Sommaire 4
Préfaces
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Introduction
LEGIO PATRIA NOSTRA CHRISTIAN KOLLER
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Brève histoire de la Légion étrangère française DENIS SCUTO
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Les émigrations luxembourgeoises en France ANTOINETTE REUTER
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Profils de légionnaires dudelangeois. Du local au global
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FRÉDÉRIC LAUX JOSEPH LAUX
L’ENGAGEMENT DES SOLDATS SÉBASTIEN VECCHIATO
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Les premiers Luxembourgeois dans la Légion étrangère française (1831-1914) ARNAUD SAUER
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Le cadre familial et socio-professionnel des légionnaires luxembourgeois de la Première Guerre mondiale JACQUES MAAS
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Les comités de secours aux Volontaires luxembourgeois de la Grande Guerre (1915-1918) ARNAUD SAUER
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HENRI DIESCHBOURG
LES SOLDATS DANS LA GUERRE DOUGLAS PORCH
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Victime, proie, cible. La vie quotidienne d’un légionnaire pendant la Première Guerre mondiale FRANK WILHELM
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Différents types de légionnaires étrangers vus par des écrivains francophones luxembourgeois
ARNAUD SAUER
124
Michel Schmit : le parcours d’un Luxembourgeois engagé DANIEL THILMAN
136
ARTHUR DIDERRICH
L’APRÈS-GUERRE JULIET ROBERTS
142
Victimes de guerre ARNAUD SAUER
154
Les légionnaires luxembourgeois et leurs familles durant l’entre-deux-guerres. Une reconstruction difficile et un enjeu politique MACHTELD VENKEN
168
Les anciens légionnaires et la protection sociale au Luxembourg. Une approche transnationale ANTOINETTE REUTER
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LES TROIS FRÈRES LECHARLIER
LES LÉGIONNAIRES DANS LA MÉMOIRE SANDRA CAMARDA
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« À nos braves » : les monuments aux légionnaires luxembourgeois entre conflit et réconciliation FRANÇOIS REINERT
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La Médaille des Volontaires luxembourgeois de la Grande Guerre PASCAL LEROY
214
François Faber, dans l’ombre du « Géant de Colombes » SANDRA CAMARDA
226
EDMOND CÉLESTIN GRETHEN STEFANO ASILI, ESTHER CHIONETTI, ALESSANDRO FLORIS, CHIARA LIGI, MAURO MACELLA
230
Épilogue : la conception du projet de l’exposition multimédia « Légionnaires »
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Bibliographie
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Remerciements
Préfaces XAVIER BETTEL
PREMIER MINISTRE, MINISTRE D’ÉTAT
Le Centenaire de la Première Guerre mondiale a offert au pays une occasion sans précédent d’aborder une période complexe et longtemps négligée de l’histoire luxembourgeoise. Financé par le Gouvernement et dirigé par le Centre luxembourgeois d’histoire contemporaine et numérique (C2DH) de l’Université du Luxembourg, le projet « Éischte Weltkrich » a contribué à animer le débat public historique sur cette période en offrant l’opportunité de réunir à la fois spécialistes et grand public autour de ce sujet. L’exposition « Légionnaires » organisée par le C2DH et le Musée Dräi Eechelen et le volume collectif qui l’accompagne représentent la dernière phase de cinq années d’activités scientifiques. Elles se sont traduites d’abord par la création de l’exposition numérique « Éischte Weltkrich – La Grande Guerre au Luxembourg » (https://ww1. lu). En s’appuyant sur les collections et l’expertise de musées, archives et institutions culturelles majeurs du pays mais aussi sur les résultats de collection days, l’exposition a pu se développer en une ressource digitale pérenne sur cette période historique. Le lancement de l’exposition digitale a été accompagnée d’événements publics innovants, d’ateliers, de formations continues, de séries de conférences avec des experts internationaux et d’un jeu historique interactif. Au cœur du projet se trouve une approche novatrice de l’histoire et notamment de la façon de raconter l’histoire qui exploite les stratégies de transmedia storytelling – une approche que le visiteur retrouvera dans l’exposition « Légionnaires » – comme moyen efficace de rendre le passé plus accessible et vivant pour le grand public. Les rapports entre la guerre et les migrations, déjà explorés dans le cadre de l’exposition « Être d’ailleurs en temps de guerre » organisée par le C2DH et le Centre de Documentation sur les Migrations Humaines (CDMH) à la Gare-Usines de Dudelange, ont fait l’objet d’un travail de recherche et de documentation étendu et très complet sur les Luxembourgeois de la Légion étrangère française mené par le doctorant Arnaud Sauer à l’Université du Luxembourg ainsi que d’études de différents spécialistes luxembourgeois et d’experts internationaux. Le résultat de cet ensemble de travaux constitue une œuvre scientifique qui jette un nouvel éclairage sur le récit traditionnel des volontaires luxembourgeois de la Grande Guerre, en revisitant les aspects socioculturels tout comme le contexte historique et migratoire de l’époque et en remettant en question nos représentations stéréotypées sur ces Luxembourgeois. Cet ouvrage nous rappelle encore une fois que le Grand-Duché de Luxembourg est non seulement aujourd’hui mais représente depuis plus de deux siècles un pays de migrations – immigrations, émigrations, rémigrations, migrations en chaîne, migrations circulaires, etc. – et que les guerres et les crises posent chaque fois aux migrants des questions existentielles : Rester ou partir ? Pour qui et pour quoi m’engager ? Qui suis-je ?
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SAM TANSON
MINISTRE DE LA CULTURE
Lorsqu’en février 2019, le Musée Dräi Eechelen m’informa du projet d’exposition « Légionnaires », ce sujet identitaire m’intéressa d’emblée. Un siècle après leur engagement, les engagés volontaires luxembourgeois qui avaient participé à la Grande Guerre dans la Légion étrangère sont en effet presque tombés dans l’oubli. La convention signée en décembre de la même année entre le M3E et l’Université du Luxembourg conféra un cadre légal et financier à cette entreprise, dont voici l’objet : L’Université et le M3E organisent en partenariat l’exposition « Légionnaires » qui explorera le rôle des expatriés luxembourgeois dans la Légion étrangère française, du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, avec un accent particulier sur la Première Guerre mondiale. Ce projet interdisciplinaire profite ainsi d’une synergie entre les approches pratiques du Centre de Documentation sur la forteresse de Luxembourg qui gère le M3E et celles, plus théoriques et digitales, du C2DH, le but commun étant de rendre la recherche historique accessible. À peine lancés, les préparatifs tombèrent sous l’emprise de la pandémie, et ceci d’autant plus que les scénographes, architectes et éditeurs du catalogue étaient concentrés à Milan, épicentre de l’épidémie en Italie. L’ouverture de l’exposition, initialement prévue pour le 24 juin 2020, sera repoussée à plusieurs reprises, pour avoir lieu près d’une année plus tard. Raison de plus pour remercier l’ensemble des acteurs pour leur persévérance, et en particulier Denis Scuto et François Reinert, qui ont réussi à garder intacte la motivation de leurs équipes dans les moments difficiles. Cette exposition met l’accent sur des documents privés à l’exemple de photographies, de lettres et de cartes postales. Loin d’être spectaculaires, ces souvenirs de famille, pieusement transmis de génération en génération ou conservés dans les archives, permettent d’établir un lien affectif direct avec les disparus issus de tous les milieux sociaux. Citons l’exemple des émouvantes cartes postales de Mimile, Gaston et Loulou Laux, qui souhaitent fin 1915 une dernière fois à leur père au front « bonne chance et la fin de la Guerre pour avoir notre papa chéri avec nous ». Ou encore les photos du jeune Edy Mayrisch, dont la fin tragique hante la famille jusqu’à nos jours. Relevons encore la coopération internationale avec le Centre des Archives diplomatiques de Nantes, le Musée de l’Armée aux Invalides à Paris et le Musée de la Légion étrangère à Aubagne. Au Luxembourg, le Musée national d’histoire et d’art, le Musée National d’Histoire Militaire, le Musée national de la Résistance, le Centre national de l’audiovisuel ont largement été sollicités. Qui plus est, la mise en ligne de la collection documentaire de Tony Ginsbach, réalisée en parallèle par les Archives nationales, facilitera les futures recherches. Mon plus profond respect et ma gratitude vont aux descendants des légionnaires, dont les précieux souvenirs rendent ce catalogue et cette exposition si intimes et immersifs.
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Introduction
Le présent volume accompagne l’exposition « Légionnaires » réalisée par le Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) et le Musée Dräi Eechelen. Il est le fruit de recherches de près de cinq années menées à l’Université du Luxembourg sur les Luxembourgeois entrés dans la Légion étrangère française ainsi que des travaux de différents spécialistes locaux et d’experts internationaux. La Légion étrangère française est historiquement associée à des connotations ambivalentes : corps militaire d’élite fondé dans le cadre de l’expansion coloniale française, communauté empreinte d’exotisme romantique mais aussi porteuse de réalités plus triviales, troupe peuplée de soldats considérés à la fois comme des héros intrépides, des hommes au passé trouble ou encore des maraudeurs en quête de rédemption. Dans le contexte luxembourgeois, les légionnaires ont connu une grande popularité après la Première Guerre mondiale, lorsque, dans un climat politique international tendu, remettant en cause l’existence même du Grand-Duché, la contribution des expatriés luxembourgeois dans les armées alliées a été glorifiée et utilisée pour dissiper les critiques pesant sur l’attitude du pays, occupé militairement par le Reich de 1914 à 1918. Par le biais de ses légionnaires, la participation du Luxembourg à l’effort de guerre dans le camp de l’Entente était soulignée. L’implication des Luxembourgeois dans la Légion étrangère française remonte cependant à bien avant la Première Guerre mondiale, lorsque les migrants du travail en France ainsi que des déserteurs ou des jeunes à l’esprit aventurier choisissaient la carrière militaire dans les colonies comme moyen de gagner leur vie. Dès 1903, le Premier ministre Eyschen qualifie cet engagement de « circonstance déplorable » et divers documents attestent des interventions directes du gouvernement pour obtenir le retour de nombreux jeunes gens qui s’étaient enrôlés dans la Légion étrangère contre la volonté de leurs parents. Un changement important se produit au début de la Première Guerre mondiale, lorsque, peu après la mobilisation générale, un décret daté du 3 août 1914 autorise les étrangers résidant en France à servir dans les rangs français en tant qu’engagés volontaires pour la durée de la guerre dans la Légion étrangère, tandis que ceux déjà en activité dans les colonies sont envoyés en métropole. Des groupes d’expatriés motivés par des intentions patriotiques ou contraints par la pression sociale, mais aussi des ouvriers privés d’emploi après la fermeture des usines ou des émigrants se croyant menacés d’internement ou d’expulsion vont s’enrôler. Si certaines sources de l’époque évoquent 8000 légionnaires luxembourgeois et d’autres à peine 500, c’est le chiffre de 3000 qui est le plus fréquemment relayé et qui restera dans les mémoires. Probablement plus proche du chiffre de mille engagés, le nombre exact des légionnaires luxembourgeois reste cependant difficile à déterminer en raison des nombreuses naturalisations d’émigrants luxembourgeois en France, de la confusion régnant sur l’origine nationale d’un certain nombre d’entre eux mais
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aussi du droit à l’anonymat dont bénéficiaient les soldats combattant dans la Légion étrangère. C’est à Paris que la colonie luxembourgeoise, scandalisée par l’occupation allemande du Grand-Duché, a activement œuvré en faveur de l’engagement de ses compatriotes dans le camp français. Parallèlement, des associations caritatives ont vu le jour dès le début de la guerre, au Luxembourg comme en France, pour soutenir les familles des légionnaires luxembourgeois. Durant la Première Guerre mondiale, l’afflux de combattants de nationalités diverses dans la Légion étrangère a quelque peu estompé la réputation douteuse que véhiculait ce corps qui a commencé à être perçu de façon plus positive. Le régiment de marche de la Légion étrangère (ou RMLE), issu de la fusion des unités de la Légion étrangère décimées par les premiers mois de guerre, s’est distingué en Artois, dans la Somme, à Verdun, lors de la deuxième bataille de la Marne, dans l’Aisne, ainsi que sur d’autres théâtres d’opérations de la guerre. Quelques mois après l’Armistice, le 16 mars 1919, les légionnaires luxembourgeois firent leur entrée triomphale à Luxembourg-Ville et participèrent à différentes célébrations organisées en leur honneur. L’enthousiasme pour les légionnaires n’était cependant pas univoque et la façon dont ils ont été accueillis reflète les tensions politiques de l’époque. Le 9 janvier 1919, dans le cadre d’un mouvement populaire, un Comité de salut public avait proclamé la république, provoquant l’intervention des troupes d’occupation françaises. La grande-duchesse Marie-Adélaïde, très controversée, fut finalement amenée par le parti de la droite du Premier ministre Émile Reuter à abdiquer en faveur de sa sœur Charlotte. Ces événements révolutionnaires étaient portés pour l’essentiel par des députés libéraux et socialistes et des cercles proches des milieux francophiles et républicains. De même, les associations de soutien aux légionnaires et à leurs familles ainsi que d’autres comités, chargés par exemple de la collecte de fonds destinés à l’érection de monuments commémoratifs, ont été principalement créés et portés par des groupes et des individus issus de la société civile en dehors du cadre de l’État. Malgré ces controverses initiales, les récits de résistance, d’héroïsme et de sacrifice des légionnaires luxembourgeois ont progressivement dominé les récits sur la Première Guerre mondiale au Grand-Duché, et le Monument du Souvenir, plus connu sous le nom de Gëlle Fra, érigé pour commémorer l’engagement des volontaires luxembourgeois durant la Grande Guerre, représente cent ans plus tard l’un des symboles nationaux les plus emblématiques du pays. L’image classique et romancée des légionnaires luxembourgeois, tout à la fois patriotes, héros et victimes, qui a imprégné le récit national ne reflète toutefois pas la complexité de leurs origines sociales et culturelles, de leurs parcours et de leurs motivations. Témoignant des recherches les plus récentes sur le sujet, cet ouvrage collectif a pour objectif de mettre en évidence toutes ces complexités en se polarisant non seulement sur la guerre mais encore sur le contexte social et culturel. L’engagement militaire des Luxembourgeois dans la Légion étrangère apparaît en effet comme le résultat des conditions historiques, sociales et économiques, de l’impact de l’industrialisation, de l’expansion coloniale, des flux migratoires. Les histoires croisées de la Légion et des émigrations luxembourgeoises au XIXe et au début du XXe siècle, doublées des questions de nationalité et d’identité, constituent un aspect central de ce travail. Un autre accent est mis sur les représentations fluctuantes des légionnaires dans les déclarations officielles, la presse et la culture populaire.
