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LECTURES CRITIQUES

FIN (?) ET CONFINS DU TOURISME INTERROGER LE STATUT ET LES PRATIQUES DE LA RÉCRÉATION CONTEMPORAINE HUGUES FRANÇOIS, PHILIPPE BOURDEAU ET LILIANE PERRIN-BENSAHEL (DIR.) L’Harmattan, 2013

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Inspiré des ini-

tement des pratiques touristiques.

jouent sur l’imaginaire des vacances

tiatives scienti-

Car le tourisme se métamorphose et

et, par voie de fait, sur les pratiques

fiques anglo-

engendre de nouvelles spatialités, de

et territorialités récréatives. Aussi,

saxonnes aux-

nouvelles sociabilités et temporalités.

les touristes contemporains, en proie

quelles renvoie

C’est pourquoi l’auteur défend l’idée

à une véritable crise identitaire, se

le choix du titre,

que les formes du tourisme contem-

cherchent une nouvelle légitimité en

cet ouvrage est le fruit d’une partie

porain traduisent non seulement une

justifiant le motif de leurs pratiques

des réflexions menées dans le cadre

fin de l’utopie et de l’uchronie – enten-

récréatives ou en privilégiant des

d’un colloque organisé, dans une

dues comme fondements idéologiques

formes de récréation de proximité.

dynamique interdisciplinaire, par le

de l’activité touristique –, c’est-à-dire

L’auteur souligne combien ces crises,

Creppem, Edytem, Irege, Irstea, Pacte-

comme des moyens de rompre avec

propres au fait touristique, recom-

Territoires, Sens et SET à la MSH

les rôles sociaux et les contraintes

posent les relations “Ici-Ailleurs” en

de Grenoble, les 26 et 27 mai 2009.

temporelles imposés par la quoti-

“intégrant des pratiques, des repré-

Les travaux interrogent les recom-

dienneté, mais, plus encore, qu’elles

sentations et des valeurs inédites ou

positions en cours du tourisme, à

recomposent les relations entre “Ici-

renouvelées” (p. 25). Elles se tradui-

l’aune des évolutions de la demande

Ailleurs” (p. 19). Il mobilise alors la

sent par l’essor des pratiques urbaines,

sociale et culturelle en matière de

sémantique d’un après-tourisme pour

la “touristification” des lieux ordi-

pratiques récréatives contemporaines.

caractériser ses dynamiques. Philippe

naires, le renouveau des pratiques

L’hypothèse centrale s’articule autour

Bourdeau souligne combien les nou-

de proximité, le développement des

du fait que les formes du tourisme

velles dynamiques à l’œuvre – exa-

migrations d’agrément, le recentrage

actuel reconfigurent les dynamiques

cerbation des conflits sociaux dans

sur le domicile des pratiques récréa-

sociospatiales et les territorialités tant

le secteur touristique, remise en ques-

tives et le développement des usages

des habitants ou des autochtones que

tion de la mobilité comme facteur

non touristiques des équipements et

des touristes eux-mêmes.

de caractérisation d’une démarche

espaces touristiques. Ainsi s’orchestre

Dès l’introduction, Philippe Bourdeau

touristique, développement de formes

une dialectique entre une altération

précise qu’il s’agit d’appréhender le

d’un anti-tourisme et immersion des

de l’altérité idéalisée par le prisme

fait touristique dans ses mutations,

enjeux géopolitiques au cœur de des-

médiatique de l’ailleurs, au bénéfice

ses transformations, mais aussi dans

tinations identifiées comme touris-

d’un réenchantement de l’ici. Cette

ses permanences et ses résistances à

tiques – marquent la fin de l’acception

dialectique est le moteur d’un foi-

l’innovation, au risque de “radicaliser

consensuelle, formulée par les scien-

sonnement de pratiques récréatives

le point de vue” (p. 18). Cette pré-

tifiques, quant à ce que recouvre le

et de productions de “néoterritoria-

caution prise, il présente la nécessité

tourisme. Il émet l’hypothèse que le

lités” qui mobilisent l’expérimental ;

de prendre en considération les para-

fait touristique est confronté à de

les dynamiques contre-culturelles,

doxes induits par les formes d’émiet-

multiples crises dont les conséquences

alternatives ou transgressives, sanc-

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ACTUALITÉ

tionnent des postures où les normes

tion sociospatiale dont le tourisme

tiques récréatives nouvelles”, Anne

et codes géoculturels sont renégo-

était jusqu’ici porteur ;

