Pont Adolphe 1903

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Le pont Adolphe dans la vallée de la Pétrusse, après 1903. Photographe inconnu. MNHA

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Table des matières Préfaces

Xavier Bettel Premier ministre, Ministre de la Culture Guy Arendt Secrétaire d’État à la Culture

Michel Polfer Directeur du Musée national d’histoire et d’art François Reinert Conservateur délégué à la direction du Musée Dräi Eechelen

Projets

Page

Änder Bruns : La modernité triomphe de la forteresse................................................................................................... 7 Evamarie Bange : Die Stadt Luxemburg und die Adolph-Brücke. Geschichte einer wechselvollen Beziehung................17 Construction François Reinert : De la pose de la première pierre à l'inauguration...............................................................................23 Robert Maquil : Les pierres de construction du pont Adolphe........................................................................................ 41 Änder Bruns : La base logistique pour la construction du pont Adolphe........................................................................ 65 Documentation du chantier Edmond Thill : Charles Bernhœft et la photographie de chantier au XIXe siècle............................................................. 71 L’album « Grand Pont Adolphe à Luxembourg » édité par Charles Bernhœft (1904)..................................................... 105 Änder Bruns : Commentaires sur la suite des travaux photographiés par Charles Bernhœft......................................... 144 Impact Robert L. Philippart : L’impact du pont Adolphe sur le développement de la ville de Luxembourg................................ 151 Jean-Paul Meyer : Der Charly........................................................................................................................................... 181 Les stations du Charly sur les cartes postales de la collection Fernand Gonderinger..................................................... 209 Mémoire François Reinert : Paul Séjourné, ingénieur français du Corps des Ponts et Chaussées.................................................. 213 François Reinert : Le pont Adolphe, un motif national.................................................................................................... 225 Chiffres et glossaire......................................................................................................................................................... 237 Notes............................................................................................................................................................................... 241 Bibliographie................................................................................................................................................................... 245

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Le projet de construire un pont routier sur la Pétrusse pour relier la ville aux hauteurs de Bonnevoie1 remonte en août 1671 lorsque le nouveau commandant de la forteresse et ingénieur Jean-Charles-Chrétien de Landas, seigneur de Louvignies, propose de construire un pont romain (viaduc). Enjambant la vallée de la Pétrusse, il aurait été construit entre les bastions Beck et Jost. La tête de pont sud aurait été protégée par de nouvelles fortifications et d’écluses afin d’inonder la vallée préfigurant ainsi déjà l’écluse Bourbon construite à partir de 1728 juste à côté devant le bastion Beck. Ces dispositifs renforceraient également le front de Thionville. L’endroit était bien choisi puisqu’il était situé dans le prolongement de l’axe formé par la rue de la Porte Neuve et l’actuelle rue Philippe II qui traversait la forteresse du nord au sud2. Le plateau rendu accessible depuis la ville pourrait ainsi être développé et urbanisé. Les artisans et nouveaux habitants y trouveraient de meilleures conditions de vie et de travail que dans les villes basses déjà fortement peuplées et difficilement accessibles. Cette vision, particulièrement moderne pour l’époque, est rapidement acceptée par le magistrat de la ville dans une lettre adressée aux États : Page précédente: Extrait du plan des souterrains de la forteresse avec l’indication exacte du pont réalisé. La casemate déblayée où eut lieu la pose de la première pierre est marquée par un cercle bleu. SBB Plan Sx14073, Blatt 3-4-7-8 de 1797 et Ponts & Chaussées, Division des Ouvrages d’Art et Mme Virginie Meister.

