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Vi ion animale
Dans l’œil du photographe animalier
Maxime Légaré-Vézina
MOTS :: Feet Banks

Vous êtes retranché dans votre « cachette », une tente de camouflage de la taille d’une bécosse, mais avec un plafond beaucoup plus bas. C’est le milieu de l’hiver au Québec, la pire période de l’année pour rester assis sans bouger. À vos pieds, un Thermos en métal contient quelques gorgées de thé encore chaud; à côté, une bouteille en plastique est destinée à vous soulager. Cela fait plus de huit heures que vous êtes là, remuant de temps à autre pour activer la circulation sanguine et bougeant les doigts pour qu’ils restent agiles. Mais 95 % du temps, les seules choses qui bougent sont vos yeux, qui scrutent le monde extérieur à travers une ouverture de 15 cm percée dans la tente. Il fait froid, vos articulations vous font souffrir et votre estomac gargouille. Bref, ça va mal. C’est alors que le pygargue à tête blanche que vous surveillez depuis des heures tourne la tête dans le bon sens. Ses yeux jaunes perçants sont directement fixés sur vous, et les plumes blanches sur sa tête se soulèvent une fraction de seconde au passage d’un autre oiseau. Votre mise au point est nette et la pression silencieuse du bouton déclenche le moteur de votre appareil photo sans miroir, capturant 30 images en un peu plus d’une seconde. Pendant un bref instant, vous êtes la personne la plus heureuse du pays. Vous êtes le photographe animalier Maxime Légaré-Vézina et vous venez de prendre une photo absolument parfaite.




Tout Vient Point Qui Sait Attendre
Dire que la patience est la clé de la photographie animalière, c’est comme proclamer que le soleil est un élément important de la lumière du jour. La patience est une nécessité de base; la passion, quant à elle, change la donne.
« J’appellerais ça une maladie, déclare Maxime Légaré-Vézina. Beaucoup de photographes en sont atteints, particulièrement ceux qui sont spécialisés en photo animalière. C’est la peur de manquer une photo géniale si, un matin, je ne sors pas. »
Il peut s’agir d’un bébé et d’une mère raton laveur qui regardent à travers le trou de leur tanière dans un tronc d’arbre creux, un cliché qui a valu au photographe le statut de finaliste au prestigieux Festival international de la photo animalière et de nature de Montier en 2023. Cela peut aussi être le portrait d’un caribou des bois trottant majestueusement dans une forêt hivernale, d’un minuscule poussin huard monté sur le dos de sa mère, d’un renard bondissant, d’un lynx méfiant, d’un grand-duc d’Amérique, d’un orignal, d’un jaseur des cèdres, d’un grizzli, d’un loup gris. Nommez n’importe quel animal du Canada et il y a de fortes chances que Maxime Légaré-Vézina l’ait cherché, attendu, trouvé et, finalement, photographié.
De nos jours, par définition, la photographie animalière consiste à documenter visuellement des animaux dans leur habitat naturel. Alors que l’on photographie des oiseaux et des espèces en captivité depuis le milieu du XIXe siècle, le National Geographic n’a publié ses premières photos d’animaux sauvages – des cerfs à queue blanche en Pennsylvanie, photographiés par George Shiras III – qu’en 1906. N’oublions pas que jusqu’alors, une photographie nécessitait que le sujet reste immobile pendant 30 secondes, le temps que l’image se développe sur une plaque de métal ou de verre. Les temps ont changé.
