PFE / De Paysage en Architecture - Énoncé critique

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PROJET-DE-FIN-D’ÉTUDES-----sous-la-direction-d’études-de-BENJAMIN-CHAVARDES D O M A I N E - D ’ É T U D E S - D E - M A S T E R - « - M AT É R I A L I T É - E N - P R O J E T- » s o u s - l a - d i r e c t i o n - d e - C H A N TA L L D U G AV E - & - W I L L I A M H H AY E T É C O L E - N AT I O N A L E - S U P É R I E U R E - D ' A R C H I T E C T U R E - D E - - LY O N é q u i p e - e n c a d r a n t e - : - - B E N J A M I N - C H AVA R D E S - - - C H A N TA L D D U G AV E W I L L I A M - H AY E T- - - C É C I L E R R É G N A U LT- - - W I L L I A M - VA S S A L

DE PAYSAGE ENLEARCHITECTURE PAYSAGE COMME PROJET URBAIN NICOLAS JULIEN

1. Énoncé critique



DE PAYSAGE ENLEARCHITECTURE PAYSAGE COMME PROJET URBAIN NICOLAS JULIEN

1. Énoncé critique


É C O L E N AT I O N A L E S U P É R I E U R E D ' A R C H I T E C T U R E D E LY O N © D E M « A R C H I T E C T U R E E T M AT É R I A L I T É » - 2 0 1 4 - 2 0 1 5 © NICOLAS JULIEN - AUTEUR © B E N J A M I N C H AVA R D E S - D I R E C T E U R D ’ É T U D E S D U P F E


DE PAYSAGE ENLEARCHITECTURE PAYSAGE COMME PROJET URBAIN NICOLAS JULIEN

1. Énoncé critique

PROJET DE FIN D’ÉTUDES s o u s l a d i r e c t i o n d ’ é t u d e s d e B E N J A M I N C H AVA R D E S D O M A I N E D ’ É T U D E S D E M A S T E R « M AT É R I A L I T É E N P R O J E T » s o u s l a d i r e c t i o n d e C H A N TA L D U G AV E e t W I L L I A M H AY E T É C O L E N AT I O N A L E S U P É R I E U R E D ' A R C H I T E C T U R E D E LY O N équipe encadrante : B E N J A M I N C H AVA R D E S C H A N TA L D U G AV E W I L L I A M H AY E T C E C I L E R E G N A U LT W I L L I A M VA S S A L



« Si la notion de paysage mérite d’être honorée, ce n’est pas seulement parce qu’elle se situe de façon exemplaire, à l’entrecroisement de la nature et de la culture, des hasards de la création et de l’univers et du travail des hommes, ce n’est pas seulement parce qu’elle vaut pour l’espace rural et pour l’espace urbain. C’est essentiellement parce qu’elle nous rappelle cette terre, la nôtre, que nos pays sont à regarder, à retrouver, qu’ils doivent s’accorder à notre chair, gorger nos sens, répondre de la façon la plus harmonieuse qui soit, à notre attente. » Pierre Sansot, 1983.



Énoncé critique 1 : Un équipement-territoire


AVANT-PROPOS


Q

u’entend-on par équipementterritoire ?

L’équipement, c’est l’œuvre

de la collectivité au service du public, l’uti-

C’est la nappe qui englobe la ville mais est aussi à l’image d’elle, conçue par l’homme : le paysage est avant tout une histoire humaine.

lité, le lieu de rencontre, de référence pour

Plaçons-nous dans un contexte urbain

le quartier, c’est le bâtiment universel,

dense, et regardons l’espace public qu’il

tant à la disposition du public que trans-

s’y trouve : c’est ce cas particulier du terri-

metteur de l’autorité collective. Choisir

toire qui sera étudié ici et dans le cadre du

l’équipement pour programme de projet

PFE2. L’espace public, ce paysage urbain,

de fin d’étude n’est pas anodin. En quelque

ce terrain de rencontres, sera le support

sorte, c’est s’attaquer au monument dans

de mon questionnement de départ :

la ville.

comment associer architecture et paysage

La ville mute depuis quelques décennies afin de panser les profondes blessures opérées durant les Trente Glorieuses. C’est maintenant l’économie de moyens qui dicte cette lente reconstruction, et le bon sens qui doit œuvrer pour considérer les multiples facettes que revêt la ville et requalifier, unifier sans homogénéiser l’espace public. Le territoire1, c’est l’univers, c’est l’entité qui rassemble la ville, ses espaces, la périphérie, la campagne : c’est le paysage. 1.   Giancarlo Di Carlo, 1997 : « Il faut penser le « petit » avec le « grand » et inversement. C’est pour cela que je propose à la réflexion cette idée que l’univers, c’est le territoire. Les villes, les banlieues les périphéries, les paysages sont des cas particuliers du territoire. Une telle approche oblige à redéfinir la notion de limite, de frontière. »

dans un seul projet, dans un ensemble entremêlé, où le dedans et le dehors n’ont de limite que l’enveloppe du bâtiment, mais sont chacun le prolongement de l’autre. Concrètement, cela renvoie aux questions du dessus, du dessous, de la perception et de la représentation d’un bâtiment hybride, entrouvert sur l’espace public et, lui-même, espace public. C’est l’occasion pour moi d’associer enfin une composante essentielle dans mon travail d’étudiant, qui sera certainement une source fondamentale dans ma pratique future : la dimension paysagère de l’aménagement. Dans le présent 2.  PFE : Projet de Fin d’Étude, qui sanctionne le diplôme d’État d’Architecte en fin de cursus master.

