CHARLES PÉPIN

LA RENCONTRE

En ces temps de confinement, décortiquer la rencontre relève de l’audace ! Mais pour Charles Pépin, philosophe et écrivain, elle n’a rien d’un concept en voie d’extinction. Elle nous manque cruellement en ce moment, la rencontre, cet instant quasi-magique qui transforme le hasard en destin. En exclusivité découvrez l’introduction de La Rencontre, une philosophie, son nouvel essai, paru en janvier 2021, chez Allary Editions.

Les amoureux mesurent parfois leur chance en se siècle qui, dans le sillage de Hegel, ont étudié le rapport à repassant, avec émotion et une pointe d’effroi, le film de l’autre, les liens fondamentaux qui peuvent se tisser entre leur rencontre. Il aurait suffi d’un rien, un autre horaire deux êtres. Sigmund Freud, Martin Buber, Emmanuel de train, une place différente dans le wagon… et jamais Levinas, Jean Paul Sartre, Simone Weil, Alain Badiou peut-être leurs trajectoires ne se seraient croisées. vont nous aider à dessiner les contours d’une philosophie Pourtant, un regard un peu attentif nous révèle de la rencontre. Et les romanciers, dramaturges, peintres, bientôt que leur rencontre ne tient pas seulement à cinéastes, qui ont mis en scène de belles rencontres un heureux hasard. Ces deux Marivaux dans Le Jeu de l’amour places côte à côte n’ont offert « LE HASARD N’EST et du hasard, Louis Aragon dans qu’une opportunité ; elle a osé engager la conversation, il a su QUE LE POINT DE Aurélien ou Albert Cohen dans Belle du seigneur, Clint Eastwood accueillir l’inattendu, une femme DÉPART, CE N’EST PAS dans Sur la route de Madison ou qui n’était a priori pas son genre. Deux étrangers se sont ouverts à l’échange, et la rencontre a eu lieu. LUI QUI PRÉSIDE À NOS DESTINÉES ; IL Abdelatif Kechiche dans La Vie d’Adèle…-, donneront corps à cette pensée. Cet homme et cette femme embarqués dans ce TGV filant SE PROVOQUE. » Nous apporterons aussi l’éclairage à 300 km/h auraient aussi bien pu ne jamais se particulier des œuvres qui sont trouver, deux trajectoires parallèles, lancés à elles-mêmes le fruit d’une rencontre décisive et pleine vitesse ; elle est une cadre à la carrière nous rappellent que même les plus grands rectiligne, lui un ostéopathe avec une belle génies sont tributaires d’autrui. Sait-on que clientèle. Il aura suffi de la conjonction de Picasso n’aurait pas peint Guernica sans quelques éléments déclencheurs pour les son coup de foudre amical avec Éluard ? faire dévier et que la magie opère. Peut- Ce que L’Homme révolté de Camus doit à être a-t-elle perçu sa fébrilité ? Avant de la passion de l’écrivain pour la comédienne monter dans le train, il a reçu un appel du Maria Casarès ? À quel point Voltaire psychiatre qui suit son fils, et il n’a pas et Émilie du Châtelet se sont nourris cherché à dissimuler son anxiété mutuellement pour écrire Candide quand sa voisine l’a interrogé. Il a et le Discours sur le bonheur ? Que tombé le masque. En retour, elle la chanson Perfect Day n’aurait pas s’est livrée davantage auprès de vu le jour sans un dîner à New York entre cet inconnu qu’elle ne s’en serait David Bowie et Lou Reed ? crue capable. Ils ont parlé sans faux-semblant, sans jouer leur rôle. Cette rencontre qui semblait l’œuvre du hasard a donc été « IL ME FAUT RENCONTRER CE QUI Quand on prend la mesure de l’importance des rencontres, on porte un autre regard sur les rendue possible par leurs attitudes. Il en va de même des rencontres amicales ou professionnelles : N’EST PAS MOI POUR DEVENIR MOI. » oeuvres qui nous nourrissent, sur notre vie même. Nous sommes dépendants des autres. La le hasard n’est que le point de rencontre n’est pas un agrément, départ, ce n’est pas lui qui préside à nos destinées ; une alternative accessoire, elle nous est essentielle, elle il se provoque. J’ai écrit ce livre pour montrer que l’on modèle notre personnalité ; elle est au cœur de l’aventure peut faire du hasard son allié, que l’on peut se préparer de notre existence. Comme nous le verrons, elle n’a pas à accueillir l’imprévu. Dans un train ou au supermarché, simplement le pouvoir de nous faire découvrir l’amour, en soirée ou au bureau, sur un site de rencontre ou dans l’amitié ou de nous conduire au succès, elle nous révèle un jardin public. à nous-mêmes et nous ouvre au monde. C’est là sa force Mais cela suppose d’avoir une vision claire de la mécanique et son mystère : j’ai besoin de l’autre, de rencontrer l’autre et de la puissance de la rencontre, de comprendre ce pour me rencontrer. Il me faut rencontrer ce qui n’est pas qu’est l’action, la disponibilité, la vulnérabilité. moi pour devenir moi. Pour cela, nous interrogerons les penseurs du XXème Charles Pépin