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« la commodité des chemins […] rendront la voicture de toutes sortes de denrées moins coustageuses, meme inviteront les marchants, et voicturiers estrangers menant marchandises des païs bas, païs de Liége et autres quartiers vers la Lorraine, le païs Messin, la France, le païs de Trèves et l’Allemagne mesme à s’establir en ceste ville ce qui introduirat avecq le temps beaucoup de trafficque, augmenterat la ville d’une bourgeoisie nombreuse, trafficquante et industrieuse qui est un point très important au service du Roy et au bien publicque et à sa propre conservation3. » Il est intéressant de noter que 220 ans plus tard, les édiles locaux exprimeront un avis diamétralement opposé. Le projet de Louvignies prévoit qu’une partie des dépenses avancées par les États seraient récupérées par un péage. Faute de moyens financiers, le projet n’est pas réalisé. Quelques années plus tard, après la prise de Luxembourg par les troupes de Louis XIV, le projet de Louvignies est à nouveau considéré, mais reste sans suite4. Vauban, qui améliore la forteresse et fortifie les bords extérieurs des vallées connaît probablement le projet grâce à des documents d’archives. Le rempart entre les bastions Beck et Jost est exhaussé et l’endroit où la tête du pont avait été projetée est dorénavant occupé par la « Demy-Lune de Bourbonnois avec une Redoute à la gorge » qui plus tard sera appelée « fort Bourbon5 ».

En 1728, les Autrichiens construisent l’écluse Bourbon en l’équipant d’un souterrain entre le fort Bourbon et le bastion Beck6. Il faut attendre la mise en place du chemin de fer à Luxembourg pour que l’idée de la construction d’un pont à cet endroit renaisse dans un projet présenté par la Société des chemins de fer Guillaume-Luxembourg en 1857. Une gare sur le plateau Bourbon, plus proche de la ville haute que celle qui sera finalement construite, aurait été reliée à celleci par un pont qui arriverait cette fois dans la fausse-braye Louis-Beck à la hauteur de la rue de la Congrégation, tournerait à gauche pour monter par une rampe dans la faussebraye vers le terre-plein du Bastion Beck et se raccorderait à la rue Chimay entre la caserne et le magasin à poudre Marie-Thérèse7. Le gouvernement militaire prussien s’oppose avec succès à cette solution et insiste sur une implantation de la gare devant les forts Wallis et Neipperg, sous les canons de la forteresse. Néanmoins, un pont routier devra relier la ville haute à la nouvelle gare. Situé entre le bastion Louis et l’avancée de Thionville, il sera appelé « Passerelle » et plus tard, « Al Bréck ». Au départ de la garnison suite au traité de Londres du 11 mai 1867, les zones de servitude imposées par le rayon de la forteresse


Extrait du « Plan historique de Luxembourg ville et forteresse 963–1963 » par Henri Luja (1899–1977) avec indication des tracés du pont « Louvignies » (1671) en vert, de l’écluse Bourbon (1728) en jaune, du pont Adolphe (1903) en rouge et du pont provisoire en bleu (2013). 107,5 × 88 cm, 1963. MNHA / M3E

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Le contre-projet de Séjourné est formé par deux ponts parallèles réunis par un tablier assez mince en béton armé posé sur les tympans intérieurs. L’arche a une ouverture de 84 m. Les culées ne comportent qu’une seule voûte en plein cintre de 21,60 m chacune. Le pont est droit, la courbe de raccordement étant réalisée sur l’actuelle Place de Bruxelles. Le vide entre les deux ponts entraîne une forte réduction des matériaux de construction. Bulletin mensuel, Organe Officiel de l'Association des Ingénieurs luxembourgeois, pl. IV., 1901. ANLux TP-396

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Le Grand-Duc Adolphe de Nassau (1817-1905), Pierre Federspiel (1864-1924), terre cuite, 49 × 34 × 19 cm. MNHA, S-2000/660

Pose de la première pierre, Charles Bernhœft. Grand Pont Adolphe à Luxembourg, 1904, planche no1, MNHA / M3E

