MNHA |De Mena, Murillo, Zurbarán (Plaquette technique)

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E R I O T S E I T L H L ’A R NTA E E D ÉRIM P X E

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REMERCIEMENTS À Michel Polfer pour sa confiance et son soutien dans ce projet ainsi qu’aux propriétaires des sculptures en dépôt au MNHA pour m’avoir permis de travailler sur leur collection. À Lola Blanca pour la fabuleuse discussion technique qu’on a eue à Grenade. Les extraits de son doctorat, publiés à l’occasion des expositions rétrospectives de Malaga et de Grenade, sont une source précieuse pour les connaissances matérielles de l’œuvre de Pedro De Mena. À toute l’équipe technique du MNHA pour leur aide matérielle et leur soutien. Je tiens à remercier spécialement Robi Savini et Lotte Maue. À l’équipe du CHdN sous la direction de Claude Scholtes, pour leur enthousiasme à intervenir dans le projet par l’imagerie médicale. Merci pour leur disponibilité et le partage de leur savoir-faire. À Axel Wieland pour son aide précieuse lors de la réalisation des plaquettes, mais aussi pour sa disponibilité et ses conseils tout au long du projet. À Dan Schank pour sa complicité et son regard de vidéaste et de photographe qui ont permis d’illustrer mes propos. À Domi Driesmans pour sa relecture et ses critiques redoutables.

2 | HISTOIRE DE L’ART EXPÉRIMENTALE


SOM

E R I MA

INTRODUCTION

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LE SUPPORT

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LA PRÉPARATION

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LA POLYCHROMIE

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LES RECONSTRUCTIONS DE POLYCHROMIE

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LES TECHNIQUES D’EXÉCUTION •Les peintures opaques •Les glacis •Les décors à la pointe du pinceau •Les dorures •L’Estofado

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LES MATIÈRES ET MOTIFS •Le corps humain Les carnations La carnation polie selon Pacheco La carnation mate selon Pacheco Les cheveux •Les imitations de textile Les unis Le bleu du manteau de la Vierge Le rouge de la cape de l’Ecce Homo La moire – un faux uni Les décors tissés Le damas Le brocart Les tissus structurés La toile de bure Le piqué, type reps ou ottoman Les bordures La dentelle au fuseau Le blackwork Les orfrois

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LES POSTICHES

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CONCLUSION

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LA SCULPTURE POLYCHROMÉE BAROQUE EN ESPAGNE À L’EXEMPLE DE PEDRO DE MENA Y MEDRANO | 3


O R T IN TION DUC

INTRODUCTION De janvier à octobre 2020, le MNHA présente une exposition d’art espagnol baroque : De Mena, Murillo, Zurbaran – maîtres du baroque espagnol. Celle-ci comprend, entre autres, huit sculptures en bois polychromé de l’un des grands maîtres de cet art : Pedro De Mena y Medrano (1628-1688). L’étude technologique de ces œuvres vise à faciliter leur médiation. Pour cela, la recherche s’est organisée autour de plusieurs axes : les observations sur l’original, l’étude de la littérature scientifique analysant supports et prélèvements de couleurs et la consultation des sources technologiques de l’époque. Le recueil le plus connu pour l’art ibérique est certainement L’art de la peinture de Francisco Pacheco, publié en 1649 en trois volumes. Les deux premiers sur la théorie de l’art, le troisième sur sa pratique. Ce dernier traite des différents domaines de l’art comme le dessin, la peinture de chevalet, la sculpture polychromée… L’approche didactique, concrète et pratique, en fait un vrai livre de recettes. Outre des concepts théoriques, ce type de littérature décrit les matériaux à utiliser et leur mise en œuvre. Mais les descriptions se basent sur des pré-connaissances du métier partiellement oubliées aujourd’hui. Ainsi, elles ne donnent pas de proportions exactes, mais décrivent les quantités par des termes comme « pas trop fort », « un peu », « grossier »… De plus, le vocabulaire désuet laisse beaucoup de marges d’interprétation. En utilisant des principes de l’archéologie expérimentale, le but de notre étude est de participer à la connaissance d’un type d’œuvres, au-delà des limites de la recherche théorique et de la déduction. Les techniques utilisées pour produire un effet déterminé ou le temps nécessaire à leur élaboration peuvent ainsi être expérimentés. L’intérêt se focalise surtout sur l’aspect technique de la polychromie via des essais de reconstruction de plusieurs types de finitions récurrentes chez l’artiste. Cet essai ne se veut pas exhaustif, le but étant de comprendre la richesse des décors et leur exécution, mais en aucun cas de classifier toute l’œuvre polychromée du sculpteur. Le projet de technologie expérimentale doit permettre au visiteur de visualiser les processus de fabrication à travers des plaquettes de décors et de courtes vidéos sur leur genèse. Il vise aussi à faire comprendre la complexité des matériaux mis en œuvre ainsi que le raffinement original de la sculpture baroque espagnole.

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LE PORT SUP

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Plusieurs analyses d’œuvres publiées ont démontré que les essences de prédilection de Pedro De Mena étaient le pin et le cèdre, avec une préférence pour le premier. Il s’agit d’assemblages de multiples morceaux de bois collés, cloués et/ou chevillés. L’orientation et la coupe des morceaux de bois doivent contrecarrer le mouvement naturel du support afin de minimiser les fissures et déformations. La surface est en général très bien finie et poncée. Les têtes et les mains peuvent être sculptées à part puis insérées dans le corps.

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Pedro de Mena, Saint François d’Assise, collection privée en dépôt au MNHA

Le recours aux assemblages permet de pousser l’expressivité de la forme. Il peut s’agir d’une greffe de mèches de cheveux taillées à part et clouées sur la tête pour former des cascades (Ecce Homo, Christ enfant…) ou des pans de drapés qui semblent s’envoler, créant des volumes positifs et négatifs (Immaculée Conception). L’artiste multiplie ainsi les possibilités de jeu d’ombre et de lumière.

Téléradiographies et scans montrant l’assemblage des différentes pièces de bois autour d’un noyau creux.

