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apprendre Gares : adieu guichets bonjour projets

Gares : adieu guichets, bonjour projets

Elles sont nombreuses les gares qui jalonnent des voies ferrées, désaffectées ou non, visibles ou disparues. En Brabant wallon, quelques-unes ont trouvé une seconde vie dans des projets divers, dont culture et liens sociaux forment la trame.

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Texte : Caroline Dunski - Photos : Jean Moulin, Farène

20 D’Est en Ouest et du Nord au Sud, le territoire brabançon est parcouru de nombreuses voies ferroviaires dont certaines sont désormais désaffectées. Le tram, lui aussi, circulait en Brabant wallon et d’anciennes lignes vicinales se rappellent également aux souvenirs de mordus de patrimoine dans des traces plus ou moins discrètes. Désaffectées ou non, visibles ou disparues, ces voies ferrées sont encore jalonnées de petits bâtiments qui fournissent un abri tant aux usagers de la SNCB qu’aux amateurs de mobilité douce ou aux habitants du quartier. À la fin des années 90, la SNCB et la Région wallonne signaient un accord-cadre réservant les anciennes lignes aux voies vertes. L’asbl Chemins du Rail à l’origine de cet accord souhaite que les bâtiments puissent, selon la même philosophie, être réservés à un usage public, afin de rester des lieux de rencontre et de convivialité. Dans un article consacré aux gares en péril, Gilbert Perrin, spécialiste du patrimoine au sein de l’association, rappelle que « en termes ferroviaires, la gare c’est l’ensemble des installations comprenant les bâtiments et les voies où se font l’embarquement et le débarquement tant des voyageurs que des marchandises ». Le bâtiment que l’on affuble généralement du nom de « gare » est en fait le « bâtiment des voyageurs » (BV). En 2013, avec Anne Daubechies

Le projet est de transformer et agrandir l’ancienne gare pour y faire un centre des arts, sorte de coworking d’artistes, où des ateliers pourront être loués pour y créer ensemble ou y donner des cours.

Julie Peeters-Cardon, échevine à Lasne du Service public de Wallonie, il cosignait Le dictionnaire du patrimoine ferroviaire publié par ce qui s’appelait encore l’Institut du Patrimoine wallon. L’ouvrage porte sur les traces tangibles de l’histoire ferroviaire de Belgique : ponts, tunnels, remblais, signaux lumineux, patrimoine bâti… C’est ce dernier qui nous intéresse ici.

En Brabant wallon, que les voies qui les desservent soient encore en fonction ou non, les bâtiments des voyageurs sont relativement nombreux, mais les guichets ont généralement définitivement baissé les volets. Sept de ces BV et un hangar aux marchandises situé à Perwez sont aujourd’hui réhabilités en tiers-lieux. Espace-vie a rencontré quelques citoyens et citoyennes qui ont imaginé une nouvelle destinée pour ces lieux.

Suranné, le vicinal ?

En plus des traces bien visibles du réseau ferroviaire, les Brabançons peuvent encore découvrir ici et là les vestiges du réseau des Chemins de fer vicinaux autrefois regroupés au sein de la Société nationale des Chemins de fer vicinaux (SNCV), ancêtre des TEC, notamment. Jusqu’en 1964, la ligne vicinale 917, surnommée le WaWa, transportait les voyageurs brabançons entre Wavre et Waterloo, en passant sur le territoire de Brainel’Alleud, Lasne et Rixensart. Le tram assurait aussi le transport économique des produits agricoles et des marchandises locales telles que les betteraves sucrières cultivées principalement dans les champs de Plancenoit et de Maransart, et transportées vers la sucrerie Naveau à Bierges, ainsi que du sable provenant de la sablonnière Wery à Maransart. Créées en 1904 et victimes de faillite en 1930, les soieries de Maransart ont employé jusqu’à 800 personnes qu’il fallait bien aussi véhiculer jusqu’à l’usine. Le tram a donc été installé dans les zones mal desservies par le train, là où le secteur privé avait jugé le trajet peu ou pas rentable.

L’ancienne gare de Maransart bientôt centre des arts ?

Pendant 66 ans, les Lasnois ont pu voir le tram traverser la campagne. Certains habitants se souviennent l’avoir emprunté pour aller à l’école, au marché de Wavre ou à Bruxelles. Aujourd’hui sur cette ligne subsistent les gares de Lasne et d’Aywiers-Maransart qu’une poignée de passionnés s’évertuent à faire vivre sur une page Facebook dédiée au vicinal et en organisant des expositions photographiques. En avril dernier, la commune votait l’affectation de 805 000 euros de son budget extraordinaire à la rénovation de la gare de Maransart qu’elle a rachetée par bail emphytéotique. « Le projet est de transformer et agrandir l’ancienne gare pour y faire un centre des arts, sorte de coworking d’artistes, où des ateliers pourront être loués pour y créer ensemble ou y donner des cours, se réjouit Julie Peeters-Cardon, échevine de la Culture. Un nouvel espace sous forme d’orangeraie servira aussi de lieu de détente et de rencontre ouvert sur le parc voisin. Le projet bénéficiera d’un subside conséquent de 400 000 euros de la Province. »