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En attendant, la première pierre, de taille

trois coups au nom du Père, et du Fils et du

retourna au Palais sous les vivats. Les fêtes

impressionnante, se trouvait suspendue à

Saint-Esprit. »

continuèrent le soir avec un feu d’artifice et

une corde qui descendait du pont de service. Elle présentait un orifice, décoré de fleurs et de laurier, dans lequel le conducteur des travaux Fonck avait placé au préalable un coffret en tôle, qui renfermait une charte et les monnaies du Grand-Duché. Il devrait s’agir des monnaies de 10, 5 et 2 ½ centimes frappées sous Guillaume III de 1854 à 1870, les premières frappes d’Adolphe ne seront émises qu’en 1901. On y ajoutait un étui avec la médaille en argent réalisée pour l’Exposition Industrielle à Luxembourg en 1894 avec le premier portrait du Grand-Duc Adolphe par Pierre Federspiel. L’ensemble de ces objets est scellé dans la première pierre par un couvercle en pierre décoré à cet effet d’un petit bandeau tricolore.

Mousel (1894-1904), de conclure l’acte et de prononcer un discours de bourgmestre. Il insiste sur le passé historique de la ville et caractérise le pont comme « trait d’union entre la capitale et le pays entier » et « symbole de la parfaite entente du peuple luxembourgeois qui lie le fidèle peuple luxembourgeois à sa Maison souveraine ». Et il poursuit, « il y a environ trente ans, la ville de Luxembourg, ancienne forteresse fédérale germanique, se trouvait étreinte par un triple cercle de fossés, de remparts et de fortins. Cité de guerre, toute extension, tout agrandissement était chose impossible. Grâce à la Divine Providence et à l’intervention d’un prince aux sentiments aussi élevés que patriotiques, ces

Comme il est de coutume, le Grand-Duc

fossés, ces remparts, ces fortins ont disparu.

Adolphe donne alors les trois coups à l’aide du

La forteresse de Luxembourg, délivrée de cet

petit marteau en argent, assorti à la truelle.

anneau de fer, devenait ville ouverte. »

Ce dernier en conserve encore aujourd’hui les

autres feux de Bengale au Casino. Le banquet de 1902 Après deux années de construction, les travaux sur les arches sont achevés. Voilà une nouvelle occasion pour relancer les festivités par un banquet offert par Messieurs Fougerolle frères le 11 octobre 1902 à 7h½ à l’hôtel Medinger aux Collaborateurs et Ouvriers du Nouveau Pont avant leur départ. Les Fougerolle demandent à Charles Rischard de présider le banquet. Le copieux repas festif à six plats fut arrosé de Wormeldange, de Saint-Émilion, de Champagne Mercier et autres liqueurs qui ont dû être fort appréciés. Certains invités, comme Paul Séjourné ou Émile Mousel, ont même conservé le menu. Une photographie de Bernhœft, reprise dans son album sous le no 28 « Les maçonneries arasées sous la plinthe » en orne le recto. À ce moment-là, les travaux de maçonnerie assurés par Fougerolle

À la fin de la cérémonie, les différents corps

sont terminés, des ouvriers travaillent encore

de musique traversent le pont de service

au décintrement de la deuxième arche. La

« En souhaitant que le pont dont Nous

qui est ainsi ouvert au public. Les citadins

société Coignet va reprendre le chantier pour

posons aujourd’hui la première pierre,

s’approprient cette attraction éphémère, et,

construire le tablier en béton armé.

dure aussi longtemps que l’indépendance

bravant le vertige, ils ne se fatiguent pas de

du Grand-Duché de Luxembourg et que

faire l’aller-retour entre les deux plateaux

l’amour de Mon fidèle peuple, Je frappe les

désormais reliés. Quant au Grand-Duc, il s’en

griffes. Il ajoute ces mots :

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Au maire de la Ville de Luxembourg, Émile


Fig. 20 : Outils de tailleur de pierre: crayon, équerre, latte, maillet et massette, ciseau à pic, ciseau droit et boucharde placés sur une pièce travaillée, décorée avec cisaillement large, préparation d’une ciselure d’encadrement pour le bouchardage. Peter Weinand, Carrières Feidt, Ernzen

