Derrière les barreaux : la surincarcération des Autochtones dans le système de justice pénale
DERRIÈRE LES BARREAUX : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
Denise Webb
Centre de collaboration nationale de la santé autochtone
National Collaborating Cent re for Indigenous Health
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Référence bibliographique : Webb, D. (2024). Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération. Centre de collaboration nationale de la santé autochtone.
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INTRODUCTION
La surincarcération des Autochtones 1 dans le système de justice pénale du Canada est un enjeu de santé publique systémique de longue date, enraciné dans un héritage de colonialisme, de racisme et de discrimination (Anderson et al., 2022; Boyer, 2019; Giannetta, 2021; Pate, 2016; Singh et al., 2019)*. Dès la création du système de justice pénale canadien, des instruments coloniaux tels que la Loi sur les Indiens et les agents des Indiens ont créé les conditions permettant d’emprisonner illégalement des Autochtones et ont tenté d’anéantir leurs droits, leur souveraineté et leur bien-être (Royal Commission on Aboriginal Peoples [RCAP],1996). Les premières lois au Canada interdisaient aux Autochtones de se livrer à leurs activités quotidiennes, des cérémonies aux pratiques agricoles, en passant par la consommation d’alcool (RCAP, 1996). Les origines du système de justice pénale du Canada ont donc jeté les bases de l’actuelle
« épidémie sociale » (Caldwell, 2019, p. 31) qu’est devenue la surincarcération des Autochtones. Cette épidémie nuit considérablement à la santé et au bienêtre des populations et des communautés autochtones (Caldwell, 2019; Department of Justice, 2021).
Alors que les conditions sanitaires dans les prisons canadiennes se détériorent et que les établissements correctionnels réservés exclusivement aux Autochtones ont démontré leur inefficacité (Iftene, 2019; Zinger, 2022), il devient nécessaire d’agir sur cette question d’un point de vue de santé publique, en tenant compte des appels toujours plus nombreux pour la décarcération 2 à grande échelle des Autochtones.
Les prisons canadiennes, dont on a vanté les capacités de réhabilitation et de réintégration, sont plutôt considérées le plus souvent par les critiques comme
* Toutes les références bibliographiques citées dans ce rapport sont en anglais seulement.
1 Dans le présent document, le terme « Autochtones » est utilisé globalement pour désigner les membres des Premières Nations (inscrits ou non), les Métis et les Inuits. Dans la mesure du possible, les termes Premières Nations, Métis et/ou Inuits sont utilisés pour désigner nommément une population particulière.
2 Voir l’annexe A pour une liste complète des principaux termes tels que la décarcération et leurs définitions dans le contexte du présent rapport.
Je n’oublierai jamais…
Je vivais dans le ventre de la bête de béton… nous coulions dans [ses] veines, nous sommes [sa] ligne de vie, survivant à peine, consumés par [sa] maladie de dénuement. Rabaissée et humiliée au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer, perdus quelque part dans l’esprit de mes propres croyances. Je me suis adaptée de manière surnaturelle… surnaturelle pour ce système. Dans cette cité d’acier, ma forêt est faite de clôtures et de murs. Les troncs des arbres sont des barreaux. Le beau coucher de soleil n’est jamais visible et de petits bouts de gazon tentent de devenir verts. Seules quelques petites fleurs sont permises, rien de plus. Maintenant, suivez-moi derrière les portes d’acier. Voilà mon océan de haine et de dépression, des vagues un peu salées coulant sur mon visage. Les compagnes de mes amies les m pleurent. Certaines crient, hurlent, tailladent et s’écrient. C’est mon désert de mort et de malheur. Mon seul refuge est cette chambre de 8 pieds sur 7. De la colère ou de la rage, de la folie qui rôde dans ce désert sauvage. Un jour je quitterai cette cité d’acier, j’en porterai les cicatrices avec l’espoir qu’elles guérissent. [traduction]
Amanda Lynn, 1997 (femme autochtone incarcérée au centre de ressourcement Okimaw Ohci).
des bras de l’État. Les prisons, disent les critiques, ont été construites pour asseoir encore davantage les idéologies colonialistes et paternalistes et sont centrées sur l’assimilation culturelle et le génocide. Et en plus, disent les critiques, elles perpétuent la violence et la destruction, et cela n’est nulle part plus évident que dans le traitement discriminatoire dont font l’objet les femmes et les filles autochtones (Giannetta, 2021; Murdocca, 2020). Alors que les prisons canadiennes sont présentées comme des centres qui facilitent la dénonciation de comportements délinquants, certaines personnes dans le système judiciaire décrivent les prisons comme « la suite, version 21e siècle, de la philosophie des déménagements forcés [et] des pensionnats » [traduction] (R v Itturiligaq, 2018).
Les gouvernements coloniaux ont tenté de répondre à la surincarcération des Autochtones pendant près de 30 ans, en se concentrant surtout sur l’amélioration de la sensibilité culturelle de l’environnement correctionnel (Giannetta, 2021). Diverses initiatives ont vu le jour, du développement de programmes culturels à la conclusion de partenariats avec des organismes présents dans les communautés autochtones. Ça ne fonctionne pas. Comme l’explique l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), l’introduction de « la culture autochtone dans l’environnement correctionnel n’en fait pas automatiquement un lieu de guérison. Une prison culturellement appropriée demeure
une prison [traduction] » (NWAC, 2019, p. 15). La déclaration de l’AFAC forme la base de la présente analyse.
En tenant compte de la nécessité de rompre avec les systèmes correctionnels traditionnels, ce rapport se penche sur la crise actuelle de surincarcération des Autochtones dans une perspective de santé publique et, dans le cadre de cette démarche, analyse les approches fédérales, provinciales et territoriales actuelles (p. ex., les politiques, les lois et les programmes) pour cheminer vers la décarcération. Une attention particulière est accordée aux solutions communautaires qui pourraient se substituer aux processus traditionnels d’incarcération, surtout pour les adultes autochtones de 18 ans et plus. Le rapport commence par un examen des méthodes de recherche, suivi d’un exposé des paramètres de la population correctionnelle et des conséquences de l’incarcération, puis des appels et des efforts pour la décarcération des Autochtones. Il se penche ensuite sur les solutions de rechange prometteuses dirigées par des Autochtones, sur les lacunes dans les connaissances issues de la littérature et sur les possibilités de recherche future. Le rapport se termine par une réflexion visant à en asseoir les conclusions et à en inspirer les prochaines étapes qui permettront de progresser vers la décarcération des Autochtones.
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MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
L’information sur la surincarcération des Autochtones a été colligée à l’aide du protocole de Shahid et Turin (2018) pour les analyses de contextes, et d’une approche en cinq étapes. La première étape du processus consiste à définir les objectifs de la recherche (précisés ci-dessus).
La deuxième étape fait appel à un processus de consultation d’experts de la question. Cette consultation a été réalisée de manière informelle grâce à des liens à l’interne avec le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone (CCNSA). La troisième et la quatrième étape consistaient à choisir les sources d’information pertinentes et à réunir l’information. Chaque étape faisait appel à des sources universitaires et à de la documentation parallèle issues du Canadian Research Index et de Google Scholar, de Gale in Context : Canada, des publications du gouvernement du Canada, de LEGISinfo, de CanLII, ainsi que des sites Web des ministères de la Justice provinciaux et territoriaux et de ceux de Service correctionnel Canada (SCC), de Sécurité publique Canada, de Services
aux Autochtones Canada et des Sociétés Elizabeth Fry et John Howard. La jurisprudence pour le Canada a aussi été examinée à l’aide de CanLII, afin de trouver les sanctions substitutives à l’emprisonnement envisagées ou utilisées envers les Autochtones lors du prononcé de la sentence. Pour les étapes 3 et 4, des groupes de population et des concepts d’intervention comme termes de recherche et comme mots clés, notamment (Indigenous OU Aboriginal OU First Nations OU Inuit OU Métis) ET (decarceration OU section 81 OU alternatives NEAR/3 incarceration OU prison OU custody) ET (Canada). Les variables liées aux résultats, telles que la réduction des taux d’incarcération chez les Autochtones ou les conséquences pour la santé, n’ont pas été incluses comme termes de recherche pour ne pas en limiter la teneur.
L’information sur les approches de décarcération a été colligée à partir de sources recueillies dans les catégories suivantes, selon le cas : titre de l’approche; gouvernement, communauté ou organisme
qui en est responsable; type d’approche; critères d’admissibilité pour les personnes détenues 3; date de début des activités; compacité du programme; liens avec l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; concept du programme et caractéristiques générales; autres renseignements pertinents, tels que les résultats obtenus ou les effets sur la santé, le taux de récidive et les relations avec la famille ou la communauté.
La cinquième et dernière étape a permis de consolider et de diffuser les conclusions dans le cadre du présent rapport.
La stratégie de recherche utilisée pour ce rapport comporte trois limites. Premièrement, en raison des limites linguistiques des chercheurs, seule la documentation rédigée et publiée en anglais a été considérée pour l’analyse. Deuxièmement, les documents publiés avant 1996 n’ont pas été pris en compte. Cette année a été définie parce qu’elle marque le moment où les taux disproportionnés d’incarcération des Autochtones ont commencé à
susciter l’attention du public et du monde politique au Canada, avec les changements législatifs apportés à l’alinéa 718.2e) du Code criminel Avec cette restriction, seules les approches de décarcération en cours ont été incluses afin d’assurer une clarté et une pertinence contemporaine à la question. En troisième lieu, ce rapport traite des Autochtones qui ont été jugés et condamnés à l’âge adulte (18 ans et plus), ce qui a pour effet d’exclure les approches de décarcération destinées aux jeunes autochtones (17 ans et moins). Cette limite resserre la stratégie de recherche, puisqu’inclure les approches destinées aux jeunes ferait appel à une stratégie de recherche distincte et à un examen distinct des programmes, des politiques et des lois. Ces trois limites dont en sorte que certaines approches de la décarcération peuvent ne pas avoir été incluses; il est donc important de noter que cette analyse ne vise pas à devenir une source exhaustive ni un répertoire de toutes les approches de décarcération offertes à l’heure actuelle au Canada.
3 Ce rapport utilise un langage centré sur la personne pour désigner les Autochtones en contact avec le système de justice pénale ou qui sont emprisonnés. Les termes déshumanisants comme « contrevenant », « prisonnier » ou « détenu » sont utilisés uniquement lorsqu’ils sont contenus dans des documents cités, issus de la recherche et ayant servi à la préparation du présent rapport. Pour en savoir plus à ce sujet, consultez Harney et coll. (2022) et Tran et coll. (2018).
En 2020 2021, les Autochtones formaient près du tiers de la population correctionnelle des établissements fédéraux (27 %, soit 5 809 personnes au total) et plus du tiers de la population correctionnelle des établissements provinciaux et territoriaux (31 %, soit 44 941 personnes au total), alors qu’ils ne forment que 5 % (1,8 million de personnes) de la population totale du Canada (Public Safety Canada, 2023; Statistics Canada, 2023). Ces données équivalent à plus de deux fois le taux d’incarcération des
Autochtones dans un établissement fédéral en 1996 (14,6 %, soit 2 069 personnes au total), l’année où des modifications législatives et politiques fédérales (exposées plus loin dans ce document) visaient officiellement à remédier au problème de surincarcération des Autochtones (CSC, 2013). La figure 1 montre le déséquilibre actuel dans les établissements fédéraux.
Parmi les 21 512 personnes incarcérées dans un établissement fédéral en 2020-2021, 5 809 étaient
Note sur les statistiques
Le Canada possède deux systèmes correctionnels : les établissements fédéraux, qui sont responsables des adultes purgeant des peines de plus de deux ans, et les établissements provinciaux et territoriaux, responsables des jeunes ainsi que des adultes purgeant des peines de deux ans ou moins. Statistique Canada réalise des enquêtes sur les services correctionnels en collaboration avec les deux systèmes afin de recueillir de l’information sur la prestation de leurs programmes et sur leurs activités quotidiennes. Chaque administration a toutefois une approche différente de la gestion des données et tous les établissements ne répondent pas à la même enquête. En raison de ces différences, les statistiques collectives sur les systèmes correctionnels de tout le Canada doivent être interprétées avec prudence (Statistics Canada, 2023). Les figures 1 à 3 contenues dans ce rapport s’inspirent donc des statistiques du système fédéral afin d’en simplifier l’interprétation et de réduire le risque d’erreurs et de surestimation. autochtones. De ce nombre, 18,6 % (n = 4 000) étaient des membres des Premières Nations, 0,8 % (n = 181) étaient inuites et 7,6 % (n = 1 628) étaient métisses (Public Safety Canada, 2023). Les figures 2 et 3 ventilent ce total en fonction des proportions de femmes autochtones (figure 2) et d’hommes autochtones (figure 3) purgeant une peine fédérale d’emprisonnement comparativement à une peine dans la communauté sous supervision et comparent ces proportions à celles des non-Autochtones au fil du temps.
FIGURE 1. POPULATIONS DU CANADA ET DES ÉTABLISSEMENTS CORRECTIONNELS FÉDÉRAUX AYANT UNE IDENTITÉ AUTOCHTONE, 2020-2021
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FIGURE 2. POPULATION DE FEMMES ADULTES DANS LE SYSTÈME CORRECTIONNEL FÉDÉRAL, PAR TYPE DE PEINE (EMPRISONNEMENT OU DANS LA COMMUNAUTÉ) ET AYANT UNE IDENTITÉ AUTOCHTONE
Notes : Les termes « Autoch. » et « non-Autoch. » sont des abréviations d’Autochtones et de non-Autochtones, respectivement. Aucune donnée ventilée sur les groupes Premières Nations, Inuits ou Métis n’est disponible. Les populations totales (sans proportions) sont précisées à l’annexe B
La figure 2 montre des proportions conflictuelles entre les femmes autochtones et les femmes non autochtones purgeant des peines d’emprisonnement dans un établissement fédéral comparativement aux peines à purger dans la collectivité, sous supervision. Les femmes autochtones sont plus susceptibles de purger leur peine en prison que dans la communauté, alors que les femmes non autochtones sont plus susceptibles de purger leur peine dans la communauté qu’en prison. Chez les deux populations, la proportion des deux types de sentences fédérales demeure relativement la même sur les quatre années. À partir
de 2018-2019, on constate une augmentation graduelle de la proportion de femmes autochtones purgeant leur peine fédérale dans la communauté sous supervision; cette proportion passe de 40 % (n = 198 personnes) en 2018-2019 à 43 % (n = 208) en 2019-2020, puis à 45 % (n = 217) en 20202021. Malgré cela, la proportion de femmes autochtones emprisonnées demeure élevée, dont plus de la moitié d’entre elles (jusqu’à 60 % en 2018-2019) implique les services correctionnels fédéraux. Le nombre disproportionné de femmes autochtones détenues dans un établissement fédéral a été souligné dans le cadre d’un décompte quotidien des femmes
purgeant une peine fédérale en 2022. À partir de ce décompte, on a pu constater que les femmes autochtones formaient la moitié de toutes les femmes en détention dans un établissement fédéral (298 femmes autochtones sur un total de 596 femmes), malgré le fait qu’elles ne représentent que 4,5 % de la population totale de femmes adultes au Canada (Statistics Canada, 2022; Zinger, 2022).
La figure 3 se penche sur la population d’hommes adultes dans les établissements fédéraux et présente un profil similaire à celui des femmes autochtones, bien que leur représentation soit plus prononcée en raison de la
FIGURE 3. POPULATION D’HOMMES ADULTES DANS LE SYSTÈME CORRECTIONNEL FÉDÉRAL, PAR TYPE DE PEINE (EMPRISONNEMENT OU DANS LA COMMUNAUTÉ) ET AYANT UNE IDENTITÉ AUTOCHTONE
Note : Les termes « Autoch. » et « non-Autoch. » sont des abréviations d’Autochtones et de non-Autochtones, respectivement. Aucune donnée ventilée sur les groupes des Premières Nations, des Inuits ou des Métis n’est disponible. Les populations totales (sans proportions) sont précisées à l’annexe B
plus grande probabilité pour les hommes autochtones de purger une peine fédérale en détention que dans la communauté. La même réalité s’applique à la population non autochtone; les écarts proportionnels pour les hommes autochtones sont toutefois plus grands et moins uniformes, puisque jusqu’à 71 % (n = 3 647) des hommes autochtones purgeaient une peine fédérale en détention comparativement à seulement 29 % (n = 1 464) dans la communauté, en 2017-2018 et en 2018-2019 (les statistiques de 2018-2019 font état de 3 877 hommes autochtones emprisonnés et de 1 548 dans la communauté). Une légère augmentation dans
la proportion des hommes autochtones purgeant une peine fédérale dans la communauté sous supervision est observée entre 2018-2019 (29 %, n = 1 548), 20192020 (30 %, n = 1 684) et 20202021 (32 %, n = 1 678). Malgré cela, la proportion d’hommes autochtones purgeant une peine fédérale en détention et non dans la communauté demeure relativement stable au fil des années.
Plus de recherche concernant les femmes et les hommes autochtones sera nécessaire, afin de déterminer les facteurs contributifs et les causes exactes des légères augmentations observées des peines fédérales à purger dans la communauté au
cours de cette période. Il se peut que des mesures supplémentaires aient été prises (p. ex., confinement ou report d’audiences) en vue de garder la population correctionnelle moins élevée en raison des inquiétudes de la santé publique liées à la pandémie de COVID-19. Selon cette hypothèse, la légère augmentation des peines fédérales purgées dans la communauté pourrait être un indice des mécanismes actuels en coulisse visant à réduire les admissions en établissement pour privilégier des sanctions dans la communauté et suggérer de ce fait des possibilités de faire progresser les possibilités de décarcération des Autochtones.
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La surincarcération des Autochtones a une influence sur les perspectives de santé au sein de la cette population correctionnelle de même que sur la santé et la sécurité de la population pour l’ensemble de la société. À travers le Canada, le système correctionnel connaît d’importants problèmes de santé qui affectent les Autochtones qui entrent dans le système correctionnel ou qui retournent dans leur communauté après leur remise en liberté (Iftene, 2019; McLeod et al. 2018; Singh et al. 2019).
LES CONSÉQUENCES DE L’INCARCÉRATION DES AUTOCHTONES
SUR LA POPULATION ET LA SANTÉ PUBLIQUE
Environnement correctionnel et état de santé
La surincarcération des Autochtones a une influence sur les perspectives de santé au sein de la cette population correctionnelle de même que sur la santé et la sécurité de la population pour l’ensemble de la société. À travers le Canada, le système correctionnel connaît d’importants problèmes de santé qui affectent les Autochtones qui entrent dans le système correctionnel ou qui retournent dans leur communauté après leur remise en liberté (Iftene, 2019; McLeod et al., 2018; Singh et al., 2019). Cet effet d’entraînement s’amorce dans la communauté : les personnes arrivent souvent dans le système correctionnel avec des problèmes de santé physique ou mentale préexistants, puis ils bénéficient alors d’un accès adéquat aux services de santé ou à du soutien de leur arrivée et durant leur détention (Balfour et al., 2018; McLeod et al., 2018). De nombreuses recherches ont par exemple
démontré que les établissements de détention sont l’incarnation même d’un environnement favorisant le développement : de maladies chroniques (telles que le cancer ou le diabète); d’un foyer de transmission de maladies infectieuses en raison de leur surpopulation et de conditions de ventilation insuffisantes; du manque de traitements et de soins adéquats; du manque de professionnels en soins; et de l’exposition à des environnements à haut risque impliquant l’usage de drogues, des rapports sexuels non protégés et des pratiques de tatouage sans précautions sanitaires (Iftene, 2019; Kouyoumdjian et al., 2018; Skinner et al., 2018; van der Meulen et al., 2018). Les taux de virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’hépatite C (VHC), de tuberculose (TB) et d’infections transmissibles sexuellement (ITS) sont également parmi les plus élevés dans le système correctionnel canadien, où l’on observe une prévalence disproportionnée du VHC et de la TB chez les Autochtones (Iftene, 2019; Skinner et al., 2018).