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travail, j’entends expliquer la pertinence d’une collaboration entre vision de paysagiste et vision d’architecte au plus bas niveau de la conception de l’espace. Architecte et paysagiste sont-ils si différents ? Abordent-ils chacun autrement le site de projet ? Sont-ils concepteurs d’espace antagonistes ou complémentaires ? En ville, parler de paysage invite à parler d’espace public. La notion d’équipement revient, de même, irrémédiablement à parler d’espace public. Dans ce cas, dedans et dehors ne sont qu’un, il convient de traiter les deux à fois : et pourquoi pas dans un seul projet ? Concevoir un équipement-territoire, ce serait cela : intégrer la fonction publique directement dans l’espace public. C’est ici l’occasion de saisir une opportunité : passer hors champ, et concevoir un programme d’architecture en tâchant de s’en saisir comme le ferait peut-être un paysagiste...

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SOMMAIRE AVANT-PROPOS

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SOMMAIRE

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INTRODUCTION

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Nature/Environnement/Paysage L’architecte et le paysagiste Du bâtiment au territoire (et vice-versa)

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CHAPITRE 1

PAYSAGE, VILLE, ESPACE PUBLIC

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Paysage en ville : la place, le jardin, le boulevard, le parc L’urbanisme de l’équipement Renouveau de l’espace public en ville Théorie du paysage moderne Planification du paysage

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CHAPITRE 2

LA VILLE SYNTHÈSE

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Renier « l’espace vert » de la ville moderne L’édifice public dans la cité L’espace public continu ou l’essence démocratique Vers une politique du paysage Mettre en scène l’aménagement Du territoire au lieu ou la redécouverte de l’espace public

59 63 67 71 75 83

CHAPITRE 3

OPTIMISATION

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Densifier et hybrider L’espace singulier ou l’art du paysage La nouvelle donne de l’équipement Pour une architecture du paysage

91 95 105 109

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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INTRODUCTION

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Nature/Environnement/Paysage Dans l’imaginaire collectif, on oppose assez régulièrement les mots architecture et paysage, comme l’un relevant du fait de l’homme, l’autre issu de la nature ; comme si l’un provenait uniquement de l’ouvrage, tandis que l’autre aspirait à une idée d’environnement naturel, résultat de l’évolution spontanée de la géologie et de la biologie, ou bien encore la composition de végétaux formant décor. Cette opposition entre architecture et paysage, de même cette définition un peu floue du paysage sont pourtant bien réductrices et si elles perdurent encore, semblent manquer de fondement. Cette idée reçue du paysage provient probablement de l’évocation de paysage en peinture. Rappelons que le terme de paysage est apparu dans les idiomes européens au tout début de la Renaissance et par la peinture. Le terme de paisage1 apparaît en Français au VIe siècle, par les peintres des BeauxArts qui s’adonnent pour la première fois alors à figurer en tant que sujet principal des vues sur les régions rurales, des repré-

1.  « Paisage », puis « paysage » : 1549, vue d’ensemble, qu’offre la nature, d’une étendue de pays, d’une région (Littré). En Europe occidentale, le terme Landskap (Landchap aujourd’hui) apparaît en 1462 en Hollande, et est suivi par paisaggem en 1548 au Portugal, paysage en 1549 en France, paesaggio en Italie en 1552, Landscape ou Lanskipe en Angleterre en 1598, Landschaft en Allemagne en 1502, paisaje en Espagne en 1708. (Luginbühl, 2009).

sentations picturales esthétisées des pays2 (montagnes, littoral, bois, marais, etc.). La peinture des paysages représente une idée d’environnement souvent idéalisé (le pittoresque, le sublime), qu’il soit vierge et naturel ou du fait de l’homme3. On admet alors, beaucoup plus récemment, la réalité d’un paysage urbain4 : cette acceptation s’appuie sur la ville d’architecture, c’est-à-dire qu’il est résultant de l’association des bâtiments qui composent la ville, et désigne à la fois l’image de la ville et les vides qui la composent, cernés par les 2.   Sont admis comme les premières représentations picturales de paysages en Occident deux petits tableaux sur bois attribués à Ambrogio Lorenzetti, « Château au bord d’un lac » et « Cité en bord de mer », peints en 1338. Ces représentations, ne faisant pas partie d’une composition plus vaste, figurent pour la première fois un paysage comme sujet principal, sans autre narration que la seule beauté de la scène et sans référence religieuse. Précédemment, l’art occidental est religieux et cantonné à des représentations de scènes bibliques, la nature ou l’environnement étant signifiés de manière symbolique. Dans la peinture européenne, le paysage acquiert ses lettres de noblesses en particulier grâce aux peintres hollandais et flamands du XVe et XVIe siècles, Dürer et Patinir en tête. L’art des paysages est cependant reconnu en Orient depuis la IVe siècle, et certaines représentations picturales représentant une forme de paysage ont été retrouvées en Turquie et datées à 6 500 ans avant JC. Pour approfondir, lire Alain Nadaï, « Degré zéro » : portée et limites de la théorie de l’« artialisation » dans la perspective d’une politique du paysage, 2004. 3.   Après plusieurs millénaires de colonisation et d’exploitation, les paysages réellement naturels, c’est-à-dire non modifiés par l’homme, sont en Europe et de surcroît en France devenus rarissimes. 4.   Le terme de «paysage urbain» semble apparaître pour la première fois en Français en 1892 dans L’Avertissement de Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. (Chenet-Faugeras, 1994)