En 2023, près de 55 000 photos ont été soumises au concours mondial Wildlife Photographer of the Year du Musée d’histoire naturelle de Londres, contre 38 570 images l’année précédente. Pourquoi les gens aiment-ils tant photographier les animaux ? « C’est une bonne question, se demande Maxime Légaré-Vézina. Moi-même, pourquoi est-ce que je les aime tant ? Parce qu’ils ne sont pas humains, peut-être ? Je ne sais pas, mais j’ai l’impression qu’avec les animaux, on entre dans un autre monde. Certains sont de féroces prédateurs, d’autres sont super mignons. Ils peuvent être gracieux, puissants, et ils ont tous des comportements particuliers. C’est une autre réalité. »
“ Mes meilleures photos viennent d’ici, du Canada, parce que c’est chez moi. Je connais les animaux, les paysages, et c’est un pays immense. ”
Les premières années, c’était assez intense, confie-t-il. La photographie était la seule chose que je voulais faire dans la vie. Mes amis me proposaient d’aller faire des activités avec eux et je leur répondais toujours non. Maintenant que je m’y consacre à plein temps, je suis plus détendu. Si je ne sors pas tous les jours, ce n’est pas grave. Je pense que c’est plus raisonnable ainsi. »
Né et élevé dans la ville de Québec, ce jeune homme de 34 ans était un petit Québécois typique qui passait ses week-ends à faire du canot ou de la randonnée avec sa famille. « Adolescent, j’avais les mêmes centres d’intérêt que la plupart des jeunes, admet-il avec d’un air entendu. Nous ne sortions pas tant que ça dans la nature, vous savez. Mais lorsque j’ai eu 22 ans, je me suis reconnecté à la nature, et c’est toujours aujourd’hui ce qui motive ma photographie. Bien sûr, j’essaie de capturer ce que je vois, mais en réalité, je cherche simplement un nouveau moyen de me connecter au monde sauvage qui m’entoure. »
Après avoir exercé ce qu’il appelle « le pire emploi qu’il n’a jamais eu » (c’est-à-dire vendre des assurances pour une banque), Maxime Légaré-Vézina a lancé sa carrière de photographe en 2014 à la suite d’une dispute avec sa blonde de l’époque. « Elle possédait un appareil photo et nous l’utilisions tous les deux lorsque nous partions en voyage, puis nous nous disputions pour savoir qui avait pris quelle photo. J’ai donc réalisé que je devais m’acheter mon propre appareil. Et puis, très vite, prendre des photos est devenu toute ma vie. »
Depuis 2019, dans le cadre de ses ateliers de photographie, Maxime Légaré-Vézina prodigue des conseils et transmet ses techniques sur la façon de se connecter visuellement au monde sauvage. En 2022, il a troqué la sécurité de son emploi à la banque (bien qu’il reconnaisse que les horaires – de midi à 20 heures – étaient extrêmement pratiques, lui permettant de prendre des photos tous les matins) contre une carrière de photographe animalier professionnel à temps plein, combinant le rôle de chasseur d’images à celui d’instructeur, et ce, dans le monde entier.
« Je n’ai rencontré personne qui a appris la photographie animalière en allant à l’école, déclare-t-il. C’est le genre de chose qu’on apprend sur le terrain, généralement seul. Alors, si je peux aider d’autres amateurs de photographie, je le ferai avec plaisir. »
COMPRENDRE AU LIEU DE CONTRÔLER
Pour bien s’initier à ce domaine, il faut notamment comprendre certaines règles éthiques importantes. De nos jours, on attend des photographes que leurs pratiques n’aient aucun impact négatif sur les animaux et les écosystèmes. Par exemple, de nombreux concours disqualifient les photos « arrangées », mises en scène. L’époque où l’on jetait des gésiers de poulet dans un champ pour attirer des renards roux ou encore, où l’on faisait flotter un poisson dans un réservoir en verre, juste sous la surface d’un lac, pour attirer un balbuzard ou un martin-pêcheur, est révolue (ou presque).

« Même lorsque j’ai commencé, il y a une dizaine d’années, on voyait encore des photographes au Québec lancer des souris à des harfangs des neiges, raconte Maxime LégaréVézina. C’est une vieille façon de penser. La nouvelle génération essaie d’obtenir des photos plus naturelles et de respecter davantage l’animal et son environnement. Il est beaucoup plus gratifiant d’obtenir un cliché parce qu’on a patienté des heures plutôt que de lancer une souris vivante à un animal. »
L’intérêt de capturer des images de la manière la plus naturelle possible réside en partie dans le fait que cela exige une compréhension et un respect beaucoup plus étroits – voire un véritable lien – avec les animaux et la nature dans laquelle ils habitent.