Les problèmes de santé mentale, en particulier, se développent souvent ou empirent dans un environnement correctionnel (Balfour et al., 2018; Malta et al., 2019). Dans la plupart des établissements fédéraux, il n’existe pas de voies pour répondre aux besoins en santé mentale des Autochtones, surtout à ceux des femmes (McGuire & Murdoch, 2022; Zinger, 2022). Les plaintes liées aux soins de santé étaient donc le deuxième problème en importance soulevée par les Autochtones purgeant une peine dans un pénitencier fédéral en 2021-2022 (Zinger, 2022).
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Programmes
mère- enfant
Les répercussions importantes et la détresse psychologique sont préoccupantes pour les mères détenues en raison de la disponibilité limitée des programmes mère-enfant dans les établissements canadiens et des critères très contraignants pour y avoir droit. La Directive du Commissaire 768, Programme mèreenfant en établissement régit ces programmes dans les établissements fédéraux. En vertu de cette directive, les mères détenues dans un établissement fédéral peuvent faire une demande pour participer à un programme mère-enfant, pourvu qu’elles soient classées au niveau de sécurité minimal ou moyen. Les mères détenues dont le niveau de sécurité est maximal peuvent aussi déposer une demande au programme fédéral mère-enfant, pourvu qu’elles soient considérées comme posant un risque moyen. Toutes les femmes qui font une demande doivent aussi être évaluées par les services provinciaux ou territoriaux d’aide à l’enfance et à la famille, obtenir l’appui de cet organisme, et prouver : qu’elles n’ont pas de problème de santé mentale risquant d’altérer leurs compétences parentales; qu’elles n’ont pas été condamnées pour une infraction contre un enfant ou pour
une infraction posant un risque pour un enfant; et qu’elles ne font pas l’objet d’une ordonnance du tribunal limitant leurs contacts avec leurs enfants. (SCC, 2020).
Certains aspects des critères d’admissibilité au programme (tel que le niveau de sécurité ou l’intervention exigée des services d’aide à l’enfance et à la famille) sont des obstacles importants pour les détenues autochtones. Si on se fie par exemple, au parcours social de certaines femmes autochtones et à leur vécu impliquant des crimes avec violence, on constate qu’elles sont souvent classées au niveau de sécurité moyen ou maximal dans les établissements où elles se trouvent. Le classement par niveaux de sécurité ne tient souvent pas compte du contexte de l’infraction qui, dans le cas de crimes avec violence commis par des femmes autochtones, est souvent une réponse à une situation violente ou à une tentative de s’échapper de situations violentes (Murdocca, 2020; NWAC, 2019; Office of the Auditor General of Canada, 2022). Les outils de classement par niveaux de sécurité ne tiennent pas compte non plus des répercussions permanentes du colonialisme qui normalisent et perpétuent les actes de violence fondée sur le genre à l’encontre des femmes autochtones, et favorisent des interactions toujours plus importantes avec
le système de justice pénale (National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls [NIMMIWG], 2019b; McGuire & Murdoch, 2022; Murdocca, 2020). En outre, certaines femmes autochtones pourraient avoir des réticences à rencontrer des organismes d’aide à l’enfance ou à leur demander de l’aide en raison de pratiques historiques qui ont cours encore aujourd’hui et qui consistent à leur retirer leurs enfants ou à les séparer de force de leur famille. Ces pratiques sont encore répandues de manière disproportionnée envers les familles autochtones (NCCIH, 2017).
Les chercheurs expliquent également comment les critères d’admissibilité aux programmes mère-enfant peuvent faire en sorte d’imposer une séparation des familles autochtones. Ces séparations sont une copie conforme des politiques et des systèmes coloniaux – pensionnats autochtones, Rafle des années soixante 4 et système actuel de protection de l’enfance – qui ont systématiquement cherché à assimiler et retirer de force les familles autochtones de leur culture et de leurs communautés. Murdocca (2020) parle en ce sens d’un « double traumatisme » pour les femmes autochtones placées en institution puis retirées de
La Rafle des années soixante désigne une époque d’enlèvements massifs où les enfants étaient retirés de leur famille et de leur communauté pour être confiés à des foyers d’accueil, souvent dans des familles non autochtones. Bien que les années 1960 aient donné lieu à nombre exceptionnellement élevé d’enlèvements de ce genre, la période désignée sous le nom de « Rafle des années soixante » comprend aussi les années 1950, époque où cette pratique a commencé, et se poursuit jusqu’aux années 1980, lorsque les politiques visant à enlever des enfants autochtones sont devenues moins explicites (First Nations & Indigenous Studies, UBC, 2009). Il convient toutefois de noter que les enfants autochtones continuent d’être surreprésentés dans les services d’aide à l’enfance au Canada.
dans une interprétation stricte du mandat de l’établissement (Inglis v. British Columbia [Minister of Public Safety], 2013). Aucune évaluation officielle du programme n’a été réalisée et, jusqu’à son abolition, il a été largement reconnu que le programme avait des résultats positifs pour de nombreuses mères détenues et leurs enfants (Salmon et Thompson, 2012).
En 2013, Amanda Inglis (et son fils Damien), de la Nation Secwépemc (Shuswap) et Patricia Block (et sa fille Amber) ont poursuivi le gouvernement de la ColombieBritannique après avoir purgé des peines en détention au Centre d’Alouette. Les deux femmes prétendaient que l’abolition du programme mère-enfant dans cet établissement correctionnel avait provoqué une grave détresse psychologique et porté atteinte à leurs droits constitutionnels (Inglis v. British Columbia [Minister of Public Safety], 2013). Leur cause a été présentée en leur nom, en celui de leurs enfants et pour toutes les femmes incarcérées, et pourrait avoir influencé l’abolition du programme. L’affaire a finalement été portée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a jugé que la décision d’abolir le programme constituait une violation des droits des détenues reconnus dans l’article 7 (portant sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne), et l’article 15 (droit à l’égalité) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour suprême a également estimé que l’abolition du programme allait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant et que celle-ci enfreignait aussi les leur famille (p. 48). Les enfants peuvent également subir des effets néfastes sur leur santé, leur bien-être psychologique et leur développement cognitif lorsqu’ils sont séparés de leur mère parce qu’elle est en prison (Millar & Dandurand, 2018). Pour toutes ces raisons, peu de femmes autochtones participent aux programmes mère-enfant offerts dans les établissements fédéraux. Depuis la création de ce programme, en 2002, seules 29 % des femmes y ayant fait une demande s’identifiaient comme Autochtones (53 femmes des Premières Nations ou métisses en tout, aucune chez les Inuites), malgré le fait qu’elles forment 50 % de toutes les femmes purgeant une peine dans un établissement fédéral (Zinger, 2022).
obligations provinciales en vertu de la Child, Family and Community Service Act (Loi sur les services à l’enfance, aux familles et aux communautés) (Inglis v. British Columbia [Minister of Public Safety], 2013). Dans le cadre des procédures, la Cour s’est penchée sur la surincarcération historique des femmes autochtones et sur l’historique de démembrement des familles autochtones provoqué par des mesures de l’État (paragr. 612). Sur les bases de cet exposé, la Cour a aussi statué que la décision d’abolir le programme au lieu de le restreindre « constituait de la discrimination du fait que la conduite de l’État vient élargir l’écart entre les groupes historiquement désavantagés et le reste de la société » [traduction] (Inglis v. British Columbia [Minister of Public Safety], 2013, paragr. 16). Le programme mère-enfant a été réinstauré en 2014 et demeure à ce jour le seul programme du genre offert dans un établissement provincial.
Outre le programme fédéral mèreenfant, la Colombie-Britannique est la seule province au Canada à offrir un programme mère-enfant dans l’un de ses établissements correctionnels provinciaux (à l’Alouette Correctional Centre for Women). Ce programme en vigueur dans l’établissement, appelé Mom & Me, permet aux mères détenues d’habiter ou de rester en contact étroit avec leurs enfants pendant leur détention (Paynter et al., 2021). Le programme avait été aboli en 2008 pour des raisons de sécurité des nourrissons et des enfants et d’incertitude quant à la conformité des conditions d’application du programme avec le mandat de l’établissement. On se demandait, entre autres, si la responsabilité à l’égard des enfants de détenues et de leur hébergement pouvait s’insérer 15
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Problèmes de santé mentale dans les établissements correctionnels
La culture des politiques punitives dans le système correctionnel à lui seul contribue à la recrudescence des maladies mentales. Les unités d’intervention structurée (UIS), autrefois connues sous le nom d’unités de ségrégation, sont par exemple une forme d’isolement utilisé pour les personnes détenues qui présentent un risque pour leur propre sécurité et celle des autres ou pour l’intégrité des enquêtes à l’intérieur de l’établissement (Sapers, 2022). L’analyse des textes des politiques de ségrégation de SCC par Prévost et Kilty’s (2020) fait état d’un exposé qui considère que le recours aux UIS est utilisé de manière disproportionnée pour remédier aux « risques » associés aux trois groupes suivants : « les femmes, les populations autochtones et les personnes souffrant de maladies mentales »
[traduction] (p. 173). Des enquêtes dans les établissements fédéraux ont révélé que les pratiques en matière de ségrégation sont semblables à la réponse du système correctionnel pour la prise en charge des problèmes de santé mentale ou des comportements autodestructeurs au sein de la population carcérale, particulièrement des femmes autochtones (Prevost & Kilty, 2020; Sapers, 2022). Cette pratique persiste, malgré les preuves croissantes confirmant les effets néfastes des séjours prolongés en isolement, y compris dans les UIS. Ces effets sont notamment une intensification des problèmes de santé mentale existants, l’émergence de nouveaux défis en matière de santé, l’augmentation du risque d’engendrer une détresse psychologique extrêmement élevée et des taux de suicide plus élevés chez les personnes incarcérées (Sapers, 2022, p. 79).
Une évaluation récente du recours aux UIS dans les établissements de détention canadiens a permis
de constater que les détenus autochtones, surtout les femmes, avaient plus de probabilités d’être placés en UIS, et ce, pour des périodes plus longues. Parmi les personnes transférées dans ces unités, les Autochtones étaient plus susceptibles de présenter des besoins en santé mentale (37,6 %) comparativement aux non-Autochtones (25,5 %) (Sapers, 2022). La présence d’un trouble de santé mentale augmentait aussi les probabilités, pour les Autochtones en détention, d’être transférés dans plusieurs établissements, ce qui peut du même coup réduire leur chance de recevoir des services constants et fiables en santé mentale (Sapers, 2022). Pour ce qui est des soins prodigués par des aînés autochtones, des difficultés administratives liées aux UIS ont souvent créé une forme d’opacité autour du rôle de ces aînés, ce qui constitue un obstacle de plus à une prestation efficace des services (Sapers, 2022).
Limites imposées à la réduction des méfaits en milieu correctionnel
Les politiques de SCC en matière de drogues peuvent aussi créer des obstacles à l’obtention de médicaments essentiels, de traitements de réhabilitation efficaces et d’autres programmes de réduction des méfaits tels que les thérapies de remplacement des opioïdes et les programmes d’échanges de seringues (Malta et al., 2019; Singh et al., 2019; van der Meulen et al., 2018). SCC adopte une politique de « tolérance zéro » à l’égard des drogues, limitant ainsi l’accès à des programmes sûrs et efficaces de réduction des méfaits (van der Meulen et al. 2018; Zinger, 2022). En revanche, à l’extérieur du Canada, les programmes offerts dans les établissements de détention reposent sur des politiques plus pragmatiques, fondées sur les droits de la personne (Sander et al., 2019; van der Meulen et al. 2018). Pensons par exemple, aux programmes pour les aiguilles et les seringues instaurés dans les établissements de détention en Suisse ou en Espagne, dont leurs effets positifs sont régulièrement démontrés par la réduction du
partage des seringues, des abcès, des surdoses de drogues et des nouveaux cas d’infections au VIH et aux VHC (Sander et al., 2019).
En 2018, SCC a mis en place son Programme d’échange de seringues dans les prisons. La politique antidrogue est toutefois demeurée et l’accessibilité du programme est également restreinte par un processus de demande laborieux, assorti de restrictions sur le comportement. Il échoue également à préserver la confidentialité des personnes participantes (Giffin et al., 2023). En outre, le programme est mal adapté aux besoins individuels de la clientèle auquel il se destine (Zinger, 2022). Les personnes participant à ce programme s’exposent aussi à un risque de mesures disciplinaires si elles sont trouvées en possession de produits liés aux drogues autres que ceux fournis dans le cadre du programme (Zinger, 2022).
Dans le cadre d’entrevues portant sur le Programme d’échange de seringues dans les prisons du Canada, des détenues d’établissements fédéraux ont fait part de leurs doutes quant à la possibilité que le programme stimule l’utilisation de drogues injectables et, ce faisant, augmente
le risque d’overdoses (Giffin et al., 2023). La majorité des participantes aux entrevues appuyaient les programmes communautaires de réduction des méfaits, mais ne partageaient pas la même impression pour les programmes offerts dans l’établissement en vertu de la politique antidrogue en raison des risques perçus associés à ces programmes, tels que la criminalisation pour possession de drogues, et les menaces pour la libération conditionnelle et la remise en liberté anticipée si leur participation et leur utilisation de drogues injectables venaient à être connue (Giffin et al., 2023). Certaines femmes ont parlé de la menace que représente le programme pour la sobriété, puisque la détention est considérée comme une occasion de rompre avec les habitudes de consommation de drogues et de substances (Giffin et al., 2023). En gardant ces inquiétudes à l’esprit, il pourrait être pertinent pour les futurs chercheurs de se pencher sur les pratiques efficaces de réduction des méfaits en milieu correctionnel en demandant directement leur opinion aux personnes ayant prévu d’y participer afin de vérifier l’équité et la viabilité de ces programmes (Giffin et al., 2023; van der Meulen et al., 2018).
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
Accès aux soins de santé et prestation des soins en milieu correctionnel
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition du Canada (1992) stipule que « le Service veille à ce que chaque détenu reçoive les soins de santé essentiels et qu’il ait accès, dans la mesure du possible, aux soins de santé non essentiels » (art. 86). Puisque les critères propres à ces conditions ne sont pas précisés, la qualité et l’accessibilité des soins dans les établissements de détention varient d’une province et d’un territoire à l’autre au Canada. La prestation de services de soins de santé dans les établissements fédéraux (pour les sentences de plus de deux ans) est supervisée par SCC et normalisée dans la plupart de ses établissements. La gestion
de la prestation de soins dans les établissements provinciaux et territoriaux est toutefois assurée par chaque gouvernement.
La plupart des provinces et des territoires fournissent des soins de santé dans les établissements de détention par le biais de leur ministère de la Justice plutôt que de leur ministère de la Santé (sauf la Nouvelle-Écosse, l’Alberta et la Colombie-Britannique, qui assurent les services de santé par le biais de leurs autorités sanitaires provinciales) (McLeod, 2021). La qualité et l’accessibilité des soins de santé pourraient donc ne pas être régies par les mêmes critères que ceux de la Loi canadienne sur la santé, laquelle repose sur cinq principes : gestion publique, intégralité, universalité, transférabilité et accessibilité. Certains services pourraient donc
Les enfants de parents en détention courent un plus grand risque de souffrir d’anxiété et de dépression, d’avoir des difficultés à l’école et d’être en contact avec le système de justice pénale une fois adultes. Ce phénomène engendre un cycle générationnel de surincarcération (Purvis, 2013; Singh et al., 2019).
être de qualité inférieure à ceux fournis dans la communauté, à l’extérieur du milieu correctionnel (McLeod, 2021). On croit que certains établissements provinciaux adoptent une approche punitive pour la gestion de l’accès aux soins, notamment les soins en santé mentale ou pour le traitement de la toxicomanie (Balfour et al., 2018). Ces idéologies favorisent souvent des attitudes néfastes à l’égard des peuples autochtones aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de dépendances, et créent, sans qu’on s’en rende compte, un environnement risquant d’empirer les résultats de santé des Autochtones (Iftene, 2019).
5
Conséquences pour la continuité des soins des Autochtones en détention
Des services de santé mentale et de soins de santé peuvent être offerts aux Autochtones en détention. Le manque d’infrastructure au sein des systèmes correctionnels pose aussi des difficultés pour la continuité des soins une fois la personne remise en liberté (Balfour et al., 2018; McLeod et Martin, 2018). Ces difficultés adoptent plusieurs formes, comme la remise en liberté sous conditions, sans moyen de transport ni accès à du transport pour obtenir des soins ou un soutien inadéquat des établissements de détention pour trouver et repérer les services de soins de santé qui seront disponibles pour les personnes lors de leur remise en liberté (Balfour et al., 2018). Comme l’on écrit Balfour et al. (2018, p. 12) :
« La prestation fragmentée des services de soutien à la réinsertion 5 semble être influencée par le type d’établissement carcéral au lieu de l’être par les besoins des personnes détenues, les obligations en vertu de la loi ou les droits de ces personnes [traduction]. »
les coûts des soins de santé et le fardeau imposé aux familles et aux proches aidants (Iftene, 2019). Une telle interruption augmenterait aussi considérablement les risques de décès chez les Autochtones en détention dans les semaines suivant leur remise en liberté, particulièrement les risques de surdose de drogues ou de suicide (Singh et al., 2019).
Les effets indirects de l’interruption des soins sur les communautés autochtones sont encore plus graves pour les Autochtones remis en liberté d’un établissement provincial ou territorial (Iftene, 2019). Les sentences plus courtes (moins de deux ans) entraînent un roulement rapide, laissant les Autochtones exposés à des risques de santé avec peu ou pas de traitements prodigués durant leur détention, surtout en comparaison avec les services de soins de santé offerts dans les établissements fédéraux. Dans un seul cas, exceptionnel, McLeod (2021) a constaté une amélioration de la continuité des soins pour les personnes remises en liberté d’un établissement provincial de la Colombie-Britannique, en partie en raison du passage de la prestation de soins de santé du système correctionnel au ministère de la Santé. Ce changement a permis des améliorations dans la qualité des soins en établissement et a augmenté la probabilité que les personnes détenues recherchent du soutien et des soins de santé communautaires, et y accèdent,
surtout en santé mentale et en traitement de dépendances, une fois remises en liberté sous conditions. Peu de travaux de recherche se sont penchés sur les résultats de transferts de prestation de soins similaires en Nouvelle-Écosse et en Alberta, ce qui vient mettre en relief un sujet de recherche important. Les enquêtes futures devraient se pencher sur les facteurs précis – qu’il s’agisse des systèmes de santé en milieu carcéral, des établissements eux-mêmes, des services communautaires à l’extérieur de l’établissement ou autres – ayant la plus grande influence pour faciliter la continuité des soins chez les personnes quittant l’environnement carcéral.