Gaugue présente les pratiques socio-

– soit de la lecture des expériences

géographiques des plaisanciers au

sensorielles et émotionnelles dont les

long cours en mettant en exergue le

évoque l’émergence d’un après-tou-

touristes de la postmodernité seraient

fait que la plaisance “peut être un

risme. Il s’agit alors d’enrichir le débat

avides dans le cadre de leurs pratiques

mode de vie à partir du moment où

relatif à la notion de post-tourisme

sociospatiales récréatives;

des ruptures sont aménagées, ruptures

défini comme “un processus de tran-

– soit de l’étude de la dimension

entre le quotidien et le hors-quotidien,

sition et de reconversion résidentielle

transmoderne des pratiques touris-

rupture entre l’altérité et le familier”

ciés. C’est pourquoi Philippe Bourdeau

des stations et régions touristiques”

tiques, c’est-à-dire de la prise en

(p. 82). Luc Vacher analyse comment,

(sens littéral) et comme “un tourisme

compte de l’hybridation de la recréa-

au regard de leurs temporalités et

postmoderne, renouvelé par des phé-

tion présentée comme manifestation

des rapports aux lieux qu’elles intro-

nomènes de réinventions et d’hybri-

d’un après-tourisme.

duisent, les itinérances des retraités

dations récréatives et géotouristiques

La première partie est intitulée “Le

australiens appellent à s’interroger

qui font la part belle à l’hétérogénéité

tourisme et après ?”. Alain Girard y

sur ce que recouvrent les contours

des nouveaux lieux mis en tourisme

discute la notion de post-tourisme

du tourisme. Souscrivant à l’idée que

et des nouveaux regards, pratiques

qui renvoie à “une dynamique de

ces pratiques récréatives renvoient à

et liens qui s’y déploient, notamment

décloisonnement entre habiter et visi-

un habitat polytopique, l’auteur invite

des jeux acceptés avec l’inauthentique,

ter le monde” (p. 51). Hécate

à “réfléchir à la complexité du rap-

le spectacle, le superficiel, le kitch ou

Vergopoulos présente les représen-

port au temps dans le tourisme”

l’éphémère” (sens élargi) (p. 30-31).

tations sociogéographiques véhiculées

(p. 93). Bernard Schéou évoque la

En effet, l’auteur souligne que “ces

dans les guides consacrés à Paris en

revitalisation des pratiques d’hospi-

deux formes du tourisme sont certes

analysant dans quelles mesures celles-

talité, qui se caractérise par “la décou-

accessibles à l’observation et à l’ap-

ci peuvent recomposer les usages de

verte d’un quotidien habité” (p. 108)

proche empirique… mais n’épuisent

leur territoire du quotidien par les

appréhendée comme support d’une

pas le sujet des mutations et transi-

Parisiens qui, affranchis des dogmes

expérience touristique rendue possible

tions de la relation Ici-Ailleurs dans

de la mobilité, accèdent au statut de

à partir de l’émergence de réseaux

le cadre de nouveaux paradigmes

touristes chez eux. Gwendal Simon

sociaux consacrés à l’hébergement

récréatifs” (p. 31). Dans ce contexte,

évoque la redéfinition du référentiel

collaboratif. Quant à Didier Theiller,

le caractère hétérogène des dyna-

des politiques publiques en faveur

il analyse les formes d’habitat pré-

miques propres au tourisme actuel

du tourisme à Paris. Articulée sur

caires relatives aux activités touris-

peut être appréhendé :

une recomposition des formes d’al-

tiques en évoquant les enjeux de l’accessibilité aux lieux.

– soit à partir de l’analyse des stra-

térité bâtie sur la découverte d’une

tégies de planification urbaine des

“authenticité parisienne” et d’une

La troisième partie s’articule autour

stations touristiques entendues

hybridation des fonctionnalités des

des enjeux relatifs à “de nouveaux

comme éléments caractéristiques de

lieux, dont l’opération Paris-Plages

horizons aux confins du monde”.

la modernité ;

est la plus emblématique, cette stra-

David Goeury propose un article

– soit de l’examen de la surenchère

tégie communicationnelle sanction-

consacré aux pratiques touristiques

promotionnelle, conceptualisée dans

nerait l’avènement d’un post-tourisme

des élites qui, par l’ascèse inhérente

une perspective hypermoderne afin

à Paris.