Fig. 21 : Préparation d’une surface plane par taille grossière avec la chasse, ciseau à lame épaisse, chassant sous les coups de la massette des fragments de roches sur la largeur de la lame. Peter Weinand, Carrières Feidt, Ernzen

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Fig. 22 : Préparation d’une encoche dans la pierre avec un ciseau à pointe, sous les coups du maillet. Les coups sont doux et seuls de petits fragments sont libérés dans le cas de ce travail plus délicat. Peter Weinand, Carrières Feidt, Ernzen


Le Luxembourg pittoresque (1893), mais aussi ses portfolios sur l’Alsace-Lorraine (1891 et 1894), la vallée du Rhin (1895-1896), le Palatinat (1895) ou l’Eifel (1896) – sont encore conçus sur les modèles du Voyage pittoresque à travers le Grand-Duché de Luxembourg (1834) de Nicolas Liez (1809-1892), imprégné «d’unromantismed’inspirationallemande11 », et de l’Album pittoresque du Grand-Duché de Luxembourg (1857) de son maître JeanBaptiste Fresez (1800-1867), d’une facture plus réaliste. Les sujets favoris du photographe sont à ce moment-là les sites pittoresques : les vallées de la Pétrusse et de l’Alzette dans la capitale, avec leurs rochers escarpés comme toile de fond, les sentiers romantiques dans les forêts du Müllerthal et les ruines des châteaux médiévaux au milieu des paysages ardennais. Quand il inclut la photographie d’une usine dans une de ses séries, comme la vue des hauts fourneaux de Dudelange dans Le Grand-Duché de Luxembourg de 1889-1891, celle-ci présente l’image d’un établissement industriel qui s’intègre harmonieusement dans un paysage naturel plutôt que celle d’une aciérie à l’activité polluante et préjudiciable

Fig. 2 : Delmaet et Durandelle (1854-1890), Construction du Nouvel Opéra de Paris : vue des murs de la cuve. Épreuve sur papier albuminé, 37,6 x 27,9 cm. École nationale supérieure des BeauxArts, Paris (Photo © RMN-Grand Palais)

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le pousse – avec sans aucun doute l’accord des ingénieurs responsables du chantier – à commercialiser des cartes postales illustrées avec les images du pont Adolphe en construction. La toute première – le tampon de la poste certifie qu’elle a circulé le 3 septembre 1900 – montre le pont de service enjambant la vallée de la Pétrusse, qui continue d’être un lieu de promenade et de détente pour citadins dans une nature « intacte ». C’est du moins ce qu’atteste la présence d’un flâneur au premier plan, accoudé à un parapet en bois qui longe un chemin caillouteux, afin de mieux pouvoir profiter du spectacle des prouesses techniques de son époque (fig. 23). Au fil des mois, une vingtaine de cartes postales avec de nouvelles vues du chantier sortiront de l’atelier de phototypie de l’éditeur luxembourgeois, l’Établissement des arts graphiques de Luxembourg, repris à ce moment-là déjà par Franz Schmitt et Max Herrmann (fig. 24-25).

Fig. 17 : Louis-Émile Durandelle (1839-1917), La Tour Eiffel jusqu’au bas de la deuxième plateforme le 19 juin 1888, 1888. Épreuve sur papier albuminé, 43,1 x 34,3 cm. Album sur la construction de la Tour Eiffel. Fonds Gustave Eiffel, Musée d'Orsay, Paris (Photo © RMN-Grand Palais)

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Fig. 27 : Luxembourg. Nouveau Pont sur la Pétrusse. Jean-Baptiste (Batty) Fischer, Luxembourg. Carte postale illustrée. Collection Fernand Gonderinger

Fig. 28 : Luxembourg. - Le Nouveau Pont en construction. P. C. Schoren, Luxembourg. Carte postale illustrée. Collection Fernand Gonderinger

Fig. 29 : Luxembourg. Nouveau Pont... Fischer-Ferron, Luxembourg. Carte postale illustrée. Collection Fernand Gonderinger

Fig. 30 : Luxembourg - Neues Viadukt - Nouveau pont. Nels, Bruxelles. Carte postale illustrée. Collection Fernand Gonderinger

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Achèvement du pont

36 – Vue du pont achevé. Côté est.