Des facteurs environnementaux et des politiques au sein du système correctionnel ont plusieurs répercussions sur la santé des Autochtones. Singh et al. (2019) quantifient cette réalité et suggèrent qu’une personne risque de perdre deux années d’espérance de vie par année passée en détention. Les effets néfastes de l’incarcération ont également un impact intergénérationnel. Les enfants de parents en détention courent un plus grand risque de souffrir d’anxiété et de dépression, d’avoir des difficultés à l’école et d’être en contact avec le système de justice pénale une fois adultes. Ce phénomène engendre un cycle générationnel de surincarcération (Purvis, 2013; Singh et al., 2019).
Une interruption des soins a des répercussions sur les communautés en dehors de l’établissement correctionnel, car elle accroît les risques pour la sécurité, les risques de transmission de maladies, 19
Le terme « reentry » (réinsertion) de la version anglaise de cette citation se dit ici de « la pratique politique [ou] de l’expérience personnelle du transfert d’un établissement de détention vers la communauté. » (Balfour et al., 2018, p. 2).
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
Tu présentes ton ignorance et ton intimidation uniquement pour nous permettre à nous, frères, de rebondir après l’humiliation.
Tu prends l’air que je respire de ma réalité et préserve à ce guerrier sa mentalité.
Tu tentes d’isoler mon concept de détermination qui ne concorde pas avec ta constitution.
Tu aggraves tout avec ton autorité uniquement pour me rapprocher de la spiritualité.
Tu perçois et justifies nos erreurs selon les règles dans ton vocabulaire familier, l’escroc, c’est moi.
Tu nous prends et tu décides que nous sommes d’une classe inférieure alors que mes prières font appel à la pipe et au foin d’odeur.
Tu tentes de manipuler l’esprit – c’est ton objectif, car je resterai et serai fort dans mon esprit, mon corps et mon âme.
Tu vois, homme blanc, je ne suis pas un suiveur, dans ma direction, je suis le leader. [traduction libre]
Wally, 1988 (détenu autochtone).
LA NÉCESSAIRE DÉCARCÉRATION
DES AUTOCHTONES
Les défenseurs de la justice, les chercheurs et les organisations demandent depuis longtemps la décarcération systémique des Autochtones. La décarcération vise à réduire ou à éliminer la surincarcération des Autochtones dans les systèmes de justice pénale du Canada. Des démarches de décarcération dirigées par les Autochtones eux-mêmes, telles que des sanctions substitutives à l’emprisonnement appuyées par la culture et une dépendance moindre aux systèmes, aux idéologies et aux arguments pour emprisonner les Autochtones (Anderson et al., 2021, 2022; Denis-Boileau et Sylvestre, 2018; Giannetta, 2021). Les appels à la décarcération systémique sont une réponse à l’approche adoptée historiquement par le gouvernement du Canada pour la réduction des taux d’incarcération des Autochtones, qui consiste en l’élaboration des programmes pour SCC et à des modifications législatives au droit criminel. Historiquement, la mise sur pied de programmes a reçu un financement plus important et a bénéficié de ressources en priorité (Anderson et al., 2022; Giannetta, 2021; Sandulescu, 2021). Par ailleurs, des rapports d’évaluation confirment que SCC est parvenu à créer des programmes fondés sur les besoins pour les Autochtones incarcérés (Office of the Auditor
General of Canada, 2022). Des critiques prétendent toutefois que cette approche est devenue efficace au fil du temps (Zinger, 2022) et n’a pas eu beaucoup d’effet sur les taux d’incarcération des Autochtones (Anderson et al., 2022; Giannetta, 2021; Office of the Auditor General of Canada, 2022). En fait, on a constaté que l’objectif institutionnel de SCC, qui consiste à « autochtoniser » les établissements de détention à l’aide de programmes culturels, n’a fait que normaliser, sur une grande échelle, la présence des Autochtones en milieu carcéral (Anderson et al., 2022, p. 18).
La recherche suggère que les programmes destinés aux Autochtones de SCC ne sont pas toujours culturellement appropriés (Anderson et al., 2022; McGuire & Murdoch, 2022). Ces programmes comportent souvent un accès aux aînés à l’emploi de SCC, mais que le statut de ces aînés n’est pas reconnu par les communautés autochtones. Et en plus, leurs interventions peuvent ne pas refléter les besoins et les expériences de vie variés des Autochtones et de leurs communautés (Anderson et al., 2022; Giannetta, 2021). Les programmes de SCC intègrent régulièrement des éléments qui n’ont pas la sensibilité nécessaire et ne correspondent pas aux
besoins distincts et aux différences culturelles des identités et contextes des Premières Nations, des Inuits et des Métis (Denis-Boileau, 2021; Giannetta, 2021; McGuire & Murdoch, 2022). McGuire et Murdoch (2022) définissent d’ailleurs l’appropriation culturelle sous-jacente des programmes en milieu correctionnel et leur « pan-autochtonisation » comme une tentative de « perpétuer le romantisme sur les Autochtones quant à ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont et ce qu’ils devraient être [traduction] » (p. 540). Les programmes en milieu correctionnel peuvent devenir particulièrement problématiques lorsqu’ils sont offerts dans les limites des systèmes juridiques coloniaux et sous leur autorité –les mêmes structures conçues au départ pour « priver les peuples autochtones de leurs droits et de leur autonomie [traduction] » (Giannetta, 2021, p. 5). La dévalorisation des éléments probants entourant les programmes culturels en milieu carcéral semble indiquer qu’il fait considérer d’autres avenues pour réduire le nombre d’Autochtones incarcérés – la mise sur pied, par exemple, de sanctions substitutives à l’emprisonnement déployées dans les communautés.
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
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TABLEAU 1. RECOMMANDATIONS RÉPÉTÉES À L’INTENTION DE SCC PAR LE BUREAU DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL
(BEC) DU CANADA
Recommandation
Améliorer l’accès aux programmes de réduction des méfaits et leur efficacité afin de prendre en charge les problèmes de consommation de substances et de dépendances, et répondre aux autres besoins en santé mentale dans les établissements fédéraux.
Évaluer la validité et la fiabilité du processus de classement par niveaux de sécurité en accordant une attention particulière à son utilisation pour les femmes autochtones, et veiller à ce que le parcours social autochtone soit considéré de manière appropriée et constructive lors de ce classement.
Examiner les critères d’admissibilité du programme fédéral mère-enfant, en accordant une attention particulière à l’amélioration de l’accès pour les femmes autochtones et en éliminant les obstacles dans leur cas.
Rapport annuel du BEC
Rapports annuels de 2009-2010, 20112012, 2013-2014, 2015-2016, 2018-2019 et 2021-2022
Rapports annuels de 2012-2013 6 ,20182019 et 2021-2022
Rapports annuels de 2009-2010, 20142015 et 2021-2022
Nommer un commissaire adjoint aux services correctionnels pour Autochtones 7 Rapports annuels de 2015-2016, 20172018 et 2021-2022
Accroître et améliorer l’attribution de ressources afin d’aider à la création d’installations pour les Autochtones en vertu de l’article 81 et d’en assurer le fonctionnement (c.-à-d. l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition), d’améliorer la faisabilité et la fréquence des transferts vers des instances de l’article 81 et d’augmenter le nombre d’accords en vertu du nouvel article 81.
Annual reports from 2009-10, 2012-13, 2016-17, 2017-18, and 2021-22
6 Cette recommandation n’est pas formulée explicitement dans le rapport annuel de 2012-2013; le rapport annuel recommande plutôt ce point en référence au rapport externe de Wesley (2012) sur les femmes autochtones marginalisées dans les établissements fédéraux.
7 La recommandation visant à nommer un commissaire adjoint aux services correctionnels pour Autochtones a été formulée avant 2009-2010 (on l’a p. ex., retrouvée dans le rapport annuel archivé de 2004-2005). D’autres rapports annuels de 2009-2010, 2012-2013, 2014-2015 et 2018-2019 ont aussi fait mention de cette recommandation de manière informelle et ont proposé des recommandations similaires visant à vaincre les réticences de SCC. En mars 2023, un commissaire adjoint aux services correctionnels pour Autochtones a été nommé et assurera la surveillance des questions entourant la clientèle autochtone de SCC (CSC, 2023).
Pendant des décennies, le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) du Canada a soulevé des questions devant les taux élevés d’incarcération des Autochtones et leur traitement inéquitable. Ces enquêtes ont été suivies de séries de recommandations pour favoriser un changement et remédier à de tels problèmes dans les établissements de détention canadiens (Zinger, 2022). Le Tableau 1 dresse la liste de certaines des recommandations pour la santé et le bien-être des Autochtones incarcérés. Ces recommandations ont été reprises au fil des ans et jusqu’au rapport annuel le plus récent, celui de 2020-2021 (Zinger, 2022).
Un nombre incalculable d’autres rapports, de commissions et d’enquêtes ont réitéré les appels à une réforme des établissements de détention en ce qui a trait à ce qu’y vivent les Autochtones, et plusieurs d’entre eux ont demandé diverses méthodes de décarcération afin de transférer les Autochtones détenus aux soins et à la garde de leur communauté, et d’aider ces communautés dans leurs efforts de prise en charge (Anderson et al., 2022; Murdocca, 2020; NIMMIWG, 2019b; Truth and Reconciliation Commission [TRC], 2015a; Vecchio, 2018) 8 .
Effets
positifs possibles de la décarcération des Autochtones
La recherche démontre les effets positifs de la décarcération sur la qualité de vie des Autochtones en contact avec le système de justice pénale, particulièrement en ce qui a trait à la santé mentale et au bienêtre de la communauté (Chartrand & McKay, 2006; Park, 2021). Les approches communautaires de la décarcération des Autochtones visent habituellement à agir sur les causes profondes du crime, à réduire les récidives, à améliorer la réhabilitation et à soutenir efficacement la guérison des Autochtones en contact avec le système de justice pénale, de même que les victimes et les communautés affectées par les actes criminels commis (Chartrand & McKay, 2006; Clairmont et Linden, 1998; NIMMIWG, 2019a; Park, 2021).
La décarcération peut aussi servir d’approche en santé publique pour améliorer la santé de la population en s’attaquant à certains des problèmes de santé rencontrés au sein de la population carcérale, tels que la transmission de maladies infectieuses, les problèmes de santé
mentale, les mauvaises conditions de vie et l’alimentation déficiente de même que l’accès à des programmes parentaux, entre autres (Gordon et al., 2021). Certaines personnes placées en détention peuvent par exemple être abandonnées par leur prestataire de soins primaires et être incapable d’y avoir accès une fois remises en liberté (Iftene, 2019). L’accès aux soins primaires peut être maintenu en imposant aux Autochtones des peines à purger dans la collectivité et qui réduiraient le risque d’effets néfastes sur la santé. L’accès à d’autres programmes de santé et de soutien communautaires qui sont limités ou inexistants en milieu carcéral pourrait aussi être amélioré, surtout en ce qui a trait aux programmes de traitement des dépendances et de réduction des méfaits (p. ex., thérapie de remplacement des opioïdes, programme d’échange de seringues) et au traitement des maladies infectieuses (p. ex., VIH et VHC) (van der Meulen, 2018). Les thérapies de remplacement des opioïdes et le traitement du VHC sont particulièrement importants, car la prévalence des troubles associés à la consommation d’opioïdes des infections au VHC est disproportionnée au sein de la population carcérale. Les infections au VHC, particulièrement,
8 Dans le présent document, les communautés autochtones peuvent englober les peuples des Premières Nations, les Inuits et/ou les Métis vivant en milieu urbain ou dans les régions rurales éloignées du nord du Canada et qui partagent des caractéristiques, des attitudes, des intérêts ou des objectifs communs à l’intérieur d’une nation ou de réseaux de soutien distincts.
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
atteignent un taux disproportionné chez les membres des Premières Nations incarcérés (Malta et al., 2019; Skinner et al., 2018).
La décarcération des Autochtones offre la possibilité aux communautés autochtones d’exercer leur autonomie et leur autodétermination en matière de droit et de justice, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (United Nations, 2007). Les approches communautaires de décarcération peuvent aussi viser à donner un nouvel élan aux lois et aux principes autochtones conformément aux perspectives uniques et variées des Premières Nations, des Inuits et des Métis sur le monde (TRC, 2015b). La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CRV) et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (ENFFADA) mettent toutes deux en relief la nécessité de la décarcération et pressent les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d’appuyer la mise en œuvre de peines à purger dans la collectivité comme substituts à l’emprisonnement (NIMMIWG, 2019b; TRC, 2015a). L’appel à l’action no 31 de la Commission et l’appel à la justice no 5.16 de l’ENFFADA insistent sur l’importance de disposer d’options communautaires et efficaces pour cibler les causes sous-jacentes du comportement délinquant (TRC, 2015a, p. 3) et les enjeux sous-jacents de l’incarcération – le traumatisme, la pauvreté et les autres répercussions de la colonisation – en utilisant les forces des pratiques culturelles en matière de guérison (NIMMIWG, 2019a, p. 643).
Possibilités de décarcération des
Autochtones dans les lois fédérales
Des textes législatifs fédéraux offrent des avenues pour appuyer la décarcération des Autochtones, notamment des dispositions contenues dans le Code criminel et dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. En 1996, l’alinéa 718.2e) du Code criminel a été modifié afin d’agir précisément sur la surincarcération des Autochtones en obligeant les tribunaux à tenir compte du parcours social des Autochtones et de sanctions substitutives à l’emprisonnement au moment de déterminer la sentence. La même année, l’article 742 du Code criminel introduisait les peines avec sursis, ce qui a permis aux tribunaux d’envisager plus largement l’imposition de peines alternatives à purger dans la collectivité. L’article 717 du Code criminel joue aussi un rôle de premier plan dans l’autorisation de mesures substitutives telles que les programmes communautaires pour les personnes reconnaissant la responsabilité de leur infraction et acceptant de participer à un plan d’action au lieu de s’engager dans des poursuites pénales. De la même façon, l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet aux Autochtones en détention d’être transférés aux soins et sous la garde d’établissements situés dans les communautés pour purger une partie ou la totalité de leur peine. La mise en application de ces dispositions se heurte toutefois à de nombreux obstacles et à de nombreuses limites.
L’alinéa 718.2e) et les articles 742 et 717 du Code criminel du Canada
L’alinéa 718.2e) du Code criminel légifère sur l’obligation des juges d’envisager toutes les sanctions disponibles autres que l’emprisonnement, et exige qu’une attention particulière soit accordée aux antécédents et aux facteurs systémiques particuliers des accusés autochtones (Criminal Code, R.S.C., 1985, c. C-46; R. v. Gladue, 1999). Cette disposition, aussi connue sous le nom de l’arrêt Gladue, a été ajoutée au Code criminel en 1996 lorsque la surreprésentation des Autochtones au sein de la population carcérale au Canada dans les prisons canadiennes a été mise en évidence dans le cadre d’examens parlementaires, de commissions juridiques et de la Commission royale sur les peuples autochtones (Rudin, 2008). Cette disposition a d’abord été interprétée dans l’affaire R c. Gladue (1999), qui mentionnait explicitement la surreprésentation des Autochtones au sein de la population carcérale et la nécessité de sanctions substitutives pour les populations autochtones à travers le pays (Rudin, 2008). Le jugement Gladue a introduit la notion de justice réparatrice dans le cadre des objectifs des sentences, pressant les juges de reconnaître les besoins de toutes les personnes touchées par les comportements délinquants, soit les personnes accusées, les victimes et l’ensemble de la communauté. Ces idéaux remettaient en question le caractère normal de la dissuasion et de la rétribution (Roach & Rudin, 2000). Les répercussions du jugement Gladue se sont fait sentir à l’échelle de tout le pays; il comportait en effet un
« objectif derrière l’alinéa 718.2e), notamment une critique sur le recours excessif à l’emprisonnement au Canada, de façon générale », [traduction] et servait de guide pour aider les juges à interpréter et appliquer l’alinéa 718.2e) dans la détermination des sentences impliquant des Autochtones (Rudin, 2008, p. 693).
Malgré son importance manifeste au moment où elle a été initiée, la disposition Gladue n’a à l’heure actuelle que peu d’effet devant les tribunaux. Pour agir en vertu de l’alinéa 718.2e), l’avocat ou la personne accusée elle-même peuvent recueillir de l’information sur les antécédents de la personne accusée et les facteurs systémiques particuliers qui la distinguent et proposer de sanctions substitutives en préparant un « rapport Gladue »; les rapports Gladue sont toutefois sousutilisés (Rudin, 2008). À la suite d’une analyse de la jurisprudence canadienne, Denis-Boileau et Sylvestre (2018) ont constaté que seulement 20 % (n = 128) des 635 décisions ont donné lieu à une analyse des antécédents et des facteurs systémiques des accusés autochtones et que seulement 1,1 % (n = 7) de ces jugements avaient donné lieu à une adaptation de la sentence à l’héritage autochtone du contrevenant.
La sous-utilisation de l’alinéa 718.2e) pourrait s’expliquer par des complications occasionnées par les peines minimales obligatoires (exposées plus en détail ci-dessous), par une jurisprudence floue pour l’interprétation des principes de Gladue dans le contexte de la responsabilité de la personne accusée et par l’absence d’une approche structurée et systématique
25 Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
de préparation de rapports Gladue (Denis-Boileau & Sylvestre, 2018; Sandulescu, 2021). L’épistémologie coloniale qui sous-tend les principes de détermination des sentences, associée au manque de renseignements disponibles pour la préparation de rapports Gladue, a aussi une influence sur les options de rechange communautaires (Denis-Boileau & Sylvestre, 2018; Murdocca, 2020; Park, 2021; Peterson, 2019). La rareté de l’information sur l’efficacité et les avantages de sanctions substitutives dans la communauté fait en sorte que les juges sont moins enclins à envisager des sentences se situant hors des principes de dissuasion et de dénonciation (Denis-Boileau & Sylvestre, 2018). Ces principes coloniaux vont à l’encontre des principes juridiques autochtones, qui englobent collectivement « une approche holistique qui se concentre sur les relations avec les autres, avec la terre et avec l’environnement » [traduction]
(Denis-Boileau & Sylvestre, 2018, p. 299) et qui sont centrés sur la « reddition de compte, la réparation et la guérison au lieu de la sanction » [traduction] (Viens, 2019, p. 300).
Comme c’est le cas pour les sentences d’emprisonnement avec sursis en vertu de l’article 742 du Code criminel , des arrangements pourraient être conclus pour les personnes condamnées à des peines à purger dans la collectivité. On peut purger une peine dans la collectivité si une infraction se traduit par une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, qu’aucune peine minimale obligatoire n’est prévue, et qu’il n’y a pas de risque prévisible pour la sécurité de la communauté (Criminal Code, S. 742). Des conditions restrictives s’appliquent, telles que l’obligation de se présenter à un agent de probation, de ne pas quitter son domicile, de ne pas consommer de substances
ou de suivre une thérapie. Les tribunaux citent souvent la décision R. c. Proulx lorsque des sentences avec sursis sont envisagées pour des infractions graves (Gutierrez & Chadwick, 2020). Cette décision explique comment assurer le respect des principes de dénonciation et de dissuasion et précise que « lorsqu’une combinaison d’objectifs de sanction et de réparation peut être atteinte, une peine avec sursis sera probablement plus appropriée qu’un emprisonnement. Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’emprisonnement sera, généralement, une sanction préférable » [traduction] (R. v. Proulx, 2000). Cette décision a toutefois largement dissuadé le recours aux sentences avec sursis pour les crimes graves et engendré des conflits avec l’alinéa 718.2e). La fonction judiciaire tient aussi compte du parcours social des populations autochtones et de l’obligation de considérer toutes les options de
rechange à l’emprisonnement. Par conséquent, il est courant que l’on refuse d’imposer des sentences avec sursis aux Autochtones condamnés (Denis-Boileau et Sylvestre, 2018; Zimonjic, 2022).