De Mena profite de ses assemblages pour inclure d’autres matériaux servant sa démarche d’augmentation du réalisme. Ces postiches peuvent être appliqués avant ou après polychromie. Il peut s’agir de cordes pour les ceintures, de verre pour les yeux, d’ivoire pour les dents ou encore de vrais cheveux pour les cils, sans que cette liste ne soit exhaustive.

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L A PA R PRÉ

N O I AT

La préparation du support pour recevoir la finition peinte est soit le travail du sculpteur, soit celui du polychromeur. En Espagne, comme en règle générale dans les pays au sud des Alpes, la préparation des supports bois se fait avec de la colle animale (os, peau, gants, parchemin…) à base de protéines et de sulfate de calcium, le Gesso. Un premier encollage fait de colle animale, éventuellement additionné d’un agent mouillant comme l’ail, isole le support. La colle est fabriquée à partir de plaques de colle sèche mises à gonfler dans l’eau et puis dissoutes à chaud.

La préparation proprement dite Cette couche blanche est est composée de sulfate de minutieusement reparée au fer, calcium tamisé dans la même raclée et poncée. Ancien nement colle. Il s’agit de plâtre mort cette étape se faisait avec de la appelé communément blanc pierre ponce, de la prèle, de l’os de Bologne. Les passages de seiche ou encore des formes seront fins, d’abord en en bois. Souvent le ponçage tamponnant, puis en tirant la passait par une phase humide préparation avec une brosse qui permet de reboucher plate. Les premières couches d’éventuelles petites imperfec– les traités en conseillent en tions dans la surface. L’enduit règle générale trois – présentent sert de base claire et d’accroche une mouture plus grossière et pour les couches de finitions, une matière moins raffinée. mais aussi comme une couche Elles sont souvent légèrement tampon entre les mouvements colorées en gris ou en brun. du bois et la couche picturale. Comme les supports de De Mena 8 sont parfaitement finis, il réduit généralement ce Gesso grossier à une seule couche. Les trois couches suivantes – sont plus pures, plus fines et plus lisses.

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Pour les objets tridimensionnels une étape complémentaire au ponçage peut être nécessaire. La reparure de la couche de préparation sert à désengorger les creux des formes.

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Application de la préparation.

Application d’une isolation à la colle sur le support.

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La préparation reçoit une isolation pour qu’elle n’absorbe pas le liant des couches de peinture qui vont suivre. Chez De Mena, il s’agit la plupart du temps d’un simple encollage. Il peut éventuellement être chargé d’un peu de sulfate de calcium ou de blanc de plomb. Les enduits peuvent aussi recevoir, comme en peinture de chevalet, une couche d’impression à l’huile.


Couche de colle, éventuellement teintée (5)

Couche d’impression blanche ou teintée à l’huile (6)

Isolation (5 + 6)

Ponçage (4) Gesso fin (colle de peau, sulfate de calcium à mouture fine – blanc de Bologne) blanc – en plusieurs couches (3) Éventuellement niveller Gesso grossier (colle de peau, sulfate de calcium + impuretés ou pigments) grisâtre – en plusieurs couches

Préparation (3 + 4)

Encollage (+ ail)

Encollage (2)

Bois, assemblage

Support (1)

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10.a

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11.a

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De gauche à droite : support (9.a), encollage (9.b), préparation en plusieurs couches (10.a), ponçage (10.b), isolation à la colle (11.a), couche d’impression blanche à l’huile (11.b).

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L A YC H POL

E I M RO

Traditionnellement, les deux phases du travail, sculpture et polychromie, sont exécutées par deux corps de métiers différents : le tailleur d’images et le peintre-doreur. Ils sont regroupés dans des corporations distinctes, celle des menuisiers et celle des peintres. Pedro De Mena a touché à ces deux métiers dans l’atelier de son père. En travaillant avec Alonso Cano, peintre et sculpteur, il va continuer à côtoyer ces deux professions. Même si très peu de choses sont connues sur la répartition du travail dans l’atelier de De Mena, il est avéré que le sculpteur était entouré de peintres capables de réalisations de haut niveau à qui confier la finition de ses travaux. Pourtant, maintes œuvres témoignent d’une conception originale incluant déjà les finitions de surfaces. Des motifs récurrents entre la période grenadine et malaguène semblent confirmer la direction du sculpteur jusqu’à la phase de peinture. En comparant les résultats des différentes études et analyses menées sur des œuvres de Pedro De Mena, on constate l’utilisation d’une palette et de techniques relativement constantes pendant les différentes phases de son travail.

LES R ECO N ST R U C T I O N S D E P O LYC H R O M I E S Deux séries de reconstructions ont été réalisées pour la présente étude. Celles-ci constituent le matériel didactique pour la médiation des techniques pendant l’exposition. La première séquence test est formée de plaques carrées en latté de 13 x 13 cm. Elle sert à montrer, couche par couche, les différentes étapes d’une technique en laissant une portion de chaque strate visible. Les plaquettes sont séparées en couches préparatoires (y compris la dorure) et couches de finitions. Une seconde série, assez complexe et élaborée sert de base à des vidéos détaillant les gestes de production. Elle est aussi censée illustrer l’effet d’une polychromie du 17 e siècle non vieillie. Il s’agit d’une part de plaques carrées en latté d’une dimension de 30 x 30 cm, surmontées d’un voile en bois tridimensionnel réalisé par contre-collage de trois couches de placage (merisier), mis en forme sous-vide sur moule pour représenter deux textiles superposés. D’autre part, nous avons produit des mains tridimensionnelles pour réaliser les carnations. Elles ont été moulées et tirées en plâtre teinté pour simuler des fragments de sculpture.

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Projet et réalisation de la plaque à polychromer.

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Deux approches auraient été possibles pour la classification de la polychromie de Pedro De Mena. L’une partant de la technique d’exécution, l’autre regroupant les décors, matières et motifs. Pour le présent travail, il nous a semblé plus intéressant de choisir la seconde car dans l’œuvre du sculpteur, l’expression de la polychromie, en tant que complément pictural de la surface, semble plus importante que le moyen de produire l’effet. L’artiste va en effet utiliser différentes techniques pour imiter la même matière, comme par exemple le moiré. Il va même varier les méthodes pour réaliser un même décor sur la même sculpture.