MOBILITÉ DOUCE ET MAILLAGE TOURISTIQUE

Roland Zanasi, ancien président de la CCATM de Lasne, s’est longtemps battu pour sauvegarder le patrimoine du vicinal et rêve de voir une mobilité alternative se développer sur l’assiette de l’ancienne ligne vicinale 917. Il insiste sur le fait que la démarche est strictement apolitique et souligne la pertinence historique et touristique d’un tel projet. « Historiquement, une partie du parcours du WaWa longe la nationale 5 qui relie Waterloo à Charleroi. Cela aurait tout son sens de reconstituer cet ancien circuit, de conserver l’attrait touristique du vicinal et de créer une boucle historique entre Waterloo et Rixensart. D’autant plus que la Province développe un projet de location de vélos. » En réalité, c’est l’intercommunale in BW qui, avec son projet « Smart Mobility BW », voulait assurer la mise à disposition de 1760 vélos à assistance électrique (VAE) au grand public des 27 communes du Brabant wallon. Le projet est toutefois en suspens parce qu’il y a eu un recours sur le marché public.

En 2018, Raymond Betz, Denis Boswell et Roland Zanasi du Cercle de Généalogie et d’Histoire de Lasne (CGHL) créaient la page Facebook Le Vicinal à Lasne et, en 2019, ils entrainaient les visiteurs des Journées du Patrimoine dans une Balade-découverte sur les traces de l’ancien vicinal.

SUR LE TERRAIN Micro-boulangerie, méga-lien

Depuis l’automne 2021, la gare de Chastre abrite Farène, la micro-boulangerie de Géraldine Derave, Cécile Lecharlier et Laurence Fonsny. Les parcours professionnels extrêmement différents de ces trois femmes se sont croisés par hasard. Géraldine est spécialiste de l’analyse des scènes de crime dans la Police fédérale. « C’est un boulot passionnant, mais dévorant, et j’avais besoin de faire quelque chose de mes dix doigts, de développer ma créativité. J’ai alors suivi une formation en boulangerie. À l’occasion d’un stage effectué à Wavre, j’ai appris énormément de choses, mais j’ai aussi découvert un milieu assez tristounet où beaucoup de gens avaient perdu la passion. »

C’est lors de cette formation que Géraldine et Cécile, ancienne échevine à Ottignies et bibliothécaire retraitée, font connaissance. Toutes deux savent qu’elles veulent continuer leurs parcours dans la boulangerie, mais autrement. « Il y a quantité de petites entreprises qui fonctionnent sur base d’un équilibre vie professionnelle/vie privée et sur une économie tournée vers les gens, tant en ce qui concerne la clientèle que les travailleurs et travailleuses, explique Géraldine. Nous sommes aussi toutes les deux très attachées à la qualité des produits, au geste, à l’expérience et à l’artisanat. Toutes les petites choses que nous avons apprises en cours de formation ont nourri notre réflexion. Et puis, en cherchant un lieu où faire vivre notre projet, nous avons rencontré Laurence qui nous a rejointes. Artiste, elle était déjà boulangère depuis longtemps dans le milieu associatif du handicap. Elle est aussi une des trois fondatrices du projet Quatre Quarts à Court-Saint-Étienne. »

Ensemble, elles cherchent un lieu de vie, de passage ou de rendez-vous, proche des transports en commun, avec une mixité des populations, et répondent à un appel à projets de la SNCB. Leur boulangerie, baptisée « Farène », ce qui signifie « farine » en wallon, ouvre ses portes en novembre 2021 dans la gare de Chastre, sur

La micro-boulangerie et la SNCB sont des mondes complètement opposés. On les bouscule assez souvent, parce que la SNCB fonctionne sur un modèle très formel, mais on a rencontré des gens intéressés et passionnés.

Géraldine Derave, une des trois fondatrices

base d’une convention d’occupation signée pour neuf ans avec l’entreprise publique. L’espace est à la fois atelier et magasin. « La micro-boulangerie et la SNCB sont des mondes complètement opposés. On les bouscule assez souvent, parce que la SNCB fonctionne sur un modèle très formel, mais on a rencontré des gens intéressés et passionnés. Tout le mobilier est monté sur roulotte pour transformer le lieu aisément en mode atelier ou boutique. Cela engendre la discussion avec les clients. On peut leur montrer ce que l’on fait. Bientôt, on produira et on vendra en même temps. Nous avons de très bon retours sur la qualité de nos pains et petites gourmandises fabriqués exclusivement avec des produits locaux. Les personnes plus âgées retrouvent le gout de leur enfance. Et des personnes qui avaient un à priori défavorable sur le levain apprécient nos pains faits avec trois levains et farines différents. »