de renforcer les processus de distinc-

Dans la seconde partie, “Des pra-

à l’effort physique ou au dévouement humanitaire, cherchent à réaffirmer

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LECTURES CRITIQUES

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le processus de distinction sociale

duction culturelle de la société, à tra-

étudie le cas du jaïloo tourisme au

garanti par le choix de destinations

vers la récréation dialogique d’une

Kirghizstan comme moteur de refor-

enclavées, qualifiées par l’auteur

identité et par là sa réaffirmation”

mulations identitaires. Elle met en

“d’hétérotopiques”, c’est-à-dire

(p. 155). Julien Gardaix présente les

évidence le fait que la mise en tou-

comme “des espaces miroirs de la

nouvelles pratiques touristiques à

risme de la figure du nomade kirghize

société de consommation où peuvent

l’heure de la mondialisation. Il s’at-

permet aux habitants de renouer avec

se mettre en scène des touristes néo-

tache, plus particulièrement, à la

la culture et les traditions nomades,

aventuriers” (p. 127). Mahalia

question de la mise en scène icono-

de “renégocier leur identité dans le

Lassibille étudie le tourisme culturel

graphique des destinations touris-

contexte post-soviétique multieth-

chez les Peuls Wodabee au Niger, en

tiques, rendue possible par la déma-

nique” et de caractériser “une lutte

démontrant que les acteurs touris-

térialisation de l’information, en affir-

des Kirghizes pour leur indépen-

tiques, représentés à la fois par les

mant que “le pouvoir de l’image est

dance” (p. 202). Gisèle Dalama ana-

autochtones et les touristes, cherchent

une étape dans la récréation mais

lyse la restructuration de l’espace

“à dépasser l’appréhension du tou-

[que] son impact est limité face à

insulaire réunionnais à partir “d’un

risme culturel comme une catégorie

l’expérimentation” (p. 171). Dans

paradoxe où le vide territorial décrété

homogène pour l’envisager comme

ce contexte, l’auteur évoque le fait

pour une île déserte tropicale a été

un ensemble de processus interac-

qu’il y a “des constructions d’espaces

à l’origine de la mise en place de

tionnels à décliner dans le temps”

autour d’archétypes spatiaux à ancrer

confins qui aujourd’hui se perçoivent

(p. 142). Dans ce contexte, les pra-

dans les mentalités” (p. 168).

comme des territoires touristiques

tiques culturelles locales s’imbriquent

Quant à la quatrième partie, elle

[et qui s’articulent] en réseaux de

avec les demandes sociales formalisées

s’intitule “Quels enjeux d’acteurs et

lieux” (p. 205). Elle évoque le fait

par les touristes et par les autorités

de territoires”. Isabelle Sacareau, Luc

que le vide est un paramètre consti-

politiques nationales qui, dans le

Vacher et Didier Vye s’interrogent

tutif des confins. Or, cette construc-

cadre d’une mise en scène, les ins-

sur la place qu’il convient de réserver

tion d’espaces situés aux confins du

trumentalisent, au risque de les faire

à l’analyse des résidences secondaires

monde confère également à l’île de

basculer dans le folklore. Céline

dans les études consacrées au tou-

La Réunion son motif d’attractivité.

Travesi analyse les contours du tou-

risme. En analysant les usages des

L’auteur montre comment l’île est

risme aborigène Bardi Jawi, en

résidences secondaires par les

réhabilitée par le tourisme qui, à tra-

Australie occidentale. Elle met en

Britanniques implantés en Poitou-

vers la mobilisation de l’idée de

exergue les choix des autochtones

Charentes, les auteurs statuent sur

confins comme vecteur de différen-

dans l’arbitrage des stratégies de mise

le fait qu’ils se situent bien aux confins

ciation, autorise des processus de

en tourisme socioculturel et territorial.

du tourisme. Cela dit, ils insistent,

reterritorialisation fondés sur la valorisation patrimoniale.