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Moulage et tirages d’une main.

En amont de cette classification, il nous semble pourtant important de parler succinctement des techniques majeures utilisées par le sculpteur, afin que les lecteurs non spécialisés puissent suivre les procédés mis en œuvre par la suite.

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S E S U LE HNIQ ON I C T E U T C É X D’E LES PEINTURES O PAQ U E S Une peinture est un film composé d’un liant et d’une matière colorante, éventuellement augmentée d’une charge. Les matières colorantes, sous forme de poudre fine, sont incorporées dans le liant par broyage jusqu’à obtenir une pâte homogène. Le séchage du liant va former un film continu pour donner la couche picturale. La peinture va être opaque en fonction du ratio de liant par rapport à la matière colorante. Ces proportions dépendent du pigment utilisé. Différentes matières colorantes vont être plus couvrantes que d’autres. En fonction du résultat désiré, Pedro De Mena utilise des liants traditionnels, comme l’huile de lin ou de noix, des détrempes grasses (œuf ou colle animale additionnée d’huile), de l’œuf ou de la colle. Cette dernière trouve son application surtout pour les bleus. En utilisant le même pigment et en changeant le liant, la peinture peut avoir un aspect complètement différent. La plaquette de gauche (17) est réalisée avec du blanc de plomb, celle de droite (18) avec de l’outremer véritable. Les moitiés de gauche sont peintes à la détrempe à l’œuf, celles de droite à la colle de peau.

La gamme de couleurs utilisée se compose de pigments minéraux, naturels ou produits par manufacture, et de colorants organiques, généralement fixés sur une base minérale. La palette de base est composée de blanc de plomb, vermillon, minium, terres et oxydes de fer, garance et carmin, bleu outremer véritable, smalt, noir de fumée… L’artiste conservera la même palette tout au long de sa vie. Le bleu de smalt dans un liant mat est la couleur de prédilection pour ses manteaux de Vierges, comme le sont le vermillon et la laque rouge pour les tuniques de ses Ecce Homo. Dans sa phase malaguène, De Mena va utiliser de façon systématique la poudre d’or comme pigment pour les décors de textiles. De Mena va varier les modes d’application pour nuancer et moduler la matière représentée : à la brosse ou tamponné, lissé ou poli, chargé puis peigné ou appliqué par petites touches. Autant de méthodes pour donner de la texture ou la faire complètement disparaître et ainsi jouer avec les surfaces. Il va aussi innover en incorporant des poudres métalliques ou minérales dans ses mélanges pour donner du brillant ou du nacré. Différentes façons d’appliquer la peinture : à la brosse (19.a), tamponnée (19.b), lissée au blaireau (20.a), polie à la vessie d’agneau (20.b), peignée (21.a), par petites touches en relief (21.b).

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L E S G L AC I S Par glacis nous entendons une couche de peinture transparente, riche en liant et généralement brillante. Elle est posée en aplat sur une sous-couche colorée ou non, ou sur une feuille métallique. Elle peut être huileuse ou résineuse, voire une combinaison des deux. Chez De Mena les glacis sont essentiellement des tons rouges (carmin, bordeaux, rosé, orangé…) et quelquefois verts. La couche peut être appliquée au tampon ou à la brosse. En utilisant le même mélange de peinture sur des fonds différents, la couleur du résultat va fortement varier : sur un fond au blanc de plomb à l’huile (22.a), sur une feuille d’argent polie (22.b), sur une feuille d’or polie (23.a), sur un fond de vermillon à l’huile (23.b).

L’artiste utilise aussi une variante spécifique du glacis qui est le vernis or : couche jaune orangé transparente conférant une couleur dorée à la feuille d’argent. Pacheco précise pour cette variante qu’on peut l’utiliser avec un vernis oléo-résineux anobli avec un passage à l’urine. Ainsi elle peut servir de base à la technique de l’Estofado. Plaquette (24) montrant le résultat d’un vernis or (partie supérieure) sur une feuille d’argent mate (à gauche) et polie (à droite).


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S E S U LE HNIQ ON I C T E U T C É X D’E L E S D É CO R S À LA POINTE D U P I N C E AU

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Il s’agit de décors filigranes dessinés à main levée avec un fin pinceau. Ils peuvent être de tous types : opaques ou translucides, brillants ou mats. 25

Bordure filigrane dessinée en doré sur fond bleu. 27

Décor rouge sur laque rouge sur or tracé à main levée.

Une technique spécifique du décor à la pointe du pinceau est réalisée avec de l’or à la coquille. Il s’agit d’une fine poudre du métal précieux généralement lié à la gomme arabique et appliquée au pinceau en dessin linéaire. De Mena en usera pour les bordures filigranes des vêtements, mais aussi pour dessiner une trame de tissu.

Découpe au couteau à dorer de la feuille d’or posée sur le coussin à dorer en peau (27). Pastille de poudre d’or liée à de la gomme arabique.

LES DORURES Nous regroupons sous ce terme les finitions à la feuille métallique en général. De Mena utilisait aussi bien des feuilles d’or que d’argent. En polychromie, il s’agit bien sûr de dorures appliquées à froid sur un mordant. Chez De Mena on trouve en règle générale une assiette composée de bolus rouge. Cette argile, colorée aux oxydes de fer, finement broyée et liée avec une colle animale faible, est appliquée sur la préparation

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pour obtenir une surface lisse et polissable. La feuille métallique de quelques micromètres d’épaisseur est obtenue par martelage. Impalpable à cause de sa faible épaisseur, elle doit être posée à l’aide d’une palette à dorer en poils sur l’assiette ré-humidifiée pour la rendre collante. Après séchage, la feuille métallique est polie avec une pierre d’agate pour augmenter son brillant et lui donner de l’éclat. La feuille d’or peut aussi être utilisée sans polissage final, ce qui lui confère un aspect mat. Si l’assiette est polie avant la pose de la feuille, on obtient une surface avec un certain brillant se situant entre la feuille non polie et la feuille polie.