Petit à petit, la clientèle de Farène se constitue. Le bouche-à-oreille et la curiosité ont fait leur œuvre. Géraldine, Cécile et Laurence essayent de s’insérer de plus en plus dans la vie du village et de prendre part à d’autres initiatives locales. Lorsque l’asbl Jardin’âges, qui associe personnes âgées et personnes porteuses de handicap dans du jardinage collectif, a organisé une marche de soutien, Farène a fourni les pains pour le petit-déjeuner. Quant au modèle de gouvernance adopté par les associées, il diffère fondamentalement du fonctionnement du milieu policier très hiérarchisé dans lequel évolue Géraldine.

interview

« Le partenariat avec les communes est vraiment important »

« La vie en gare » est le programme stratégique avec lequel la SNCB vise à développer des initiatives locales dans les espaces inutilisés. Entretien avec Cédric Blanckaert, responsable des activités commerciales et valorisation immobilière.

Propos recueillis par C.DU.

Combien y a-t-il de gares sur le territoire du Brabant wallon ?

Actuellement, la SNCB est encore propriétaire de 27 gares, mais la mise en service d’une gare RER à Braine-Alliance, sur le site de Kinepolis, est prévue pour 2024. Treize bâtiments voyageurs de ces 27 gares sont encore accessibles aujourd’hui et cinq de ceux-ci disposent encore de guichets. Certains de ces bâtiments servent uniquement de salle d’attente pour les voyageurs, d’autres font l’objet de concessions de type cafés, sandwicheries, librairies…

Comme la gare de Court-Saint-Étienne, par exemple ?

Court-Saint-Étienne, c’est une location par le Quatre Quarts, une coopérative à finalité sociale. À Genval, il y a de la restauration, cela s’appelle « Au Pachira ». À Ottignies, il y a toute une série de concessions, mais c’est moins un « tiers-lieu ». À Chastre il y a une micro-boulangerie, à Rixensart, il y a un atelier de peinture et à La Hulpe, on est en pourparlers avec bpost pour y installer le bureau de poste. À Waterloo, la commune avait d’abord envisagé d’installer une antenne de l’Office du tourisme, mais finalement ce qui manquait à cet endroit-là, c’est un distributeur de billets, en particulier les jours de marché. On a un contrat-cadre avec Batopin, le consortium de quatre grandes banques, qui a décidé d’installer des distributeurs dans les gares, qu’elles soient grandes ou petites.

Et qu’en est-il de Nivelles ?

À Nivelles, on vient d’ouvrir la toute nouvelle gare et l’ancienne va être mise en vente. La Commune a indiqué qu’elle n’avait pas d’intérêt pour le rachat, mais par contre elle a imposé des prescriptions et il n’est pas question de l’abattre, mais bien de lui donner une nouvelle vie. Le partenariat avec les communes est vraiment important. Pour qu’une gare vivante s’intègre bien dans son environnement, il est essentiel de communiquer avec les autorités locales qui connaissent mieux les besoins locaux.

Quel est le potentiel de réaffectation de ces gares ?

On a un programme stratégique qui s’appelle « La vie en gare » et qui vise à développer dans ces espaces inutilisés des initiatives locales. Il faut savoir que ce n’est pas parce que la SNCB n’utilise plus les lieux qu’il y a moins de voyageurs qui les fréquentent. Pour nous, une gare s’intègre aussi dans son environnement et il est donc important que ce soit un lieu qui puisse être utilisé par la communauté locale. On s’aperçoit que le voyageur apprécie de pouvoir prendre un café ou acheter un journal avant de prendre le train ou quand il revient. D’un autre côté, nous souhaitons aussi que la gare vive en dehors des heures d’affluence des voyageurs. À Court-SaintÉtienne, par exemple, avec la coopérative Quatre Quarts, il y a des voyageurs, mais aussi des non-voyageurs qui viennent et il y a des synergies qui se créent.

Comment cela se passe concrètement ?

Nous lançons des appels à idées afin de déterminer quel est le potentiel et, à partir de là, on lance un appel d’offres et chacun peut remettre un projet. Ce sont les personnes qui ont un projet qui fixent elles-mêmes la redevance qu’elles payeront pour l’occupation des lieux sur base de leur business plan. La SNCB retient les projets en fonction de leur qualité. Nous cherchons des partenariats à long terme. Ce sont des contrats de huit années. Quatre Quarts en est déjà à son deuxième contrat. Il y a chaque fois un appel d’offres, parce qu’en tant qu’entreprise publique, on doit respecter les règles des marchés publics et permettre à la concurrence de jouer. On peut aussi vendre les gares ou envisager des emphytéoses et là on est parti pour 27 ou 50 ans. Quand il y a des investissements plus lourds, ça permet de pérenniser les choses. Dans la stratégie de « La vie en gare » il est important pour nous de pouvoir continuer à offrir une salle d’attente.

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