Elle interroge “le moment de l’inter-

malgré tout, sur la nécessité d’analyser

action touristique en postulant l’exis-

les vertus de la résidence secondaire,

Malgré les propositions formulées

tence d’une redéfinition interculturelle

dans la mesure où elle autorise une

par Philippe Bourdeau, les contribu-

de l’altérité et de l’identité au sein de

requalification des espaces touris-

tions s’éloignent quelque peu de la

cette interaction” (p. 157). Forte de

tiques d’un point de vue tant de leur

grille de lecture proposée vis-à-vis de

cette hypothèse, elle évoque l’idée

fonctionnalité que de leurs usages

l’analyse de la fin et des confins du

que le “tourisme n’artificialise pas

sociaux, de leur attractivité ou de

tourisme, entendues éléments propices

la culture bardi jawi, mais contribue

leurs impacts sur les représentations

à discuter l’avènement d’un après-

à la fois au changement et à la repro-

collectives. Johanne Pabion Mouriès

tourisme. En effet, même si les auteurs

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ACTUALITÉ

s’efforcent d’interroger les dyna-

ontologique ou sensible… Sans doute

que les indicateurs économiques

miques socioculturelles et les néoter-

s’ouvrent là des perspectives de

témoignent de la vitalité de certaines

ritorialités qui caractérisent le tou-

recherche qui, plus que de statuer

formes du tourisme moderne, incar-

risme actuel, l’ouvrage se compose

sur ce qui les caractérise, pourraient

nées par des stations parfois décrétées

de quatre parties qui ne segmentent

identifier ce que la fin et les confins

obsolètes. Dès lors, ne conviendrait-

peut-être pas suffisamment l’analyse

du tourisme dévoilent en termes de

il pas de poursuivre le débat épisté-

autour de l’entrée paradigmatique

productions sociospatiales hybrides

mique relatif à la césure sémantique

propre à la modernité, à l’hypermo-

et récréatives présentées comme les

et conceptuelle entre, d’une part, la

dernité, à la postmodernité ou à la

marqueurs d’un après-tourisme.

notion de post-tourisme, pensée

transmodernité. En effet, il semblerait

Le texte conclusif de Christophe

comme manifestation d’une crise du

que les auteurs s’interrogent davan-

Gauchon, relatif aux bilans et pers-

tourisme dont l’acception ne souf-

tage sur les éléments qui permettraient

pectives critiques, rappelle combien

frirait d’aucune controverse, et d’autre

de statuer sur une manifestation

l’hybridation des temps, des pratiques

part, celle de la récréation qui ren-

socioculturelle et territoriale d’une

et des espaces constitue le ressort des

verrait à des pratiques sociospatiales

fin du tourisme (appréhendé dans

mutations du tourisme. Néanmoins,

et des territorialités qui sanctionne-

son acception consensuelle afin de

qu’indiquent ces formes d’hybrida-

raient un après-tourisme ? Les pra-

caractériser l’idée d’un post-tourisme)

tions des pratiques récréatives sur le

tiques récréatives contemporaines ne

plus que sur celle d’un après-tourisme.

rapport au monde, c’est-à-dire sur

seraient-elles pas l’expression d’une

Quant à l’idée de confins, elle est

l’habitabilité des lieux présentée, non

revitalisation des utopies et tempo-

probablement trop souvent abordée

pas comme mode d’expression d’un

ralités portées au XVIIIe siècle par les

à partir de l’analyse d’horizons tou-

habitat polytopique auquel renver-

élites anglo-saxonnes qui, sans for-

ristiques qui renvoient au lointain.

raient les seules mobilités géogra-

maliser de motif touristique autre

Le terme de confins du tourisme

phiques, mais bien comme l’oppor-

que celui de combattre l’oisiveté et

aurait peut-être mérité d’être appré-

tunité d’une “recosmisation de l’exis-

de prévenir le spleen, partaient à la

hendé également comme une forme

tence” (Berque, 2008) ? Autrement

conquête d’horizons sociospatiaux

de réenchantement de l’ici, rendu

dit, la question du rapport à l’altérité

et territoriaux en espérant qu’ils soient

efficient par l’intermédiaire des pra-

établi dans le cadre des pratiques

surtout supports à l’exploration de

tiques récréatives innovantes, trans-

récréatives actuelles ne pourrait-elle

leur être au monde ?

gressives, sensibles, hors normes,

pas être appréhendée à l’aune de la

dont certaines sont réalisées dans un

complexification des manières dont

LUDOVIC FALAIX

cadre sociogéographique quotidien.

les individus vivent, révèlent, s’im-

UNIVERSITÉ DE CLERMONT-FERRAND

Les travaux auraient pu traiter des

prègnent du “génie des lieux” (Pitte,

enjeux que recouvrent les statuts et

2010) et donc habitent les espaces

les pratiques de la récréation contem-

afin d’y élaborer leurs territorialisa-

poraine, annoncés en titre, en termes,

tions ?

non pas de finitude du tourisme mais

Enfin, alerté lors du colloque par

de finalité, c’est-à-dire d’intention-

Isabelle Frochot, Emmanuelle

n

Références bibliographiques Augustin BERQUE, “Trouver place humaine dans le cos-

nalités, d’objectifs, de postures, de

George-Marcelpoil et Vincent Vlès,

mos”, Echogéo [En ligne], vol. 5, 2008

demandes, d’attentes…, d’un point

Christophe Gauchon souligne la

[http://echogeo.revues.org/3093].

de vue tant social que culturel, poli-

nécessité de ne pas s’arrêter à ce qui

Jean-Robert PITTE, Le génie des lieux. Pour la géogra-

tique, géographique, existentiel, voire

caractérise la fin du tourisme, d’autant

phie, 2010, CNRS éditions, 2010.