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Introduction
Luxembourgeois au service de la France, 1914. Collection Fernand Gonderinger. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA. Carte postale vendue au bénéfice du Comité de Secours de la rue Chimay.
Couvrant une période allant du début du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, avec pour point d’orgue la Première Guerre mondiale, ce volume reflète la structure de l’exposition « Légionnaires » qui se déploie en cinq grands thèmes, explorant le rôle des Luxembourgeois dans la Légion étrangère française, leur milieu social et culturel, les schémas migratoires ayant conduit à leur engagement, l’expérience de la guerre et ses conséquences, et les ambiguïtés de leurs représentations et autoreprésentations. Une focalisation sur les micro-histoires permet d’avoir un aperçu des expériences personnelles dans un contexte socio-politique et historique plus large. Qui étaient ces légionnaires luxembourgeois ? Que faisaient-ils en France ? Pourquoi ont-ils décidé de s’enrôler ? Comment ont-ils été dépeints et sont-ils entrés dans la mémoire ?
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O I LEG IA R T PA RA T S NO
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CHRISTIAN KOLLER
Brève histoire de la Légion étrangère française
Développement et déploiement La fondation de la Légion étrangère le 10 mars 1831, après la révolution de Juillet 1830 en France, est liée à plusieurs facteurs1. Tout d’abord, la France connaît un afflux de réfugiés venant de toute l’Europe, en particulier de Pologne, suite à la répression de nombreux soulèvements liés à la vague révolutionnaire de 1830. Le nouveau gouvernement français du « roi-citoyen » Louis-Philippe d’Orléans considère ces individus comme potentiellement dangereux, mais ne veut pas mettre en péril son image progressiste en expatriant des réfugiés politiques. Par ailleurs, la dissolution des anciennes troupes de mercenaires, incluant la Garde royale suisse (le 14 août 1830) et le régiment étranger de Hohenlohe (le 5 janvier 1831), par le nouveau gouvernement génère un grand nombre de soldats étrangers désœuvrés qui, à l’instar des réfugiés, sont vus comme une menace à l’ordre public2. Enfin, le nouveau gouvernement a besoin de soldats pour poursuivre l’expédition en Algérie lancée par son prédécesseur. Cette campagne étant impopulaire auprès de la population, il lui semble peu judicieux de déployer trop de Français dans cette guerre. Par conséquent, la création d’une nouvelle unité de mercenaires destinée à œuvrer uniquement à l’étranger apparaît comme la solution idéale pour se débarrasser des indésirables en les envoyant combattre à l’étranger en tant que membres de l’armée française, et fournit par la même occasion des soldats pour la conquête de l’Algérie tout en épargnant la vie des Français. Après la conquête de l’Algérie, qui s’achève à la fin des années 1840, la ville algérienne Sidi Bel Abbès devient la base de commandement de la Légion étrangère, la formation
Fig. 1
Régiments étrangers en 1858 et 1860. Photo © Paris - Musée de l’Armée, Dist. RMNGrand Palais / image musée de l’Armée. Paris, Musée de l‘Armée. De gauche à droite : voltigeur (grande tenue de sortie, 1er régiment), sergent grenadier (grande tenue de sortie, 1858), caporal (idem, 2e régiment), sergent grenadier (grande tenue de service, 1860), voltigeur (grande tenue de sortie, 1860), soldat (tenue d’exercice), tambourmajor (tenue de ville, 2e régiment, 1858), sapeur (tenue d’hiver, 1860), capitaine (grande tenue de service, 1858), sous-lieutenant (idem, 1860), idem (petite tenue, 2e régiment, 1858), chef de bataillon (grande tenue de service, 1860). Planche 13 d’un recueil d’uniformes militaires par Ch. Kohl (XIXe siècle), Est. A 89 ; NF Af-Co KOH.
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Legio Patria Nostra
initiale des nouvelles recrues ayant lieu pour l’essentiel dans différentes régions d’Algérie. Néanmoins, le déploiement de la Légion étrangère qui, vers la fin du XIXe siècle, est intégrée à l’Armée d’Afrique française ne se limite pas aux guerres coloniales. La Légion prend également part à divers conflits européens, notamment la guerre carliste en Espagne (1835-1839), la guerre de Crimée (1854-1856), la guerre d’indépendance de l’Italie (1859), la guerre franco-prussienne (1870-1871) et les deux guerres mondiales. Malgré l’interdiction des déploiements à l’intérieur du pays, les unités de la Légion étrangère sont également mobilisées pour la répression brutale de la période insurrectionnelle de la Commune à Paris, au printemps 1871. La guerre franco-prussienne et les deux guerres mondiales constituent des cas particuliers, qui ont entraîné des modifications de la politique de recrutement de la Légion étrangère. Les étrangers souhaitant combattre pour la France pouvaient être officiellement intégrés à la Légion étrangère sans avoir suivi le plan de carrière classique comprenant la formation initiale en Algérie et le déploiement dans les colonies. En outre, leurs contrats ne sont pas limités à cinq ans, mais à la durée de la guerre (ils sont « engagés volontaires pour la durée de la guerre »), et ils peuvent choisir de se retirer si leur unité est amenée à se battre contre leur pays d’origine. La mission principale de la Légion étrangère consiste cependant à servir l’impérialisme français. Des années 1860 aux années 1930, les unités de la Légion étrangère restent principalement affectées aux conquêtes coloniales et à la lutte contre l’insurrection en Afrique du Nord et de l’Ouest, au Mexique, en Indochine, au Madagascar et au Moyen-Orient. Les guerres impériales menées par l’ensemble des puissances coloniales sont caractérisées par une brutalité exceptionnelle, qui outrepasse souvent les règles et les principes de la guerre en Europe3, et la Légion étrangère participe à de nombreux massacres et actes de torture et de violence contre des civils4. Lors de la Grande révolte syrienne (1925-1927) par exemple, les punitions collectives dans les régions rebelles incluent la destruction de tous les villages ainsi que la torture et l’assassinat des civils, quel que soient leur sexe ou leur âge. Un grand nombre de mémoires de légionnaires évoquent l’exécution de prisonniers druzes et l’exposition publique de leurs cadavres, la flagellation de femmes, le meurtre de femmes et d’enfants et le pillage des villages détruits5. C’est à cette époque que le légionnaire Michael Donovan assiste à la torture publique d’un homme soupçonné d’être impliqué dans le vol des armes de la Légion en Algérie : Nous nous attendions tous à du grand spectacle, car nous savions que les prisonniers seraient bientôt soumis à un interrogatoire, tel qu’on le pratique dans la Légion. L’officier ordonna que l’un des prisonniers soit attaché à un poteau planté dans le sable près de sa tente. Ceci étant fait, il lui posa un certain nombre de questions, d’abord en arabe, puis en français. Le prisonnier ne fit aucune tentative pour répondre […]. Un feu fut allumé avec les braises du feu de camp, et on y plaça une tige de métal qui servait au récurage des canons de mitrailleuses. Une fois la tige chauffée au rouge, elle fut retirée du feu et appliquée sur la plante de pied de l’arabe. Une légère bouffée de fumée s’éleva et je sentis la chair brûlée, ce qui me dégoûta et me fascina à la fois. […] Le sous-officier, constatant que la tige chauffée au rouge était un échec, le soumit à deux autres formes de torture. Je ne les décrirai pas. Elles étaient telles que seul un fou accepterait de se les remémorer. Et seul un fou en lirait la description sans avoir la nausée6.
Alors que la Légion étrangère développe des coutumes spécifiques tout au long du XIXe siècle, c’est seulement pendant la période de l’entre-deux-guerres que l’on observe le début d’une politique identitaire plus systématique, qui façonnera l’image de la Légion, que ce soit au sein de ses propres rangs ou auprès du grand public7. Le képi blanc est
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Christian Koller
Brève histoire de la Légion étrangère française
Une limite au recrutement qui semble évidente est l’exclusion des femmes. Malgré certaines exceptions notables comme les « bataillons de la mort » russes exclusivement féminins en 1917 ou les milices de gauche au début de la guerre civile espagnole, les armées européennes du XIXe et du XXe siècle sont généralement caractérisées par une forte inégalité des sexes, excluant totalement les femmes, ou du moins des postes de combat24. Les unités de mercenaires telles que la Légion, nourrissant une culture machiste très marquée, adoptent la politique commune des armées nationales, qui se base sur un service obligatoire non imposé aux femmes. La Légion accepte les femmes uniquement en tant que prostituées dans les bordels militaires, sur une base contractuelle similaire à celle des légionnaires. Le nombre de femmes intégrant la Légion déguisées en hommes n’est pas connu, mais il est probablement négligeable. En 1908, on découvre qu’une sœur et son frère jumeau ont servi ensemble dans la Légion étrangère pendant six mois, le garçon effectuant deux fois les contrôles médicaux. La seule femme officiellement engagée dans la Légion étrangère est l’Anglaise Susan Travers, qui rejoint les Forces françaises libres de De Gaulle en tant que conductrice en 1941 et devient un membre officiel de la Légion étrangère en 1945, avant d’être affectée au Vietnam pendant la guerre d’Indochine25.