34 – Construction des parapets.

Le coût total du pont avait été évalué à 1.400.000 frs. L’ouvrage achevé coûta 1.548.455,65 frs, ce qui correspond à un dépassement de 10,60%. Il avait été financé exclusivement par l’État, les moyens étant prélevés sur les crédits spéciaux affectés à la construction des chemins de fer vicinaux. À la fin de l’exercice 1900, les dépenses effectuées s’élevaient à 400.000 frs. Ces dépenses ont été étalées sur les années 1900–190430.

Cette vue, peut-être prise de l’étage de la villa de Kerckhove, documente le montage des parapets sur les corniches. Au-dessus de la grande voûte, ils sont formés par des balustres légers en calcaire d’Euville (Meuse) donnant au pont un aspect plus filiforme. Les voûtes des culées par contre, portent un parapet plein. Comme d’habitude, les travaux sont exécutés simultanément à plusieurs endroits. Les pierres sont placées à l’aide des grues roulantes. Les murs en aile en maçonnerie brute qui ne font pas partie du pont ne sont pas coiffés ni de corniches ni de parapets mais couverts de tablettes simples. Le blason nassovien sur la voûte en amont est achevé. Du côté du plateau Bourbon, la pile qui portait le grand cintre n’est pas encore démolie. 35 – La moitié du pont livré à la circulation. Appareils de support des échafaudages de rejointoiement. La moitié en aval du pont étant terminée, la circulation y est autorisée à partir du 24 juillet 1903. À l’instant de la prise de vue, il est traversé par un carrosse et de nombreux piétons. L’inauguration officielle avec le passage du premier train sur la ligne du chemin de fer vicinal Luxembourg-Echternach aura lieu le 19 avril 1904. 150

37 – Vue du pont achevé. Côté ouest. Le pont, vu par son créateur : « L’ouvrage est jeté, bien en vue, entre deux berges de rocher, par-dessus une vallée profonde, aujourd’hui parc public. Le Gouvernement voulait là une grande voûte : c’en était bien la place31. »


L’impact du pont Adolphe sur le dÊveloppement de la ville de Luxembourg Robert L. Philippart


Généralement le pont Adolphe est considéré comme un ouvrage d’art d’une qualité exceptionnelle. L’historiographie s’est traditionnellement intéressée à l’impact de cette construction sur l’aménagement du plateau Bourbon1. Cette fois-ci, il sera question d’étudier la genèse du pont dans l’histoire et dans l’optique de la ville haute, d’analyser sa réception par les habitants des quartiers concernés, et de jeter un regard sur les visions globales qui ont guidé les planificateurs de l’époque dans leurs choix urbanistiques définitivement arrêtés en 19062. Pour comprendre l’impact de la construction du pont Adolphe sur l’urbanisme de la ville, il y a lieu de rappeler les différentes réflexions qui sont à la base de son développement. Concevoir un nouveau quartier relié par un pont au plateau Bourbon

À l’époque espagnole, d’importants aménagements furent entrepris en ville. Leur but était certes militaire, mais les travaux affectèrent directement le développement de la ville. Page précédente: Vue sur le pont Adolphe, la place de Metz et le plateau Bourbon. Le bâtiment de la Banque et Caisse d’Épargne de l’État n’est pas encore achevé; au fond on aperçoit la tour de la nouvelle gare, après 1911. MNHA / M3E