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LECTURES CRITIQUES

POUR UNE SOCIOLOGIE DE L’ENVIRONNEMENT BERNARD KALAORA ET CHLOÉ VLASSOPOULOS Champ Vallon, 2013

Pour une socio-

proche républicaine, centraliste et

anglo-saxons (Emerson, Thoreau,

logie de l’envi-

analytique lorsqu’il s’agit de conce-

Marsh…), figures emblématiques

ronnement, de

voir et de programmer les politiques

du courant transcendental, a été très

Bernard Kalaora

publiques environnementales.

faible en France, marquant une dif-

et Chloé Vlasso-

férence forte et une spécificité dans

poulos peut se

tance française avec le paradigme

la déclinaison des cadres cognitifs

saisir comme un plaidoyer pour invi-

et la pensée environnementales, les

d’analyse des pratiques sociales.

ter la recherche française en sciences

auteurs nous proposent un long che-

Concernant l’histoire de la pensée

sociales et les institutions publiques

minement dans l’univers des sciences

sociologique, la place prépondérante

à prendre au sérieux la sociologie de

sociales et humaines, ainsi que dans

occupée par une sociologie déter-

l’environnement. Pour les auteurs, la

les rouages de l’institution française.

ministe et structuraliste explique

question de l’environnement est deve-

Ces deux entrées servent de cadre à

aussi cette distance au paradigme

nue centrale pour penser les enjeux et

l’architecture de l’ouvrage.

environnemental. Durkheim, puis

résoudre les problèmes contempo-

La première partie décortique la

Bourdieu seraient les représentants

rains ; elle nécessite toutefois, pour

sociologie de l’objet d’étude environ-

les plus illustres de cette lecture des

se l’approprier, de modifier radica-

nemental, tel que celui-ci a été appro-

faits sociaux par la prédominance

lement les pratiques institutionnelle

prié par la recherche française, du

accordée au social. Les auteurs

et scientifique, telles que construites

XIX

siècle jusqu’à aujourd’hui. La

démontrent avec finesse la pertinence

et développées en France depuis la

perspective scientifique consiste à

de leur propos par l’analyse de l’his-

siècle. Pour convaincre

montrer l’absence de la pensée envi-

toire du champ de la recherche envi-

fin du

98

Pour rendre compte de cette dis-

e

XIX

e

de cette nécessité et argumenter cette

ronnementale sur la scène française

ronnementale. Une des richesses de

prise de position, les auteurs nous

par comparaison avec son ancrage

cet ouvrage est de présenter la

invitent à relire, au regard de la ques-

fort dans d’autres pays tels que

fabrique de cette recherche française,

tion environnementale, l’histoire de

l’Angleterre, l’Allemagne et les États-

ancrée dans des cadres cognitifs aca-

la pensée scientifique et des pratiques

Unis. Cette situation s’explique par

démiques qui ne lui permettent pas

institutionnelles et politiques fran-

la fabrique d’une dominante épis-

de constituer un champ autonome,

çaises. La France serait l’un des pays

témologique, philosophique et théo-

légitime et scientifique autour de

les plus rétifs à la pensée et à l’action

rique au sein de la sociologie fran-

l’objet environnemental. La critique

environnementales : d’une part, par

çaise. La France serait le berceau

porte aussi bien sur le rôle négatif

son lien historique avec le paradigme

d’une philosophie morale dualiste

des ministères chargés des questions

scientiste et la sociologie durkhei-

qui accorde le primat à la raison sur

environnementales, marqués par la

mienne et positiviste au niveau de

le sensible, au cartésianisme sur l’em-

pensée technocratique et les décou-

la recherche sociologique ; d’autre

pirisme, à l’esprit sur le corps et la

pages sectoriels des politiques

part, par la prédominance de l’ap-

nature. L’influence des penseurs

publiques, que sur les institutions

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ACTUALITÉ

de recherche, trop encastrées dans

téressent aux pratiques telles qu’elles

tation des néo-mouvements sociaux,

des approches linéaires et discipli-

se font et se défont dans des ajuste-

de l’écologisme et des approches

naires. L’ouvrage présente avec

ments relationnels entre les actants

sanitaires qui sensibilisent les opi-

moult exemples comment les diffé-

en interaction, est aux antipodes du

nions publiques à ces valeurs mon-

rentes institutions et disciplines se

positivisme et de la pensée scienti-

tantes. Une critique est portée sur

sont appropriées la question envi-

fique analytique. En référence à ce

le manque de présence des sciences

ronnementale ; il expose les évolu-

courant sociologique inspiré des tra-

de l’environnement dans la façon

tions historiques et conjoncturelles

vaux de Callon, Latour, Boltanski,

de traiter les questions sanitaires en

de leur manière de penser et de défi-

Thévenot ou encore Chateauraynaud,

France, qui reste ancrée dans une

nir des méthodes et investigations

le propos consiste à montrer combien

lecture très médicale et hygiéniste,

d’étude.