Pose de la feuille d’or (29). Polissage de la feuille d’or avec une pierre d’agate (30). À gauche : le bol rouge sert de sous-couche lisse et polissable à la feuille d’or (31.a). Il peut être poli avant la pose de la feuille (31.b). À droite : dégradé de brillance de la feuille d’or : posée sur bol non poli (32.a), posée sur bol poli (32.b), posée sur bol non poli (32.c) et poli après pose.

Les dorures peuvent être accompagnées de décors en relief. Ce type de décor est très limité dans l’œuvre de De Mena. Quelques exemples de fins poinçons pour des bordures de vêtements ou des ceintures sont connus.


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32.a

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S E S U LE HNIQ ON I C T E U T C É X D’E L’ E STO FA D O

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Les artistes espagnols vont développer une prédilection pour la représentation des textiles à décors sur fonds dorés. Plus ou moins complexe et étendue selon les siècles, cette décoration est probablement la caractéristique majeure de la polychromie de la péninsule ibérique. L’estofado est le terme générique pour ces décors sur revêtement métallique. Il peut varier à l’infini par ses matériaux utilisés ou les décors représentés. L’estofado est ainsi, à l’époque de De Mena, spécialement utilisé pour imiter des textiles à la mode. On distingue les motifs peints à la pointe du pinceau sur or et les sgraffites. Les premiers sont surtout utilisés pour des bordures ou plages à décors végétaux, grotesques ou figuratifs. Les seconds sont en général réalisés avec une peinture opaque sur feuille d’or ou d’argent polie. Il peut s’agir d’une couche unie ou rehaussée de décors. Il s’agit en général d’une détrempe à l’œuf. Des analyses sur l’œuvre de Pedro De Mena ont aussi révélé l’utilisation de peinture à l’huile pour les estofados. Cette peinture est ensuite gravée une fois sèche pour redécouvrir l’or sous-jacent. La gravure se fait avec un stylet en bois dur ou en os.

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Le fond blanc recouvrant la feuille d’or polie reçoit d’abord un motif peint à main levée avant d’être gravé pour faire ressortir l’or.

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Réalisation d’un sgraffito blanc sur fond doré. La peinture blanche recouvrant la feuille d’or est gravée pour laisser apparaître la sous-couche métallique.

L’utilisation de l’estofado va fortement évoluer dans l’œuvre de De Mena. Pendant sa première période de création, l’artiste utilise cette technique à profusion pour des bordures décorées de fleurs et de motifs végétaux dessinés à la pointe du pinceau et des drapés rehaussés de sgraffites très riches et délicats. Ensuite, sous l’influence de Cano, il va radicalement simplifier ses polychromies et tendre vers l’uni. L’estofado sera réservé aux robes de ses immaculées ou pour une commande ecclésiastique importante.


LES IÈRES M AT O T I F S ET M 35

L E CO R P S HUMAIN LES C A R N AT I O N S Dans le baroque espagnol, la technique de la carnation va évoluer d’une représentation polie vers une exécution mate. Les chairs mates sont réputées mieux imiter la réalité que les chairs polies qui continueront pourtant à être utilisées, surtout pour les sculptures processionnelles. Elles reviendront en force au 18 e siècle. Les carnations de Pedro De Mena sont huileuses, en général à l’huile de lin. Les pigments de base sont du blanc de plomb et du vermillon, comme décrit dans les traités historiques. Les rehauts se font au vermillon et au carmin pour les femmes et les enfants. Pour les pénitents et les vieillards, le ton de base est additionné d’ocre et de terre rouge avec des rehauts au vermillon, ocre rouge et à l’ombre additionnés éventuellement de bleu et de noir. Si au début de sa carrière De Mena emploie des carnations vives et rosées, polies à semi-brillantes, les auteurs s’accordent pour dire que sous l’influence de Cano, il va s’orienter vers des tons chairs plus nuancés, d’apparence mate ou mixte. Les textures seront fondues jusqu’à être effacées dans différents exemples. Les rehauts seront tout en demi-teintes et nuancés.

Pedro De Mena, Saint Jean 1652-1658, église du couvent de Saint Antoine le Grand de Grenade (avec yeux en verre).

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LE PS R O C N I A M U H

Polissage dans le frais avec du cuir de gants ou des vessies d’agneaux, pré-mouillés dans de l’eau pendant deux jours. Utilisation sur un doigt ou le bout d’un manche de pinceau pour arriver dans les creux. Le brillant fait disparaître les défauts de la sculpture.

Polissage

Détails, fondus dans le frais (joues, plis cutanés), mais aussi yeux et cils / sourcils à la pointe du pinceau Carnation au blanc de plomb lié à l’huile et coloré au vermillon, éventuellement d’autres pigments pour nuancer la teinte en fonction des personnages représentés (terres, noir, bleu…), application à la brosse sans lissage

Carnation

Couche d’impression, blanc de plomb lié à la colle protéique (colle de gant) en 1 ou 2 couches

Couche d’impression

Ponçage Gesso fin blanc (colle de peau, sulfate de calcium à mouture fine – blanc de Bologne) Niveller Gesso grossier grisâtre (colle de peau, sulfate de calcium + impuretés ou pigments)

Préparation

Encollage (+ ail)

Encollage

Bois, assemblage

Support

La peinture à l’huile appliquée à la brosse dure est polie à l’eau dans le frais à l’aide d’une vessie d’agneau ou d’un morceau de cuir de gants pré-mouillé. Les vessies d’agneaux sont nettoyées et mises à tremper dans l’eau. On utilise l’intérieur de la vessie pour le polissage. La vessie est passée sur le doigt ou les poils d’une brosse et passée en mouvements circulaires sur la peinture à l’huile encore fraîche. Le détrempage à l’eau empêche la peinture de coller à la vessie. Le passage répété estompe complètement les traces de pinceau et enrichit la surface de peinture en liant, et forme un fil d’exsudation qui sèche en une couche très lisse. Il en ressort une matière brillante comme émaillée. 36

La carnation polie d’après Francisco Pacheco

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Le polissage se fait avec une vessie d’agneau.