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Grâce à l’aménagement de la place d’Armes, la ville disposait désormais d’une troisième place publique et de marché. Son épicentre s’était déplacé de l’est vers l’ouest, du Marché-aux-Poissons, vers la place d’Armes en passant par le Marché-aux-Herbes. La topographie du site ainsi que l’extension des ouvrages militaires ne permettaient aucun autre mouvement de développement urbain que celui en forme d’éventail sur l’ancien front de la plaine. Le quartier à l’ouest se développa avec le redressement de la rue Monterey existant depuis 1610 et l’aménagement des rues Louvigny et Chimay. La rue Beaumont fut tracée entre la rue des Capucins et l’avenue de la Porte Neuve. À l’époque, ces rues représentaient à l’intérieur des remparts un genre de périphérie faiblement bâtie et étaient situées encore à l’écart de la vieille ville. Les nouveaux quartiers étaient destinés à accueillir les habitants déplacés pour des raisons militaires du Grund et de la montée du Pfaffenthal. Pour les attirer et leur donner des raisons économiques pour s’installer dans ce nouveau quartier, l’idée de construire un « pont romain » prolongeant la rue de la Porte Neuve par la rue St Philippe (Philippe II) vers le plateau Bourbon fut étudiée. Un axe nord-sud aurait ainsi traversé la ville pour faire l’économie des sentiers sinueux et en pente à travers la ville basse. Ce même pont aurait également relié la ville aux ouvrages

militaires à construire sur le plateau Bourbon. L’idée qui se cachait derrière ce projet fut avant tout d’ordre économique3. Le projet trouva l’aval des États du Luxembourg, mais les changements politiques n’en permirent point l’exécution. La prise de Luxembourg en 1684 par les Français allait faire de Luxembourg une des plus importantes places fortes développées par Vauban. Quelque 1.920 soldats furent logés en bordure du damier dans ces nouveaux quartiers. Vauban allait parachever et développer le mouvement entamé par les Espagnols. La construction, respectivement l’achèvement des casernes de la Porte Neuve, de la caserne d’artillerie, de la caserne MarieThérèse (emplacement actuel de la résidence de l’ambassade de France), sans même évoquer les aménagements de l’ancien couvent du St Esprit transformé en citadelle furent entrepris. Vauban élargit et modernisa l’arsenal (angle formé par les rues des Bains et rue Aldringen). À la même époque, la garde principale fut installée à la place d’Armes élevant celle-ci au rang des premières places de la ville4. Vauban fit combler la différence de niveau existant entre la Grand’Rue et la tour St Jost (rue Notre-Dame / boulevard Royal). Cette mesure augmentait la qualité de vie dans ces nouveaux quartiers, marquant ainsi le souci d’une structuration avancée de l’espace5.


La carrière de Séjourné en 1889 La construction du pont Adolphe a été un tournant dans la carrière de l’ingénieur français Paul Séjourné. Âgé de 48 ans, il était arrivé au sommet de ses capacités, notamment par les études, les voyages et les projets qu’il a réalisés. Les ponts construits dans le midi toulousain le viaduc du Castelet (1882, voûte de 41,20 m d’ouverture), le viaduc de Vielmur (1884, voûte de 50 m d’ouverture), et surtout le viaduc de Lavaur (1884, arche révolutionnaire de 61,5 m) préfigurent déjà le pont Adolphe. Tous ces ouvrages étaient d’ailleurs des ponts ferroviaires, tandis que celui du Luxembourg sera aussi routier. À 35 ans, le 3 juillet 1886, il se voit attribuer la Légion d’honneur avec ce commentaire « A conçu et construit sur diverses lignes des ponts à grande ouverture, dignes d’être cités comme des modèles, au double point de leur caractère monumental et des procédés d’exécution ». (Giraud 2010, 11) Né le 21 décembre 1851, fils unique d’un professeur de mathématiques au lycée d’Orléans et d’une mère issue d’une famille de négociants aisés, il sera diplômé de l’Ecole poly-