la problématique des sciences envi-

dans la continuité des pratiques ins-

La fin de cette première partie

ronnementales est étroitement liée à

titutionnelles et des cadres cognitifs

présente les conditions épistémolo-

ces nouveaux cadres cognitifs. Une

issus de la modernité. Le chapitre V

giques d’une sociologie de l’environ-

position relativiste des disciplines

aborde l’entrée des institutions

nement en phase avec les avancées

scientifiques, des acteurs, des publics

publiques dans l’ère environnemen-

théoriques de la recherche sociolo-

et des institutions est ainsi annoncée

tale, en décryptant les processus par

gique et les enjeux contemporains.

pour repenser les liens entre les savoirs

lesquels ces administrations se sont

Une perspective interdisciplinaire est

sacrés et profanes et entre la

appropriées ces questions. La pers-

avancée pour saisir cet objet, situé

recherche, les acteurs de terrain, les

pective sociologique consiste à pré-

au carrefour du social et du biolo-

territoires et les habitants. La science

senter la difficulté des politiques

gique, des sciences du vivant et des

sort ainsi de sa position surplombante

publiques modernes à s’investir dans

sciences sociales. L’environnement

et bachelardienne pour repenser sa

un nouveau cadre cognitif et insti-

est un objet complexe qui nécessite

place dans la fabrique des connais-

tutionnel pour traiter ces problèmes.

de prendre des distances avec les

sances et des modes d’intervention

L’analyse détaillée des actions

visions naturalistes, hygiéniques et

et d’action.

publiques autour de la création du

technocratiques. Il se qualifie par

La deuxième partie propose une

ministère de l’environnement dévoile

des propriétés qui en font un objet

lecture politique, sociétale et mondiale

les jeux politiques ambigus des ins-

en mouvement, engagé dans des pro-

de ce sujet, permettant d’observer

titutions françaises. Pour appuyer

cessus et des recombinaisons en fonc-

la manière dont les questions envi-

leur propos, les auteurs, en appli-

tion des systèmes dans lesquels il se

ronnementales sont traitées dans les

quant le cadre théorique de la socio-

situe. Dès lors, prendre en compte

institutions contemporaines et com-

logie pragmatique, analysent diffé-

l’environnement dans la manière de

ment elles s’inscrivent dans les agen-

rents sujets inscrits dans les agendas

penser le social induit de s’intéresser

das des politiques publiques. La

politiques depuis les années 1970.

aux interactions biophysiques qui

démarche consiste à montrer et à

L’étude détaillée des questions de

interfèrent sans cesse dans nos modes

analyser les différentes sphères dans

protection du paysage, de pollutions

de pensée, de sentir et d’agir. Un

lesquelles ces questions sont présentes

automobile ou agricole, de canicule

renversement épistémologique s’im-

et traitées pour dévoiler leur niveau

ou de politique générale via le

pose pour s’engager dans un tour-

de développement, d’une part, et la

“Grenelle de l’environnement”

nant paradigmatique qui fasse la

faiblesse des réponses institution-

illustre de façon remarquable les

part belle au pragmatisme. Ce détour

nelles, d’autre part. L’ouvrage

incohérences

par les sciences de l’action, qui s’in-

consacre le chapitre IV à la présen-

publiques, dans leur difficulté à chan-

des

politiques

M A I 2 0 1 4 • N AT U R E & R É C R É AT I O N N ° 1

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LECTURES CRITIQUES

100

ger de référentiels d’analyse et d’ac-

d’action et décisionnels inédits pour

Thoreau doivent être les garants

tion.