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bâtiments. Le paysage urbain est à la fois le tableau en volume de la ville, ainsi que ses surfaces et recoins, le paysage semble donc être aussi l’espace public de la ville. Ainsi le paysage désigne-t-il le tout (le territoire de Di Carlo) autant que les parties qui le constituent, et cela nous renvoie à la question de l’échelle du paysage. Si l’on considère l’espace urbain comme un paysage, constitué lui-même de sousespaces et contenu dans un paysagetableau plus vaste encore, cela nous amène à constater la mise en abyme du paysage sur lui-même à mesure que l’on opère un grossissement. De ce point de vue, le paysage est fractal, multiple, et subordonné à l’échelle à laquelle on l’observe, à tel point qu’il est impossible d’affirmer de dimension de référence au paysage. De fait, l’on représentera en peinture autant les plaines d’une campagne infinie que le tableau idyllique d’une modeste clairière parcourue par un ruisseau, et ces deux scènes seront tour à tour désignées par le terme de paysage. Ainsi parle-t-on de paysage lointain capté par satellite autant que le paysage de l’insecte dans Microcosmos, et l’on différencie le grand paysage du paysage domestique, le paysage rural du paysage urbain, etc. Face à cette échelle extensible, l’homme a su se donner des repères pour conceptualiser cette idée de paysage, utilisant la référence du corps et des sens afin de le

rendre palpable et représentable. Ainsi a-t-il pu distinguer deux manières de paysage, l’une émanant de la représentation de ce qu’il voit à hauteur d’yeux, l’autre relevant du parcours et de ce que l’on vit dans l’espace. La première, à l’instar du paysagetableau, dépend éminemment d’un point de vue et de l’interprétation des éléments. Ce paysage de l’œil est celui de la peinture de Nicolas Poussin, c’est le paysage naturel que l’on admire ou dont on se méfie, mais que l’on regarde à distance. C’est aussi le paysage urbain, la topographie construite, la skyline ; c’est le paysage de l’hectare et du kilomètre. L’autre manière de paysage, c’est le paysage de la marche et du corps, le paysage vécu, spatial. Il relève de l’échelle compréhensive et volumétrique, l’échelle partagée avec l’architecte, à la mesure du pied et du mètre. Ces deux manières de paysage, précisons qu’elles découlent d’une attitude distincte vis-à-vis de ce paysage : le paysage de l’œil est un paysage préalable, naturel ou non, vert ou gris, il relève d’une attitude contemplative ; tandis que le paysage du corps est le paysage parcouru, saisi, construit, et relève d’une attitude active. Ajoutons à cela que la perception d’un paysage fait inévitablement intervenir subjectivité, interprétation, cognition, et l’on accède à la théorie de l’artialisation du paysage (Roger, 1997), qui distingue le paysage perçu dit in visu du paysage

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et le paysage acté et construit dit in situ5. Ainsi le paysage in situ relève de l’image et le paysage in situ consiste en l’acte de création pour advenir à cette image – par l’aménagement du site, l’édification d’un monument, l’installation d’œuvres d’art. Ainsi paysage in visu et in situ se nourrissent mutuellement par cette oscillation constante de l’une à l’autre. Il faut comprendre ici la nature profondément culturelle du paysage, qui relève de l’art et, de fait, indissociable de l’homme. C’est un spectacle, qui peut être donné ou créé, mais est en tous cas perçu et interprété. C’est ainsi que le paysage peut être une figure de nature, de pays, ou d’environnement, mais, jamais, ne saurait se confondre avec eux.

À chaque fonction une forme, et à chaque forme une profession, et tout roule dans la mécanique bien huilée de la machine à habiter. Pourtant, lorsque l’on entend les discours de préservation des paysages urbains, de hausse de la qualité de ville, et que l’on remet à plat le modèle fonctionnaliste des années passées, cette dichotomie qui persiste entre architecture et paysage devrait elle aussi être remise en cause. À vouloir d’un paysage urbain de qualité et d’espaces publics qualifiés, bâtiments et aménagements paysagers devraient être conçus de manière globale. Plusieurs auteurs6 on écrit en ce sens des manifestes pour une ville conçue par son paysage et une architecture soucieuse de celui-ci, mais force est de constater que peu d’architectes participent à ce débat-là.