« J’ai commencé très tôt à distinguer les différentes espèces d’oiseaux. Pour la plupart des enfants, un oiseau est un oiseau, mais pour moi, c’était une mésange, un junco ou une mésange charbonnière. J’utilise toujours aujourd’hui ce que j’ai appris quand j’étais jeune. Connaître le chant d’un oiseau, les écosystèmes qu’il fréquente, son comportement, la saison des amours, etc., va m’aider, moi ou les personnes que je guide, à obtenir les photos désirées », fait valoir Maxime Légaré-Vézina.
Conseils aux photographes animaliers débutants
Maxime Légaré-Vézina expose ses photographies deux ou trois fois par an au Canada et en Europe. Son compte Instagram (@maxime_lv_photography) présente plus de 1200 photos. Avec un portfolio aussi révélateur, les conseils suivants valent de l’or pour toute personne désireuse de se lancer dans la photographie animalière.
L’appareil photo : Commencez par photographier en mode AV (priorité à l’ouverture). Beaucoup de gens veulent prendre des photos en mode 100 % manuel, mais ne maîtrisent pas suffisamment la vitesse d’obturation ni l’ouverture pour bien gérer l’exposition. Le mode automatique n’est pas non plus idéal parce que l’appareil ne sait pas ce que vous voulez photographier. Choisissez donc plutôt le mode AV et l’ouverture la plus grande possible (f-stop le plus bas). Vous obtiendrez un bel arrière-plan flou avec un maximum de lumière, ce qui se traduit par la vitesse d’obturation la plus élevée, à privilégier pour photographier les animaux sauvages.
Le cadrage : Lorsque vous obtenez votre premier grand téléobjectif, il est naturel de vouloir zoomer au maximum, mais soyez prudent. Lorsque j’ai acheté le mien, j’étais excité et j’ai tellement zoomé sur un vison que je lui ai coupé la queue dans mon cadrage. J’en avais oublié la composition. J’ai vite appris à tempérer mes ardeurs.
La météo : Les animaux en savent bien plus que nous sur les événements naturels qui se préparent. Par exemple, les oiseaux sont souvent plus nombreux que d’habitude à se nourrir avant un orage, car ils savent qu’ils n’auront pas l’occasion de le faire avant un jour ou deux. Pensez comme un animal et surveillez la météo.
Les parcs : Les parcs urbains sont un bon endroit pour observer des animaux, en particulier les hiboux. Dans la grande nature, il est souvent plus difficile de les repérer, car ils ont beaucoup plus d’espace. Dans de plus petits habitats comme les parcs en ville, ils peuvent être plus faciles à trouver. Ils sont également plus habitués à voir des gens autour d’eux, ce qui les rend moins craintifs.
Les collations : Un conseil, ne mangez pas de pommes lorsque vous êtes dans votre cachette. Le craquement pourrait effrayer les animaux.

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Au cours des dernières années, ses connaissances ont traversé les frontières. Son amour pour la faune l’a conduit vers les toucans dans la jungle du Costa Rica, les flamants roses sur les hauts plateaux du Chili, les chevaux sauvages dans le sud de la France, ainsi qu’en Espagne, en Autriche, en Colombie et en Alaska. Pour son atelier annuel L’hiver en Suisse, il guide un groupe d’amateurs de photographie dans les forêts, les plaines et les montagnes helvétiques à la recherche de bouquetins, de chamois, d’hermines et d’autres animaux alpins. Mais la plupart de ses aventures photographiques se déroulent encore dans son pays natal, dont les animaux sont, selon lui, aussi impressionnants que ceux d’ailleurs, et plus décontractés.
« Notre faune semble beaucoup moins craintive qu’en Europe. Les animaux sont conscients de ma présence, mais ils ne s’en préoccupent pas autant. Un animal nerveux n’agit plus de manière naturelle – quand je vois les photos d’un renard avec les oreilles couchées, je peux parier qu’il n’était pas en confiance au moment du cliché. Je ne recherche pas ce genre de photos. Je préfère qu’un animal soit détendu ou qu’il accepte ma présence. C’est à ce moment-là que la magie opère », assure le photographe.
moment ou à un autre, alors j’ai continué. Si c’était facile, tout le monde le ferait. »
Muses Insaisissables
C’est l’aube d’un matin frais de mars. Maxime Légaré-Vézina se trouve à l’extérieur de la ville de Québec, dans un parc qu’il a visité des centaines de fois auparavant. Il reste encore un peu de neige au sol, mais son attention est tournée vers le ciel. Les chouettes épervières commenceront bientôt leur migration printanière vers le nord, et il espère en photographier une avec la lune en arrière-plan. La faune et la flore constituent de véritables cartes postales, mais y intégrer des éléments célestes tels que la lune ou les aurores boréales demande du temps et du travail.
