TOQUÉS DE CUISINE
I l'
e I
ESP.
TOQUÉS DE CUISINE
Sous le toit du JOSEAN AllJA, lE CHEF ÉTOllÉ ET CONTEMPORAIN DE BilBAO, TEXTES
: JACOUES
BALLARIN
-
PHDTDS
ESPAGN E
•
DU RESTAURANT GASTRONOMIQUE DU MUSÉE D'ART MODERNE PRIVllÉGIE lA CRÉATIVITÉ SANS GOMMER lA MÉMOIRE
CLAUDE
PETIT
E
tout gouter, malgré son faible appétit. Cette exigence familiale ne I'a pas détourné de la cuisine, « le bonheur du nfant, Josean avaitproduit obligation de repas partagé Alija et du transformé », mais Josean, qui a aujourd'hui 34 ans, reste un petit mangeur. Sa cuisine, minimaliste et visuelle - il ne charge pas I'assiette et soigne la présentation -, est le reflet de son histoire et de sa personnalité. Le chef vif et fin, qui n'a jamais quitté Bilbao et est au Guggenheim depuis quinze ans, n'a eu de cesse de lire, d'apprendre, d'essayer, de comparer. La rénovation de la cuisine basque, dont il a été le témoin, I'a convaincu que les racines qui nourrissent identité et patrimoine ne devaient pas etre un frein a I'envie d'innover, de surprendre, de revisiter. L'important était de trouver son style, sa syntaxe, d'affirmer sa signature. Illui fallait un terrain d'expression en accord avec son ambition : en juin 2011 le restaurant gastronomique qui cohabitait depuis I'inauguration du musée avec le bistro et la cafétéria a migré dans un lieu indépendant voulu et pensé par le jeune chef. L'étoile, dans le guide Michelin Espagne Portugal, est tombée trois mois apreso L'ASSIETTETELLE UN TABLEAU Le Guggenheim était le tremplin idéal. La gastronomie, ici, devait rimer avec la créativité et la prise de risque. L'assiette, cohérente avec le génie du musée, est a la hauteur de I'événement. Elle interpelle tel un tableau ou un objet d'art et se déguste dans la concentration. La connivence n'est pas immédiate, il faut appréhender I'échelonnement des gouts, des saveurs, des textures, comprendre le cheminement de la réflexion qui a abouti a la réali-
sation du plat. Josean Alija évite I'artifice et la sophistication ; le produit, meme détourné ou reconstruit, est audible. On est dans I'épure, pas dans I'abstraction ; dans le lisible, pas dans I'abscons ; dans le construit, pas dans I'assemblage. « Je veux donner le maximum de plaisir avec le minimum d'ingrédients », explique Josean. Ajoutant : « J'ai appris la cuisine d'intuition, je développe la cuisine de la science », avec le concours de la
« Je veux donner le maximum de plaisir avec le minimum d'ingrédients », explique Josean Alija technologie moderne. Et prévient : « Sans la matiere et le produit, la technique n'existe paso Traduisez que la technique est au service du produit et non I'inverse et que le gout commande. Ce qui n'exclut pas la recherche et I'expérimentation. Une petite équipe (5 personnes sur les 22 que compte la brigade) se consacre exclusivement a I'innovation et a la création. La meilleure démonstration »
de cette modernité bien comprise et dirigée est fournie par I'assiette, décalée et surprenante : le navet allongé cuit dans le lait et confit, associé a la noix de muscade et a des tranches fines de pancetta, a le beau role. Nous le découvrons d'une maniere inhabituelle, sorti de son usage courant, et le gout est encore meilleur. Ainsi en est-il de I'hultre, servie dans une soupe de ciboulette et citronnelle avec de la bourrache, comme pour la crevette blanche qui flotte dans une soupe d'orge, d'épinards et de whisky; ou encore ce turbot qui flirte avec une polenta de ma'ls naturel, une émulsion d'artichauts et du.miel de coriandre. Idem
SUDDUEST
GOURMANO
185
TOQUÉS DE CUISINE
ESPAGNE
Pour Josean Alija. la gastronomie au Guggenheim doit rimer avec la créativité et la prise de risque.