Page précédente: Paul Séjourné, Grandes Voûtes, volumes 1 à 6, Bourges, Veuve Tardy-Pigelet et fils, 1913-16

214

Pont de Lavaur, 1884, Grandes Voûtes, vol. II, p. 136


technique en 1873 et de l’École nationale des Ponts et Chaussées (ENPC) en 1876. Au service de l’État au sein de ce prestigieux Corps des Ponts et Chaussées de 1876 à 1896, il rejoint de 1896 à 1926 la grande Compagnie des Chemins de Fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM), dans laquelle il fait son entrée en qualité d’ingénieur en chef au service de la construction. De 1896 à 1901, il est basé à Dijon, ensuite, il rejoint l’état-major de la Compagnie à Paris jusqu’en 1909. Séjourné au Luxembourg

Paul Séjourné, ingénieur en Chef de la Construction des Chemins de fer P.-L.-M., Collection Marc et Henri Giraud, arrière-petitsfils de Paul Séjourné, Paris

216

La première mention de Paul Séjourné dans le dossier du pont Adolphe se trouve dans une lettre du 3 août 1898, dans laquelle Théophile Delcassé, Ministre français des Affaires Étrangères écrit à Henri Vannérus, chargé d’affaires du Luxembourg à Paris : « (…) relative à la désignation d’un ingénieur français qui serait chargé d’examiner le projet du pont de la vallée de la Pétrusse, j’ai l’honneur de vous faire savoir que le Ministre des Travaux Publics considère qu’il y aurait intérêt à adjoindre à M. Résal un autre ingénieur en chef, M. Séjourné, qui, par ses travaux antérieurs, a acquis également une compétence toute spéciale en cette matière. Mon collègue M. Tillaye a décidé en conséquence que M. Séjourné, qui est actuellement au service de la compagnie P.L.M., à Dijon, sera chargé de seconder M.


Chiffres et glossaire Ă„nder Bruns


Le pont en chiffres Dimensions du pont Longueur

Pont de service 152,828 m

Longueur

Portée de la grande voûte dans les fondations

84,65 m

Hauteur

Portée de la grande voûte au-dessus de ses sommiers

72,00 m

Hauteur des 7 pylônes

Hauteur du fond de la Pétrusse jusque sous la clef de la voûte

42,00 m

Maçonnerie

Distance des deux ponts à leur clef Ouverture des voûtes de culée Ouverture des voûtes d’évidement

5,92 m 21,60 m 5,40 m

Pierres Les grandes voûtes : grès gris foncé de Gilsdorf

2.850 m3

Les autres matériaux en élévation : grès calcaire gris rosé des carrières d’Ernzen 3.555 m3 Les massifs de fondation : grès de la carrière de Verlorenkost

14.480 m

3

Bois

340 m3

Câbles, haubans

0,78 t

Maçonnerie

60 m3

Mortiers Laitier granulé de l’usine de Dommeldange

Les 7000 m3 de pierres de Dillingen prévus n'ont pas été commandés, faute d'un raccordement ferroviaire de la carrière

Chaux Pavin de Lafarge (ficelle blanche)

Chaux de Strassen Sable fin de Wasserbillig

Dalle en béton armé 357,817 m3 86.612 kg

Grand cintre Chêne

Dépenses effectuées

Sapin

11,343 m3 (coins, sommiers) 375,196 m3

Fouilles et fondations

214.456,00 Fr.

Câbles tendeurs et martingales

Grand cintre

101.138,75 Fr.

Culots de câbles

9,3 t

Grandes voûtes

390.382,96 Fr.

Étriers, brides

5,4 t

Voûtes d’évidement et leurs tympans. Pilastres. Voûtes et murs des culées

534.293,49 Fr.

Plaques recouvrant les assemblages Boulons

9,8 t

Corniches, balustrades, parapets

104.040,10 Fr.

Plomb

1,1 t 0,6 t

Dalle en béton armé

48.205,05 Fr.