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Pacheco relate dans L’Art de la peinture que cette technique est passée de mode au milieu du 17 e siècle et n’est à utiliser que pour des sculptures de moindre qualité, le brillant du poli cachant les imperfections : « Dieu dans sa miséricorde, a bien voulu bannir de ce monde ces assiettes émaillées, afin d’introduire les carnations mates, mieux conçues et plus agréables ». Il sera d’ailleurs un fervent défenseur de ces carnations mates plus réalistes. Avec ses pratiques, qu’il dit utiliser depuis 1600, il va influencer toute une génération d’artistes. La carnation mate est à réaliser sur de bonnes sculptures à surface parfaitement finie. On peut alors économiser plusieurs couches de préparation. La surface du bois est poncée avant l’encollage. Un second ponçage après l’isolation diminue le grain avant de poser la préparation réalisée directement au Gesso fin. Outre sa ressemblance prononcée à une vraie carnation, la technique mate permet aussi de retoucher le travail sans voir de raccords.

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La carnation est appliquée à la brosse en fondant les rehauts rosés des articulations. Un blaireau en éventail doux estompe les traits de pinceaux jusqu’à presque les effacer.

Pedro De Mena, Saint-Jean-Baptiste, collection privée en dépôt au MNHA

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LE PS R O C N I A M U H Après le séchage : vernir les yeux au blanc d’œuf (s’ils ne sont pas en verre)

Pour ses Ecce Homo, De Mena utilise cette technique en plusieurs couches, incluant des zones de couleurs vives rouges et bleues entre des couches de couleur chair pour représenter les ecchymoses. Des coulures et giclures de sang complètent le tableau. Elles sont en général réalisées en deux tons rouges superposés, l’un opaque et l’autre à base de laque et donc transparent.

Carnation en deux ou plusieurs phases

Phase 2 : comme la phase 1 en modelant les détails Après séchage : ponçage fin Phase 1 : Une nuance de couleur chair plus foncée comme transition vers les cheveux ou la barbe Rehauts : travaillés dans le frais avec du vermillon ou du carmin (enfants et Vierges), de l’ocre foncé et du vermillon pour des teints plus halés Ton de base à l’huile : blanc de plomb additionné de vermillon pour les enfants et Vierges, plus de l’ocre et de la terre rouge pour les vieillards et pénitents

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Couche d’impression à l’huile, couleur chair claire. Blanc de plomb additionné d’un peu de litharge ou minium comme siccatif

Couche d’impression

Ponçage Gesso fin blanc (colle de peau, sulfate de calcium à mouture fine – blanc de Bologne) additionné d’un peu de blanc de plomb), 2 à 3 couches

Préparation

Ponçage Encollage (colle de peau + ail)

Isolation

Support bois avec une finition impeccable et poncée

Support

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La carnation mate d’après Francisco Pacheco

Pedro De Mena, Ecce Homo (partie d’une paire), Malaga Palacio Episcopal, provenance : couvent des cisterciennes.

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L E CO R P S HUMAIN LES C H E V E UX Contrairement aux siècles précédents qui marquaient l’importance du personnage représenté par une chevelure dorée, les cheveux des sculptures de De Mena sont toujours peints au naturel. Exécutés à l’huile, ils sont en général bruns à châtain. Les Enfants Jésus peuvent aussi être d’un blond plutôt vénitien. Les cheveux sont exécutés sur une zone de transition vers la carnation. Ce passage, d’une nuance plus foncée que le ton chair, est surcouché par un décor à la pointe du pinceau représentant de fines mèches plus ou moins longues et ondulées.

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La même technique des petites mèches dessinées est utilisée pour les sourcils et les cils inférieurs, les supérieurs étant régulièrement réalisés avec de vrais cheveux.

Pedro De Mena, Vierge de Belén de la cathédrale de Grenade.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE L E S I M I TAT I O N S DE TEXTILES LES UNIS

Outremer naturel + colle, appliqué en plusieurs couches

L E B L E U D U M A N T E AU DE LA VIERGE

Support bois avec préparation et encollage

Si De Mena travaille surtout à l’huile, il va souvent utiliser la technique de la détrempe pour le bleu au smalt ou à l’outremer des manteaux de ses Vierges. 44 D’une part, cela évite que le pigment au cobalt ne réagisse avec l’acidité de l’huile. D’autre part, cette technique produit un ton bleu opaque, intense, profond et mat comme du velours, contrastant avec les autres zones polychromées.

Outremer naturel + œuf, appliqué en plusieurs couches

Matière veloutée

Préparation du bois avec apprêts

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En fonction du pigment et du liant utilisé, le bleu peut aussi être dégradé au blanc de plomb pour l’éclaircir d’une ou de plusieurs nuances.

Pedro de Mena, Vierge à l’enfant, collection privée en dépôt au MNHA (à gauche) et Immaculée Conception du couvent de l’Immaculée Conception de Tolède (à droite) Les manteaux sont peints dans un bleu satiné certainement à la détrempe.

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LE ROUGE DE LA CAPE D E L’ E CC E H O M O

Glacis oléo-résineux rouge à la laque de garance

Glacis

À partir de l’établissement de l’artiste à Malaga, le rouge de la cape des Ecce Homo est presque essentiellement réalisé avec une imitation de soie unie. Les couches de fond seront généralement réalisées au vermillon ou à la feuille métallique polie (or ou argent), le glacis à la laque rouge.

Feuille d’or polie

Sous-couche

Peinture à l’huile au vermillon

Support bois avec préparation

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Préparation du bois avec apprêts

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Pedro de Mena, Ecce Homo, Musée national des sculptures Valladolid. Ici la couche de glacis est fortement altérée. Ceci permet de voir la feuille métallique sous-jacente.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE L A M O I R E – U N FAUX U N I

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présentant un motif ondulé. La dorure à la feuille polie est d’abord recouverte d’une couche rose opaque. Celle-ci est ensuite gravée assez rapidement de lignes parallèles pour réaliser le motif ondulant. Pedro De Mena va réemployer cette imitation de moire régulièrement, soit comme doublure de vêtement, soit comme ornementation principale pour un manteau ou une robe. Il va affiner la technique de l’atelier de son père qui utilise la dorure comme fond du motif. Il va aussi réaliser le motif avec une technique inversée, les lignes dorées étant peintes à l’or à la coquille sur un ton de fond uni.

