Le Jésus de l’histoire, un Juif marginal ou réformateur ? Journées du protestantisme libéral, La Grande Motte, 8-9 àctobre 2011, par Christian-B. AMPHOUX, Montpellier Introduction Je commencerai par cette citation d’Alfred Loisy, au début de son petit livre Jésus et la tradition évangélique, paru en 1910, soit il y a exactement un siècle : « Il faut maintenant renoncer à écrire la vie de Jésus. Tous les critiques s’accordent à reconnaître que les matériaux font défaut pour une telle entreprise1. » Le XXe siècle n’a pas fait de progrès dans la quête du Jésus historique ; mais à l’approche de l’an 2000, les questions venant du public se sont multipliées, et les livres scientifiques aussi : ils confirment que l’on ne sait à peu près rien du Jésus de l’histoire, sinon qu’il a bien existé, qu’il est donc né et mort, comme le disait déjà Albert Schweitzer, au tout début du XXe siècle. Mes recherches m’amènent à d’autres conclusions. En travaillant d’abord sur l’histoire du texte des évangiles à partir des manuscrits, comme chercheur au CNRS, puis sur l’histoire de leur rédaction, enfin en atteignant l’histoire de Jésus, je me suis intéressé à l’existence d’un deuxième sens du texte évangélique, mieux conservé dans le « texte occidental », autrement dit dans son principal témoin, le Codex de Bèze, mais encore perceptible dans les autres manuscrits. Le deuxième sens est attesté par Origène2, et il est commenté au Moyen Âge par Thomas d’Aquin, qui le qualifie de sensus rerum, autrement dit « sens historique »3. Ce sens n’est pas une exégèse, mais une intention de l’auteur ou du rédacteur. Il ouvre ainsi une porte nouvelle pour la quête du Jésus de l’histoire, et c’est le chemin dans lequel je me engagé pour mettre à jour la connaissance de la vie de Jésus. Je vous propose de distinguer ainsi trois points : (1) les acquis de l’histoire de Jésus, à l’aube de l’an 2000 ; (2) une présentation de cette approche nouvelle du texte évangélique que je pratique ; (3) les premiers résultats de cette approche nouvelle, concernant le Jésus de l’histoire. Nous ferons enfin le point en conclusion. 1. Les acquis de l’histoire de Jésus La naissance Jésus est né vers l’an – 6, peut-être à Bethléem, plus probablement à Nazareth, dans une famille d’artisan installée dans ce village de Galilée. Plusieurs questions se posent aussitôt : (1) le recensement que Luc associe à la naissance at-il eu lieu en – 6 ? (2) Comment Jésus, dans cette famille modeste, a-t-il eu accès aux études, 1
G. Mordillat – J. Prieur (éd.), Alfred Loisy, Paris, Noèsis, 2001, p. 339. Origène, Traité des principes, spécialement 4,2,9 : « La Sagesse divine a fait en sorte de produire des pierres d’achoppement et des interruptions, dans la signification du récit historique, en introduisant au milieu des impossibilités et des discordances ; il faut que la rupture dans la narration arrête le lecteur, afin de lui refuser le chemin…, de nous repousser et de nous chasser pour nous ramener au début de l’autre voie : ainsi peut s’ouvrir, par l’entrée d’un étroit sentier débouchant sur un chemin plus noble et plus élevé, l’espace immense de la science divine » (trad. M. Harl – G. Dorival – A. Le Boulluec, Paris, 1976, p. 224-225). 3 P. Grelot, Le langage symbolique dans la Bible, Paris, Cerf, 2001, p. 199. 2