Sa cuisine, minimaliste et visueLLe- iLne charge pas L'assiette et soigne Laprésentation est le reflet de son histoire et de sa personnalité
pour I'oursin, accompagné de la pate au blé dur, du piment et de I'eucalyptus, qui reste le patron, et pour le ris de veau, a I'aise avec le chou et la moutarde. Josean, éveillé et travailleur, est un surdoué dans les arrangements des saveurs et I'union des textures, la marque du talent et de I'infalsifiable. Ni extravagant, ni arrogant -le mauvais penchant des chefs a I'ego surdimensionné- I1 sait s'éclipser quand le produit, par sa nature intrinseque, trouve son accomplissement en solo; ainsi du foie gras de canard, a la sensation soyeuse en bouche et au goCit absolu, servi tout bétement avec une pomme reinette au four ou du chocolat a I'état pur que titille un sablé piquant de massepain. Nous sommes dans une partition pensée, précise,
861
SUDOUESTGOURMANO
juste, osée le plus souvent. Le chef d'orchestre imprime le tempo, 17 personnes interpretent le solfege et les accords de chaque plat, dans le silence d'une cuisine ouverte, 00 la chanson, chaque fois, tombe juste, entre tradition et invention. Josean évite I'exces de sophistication (/'art, comme le disait La Bruyere, « gate quelquefois la nature en cherchant a la perfectionner »). CUISINE
HARMONIEUSE
ET GOURMANDE
Cuisiner c'est aussi, et peut-étre avant tout, unir matiere et mémoire laquelle reste toujours aux ordres du ca~ur. Par ses racines (il revendique son appartenance a la terre de Biscaye) et par son envie de rendre hommage a la cuisine basque, Josean Alija n'est pas dans la quéte obligée de mo-
/
E CmSINE
ESPAGNE
I.:absence de décoralion esl dans la logique du musée, ou « le paysage esl le plal o>. Sorli de son usage couranl,le goGI esl encore meilleur. Ainsi en esl-il de l'huilre, servie dans une soupe de ciboulette el cilronnelle avec de la bourrache.
SUD OUEST Gourmand
Prél a relever
le défi de réaliser
de Josean
Alija ? Relrouvez
ó combien
minulieuses.
a présenter
vous-meme
qui vous meneronl l'huilre,
et son bouillon de ciboulette
dernité ; il ne fait pas fi du passé, il pro pose une version neuve du terroir et des recettes emblématiques. La salle ou est mise en scéne cette cuisine harmonieuse et gourmande est neutre : une seule couleur, le blanc, les tables ne sont pas dressées, les assiettes sont déposées au fil de la dégustation par des serveuses et des serveurs détendus et policés. Quand vous interrogez Josean Alija sur la dématérialisation de I'espace du restaurant, il vous répond que le musée est un espace nu que les ceuvres d'art remplissent de sens et de relief, que la gastronomie « est art et culture », que I'absence de décoration est dans la logique du musée, et que « le paysage est le plat », commente-t-il. O'ou la force de I'esthétique et du soin accordé au détail
une des recettes
en ligne les explicalions, sa bourrache
et citronnelle.
A vos toques!
dans la mise en scéne de I'assiette. De ce point de vue l'adéqL1ation est totale entre le génie du lieu et la beauté de la cuisine. Le paysage, c'est aussi la vue sur le fleuve Nervion (1) qui coule le long de la face arriére du Guggenheim, tournée vers I'université et la ville. Le toit du musée est au-dessus, les balcons le dévoilent, plongent sur I'araignée gigantesque et pacifique clouée au sol prés d'un lac artificiel. Le restaurant, on I'aura compris, est une destination qui permet de s'approprier un morceau du Guggenheim. (/)
J/
ti
dOllllé
le
110111 (ltl
restaurant,
Nerua (¡\'en-';oll l'11Ial11{lu>
hasljlw).
Retrotlvez nos adresses _ page 111.
SUDOUES¡ GOURMANO 187