La vie quotidienne dans la Légion étrangère La carrière d’un légionnaire commençait par son enrôlement dans un centre de recrutement en France et se poursuivait avec de premières expériences dans les casernes françaises, le voyage en Afrique du Nord et la formation initiale sur place26.
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Fig. 1
Théophile Hemes avec son épouse Marguerite Michaud, Paris, 28 octobre 1905. Photographie de la Bastille L. Mulot. Dudelange, Centre de Documentation sur les Migrations Humaines (CDMH), Fonds privés. Théophile Hemes, né à Dalheim en 1884, a effectué un apprentissage d’épicier à Paris. Il a rencontré sa future épouse Marguerite Michaud, née en 1881 à Versailles, qui exerçait en tant que fille de boutique, sur son lieu de travail. Le couple s’établit à Esch-sur-Alzette au Grand-Duché de Luxembourg peu avant la Première Guerre mondiale et y tient une épicerie, rue du Moulin.
« Oh non, cher Monsieur, me dit-on habituellement, ce n’est pas la misère qui nous éloigne de notre patrie. Au contraire, je suis le fils de gens riches. Aujourd’hui, on ne peut plus exister sans avoir fait son ”tour de France”. Il n’y a pas une demidouzaine de jeunes hommes de mon âge dans notre village qui ne soient pas allés en France. Au début, je n’en avais pas vraiment envie, mais comme, en compagnie de mes camarades, je n’entends parler que de Paris et que j’ai l’air d’un idiot parce que je ne peux prendre part à leurs discussions, j’ai décidé de faire mon tour de France, malgré l’opposition de mes parents. Mes parents doivent engager un valet de ferme pour me remplacer, mais cela ne veut rien dire. Avec l’argent que je gagnerai, mes parents peuvent payer le valet. Je vais rester au loin pendant deux ans, même si je dois souffrir de la faim1 ». Voilà le discours qu’Émile Mersch, correspondant spécial du Luxemburger Wort à Paris, prête en 1887 à un des nombreux jeunes hommes luxembourgeois qui l’ont fait : le tour de France. Le correspondant du journal clérical n’aimait pas ce type de migration contre lequel il mettait en garde : Jeunes gens, pourquoi aspirez-vous tant à faire ce tour de France ? Pourquoi voulez-vous vous rendre jusqu’à Paris ? Cette ville qu’il appelle « Babylone-sur-Seine ». Restez donc auprès de votre famille, ne quittez pas votre pays et vos campagnes. Voilà le message adressé au lectorat catholique et conservateur du Luxemburger Wort. Mersch, « professeur à Versailles », regrette le temps d’avant l’introduction du chemin de fer, avant que le Feierwon (« le wagon de fer ») ne relie en 1859 le Luxembourg au « grousse Völkerbond » (à la « grande communauté des peuples »), comme il est dit dans la chanson homonyme de Michel Lentz. Auparavant, écrit Mersch, les fils de paysans se contentaient des Ardennes françaises, Mézières, Reims à la rigueur, où ils restaient deux ans en apprentissage à la ferme pour ensuite retourner au foyer. Mais, en 1887, Paris est devenu, malheureusement aux yeux de Mersch, un lieu de séjour incontournable. Le Spezialkorrespondent les met en garde, toutes et tous. Toi, l’intellectuel, tu vivoteras à Paris tel un déclassé. Toi qui te voyais en cocher d’une grande maison bourgeoise ou aristocratique, tu finiras cocher de fiacre ou d’omnibus, travaillant plus de douze heures par jour pour un maigre salaire. Toi, l’étudiant, tu te perdras en route et tu finiras comme plongeur dans la
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Denis Scuto
Fig. 5
Une équipe de menuisiers luxembourgeois, Paris, 1900. Collection particulière. Une équipe de menuisiers lors des travaux préparatoires de l’Exposition universelle de 1900 à Paris au Grand Palais ; le deuxième à partir de la gauche est le Luxembourgeois Godefroy Bastendorff, né à Luxembourg-Ville en 1846, ébéniste de profession, arrivé à Paris en 1875, qui a passé toute sa vie au quartier Saint-Antoine, y faisant souche, jusqu’à son décès en 1923. C’était le frère de Guillaume Bastendorff, président du premier syndicat luxembourgeois, créé en 1864, l’Association typographique.
Les émigrations luxembourgeoises en France
(37 %), suivies de l’Alsace (7 %) et la Champagne-Ardennes46. L’annexion de la Moselle à l’Empire allemand en 1871 a créé, les travaux de François Roth l’ont souligné, un contexte favorable à l’immigration de Luxembourgeois en Lorraine. De 3833 personnes en 1871, ils passent à 12 499 en 1910. Sont recrutés des instituteurs et fonctionnaires luxembourgeois parlant l’allemand, des cheminots et des douaniers luxembourgeois sur le réseau ferroviaire lorrain et alsacien repris par la Compagnie de l’Est allemande, des ouvriers mineurs et d’usine ainsi que des cadres de nationalité luxembourgeoise dans les entreprises sidérurgiques comme celles des De Wendel. Les possibilités d’emploi nouvelles offertes en Alsace et en Moselle annexées viennent renforcer les positions déjà détenues par des Luxembourgeois, notamment dans le commerce et dans l’industrie. Comme nous l’avons déjà relevé, l’ampleur et la diversité de ces émigrations luxembourgeoises en France ont longtemps été sous-estimées par l’historiographie luxembourgeoise et maintes recherches plus détaillées restent à faire. Cette exposition et le livre qui l’accompagne espèrent au moins remettre les pendules à l’heure. Il est temps de rappeler, à l’aide de cet exemple de migration de masse, que le Grand-Duché de
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ANTOINETTE REUTER
Profils de légionnaires dudelangeois. Du local au global
Au mois de novembre 1938, une photo exposée dans les vitrines de la Photohalle Kremer fait courir le tout Dudelange. L’engouement pour le cliché est tel que la presse nationale s’empare du fait divers1. Provenant du Maroc, l’image montre un groupe de jeunes gens venant de signer un engagement pour la Légion étrangère. Parmi eux, trois natifs de la « Forge du Sud » à qui il est certifié d’avoir belle allure dans leur uniforme de gala2. Cet épiphénomène montre que, fut un temps, la Légion étrangère a été localement investie d’un imaginaire qui n’était pas celui mis en avant sur le plan national. La Légion étrangère qui fascinait les Dudelangeois n’était pas celle des volontaires de la Grande Guerre, mais celle coloniale à la réputation quelque peu sulfureuse. C’est en effet à mots couverts que l’on évoque encore aujourd’hui l’engagement éventuel d’un parent ou d’un ami, le qualifiant généralement de regrettable erreur de jeunesse3. Ici pas de « rue des Légionnaires », comme à Bonnevoie ou à Tétange, pas de référence à la Gëlle Fra ou au mausolée du légionnaire inconnu. Ce constat est d’autant plus étonnant que la ville est – du fait de l’engouement précoce de ses habitants pour la photographie – probablement l’une des rares localités luxembourgeoises à disposer d’un cliché illustrant l’hommage public rendu à un de ses vétérans de retour des champs de bataille de 1914-19184. Dans l’état actuel de notre documentation, Dudelange aurait fourni une contribution non négligeable lors de la Première Guerre mondiale à Légion étrangère5, vu la révision à la baisse du nombre général des engagés luxembourgeois6. Qui étaient les légionnaires dudelangeois, de quels milieux étaient-ils issus, quelles étaient leurs motivations pour rejoindre la Légion étrangère ? La littérature qui s’intéresse de manière globale au phénomène de l’engagement étranger en France lors de la déflagration de 1914-1918 fait souvent état – en se référant aux engagés issus des élites parisiennes – des divergences de recrutement entre le corps des volontaires étrangers de la Grande Guerre et celui de la Légion des temps ordinaires7. Nous aimerions, à partir des données dudelangeoises, interroger ce paradigme de la double Légion et essayer de vérifier à travers une approche micro-historique si le profil des volontaires de la Grande Guerre recoupe celui des engagés habituels de la Légion
Fig. 1
L’accueil du légionnaire Jean Schmit à Dudelange, avec remise d’une montre en or et d’un pécule par la municipalité, 14 juillet 1919. Ville de Dudelange, Archives photographiques.
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Legio Patria Nostra
avant la Première Guerre mondiale, la pratique administrative voulant que les autorités françaises informent la commune de naissance ou de résidence des victimes. L’ensemble de ces registres permet par ailleurs de mieux connaître l’environnement des légionnaires, de comprendre dans quels réseaux familiaux et sociaux ils évoluaient. Enfin la consultation de la presse numérisée par la Bibliothèque nationale a offert des compléments intéressants. Le relevé des légionnaires ainsi obtenu peut être considéré comme relativement fiable pour la période de la Grande Guerre, vu la grande densité de l’information disponible. Il est plus aléatoire pour les périodes antérieures et postérieures à la déflagration de 1914-1918, le sujet n’ayant pas bénéficié d’une attention systématique des autorités ou des chercheuses et chercheurs. Les résultats, s’il ne peuvent pas prétendre à l’exhaustivité, nous semblent cependant être assez étoffés pour autoriser quelques comparaisons19.
Permanence et spécificités Le cas d’Édouard Mayrisch mis à part, tous les légionnaires dudelangeois de la Grande Guerre sont issus de milieux populaires, à savoir de pères ouvriers, mineurs ou cafetiers-mineurs, artisans salariés, petits boutiquiers. Les engagés exercent quant à eux le même type de métier, ouvrier, ajusteur, tourneur, mécanicien, menuisier, garçon de café, boutiquier (Radrizzi, épicier-cafetier au quartier Italien, Siret, confiseur à Nancy). François Blaise, artiste lyrique à Paris, représente l’exception qui confirme la règle. Par ailleurs, le milieu transcende les nationalités. Il s’agit en effet de ne pas confondre le lieu de naissance ou le domicile Dudelange avec la nationalité luxembourgeoise. L’échantillon montre en effet la complexité et la diversité des réalités migratoires dans le Bassin minier à l’exemple de la Forge du Sud. Dans le lot des Dudelangeois, il y a un Austro-Hongrois et un Allemand. En effet, les deux parents d’Étienne Angeli sont des Tyroliens originaires de Vermillion, une localité proche de Vipiteno (Sterzing), alors autrichienne. Quant au père de François Georges Kilian, il provient de Duisburg. Maurice Radrizzi, de son côté, s’il vit à Dudelange avec ses cousins Radrizzi et Storti, tous de nationalité italienne, est lui-même né à Villerupt et détient la nationalité française. Cela après avoir accompli un service militaire de cinq ans dans la Légion étrangère en Algérie20. Les travaux de Jim Carelli ont par ailleurs mis en avant les cas de nationalité incertaine. L’exemple de François Joseph Klomann qui a servi dans la Légion étrangère avant la Grande Guerre après avoir déserté l’armée allemande illustre ce cas de figure.
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Fig. 4
Édouard Mayrisch, vers 1913. Collection particulière.