Zinc

Installations à forfait (pont de service, transport du cintre, etc.)

50.000,00 Fr.

Maçonnerie

Chaussée, pavage, bordures de trottoir, chapes, enduits, calfatage, remplissage en pierres sèches, divers

105.939,30 Fr.

Total en francs

238

60 m3 3,22 t

Ciment artificiel Vicat n° 1 de Vif (Isère)

Fer

41 m entre 10 et 41 m

Boulons et plaques

Balustrades et parapets : calcaire d’Euville (Meuse)

Béton

171 m

1.548.455,65 Fr.

Page précédente: Détails architecturaux du pont Adolphe. Grandes Voûtes II, 1913, p. 68 m, pl. 3

10,9 t

20,8 t

370 m3


Publications du Musée national d’histoire et d’art – Luxembourg, 28 Publications du Centre de documentation sur la forteresse de Luxembourg auprès du Musée national d’histoire et d’art, 3 ISBN 978-2-87985-401-4 Exposition « Pont Adolphe 1903 » Du 7 juillet 2016 au 8 mai 2017 Musée Dräi Eechelen – Forteresse, Histoire, Identités – Luxembourg Catalogue Éditeurs : François Reinert, Änder Bruns, Simone Feis Contributions : Evamarie Bange, Änder Bruns, Robert Maquil, Jean-Paul Meyer, Robert L. Philippart, François Reinert, Edmond Thill Documentation et images : Simone Feis Relecture : Cécile Arnould, Simone Feis, Lena Gratias, Edmond Thill, Paul Bertemes, Jean Colling Mise en page : mediArt Couverture : granduchy Exposition Commissaires : François Reinert, Änder Bruns, Simone Feis Éclairage et Technique : Sead Salkovic, Marc Scolati, Lucien Wagener Multimédia : ArchimediX Transports et logistique : Josiane Dicken, Jean-Marie Elsen, Romain Graas, Claude Lanners, Jérôme Michaely Photographie : Tom Lucas, Ben Muller Restauration : Rainer Fischer, Simone Habaru, Muriel Prieur Encadrements : Pit Kaiser Montage : Nilton Almeida, Gisèle Biache, Jean-Marie Elsen, Daniel Ferreira Couto, Helio Fortes, Romain Graas, Daniel Hensel, Jean-Paul Kinnen, Georges Rödel, Claude Schiltz Communication et Presse : Sonia da Silva Prêteurs Archives nationales de Luxembourg (ANLux) / Bibliothèque nationale de Luxembourg (BNL) Ministère du Développement durable et des Infrastructures – Administration des Ponts et Chaussées, Luxembourg / Ville de Luxembourg – Archives, Musée des Bus et des Tramways, Photothèque Monsieur Marcel Barthel / Madame Nelly Becker-Wagner / Monsieur et Madame Bofferding / Monsieur Carlo Dimmer / Monsieur Robert Feis Messieurs Marc et Henri Giraud, arrière-petits-fils de Paul Séjourné, Paris / Monsieur Fernand Gonderinger / Consorts Wagener / Monsieur Pierre Wies Crédits photographiques Dombauarchiv, Köln ; École nationale des ponts et chaussées, Paris ; Réunion des musées nationaux - Grand-Palais, Paris Centre national de l’audiovisuel (CNA) / Centre national de littérature (CNL) Monsieur Robert Maquil, Diekirch ; Monsieur Robert L. Philippart, Luxembourg Le Musée Dräi Eechelen remercie Monsieur Ralph Di Marco, Madame Gloria Even, Madame Danielle Frank, Monsieur Fabio Godinho, Madame Delphine Munro, Monsieur Yann Ney, Monsieur Patrick Penning, Monsieur Marc Ries, Madame Bettina Sabbatini, Monsieur Rony Stephano, et toutes les autres personnes qui ont contribué au succès de l’exposition.

248

Le MNHA et le M3E sont des instituts culturels du Ministère de la Culture


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