La moire est un procédé artisanal de finition mécanique qui permet d’obtenir des effets contrastés de brillance et de matité par écrasement de certaines parties d’un tissu uni (vrai moiré obtenu en écrasant deux laies l’une sur l’autre). Il peut aussi s’agir de l’impression d’une matrice à motif dans un tissu lisse (faux moiré obtenu par gaufrage). Selon l’angle de vue, un tissu moiré présentera un dessin généralement composé d’un veinage en longues ondulations et de motifs concentriques plus ou moins grands. Utilisée depuis le Moyen Âge sur du taffetas ou du reps de soie ou encore au 49 Moyen-Orient sur des textiles en angora, la moire devient très à la mode au 17 e siècle. Plutôt que de réaliser l’imitation de cette étoffe en camaïeu, Pedro De Mena va la traiter généralement comme un brocart, les reflets du tissu étant produits par du doré. L’or va donner cet effet changeant en fonction de l’angle de vue. Il apparaîtra clair ou sombre, éteint ou brillant selon les volumes du drapé et la position du spectateur. La moire est un décor que l’artiste va découvrir dans l’atelier de son père. L’Immaculée Conception de l’église impérial de San Matias de Grenade (1621) présente un intérieur de manteau réalisé en sgraffito rose sur fond doré

22 | HISTOIRE DE L’ART EXPÉRIMENTALE

Alonso de Mena, Immaculée Conception de l’église impériale de Saint Mathieu de Grenade (1621). Intérieur du manteau de la Vierge : la moire est réalisée dans une technique traditionnelle de sgraffito

En sgraffito

À la pointe du pinceau

Lignes gravées en motifs ondulants (sgraffito)

Lignes parallèles peintes en motifs ondulants à la poudre d’or

Peinture opaque à la détrempe ou à l’huile

Peinture opaque à la détrempe ou à l’huile

Dorure polie

Encollage

Support préparé


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Pedro de Mena, Immaculée Conception du couvent de l’Immaculée Conception de Tolède Moire réalisée en sgraffito. 52

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Pedro de Mena, Saint Jean et enfant, 1674 (daté et signé), Église paroissiale de Saint Nicolas, Murcia Moire réalisée à l’or à la coquille à la pointe du pinceau.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE L E S I M I TAT I O N S DE TEXTILES L E S D É CO R S T I SS É S

Motifs géométriques ou végétaux peints au pinceau avec une couleur transparente (glacis huileux) Glacis coloré (rose, rouge ou jaune) Sous-couche de couleur opaque Feuille métallique polie à la détrempe ou à l’huile

L E DA M AS Le damas est une étoffe de soie, de couleur monochrome avec une armure satin, caractérisée par un contraste de brillance entre le fond et le dessin formé par le tissage.

Isolation à la colle ou à l’huile Support bois avec préparation 54

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Dans sa phase de simplification des décors polychromes, De Mena va favoriser la représentation du damas à l’imitation du brocart. Il travaillera des fonds unis à l’huile ou à la détrempe qu’il recouvrira de glacis transparents, unis ou décorés, pour former des motifs damassés. Le même décor se retrouve aussi sur des fonds métallisés.

Pedro de Mena, Vierge contemplant l’enfant, Collection Granados Madrid La robe et l’intérieur du manteau sont réalisés avec une feuille d’argent polie. La robe est recouverte d’un glacis rosé rehaussé d’un motif rouge, alors que l’intérieur du manteau porte un glacis jaune pour imiter l’or et un motif orangé.

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L E B R O C A RT

En sgraffito

Un brocart est une étoffe de soie rehaussée de fils d’or et d’argent. Le terme de brocart a aussi souvent été appliqué à des soieries brochées richement décorées avec des motifs polychromes. La technique de prédilection pour imiter les brocarts est l’estofado. Sous l’influence de son père, Pedro De Mena usera de l’imitation des brocarts en abondance. Plus tard, il simplifiera ses polychromies vers le monochrome avec utilisation de glacis. Si au départ la technique était sur fond d’or poli, l’artiste va ensuite utiliser le dessin à l’or dans ses décors au détriment de l’or en sous-couche. Les sgraffiti vont devenir de plus en plus rares dans ses polychromies, étant réservés aux robes des Immaculées ou à une œuvre spécifique pour une cathédrale.

Gravure de lignes parallèles avec un bâtonnet en bois Éventuellement motif polychrome à main levée Peinture à la détrempe (œuf) ou à l’huile

Brocart en sgraffito

Feuille métallique polie

Dorure polie

Support bois avec préparation

Préparation du bois avec apprêts

À la pointe du pinceau

Dessin ornemental fin au pinceau à l’or à la coquille et à la couleur

Brocart peint

Éventuellement un glacis coloré Peinture à l’huile ou à la détrempe Isolation (colle ou huile)

Sous-couche

Support bois avec préparation

Préparation du bois avec apprêts

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE 56

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Pedro de Mena, Immaculée Conception du couvent de l’Immaculée Conception de Tolède La robe est réalisée dans la technique du sgraffito sur un fond blanc à décor ocré recouvrant une feuille d’or polie. 58

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Pedro de Mena, Enfant Jésus, Collection Alberto Martin de los Rios, Madrid Le décor de brocart, avec ses lignes dorées parallèles et motifs de couleur, est peint à la pointe du pinceau sur un fond blanc.

26 | HISTOIRE DE L’ART EXPÉRIMENTALE


L E S I M I TAT I O N S DE TEXTILES L E S T I SS U S ST R U C T U R É S L A TO I L E D E B U R E La bure est un tissu de laine assez grossier. Cette étoffe sert de base à la confection de vêtements pour les religieux, et en particulier pour les frocs des moines.