Antoinette Reuter
Profils de légionnaires dudelangeois
Profils de légionnaires dudelangeois Avant la Première Guerre mondiale François Blaise (1889 - s. d.) Né à Dudelange, le 14 février 1889, de Nicolas, ouvrier d’usine, originaire de Dudelange, et de Marie Cannivé, née à Sandweiler. Les parents de François Blaise se sont mariés à Paris le 19 février 1880 et ses deux sœurs aînées y sont nées ; un cousin, Étienne Galles, est volontaire dans l’armée belge. Exerce le métier d’artiste lyrique. S’engage dans la Légion en 1908 et y reprend du service en 1914. Caporal au 2e régiment étranger. Résidence à Paris, 10e arrondissement. Jean Frisch (1821 - 1850) Né à Dudelange, le 4 avril 1821, de Michel, charron, originaire de Huncherange, et de Catherine Laux, née à Dudelange. Soldat à la Légion étrangère. Décédé le 20 novembre 1850 à l’hôpital militaire de Djidjelli (Jijel) en Algérie. Joseph François Klomann (1888 - s. d.) Né à Dudelange, le 31 juillet 1888, de Joseph, commis, et d’Augustine Hamacher. Exerce le métier d’ouvrier-boulanger. Mobilisé dans l’armée allemande en 1909, il déserte en 1910 et s’engage dans la Légion étrangère. Il fait la campagne du Maroc en 1912 et est libéré en 1915. Interné en tant que ressortissant d’une nation ennemie, il essaie de se réengager dans la Légion en arguant d’une nationalité luxembourgeoise dont il ne dispose pas. François Maurice Radrizzi (1883 - 1915) Né à Villerupt (Meurthe-et-Moselle), le 15 juillet 1883, de Natale, originaire de Vergiate (région Lombardie, province de Varese), cafetier, et de Jeanne Adler, née à Garche (Moselle). S’engage dans la Légion étrangère en Algérie. Obtient la nationalité française. Est mobilisé dans l’armée ordinaire en 1914. Adjutant au 91e régiment d’infanterie. Tué à l’ennemi dans la Meuse en avril 1915. Adolphe Wolff (1893 - 1917) Né à Völklingen (Sarre), le 10 mai 1893, de Jean, originaire de Dudelange, et de Susanne Steichen, née à Hussigny-Godbrange (Meurthe-et-Moselle). S’engage dans la Légion étrangère alors que la Grande Guerre éclate. Caporal au régiment de marche d’Afrique. Meurt le 23 mars 1917 suite à des blessures de guerre à l’hôpital de Monastir (Serbie).
Première Guerre mondiale Pierre Altmann (1890 - 1917) Né à Dudelange, le 8 mai 1890, de Michel, mineur, originaire de Dudelange, et de Marie Bodson. Exerce le métier de démolisseur. Épouse le 17 novembre 1910 Marie Fandel, de Damflos (Palatinat).
Soldat de 2e classe au régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE). Décède le 26 août 1917 dans la Meuse, suite à des blessures de guerre. Résidence à Paris, 1er arrondissement. Étienne Angeli (1891 - 1917) Né à Dudelange, le 11 septembre 1891, d’Étienne, ouvrier d’usine, originaire de Vermillion (près de Sterzing/Vipiteno) dans le Tyrol autrichien, et de Mélanie Veronesi. Soldat de 2e classe au RMLE. Tué à l’ennemi le 17 avril 1917 à Auberive. Résidence à Clichy. Jean-Nicolas Feltgen (s. d.) De Dudelange. Jean Baptiste Hebesch (1890 - 1915) Né à Dudelange, le 1er juin 1890, de Jean-François, cafetier, originaire d’Altwies, et de Marguerite Niclou, née à Esch-sur-Alzette. Épouse le 1er août 1914 à Joeuf Élisabeth Woelfel. Soldat de 2e classe au 2e régiment de marche du 2e régiment étranger. Décède de ses blessures de guerre le 30 mai 1915 à Quimper (Finistère). Jean Heinisch (s. d.) De Dudelange. Jean Nicolas Honnert (1891 - 2017) Né à Dudelange, le 20 février 1891, de Jean, mineur, et de Philomène Joly. Ses parents et frères et sœurs résident à Hussigny (Meurthe-et-Moselle). Soldat 2e classe au RMLE. Décède de ses blessures de guerre le 23 août 2017 à Fleury-sur-Aire (Meuse). Résidence à Bordeaux. Jacques Jacoby (1892 - s. d.) Né à Dudelange, le 30 novembre 1892 de Jacques, originaire d’Achen (Moselle), mineur, et de Marie Philippe, née à Steinsel. Charles Klauner (1891 - s. d.) Né à Dudelange, le 18 août 1891, de Jean, originaire du Pfaffenthal, aide-maçon, et de Susanne Hoffmann, née à Neudorf. Exerce le métier de mineur. Marié avec Louise Hebesch, sœur de Jean-Baptiste Hebesch. François Nicolas Klein (1889 - s. d.) Né à Dudelange, le 4 décembre 1889. François Georges Kilian (1892 - 1918) Né à Dudelange, le 18 juillet 1892, de Georges, originaire de Duisburg, ouvrier d’usine, et d’Anne Manderscheid. Soldat de 2e classe au RMLE. Tué à l’ennemi à Lauffaux (Aisne). Résidence à Montchanin (Saône-et-Loire).
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Legio Patria Nostra Nostra
FRÉDÉRIC LAUX
JOSEPH LAUX Joseph Laux est né le 8 mars 1882 à Esch-sur-Alzette. Il est le troisième et dernier fils d’Émile Laux et de son épouse Élisabeth Robinet, native d’Eischen. La famille Laux est établie à Esch depuis le début du XVIIIe siècle au moins. Issus du milieu artisan (tailleurs d’habits), les membres de la famille vont progressivement s’élever à des postes d’employés : ceux de douanier, d’employé des accises et, pour le père de Joseph Laux, de surveillant de mines. Joseph Laux perd son père à l’âge de trois ans. À treize ans, la mort de sa mère fait de lui un jeune orphelin, sans ressources. Il refuse la place d’aide-jardinier qu’on lui a trouvée dans un château, excluant catégoriquement de « porter un tablier bleu1 », c’est-à-dire d’être domestique. Le jeune adolescent décide de devenir ébéniste à l’imitation de son frère Jean Émile, son aîné de quatre ans, qui s’installe par la suite à Differdange. En 1895, Joseph Laux part donc pour Paris en apprentissage chez un compatriote établi faubourg Saint-Antoine. Il y intègre l’active et florissante colonie luxembourgeoise des artisans d’art. Il devient rapidement un ébéniste apprécié, se déplaçant d’un atelier ou d’un chantier à l’autre, au gré des commandes, jusqu’à Londres2 et au Grand-Duché3 avec lequel il garde des liens familiaux et amicaux étroits et suivis. En 1903, un compatriote natif de Kayl, Jean Hoos, prospère
Fig. 1
Joseph Laux vers 1907. Archives privées.
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Fig. 2
Jean Hoos (en costume au centre) avec ses ouvriers, dans la cour de son atelier d’ébénisterie situé 97 rue du Faubourg Saint-Antoine. À sa gauche, Joseph Laux (portant une cravate), son gendre. Archives privées.
ébéniste installé au 97 rue du Faubourg Saint-Antoine, l’engage comme chef d’atelier. En 1905, se noue une idylle entre Joseph Laux et l’une des filles du patron, Louise4. De leur union en 1907, naissent trois garçons : Émile en 1907, Gaston en 1909 et Louis Jean en 1910. Après la mort de son beau-père en janvier 1914, Joseph Laux s’associe avec un compatriote, du nom de Saeul, et ouvre un atelier d’ébénisterie et de menuiserie d’art à Paris. L’affaire se révélant florissante, la famille s’installe dans une villa à Saint-Mandé, aux portes de la capitale. À la déclaration de guerre, Joseph Laux, sujet d’un État neutre, n’est pas mobilisé. Au début du mois d’août, il cherche une place5, sa jeune entreprise ayant pâti de l’état de guerre. Sans doute est-ce là l’une des raisons qui le conduisent, le 24 août, à se présenter au bureau de recrutement de la Légion étrangère pour y signer son engagement volontaire pour toute la durée de la guerre. Mais non la seule raison. La tradition familiale rapporte que c’est sa femme, très cocardière et grande admiratrice de Napoléon, qui l’en a convaincu pour défendre le pays qui l’a accueilli, où il vit et où il a fondé sa famille. Pour achever de le convaincre, elle met aussi en avant d’autres arguments : délivrer leur pays envahi et « notre grande-duchesse prisonnière des Allemands ». Les déplaisants quolibets (« sale boche ») que lui vaut son accent ont sans doute également joué6. Sa fiche matricule n° 189457 le décrit ainsi : cheveux châtains, yeux gris, front rectiligne, nez ordinaire, visage rond, taille 1 mètre 805. Affecté au 2e régiment de marche du 2e étranger, il arrive au corps
Frédéric Laux
Joseph Laux
T N E M E G S A T G A D N L’E ES SOL D
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SÉBASTIEN VECCHIATO
Les premiers Luxembourgeois dans la Légion étrangère française (1831-1914)
Fig. 1
Groupe de légionnaires en campagne, Algérie, 1909. Collection particulière. Lucien Ries, à gauche, marqué de deux croix, s’est enfui de la maison à l’âge de dix-sept ans afin de rejoindre la Légion étrangère, contre la volonté de ses parents. Ces derniers ont fait appel au gouvernement luxembourgeois pour le faire rentrer.
L’engagement des Luxembourgeois dans la Légion étrangère découle de deux phénomènes. Le premier est celui de la forte migration des Luxembourgeois vers la France. Le second s’inscrit dans un contexte européen où de nombreux ressortissants luxembourgeois s’enrôlent dans diverses armées nationales comme l’armée prussienne, la Légion étrangère britannique, l’armée pontificale, l’armée néerlandaise coloniale, et même dans l’armée des États confédérés durant la guerre de Sécession1. Le XIXe siècle constitue l’époque où l’on passe des guerres d’Ancien Régime entre monarques aux guerres modernes entre nations, le tournant constituant évidemment les guerres napoléoniennes. Il subsiste toutefois des régiments de mercenaires étrangers comme la Légion étrangère en France, ce qui vient contredire l’idée selon laquelle les armées au XIXe siècle ne sont plus qu’un élément « purement national », la tradition d’engager des mercenaires étrangers existant toujours dans certains régiments militaires, notamment européens. Abordons tout d’abord les différentes sources qui nous ont permis d’étudier la présence luxembourgeoise dans la Légion étrangère avant 1914. Il y a d’abord les archives relatives au service militaire à l’étranger conservées au sein du département du ministère des Affaires étrangères des Archives nationales de Luxembourg
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L’engagement des soldats
ARNAUD SAUER
HENRI DIESCHBOURG Comprendre les motivations des Luxembourgeois qui se sont engagés de façon volontaire dans l’armée française pour la durée de la guerre demeure chose complexe. Les témoignages et récits manquent pour rendre compte de la fièvre qui s’empare des étrangers de France, et plus particulièrement de Paris, suite à l’agression allemande.
Fig. 1
L’ingénieur-électricien Henri Dieschbourg à Paris. Collection particulière. Cette photographie, vraisemblablement prise peu avant la guerre, montre un homme déjà mûr et d’un certain statut socio-professionnel comme l’indiquent la pose recherchée et le costume soigné marquant sa qualité de cadre.