L’article 717 du Code criminel offre aussi la possibilité, pour les personnes reconnues coupables de comportements délinquants d’être redirigées du système carcéral vers un programme dans la communauté. Cette disposition diffère de celle des sentences d’emprisonnement avec sursis par le fait qu’elle permet d’éviter des poursuites pénales si la personne plaide coupable et accepte de suivre le plan de traitement ou de guérison offert et supervisé par un programme communautaire. Les communautés autochtones ont souvent recours à cet article du Code criminel par le biais de programmes de déjudiciarisation, mais seules certaines infractions sont admissibles et tout comme les
sentences d’emprisonnement avec sursis, les actes commis ne doivent pas comporter de peine minimale obligatoire.
Le recours à des peines minimales obligatoires peut être problématique, notamment parce qu’il peut empêcher les juges d’évaluer la cause en vertu de leur pouvoir d’appréciation et de décider de la sanction en fonction des facteurs systémiques et sociaux vécus par las Autochtones en contact avec la justice pénale (Anderson et al., 2022; DenisBoileau & Sylvestre, 2018). Les peines minimales obligatoires sont donc au cœur du débat et de la controverse actuels. Le projet de loi C-5, qui a reçu la sanction royale le 17 novembre 2022, est une tentative du ministre fédéral de la Justice de remédier au racisme systémique et à la discrimination qui contribuent à la surincarcération des Autochtones. Ce projet de loi modifie le Code
criminel en abrogeant un certain nombre de peines minimales obligatoires et améliore les probabilités de pouvoir imposer des peines d’emprisonnement avec sursis ou à purger dans la communauté, comme solution de rechange à l’emprisonnement. Malgré cela, les débats au Sénat concernant le projet de loi C-5 suggèrent que ce changement n’entraînera qu’une réduction minimale de la surincarcération des Autochtones, à moins que toutes les peines minimales obligatoires soient abrogées ou que des solutions de rechange soient en place afin de « rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges et permettre à ces derniers de tenir compte des circonstances justifiant une dérogation aux peines minimales obligatoires » [traduction] (Pate, 2022, p. 2434). Comme le projet de loi C-5 a été adopté récemment, il faudra plus de temps pour en évaluer les répercussions.
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
L’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
En vertu de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les communautés et les organisations autochtones peuvent recevoir un financement du gouvernement fédéral pour la mise sur pied d’installations et pour le soin et la garde de délinquants autochtones confiés aux services correctionnels. Les installations créées en vertu de l’article 81 sont rares, toutefois, en raison du sous-financement et de l’appropriation inégale des fonds prévus par le fédéral, qui sont le plus souvent accordés aux pavillons de ressourcement de SCC (Anderson et al., 2022; Murdocca, 2020; Sandulescu, 2021; Zinger, 2022). Le nombre disproportionné d’Autochtones placés dans des établissements à sécurité maximale limite également leur accès aux installations de l’article 81, qui sont réservées aux personnes dont le niveau de sécurité est minimal ou moyen (Giannetta, 2021; Office of the Auditor General of Canada, 2022). En vertu de la Loi, les agents correctionnels doivent tenir compte des facteurs sociaux et des
antécédents des Autochtones qui entrent dans le système carcéral lorsqu’ils procèdent à l’évaluation de leur niveau de sécurité –uniquement aux fins d’abaisser les niveaux de sécurité et non de les augmenter. De plus, SCC exige que soient prises en considération les solutions qui tiennent compte des particularités culturelles ou axées sur la justice réparatrice qui pourraient contribuer à réduire, à traiter et à gérer le risque global (Office of the Auditor General of Canada, 2022, p. 7). Pour des raisons inconnues, toutefois, des éléments probants démontrent que les agents correctionnels ne prennent pas en considération l’historique social ni les solutions appropriées ou réparatrices dans leurs décisions de classement du niveau de sécurité (Office of the Auditor General of Canada, 2022).
Une autre raison, pouvant expliquer le peu d’installations ou de solutions de rechange communautaires à la détention d’Autochtones dans le cadre de l’article 81, pourrait être le manque d’information sur l’efficacité des programmes substitutifs au moment de la condamnation, de l’évaluation des risques et de l’étude du dossier en vue d’une mise en liberté provisoire par
voie judiciaire (sous caution). La bibliographie annotée de Clairmont et Linden’s (1998) est peut-être l’une des dernières analyses complètes des solutions de rechange communautaires en matière de justice prises en charge par des Autochtones au Canada. On y mentionne entre autres des initiatives telles que le Community Holistic Circle Healing Program de la Première Nation de Hollow Water au Manitoba ou Biidaaban : The Mnjikaning Community Healing Model (modèle de guérison) de la Première Nation Mnjikaning en Ontario. Leur rapport relate aussi l’historique, la mise en œuvre et la structure des programmes cités, de même que les résultats de ces programmes selon les Autochtones participants, les victimes de leurs actes criminels et leurs communautés. Ces observations aident à inspirer les acteurs du monde juridique dans leur travail et appuient les communautés autochtones dans le développement de leurs propres initiatives en matière de justice (Clairmont & Linden, 1998). Le paysage politique et les discussions entourant la surincarcération des Autochtones ont évolué depuis, ce qui semble indiquer qu’il serait nécessaire de mettre à jour ces travaux.
DES PROGRAMMES
COMMUNAUTAIRES
PROMETTEURS POUR
LE
REMPLACEMENT
DE LA DÉTENTION CHEZ LES
AUTOCHTONES
La présente analyse a permis de dégager trois grandes approches en matière de décarcération : les programmes de déjudiciarisation, les tribunaux autochtones et les pavillons de ressourcement. Ce sont les trois initiatives les plus courantes mises en œuvre par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour soutenir les programmes communautaires substitutifs aux procédures judiciaires traditionnelles pour les populations autochtones. Chaque approche vient souvent avec comme mandat de réduire les taux d’incarcération des Autochtones dans le système de justice pénale, avec la direction ou la participation de dirigeants autochtones (Government of Saskatchewan, n.d.; Northcott, 2022). En outre, ces approches constituent des solutions de rechange à l’emprisonnement à diverses étapes du processus judiciaire, des premières interactions avec le système de justice pénale (programmes de déjudiciarisation), en passant par les procédures judiciaires (tribunaux autochtones), jusqu’aux services correctionnels et à l’emprisonnement (pavillons de ressourcement). Le Tableau 2 (page suivante) résume les caractéristiques et les composantes communes de ces approches sur le plan de la santé publique, dont leur concept, leurs objectifs et leurs composantes intégrées en matière de santé.
Caractéristiques communes Composantes communes en santé publique
Ces programmes comportent des points d’entrée avant ou après l’inculpation par la police ou les tribunaux, respectivement, et reposent habituellement sur des principes de justice réparatrice. Une fois que la personne a accepté le fait qu’elle est responsable de son comportement délinquant, des plans de guérison sont préparés, parfois avec la participation des victimes ou de membres de la communauté. Lorsque ce plan de guérison est complété, les accusations sont retirées. Si le plan de guérison n’est pas complété, la cause est ramenée devant le système de justice pénale.
Les plans de guérison comprennent souvent du soutien en santé mentale ou le traitement des dépendances, selon les besoins de la personne, et des renvois en consultation vers les organismes de services sociaux, le counseling et d’autres thérapies psychologiques ou de soutien social.
Tribunaux autochtones
Pavillons de ressourcement
Colombie-Britannique, Alberta, Ontario, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse et Nunavut
Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan, Manitoba, Ontario** et Québec
Les causes sont entendues par un juge, souvent guidé par un aîné et avec la participation de membres de la communauté. Un plan de guérison est préparé afin d’agir sur les causes profondes du ou des comportements délinquants. Une fois le plan de guérison complété, les accusations sont retirées, suspendues par un procureur de la Couronne ou abandonnées définitivement par un juge. Elles peuvent aussi être maintenues avec une réduction de peine ou une condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis à purger dans la communauté.
Ces pavillons offrent une solution de rechange à l’emprisonnement; ils sont dirigés par des Autochtones ou exploités dans le cadre d’un partenariat entre SCC et les communautés autochtones locales, par le biais de protocoles d’entente. On y offre souvent des plans de guérison holistiques et personnalisés pour les résidents, des programmes culturels et du counseling par des aînés.
Les plans de guérison sont souvent préparés selon une approche holistique comprenant des services en santé mentale et de traitement de la consommation de substances, et d’autres formes de soutien social ou cognitif telles que le traitement des dépendances ou le counseling, selon les besoins.
Des programmes en santé, nutrition et activité physique sont souvent offerts, de même que des traitements pour les dépendances avec services de réduction des méfaits, des programmes mèreenfant, des programmes parentaux et d’autres formes de soutien en santé mentale, selon les besoins.
Note : *Ce programme n’est pas exclusivement destiné aux Autochtones. ** Le pavillon de ressourcement de l’Ontario (Thunder Woman Healing Lodge) est en préparation, sous la supervision de la Thunder Woman Healing Lodge Society.
Programmes de déjudiciarisation
Les programmes de déjudiciarisation semblent être les solutions de rechange les plus courantes au système de justice pénale traditionnel pour les populations autochtones. Toutes les provinces et tous les territoires offrent une certaine forme de déjudiciarisation avant ou après le dépôt d’accusations, et ce, avec divers points d’entrée. Ces programmes ont aussi de nombreuses caractéristiques communes. Certains d’entre eux, comme le Community Holistic Circle Healing Program de la Première Nation de Hollow Water, au Manitoba, sont entièrement déployés depuis le début des années 1980 (Government of Canada, 2021a). D’autres en sont encore à
l’étape de projet pilote – c’est le cas de l’Adult Diversion Program, le programme de déjudiciarisation des adultes du gouvernement de TerreNeuve-et-Labrador (2019).
Le Programme de justice autochtone (PJA) du gouvernement fédéral finance plusieurs de ces programmes en vue de réduire les taux d’incarcération chez les Autochtones en renforçant et en soutenant les capacités des communautés en matière d’administration de la justice (Government of Canada, 2021b). En vertu de ce programme, les communautés, les organisations et les gouvernements des Premières Nations, des Inuits et des Métis peuvent concevoir des programmes de déjudiciarisation et des solutions de rechange aux poursuites. On trouve à travers le Canada plusieurs exemples de
programmes de déjudiciarisation efficaces financés par le PJA 9. C’est le cas notamment du Progamme de justice Dena Keh (« la façon de faire de notre peuple ») dirigé par la Première Nation de Liard au Yukon, ou du Métis Community Justice Program, dirigé par la Manitoba Métis Federation. Le Programme de justice Dena Keh règle les affaires de justice pénale en conformité avec les traditions et les valeurs des Kaskas 10, qui mettent de l’avant le retour vers l’équilibre et l’harmonie au sein de la communauté (Liard First Nation, n.d.). Le Métis Community Justice Program offre lui aussi des solutions de rechange culturellement appropriées, lesquelles s’inscrivent précisément dans les valeurs, les traditions et la culture métisse au Manitoba (Manitoba Métis Federation, n.d.).
Les programmes de déjudiciarisation semblent être les solutions de rechange les plus courantes au système de justice pénale traditionnel pour les populations autochtones. Toutes les provinces et tous les territoires offrent une certaine forme de déjudiciarisation avant ou après le dépôt d’accusations, et ce, avec divers points d’entrée.
9 Le gouvernement du Canada (2018) offre une ressource interactive contenant la liste de tous les programmes financés par le PJA.
10 Le terme « Kaska » désigne un collectif de quatre Nations Kaskas : la Première Nation de Liard, le Ross River Dena Council, la Première Nation Dease River de Good Hope Lake et la Première Nation Kwadacha. Le terme « kaska » désigne aussi la langue parlée de ces populations.
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
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Programme de déjudiciarisation Miwdoodaa Mino Maadiziwin, Première Nation Sagamok Anishnawbek, Ontario
Le programme de justice Sagamok, Gweyaksijigewin Teg, assure la gestion du programme de déjudiciarisation volontaire Miwdoodaa Mino Maadiziwin (« mener un bonne vie ») pour les jeunes et les adultes membres ou résidents de la Première Nation de Sagamok Anishnawbek (Sagamok Anishnawbek, n.d.). La personne participante doit d’abord voir un conseiller juridique et accepter de participer au programme (Sagamok Anishnawbek, 2015). Elle peut y accéder avant ou après son inculpation, et son admissibilité est évaluée au cas par cas. Une fois admise au programme, la personne doit compléter un plan de guérison et de bien-être personnalisé conçu par le Community Justice Committee (Comité de justice communautaire), regroupant des membres de la communauté, des aînés, le chef et des représentants du conseil (Sagamok Anishnawbek, n.d.). Ce comité s’inspire des Sept enseignements des grands-pères (Seven Grandfather Teachings) pour créer un plan axé sur le bien-être spirituel, émotionnel, physique et mental de la personne, sur les causes profondes de ses comportements délinquants et sur les besoins de la ou des victimes (Sagamok Anishnawbek, 2015). Une fois que la personne a terminé son plan de guérison et de bien-être, les accusations criminelles ne sont pas portées ou sont retirées. Les affaires criminelles peuvent toutefois être transférées au système de justice pénale si ce plan n’est pas complété (Sagamok Anishnawbek, n.d.). En retirant les affaires du système pénal provincial, le programme Miwdoodaa Mino Maadiziwin aide à préserver la sécurité et l’harmonie au sein de la communauté grâce à des méthodes qui respectent et soutiennent les valeurs et les pratiques des Anishnawbek.
La plupart des programmes de déjudiciarisation reposent sur les principes autochtones de justice réparatrice. En tant qu’approche holistique, la justice réparatrice englobe des solutions de rechange fondées sur les relations pour la prise en charge des affaires criminelles en dehors du système de justice pénale traditionnel. La justice réparatrice vise à réparer les torts causés aux victimes et à la communauté et fait appel à des discussions avec un médiateur entre les personnes ayant commis les actes répréhensibles et leurs victimes. Cette démarche permet à chaque partie de raconter son histoire, de tenter de répondre à leurs besoins et de tracer la voie à suivre vers la reconnaissance et l’acceptation des préjudices causés par l’acte criminel (Wet’suwet’en
First Nation, n.d.; Manitoba Métis Federation, n.d.; Tungasuvvingat Inuit, n.d.). Habituellement, le plan de guérison est créé avec la personne accusée de l’acte criminel et la communauté, et parfois également avec la ou les victimes, afin que la communauté touchée retrouve son équilibre. Les programmes de déjudiciarisation dirigés par la Première Nation Wet’suwet’en de la ColombieBritannique, par la Manitoba Métis Federation et par Tungasuvvingat Inuit en Ontario offrent de bons exemples pratiques de la justice réparatrice qui respectent les principes distincts et la culture des communautés qu’elles desservent (Manitoba Métis Federation, n.d.; Tungasuvvingat Inuit, n.d.; Wet’suwet’en First Nation, n.d.).
Au Nunavut, les programmes de déjudiciarisation s’inspirent à la fois des principes de la justice réparatrice et de ceux de l’Inuit Qaujimajatuqangit (c.-à-d. le savoir traditionnel inuit), dans le cadre du Programme de justice thérapeutique. Ce programme fait appel à une approche holistique, avec un soutien clinique pour les accusations criminelles ayant pour causes ou conséquences des troubles de santé mentale, des dépendances ou des traumatismes, et du soutien culturel offert par des conseillers et des Aînés de la communauté. Le programme a commencé en 2019, d’abord sous forme de projet pilote, et devrait être élargi à tout le territoire dans les années à venir (Government of Nunavut, 2022; Nunavut Department of Justice, 2019).
Politiques encadrant les programmes de déjudiciarisation
Les politiques ministérielles des ministères de la Justice de la Saskatchewan, du Manitoba, du Québec et de la Nouvelle-Écosse, et celles des ministères publics en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-duPrince-Édouard, à Terre-Neuveet-Labrador 11 et dans les trois territoires 12 considèrent, à des degrés divers, la mise en œuvre de programmes de déjudiciarisation pour les Autochtones. En Alberta par exemple, la Crown Prosecution Service Guideline (2014), la directive du service des poursuites judiciaires de la Couronne, exige des procureurs de la Couronne qu’ils accordent une attention particulière « aux cas de contrevenants autochtones afin de veiller à ce qu’aucun obstacle systémique n’empêche de les diriger vers les programmes qui leur sont destinés » [traduction] (Alberta Crown Prosecution Service, 2014, p. 4). En Colombie-Britannique, au Manitoba, en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse, les politiques comportent des dispositions similaires afin que les procureurs accordent, comme il se doit, une attention particulière à l’admissibilité des Autochtones accusés d’un acte criminel de même qu’ils intègrent des directives particulières afin de déterminer
le recours à un programme de déjudiciarisation et son application pour ces personnes (British Columbia Prosecution Service, 2023; Nova Scotia Department of Justice, 2019; Ontario Ministry of the Attorney General, 2017; Québec Director of Criminal and Penal Prosecutions, 2022). Certaines provinces exemptent les Autochtones des critères d’exclusion au programme, tout en tenant compte des facteurs systémiques et historiques qui contribuent à leur surreprésentation dans le système de justice pénale (British Columbia Prosecution Service, 2023; Québec Director of Criminal and Penal Prosecutions, 2022). D’autres provinces citent les principes de Gladue au moment de se pencher sur la déjudiciarisation des Autochtones et sur d’autres programmes de peines alternatives (British Columbia Prosecution Service, 2023; Manitoba Department of Justice, 2015; Prince Edward Island Crown Attorneys’ Office, 2009).
À Terre-Neuve-et-Labrador et dans les trois territoires, les politiques du service des poursuites ne comportent pas de dispositions particulières concernant les programmes de déjudiciarisation des Autochtones comme tels. Terre-Neuve-et-Labrador et les trois territoires demandent plutôt aux procureurs de tenir compte des principes de Gladue et de la surreprésentation des Autochtones
dans le système de justice pénale lors de l’évaluation des facteurs justifiant leur décision d’engager des poursuites (Newfoundland and Labrador Department of Justice and Public Safety, 2022; Public Prosecution Service of Canada, 2014). En Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick, les politiques sur les options de rechange ne comportent pas non plus de dispositions particulières pour les programmes de déjudiciarisation ou pour les populations autochtones. En Saskatchewan, toutefois, les programmes de déjudiciarisation sont censés avoir été conçus pour créer « un système de justice sensible aux besoins particuliers » [traduction] des populations autochtones (Saskatchewan Ministry of Justice, 2013, p. 2).
