Comprendre les inégalités en santé vécues par les peuples autochtones à la lumière d’un modèle de

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L’individualisme Les cultures autochtones sont traditionnellement collectivistes en ce que le sens de l’identité est lié à l’appartenance au groupe (famille, communauté ou nation). Le comportement social est donc en grande partie dicté par les normes du groupe plutôt que par les préférences de la personne ou par son analyse du coût et des bénéfices. Les objectifs individuels s’établissent en fonction des besoins des autres et la valeur personnelle s’inscrit dans le succès collectif. L’harmonie et l’interdépendance de même que la sollicitude envers la famille et les membres de la communauté sont valorisées, puisque le sens de soi est par définition indissociable du lien au groupe (Podsiadlowski, & Fox, 2011; Rosile et al., 2018). Maintes activités sociales et cérémonies visent à renforcer ce sens de connexion et de réciprocité (Ramage-Morin & Bougie, 2012). Les Européens qui ont colonisé l’Amérique du Nord étaient pour la plupart issus de cultures individualistes où le sens de soi n’est pas nécessairement rattaché à un groupe social, si ce n’est de la famille proche. Ces cultures mettent l’accent sur la destinée individuelle, les réalisations personnelles et l’indépendance face au collectif (famille, communauté ou État) tout en valorisant l’autosuffisance. L’individualisme privilégie les intérêts personnels, l’autonomie 22

et le libre choix. Les objectifs individuels priment généralement sur les ambitions du groupe et le comportement social se développe souvent en fonction des convictions personnelles. Chacun se concentre sur ses propres intérêts et la valeur d’une personne s’établit en fonction de ses avoirs et de son succès (Bromley, 2019; Heath, 2019). Les peuples autochtones ont longtemps résisté à l’imposition de l’individualisme colonial, mais les structures, les systèmes et les lois ont fini par le généraliser. Ainsi, on a banni certaines pratiques culturelles, tel le potlatch, qui permettaient de partager les biens (Loo, 1992). Les lois coloniales ont également interdit la distribution des ressources traditionnelles et ont limité les droits de pêche et de chasse de façon à décourager le partage communautaire. Les gouvernements coloniaux ont remplacé la gestion commune du territoire par des lois sur la propriété individuelle, les résidences à famille nucléaire, l’enseignement personnalisé et les emplois spécialisés – des facteurs qui continuent de menacer la viabilité des communautés (Bhandar, 2018).

La gouvernance coloniale Le Programme des Nations Unies pour le développement (n.d.) définit la gouvernance comme un « système de valeurs, des politiques et des institutions

sur la base desquels la société gère ses activités économiques, politiques et sociales à travers une interaction entre l’État, la société civile et le secteur privé. C’est la façon dont une société s’organise pour prendre des décisions et les mettre en application » [traduction] (p. 2). Une étude de 1994 menée par Young expose le mode de gouvernance des groupes dominants : on façonne des structures oppressives, puis on les multiplie au moyen de décisions politiques et d’une représentation qui passe sous silence ou qui dénature les voix des opprimés. Les peuples autochtones exerçaient leurs propres formes de gouvernement avant d’être colonisés (Crown-Indigenous Relations and Northern Affairs Canada [CIRNAC], 2020a); pourtant, dès le départ, le régime colonisateur s’est emparé du contrôle de ces déterminants clés de la santé autochtone. En dépit de la négociation de traités ou d’alliances commerciales et militaires, le système colonial de lois et de politiques a maintenu une approche paternaliste destinée à servir les intérêts de l’État canadien. Ainsi, bien que plusieurs traités n’aient jamais été honorés par la Couronne (Government of Canada, 2020b), les recours étaient rarement possibles. Comme on interdisait aux peuples autochtones de former des organisations politiques, la résistance se heurtait souvent à une répression militaire brutale, comme ce fut le cas pour le mouvement de


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