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Face à la multiplicité des cas et situations rencontrés, nous avons fait le choix de nous intéresser à un type méconnu de légionnaires luxembourgeois afin d’apporter un autre regard sur cette phalange d’hommes. Notre attention s’est portée sur le parcours d’Henri Dieschbourg, ingénieur, cultivé, notable, au profil atypique, qui n’incarne pas de prime abord l’image du légionnaire-type frisant souvent la caricature. Nous appuierons notre analyse sur le texte d’une conférence qu’Henri Dieschbourg a donnée à Paris en 1916 au Comité francoluxembourgeois, association francophile dont il est alors membre. Ce texte qu’il qualifie de « récit de mes souvenirs de campagne », est publié dans la presse luxembourgeoise francophone en 1919, après l’annonce de son décès1. Le témoignage d’Henri Dieschbourg constitue l’un des rares récits de légionnaires luxembourgeois parvenu jusqu’à nous. Il offre le regard d’un Luxembourgeois engagé volontaire traitant des causes et circonstances de l’enrôlement mais aussi de la découverte de la Légion étrangère et de ses spécificités. Henri-Nicolas Dieschbourg est né en 1887 à Echternach d’un père boulanger issu d’une lignée de meuniers2 qui tirera par la suite une certaine aisance d’un commerce d’électricité bien situé dans la ville. Aîné d’une famille de huit enfants dont quatre mourront en bas-âge, Henri est le seul garçon survivant. Notoirement connus, les Dieschbourg font partie de la petite bourgeoisie commerçante de l’est du pays, situation sociale qui permet au jeune Henri d’entreprendre de sérieuses études classiques3 et d’imaginer poursuivre, en tant qu’aîné et seul garçon du couple, son cursus scolaire par des études supérieures à l’étranger. Parfaitement bilingue, ce francophile s’oriente vers des études scientifiques et techniques et opte pour l’Université de Liège dont il sort diplômé avec le titre d’ingénieur-électricien. Attiré par la France, Henri Dieschbourg fait le choix en 1911 de gagner l’Hexagone et sa capitale où il entre au service de la Compagnie Générale d’Électricité (CGE). Son profil socio-professionnel n’est pas celui que l’on associe spontanément aux Luxembourgeois venus à Paris et moins encore aux légionnaires luxembourgeois. Henri Dieschbourg appartient à cette catégorie de Luxembourgeois qui, forte d’un solide bagage scolaire, jouit déjà d’une certaine situation sociale et professionnelle en août 19144. Ainsi, au moment de la déclaration de guerre, celui-ci est installé depuis trois ans à Paris où il a décidé de se fixer pour faire carrière. C’est ce que traduit la demande de naturalisation qu’il introduit dès 1914 et qui aboutira avant que la Grande Guerre ne s’achève5. Son parcours montre ainsi le processus d’assimilation d’un Luxembourgeois en France. En guise de préambule à son récit, Henri Dieschbourg revient sur les prémices de son engagement. Face au péril de guerre, celui-ci écrit le 27 juillet 1914 une lettre à son père demeurant au Luxembourg, dans laquelle il lui demande conseil quant à
Les soldats dans la guerre
il quitte finalement la Maison de Wendel après 38 années de « bons et loyaux services », comme l’atteste un diplôme daté de 1958 signé de Wendel décerné peu après son départ. En tant qu’ancien combattant, il peut bénéficier de manière anticipée de la Médaille d’honneur du travail validant quarante ans de service. Celle-ci lui est remise à Hayange, siège de la société. Il s’éteint dix ans plus tard à l’hôpital de Briey en octobre 1968. Ce voyage à travers les archives d’une vie nous montre l’ampleur et la complexité des choix auxquels Michel Schmit, Luxembourgeois émigré, a été confronté durant son existence. Son parcours est caractéristique de la grande mobilité d’une partie non négligeable de la population luxembourgeoise avant la Première Guerre, époque où tout un chacun pouvait circuler sans grand contrôle entre Grand-Duché, Allemagne, Belgique et France tout en conservant un lien avec la patrie d’origine. Cette trajectoire peu commune montre également la capacité d’adaptation d’un homme dont la vie a été bouleversée par les circonstances du temps et qui malgré son statut d’étranger, a su tirer parti de ses mobilités, de son engagement et de son expérience de guerre pour rebondir et imaginer un nouvel avenir une fois la paix revenue. Son cheminement est enfin celui d’un homme marqué par la frontière, aux cultures et aux identités multiples et mêlées, qui se servira de cette spécificité luxembourgeoise tout au long de sa vie.
Fig. 7
Carte d’identité allemande autorisant Michel Schmit à circuler au sein de l’usine de Moyeuvre-Grande, 1942. Collection particulière. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA. « Ausweis » délivré en 1942 à Michel Schmit par la Hüttenverwaltung Westmark GmbH. der Reichswerke « Hermann Göring » Werk Mövern, l’autorisant à circuler au sein de l’ancienne usine de Wendel de Moyeuvre-Grande.
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Machteld Venken
Les anciens légionnaires et la protection sociale au Luxembourg
S E L S E R I A N S N N O A I D G LÉ E R I O M É M LA
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SANDRA CAMARDA
« À nos braves » : les monuments aux légionnaires luxembourgeois entre conflit et réconciliation
Les légionnaires dans la mémoire
la Légion étrangère et les armées alliées devient déterminant dans le processus de réconciliation avec la France et la Belgique. Voici la teneur du récit : quelle que soit la position ambigüe que le pays ait eu pendant la guerre, le Luxembourg est resté proche des forces de l’Entente au côté desquelles ses jeunes furent sacrifiés5.
La « Femme dorée » du Luxembourg Le lendemain de Noël 1918, alors que les tensions antimonarchistes sont à leur paroxysme, un Comité du Souvenir est créé à Luxembourg-Ville dans le but de collecter des fonds en vue de la construction d’un monument dédié aux Luxembourgeois qui ont combattu pendant la Première Guerre mondiale dans les armées française et belge6. Les promoteurs du projet sont en majorité des bourgeois de la capitale qui gravitent autour des milieux socialistes et libéraux, critiques du pouvoir en place pendant la guerre. Parmi eux, on trouve le président Charles Larue, conseiller à la Cour d’appel ; les dirigeants du parti libéral, Maurice Pescatore et Robert Brasseur ; Aline Mayrisch, personnalité publique et philanthrope, mariée à l’industriel Émile Mayrisch ; Émile Diderrich, hôtelier à Mondorf et frère du légionnaire Arthur Diderrich ; l’écrivain Batty Weber ; Alfred Houdremont et Marcel Noppeney, tous deux emprisonnés pendant l’occupation allemande en raison de leurs positions pro-françaises7. Depuis son siège à la place Guillaume II, leur association lance une série d’initiatives pour la collecte de fonds un peu partout dans le pays. Cela va de la vente de cartes postales à l’organisation d’événements sportifs et de soirées de bienfaisance. Le Comité réussit ainsi à collecter l’importante somme de 250 000 francs, qui sera ensuite complétée par le produit de la vente de timbres et par une contribution de la part du gouvernement8. En plus de ces opérations de collecte de fonds destinées à la construction du monument, le Comité du Souvenir lance en parallèle un projet de recherche et de documentation dont la finalité est d’identifier les noms des légionnaires luxembourgeois et de recueillir leurs histoires. En effet, le fait de donner un nom à chaque soldat tombé au combat constitue une étape importante dans le processus de commémoration et de construction des monuments de guerre9. Mais la recherche s’avère plus ardue et plus compliquée que prévu à cause des faux noms, des registres militaires imprécis et des chiffres qui, tout au long de la guerre, sont tantôt gonflés, tantôt minimisés, pour servir la propagande et la contre-propagande. À ce jour, la question du nombre réel de légionnaires reste toujours ouverte. Des 9000 légionnaires luxembourgeois environ que mentionne la presse allemande pendant la guerre, les chiffres passent dès la fin de celle-ci à 6000, puis à 3000. Les dernières investigations menées par les autorités
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Fig. 1
L’inauguration du Monument du Souvenir, 27 mai 1923. Collection Fernand Gonderinger. Carte postale, Hommage aux Légionnaires Luxembourgeois - 1914-1918. Monument du Souvenir.
Sandra Camarda
« À nos braves » : les monuments aux légionnaires luxembourgeois
Fig. 3
La tombe du légionnaire inconnu avant son achèvement. Vue d’ensemble prise le 29 mai 1923. Photo S.D.I.G. ANLux, ET-DH-010.
Martyrs et héros : le Monument aux Morts de Bonnevoie Malgré la neutralité du Grand-Duché pendant la guerre, les forces alliées identifient la région du Luxembourg comme objectif militaire principal. Les hauts-fourneaux de la région, il est vrai, fournissent aux Allemands une partie importante de l’acier dont ils ont besoin pour maintenir un système ferroviaire efficace, ô combien essentiel au déploiement des troupes allemandes et à l’acheminement des approvisionnements. C’est ainsi qu’entre 1915 et 1918, 136 raids aériens sont menés sur le Luxembourg, faisant 53 morts, pour la plupart des civils. Les quartiers de Hollerich, de Bonnevoie et de Clausen, situés près de la gare de Luxembourg, sont les plus touchés par les frappes répétées, avec un nombre élevé de morts et des dégâts matériels importants sur les bâtiments civils31. L’histoire de ce pays neutre, injustement bombardé par les alliés, bien que très présente pendant la guerre, s’est progressivement effacée à la fin de celle-ci. Néanmoins, pour commémorer les victimes civiles de ces bombardements, les plus meurtriers que la ville de Luxembourg ait connus, deux monuments voient le jour, grâce à des initiatives citoyennes, dans les quartiers de Clausen et de Bonnevoie. De ces deux monuments, le Monument aux morts de Bonnevoie est particulièrement intéressant dans la mesure où il entreprend de relier l’histoire des victimes civiles avec celle des légionnaires. Précédant l’inauguration de la Gëlle Fra et du Mausolée aux Morts français, ce mémorial est le résultat d’une initiative de collecte populaire de fonds des communes de Hollerich et de Bonnevoie. Son objet est d’honorer les 16 victimes civiles des raids aériens, ainsi que les 13 volontaires luxembourgeois de ces deux communes morts en servant dans la Légion étrangère française pendant la Première Guerre mondiale. Outre le coût de la construction et des matériaux, la principale difficulté fut de trouver un site approprié
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Les légionnaires dans la mémoire
Fig. 4
Inauguration du monument commémoratif de Bonnevoie, 18 juin 1922. Photo Theodore Wirol. ANLux, ET-DH-018.
pour le projet. C’est finalement grâce à l’agrandissement du cimetière local qu’une solution est trouvée avec l’administration communale qui a accordé aux promoteurs un terrain où le mémorial sera construit32. Le concept sélectionné est de nouveau un obélisque – un choix populaire pour les monuments dès le XIXe siècle33 – bien que beaucoup moins élancé et plus modeste. Il porte une simple croix et des plaques avec les noms des morts et l’inscription : « à nos martyrs et héros de la grande-guerre 1914-1918 ». L’inauguration officielle a lieu le 18 juin 1922 avec la participation du ministre d’État Émile Reuter, du prince Félix, de diplomates et d’hommes politiques français, belges, italiens et américains, d’officiers de l’armée ainsi que de nombreux représentants de la municipalité. Les discours de circonstance se concentrent sur le martyre des civils tués dans les bombardements et blâment la « barbarie allemande » sans jamais mentionner que les victimes avaient en réalité été tuées par des raids aériens alliés34. Leur sacrifice est comparé à celui des vaillants légionnaires qui s’étaient portés volontaires pour combattre sous les drapeaux de l’Entente et qui sont morts sur le champ d’honneur35. Martyrs et héros, enfants des mêmes communes sont ainsi réunis dans la mort sous la même bannière. D’autres villes et communes du Luxembourg rendent aussi des hommages, quoique modestes, à leurs légionnaires : le 14 juillet 1923, Esch-sur-Alzette inaugure une plaque de marbre pour les volontaires locaux Jean-Victor Dopfeld et Philippe Jacobi, Joseph Laux, Mathias Lecharlier, Édouard Mauruchat, Jean-Pierre Rix et Jean Weinz36. La plaque – placée initialement à l’Hôtel de Ville puis au Musée national de la Résistance à Esch – est réalisée par le peintre et sculpteur italien Duilio Donzelli, qui est également l’auteur des sculptures sur la façade de l’ARBED en 1922 et qui réalisera le Monument aux morts de la Première Guerre mondiale à Lacroix-sur-Meuse en 192537. Une plaque est également placée dans l’église paroissiale de Tétange pour honorer les volontaires Jacques Paul Huss et Albert Charles Thill38. Enfin, le 15 août 1924, une autre plaque est inaugurée rue Schrobilgen à Neu-Merl (actuellement Belair) pour commémorer le
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Sandra Camarda
« À nos braves » : les monuments aux légionnaires luxembourgeois
légionnaire et champion de cyclisme François Faber39. Ces sites, devenus lieux de pèlerinage, feront finalement partie des itinéraires d’un tourisme de guerre en plein essor, destiné aux anciens combattants comme aux civils. Aussi, pour répondre à une demande croissante, des éditeurs locaux tels que Gustave Soupert (déjà éditeur du Livre d’Or), publient des cartes postales, des guides multilingues et des brochures sur les monuments de guerre et les cimetières militaires au Luxembourg ; une façon de permettre aux touristes et aux habitants de se souvenir et surmonter les traumatismes de la guerre, tout en appréciant les éléments artistiques et architecturaux qu’offrent ces lieux de mémoire.