le meilleur et pour le pire. Une des

de cette disposition au libre arbitre

Enfin, la dernière partie s’ouvre

solutions envisagées par les auteurs

permettant la fabrique d’une action

sur l’étranger et présente les nou-

est l’instauration de la résistance

collective, engagée dans la gestion

veaux enjeux planétaires en s’ins-

politique et de l’activisme local

des biens collectifs. D’où le rôle

pirant, entre autres, de la sociologie

comme principe d’action actif dans

important que doit jouer la natu-

de Giddens. L’entrée dans l’ère envi-

la déclinaison d’une éthique envi-

ralité, cette nature des profondeurs,

ronnementale “globalisée” boule-

ronnementale responsable. Les

dans la formation des caractères et

verse les cartes politiques et éco-

logiques d’intervention propres à

des dispositions individuelles enga-

nomiques internationales, produi-

l’action collective deviennent plus

gées dans la reconnaissance de l’en-

sant une réorganisation du monde.

complexes, ancrées dans des pro-

vironnement comme composante

Une gouvernance mondiale est en

cessus enchevêtrés de concertation,

fondamentale du vivre ensemble…

cours de construction dans cette

de participation et de dialogue.

Un livre incontournable pour tout

société de la mobilité et des inter-

Mais elles sont incontournables

ceux qui veulent se familiariser avec

actions multiples au sein de laquelle

pour limiter les jeux de pouvoir

l’histoire et la sociologie de l’envi-

“l’expert global” va occuper un

hégémoniques exprimés par les

ronnement en France.

rôle important dans le management

experts, les représentants de la

des vulnérabilités. Un néo bio-pou-

science formelle et les acteurs de la

voir est en train de se mettre en

sphère technocratique. Dès lors, la

JEAN CORNELOUP

place, en référence à la pensée de

réflexivité chère à Giddens et la

UNIVERSITÉ DE CLERMONT-FERRAND

Foucault, qui va instaurer des cadres

capacité à résister exprimée par

N AT U R E & R É C R É AT I O N N ° 1 • M A I 2 0 1 4

n


ACTUALITÉ

NATURES BUISSONNIÈRES : DÉFOULEMENT, CONTESTATION OU TRANSITION VERS UN AUTRE HABITER RÉCRÉATIF ? APPEL À CONTRIBUTIONS NATURE & RÉCRÉATION N° 2 (PARUTION PRÉVUE : NOVEMBRE 2014) SOUS LA DIRECTION DE

BARBARA ÉVRARD PHILIPPE BOURDEAU

L

[barbara.evrard@u-psud.fr] [philippe.bourdeau@ujf-grenoble.fr]

a récréation de masse est deve-

facto, des comportements attendus

Cet appel à contributions vise à

nue une forme de divertisse-

et le marketing expérientiel recyclent

interroger la place et les caractéris-

ment parmi d’autres ; les pratiques

les fondements, dépolitisés, du situa-

tiques de ces pratiques dissidentes

de nature ne font pas exception à

tionnisme.

dans les sociétés contemporaines.

cette tendance. Des dynamiques de

Dans le même temps, les pratiques

Les pratiques récréatives, pour ceux

normalisation, d’institutionnalisation

d’exploration, le tourisme expéri-

qui ne les envisagent pas comme de

et de marchandisation sont à l’œuvre

mental, les équipements détournés

simples dérivatifs ludiques, pour-

là où ont longtemps prévalu l’ins-

et de multiples formes buissonnières

raient peut-être se concevoir comme

piration, le bricolage et un certain

de pratiques prospèrent. Par d’in-

reconquête d’une autonomie perdue

anticonformisme. Participant au pro-

cessants contournements, détour-

face à l’hétéronomie économique,

cessus de réinvention et d’extension

nements et braconnages (de Certeau,

juridique ou environnementaliste.

de la ville, le modèle des parcs (skate,

1980), ces pratiques jouent avec les

Là où certains sociologues, à l’instar

snow, bike, acrobatiques, etc.) se

codes et les contours culturels, cor-

de Dubet (1994), observent la fra-

généralise ; il fait émerger des lieux,

porels et géographiques de l’expé-

gilité des identités induisant la pra-

des sites et des territoires urbanisés

rience récréative. Comment, alors,

tique d’un “bricolage de sens”, les

et artificialisés (Lazzarotti, 1995).

nommer et définir ces divergences

divergences récréatives pourraient

Devenus mobiles, les urbains dépla-

récréatives au sein d’un champ lexical

jouer un rôle de reconstruction iden-

cent les frontières de la ville (Viard

qui se décline de la contre-culture à

titaire…

et Hervieu, 1996) et “aseptisent” les

l’underground, de la résistance du

Quel est alors l’appareil théorique

“terrains de jeu”. L’aménagement

consommateur à la réserve dissidente

et méthodologique approprié pour

des espaces de pratique fabrique, de

(Maffesoli, 1979) ?