L’architecte et le paysagiste Dans l’esprit commun, dans l’enseignement, dans les faits, il est d’usage de séparer architecture et paysage, si bien que pour la conception de l’espace urbain revient essentiellement à l’architecte d’une part – lorsqu’il s’agit de pleins – au paysagiste d’autre part – lorsqu’il s’agit de vides.

5.   Jean-Pierre Boutinet propose une lecture proche de celle d’Alain Roger, en différenciant paysage (image contemplative esthétique) et projet de paysage, «fabrique d’une image opérative esthétique» (Boutinet, 2002). Les termes diffèrent mais tous deux se rejoignent dans la définition double du paysage.

6.   Citons Alexandre Chemetoff (Fonder la ville de l’espace public, 1998) ; Christian Calenge (Retisser une ville : le paysage comme projet urbain ? 2001) ; Ariella Masboungi (Penser la ville par le paysage, 2002) ; Michel Corajoud (Le paysage : une expérience pour construire la ville, 2003) ; Frédéric Pousin (La création de paysage. Au risque de l’urbain, 1999) ; Michel Vernes (Du jardin de ville à la ville jardin, 1994), entre autres.

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À la différence de l’urbanisme, bien intégré dans l’enseignement à l’école7 d’architecture et identifiable dans ce qui a trait à la construction et à l’aménagement, le paysage souffre en revanche d’une sousreprésentation et par là d’un manque de compréhension de la part des acteurs de la construction, architectes en tête. Expérience à l’école, quel serait le nombre d’étudiants en architecture capables d’offrir une définition convaincante du paysage et de son rapport à l’architecture ? Et pourtant, l’étudiant en école de paysage, à l’image de l’étudiant en architecture, se forme essentiellement dans la pratique du projet8. Et de surcroît, la pratique elle-même, du paysagiste9 à l’architecte, diffère peu dans son rôle de concepteur d’espace. Peut-être se heurte-t-on, comme pour la définition de paysage, à la difficulté de représentation de la profession de paysagiste. On remarque en effet le problème de dénomination et de définition claires de celui qui a en charge de concevoir les 7.   Comprenons « ici à l’école de Lyon », dans laquelle j’ai suivi mes études en architecture. L’on ne saurait généraliser cette tendance à l’ensemble des établissements d’enseignement, mais s’il est permis de spéculer sur le contenu des programmes en écoles d’architecture, comme étant le reflet des politiques menées en France, la sous-représentation d’une politique du paysage face à celles de l’architecture et à l’urbanisme laisse imaginer le travail encore à faire pour intégrer les questions du paysage dans les études d’architecture. 8.   Lire Monique Toublanc, Paysages en herbe, 2004. 9.  Précisons que l’on évoquera par le terme paysagiste le maître d’œuvre des aménagements paysagers, ou paysagiste-concepteur, qui exerce en agence à la manière d’un architecte, et non le paysagiste-entrepreneur, généralement associé à l’entreprise d’espaces verts et en charge de la réalisation des aménagements.

espaces extérieurs. En France, le terme de paysagiste semble trop vague puisqu’il inclut à la fois les professionnels concepteurs et les constructeurs (l’entreprise d’aménagement). Ainsi entend-on parfois la qualité de paysagiste-concepteur, par opposition au paysagiste-entrepreneur. Le terme d’architecte-paysagiste est quant à lui la traduction littérale du lanscape-architect anglo-saxon, mais pose un problème légal (compte-tenu de la protection du titre d’architecte en France) en même temps qu’il manque d’intelligibilité. C’est pourtant le titre défendu par la Fédération Française du Paysage. L’école de Versailles, ainsi que les écoles du paysage de Marseille, Bordeaux ou Lille, formait des paysagistes diplômés par le Gouvernement ou dplg, devenus cette année paysagiste diplômés d’État10. D’autres encore conduisent au diplôme d’ingénieur du paysage... Par ailleurs, certains concepteurs du paysage préfèrent se désigner modestement jardiniers, nom évocateur mais sans doute peu représentatif lorsque ceux-ci ne planteront bien peu de végétaux de leurs propres mains, ou trop restrictif en n’évoquant pas les matériaux et aménagements qui accompagnent, voire supplantent les végétaux dans certains projets paysagers.

10.  À la rentrée 2014, les écoles du paysage harmonisent les cursus qu’elles proposent avec le cycle licence-master-doctorat européen (bac +3, +5, +8), À partir de 2018, ENSAP Lille, l’ENSAP Bordeaux et l’ENSP Versailles-Marseille délivreront le Diplôme de Paysagiste d’État harmonisé.