De l’entre-deux-guerres à la Seconde Guerre mondiale Entre 1923 et 1939, les deux sites phares du cimetière du Limpertsberg, la Gëlle Fra et le Monument au légionnaire inconnu, jouent un rôle de plus en plus important dans les rituels de commémoration publique, notamment les 11 novembre, date de l’anniversaire de l’Armistice, et 14 juillet, fête nationale française40. Le Mémorial du souvenir devient d’ailleurs une étape incontournable lors des visites officielles. Le gouvernement y organise des parades militaires et y rencontre des représentants de pays étrangers ; une manière symbolique de renforcer sa solidarité avec les Alliés41. Fig. 5
Plaque commémorative à la mémoire des engagés volontaires de la ville d’Esch tombés au champ d’honneur sous le drapeau français, 14 juillet 1923. Duilio Donzelli, marbre blanc, 101 x 71 x 3 cm. Esch-sur-Alzette (Luxembourg), Musée national de la Résistance. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA.
Peu après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le Luxembourg est à nouveau occupé par les Allemands. Le Monument du Souvenir représente alors un rappel amer de la défaite de la guerre et de l’alliance du Luxembourg avec les forces de l’Entente. La Gëlle Fra est donc démolie le 21 octobre 1940 provoquant l’indignation d’une partie de la population de Luxembourg-Ville42. Plusieurs manifestants, pour la plupart des étudiants, sont ainsi brutalisés par la Gestapo, accusés de défier l’autorité constituée et arrêtés pour interrogatoire. Le sculpteur Claus Cito, inscrit sur la liste noire des occupants car créateur de l’offensif Monument du Souvenir, est emprisonné43. Quelques jours plus tard, les journaux locaux, mis au pas par l’occupant nazi, annoncent « das Ende einer ”güldenen” Lüge44 », la fin d’un mensonge doré. Ils y affirment que le Monument du Souvenir n’a jamais été l’expression d’une volonté populaire unanime ni que les Luxembourgeois travaillant en France et en Belgique au début de la guerre mondiale avaient pris les armes de leur plein gré45. Hormis quelques jeunes enthousiastes, ajoutent-ils, la majorité des prétendus volontaires avaient rejoint la Légion à contrecœur. Les légionnaires luxembourgeois étaient, disent ces journaux, contraints au service militaire français sous peine d’être enfermés dans des camps de concentration, ils étaient torturés, maltraités, utilisés comme chair à canon et forcés de se battre contre
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Les légionnaires dans la mémoire
leurs frères allemands46. La destruction de la Gëlle Fra, rebaptisée péjorativement « Das Denkmal des Brudermordes », le mémorial du fratricide, est ainsi présentée comme étant une étape nécessaire au rétablissement de la vérité et de l’honneur de la mémoire des conscrits. Les réactions à cette démolition sont complètement différentes de la part des expatriés luxembourgeois qui l’interprètent comme une violation d’un symbole de leur identité nationale. À New York en 1942, pour attirer l’attention sur les épreuves qu’endure le Luxembourg sous l’occupation allemande, une photographie prise lors d’une manifestation antinazie montre de façon poignante une réplique de la Gëlle Fra en train d’être démantelée par les soldats47.
(Re)-construction d’un symbole national Dans leur ouvrage fondateur, The World of Goods (Le monde des biens), Mary Douglas et Baron Isherwood soulignent l’importance de la perte de la culture matérielle pour la construction des significations culturelles et des identités personnelles48. La matérialisation ou la dématérialisation d’événements historiques peut aider à forger des souvenirs ou à faciliter l’oubli49. Si l’édification de monuments commémoratifs fournit aux communautés un substitut pour les corps absents des défunts et un point de convergence pour rappeler et renforcer les valeurs sociétales, leur destruction et leur absence contribuent également à la formation de mémoires collectives. Après la libération, Ons Jongen, l’association des enrôlés luxembourgeois de force dans la Wehrmacht, avance la théorie que les ruines du mémorial pourraient un jour ou l’autre devenir un rappel encore plus fort des atrocités allemandes50. Loin d’être un processus linéaire, la relation entre le souvenir et l’oubli montre toujours une tension entre ce qui est et ce qui n’est plus51. L’absence du monument – l’espace vide laissé derrière lui – évoque par là même sa présence, et pointe du doigt ce qui manque tout en rappelant à la communauté des événements historiques spécifiques. Le site, dépourvu de sa femme dorée, a continué tout au long des décennies qui ont suivi à être un lieu de deuil et de souvenir, où des couronnes de fleurs sont déposées et des célébrations organisées.
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Fig. 6
« Nos monuments après-guerre 19181924 » : brochure publiée par l’éditeur luxembourgeois Gustave Soupert. Archives de la Ville de Luxembourg, LU 61.3.1 3. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA.
FRANÇOIS REINERT
La Médaille des Volontaires luxembourgeois de la Grande Guerre
Les légionnaires dans la mémoire
Partout où on fêtait les légionnaires, les habitants versaient vraiment d’amour leurs oboles de reconnaissance12. » Les édiles et associations locales véhiculent ce besoin de reconnaissance. Elle se manifeste par la remise d’une montre parfois en argent, mais le plus souvent en or, portant une inscription gravée personnalisée. C’est d’autant plus frappant que la gratitude s’exprime envers des Luxembourgeois qui ont dû quitter le pays bien avant la guerre, à la recherche d’un emploi et d’une situation en France et qui ne possèdent, pour certains, plus guère de liens avec le Grand-Duché. Nous assistons alors à une héroïsation de ces hommes et à une forme de récupération politique de leur engagement. « Le 16 mars 1919, les survivants de la vaillante phalange qui dans les rangs de la Légion Etrangère avaient sauvé l’honneur du nom luxembourgeois sur les champs de bataille de France et de Belgique, furent reçus et fêtés officiellement par la capitale et les populations du pays. Les semaines suivantes, des fêtes d’un caractère plus intime furent organisées par les commerces et parties de communes auxquelles les légionnaires appartenaient plus particulièrement par droit de naissance ou de résidence. Un nombre appréciable étaient enfants de la ville haute : MM. Jean-Pierre Jacoby, Nicolas Nimax, Jean Schaack et Pierre de Wael. Le dimanche, 23 mars, fut choisi comme date, le Marché-aux-Poissons et la Maison des Arcades comme cadre d’une fête à leur honneur. » À cette occasion, Rupprecht leur remit « en guise de souvenir des montres argent avec monogramme et dédicace13 ». Cette pratique populaire, liant hommage et festivités, fait vite école et, dans la foulée, de nombreux comités locaux remettent leurs montres en or : - Luxembourg-Grund, le 19 mars 1919, à P. Ackermann, H. Hellenbrandt, Ad. Katz, Joh. Kemp, Kremer, Aug. Schmit et J.B. Wirtz (« zum Andenken an die Feier, eine Taschenuhr mit Monogramm und Inschrift ») ; - Zittig-Hemstal, le 20 mai 1919, à Jean Hau (garçon d’hôtel à Paris) ; - Moersdorf, le 13 juin 1919, au légionnaire de Waha ; - Dalheim, le 11 novembre 1919, à J. P. Neiers (né à Dalheim en 1885 et depuis 1903 à Paris, fait prisonnier en 1918 près d’Amiens, qui reçut des quatre associations du village une montre en or avec chaîne) ; - Schieren, le 12 février 1920 à Peter Fischbach ; - Luxembourg, le 5 juin 1923 à Jacques Odar, de la part de l’association Escrime « Hr. Odar lag zur Zeit, als von den verschiedenen Lokalkomitees hier im Lande den Legionären goldene Uhren gewidmet wurden, in einem Pariser Spital, wo ihm durch eine dritte Ampulation das rechte Bein ganz abgenommen wurde ». Il a bien sûr dû y avoir encore d’autres occasions qui n’ont pas laissé de trace dans la presse, comme en témoigne la montre en or remise à Auguste Conselman portant l’inscription gravée « HOMMAGE AU LEGIONNAIRE / CONSELMAN AUG. / COMMUNE BOUS 15.08.19. ». Conservée par la famille du président de la Fédération des anciens combattants des deux guerres, c’est d’ailleurs la seule qui nous soit parvenue, attribuée, dans ce cas, à un « légionnaire » qui servit dans l’armée belge14.
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Fig. 1
Montre en or remise au légionnaire Auguste Conselman, 15 août 1919. Collection particulière. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA.
François Reinert
La Médaille des Volontaires luxembourgeois
Un premier projet de médaille luxembourgeoise par Albert Breisch, orfèvre luxembourgeois à Paris L’histoire de la Médaille des Volontaires luxembourgeois ne commence que le 25 mars 1921, lorsqu’un premier projet est envoyé à Émile Reuter, président du gouvernement à Luxembourg (28 septembre 1918-19 mars 1925) par Albert Breisch (Ettelbrück, 2 avril 1870-Paris, 4 avril 1926). On ne saurait dire si c’était de sa propre initiative, de celle de Charles Larue, conseiller à la Cour d’appel de Luxembourg et président de l’association « Le Monument du Souvenir. Œuvre nationale pour l’érection d’un monument en souvenir des soldats luxembourgeois ayant servi dans les armées de l’Entente », ou encore de celle de Paul Siegen, directeur de la revue France-Luxembourg, comme le laisse entendre ce qui suit : « Ayant appris que le Gouvernement Grand-Ducal a l’intention de créer une médaille spéciale pour les Engagés volontaires luxembourgeois de la grande Guerre, j’avais songé à établir un projet. Je viens de le soumettre à quelques-uns de mes compatriotes et notamment Mr Paul Siegen15 ». Artiste joaillier, orfèvre d’origine luxembourgeoise, Breisch est alors domicilié à Paris (22, rue Dupont-de-l’Eure, 20e arrondissement). Il y a étudié, travaillé et y deviendra maître-orfèvre en 1892. Lauréat du prix Grand-Duc Adolphe en 1905 et vice-président du Cercle artistique pendant quelques années, il « a été obligé de quitter Luxembourg pendant l’occupation allemande et de se retirer à Paris16 ». Il y fut un des membres dirigeants de l’« Œuvre des Soldats luxembourgeois volontaires au service de la France », comité de secours fondé en août 191617. Cet artiste Art Nouveau de talent, fervent Luxembourgeois, aurait été « évincé injustement en 1919, alors qu’il demandait à notre commission de faire une médaille commémorative pour les collectes à organiser dans notre pays18 ». Le projet est d’abord refusé, suite à une analyse critique du 24 juin 1921 de Hans Bernoulli19, architecte et professeur à Bâle qui participe à l’élaboration du Monument du Souvenir, et de Charles Samuel, sculpteur et médailleur à Bruxelles20. Hans Bernoulli décrit les défauts de la médaille, propose des améliorations et recommande de demander des esquisses à deux ou trois autres artistes : « Ich denke dabei vornehmlich an den Schöpfer des Denkmalentwurfes mit dem geflügelten Genius und der Gruppe von menschlichen Gestalten auf dem rohen einfachen Block, der Name des Bildhauers ist mir entfallen. Ich bin überzeugt, dass Sie auf diese Weise zu frischeren und originelleren Vorschlägen kommen21. » S’agit-il de Claus Cito, ou plus probablement de Jean Mich, artiste luxembourgeois établi à Paris, qui aura été contacté ensuite ?