Cette politique a mené à la mise sur pied de plusieurs programmes de déjudiciarisation financés par le ministère de la Justice de la province et offerts par les Premières Nations, les conseils tribaux et par les autres organismes communautaires présents à travers la province (Government of Saskatchewan, n.d.). Au Nouveau-Brunswick, la politique sur les solutions de rechange aux poursuites du ministère public ne comporte pas de dispositions ou de considérations particulières pour les Autochtones. Le Modèle de déjudiciarisation pour les adultes au Nouveau-Brunswick (2023), est un guide destiné au Comité directeur provincial en matière
11 Le Nouveau-Brunswick n’a pas inclus de dispositions propres aux Autochtones dans son programme de mesures substitutives du ministère public; des considérations visant les Autochtones ont toutefois été intégrées au modèle de déjudiciarisation pour adultes (2023) pour le Comité directeur provincial de la déjudiciarisation. D’autres détails sur ces considérations sont exposés ci-dessous (New Brunswick Department of Justice and Public Safety, 2023).
12 Les services des poursuites pénales des trois territoires – Territoires du Nord-Ouest, Yukon et Nunavut – sont offerts et encadrés par le Guide du Service des poursuites pénales du Canada (Public Prosecution Service of Canada, 2014).
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
Onashowewin – « notre façon de voir la justice » – est un cercle de justice financé par le Programme de justice autochtone fédéral, en partenariat avec la province du Manitoba. Créé en 2003, le programme accepte les personnes qui sont dirigées vers des services de déjudiciarisation par le Bureau du substitut du Procureur général du Manitoba à la suite d’accusations sommaires (c.-à-d. pour des infractions moins graves comme le vol, les menaces, les méfaits, l’entrée par effraction, etc.) découlant d’infractions commises par des membres des Premières Nations, des Inuits ou des Métis inscrits ou non. Le programme offre aussi un soutien juridique et d’autres formes d’aide aux personnes en conflit avec la loi, au cas par cas (Onashowewin, n.d.-a). Les services de déjudiciarisation Onashowewin s’inspirent des principes de la justice réparatrice et intègrent les enseignements culturels des Nations des Anichinabées, des Cris, des OjibwésCris, des Dénés, des Dakotas, des Inuits et des Métis du Manitoba (McKay et Milward, 2018). Des plans individualisés sont créés pour les participants afin d’agir sur les causes profondes des comportements délinquants ainsi que de les aider à retrouver l’équilibre et la sécurité dans les communautés. Le cercle de justice Onashowewin offre aussi plusieurs programmes de réhabilitation pouvant être intégrés aux plans individuels. Ces programmes misent sur les choix positifs et l’acceptation de la responsabilité de ses actes; les stratégies d’adaptation et de contrôle de la colère; le sentiment d’appartenance et l’identité culturelle des personnes; les répercussions de l’acte criminel sur la communauté; les problèmes de dépendances et de consommation de substances (Onashowewin, n.d.-b). Des évaluations réalisées sur 100 participants au cercle de justice Onashowewin en 2011-2012 révèlent un taux de récidive de 30 % (McKay & Milward, 2018). Parmi les 20 personnes ayant participé au programme de traitement des dépendances d’Onashowewin au cours de la même période, seules cinq d’entre elles ont été impliquées dans d’autres actes criminels après avoir complété leur plan individualisé (McKay & Milward, 2018). Puisque les taux de récidive demeurent faibles, les décisions sur les peines font également mention des programmes culturels et de justice réparatrice d’Onashowewin au moment de déterminer les conditions appropriées à une peine d’emprisonnement avec sursis pour les Autochtones (R. v. Campbell, 2013).
de déjudiciarisation et comporte certaines considérations pour les adultes autochtones en contact avec le système de justice pénale. Le modèle demande une représentation des Premières Nations au sein du Comité et exige que des options de rechange appropriées sur le plan culturel puissent être proposées aux Autochtones (New Brunswick Department of Justice and Public Safety, 2023).
Le Québec, la ColombieBritannique, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse sont dotés de lignes directrices des politiques sur le recours à des solutions de rechange pour les populations autochtones. Au Québec, par exemple, le Programme de mesures de rechange
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pour les adultes en milieu autochtone traite précisément des actes criminels au sein des communautés inuites ou des Premières Nations. Ce programme est supervisé par un comité de justice dans les communautés et fonctionne indépendamment du programme provincial de déjudiciarisation (Program for the Non-Judicial Treatment of Certain Criminal Offences Committed by Adults) créé pour la population en général (Quebec Ministry of Justice, 2015).
En Colombie-Britannique, des lignes directrices propres aux Autochtones sont intégrées à la politique sur les solutions de rechange aux poursuites pour les
adultes du service des poursuites (prosecution service’s Alternatives to Prosecutions – Adults, 2023). Cette politique exige que les procureurs de la Couronne provinciaux tentent de déterminer, selon le cas, si une personne faisant face à des accusations est d’identité autochtone, pour que soit prise en compte « chaque solution raisonnable permettant de surseoir aux poursuites avant d’approuver le dépôt d’accusations criminelles à l’encontre d’une personne autochtone » [traduction] (p. 5) et de déterminer si « un biais, le racisme ou la discrimination systémique auraient pu jouer un rôle dans le fait que la personne accusée a été en contact avec le système de justice pénale » [traduction] (p. 6). La politique reconnaît le racisme systémique
Programme de mesures de rechange pour les adultes en milieu autochtone, Québec
En 2001, le Programme de mesures de rechange pour les adultes en milieu autochtone a été instauré par le gouvernement du Québec à l’intention des adultes autochtones des communautés inuites et de Premières Nations. Ce programme est financé dans le cadre du Programme de justice autochtone (PJA), en partenariat avec le ministère de la Justice du Québec. Il a été révisé en 2015 dans le but d’élargir les critères d’admissibilité des infractions commises (Viens, 2019). Pour que les communautés participent, un comité de justice doit d’abord avoir été formé et un protocole d’entente doit avoir été signé avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui redirige les participants vers le programme (Quebec Ministry of Justice, 2015). Le comité de justice travaille avec les participants au programme à suggérer des mesures de rechange –souvent des travaux communautaires, un traitement ou des thérapies d’aide psychologique ou sociale – qui permettront de réparer les torts causés à la communauté et de répondre aux besoins de la ou des victimes, et de s’attaquer aux facteurs sous-jacents qui ont entraîné l’infraction. Le DPCP doit approuver les suggestions du comité de justice; celui-ci supervise ensuite un processus de « réconciliation et de réparation » (Viens, 2019, p. 158). Toutes les accusations sont abandonnées une fois que la personne a complété avec succès les mesures de rechange imposées. Dans le cas contraire, les accusations sont transférées au système de justice provincial (Quebec Ministry of Justice, 2015). En 2019, 24 Premières Nations (notamment les Abénakis, les Anichinabés [Algonquins], les Atikamekw Nehirowisiw, les Eeyous [Cris], les Hurons-Wendats, les Innus, les Malécites, les Micmacs, les Mohawks et les Naskapis) ainsi que des communautés inuites avaient mis sur pied divers services de déjudiciarisation (p. ex., Mohawk Council of Akwesasne’s Adult Diversion Program, [n.d.]).
À première vue, les objectifs du Programme de mesures de rechange du Québec sont de favoriser l’administration de la justice dans les communautés par le biais de la plateforme qu’il a créée pour intégrer les lois et les pratiques propres à la Première Nation ou à la communauté inuite qui gouverne. Toutefois, comme il s’agit d’un programme sous le contrôle de l’État, les communautés doivent composer avec un degré de surveillance élevé et dépendent des fonds et des ressources de l’État, ce qui engendre une relation semée d’obstacles administratifs et financiers (Viens, 2019). En 2019, une enquête publique sur les programmes de déjudiciarisation des Autochtones (parmi d’autres services provinciaux) a permis d’entendre des témoignages faisant état de budgets insuffisants pour les programmes, d’obstacles administratifs, de déficiences dans les ressources et l’infrastructure, et de restrictions dans l’admissibilité des infractions – autant d’écueils qui, ensemble, limitaient grandement le recours, la portée et les effets des services de déjudiciarisation offerts dans le milieu (Viens, 2019). L’enquête a aussi mis en relief le nombre limité de renvois vers des programmes, causé par la sous-déclaration et le roulement élevé de personnel, en plus de lacunes dans les services de déjudiciarisation destinés aux Autochtones en milieu urbain, un problème qui a été lié à des difficultés administratives au sein de l’État (Viens, 2019).
De telles difficultés pourraient correspondre à l’exposé des faits présenté à la commission et voulant que les systèmes judiciaires autochtones soient « maintenus dans un état de subordination, d’infériorisation et de folklorisation important » [traduction] (Viens, 2019, p. 323). Cette situation se traduit souvent par des idéologies de la justice concurrentes entre les perspectives autochtones, qui tendent, collectivement, à se centrer sur la responsabilité, la réparation et la guérison, alors que les perspectives coloniales sont axées sur la dénonciation et la dissuasion. Il y a malgré tout des programmes prometteurs à travers la province, qui témoignent de la légitimité et de la vitalité des lois et des systèmes judiciaires distincts des Premières Nations et des Inuits (Viens, 2019). Les enjeux de fonctionnalité et de légitimité des programmes de déjudiciarisation autochtones devraient donc révéler un plus grand besoin de pluralisme juridique, alliant les systèmes autochtones et coloniaux, au lieu d’adapter un système afin qu’il se conforme à l’autre, et ce pluralisme devrait accorder une reconnaissance appropriée aux communautés et des ressources équitables afin de soutenir ces efforts.
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à l’égard des Autochtones qui sévit dans le système de justice pénale, et les effets permanents du colonialisme qui font que les Autochtones se retrouvent devant les tribunaux. Les programmes autochtones traditionnels ou fondés sur leur culture sont encouragés pour servir de solutions de rechange (British Columbia Prosecution Service, 2023).
L’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont élaboré des politiques et des directives distinctes pour encadrer les affaires pénales impliquant des Autochtones. En Nouvelle-Écosse, une politique sur le traitement équitable des Autochtones lors de poursuite pénale, la Fair Treatment of Indigenous Peoples in Criminal Prosecutions in Nova Scotia (2018), s’attaque à la discrimination systémique et continue, dont les Autochtones sont victimes dans le système de justice pénale en aidant les procureurs de la Couronne à comprendre et mettre en œuvre les principes de Gladue dans l’ensemble des pratiques juridiques et en soutenant les initiatives autochtones en matière de justice dans les communautés, comme le programme de droit coutumier Mi’kmaw Customary Law Program, financé par les gouvernements fédéral et provincial. La politique comporte aussi plusieurs autres objectifs qui, ensemble, visent à mettre un terme à l’oppression systémique à l’égard des valeurs et des pratiques autochtones dans le système de justice pénale. On souhaite par exemple, adapter la terminologie propre au service des poursuites (p. ex., procès, peine, mise en liberté provisoire par voie judiciaire), afin qu’elle corresponde mieux aux principes de Gladue pour lutter contre le racisme à l’égard des Autochtones. Cette adaptation terminologique permettra d’offrir des services culturels et linguistiques pour rendre les procédures judiciaires et les autres procédures juridiques, plus appropriées sur le plan culturel. En outre, la politique précise que toutes les options d’emprisonnement pour les peines
doivent être considérées comme un dernier recours pour toutes les personnes s’identifiant comme membre des Premières Nations, des Inuits ou des Métis, qu’elles soient inscrites ou non (Nova Scotia Prosecution Service, 2018).
En Ontario également, la Directive no 20 : Peuples autochtones du Manuel de poursuite de la Couronne (2019) exige des parties poursuivantes qu’elles tiennent compte des facteurs systémiques contribuant à la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral et demande que dans leur pratique, elles placent en priorité les solutions de rechange et les méthodes de justice autochtones comme les programmes de déjudiciarisation et de justice réparatrice, et ce, à toutes les étapes des procédures pénales (p. ex., lors des poursuites, de la condamnation ou de la libération conditionnelle). Cette directive donne aussi des détails du rôle et de la structure des rapports Gladue pour les procédures de détermination de la peine. La directive insiste également sur l’importance d’une relation de travail solide entre les procureurs, la police et les communautés autochtones, y compris leurs dirigeants et leurs Aînés, afin d’assurer « l’harmonie sociale et la sécurité des collectivités » (Ontario Ministry of the Attorney General, 2019, p. 1). Selon les renseignements que cette analyse a permis de recueillir, aucune évaluation de cette directive ou de la politique de la Nouvelle-Écosse susmentionnée n’a encore été rendue publique, ce qui ouvre un vaste champ de recherche.
Tribunaux autochtones
Les tribunaux autochtones – qu’on appelle aussi tribunaux Gladue, des Premières Nations, des peuples autochtones ou tribunaux indiens – adoptent une approche communautaire pour éviter l’emprisonnement en imposant des sanctions substitutives au moment de déterminer la peine dans le système judiciaire. Des tribunaux propres aux Autochtones existent en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au NouveauBrunswick, en Nouvelle-Écosse et au Nunavut. D’autres tribunaux provinciaux intégrant des éléments propres aux Autochtones ont été répertoriés, puis exclus de la présente analyse, parce que leur objectif premier n’est pas d’offrir aux Autochtones des solutions de rechange dans leur milieu au lieu du système de justice traditionnel. Parmi les initiatives exclues, mentionnons le tribunal cri de la Saskatchewan (Courts of Saskatchewan, n.d.) et les tribunaux satellites de communautés de Premières Nations en Alberta et en Nouvelle-Écosse (Provincial Court of Alberta, n.d.-b; The Courts of Nova Scotia, n.d.-b).
Les tribunaux autochtones considérés pour la présente analyse fonctionnent un peu comme une division de l’appareil judiciaire de leur province ou de leur territoire. Ils excluent généralement les procès et traitent en grande partie les audiences de mise en liberté provisoire par voie judiciaire et de détermination de la peine. La plupart des tribunaux autochtones partagent des caractéristiques similaires à celles des programmes
Le tribunal autochtone d’Hazelton est un tribunal spécialisé du système judiciaire provincial. Il s’agit de l’un des huit tribunaux autochtones pour déterminer des peines en Colombie-Britannique (les autres se trouvent à New Westminster, North Vancouver, Kamloops, Duncan, Nicola Valley [Merritt], Prince George et Williams Lake). Chaque tribunal a été créé en collaboration avec les Premières Nations locales et des organismes juridiques autochtones, et tous fonctionnent de la même façon (Provincial Court of British Columbia, n.d.). Celui d’Hazelton a été créé en 2021. Il sert aux Autochtones qui ont plaidé coupables à une infraction pénale, et qui ont accepté que leur cause soit entendue par ce tribunal. Un conseil formé d’aînés de la Nation Gitxsan travaille de concert avec le juge chargé de déterminer la peine; ils entendent l’accusé et élaborent un plan de guérison réparatrice. Chaque aîné reçoit une formation sur le système de justice pénale afin de favoriser une collaboration constructive entre les Autochtones, plus précisément les Gitxsan, et les appareils judiciaires coloniaux (British Columbia Attorney General, 2022).
Les instances judiciaires ont lieu autour d’une table ronde, avec des sièges prévus pour le juge, le comité d’aînés, l’accusé, le procureur, l’avocat de la défense et les autres personnes invitées par l’accusé pour le soutenir. En certaines circonstances, la ou les victimes sont aussi présentes à la table. Chaque personne à la table a la possibilité de parler de l’infraction et de ses effets. On donne aussi à la personne accusée le temps de parler de sa situation et de son rôle dans le comportement délinquant. Le juge impose ensuite une peine intégrant un plan de guérison recommandé par le conseil des Aînés. Guidé par les principes de justice réparatrice, le plan de guérison est habituellement conçu pour agir sur les causes profondes du comportement délinquant. Il intègre des éléments culturels et sociaux axés sur la santé, et des tâches visant à retrouver l’équilibre et à soutenir la personne condamnée dans sa réhabilitation afin d’assurer son bien-être. Le plan de guérison doit être complété dans un délai précis, avec des contrôles réguliers pour évaluer les progrès accomplis. Un examen réalisé au bout de la première année a révélé que le tribunal autochtone d’Hazelton avait entendu 11 affaires, créé 10 plans de guérison et que plus de deux personnes participantes avaient complété leur plan de guérison individuel avec le soutien de leur communauté (British Columbia Attorney General, 2022; Provincial Court of British Columbia, n.d.).
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de déjudiciarisation mentionnés précédemment. Lorsqu’ils assument la responsabilité de leur comportement délinquant, les Autochtones ont le choix de faire entendre leur cause par un tribunal autochtone qui déterminera leur peine, auquel cas un plan de guérison sera intégré d’office à leur sentence (Clark, 2016; New Brunswick Office of Attorney General, 2016; Provincial Court of Alberta, n.d.-a; Provincial Court of British Columbia, n.d.; The Courts of Nova Scotia, n.d.-a). Le plan de guérison est un plan global de réparation, habituellement conçu pour et avec la personne condamnée, à l’aide des directives fournies par les aînés et avec une contribution importante de la communauté (Provincial Court of British Columbia, n.d.; The Courts of Nova Scotia, n.d.-a). Le plan s’inspire des enseignements et des pratiques culturelles et s’appuie sur les principes juridiques propres à la gouvernance des communautés autochtones ou desservies par des tribunaux autochtones. Il est conçu pour agir sur les facteurs sousjacents qui provoquent l’activité criminelle (New Brunswick Office of Attorney General, 2016; Provincial Court of British Columbia, n.d.; The Courts of Nova Scotia, n.d.-a). Dans les tribunaux Gladue, en Ontario, et au Tribunal du mieux-être de la Première Nation Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick, la réussite d’un plan de guérison
peut entraîner une suspension des instances ou un retrait des accusations criminelles (Clark, 2016; Public Safety Canada, 2021).
La procédure dans les tribunaux autochtones est légèrement différente, selon que sa structure et sa désignation officielle sont celles d’un tribunal autochtone ou d’un tribunal Gladue. La Cour provinciale de Wagmatcook, en Nouvelle-Écosse, et la Cour de justice du Nunavut, par exemple, entendent à la fois les procès criminels et prononcent les sentences, mais ils ne se spécialisent pas dans la préparation de plans de guérison pour les Autochtones (à l’exception du tribunal Healing to Wellness de Wagmatcook et des tribunaux Gladue) (The Courts of Nova Scotia, n.d.-a; Nunavut Courts, n.d.). Alors qu’un tribunal autochtone peut être considéré comme englobant toutes les lois, un tribunal Gladue (p. ex., en Ontario et en Nouvelle-Écosse) se spécialise dans l’application des dispositions propres aux Autochtones contenues dans le Code criminel , et particulièrement de l’article 718.2 (Clark, 2016), comme indiqué dans les principes définis dans l’affaire R. c. Gladue (1999). À ce titre, les tribunaux Gladue font une priorité des peines à purger dans la collectivité et de l’orientation des contrevenants vers les programmes de déjudiciarisation afin que les peines d’emprisonnement soient utilisées en dernier recours. Ils font
aussi état du recours à des rapports Gladue dans le cadre du processus de détermination de la peine, ce qui n’est pas une mesure garantie dans tous les tribunaux autochtones tels que le Tribunal du mieux-être de la Première Nation d’Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick.