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L’on en revient alors au terme de paysagiste, inventé au XVIIe siècle pour designer le peintre maîtrisant la composition des paysages. Bien que parfois mal interprété dans l’esprit commun, le mot et, derrière lui la métaphore du peintre qui compose la toile, demeurent finalement assez à propos. Ceci dit, sans que de terme véritablement précis et évident puisse encore désigner spécifiquement le professionnel concepteur d’aménagements paysagers, il n’en reste pas moins que le paysagiste se différencie essentiellement de l’architecte par sa qualité de concepteur d’espaces sans toit, sans peau et quelque part, sans limite. Dans le cas d’aménagements urbains, architecte et paysagiste se distinguent uniquement par la limite apposée entre intérieur et extérieur : le mur, le toit, le verre, le garde-corps, le seuil. Et en effet, il suffit d’observer le nombre d’architectes œuvrant comme concepteurs d’aménagements paysagers pour constater que les moyens de réflexion, de représentation, de communication sont sensiblement les mêmes pour concevoir l’espace habité de la ville, qu’il soit couvert ou non. Ôtés les préjugés de caste, pourvu qu’ils assimilent les matériaux propres et comprennent les rouages spécifiques du dedans et du dehors, architecte et paysagiste ne parviendraient-ils pas, au fond, à se confondre en tant que concepteurs d’espace ?

Du bâtiment au territoire (et vice-versa) Après les blessures des Trente Glorieuses, il a fallu repenser le mode de conception des villes. La surconsommation d’espaces, l’abandon de l’aménagement dans les junkspaces11 du fonctionnalisme, la prééminence des réseaux sur l’espace public ont sensiblement marqué les tissus urbains. Prenant conscience des nécessités de remettre à plat les modes de développement et de gestion de la ville, l’État français, à la fin des années 1970, s’est engagé en faveur d’une politique de paysage sur tout le territoire, et notamment à travers d’ambitieux projets pour le renouvellement des politiques urbaines. Le projet de paysage, défendu par de nombreux théoriciens, est progressivement devenu le médiateur des multiples interlocuteurs de l’aménagement. Il s’est imposé comme le processus le plus à même de repenser la ville sur des bases plus humaines. Après vingt ans de projets novateurs dans les métropoles françaises, les paysagistes ont su prouver la valeur du paysage comme l’outil capable de réenchanter les espaces de la ville. Il en passe par une méthodologie précise, continue entre les enjeux qui composent l’urbain, les échelles spatiales temporelles, de la reconnaissance des legs de l’histoire à la définition d’une morale de l’aménagement à l’égard des temps à venir.

11.  Rem Koolhaas, 2001. PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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Le projet de paysage est avant tout un travail de synthèse et la ville pourrait se transformer à cette image, dans l’objectif de conciliation entre toutes les problématiques, l’articulation des espaces et l’enrichissement des rapports des habitants à elle. Il est également un puissant outil de conception des espaces, en convoquant l’épaisseur des sites, la culture sociale et les arts pour proposer une vision riche du cadre de vie. Concevoir un équipement-territoire, c’est l’ambition de réunir architecture et paysage dans une forme de prototype : un hybride d’espace public et de bâtiment, où les limites seraient plus ténues entre ce qui est partie du bâtiment et ce qui est partie de l’aménagement de l’espace public. D’une certaine manière, il s’agit de considérer l’espace public de la ville comme la matière première de cette architecture, déformée et complétée par elle. Pour illustrer, ce pourrait être la montagne que la maison troglodyte colonise, pour à son tour créer le village : aménager un paysage dans un paysage. L’équipement, le bâtiment public, c’est avant tout la représentation des services de l’État mis à disposition des citoyens. Repenser le rapport de l’équipement à l’espace public, de l’État au citoyen, c’est en quelque sorte proposer des solutions pour repenser le mode d’exercice de la démocratie.

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DĂŠtail de La Tour de Babel, Pieter Bruegel, 1563.



CHAPITRE 1 PAYSAGE, VILLE, ESPACE PUBLIC

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Paysage en ville : la place, le jardin, le boulevard, le parc Selon le Dictionnaire d’Aménagement et d’Urbanisme (Choay, Merlin, 1998), « d’usage assez récent en urbanisme, la notion d’espace public n’y fait pas toujours l’objet d’une définition rigoureuse. [...] L’espace public est la partie du domaine public non bâtie affectée à des usages publics. [...] L’espace public permet de regrouper en un minimum de mots un maximum de lieux (rues, places boulevards, cours, quais, parvis, dalles, jardins, squares...) ». Sans confondre espace public et paysage, comme nous l’avons vu en introduction, il est possible d’identifier les espaces publics propices à l’aménagement paysager. Communément, on distingue quatre grandes formes d’aménagements paysagers dans l’espace public : la place, le jardin, le boulevard, le parc. Afin de préciser la nature et le contenu des ces espaces dans la ville occidentale, il convient d’établir une rapide description du cas français. Comme détaillé dans la suite, le propos de cette recherche reste cependant d’envisager les espaces sans distinction de types – qui amènerait irrémédiablement à une idée de zoning du paysage – mais bien de penser la ville comme espace continu.

