieux, sinon la semaine prochaine, on verra… ». Assise au fond de cette cour, à compter les jours avant mon retour en France et inquiète quant à la possibilité de me rendre à l’aéroport, je prends doucement conscience de ce fossé culturel. Paradoxal, frustrant et déroutant mais finalement qui suis-je pour me plaindre ainsi dans un contexte où les gens autour de moi doivent quotidiennement faire face à ce type de situation ? Ces personnes qui vivent 365 jours de l’année dans des conditions précaires et qui malheureusement ne disposent pas comme moi d’un billet d’avion leur permettant de s’extirper de ce chaos quand cela devient trop compliqué. Car oui, pendant que certains Haïtiens tentaient tant bien que mal de se rendre dans un centre de soin pour se faire soigner, mais qui, finalement qui se retrouvent là, dans cette cour, bloqués par les manifestants, dans l’obligation d’attendre simplement, des ressortissants étrangers se font rapatrier vers les aéroports et vers leur pays… Si je suis bien consciente que ma présence ne changera rien aux évènements qui se déroulent actuellement en Haïti, n’est-il pas égoïste de se faire déposer à l’aéroport par ces gens qui ont su m’accueillir malgré les circonstances et qui, une fois la porte de la voiture claquée, retournent à leur quotidien, dans l’espoir que demain sera une journée plus calme ? » Marie-eve Kuntz, au fond de la cour à Port-au-Prince, 13 février 2019. 189


Si ce mémoire peut sembler décrire la ville de Port-au-Prince de manière trop brutale et trop pessimiste, c’est peut-être dû à un manque de recul. L’expérience que j’ai eu l’opportunité de vivre en Haïti, trop courte je le conçois, est peut-être temporellement parlant encore trop fraîche, ces derniers mois ne m’ont pas laissé le temps de digérer, d’analyser et de prendre assez de recul quant à ces évènements. Je n’ai pas eu l’opportunité à proprement parlé de vivre la ville de Port-au-Prince, que je n’ai pu finalement qu’appréhender lors de mon aller-retour entre l’aéroport et la ville. C’est donc à travers ces brèves images de désolation, de rues vidées, de voitures brulées, et par les récits de ses habitants que je vous relate ma vision de cette ville. De même, si certains verront ma visite en Haïti comme un échec vis-à-vis de l’exercice du mémoire, l’état d’esprit que j’ai côtoyé sur place me pousse à désormais voir cette courte immersion comme une expérience extrêmement riche qui m’a sans doute aussi beaucoup influencé dans la rédaction de mon mémoire, dans le choix de mon sujet de projet de fin d’étude et de manière plus générale dans ma manière de penser.

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ENSAS 2018-2019

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Marie-eve Kuntz Reconstruire la ville dans l’urgence Le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 la capitale de Portau-Prince en Haïti, généralement agitée et bruyante, a subitement cessé de fonctionner. Neuf ans après le séisme dévastateur et les crises qui ont suivi, la ville cherche toujours à se reconstruire. Faut-il remettre en état très vite pour réduire la souffrance des populations ou améliorer la situation afin de limiter les risques et d’éviter de recréer les conditions qui ont conduit à la crise ? Si la reconstruction d’une ville après une catastrophe passe par la reconstruction d’un toit pour chaque foyer n’est-il pas tout aussi important de penser en parallèle les espaces publics ? Une ville sans âme permet-elle à ses habitants d’entamer un processus de résilience post-catastrophe ?


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