Le projet de Mich Le projet de Jean Mich (Machtum, 1871-Arcueil, 1932), sculpteur luxembourgeois reconnu, prix Grand-Duc Adolphe en 1902, installé à Paris dès 1893, surgit en effet dans une lettre du 8 octobre 1921 adressée au ministre d’État par le même Charles Larue. Il s’agit d’une médaille accompagnée d’un diplôme : « J’ai consulté Monsieur Cito, qui estime que la médaille n’a pas le cachet dégagé de celle de M. Breisch. La lourdeur, me semble à moi aussi, apparaître comme le vice capital à première vue. Je me permets de vous proposer de donner la préférence à M. Breisch, et de faire bon accueil au diplôme de M. Misch [sic], qui, éventuellement, devra être lui aussi libéré de ce qui
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Les légionnaires dans la mémoire
Fig. 2
Projet de Jean Mich proposé pour la réalisation de la Médaille des Volontaires luxembourgeois. ANLux, FD-156-02-12.
Fabrication, coûts et nombre d’exemplaires produits Le 2 août 1922, alors que le nombre de médailles à produire devait être décidé, 266 combattants survivants, 31 veuves de guerre, 99 parents (ascendants) ont participé à « l’Œuvre dont la réalisation a été confiée à la Commission de patronage des Légionnaires ». Une trentaine de cas de combattants survivants ainsi qu’une demi-douzaine de cas de veuves et de parents sont à ce moment en cours d’instruction. Au total, cela représente seulement 432 personnes39. Sur la base de ces chiffres, le gouvernement décide alors de commander les médailles à Jean Mich. Le 28 juillet 1922, Mich accepte de se charger « volontiers de son exécution et de […] fournir le nombre de 600 pièces dont 100 pièces pour le 15 septembre 1922, le reste à fournir 3 semaines environ après cette date. Les médailles seront frappées en bronze, patinées bronze, pourvues du ruban et fourche pour l’épingler, dans un carton spécial pour chaque exemplaire au prix de frs 20 (Vingt) la pièce ». Il ajoute : « Je prends la garantie de la bonne exécution concernant la frappe et le montage des médailles et m’efforce de leur donner le cachet artistique qui convient. Le ruban sera tout soie. En ce qui concerne le diplôme, selon vos instructions j’en ai parlé à Monsieur Larue qui en débattra le prix avec les membres du jury ainsi qu’ils ont fait pour la médaille40. » Le 9 août 1922, Mich informe le ministre d’État, qui a une préférence pour confier
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François Reinert
La Médaille des Volontaires luxembourgeois
L’avers reproduira le sceau équestre de JEAN L’AVEUGLE, avec la légende « LUCEMBVRGVM VIRTVTI ». Le revers représentera un casque de combat surmontant les millésimes « 1914 » et « 1918 », entourés de deux branches de laurier et de chêne. Seront gravés sur les branches de la croix : à l’avers, le nom de « Crécy », le millésime « 1346 » et des feuilles de chêne et de laurier ; au revers, les noms : « Marne-Meuse, Yser-Vardar, Aisne, Somme ». Le ruban sera rayé blanc et bleu, bordé d’un filet rouge.
Sa réalisation se distinguera notamment par un relief prononcé et une belle patine. À l’avers, l’insigne présente à droite, la signature gravée de Jean Mich et à gauche, les initiales PK (Paul Kremer ?) ou AK non identifiées. Ces mentions, aussi bien que le relief prononcé, disparaîtront lors de la réédition de la Médaille pour les Volontaires luxembourgeois de la guerre 1940-194562. En ce qui concerne la formulation de l’arrêté, l’État luxembourgeois s’est inspiré du projet de loi français tendant à instituer une médaille commémorative interalliée de la guerre, dite « Médaille de la Victoire »63. Les critères d’attribution de la médaille commémorative sont détaillés dans cinq des neufs articles de l’arrêté : service pendant au moins trois mois dans les armées des Alliés entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918, et quelle que soit la durée du service pour les volontaires ayant reçu la Croix de guerre d’un des pays alliés ou ayant été évacués
Fig. 6a et 6b
Médaille des Volontaires luxembourgeois de la Grande Guerre remise au légionnaire Paul de Wael. Avec la surcharge d’un insigne de blessé (étoile). Luxembourg, Musée national d’histoire et d’art, Cabinet des Médailles, 2006-142/010. Reproduction photographique Tom Lucas M3E/MNHA.
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Pascal Leroy
Fig. 2
Affiche montrant François Faber sur une bicyclette Alcyon. Nice, Musée national du Sport, Fonds Faber, 77.11.3.
François Faber, dans l’ombre du « Géant de Colombes »
ville que ses exploits feront connaître par-delà les frontières, il n’en éprouve pas moins une réelle affection pour son « cher Luxembourg ». Une sorte de grand-duché idéalisé, auquel par la suite il fera souvent référence, mais où il ne séjournera en tout et pour tout qu’une seule fois – et encore brièvement… – en octobre 1913 ! Son choix d’opter pour la nationalité luxembourgeoise pourrait alors s’apparenter à une forme d’acte de piété filiale, dont les ressorts restent à démonter, mais qui contribue à redonner une place à un père étrangement absent de son parcours et dont seule une montre gousset gravée, ayant miraculeusement traversé les générations, atteste aujourd’hui de l’existence…3 Seconde hypothèse, bien moins romantique : la volonté de préserver sa carrière sportive en échappant au service militaire, alors d’une durée de deux ans en France. Début 1909, la popularité de Faber est déjà bien réelle et il s’est enfin imposé comme l’un des champions en vue du moment, grâce notamment à sa seconde place derrière Petit Breton dans le Tour de France 1908 et à sa première victoire dans une course d’un jour au Tour de Lombardie en novembre de la même année. Figurant parmi les favoris de l’édition 1909 de la Grande Boucle, il est devenu ce que l’on appellerait aujourd’hui un coureur bankable qui sait désomais monnayer son talent. Durant l’hiver 1909 en même temps qu’il choisit de devenir Luxembourgeois, il décide ainsi de quitter l’équipe Peugeot pour Alcyon, où il retrouve le manager de ses débuts, son mentor, Alphonse Baugé. Suscitant l’aigreur du directeur sportif de Peugeot, Léopold Alibert, qualifiant à mots à peine couverts son ancien coureur de mercenaire dans le journal L’Auto…. Accusation à laquelle répond Faber dans les colonnes du même journal jeudi 4 février 1909 : J’ai conscience d’avoir toujours fait mon devoir vis-à-vis de [la maison Peugeot], comme j’ai conscience aussi d’avoir usé de la plus grande correction à l’égard de mon directeur sportif, M. Alibert, écrit-il en guise de mise au point. Un concours de circonstances a fait que je trouve, ailleurs, une situation plus enviable. J’en ai informé M. Alibert : nous avons discuté longuement et c’est lorsque j’ai compris que nous ne pouvions trouver un terrain d’entente que j’ai pris la résolution de résilier mon contrat avec la maison Peugeot. Je n’ai donc commis aucune incorrection et je suis persuadé qu’il n’y a pas dans le monde sportif une personne qui puisse penser le contraire. À mon attitude correcte, loyale et courageuse, M. Alibert oppose, aujourd’hui, un bruyant désespoir auquel j’étais loin de m’attendre. À mon tour , je laisse le public juge de pareils agissements. C’est là moi aussi un point que je tenais à bien préciser.
Le message est limpide : le coureur, qui sait combien est courte une carrière sportive, ne laissera personne l’empêcher de profiter de sa gloire naissante. Dans ce contexte, opter pour la nationalité luxembourgeoise peut être aussi lu comme un moyen d’éviter à son ascension d’être stoppée nette par deux années passées sous les drapeaux. Dans l’ambiance de surenchère nationaliste qui prévaut alors en France, cette décision aurait pourtant pu nuire à sa réputation. Un autre coureur, Georges Passerieu, troisième du Tour de France 1908, en fait alors l’amère expérience.
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Les légionnaires dans la mémoire
liberté que nous laissons à tous, pour notre climat, pour nos mœurs, pour nos défauts ou pour nos vertus. En tête de ce cortège, qui saluait gravement la France avant d’aller mourir pour elle, au premier rang, je vis François Faber ! Il s’avançait comme un jeune dieu ! Il s’échappait de lui, visiblement, et de la joie et de la gravité. Ses yeux bleus avaient la fierté des sacrifices désormais consentis et acceptés sans regret. Sa magnifique tête de grand lutteur, ses épaules énormes, son buste puissant, ses jambes formidables, tout disait la joie saine et animale du champion qui partait faire un nouveau « boulot », contempteur des psychologues qui coupent, à l’habitude, des sentiments en quatre. Eh bien oui ! Il était là, comme les camarades, sans flafla, bien décidé à en mettre « un coup sérieu » aux Boches. Et il trouvait qu’il devait bien cela à la France, lui Luxembourgeois, fêté un mois avant, sur les routes de France, par des millions de gens qui, sur son passage, se poussaient du coude en disant : « Tiens, regarde Faber ! C’est le plus grand ! C’est le plus beau ! C’est le plus fort ! » […]14.
Hommage rendu au héros populaire, à celui qui ne se défile pas comme les « fuyards » stigmatisés à longueur de colonnes quelques années auparavant : François le champion s’efface derrière Faber l’exemplaire. Lui n’y attache pas plus d’importance que cela et c’est avec application que, dès son arrivée à Bayonne, ce « brave et énergique légionnaire », tel que le décrivent ses états de service, se met en devoir d’apprendre son nouveau « métier ». Évidemment, sa bonhomie et sa générosité font l’unanimité parmi ses camarades.
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Fig. 6
François Faber (marqué d’une croix) avec ses camarades, camp de Mailly (Marne), octobredécembre 1914. Collection particulière. Le bataillon C du 2e régiment de marche du 1er étranger, auquel Faber appartient, arrive le 26 octobre 1914 au camp militaire de Mailly (Marne), soit un mois après le gros des troupes du régiment. Se composant d’environ mille hommes dont de nombreux Luxembourgeois, ce bataillon, ici en cantonnement, poursuit l’instruction militaire élémentaire en vue de la montée au combat.