romain, la place est un lieu de passage autant que lieu de halte pour le piéton. Vaste surface utilisée à des fins de commerce, de spectacles, de manifestations, la place est inséparable des usages de sociabilité et de citoyenneté en formant un lieu majeur de représentation publique. Formellement, c’est une surface minérale plane utilitaire, positionnée de manière stratégique dans la ville et avec la voirie afin d’en assurer l’accès, et qui dialogue avec un ou plusieurs équipements publics : elle met en scène l’architecture en permettant un recul sur l’édifice (église, mairie), assure un rôle fonctionnel d’accueil des visiteurs et de conduite des flux (gare), c’est aussi l’esplanade qui permet de voir et se montrer (le pavillon de la reine et du roi sur la place des Vosges à Paris, le balcon de l’hôtel de Ville). La place est traditionnellement dépourvue de végétaux, à l’exception d’arbres sur tronc assurant un rôle essentiellement fonctionnel de protection contre le soleil et les intempéries. Les arbres sont parfois pourvus d’un statut symbolique et spirituel, associé à des rites et coutumes anciennes : l’arbre est le symbole identitaire (enracinement) et protecteur (la solidité face au temps).

Le jardin public : la nature maîtrisée

La place : le plan libre La place publique est sans doute la plus ancienne forme urbaine qu’ait connu la ville. De l’espace entre le huttes au forum

En Europe, le jardin ouvert au public est une forme récente, apparue après le XVIIe siècle et dérivée des jardins d’agrément privés. Il

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puise ses racines dans le jardin persan12, clos, qui abrite un paysage idéalisé représentant le jardin d’Eden (un paradis sur terre). Pendant des siècles en Occident, la nature sauvage est synonyme de mystères et de dangers : l’homme construit des villes introverties pour s’en protéger.

au départ à la recherche, le jardin botanique ouvre progressivement ses portes au public qui peut le visiter comme il le fait dans les cabinets de curiosités (ancêtres des muséums d’Histoire naturelle). En France, le premier jardin botanique voit le jour en 1593 à Montpellier.

Le principe de jardin d’agrément, opposé au jardin de culture, arrive en Europe au XIVe siècle et prend son essor à la Renaissance, alors que se développe la peinture du paysage. Clos, maîtrisé, il est conçu au voisinage de riches demeures afin de mettre en valeur les architectures, offrir à voir les beautés de la nature et permettre l’introspection lorsqu’on le parcourt. Le jardin est également lieu d’art lorsqu’il devient jardin de sculptures, accueille musique ou théâtre...

Avec le déploiement des jardins à la française à la fin du XVIIe, le paysage construit des jardins arbore une dimension architecturale, faite de perspectives, de surfaces, de parois et de constructions géométriques. André Le Nôtre (1613-1700) pour les châteaux de Vaulx-le-Vicomte puis de Versailles notamment, introduit pour la première fois la planification des jardins. À l’aide de croquis, plans et axonométries, Le Nôtre revisite les codes de l’architecture et de l’urbanisme pour concevoir l’espace extérieur.

Au XVIe siècle en Italie, parallèlement au jardin d’agrément, la grande curiosité encyclopédique donne naissance au jardin botanique, basé sur le jardin de simples du Moyen-Âge ; il revêt une dimension scientifique et est rattaché aux universités. Destiné 12.   Les Jardins persans font référence à une tradition et à un style de conception de jardins qui a ses origines en Perse. Traditionnellement, de tels jardins étaient clos. Le mot persan (en langue Avestique) pour « espace fermé » était pairi-daeza qui s’est transmis dans la mythologie judéo-chrétienne sous le nom de paradis, le Jardin d’Éden. Son rôle était de procurer de la relaxation sous plusieurs formes : spirituelle et récréative. La façon selon laquelle le jardin est construit peut être très formelle (l’accent est mis sur la structure), sur un plan en croix, ou plus informelle (l’accent est mis sur les plantes). On estime que l’origine des jardins persans remonte à 4000 av. J.-C.

Durant le siècle des Lumières, on écrit les premières théories du paysage classique, balancé entre le paysage architecturé dit à la Française et le paysage pittoresque du jardin anglais qui reproduit des formes idéalisées de la nature13 (eau, topographie, massifs...). Le premier jardin public est ouvert en 1789 à Munich, sur un modèle anglais. En France, C’est la deuxième moitié du XIXe siècle qui verra se développer les premiers exemples de jardins et prome13.   À ce sujet, lire le premier texte théorique du Paysage en France : René-Louis de Girardin, De la composition des paysages, ou Des moyens d’embellir la nature autour des habitations, 1777.