Les tribunaux Gladue ont vu le jour en Ontario afin de veiller à ce que les principes établis dans l’affaire R. c. Gladue (1999) soient correctement et régulièrement appliqués aux affaires pénales impliquant les Autochtones 13 Le premier tribunal de ce genre a ouvert ses portes en 2001 et a conduit à la création de 15 autres, en 2022 (Ruigrok & Dzisiak, 2022). Une évaluation du premier tribunal Gladue situé à Toronto, en Ontario, a permis de constater que celui-ci avait amélioré la sensibilisation des acteurs du monde juridique (les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les juges) à l’importance des principes de Gladue et aux différences fondamentales entre les tribunaux Gladue et les autres tribunaux dans la façon de reconnaître les contextes et de répondre aux besoins des populations autochtones (Clark, 2016, p. 49). L’évaluation a confirmé le succès de ce type de tribunal dans l’atteinte de son objectif principal, soit de déterminer et d’imposer des peines autres que l’emprisonnement (Clark, 2016). Ce succès est
13 Les principes de Gladue sont les principes énoncés dans une affaire appelée R. c. Gladue (1999) et désignent le devoir du juge d’envisager toutes les sanctions disponibles, autres que l’emprisonnement, pour les Autochtones, en portant une attention particulière à leurs antécédents, aux facteurs systémiques uniques et à l’héritage autochtone.
Tribunal du mieux-être de la Première Nation d’Elsipogtog,
Nouveau-Brunswick
Le Tribunal du mieux-être de la Première Nation Elsipogtog est le seul tribunal autochtone au Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’un tribunal provincial spécialisé, aussi connu sous le nom de « tribunal thérapeutique ». Un projet pilote, en 2010, a précédé l’ouverture officielle du tribunal, en 2012 (Clairmont, 2013). Ce tribunal se veut une réponse méditative aux désavantages et aux inégalités disproportionnées dans la Première Nation d’Elsipogtog et sa mise sur pied a été stimulée par les effets continus du colonialisme, qui ont ouvert la voie à des taux de criminalité élevés dans la communauté. Pour la création de ce tribunal, les dirigeants de la Première Nation d’Elsipogtog ont fait pression pour une participation énergique de la communauté et un contrôle local de l’administration de la justice en ce qui concerne les besoins particuliers et les priorités de la Première Nation d’Elsipogtog. Une équipe de recherche a visité des modèles de tribunaux similaires à travers le Canada afin de s’en inspirer. L’équipe a notamment visité les tribunaux des Premières Nations, dont ceux des Alexis, des Siksikas et des Tsuu T’ina, en Alberta, et le tribunal satellite de la Première Nation d’Eskasoni, en Nouvelle-Écosse, de même que les tribunaux Gladue de l’Ontario. Le Tribunal du mieux-être de la Première Nation d’Elsipogtog est devenu depuis un actif communautaire de prise en charge des affaires de justice pénale à l’aide de moyens sensibles et appropriés culturellement, en fonction des valeurs et des principes de cette Première Nation (Clairmont, 2013).
La politique provinciale relative aux cours provinciales spécialisées du Nouveau-Brunswick précise que l’objectif de ce tribunal sera de « combler le fossé entre la Cour provinciale et la culture autochtone » (New Brunswick Office of Attorney General, 2016, p. 2). Le tribunal entend les affaires des membres de la Première Nation d’Elsipogtog accusés d’infractions pénales commises dans les régions environnantes (Kent County) et qui ont des problèmes de santé mentale ou de consommation de substances ou des troubles cognitifs, en accordant une attention spéciale aux troubles associés au syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) (Public Safety Canada, 2021). La clientèle de ce tribunal doit plaider coupable et suivre un plan de traitement individualisé ordonné par le juge et élaboré par des aînés de la Première Nation d’Elsipogtog et des professionnels des domaines médical et de la santé mentale. Si le client est en est à sa première infraction, les accusations criminelles sont abandonnées une fois le traitement complété. Si la personne a commis d’autres infractions par le passé, les accusations demeurent et une peine est imposée, bien qu’il s’agisse souvent d’une sentence réduite ou d’une peine d’emprisonnement avec sursis une fois le plan de traitement complété (Public Safety Canada, 2021). Comme c’est le cas pour les autres tribunaux autochtones, le plan de traitement vise à agir sur les causes sous-jacentes qui ont conduit la personne à adopter des comportements délinquants, en tenant compte de ses besoins et de ceux de sa ou ses victimes. Des services communautaires sont souvent intégrés aux plans de traitements – c’est le cas par exemple du counseling, des thérapies spécialisées, des programmes pour l’alcool ou les drogues, y compris pour la méthadone, des programmes parent-enfant, ainsi que du diagnostic, du traitement et de la prévention du SAF (Clairmont, 2013).
largement attribuable à la solide relation de travail entre les tribunaux Gladue et les organismes et services juridiques présents dans les communautés autochtones. Ces organismes offrent régulièrement des orientations et acceptent les personnes qui leur sont envoyées pour des services de déjudiciarisation. Cette relation a permis de renforcer les liens culturels des Autochtones en contact avec le système de justice pénale, de stimuler leur participation à des activités culturelles, de réduire les récidives et d’augmenter les occasions de répondre à leurs besoins de santé et de services sociaux en les dirigeant vers des services en matière de réduction des méfaits, de consommation de substances, de counseling, de logement et d’emploi, et d’autres services de soutien communautaire (Clark, 2016).
La Cour de justice du Nunavut est particulière et unique, car il s’agit du seul tribunal unifié au Canada. Il joue à la fois le rôle de Cour supérieure et de Cour territoriale et a l’autorité de ces deux tribunaux. Dans le cadre de ses procédures de condamnation, la Cour de justice du Nunavut s’appuie sur les avis fournis par les aînés inuits; elle est également reconnue pour imposer des sanctions substitutives à purger dans la communauté (Couturier, 2020; Nunavut Courts, n.d.). Bien qu’elle se trouve en territoire inuit, la Cour de justice du Nunavut constitue un « paradoxe institutionnel » (Couturier, 2020 p. 326). D’une part, elle s’appuie sur l’Inuit maligait (loi ou coutume) et est de plus en plus guidée par l’Inuit Qaujimajatuqangit (IQ), le savoir
traditionnel inuit. D’autre part, la Cour est forcée de s’appuyer sur le droit colonial dans les affaires impliquant des Inuits (Couturier, 2020). Cet arrangement offre à la fois des possibilités et des défis au moment de déterminer la peine. Ainsi, bien que l’on penche davantage vers le respect de l’Inuit maligait, les décisions entourant la détermination des peines sont adaptées afin de correspondre aux principes de l’IQ. Couturier (2020) souligne que ce fut le cas dans l’affaire R. c. Itturiligaq (2018), où une infraction passible d’une peine minimale obligatoire de quatre ans a été jugée contraire aux droits de la personne accusée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et aux principes de l’IQ. Dans cette affaire, la peine minimale obligatoire aurait fait en sorte que la personne accusée aurait dû purger sa peine dans un établissement fédéral à l’extérieur du Nunavut, ce qui l’aurait séparée de sa famille et de sa communauté de résidence. Comme l’a expliqué le juge, forcer cette personne à partir pour aller dans un établissement fédéral « transposerait au 21e siècle la philosophie de l’établissement forcé [et] des pensionnats autochtones » [traduction] (R v Itturiligaq, 2018). Bien que la peine minimale obligatoire de quatre ans ait été annulée, une peine d’emprisonnement réduite, avec sursis, a été imposée, ce que Couturier (2020) attribue à la stagnation et à l’imposition des principes coloniaux de dissuasion et de dénonciation, « suggérant ainsi que la loi canadienne sur l’imposition de peines, dans sa forme actuelle, empêche une application complète des principes de l’IQ » [traduction] (p. 322). Il y a donc encore place, à la Cour
de justice du Nunavut, pour une expansion et une réforme pour que l’Inuit maligait et les lois coloniales puissent coexister de manière structurée et constructive.
D’autres types de tribunaux spécialisés appuient les options de rechange à l’emprisonnement pour les Autochtones, mais ils ne sont pas propres à ces seules populations. Les tribunaux du mieux-être du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, par exemple, sont considérés comme des tribunaux qui gravitent autour des contrevenants, contrairement aux tribunaux axés sur l’infraction elle-même. Ces tribunaux entendent les affaires de personnes autochtones et non autochtones ayant des problèmes de santé mentale ou de dépendances, ou des troubles cognitifs tels que le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Comme les tribunaux autochtones, ces tribunaux du mieux-être conçoivent un plan global pour agir sur les causes profondes ayant mené à l’infraction et tiennent compte des besoins des personnes jugées coupables de comportements délinquants afin de réduire les risques qu’elles récidivent. Les personnes qui participent à des tribunaux du mieux-être doivent y retourner après voir complété leur plan de mieux-être. Leur affaire sera alors entendue et les accusations seront maintenues, retirées ou réduites; une peine d’emprisonnement avec sursis peut aussi être imposée (Government of Northwest Territories, 2022; Yukon Community Wellness Court, 2009).
Bien que les activités des tribunaux communautaires autochtones se limitent à l’administration du droit pénal, ces entités offrent un espace au sein des systèmes de justice pénale pour entendre et dénouer les affaires hors des instances coloniales, et ce, à l’aide d’approches harmonisées aux communautés autochtones qui les gouvernent ou aux communautés qu’ils desservent.
Tribunaux communautaires autochtones
Des tribunaux communautaires autochtones peuvent être mis sur pied dans le cadre d’ententes d’autonomie gouvernementale ou en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans le premier cas, les ententes d’autonomie gouvernementale peuvent être négociées avec des communautés de Premières Nations, inuites ou métisses, avec le gouvernement fédéral ou un gouvernement d’une province ou d’un territoire. Des tribunaux communautaires autochtones sont établis à travers le pays. On trouve par exemple la Teslin Tlingit Peacemaker Court, au Yukon, fruit de l’Entente définitive du Conseil des Tlingits de Teslin, ou de la Cour de Kahnawá:ke, au Québec, laquelle a été créée conformément
aux dispositions des articles 81 et 107 de la Loi sur les Indiens. La Teslin Tlingit Peacemaker Court entend des affaires relatives à des personnes ayant commis des actes qui enfreignent ou violent la loi des Tlingits de Teslin. Ce tribunal fonctionne de deux façons : à l’aide d’un processus de médiation, par lequel les affaires sont entendues par un conseil de peacemakers (artisans de paix) issu de la communauté des Tlingits de Teslin, ou à l’aide de services de type décisionnel visant à régler les différends liés aux décisions du Conseil des Tlingits de Teslin et à l’application de leur loi. La fondation de Ha Kus Teyea , « qui vise à maintenir les approches coutumières des Tlingits dans la mesure du possible et à appliquer des principes de respect, d’amour, d’harmonie, d’honnêteté, de confiance et de responsabilisation » [traduction] (Teslin Tlingit Council, 2015, p. 3), fait partie intégrante du fonctionnement de ce tribunal. Spécialisé dans l’application de la loi des Tlingits comme le prévoit l’entente d’autonomie gouvernementale, ce tribunal n’est pas compétent en matière de droit pénal et les décisions qu’il rend peuvent être portées en appel devant la Cour suprême du Yukon (Government of Canada, 2011).
La Cour de Kahnawá:ke, au Québec, est légèrement différente. Son pouvoir pour l’administration de la justice découle des articles 81 et 107 de la Loi sur les Indiens 14 Ce tribunal entend les affaires
liées à la loi de Kahnawá:ke, aux infractions au Code de la route et à certaines infractions criminelles survenues sur son territoire. On y propose également des services de médiation et de justice réparatrice très similaires à ceux des programmes de déjudiciarisation (Mohawk Council of Kahnawá:ke, n.d.). La Cour dispose de certains pouvoirs sur le plan pénal en vertu de l’article 107 de la Loi sur les Indiens, mais ces pouvoirs se limitent aux déclarations sommaires de culpabilité (telles que définies dans la partie XXVII du Code criminel ). D’autres travaux seront toutefois nécessaires pour que les tribunaux du Québec reconnaissent pleinement les décisions de justice rendues par la Cour de Kahnawá:ke (Carpenter, 2023).
Bien que les activités des tribunaux communautaires autochtones se limitent à l’administration du droit pénal, ces entités offrent un espace au sein des systèmes de justice pénale pour entendre et dénouer les affaires hors des instances coloniales, et ce, à l’aide d’approches harmonisées aux communautés autochtones qui les gouvernent ou aux communautés qu’ils desservent. Les décisions issues de ces tribunaux ne se traduisent pas par un emprisonnement; on y intègre plutôt des mesures visant à réparer les torts causés par les activités illicites et on se tourne vers les ressources communautaires pour répondre aux besoins de santé, culturels et sociaux des personnes impliquées dans des comportements délinquants et de leurs victimes.
14 L’article de la Loi sur les Indiens définit le pouvoir des Premières Nations de prendre des règlements, alors que l’article 107 traite de la nomination des juges de paix dans les communautés autochtones pour assurer le contrôle des infractions commises par des membres des Premières Nations qui sont contraires à la Loi ou de certaines infractions en vertu du Code criminel telles que la cruauté envers les animaux ou les voies de fait simples (Indian Act, RSC 1985. c. 1-5).
les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
À travers le Canada, on dénombre dix pavillons de ressourcement accueillant des personnes autochtones et non autochtones purgeant des peines avec sursis. Ces pavillons sont conçus pour offrir une solution de rechange à l’emprisonnement et offrent principalement des programmes et des services propres aux Autochtones (bien que largement axés sur les Premières Nations). Les pavillons de ressourcement ont été créés au départ en réponse à la surincarcération des Autochtones dans les établissements fédéraux et à l’incapacité des établissements de détention à répondre aux besoins en soutien et en réhabilitation des femmes autochtones. Un groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale s’est penché sur la surincarcération des femmes autochtones et a souligné la nécessité de garder les femmes en contact étroit avec leur culture, leur famille et les communautés dont elles sont issues (NWAC, 2019). Le groupe d’étude pressait SCC de laisser les communautés autochtones diriger la mise sur pied de ces pavillons de ressourcement en faisant appel à leur expertise et à leurs conseils pour éliminer les influences coloniales et veiller à ce que les services de soutien pour les femmes autochtones aient la pertinence sociale et culturelle voulue (NWAC, 2019). Le premier pavillon pour femmes autochtones, Okimaw Ohci, de la Première Nation de Nekaneet, en Saskatchewan, a ouvert ses portes en 1995. Il a d’abord été géré par SCC, dans l’optique d’en confier le contrôle à la Première Nation de
Nekaneet dans les premières années; ce transfert ne s’est toutefois pas encore concrétisé (NWAC, 2019).
Deux types de pavillons de ressourcement existent au Canada : ceux gérés par SCC et ceux dirigés par les communautés autochtones. Les deux ont été créés à la suite d’accords entre le gouvernement fédéral et un corps dirigeant ou un organisme autochtone, comme le prévoit l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et sont financés par SCC. Quatre pavillons de ressourcement sont gérés par SCC, soit deux en Saskatchewan (Okimaw Ohci Healing Lodge et Willow Cree Healing Lodge), un en Alberta (Pê Sâkâstêw Centre) et un en Colombie-Britannique (Kwìkwèxwelhp Healing Village). On dénombre six pavillons dirigés par des communautés autochtones, soit deux en Alberta (Stan Daniels Healing Centre et Buffalo Sage Wellness House), deux au Manitoba (O-chi-chak-ko-sipi First Nation Healing Lodge et Eagle Women’s Lodge), un en Saskatchewan (Prince Albert Grand Council Spiritual Healing Lodge) et un au Québec (Waseskun Healing Centre). On ne trouve aucun pavillon de ressourcement dirigé par une communauté autochtone en Colombie-Britannique, en Ontario, dans les provinces atlantiques ou dans les territoires, mais un projet est en cours d’élaboration en Ontario, pour un pavillon qui sera dirigé par la Thunder Women Healing Lodge Society. Le projet est toutefois mis en veilleuse à l’heure actuelle en raison du manque de financement fédéral (White, 2022).
Buffalo Sage Wellness House, Native Counselling Services of Alberta
La Buffalo Sage Wellness House, la maison de bien-être Buffalo Sage, a été créée en 2011. Il s’agit d’une maison d’hébergement communautaire administrée par l’organisme Native Counselling Services of Alberta (NCSA) en vertu de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La Buffalo Sage Wellness House est l’un des deux établissements au Canada créés en vertu de l’article 81 assurant la prise en charge et la garde des femmes autochtones purgeant une peine fédérale ou qui sont en liberté conditionnelle (le deuxième est l’Eagle Women’s Lodge, au Manitoba, qui a ouvert ses portes en 2019). Cette maison d’hébergement peut accueillir jusqu’à 28 femmes et était occupée à 75 % en 2021-2022 (Zinger, 2022). Pour être transférées à la Buffalo Sage Wellness House, les femmes doivent être classées au niveau de sécurité minimal en vertu des normes de SCC, présenter un faible risque pour la sécurité du public, participer à certains programmes de SCC, passer une entrevue, être prête à travailler avec des aînés et, finalement, participer et s’impliquer dans des pratiques et des enseignements culturels autochtones durant leur peine (Native Counselling Services of Alberta [NCSA], n.d.). Située en milieu urbain, cette maison d’hébergement offre des possibilités de formation et d’emploi à proximité et le transport en commun y est aisément accessible – autant d’avantages dont les résidentes peuvent profiter lors de congés temporaires ou dans le cadre des dispositions associées à leur libération conditionnelle. Les lieux facilitent aussi les visites familiales et la mise en place d’un programme mère-enfant (NCSA, n.d.).
La Buffalo Sage Wellness House est différente des installations gérées par SCC et des pavillons de ressourcement, et ce, de multiples façons. Ainsi, des œuvres d’art réalisées par les résidentes ornent les murs et la sécurité y est minimale (il n’y a pas de gardiens, mais uniquement des caméras de surveillance dans les installations). Les résidentes bénéficient également d’un soutien individuel grâce à des plans correctionnels axés sur leurs besoins sociaux, spirituels et éducatifs, pour une réinsertion efficace et durable dans la société. Murdocca (2020) relate une expérience vécue par une ancienne résidente de la Buffalo Sage Wellness House, qui parle d’un lieu de survie et d’une « deuxième chance – une chance de guérir et de retrouver espoir en l’avenir, un espoir qui a été perdu en prison » [traduction] (p. 48).
Les programmes offerts à la Buffalo Sage Wellness House sont sensibles aux traumatismes et fondés sur le genre. Le programme Spirit of a Warrior (esprit du guerrier) est par exemple encadré par des aînés et conçu pour s’attaquer au cycle intergénérationnel des traumatismes et de la violence. Il aide les femmes à guérir de leurs expériences individuelles de violence fondée sur le genre et de colonisation en leur enseignant des moyens de s’exprimer par l’art et par les mots, alors qu’elles explorent les effets générationnels des pensionnats, de la Rafle des années soixante et des traumatismes historiques (NCSA, n.d.). De concert avec d’autres programmes tels que le programme mère-enfant ou pour le traitement des dépendances, Buffalo Sage Wellness House crée un espace de guérison parfaitement adapté aux besoins des femmes autochtones.
43 Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération
Pour d’autres Autochtones, un séjour dans un tel pavillon signifiera qu’ils vont trouver leur identité culturelle, réapprendre en quoi elle consiste ou renouer avec elle. Dans tous les cas, la guérison est au cœur de chaque séjour dans un pavillon de ressourcement de l’article 81.