“ Dire que la patience est la clé de la photographie animalière, c’est comme proclamer que le soleil est un élément important de la lumière du jour.
Le Canada est d’ailleurs un leader mondial dans le domaine de la photographie animalière. Une étude récente a analysé plus de 70 millions de photos Flickr téléchargées par les utilisateurs et a classé le Canada au deuxième rang mondial pour la quantité de photos nationales étiquetées « faune ». Le Kenya, qui abrite la quintessence de l’Afrique –peuplée de lions, de girafes, d’éléphants, de rhinocéros, de léopards, etc. –, occupe la première place, évidemment.
La patience est une nécessité de base ; la passion, quant à elle, change la donne. ”
Avec 80 000 espèces connues et 20 écosystèmes majeurs, dont la toundra, la forêt boréale, les prairies, la forêt pluviale tempérée, le plus long littoral du monde et une bonne quantité de tourbières infestées de moustiques, le Canada grouille d’animaux à photographier. « Mes meilleures photos viennent d’ici parce que c’est chez moi, déclare Maxime Légaré-Vézina. Je connais les animaux, les paysages, et c’est un pays immense. J’adore photographier durant l’hiver, en raison de la glace et de la neige. Il est possible de passer une bonne nuit de sommeil en hiver. Je peux me réveiller à six heures, ce qui est raisonnable, et être sur le terrain avant le lever du soleil. Beaucoup d’oiseaux ont quitté les lieux pendant l’hiver, mais je pense que cette saison permet de prendre de bien meilleures photos. »
Pourtant, quelle que soit la saison, le succès n’est jamais garanti. Le photographe est déjà sorti tous les matins pendant trois semaines sans réussir à prendre une seule photo qui lui plaisait. « Je me suis demandé si je devais vendre mon appareil photo. Pourtant, je savais que cela deviendrait forcément intéressant à un
« La lune est censée se coucher à 5 h 42, juste là, m’explique-t-il à voix basse. Je suis venu hier et j’ai vu de la fiente sur cet arbre. Regarde, il y a un hibou juste là maintenant. » Au sommet d’un arbre mort et couvert de lichen, même dans la faible lumière de l’heure bleue, deux yeux jaunes, sur une tête parfaite brune et blanche en demi-dôme, nous fixent. Un faisceau de plumes caudales pointues s’avance sous la branche. Longue d’une quarantaine de centimètres de la tête jusqu’au bout de la queue, une chouette épervière adulte peut manger plusieurs petits rongeurs (ou oiseaux) par jour. Maxime LégaréVézina espère seulement qu’elle n’en apercevra pas un avant le coucher de la lune. Silence total.
« Je suis fou des chouettes et des hiboux, confesse-t-il durant les 40 minutes de route que nous avions à faire. Je suis toujours à leur recherche, et ce n’est pas une tâche facile parce qu’ils sont nocturnes, donc insaisissables. Mais les hiboux transmettent tellement d’émotions dans leur attitude. Ils seront par exemple fâchés que vous les réveilliez, curieux, ou simplement concentrés sur la chasse. Les animaux ont-ils une âme ? Je ne le saurai jamais. Mais regardez les yeux d’un hibou, il y a certainement quelque chose d’énigmatique là-dedans. »
Le rapace reste dans sa position. Pour photographier dans une lumière aussi faible, Maxime Légaré-Vézina cesse de respirer et reste complètement immobile lorsqu’il appuie sur le déclencheur. « Je n’utilise pas de trépied ; j’ai suffisamment de choses à transporter », explique-t-il après avoir pris quelques dizaines d’images. Bien qu’il ait pris environ 600 images durant cette séance photo, la mission n’a malheureusement pas été un succès. La lune (un croissant argenté) s’est couchée à l’endroit exact où le soleil s’est levé. Le nouveau jour a effacé l’image que Maxime désirait capturer, du moins pour cette fois.