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nades : Jean-Charles Alphand (1817-1891) et le baron Haussmann (1809-1891) à Paris en comprennent les avantages dans la ville, en permettant son aération et en apportant de sains espaces de récréation aux habitants. Après avoir créé le Service des promenades et plantations de la Ville de Paris, ils importent le modèle du square anglais14, conçoivent de larges avenues plantées et préservent de vastes espaces boisés aux abords de la ville pour créer les grands parcs. Comme le remarque Michel Vernes, « son effort d’adaptation au milieu urbain d’un art exercé jusque-là presque exclusivement dans les limites du domaine privé fait d’Alphand un précurseur de « l’urbanisme paysager » . Son art du paysage intègre des fonctions variées considérées jusqu’alors isolément, comme les arbres, les réverbères, la direction des eaux, la circulation routière. » (Vernes, 1994). Le square de centre-ville importé à la fin du XIXe siècle, circonscrit à un îlot d’habitation et intégré au réseau des voies de circulation, a cependant évolué vers la forme actuelle du jardin public, non nécessairement fermé, et généralement plus autonome. Ainsi selon Michel Péna, « aujourd’hui nous parlons de jardins publics et non plus de squares urbains tels que les concevait Alphand, c’est-à-dire clos par un portillon, très intégrés à l’intérieur d’un 14.   Le square est un modèle XVIIe siècle de jardin communautaire construit à l’emplacement d’immeubles démolis, circonscrit à un seul îlot et clôturé. L’usage y est réservé aux riverains, qui détiennent la clé du portillon. C’est donc une forme urbaine à mi-chemin entre espace privé et public.

système viaire, bâti ou non bâti, et occupant un terrain correspondant à l’emprise d’un îlot urbain construit. La morphologie du square, au sens haussmannien est un espace entouré de rues, très exposé à la ville et à ses nuisances. Cette notion, très datée historiquement, me paraît trop réductrice par rapport à celle de jardin public. Ainsi, la notion de square urbain, intermédiaire entre le trottoir et la rue, induit une consommation rapide de cet espace où l’on ne s’attarde, au contraire d’un jardin public qui intègre des valeurs plus riches, plus chaleureuses, plus sensibles, et qui me fait plus rêver qu’un square, davantage soumis à la fonctionnalité de la ville. » (Péna, 1995).

Le boulevard : la marche et le divertissement Le boulevard planté apparaît dès le XVIIe siècle à Paris15 où des promenades sont aménagées sur les tracés d’anciennes fortifications qui entourent la ville. On y accède à pieds, cheval ou voiture, le boulevard est ouvert à tous et le lieu de divertissements et de représentations aux beaux jours. Des troupes de théâtre et de saltimbanques s’y produisent, et l’on s’arrête pour se rafraîchir aux terrasses des premiers cafés-glaciers. Le genre du boulevard se développe particulièrement au XIXe siècle à Paris, où Georges Eugène Haussmann comprend l’intérêt de tels espaces pour la ville et en multiplie les exemples. Les larges

15.   Les premiers boulevards sont aménagés sous Louis XIV, à partir de 1670 (Werquin, Demangeon, 1990).

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avenues parisiennes, plantées et bordées de contre-allées en reprennent les grands principes : c’est un axe de circulation d’importance, largement arboré, mais qui supporte également de nombreux usages sociaux. Elles permettent en outre d’aérer la ville industrielle et polluée, dans la dynamique hygiéniste de cette époque.

ses grands parcs urbains (Central Park en 1858, New York) figure la conviction sociale de fournir aux citadins un environnement dans lequel la nature devait prévaloir.

le parc public : la nature recréée

Dans ces grands parcs, construits sur le modèle anglais, une nature idéalisée est produite de toute pièce. On y construit de petites collines entourant vallons et clairières, on alimente des pièces d’eau parfois très importantes en déviant des cours d’eau17, l’ingénierie la plus complexe est mise en œuvre pour créer un paysage totalement artificiel et refermé sur lui-même.

Le paysagiste américain Frederic Law Olmsted (1822-1903), en découvrant les promenades parisiennes soulignera16 leur capacité à faciliter le côtoiement des diverses catégories sociales, leurs bénéfices sur la santé publique et les effets climatiques. Il est véritablement le premier à poser les bases théoriques de la conception du paysage. L’approche naturaliste de

16.   « La promenade est une coutume sociale de grande importance dans toutes les villes d’Europe. C’est un rassemblement de plein air avec des salutations faciles, amicales, sans cérémonie, pour le plaisir de changer de lieu, de profiter de sons réjouissants et distrayants, d’avoir des vues variées, auquel peuvent participer sur la même base et en harmonie toutes les classes sociales. Il n’y a probablement pas d’habitude qui manifeste autant les avantages d’une communauté chrétienne, civilisée et démocratique, en contradiction avec les réunions de famille, clans, sectes ou castes. Il n’y en a pas de plus favorable à un gain de civilité, d’hygiène et de prospérité urbaine. Pour l’instant, la promenade n’a pas été réellement reconnue comme une institution à Chicago, mais il n’y pas de doute qu’une fois la promenade créée, l’habitude en deviendra populaire et bénéfique ». F. L. OLMSTED, à propos de la Riverside/Chiago Parkway (projet abandonné en 1930 suite à la crise financière de 1929). V. Post Ranney, Olmsted in Chicago, 1972.

En France, le parc des Buttes-Chaumond (Alphand, 1867) en est l’exemple le plus éloquent à Paris, et complète le réseau d’aménagements paysagers du système haussmanien.