Avantages et possibilités des pavillons de ressourcement autochtones
Plusieurs études font état des nombreuses possibilités et de résultats positifs associés aux peines purgées dans la communauté et aux pavillons de ressourcement pour les Autochtones (ci-après désignés sous le nom de « pavillons de l’article 81 ») comparativement aux expériences vécues par des Autochtones dans des établissements correctionnels de SCC (en sachant néanmoins que les pavillons de l’article 81 et ceux gérés par SCC demeurent fortement liés aux politiques et aux procédures de SCC). À elle seule, la proximité d’une communauté autochtone signifie, pour certains Autochtones, que séjourner dans un pavillon de ressourcement de l’article 81 faciliterait le retour dans leur communauté de résidence et limiterait par le fait même la séparation d’avec leur famille et leur communauté. Séjourner dans un pavillon de ressourcement de l’article 81 permettrait aussi aux
Autochtones purgeant leur peine de retourner à l’endroit où leur acte criminel a été commis, ce qui pourrait les aider à renouer avec leur esprit aux fins de guérison (Murdocca, 2020). Pour d’autres Autochtones, un séjour dans un tel pavillon signifiera qu’ils vont trouver leur identité culturelle, réapprendre en quoi elle consiste ou renouer avec elle. Dans tous les cas, la guérison est au cœur de chaque séjour dans un pavillon de ressourcement de l’article 81.
En comparant les pavillons de ressourcement gérés par SCC et ceux de l’article 81, on constate que les Autochtones qui séjournent dans un pavillon de l’article 81 présentent, dans tous les cas, moins de risques pour la société sur le plan de la sécurité et ont de meilleures chances de réintégration dans la communauté. Ces personnes profitent également de plus de sorties sans escorte et ont, au cours de la période où elles purgent leur peine, de meilleurs résultats tant dans leur parcours vers la guérison que pour leur croissance personnelle, surtout en ce qui
a trait au comportement social positif, au fonctionnement dans la communauté, aux relations et à leur contrôle de la consommation de substances (Hanby et al. 2022). Dans les pavillons de ressourcement de l’article 81, l’accès à du counseling avec des aînés est plus facile, tout comme les plans de guérison individualisés qui guident la peine de chaque résident (Hanby et al., 2022). En comparaison, les Autochtones dans des pavillons de ressourcement gérés par SCC sont plus susceptibles de participer à des programmes correctionnels qu’à des plans de guérison, et présentent plus de risques pour la sécurité de la société une fois remis en liberté. Plus particulièrement, les résidents d’un pavillon géré par SCC sont plus susceptibles (avec différence statistique) de retourner en détention après de nouvelles infractions, comme le démontre un taux de récidive de 10,4 %, comparativement à 5 % chez les personnes ayant séjourné dans un pavillon de ressourcement de l’article 81 (Hanby et al., 2022).
Pavillon de ressourcement spirituel, Prince Albert Grand Council, Première
Nation Wahpeton Dakota, Saskatchewan
La gestion de ce pavillon de ressourcement spirituel est assurée par le Prince Albert Grand Council (PAGC) en vertu de l’article 81 de la de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il a d’abord ouvert ses portes en 1997, dans la foulée d’un accord tripartite entre le PAGC, SCC et le ministère de la Justice de la Saskatchewan. Même si le pavillon a fermé ses portes en 2012 en raison d’accords non respectés, le pavillon a repris ses activités en 2014 en tant qu’installation de l’article 81. Avec ce nouvel arrangement, le pavillon peut accueillir jusqu’à 12 résidents (au lieu de 25 auparavant); il est également devenu un lieu de guérison pour les hommes autochtones détenus dans un établissement fédéral. Il s’agit de l’un des quatre pavillons créés en vertu de l’article 81 conçus précisément pour les hommes autochtones (les autres se trouvent en Alberta, au Manitoba et au Québec). Pour être transférés d’un établissement fédéral vers un pavillon de ressourcement spirituel, ces hommes doivent être classés au niveau de sécurité minimal, ne pas purger de peine pour un bris de prison ou une tentative d’évasion ni avoir d’accusations en instance, s’engager à suivre un plan de guérison spirituel et culturel, être en bonne santé et ne pas avoir consommé de drogues (sauf certains médicaments d’ordonnance), avoir le soutien d’un agent de libération conditionnelle et passer une entrevue (PAGC, n.d.). Bien qu’il soit plus petit que les autres, ce pavillon affichait un taux d’occupation de 58,33 % en 2021-2022 (Zinger, 2022). Le pavillon comporte six chalets, un cercle de la parole et des salles pour l’administration, ainsi que des huttes de sudation pour l’été et pour l’hiver (Eneas, 2017).
Les programmes offerts au pavillon de ressourcement spirituel sont axés sur les besoins psychologiques, physiques et affectifs des hommes autochtones et sont enracinés dans les cultures, les valeurs et les coutumes des Premières Nations. Des plans de guérison individuels sont préparés pour les résidents sous la direction d’un groupe consultatif d’aînés comprenant des aînés des tribus déné, dakota/cris des plaines, cris Woodland et cris Swampee du Prince Albert Grand Council. Ces plans comportent souvent des activités et des programmes offerts par le groupe consultatif d’aînés, notamment des séances hebdomadaires de sudation, des cérémonies du calumet, des enseignements à partir de la roue de médecine, des programmes de parentalité et de relations saines et du counseling personnel avec les aînés, entre autres (PAGC, n.d.). Le pavillon se trouve sur le territoire de la Première Nation Wahpeton Dakota. Les hommes qui y séjournent peuvent aussi avoir accès à des programmes et à des services communautaires tels que du counseling en dépendances ou en gestion de la colère, de l’éducation à la nutrition et des cliniques sur les infections transmissibles sexuellement, ainsi qu’à des activités culturelles telles que du perlage et de la fabrication de tambours (PAGC, n.d.). Tous les plans font une priorité du bien-être culturel des résidents – leur séjour pourra être l’occasion d’en faire l’apprentissage, de le redécouvrir ou de le renforcer –, de leur permettre d’acquérir des compétences de vie et de profiter de possibilités de formation (Eneas, 2017). Dans toutes ses activités, le groupe consultatif des aînés assure la prestation de services de santé, de services sociaux et de programmes adaptés culturellement et sensibles aux traumatismes.
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Les deux types de pavillons proposent des peines d’emprisonnement différentes, centrées sur les valeurs et les pratiques autochtones. Les pavillons de l’article 81 adhèrent toutefois plus fidèlement à ce mandat par leur structure, leur concept et le lieu où ils sont situés. Ils sont en effet installés sur des sites plus étroitement liés à la terre et offrent plusieurs programmes culturels et spirituels fondés sur la nature. En outre, leur fonctionnement est guidé par les pratiques et principes culturels de la communauté ou de l’organisme autochtone dirigeants (NWAC, 2019). Ce modèle de fonctionnement pose toutefois des défis liés aux programmes et aux services « panautochtones ». Le pavillon de ressourcement dirigé par la Première Nation O-ChiChak-Ko-Sipi, au Manitoba, ou celui que dirige la Première Nation Wahpeton Dakota, en Saskatchewan, offrent des services et des programmes fondés sur les valeurs et les croyances propres à leurs communautés respectives, ce qui, en fin de compte, en limite la pertinence et l’applicabilité aux autres peuples de Premières Nations, inuits ou métis. Les pavillons de ressourcement de l’article 81 dirigés par des organismes autochtones tels que Native Counseling Services of Alberta ou Indigenous Women’s Healing Centre Inc., au Manitoba, ne précisent pas que
leurs programmes à l’intention de leurs résidents sont fondés sur les distinctions et disent plutôt que leurs installations offrent des programmes culturels et spirituels « autochtones » ou « aborigènes ». Le Waseskun Healing Centre, au Québec, est le seul pavillon de ressourcement de l’article 81 à préciser que ses programmes s’appuient à la fois sur les cultures des Premières Nations et sur celle des Inuits. Les programmes du Waseskun Healing Centre sont axés sur la Waseya (en langue crie la « lumière de l’esprit »). On y offre aussi des activités culturelles inuites et l’accès à des aînés inuits dans le cadre du programme Nukivut (« notre force », en inuktitut) (Waseskun, n.d.). Les programmes destinés aux Métis ne sont précisés dans aucun des pavillons de ressourcement de l’article 81.
Pour la prise en charge des approches « panautochtones » visant les pavillons de ressourcement, l’AFAC (2019) suggère la mise sur pied d’installations en vertu de l’article 81, dont la gestion est assurée par des communautés autochtones de plus petite taille. Des approches fondées sur les distinctions pourraient aussi être adoptées pour combler les lacunes du programme pour les Métis et les Inuits. Cette idée est toutefois remise en question en raison du manque de sensibilisation dans les
communautés et les organismes autochtones à l’égard des solutions de rechange à l’emprisonnement et à la possibilité de conclure des accords en vertu de l’article 81 (Denis-Boileau & Sylvestre, 2018; Murdocca, 2020; NWAC, 2019; Sandulescu, 2021). En vertu de ces accords, les communautés ou les organismes autochtones pourraient superviser les soins et la garde des personnes autochtones condamnées à une peine d’emprisonnement. Cette disposition est de nature générale et ne se limite pas à la seule création de pavillons de ressourcement, même si elle tend à le faire dans les faits. Les accords en vertu de l’article 81 pourraient donc être utilisés pour élargir la portée et l’impact des solutions de rechange communautaires actuelles en matière de justice et pour faciliter le recours à des approches innovantes en matière de décarcération des Autochtones. Puisque la plupart des communautés autochtones ont mis en place une forme de programme de justice réparatrice (Murdocca, 2020), et avec une plus grande sensibilisation et une promotion accrue des accords en vertu de l’article 81, il sera possible de s’appuyer sur ces programmes pour y inclure la décarcération et améliorer l’accessibilité et l’utilisation de solutions de rechange communautaires dirigées par les Autochtones pour remplacer l’emprisonnement.
Défis posés par les pavillons de ressourcement autochtones
Des obstacles administratifs et un accès inéquitable aux pavillons de ressourcement constituent des enjeux récurrents pour les Autochtones en contact avec le système de justice pénale. Pour être transférées dans un pavillon de ce genre, les personnes qui en font la demande doivent être classées au niveau de sécurité minimal ou, dans un nombre de cas plus restreint, au niveau de sécurité moyen. Elles doivent faire preuve d’une volonté sincère à l’égard des cultures autochtones et vouloir entreprendre un parcours de guérison dans le cadre de leur plan correctionnel. Comme expliqué précédemment, le nombre disproportionné d’Autochtones en détention à haute sécurité, surtout chez les femmes, est un obstacle au transfert vers des pavillons de ressourcement. La détention à haute sécurité limite l’admissibilité des Autochtones à des programmes
et prolonge également le processus visant leur reclassement vers un niveau de sécurité moindre grâce à des programmes offerts en établissement (Murdocca, 2020; NWAC, 2019). En outre, les pavillons de ressourcement créés en vertu de l’article 81 reçoivent depuis longtemps un financement moindre par résident que les pavillons gérés par SCC et leur personnel est moins bien rémunéré. Les pavillons de ressourcement dirigés par des Autochtones doivent donc composer avec un roulement de personnel plus élevé, une infrastructure inadéquate et une capacité d’accueil et de soutien restreinte pour leur clientèle (NWAC, 2019; Zinger, 2022). Les difficultés de financement sont aggravées par les exigences précisées dans les accords pris en vertu de l’article 81 pour l’exploitation d’un pavillon de ressourcement dirigé par les Autochtones. C’est le cas par exemple de la formation exigée du personnel autre que celui de SCC pour se familiariser avec le fonctionnement du système correctionnel. Une
telle formation peut coûter, par exemple, jusqu’à 34 000 $, mais cette somme n’est pas incluse dans le budget prévu par SCC pour les installations créées en vertu de l’article 81 (NWAC, 2019). De plus, si des agents correctionnels ont une connaissance limitée ou une sensibilisation insuffisante à l’égard des établissements créés en vertu de l’article 81, ils risquent d’hésiter à accorder un transfert vers un pavillon de ressourcement autochtone (Murdocca, 2020). Ces difficultés contribuent à une faible utilisation et à un taux élevé d’inoccupation des installations en vertu de l’article 81. En 20212022, le taux d’occupation des pavillons de ressourcement dirigé par des Autochtones n’était que de 55 %, comparativement à 97 % en 2012-2013 (Zinger, 2022) 15 . Plus de recherche sera nécessaire pour comprendre ce phénomène et évaluer si des changements au taux d’occupation s’expliquent par un manque de connaissances et de sensibilisation, des ressources inadéquates ou une combinaison de ces facteurs aggravants.
15 Ces données ne comprennent pas les taux d’occupation moyens du pavillon Prince Albert Grand Council Spiritual Healing Lodge, car des données son manquantes; et du Eagle Women’s Healing Lodge, parce qu’il a ouvert ses portes en 2019.
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Indépendamment des défis administratifs et financiers, les critiques ont remis en question la fonction sousjacente et l’utilité des pavillons de ressourcement, suggérant qu’ils privilégient les principes coloniaux d’emprisonnement, qu’ils contribuent au maintien des pouvoirs et de l’autorité occidentaux dans les questions de justice pénale (NWAC, 2019) et qu’ils normalisent la surincarcération des Autochtones (Giannetta, 2021). « Les pavillons [de ressourcement], affirme un critique, mènent leurs activités à l’intérieur des pénitenciers (une institution coloniale) après qu’un contrevenant autochtone a reçu sa peine (établie par le système politique colonial) pour avoir commis un acte criminel causé par des enjeux sociaux sousjacents (découlant du colonialisme) [traduction] » (Giannetta, 2021, p. 4). L’AFAC réitère et élargit cette idée en parlant du pavillon de ressourcement pour femmes Okimaw Ohci :
SCC continue de maintenir les critères d’admission, l’admissibilité au transfert et la définition d’une réhabilitation réussie pour les personnes détenues des pavillons de ressourcement, ce qui veut dire que même si le pavillon Okimaw Ohci a été conçu pour appuyer la conception de la guérison, le contrôle ultime du pavillon de ressourcement repose encore sur l’autorité coloniale de SCC » [traduction] (NWAC, 2019, p. 13).
Selon l’AFAC (2019), l’autorité de SCC pourrait aussi s’étendre à la signification et à l’authentification du parcours vers la guérison et s’approprier ainsi les valeurs et les concepts autochtones intégrés à ce processus. La position coloniale à l’égard de la guérison est très différente de la vision du monde des Autochtones, car elle englobe généralement un moyen de guérison des répercussions historiques de la colonisation et des traumatismes qu’il a provoqués, ce qui exclut l’idée d’un héritage permanent du colonialisme qui perpétue les inégalités sociales et de santé contemporaines (NWAC, 2019). Adopter cette compréhension étroite des effets néfastes de la colonisation en tant que phénomène appartenant au passé laisse peu de place pour constater dans quelle mesure le colonialisme pourrait expliquer les interactions des Autochtones avec le système de justice pénale. Les systèmes de justice pénale continuent par conséquent de refuser de rendre compte et de prendre leurs responsabilités à l’égard des peuples autochtones. On en a la preuve avec l’utilisation des programmes correctionnels au lieu des transferts de l’emprisonnement vers les communautés autochtones et devant l’injustice de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels.
Qu’il s’agisse d’une déjudiciarisation complète du système de justice pénale, d’une sentence entendue par un tribunal autochtone ou d’une peine d’emprisonnement transférée à un pavillon de ressourcement dirigé par des Autochtones, il existe effectivement des solutions de rechange à l’emprisonnement des Autochtones à travers le Canada. Cette analyse a permis de répertorier les initiatives propres aux Autochtones dans toutes les provinces et tous les territoires, à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador et des Territoires du Nord-Ouest. La littérature nous met toutefois en garde en précisant qu’il est impossible de retracer tous les programmes communautaires autochtones substitutifs à l’incarcération parce que l’information concernant certains d’entre eux n’est pas publique. Au moment du prononcé la sentence dans un tribunal Gladue, par exemple (de même que dans les Cours provinciales et territoriales traditionnelles), les peines d’emprisonnement avec sursis intégrant des solutions de rechange dans la communauté font souvent partie des rapports Gladue et pourraient ne pas être disponibles dans les dossiers publics (Denis-Boileau et Sylvestre, 2018). Des solutions de rechange pourraient aussi être incluses dans les ordonnances de probation à la suite d’une directive d’un agent de probation et, par conséquent, ne pas être mentionnées explicitement. Friedland (2016) explique cette limitation et livre un exemple des questionnements éthiques limitant l’information accessible au public à la Cour de la Première Nation Tsuu T’ina, en Alberta :
On ne trouve aucune archive publique sur la majorité des programmes de justice fondés dans la communauté, et cela peut s’expliquer par des motifs pratiques, éthiques ou de principes. La médiation ou les démarches thérapeutiques par exemple, sont assorties d’obligations éthiques en matière de confidentialité et les Cercles de conciliation de la Première Nation T’suu T’ina fait en sorte de brûler tous les documents une fois la démarche de conciliation terminée. Cela signifie, entre autres choses, qu’il est difficile ou impossible pour quiconque, autres que les personnes participant directement à la démarche, de comprendre comment les décisions sont prises et quel raisonnement a conduit à ces décisions [traduction] (p. 295).
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Cela signifie également que les décisions comportant une orientation vers un programme de déjudiciarisation ou vers d’autres options de rechange ne sont pas toujours disponibles. On doit donc se réjouir d’avoir pu, malgré tout, répertorier plusieurs programmes communautaires substitutifs à l’emprisonnement dans le cadre de cette recherche. Il est toutefois important de noter que certaines initiatives, leurs caractéristiques particulières ou leurs effets sur la décarcération des Autochtones n’y sont peut-être pas mentionnés.
Pour chaque type de solution de rechange à l’emprisonnement, la recherche montre des résultats positifs uniques pour les peuples autochtones et leurs communautés, soit : une réduction des probabilités de récidive et de stigmatisation associées au fait de posséder un casier judiciaire, grâce aux programmes de déjudiciarisation pour Autochtones (Clark, 2016); la sauvegarde des lois des Premières Nations et des Inuits en faisant valoir leurs principes juridiques respectifs devant les tribunaux autochtones (Clairmont, 2013; Couturier, 2020); et la création
d’un environnement propice à la réparation, ancré dans le savoir et les pratiques culturelles autochtones, dans des pavillons de ressourcement dirigés par les Autochtones (Murdocca, 2020). Malgré des résultats positifs, la littérature et les analyses soulignent cependant les limites importantes des solutions de rechange offertes dans les communautés, dont il faut tenir compte dans les efforts pour une décarcération efficace des Autochtones. Balfour et al. (2018), par exemple, expliquent comment les approches en matière de décarcération peuvent être inefficaces sans des efforts considérables pour agir d’abord sur les conditions sociales des communautés vulnérables et sur les enjeux entourant la continuité de la prise en charge entre les établissements de détention et la communauté pour les personnes remises en liberté. Les chercheurs disent craindre que les conditions favorisant le recours aux pratiques d’incarcération actuelles persistent sans une intervention adéquate.