Les légionnaires dans la mémoire
auquel appartient la Division marocaine, se verra confier la terrible mission de partir à l’assaut de Neuville-Saint-Vaast puis de la crête de Vimy. Pour cela, il faudra prendre les Ouvrages Blancs, succession de bastions et de redoutes creusées dans la craie par les Allemands contrôlant la route d’Arras à Béthune. François broie du noir, il a un mauvais pressentiment. Son malaise est suffisamment profond pour qu’il demande à l’un de ses amis, motocycliste à l’État-major du régiment, de lui garder un premier portefeuille contenant sa licence et quelques papiers personnels. L’homme de liaison accepte, mais en refuse énergiquement un second, contenant, lui, de l’argent16. Le caporal Faber décide alors de conjurer ses sombres pensées en écrivant à sa femme, avec qui il n’a pas eu l’occasion de correspondre depuis la naissance de leur fille. Au crayon bleu, il jette quelques phrases d’une écriture incertaine sous la date du 8 mai 1915. Conservée partiellement dans les archives familiales, cette lettre nous livre par bribes, dans un style rendu chaotique par les morceaux de phrases effacés par le temps, son sentiment à la veille de l’assaut : Belle petite maman, alors ça y est ! [...] Tu dois être contente d’avoir une fille, car tu pourras mieux l’éduquer et la parer à ta façon, tandis qu’un gars c’est moi qui l’aurais (fait)… Enfin mon tour viendra hein ! [...] Pourtant, on peut envisager franchement la situation, car aucun de nous est immortel. Je suis donc heureux que nous soyons papa et maman, car (cela aurait été) un cauchemar si il m’était arrivé malheur (avant) Tout t’appartient au cas où…, faut bien l’envisager, je serais buté. Oui, jusque ta mort tu pourras disposer du peu que nous avons sans que même la gosse ait à y mettre son nez [...].
Sans doute ces mots résonnent-ils encore dans sa tête, à l’aube du dimanche 9 mai 1915, quand avec ses frères d’armes, dans le fracas de l’artillerie qui pilonne les lignes allemandes, il attend fébrilement le signal de l’attaque. À partir de six heures du matin, un déluge de feu prépare l’assaut sur les Ouvrages Blancs, objectif assigné au bataillon
Fig. 7
François Faber dans les tranchées. Aubagne, Musée de la Légion étrangère, Centre de Documentation.
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Les légionnaires dans la mémoire
SANDRA CAMARDA
EDMOND CÉLESTIN GRETHEN Le dimanche 9 mars 1952, le corps exhumé de l’ancien légionnaire Edmond Célestin Grethen, inspecteur en chef de la Garde indochinoise et héros de la résistance française d’Indochine, est ramené à Paris pour un dernier hommage national. La veuve du défunt, leurs quatre enfants et son frère Charles accompagnent la dépouille. Sous l’Arc de triomphe, en présence du président de la République Vincent Auriol ainsi que des plus hautes autorités civiles et militaires françaises, le pays commémore onze résistants d’Indochine exécutés par les Japonais à la suite du coup de force perpétré par les Japonais le 9 mars 1945, à Thakhek, au Laos1. Dès la fin de la cérémonie, la dépouille d’Edmond Grethen est déposée dans le caveau encore provisoire du fort du Mont-Valérien, dans la banlieue de Paris2.
Fig. 1 Edmond Célestin Grethen, vers 1924. Album de famille, collection particulière.
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Le site est tristement célèbre pour avoir été employé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale comme prison et lieu d’exécution. On y a recensé l’assassinat de plus d’un millier de personnes, des résistants pour la plupart. C’est Charles de Gaulle qui, dès la fin de la guerre, exprime le désir de transformer ce lieu en monument commémoratif dédié aux héros de la Résistance, et c’est ainsi que les restes de quinze résistants s’y retrouvent enterrés, dans une ancienne casemate du fort, dès 1945. Près de dix ans plus tard, le corps de Grethen est choisi pour rejoindre ces quinze hommes et représenter les combattants de la résistance française en Extrême-Orient3. Cet acte s’inscrit dans le cadre d’un processus mémoriel complexe et continu qui a permis aux événements survenus en Indochine en mars 1945 de trouver leur place dans le récit national de la résistance française, tout en occultant les ambigüités et les opacités qui ont caractérisé la domination coloniale de la France de Vichy pendant la guerre4. Edmond Grethen est né le 12 mars 1898 à Thionville-Beauregard qui faisait alors partie de la province d’Alsace-Lorraine, annexée après 1870 par l’Empire allemand. Son grand-père François, un journalier luxembourgeois originaire d’Eich, s’était installé à Thionville en 1871. Le père d’Edmond, Pierre, également né au Luxembourg et peintre de métier, épouse Marie-Joséphine Ormillien, qui lui donne six enfants5. D’après certaines sources, Edmond Grethen aurait effectué ses premières études à Thionville puis à Schiltigheim, commune située non loin de Strasbourg6, mais aurait abandonné l’école en 1911, pour se rendre au Luxembourg où il aurait travaillé en tant que plongeur à l’hôtel Kons-Haas jouxtant la gare7. En 1914, au début de la Première Guerre mondiale, il s’installe en Suisse où il reprend ses études8. La loi du 5 août 19149 offrait aux ressortissants étrangers de France la possibilité de s’enrôler dans les régiments étrangers de l’armée française en tant que volontaires et d’acquérir par ce biais la nationalité française. C’est ainsi que plus de 17 000 AlsaciensLorrains, élevés dans le culte des provinces perdues et désireux de conserver leur héritage français, choisissent de combattre dans le camp de l’Entente10. Le 26 avril 1917, à l’âge de dix-neuf ans, Edmond Grethen s’engage dans la Légion étrangère, à Annecy (Haute-Savoie), près de la frontière suisse. Il est mobilisé sous le nom d’emprunt d’Edmond Célestin Mourot11, précaution prise pour éviter, en cas de capture, les représailles allemandes contre les familles de soldats restées en territoire annexé. Depuis le dépôt de Lyon, où il a reçu une première formation militaire, Grethen est déployé au front où il se distingue au combat et gravit rapidement les échelons12. Alors qu’il est déjà aspirant, il est blessé et évacué le 3 septembre 1918. Après la guerre, il poursuit sa formation dans la prestigieuse académie militaire de Saint-Cyr
STEFANO ASILI, ESTHER CHIONETTI, ALESSANDRO FLORIS, CHIARA LIGI, MAURO MACELLA
Épilogue : la conception du projet de l’exposition multimédia « Légionnaires »
Les légionnaires dans la mémoire
personnelles, et les thèmes et événements historiques se confrontent avec les points de vue des protagonistes. Les histoires des individus et les faits historiques convergent et parfois s’opposent : les différents moments (que la connaissance historique nous permet de comprendre ensemble) sont ponctuellement isolés, tout en maintenant la relation visuelle et intuitive avec d’autres faits qui ne sont qu’apparemment éloignés. Le chemin est ponctué de carrefours thématiques et de croisements de regards. Dans l’espace physique et virtuel des installations multimédia, des fissures et des coupures s’ouvrent, invitant le spectateur à pousser le regard au-delà, à rencontrer des juxtapositions inhabituelles d’images et de sujets. Deux dimensions s’affrontent : les protagonistes et le contexte historique. Les grandes installations vidéo placées en périphérie, auxquelles est confiée la représentation globale, sont accompagnées d’installations audio précises qui, retraçant les histoires individuelles des légionnaires, constituent la trame narrative de l’exposition. À côté de grands objets provenant d’institutions luxembourgeoises et internationales,
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Fig. 1
Plan de l’exposition « Légionnaires », 2019. 2F Architettura + Tokonoma. Plan initial de l’exposition représentant la conception de l’espace avec le multimédia.
Stefano Asili, Esther Chionetti, Alessandro Floris, Chiara Ligi, Mauro Macella
Fig. 4
Un théâtre de guerre, 2020. 2F Architettura + Tokonoma. Visualisation de l’installation multimédia qui représente l’expérience des légionnaires pendant la guerre de 1914-1918.
Épilogue
La narration de l’expérience de guerre est confiée à une grande installation multiécrans. Les trois écrans entourent le spectateur comme s’ils voulaient le catapulter au milieu de l’action des théâtres de guerre. Des films d’époque rares, des représentations de la vie au front et à l’arrière (l’entraînement et la camaraderie, la relation avec les familles éloignées, le danger et la mort) sont retravaillés dans un montage serré. Le flux intense d’images – caractérisé par des répétitions, des symétries et des asynchronies pressées par le rythme de la bande sonore – est interrompu par les bombardements qui, dans un silence assourdissant, envahissent soudain les trois écrans. Le panorama hétérogène de l’après-guerre est représenté dans une grande projection murale : d’anciens légionnaires à la recherche d’un emploi dans les aciéries, des invalides en attente d’une aide, des mères recevant la triste nouvelle d’une perte et des veuves recevant des subventions en retour. Alors que la vie reprend son cours après le long et douloureux intermède de la guerre, certains choisissent de poursuivre leur carrière militaire et de partir pour les colonies. Un récit visuel unique et stratifié composé de photographies, de fragments de documents, de cartes et de cartes postales donne vie à une fresque chorale animée dans laquelle les chemins des protagonistes s’entrecroisent tout en se distinguant. Le thème de la construction de la mémoire, traité dans la dernière section, trouve ensuite sa représentation dans l’installation audiovisuelle qui, à travers un mélange de langages (images, extraits de documents, films d’archives et graphisme), joue sur la répétitivité des gestes et l’insistance des motifs et des décors des fêtes de l’après-guerre. De petites projections suspendues dans des coupes étroites entre les sections sont transformées en fenêtres temporelles. Le parcours s’articule autour des thèmes de l’émigration luxembourgeoise en France et de la naissance contemporaine de la Légion étrangère. La projection d’images d’époque montre des scènes de la vie à Paris à la fin du XIXe siècle. La guerre est encore loin et les Luxembourgeois qui ont immigré dans la capitale française se concentrent sur le travail. À côté de portraits de famille, d’objets et de documents personnels, des images de la construction du métro, de changements dans les usines et d’artisans du bois sont présentées. Entre les mobilisations et les premiers signes de guerre, une fente s’ouvre sur un montage essentiel de films d’archives qui alterne l’acclamation de la victoire d’étape de François Faber lors du Tour de France en juillet 1914, à la foule qui envahit les rues de Paris lors de la mobilisation du mois d’août de la même année. En arrière-plan, on peut voir la bicyclette du cycliste, symbole de la mémoire et métaphore du talent qu’il a dû abandonner pour entrer en guerre. Si la « chaîne narrative » de l’exposition est représentée par l’ensemble des faits historiques qui se suivent et se croisent entre la première moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, les événements personnels des légionnaires luxembourgeois constituent la « trame ». Des sculptures sonores rappelant la corne d’un gramophone diffusent les paroles des légionnaires et de leurs proches en exposant les situations et les motivations qui ont conduit ces hommes à rejoindre la Légion. Les installations sonores ponctuent l’ensemble du voyage, abordant des thèmes et des événements à travers les histoires personnelles de chaque légionnaire. Et si, dans l’ensemble, la collection de fragments audio suit la structure narrative principale de l’exposition, soulignant et redéfinissant la grande histoire, les paroles des protagonistes, révélées par les cartes postales, les documents et les lettres, l’enrichissent de détails personnels.
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Les légionnaires dans la mémoire
Fig. 5
Parcours de retour, 2020. 2F Architettura + Tokonoma. Visualisation de l’installation multimédia qui représente les différents parcours et choix des légionnaires dans l’après-guerre avec un récit visuel stratifié.
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Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « Légionnaires » organisée au Musée Dräi Eechelen. Sous la direction de Sandra Camarda, François Reinert, Arnaud Sauer, Denis Scuto Conception graphique et couverture Stefano Asili
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