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Pour mieux rendre la rugosité de la matière austère, De Mena va s’appliquer à tracer de fines lignes parallèles et en relief par minuscules touches de pinceau claires sur des fonds à chromatiques brunes subtiles. Il utilise des « patchs » ou empiècements en ombrant les traits clairs d’une seconde rangée de touches foncées. Les raccords sont formés en changeant la teinte et la direction des traits sombres.

Motifs de fines lignes en relief peints au pinceau avec une couleur opaque et chargée pour donner de la matière Sous-couche de couleur opaque généralement à l’huile Isolation (colle ou huile)

Imitation de la bure

Support bois avec préparation

Préparation du bois avec apprêts 61

Pedro de Mena, Saint Pierre d’Alcantara, collection privée en dépôt au MNHA L’étoffe grossière est représentée par de simples touches claires alignées sur un fond foncé. Aux coutures, les lignes changent de direction. Les lignes claires sont ombrées par une seconde ligne foncée. Les touches foncées changent de couleur aux limites des rapiècements.

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Pedro de Mena, Sainte Thérèse de Jésus, Cordoue église de Saint Pierre d’Alcantara L’étoffe est réalisée avec des pointillés formant des lignes dans le même ton que la couleur de fond. La matière est donnée par l’accrochage de la lumière sur les reliefs des petites touches de couleur.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE Lignes en relief travaillées avec un peigne dans le frais d’une peinture chargée à la silice ou au sable

LE PIQUÉ, TYPE REPS O U OT TO M A N De Mena va travailler des techniques non conventionnelles pour donner une matière spécifique à différentes zones de ses sculptures. Ainsi, il ajoutera des adjuvants (poudres métalliques ou minérales) à ses peintures pour leur donner plus de corps, un aspect brillant ou nacré, etc. Il imitera ainsi des toiles épaisses ou du piqué de coton avec des structures en cannelures. Si différents voiles de ses Vierges ou autres Saintes sont dans une matière simplement tamponnée, la plupart de ses Mater Dolorosa présentent un voile à côtes horizontales perpendiculaires aux lisières typique du reps. 64

Lignes peintes au pinceau par petites touches en relief

Tamponnage de la peinture fraiche

Structure en relief

Peinture opaque appliquée à la brosse : blanc de plomb + huile

Sous-couche

Support bois avec préparation

Préparation du bois avec apprêts

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Pedro De Mana, Mater Dolorosa, cathédrale de Malaga, chapelle du Christ victorieux Le voile présente une matière à fines lignes horizontales.

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La Mater Dolorosa du MNHA avait à l’origine ce même type de décor sur son voile. On peut encore l’observer dans un recoin épargné par le repeint qui nivelle la structure. On le voit surtout sur la radiographie de la sculpture, où les petites touches de pinceau, avec une peinture structurée à base de blanc de plomb, se voient comme autant de petits points blancs. 67

Pedro de Mena, Mater Dolorosa, collection privée en dépôt au MNHA Détail de la limite entre le voile et le visage. Dans une petite zone épargnée du surpeint, on aperçoit encore la structure de la polychromie originale. 68

Sur la radiographie de profil, on découvre la polychromie originale structurée par de petites lignes qui se marquent par la présence du blanc de plomb dans les surépaisseurs.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE L E S I M I TAT I O N S DE TEXTILES LES BORDURES

Motifs filigranes peints au pinceau avec une couleur opaque noire ou or

Gravure du motif

Peinture opaque ou à motif rechampissant la dentelle

Sous-couche de couleur opaque à l’huile ou la détrempe

Peinture opaque généralement à la détrempe

Collage d’une vraie dentelle

Isolation (colle ou huile)

Dorure polie

Isolation (colle ou huile)

L E S D E N T E L L E S AU F U S E AU Pedro De Mena va user de la dentelle au fuseau en passement à profusion sur ses Vierges. Cette technique, apparue à la Renaissance en Italie, s’est rapidement répandue en Flandre d’où elle a conquis la péninsule ibérique, l’Europe et le Nouveau Monde. Traditionnellement, elle était réalisée avec des fils de lin, ainsi qu’avec des fils métalliques. La dentelle est réalisée par croisement de fils autour d’aiguilles sur un modèle sur carton.

Support bois avec préparation poncée

ne sont pas de vraies dentelles 70 raidies à la colle et appliquées en bordure de vêtement. Sur différentes œuvres, l’artiste va même mélanger plusieurs types de techniques en fonction de la localisation pour représenter le même décor de dentelles.

Pedro de Mena, Immaculé Conception, Couvent de l’Immaculée Conception de Tolède Sur le manteau, le long de la bordure, une dentelle au fuseau véritable en fil d’or appliqué correspond à la même dentelle peinte à la pointe du pinceau à l’or à la coquille sur le fond bleu. Sur la même sculpture, on retrouve ce motif peint en noir sur le décolleté de la Vierge qui se reflète dans une version en sgraffito blanc sur or sur l’encolure de la robe.

Pedro De Mena représentera surtout de simples festons, premières dentelles de ce type utilisées pour orner les ourlets. Elles sont réalisées en noir ou en blanc, peintes à la pointe du pinceau, en sgraffito sur fond or ou en or à la coquille quand ce

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L E B L AC KWO R K

Motif de rinceaux à la pointe du pinceau noir à l’huile

Le blackwork ou broderie noire est une technique d’ornement à l’aiguille sur un tissu préexistant. Il se réalise généralement avec du fil de soie noir sur un linon léger blanc pour créer des motifs géométriques ou des rinceaux par une succession de points répétitifs dans un espace donné. Il se fait à points arrières, points de tige ou encore points Holbein (double point avant), comptés ou libres. Le travail peut aussi se faire avec un fil métallique et des accents colorés.

Sous-couche blanche opaque à l’huile (ou la détrempe) Support bois avec préparation poncée et isolée (colle ou huile) 73

De Mena imite ce type de broderie avec un dessin filigrane noir au pinceau sur une sous-couche blanche. Le décor va surtout orner les bordures des chemises, sur les décolletés ou les poignets. 72

Pedro de Mena, Vierge à l’enfant, collection privée en dépôt au MNHA Détail de la bordure de la chemise en broderie noire.