Les restrictions touchant les solutions de rechange dirigées par des Autochtones devraient
aussi être analysées. Chaque approche – programmes de déjudiciarisation, tribunaux ou pavillons de ressourcement dirigés par des Autochtones – offre aux communautés autochtones la capacité administrative de passer sous silence les événements en vase clos du système de justice pénale. Le pouvoir de promulguer des lois en matière pénale n’est pas inclus dans cet arrangement. À ce jour, aucun groupe ni aucune communauté autochtone au Canada ne peut adopter des lois pénales; ce pouvoir ne relève que de la compétence du gouvernement fédéral (Michel, 2023). Le rôle administratif des communautés autochtones dans les affaires juridiques pénales est donc limité et gouverné par les principes coloniaux et le Code criminel fédéral. Dans les faits, cet encadrement parvient efficacement à faire fi des droits inhérents des Autochtones à l’autodétermination en ce qui concerne les affaires juridiques pénales (Michel, 2023). Le pouvoir de s’autogouverner est particulièrement mis à rude épreuve dans le fonctionnement des programmes de déjudiciarisation et dans les tribunaux dirigés par
des Autochtones, où les pouvoirs administratifs des communautés autochtones sont uniquement opérationnels, et le programme de déjudiciarisation ou les tribunaux sont ensuite disponibles à la suite d’une dénégation de culpabilité de la personne qui participe au programme ou a recours au tribunal autochtone. Seuls les systèmes coloniaux prennent en charge les dénégations de culpabilité. Les Autochtones doivent alors soit plaider coupables ou entreprendre des procédures contradictoires issues de la colonisation. La structure actuelle des solutions de rechange dirigées par des Autochtones sous ces conditions offre donc une approche fragmentaire de l’administration de la justice comparativement à ce que pourrait être une gouvernance complète, à l’échelle du système, pour toutes les affaires de justice pénale pour les populations autochtones (Michel, 2023).
Néanmoins, trois lacunes demeurent dans la conception et la prestation de chacune des approches de décarcération. En premier lieu, presque tous les programmes de déjudiciarisation,
les tribunaux et les pavillons de ressourcement mentionnés dans cette recherche sont conçus pour adopter des approches de décarcération qui sont propres aux Premières Nations ou « panautochtones » (à l’exception d’un programme de déjudiciarisation propre aux Métis et deux propres aux Inuits, en plus de la Cour de justice du Nunavut). Il n’existe à peu près pas de solutions de rechange à l’emprisonnement fondées sur les distinctions pour les populations autochtones, ce qui nuit à l’applicabilité et à la viabilité des solutions de rechange pour tous les peuples autochtones, particulièrement les Inuits et les Métis. Les approches « panautochtones » de la justice remettent aussi en question les types d’aide financière et de soutien aux ressources humaines offerts aux communautés de Premières Nations, inuites et métisses par le biais de programmes fédéraux et d’engagements tels que le Programme de justice autochtone. Les recherches futures devraient donc se pencher sur cette remise en question afin de comprendre les possibilités et les défis posés
aux communautés qui pourraient cesser, interdire ou mettre en veilleuse l’élaboration de solutions de rechange à l’emprisonnement fondées sur les distinctions.
Deuxièmement, les programmes de déjudiciarisation, les tribunaux autochtones et les pavillons de ressourcement ne sont pas offerts uniformément dans toutes les provinces et tous les territoires. Bien que la plupart des provinces (C.-B, l’Alb. Sask., Man., Ont., Qc, N.-É., Î.-P.-É.), le Nunavut et le Yukon sont dotés de programmes de déjudiciarisation propres aux Autochtones, peu d’entre elles ont des tribunaux autochtones (uniquement la C.-B., l’Alb., l’Ont., le N.-B., la N.-É. et le Nunavut) et elles sont encore moins nombreuses à offrir des pavillons de ressourcement créés en vertu de l’article 81 (Alb., Sask., Man. et Qc seulement). Seule l'Alberta a les trois alternatives. La ColombieBritannique suit de près, même si son pavillon de ressourcement est géré par le SCC. Chaque solution de rechange offre des degrés différents de contrôle et d’exigence de la part du contrevenant, chaque type de solution de rechange forme
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la partie distincte d’un tout qui aidera à écarter les Autochtones du système de justice pénale. Même s’il y a peu d’éléments probants confirmant que ce type d’initiative est plus efficace à réduire les taux d’incarcération dans les populations autochtones, on peut supposer qu’offrir plusieurs points d’entrée aux solutions de rechange serait suffisant dans les conditions actuelles.
Troisièmement, il existe très peu de travaux récents et officiels visant l’évaluation des trois types de solutions de rechange à l’emprisonnement, particulièrement des répercussions de ces solutions sur la santé et le bien-être des Autochtones participant à l’une ou l’autre. Des critiques et des analyses se sont penchées toutefois sur leurs effets sur les taux de récidive, les interactions ultérieures avec le système de justice pénale, et la revitalisation des lois et des pratiques autochtones résultant de l’adoption de ces solutions de rechange à l’emprisonnement (Clark, 2016; Clairmont, 2013; Hanby et al., 2022). Les évaluations formelles se concentrent moins souvent sur les effets sur la santé et le bienêtre. Des preuves et des analyses anecdotiques mettent en lumière les nombreux avantages qu’offrent les programmes communautaires substitutifs à la justice, notamment ceux découlant des pavillons de ressourcement dirigés par des Autochtones. Ces avantages sont notamment la guérison, une amélioration de la santé mentale et une meilleure croissance culturelle et spirituelle (NWAC, 2019; Park, 2021). La revue de la littérature démontre également les liens entre la santé et le bien-être des
Autochtones et le recours à des programmes de déjudiciarisation et à des tribunaux autochtones (Clairmont, 2013; Couturier, 2020; McKay & Milward, 2018). Les descriptions de ces programmes sous-entendent aussi que les programmes communautaires substitutifs influent sur les enjeux de santé publique tels que la santé mentale et les dépendances, particulièrement les troubles liés à la consommation d’opioïdes ou au syndrome d’alcoolisation fœtale (Onashowewin, n.d.-b; Public Safety Canada, 2021). Le milieu politique et les décideurs étudient toutefois les évaluations formelles pour orienter leurs décisions. Plus de travaux d’évaluation sur les approches de décarcération seront toutefois nécessaires pour obtenir une base d’éléments probants afin d’amener les décideurs à élargir et à augmenter le soutien aux communautés autochtones de même que les aider à mettre sur pied leurs propres solutions de rechange à l’emprisonnement et en assurer la gestion.
À l’heure actuelle, les mesures de soutien du gouvernement fédéral telles que le PJA ne sont pas outillées pour favoriser l’autodétermination des Autochtones en matière de justice et se concentrent plutôt sur l’autogestion en matière de justice. Cela signifie que la capacité, pour les communautés autochtones, de s’engager dans l’administration de la justice à l’échelle locale est limitée et restreinte par le contrôle et les prises de décision du gouvernement fédéral (Abele et al., 2021). Et cela demeure, malgré le dynamisme de l’autodétermination pour la santé et le bien-être des Autochtones,
qu’Halseth et Murdock (2020) définissent comme « essentiel pour l’autonomisation des communautés afin de leur permettre d’acquérir des capacités et de contrôler le large éventail des forces qui influent sur la santé et le bien-être individuels et collectifs » [traduction] (p. 4). Cette définition est de toute évidence liée au système de justice pénale.
Les évaluations formelles des programmes communautaires substitutifs peuvent mettre en évidence les résultats positifs associés à la souveraineté des communautés et au maintien de la cohésion familiale. Ajoutées aux effets sociaux et de santé néfastes de la surincarcération vécue par les Autochtones et leurs familles, documentés depuis longtemps dans la revue de la littérature, cet élément probant devrait ouvrir la voie à des changements de politiques afin que les communautés autochtones puissent avoir le plein contrôle de leurs initiatives en matière de justice. L’importance de la mobilisation communautaire dans le cadre de cette démarche ne peut être sous-estimée, puisque le « rôle du savoir autochtone est essentiel à la réussite réelle et perçue de la justice réparatrice et d’autres initiatives de guérison » [traduction] (Murdocca, 2020, p. 53).
Enfin, il est intéressant de souligner l’obsession démesurée pour la justice réparatrice lorsqu’il est question du type et du concept des programmes communautaires substitutifs à la justice, bien que cela ne constitue pas une lacune dans les connaissances. Dans la revue de la littérature, on explique ce phénomène comme une institutionnalisation de la
justice réparatrice (McKay & Milward, 2018, p. 158) et le résultat des tentatives du gouvernement colonial étendues sur des décennies pour mettre fin aux injustices que subissent les Autochtones. Depuis que les gouvernements ont commencé à travailler à cet enjeu, leurs initiatives reposent sur une compréhension voulant que la justice réparatrice soit une approche globale des pratiques juridiques et des enseignements autochtones (Clairmont, 2013; Denis-Boileau, 2021; McKay & Milward, 2018). Il s’agit là, bien sûr, d’une interprétation étroite qui généralise les perspectives distinctes propres aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, qui dépeint un « portrait incomplet » des enseignements autochtones en matière juridique (Denis-Boileau, 2021, p. 587). Cette façon de voir définit aussi les types de programmes communautaires pouvant être financés et reconnus par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, excluant ainsi tous les enseignements et
toutes les pratiques qui se situent hors du cadre de la compréhension coloniale de la justice autochtone, lesquels sont ignorés en grande partie et considérés comme illégitimes. Les critiques ont établi un lien entre les pouvoirs du gouvernement en matière de justice et cette obsession pour la justice réparatrice :
Le discours prédominant sur la « justice de guérison » n’est pas faux, mais plutôt dangereusement incomplet… il n’est ni logique ni exact de dire que dans les traditions juridiques autochtones, la guérison est la seule réponse. Il serait plus exact de dire que la guérison est la seule réponse juridique permise aux groupes autochtones dans la plupart des États, ce qui monopolise le recours à la coercition [traduction] (Napoleon et al. 2014, tel que cité dans DenisBoileau, 2021, p. 587)
En d’autres mots, l’obsession pour la justice réparatrice permet aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de maintenir le statu quo et de contrôler les solutions de rechange propres aux systèmes de justice pénale dominants. Ainsi, cette vision coloniale des choses isole certaines composantes des enseignements de la justice autochtone, tels que la guérison, qui ne représente pourtant qu’une faible menace pour les principes dominants des modèles de justice coloniale que sont la dénonciation et la dissuasion avec la force autorisée (Denis-Boileau, 2021). Les travaux de recherche qui seront réalisés à l’avenir devront privilégier d’autres formes et pratiques des principes juridiques et des enseignements des Premières Nations, des Inuits et des Métis afin d’accroître la sensibilisation et de favoriser une approche plus équitable du pluralisme sur le plan juridique des systèmes juridiques autochtones et occidentaux.
Les travaux de recherche qui seront réalisés à l’avenir devront privilégier d’autres formes et pratiques des principes juridiques et des enseignements des Premières Nations, des Inuits et des Métis afin d’accroître la sensibilisation et de favoriser une approche plus équitable du pluralisme sur le plan juridique des systèmes juridiques autochtones et occidentaux.
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Pourquoi ne pas commencer par demander aux aînés ce qui fonctionnait jadis, lorsque le système carcéral n’existait pas encore? Parce que ça fonctionnait. Si une personne va en prison et en ressort encore pire, quel est l’intérêt pour la société, alors qu’initialement, la personne devait aller en prison pour se corriger ou pour devenir une meilleure personne? C’est un gaspillage d’argent, et de temps – et de tout. La personne en ressort encore pire, et il y a plus de victimes. Où cela va-t-il s’arrêter? [traduction]
Thorne, C. (une Autochtone détenue), telle que citée dans un document de l’organisme Prisoners’ Legal Services (2023, p. 88).
Ce rapport tente de remédier au manque de connaissances en examinant les ressources de soutien et les programmes communautaires substitutifs à l’emprisonnement dirigés par des Autochtones, désignés dans la revue de la littérature savante sous le nom de « niche areas in need of precise research », soit les créneaux nécessitant une recherche précise (Peterson, 2019, p. 56). Dans la présente analyse documentaire, un espace a été créé afin que les gouvernements puissent apprendre les uns des autres sur leurs mécanismes visant à favoriser la décarcération des Autochtones. Les acteurs du monde juridique, les décideurs, les professionnels du domaine de la santé publique, les chercheurs et les communautés autochtones peuvent utiliser isolément l’information susceptible de les intéresser et s’en servir comme base de travail, afin d’aider les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis à gagner en autonomie et à s’engager davantage pour la décarcération des Autochtones. Cela dit, ce serait faire preuve d’ignorance que de conclure ce rapport en fonction de la seule exploration du contenu disponible, et sans provoquer la réflexion et une prise en compte des questions que cette problématique et cette recherche permettent de soulever. On devrait par exemple essayer de voir comment cette information s’intègre dans le climat actuel, et comment aller de l’avant.
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En examinant les approches fédérales, provinciales, territoriales et communautaires de la décarcération des Autochtones et leurs implications pour la population et la santé publique, il est important de comprendre les appels à la décarcération du point de vue de ce qui a été entendu, et des entités auxquelles se destinent ces appels. L’appel à l’action no 42 de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) du Canada demande à tous les ordres de gouvernement de « s’engager à reconnaître et à mettre en œuvre un système de justice autochtone qui soit compatible avec les droits ancestraux et issus des traités des peuples autochtones, en plus d’être conforme à la Loi constitutionnelle de 1982 et à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » (CVR, 2015a,
p. 5). On demande des systèmes dirigés par des Autochtones depuis longtemps (RCAP, 1996); donc, qu’arrivera-t-il si ces appels sont entendus? Quels seront les effets d’un système de justice dirigé par des Autochtones sur la santé et le bien-être de ces personnes? Dans son état actuel, le système de justice pénale du Canada est loin de reconnaître et de mettre en œuvre des systèmes de justice autochtones, mais des conseils et des orientations venant des Autochtones incarcérés eux-mêmes pourraient toutefois faciliter la reconnaissance et la mise en œuvre de telles entités. Et si on suivait le conseil de Mme Thorne (citée dans le document de 2023 de Prisoners’ Legal Services) et que comme ci-dessus, on consultait les aînés pour faciliter des changements systémiques? Pourquoi les mécanismes du
savoir autochtone ou les peuples autochtones qui vivent ou ont vécu des expériences d’incarcération ne dirigent-ils pas les efforts pour éliminer la surincarcération au sein de la population autochtone? Quels seraient les effets sur la santé?
Les similitudes entre la philosophie et le fonctionnement des pensionnats autochtones et l’environnement carcéral actuel soulèvent aussi bien des questions. Les pensionnats avaient été créés pour l’assimilation culturelle des peuples autochtones à la société des colons blancs; leur objectif premier était de supprimer l’identité culturelle des Autochtones en plaçant leurs enfants dans ces établissements. De nombreux témoignages d’Autochtones détenus font part d’expériences analogues à celles des pensionnats et estiment que le système carcéral poursuit des
Quels seront les effets d’un système de justice dirigé par des Autochtones sur la santé et le bien-être de ces personnes? Dans son état actuel, le système de justice pénale du Canada est loin de reconnaître et de mettre en œuvre des systèmes de justice autochtones, mais des conseils et des orientations venant des Autochtones incarcérés eux-mêmes pourraient toutefois faciliter la reconnaissance et la mise en œuvre de telles entités. 56
objectifs similaires. Ces similitudes trouvent un écho dans une enquête réalisée par l’organisme Prisoners’ Legal Services (2023) sur le vécu des Autochtones en prison, comme en témoigne cette personne métisse :
En prison, ils continuent de vouloir « tuer l’Indien » à l’intérieur des gens. On dirait que partout où vous essayez ou obtenez la possibilité de vivre une expérience autochtone – les traditions, les programmes –, dans tous les cas, il y a des restrictions. Alors, votre seul choix est d’adopter le comportement colonial. Suivez un programme non autochtone, parlez à l’aumônier au lieu de discuter avec un aîné, allez à la chapelle au lieu du cercle de la parole. Chaque fois que vous essayez de faire
quelque chose sur le plan spirituel ou selon vos méthodes traditionnelles, c’est pratiquement impossible [traduction] (p. 105).
Depuis la publication du rapport de la CVR, on a assisté à une mobilisation constante au sein des institutions, des organisations et des gouvernements pour répondre aux appels à l’action qu’il contient et progresser vers la réconciliation. Ces gestes soulèvent toutefois une question : qu’arriverait-il si on faisait preuve du même empressement pour mettre un terme aux injustices actuelles dans le système de justice pénale dont les Autochtones sont victimes? À quoi ressemblerait la réconciliation dans un tel contexte? La revitalisation des systèmes juridiques autochtones en ferait-elle partie?
Quoi qu’il en soit, les pratiques prometteuses en matière d’initiatives et de solutions de rechange à l’emprisonnement pour les Autochtones contenues dans le présent rapport ne sont qu’un début. Des changements systémiques sont nécessaires pour appuyer les systèmes de justice dirigés par des Autochtones. L’orientation de cette initiative doit émaner des communautés distinctes des Premières Nations, des Inuits et des Métis pour être dirigée par les structures communautaires, les lois et les principes juridiques qui leur sont propres (TRC, 2015b). Et surtout, il est important que ces systèmes soient soutenus afin de fonctionner distinctement du colonialisme qui a eu des effets destructeurs et des racines historiques des systèmes actuels de justice pénale.
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ANNEXE A
Principaux termes et définitions dans le contexte de ce rapport
Système de justice pénale canadien
Comporte quatre grandes composantes : lois, application des lois, tribunaux et système correctionnel. Le terme système de justice pénale fait appel à une terminologie pragmatique et découle du terme système pénal et vise à reconnaître l’absence de justice pour les populations autochtones dans le système judiciaire actuel (Tétrault-Provencher, 2023). Les principaux objets d’intervention de ce rapport sont Service correctionnel Canada (SCC) et les établissements correctionnels pour adultes provinciaux et territoriaux.
Programmes communautaires substitutifs à l’emprisonnement
Solutions de rechange à l’incarcération et aux peines d’emprisonnement offertes à l’extérieur de SCC et des établissements correctionnels pour adultes provinciaux et territoriaux. Ces programmes peuvent être offerts par les communautés de Premières Nations, inuites ou métisses.
Communautés autochtones
Désigne les communautés au sens large et comprend des groupes distincts de peuples des Premières Nations, des Inuits ou des Métis habitant dans des zones géographiques particulières et partageant des caractéristiques, des attitudes, des intérêts ou des objectifs communs notamment l’appartenance à une même nation ou les mêmes réseaux de soutien en milieu urbain ou rural ou dans les régions éloignées ou du Nord canadien.
Désincarcération des Autochtones
Efforts déployés en vue de retirer du système de justice pénale du Canada les Autochtones condamnés à des peines d’emprisonnement ou d’en réduire le nombre. La désincarcération fait notamment appel à des programmes communautaires substitutifs à l’incarcération.
Acteurs du monde juridique
Juges, procureurs de la Couronne, avocats de la défense et autres représentants participants aux procédures dans le système de justice pénale.
Santé de la population
Étude des modèles et des résultats de santé des populations influencés par des facteurs sociétaux, environnementaux et liés au système de santé; se concentre sur l’amélioration de la santé de la population dans son ensemble et sur la prise en charge des inégalités en matière de santé subies par certains groupes (Diez Roux, 2016).
Santé publique
Mesures visant à optimiser la santé et le bien-être des populations grâce à une prestation de services individualisée en se concentrant sur la prévention de la maladie, des affections et des blessures, ainsi que sur la protection et la promotion de la santé (Canadian Public Health Association, n.d.; Diez Roux, 2016).
ANNEXE B
Population des établissements fédéraux
Population des établissements correctionnels fédéraux par type de sentence (en détention ou à purger dans la collectivité), par sexe et par identité autochtone ou non (données provenant de Sécurité publique Canada [2023], tableau C16).
Hommes
autochtones
2017-18
2018-19
Derrière les barreaux : la surincarcération des autochtones dans le système de justice pénale canadien, ses conséquences sur la santé et les possibilités de décarcération