aborder les processus et les signifi-

M A I 2 0 1 4 • N AT U R E & R É C R É AT I O N N ° 1

101


APPEL À CONTRIBUTIONS

cations du versant off du champ

par ces activités qui se posent à

récréatif, qui oscille en permanence

contre-courant des offres, des pra-

4. La relation à la nature et à l’ha-

entre jeu et transgression, ostentation

tiques de nature actuelles et de leurs

biter récréatif. Il s’agit d’examiner

et clandestinité, résistance et créa-

codes culturels, éthiques ou écono-

les manières selon lesquelles les dis-

tivité ?

miques. Les sports de nature consti-

sidences récréatives réinterrogent,

La revue Nature & Récréation,

tuent, en eux-mêmes, une offre spor-

ou non, la relation à la nature des

pour son numéro 2, invite les cher-

tive hétérogène propice à une dyna-

sociétés urbaines contemporaines.

cheurs issus de l’ensemble des dis-

mique d’innovation. Dans quelle

S’offrent-elles comme pur défoule-

ciplines des sciences humaines et

mesure les usages non conformes

ment, comme avant-garde contre-

sociales à soumettre des articles scien-

perturbent-ils l’ordre établi, l’orga-

culturelle ou comme exploration

tifiques qui interrogent les enjeux

nisation sportive et spatiale existante

utopique d’une relation à la nature

de connaissance et d’approche des

et renouvellent-ils, eux aussi, le sys-

renouvelée ? Le cas échéant, en quoi

contre-cultures, des contre-lieux et

tème récréatif ? À partir du potentiel

et comment cette relation peut-elle

des contre-temps récréatifs, notam-

de créativité ou d’innovation des

être envisagée en termes d’“habiter”

ment à partir de quatre thématiques

divergences observées, il sera possible

et de transition récréative ?

principales, non exclusives.

de questionner leur capacité de

1. L’identification des acteurs et des formes de dissidences, de transgressions et de déviances observables

102

sent-ils face à ces dissidences ?

renouvellement des pratiques et des cultures sportives. 3. La gestion publique, politique et

Les textes (entre 30 000 et 50 000 caractères espaces compris et bibliographie incluse)

dans les espaces sportifs de nature.

la mise en scène médiatique de ces

seront soumis sous format word

Les propositions viseront à carac-

modes de pratiques. Alors que les

avant le 30 juin 2014 :

tériser ces natures buissonnières, à

thèmes de l’insolite, du hors pistes,

revue@sportsnature.org [www.nature-et-recreation.com]

en comprendre la signification pour

du hors sentiers battus font florès

les pratiquants, à identifier les repré-

dans la communication touristique

n

sentations auxquelles elles renvoient

des collectivités locales et dans les

et ce qui les distingue des autres dis-

publicités des équipementiers sportifs,

sidences sportives. Les pratiques de

dans quelles conditions ces trans-

nature produisent-elles des trans-

gressions se développent-elles ?

gressions inédites, ou ne font-elles

S’affichent-elles dans l’ombre ou,

Michel

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

DE

CERTEAU, L’Invention du quoti-

que reproduire les divergences “ordi-

au contraire, dans l’espace public ?

dien, 1. Arts de faire, Gallimard, 1980.

naires” actives dans le champ sportif

Quel est le regard médiatique, poli-

François DUBET, Sociologie de l’expérience,

ou social ? Il s’agira également d’ana-

tique, économique et juridique porté

Seuil, 1994.

lyser les facteurs, les freins, les leviers

par la société ? On pourra aussi cher-

Olivier LAZZAROTTI, Les loisirs à la

et les espaces temps de ces pratiques

cher à comprendre comment sont

conquête des espaces périurbains,

non conformes. Quelles marges,

gérés ces détournements et ces trans-

L’Harmattan, 1995.

périphéries et interstices socio-spa-

gressions et comment les modalités

Michel MAFFESOLI, La violence totalitaire.

tiaux investissent-elles ? Dans quelles

de contrôle sont mises en place. De

Essai d’anthropologie politique, Puf, 1979.

temporalités se déploient-elles ?

l’interdiction à la tolérance ou à l’in-

Jean VIARD et Bertrand HERVIEU, Au bon-

2. L’analyse des processus par les-

tégration, comment les pouvoirs

heur des campagnes (et des provinces), édi-

quels le champ récréatif peut se trou-

publics, le mouvement sportif et les

tions de l’Aube, 1996.

ver transformé, perturbé ou réinventé

autres usagers de la nature réagis-

N AT U R E & R É C R É AT I O N N ° 1 • M A I 2 0 1 4


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