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S S N E O L I T S A E T I L IM EXTI T DE LES ORFROIS Il s’agit de broderies en bordure exécutées en fils frisés ou en lamelles d’or, d’argent ou de soie. Ils sont appliqués au Moyen Âge sur des vêtements de seigneurs ou de riches, et encore aujourd’hui sur des chapes, chasubles, dalmatiques et autres vêtements sacerdotaux et ornements liturgiques. Pendant la période grenadine de l’artiste, les vêtements en Estofado reçoivent d’importants orfrois peints à la pointe du pinceau sur fond doré. Rinceaux végétaux, fruits, etc. bordent manteaux et robes. Ces ourlets décorés vont être abandonnés sous l’influence de Cano. Dorénavant, le sculpteur va marquer les lisières de ses vêtements féminins, surtout des manteaux de Vierges Immaculées, par de fins motifs tracés au pinceau à l’or à la coquille. Il gardera cette technique tout au long de sa vie.

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Décor polychrome à la pointe du pinceau

Décor filigrane à l’or à la coquille à la pointe du pinceau

Dorure polie

Bleu mat

Support bois avec préparation poncée

Support bois avec préparation poncée et isolation à la colle 75

Pedro de Mena, Saint Mathieu, église paroissiale des Saints Juste et Pasteur, Grenade Détail de la bordure en Estofado peinte sur fond d’or. 76

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Pedro de Mena, Immaculée Conception, Palais épiscopal de Malaga Détail de la bordure peinte à la poudre d’or.

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LES TICHES POS

L E S P OST I C H E S

Les ongles sont régulièrement réalisés en corne et collés sur le lit de l’ongle. Ceci se retrouve plutôt dans les sculptures à taille réelle comme les Mater Dolorosa ou les bébés Jésus.

Tout comme pour le support de ses sculptures, De Mena a aussi agrémenté ses polychromies de toute une série de postiches pour augmenter le réalisme des représentations.

Toute une série de postiches est utilisée pour agrémenter les vêtements. Il peut s’agir de dentelles - comme vu plus haut - de chaînes et de boutons, de rehauts de décors en nacre, etc. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.

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Les yeux peuvent être complétés avec des cils en vrais cheveux sur la paupière supérieure, et de larmes en verre.

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Pedro de Mena, Enfant Jésus, Collection Alberto Martin de los Rios, Madrid 85 Détail des mains : quelques ongles incrustés en corne sont toujours présents alors que la majorité a été perdue. 82

Pedro de Mena, Mater Dolorosa, collection privée en dépôt au MNHA Détail des yeux en RX et en lumière normale. L’emplacement des larmes de l’œil droit est bien visible sur la radiographie. Les larmes supérieure et inférieure sont marquées d’un point noir, montrant une lacune dans la carnation et donc probablement la perte de la larme originale. La larme du milieu semble être originale. 83 La forte densité en rayons X fait supposer qu’elle est réalisée en cristal de plomb. La photo en lumière normale montre les cils en vrais cheveux. Ils sont différents d’un œil à l’autre. Il s’agit certainement d’une reconstitution formelle lors d’une ancienne restauration.

Pedro de Mena, Vierge de Belén de la cathédrale de Grenade En plus d’une bordure en dentelle sur l’encolure, cette sculpture présente une chaîne en métal fermant son corsage.

Pedro De Mana, Mater Dolorosa, cathédrale de Malaga, chapelle du Christ victorieux Sur cette Vierge, tous les ongles sont conservés.

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L C N CO

N O I US

CO N C LU S I O N Comme nous l’avons constaté au cours du présent travail, la polychromie des œuvres de Pedro De Mena est très riche de par son expression, mais aussi de par la complexité des techniques mises en œuvre. En comparant les études de sculptures avec les sources de technologie historiques, on constate que, d’une part, De Mena a eu une production de haute qualité matérielle et artisanale avec une utilisation de fournitures étonnamment stable au cours de sa carrière. D’autre part, la succession des couches et les matériaux utilisés correspondent majoritairement aux techniques en vigueur à son époque. Après une éducation traditionnelle dans l’atelier de son père, c’est la rencontre avec Alonso Cano qui va avoir une influence décisive sur la création de l’artiste. Pourtant, il n’abandonne pas les techniques traditionnelles, mais les mélange avec les influences nouvellement acquises pour pousser l’expressivité de ses œuvres. La polychromie complète ainsi l’expression tridimensionnelle de la sculpture. Le sculpteur va aussi innover autant par l’expression de ses décors que par l’utilisation de matériaux insolites. Il est aussi intéressant de constater que De Mena va multiplier les techniques pour un effet semblable et ce, au sein d’une même sculpture. Comme plusieurs œuvres laissent supposer des étapes de polychromie entre différentes phases de construction des sculptures, il est probable que le maître soit intervenu dans le processus de polychromie. Si ce n’est dans son exécution, ceci doit du moins être le cas dans sa conception. La complexité d’expression et de phases d’intervention rend les polychromies de Pedro De Mena extrêmement riches et intéressantes. Même si le goût classiciste du 18 e siècle va faire oublier peu à peu la sculpture polychromée, des œuvres exceptionnelles comme le Saint François de Tolède vont continuer à marquer des générations. La preuve en est la copie réalisée en 1873/74 par le sculpteur français Zacharie Astruc (1833-1907).

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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Service d’imagerie médicale CHdN : 1, 2, 3, 4, 68, 78 Dan Schank, Videoproductions : 5, 6, 7, 8, 25, 26, 28, 29, 30, 33, 34, 36, 37 Tom Lucas, MNHA : 9, 10, 11, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 31, 32, 44 Axel Wieland : 12 Muriel Prieur, MNHA : 13, 15, 16, 27, 35, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 69, 70, 71, 74, 75, 76, 77, 80, 81, 82, 83, 84, 85 Dominique Provost Art Photography, Bruges : 38, 60, 66, 72, 73, 79

Reconstruction des polychromies : Muriel Prieur et Axel Wieland Réalisation graphique : A DESIGNERS’ COLLECTIVE Impression : Reka

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