Aux abords de la ville, les grands bois (Bois de Boulogne à Paris, parc de Lacroix-Laval ou Miribel-Jonage à Lyon, etc.) demeurent des lieux de promenades appréciés des citadins. Ils sont préservés par les pouvoirs publics pour leur qualité de poumon vert pour la ville, mais ne font pas l’objet d’aménagements d’importance ou de réflexion urbaine avant la fin des années 1970. La prise de conscience des limites de l’urbanisme fonctionnel fait intervenir à nouveau le parc comme une figure incontournable pour la ville. Dans les années 17.   Le lac de seize hectares du Parc de la Tête d’Or, ouvert en 1857 et l’œuvre des frères Denis et Eugène Bühler, est alimenté à l’origine par les eaux du Rhône qui coule à proximité, relevées par l’usine des Eaux de Grand Camp (actuelle salle de concerts le Transbordeur).

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1980, une politique d’État du paysage est menée et conduit à la réalisation de grands projets de paysage à Paris : le grand Parc de la Villette et l’Île Saint Germain à Issyles-Moulineaux18, suivis des parcs André Citroën, de Bercy, de la promenade plantée de la Bastille. Ces projets sont les laboratoires d’un renouvellement du paysage en France et marquent le retour au jardin public urbain comme composante spatiale et culturelle essentielle de la ville postmoderne. Historiquement objet de replis, enclave de nature au cœur ou aux abords des villes, les pouvoirs publics misent désormais sur le parc et le jardin pour devenir moteurs de la ville contemporaine.

De nouvelles formes de jardins Plus récemment en particulier depuis les années 1990, de nouvelles formes d’espaces publics sont aménagés dans les centre-villes. Ainsi, « aux grands espaces minéraux des places d’antan, on préfère aujourd’hui un type intermédiaire entre la place et le jardin, cumulant les usages d’un square, où l’on puisse

18.   Parc départemental de l’Île Saint Germain, inauguration 1re tranche 1980, conception Yves Deshayes, Thierry Bouchet ; Parc de La Villette, inauguration 1re tranche 1988, conception Bernard Tschumi ; Parc AndréCitroën, inauguration 1re tranche 1992, conception Allain Provost, Jean-Paul Viguier, Gilles Clément, Patrick Berger ; Promenade plantée de la Bastille, inauguration 1re tranche 1989, conception Philippe Mathieu, Jacques Vergely, Andreas Crist-Foroux ; Parc de Bercy, inauguration 1re tranche 1992, conception Marylène Ferrand, Jean-Pierre Feugas, Bernard Le Roy, Bernard Huet, Ian Le Caisne, Philippe Raguin.

s’asseoir au milieu d’une végétation, et ceux d’un espace public ouvert, traversé et non gardé. » Les exemples ne manquent pas en France et en Europe, où de nombreux projets s’emparent des fleuves et canaux, afin de rendre aux citadins l’accès à l’eau et aux vues. Ces espaces associent généralement lieux de plaisance et de distraction, bandes et îlots végétalisés, zones sportives et récréatives, et intègrent les préoccupations écologiques dans leur conception et leur mode de gestion. Ces nouveaux espaces renouvellement la forme du jardin public, en y intégrant la mobilité douce (piétons, cyclistes), formant de véritables « échangeurs urbains pour piétons », tel que les qualifie Jean-Pierre Charbonneau. Le parc linéaire, déroulé sur parfois plusieurs kilomètres, devient fédérateur pour l’urbanisme de la ville en ménageant un corridor paysager à travers elle.

L’urbanisme de l’équipement À la Renaissance, le ville moderne s’impose sur l’archaïsme du Moyen-Âge et son développement anarchique, en redécouvrant l’urbanisme. Venues d’Italie au XVIe siècle, les premières planifications urbaines depuis l’Antiquité hiérarchisent la ville entre grands équipements publics et voirie qui en forment l’armature, et l’immobilier, qui assure le remplissage.

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L’exemple du Paris haussmannien est l’aboutissement de cette pensée de la ville conçue autour de ses équipements. C’est entre ces équipements, affirmation de l’État, et l’espace public que la vie publique et la société s’organisent. La définition de l’espace public par Kant19 dès 1790, et le rapprochement entre l’espace public et la sphère publique par Habermas20 en 1960, démontrent en effet que le fait-même de la société organisée, de l’État à la citoyenneté, est l’espace public des équipements de la ville. L’urbanisme moderne est donc constitué autour des grandes fonctions et services d’État : en premier lieu les équipements de transports, qui assurent la connexion de la ville avec l’extérieur ; puis les équipements institutionnels, qui affirment le pouvoir public ; et les équipements culturels, qui donnent à voir les richesses de la ville. Ces équipements sont reliés entre eux par de larges avenues qui forment l’armature principale de la ville. Un maillage plus fin de rues et ruelles découpent les îlots, construits d’immeubles ou, ponctuellement, aménagés de petits jardins. Enfin de grands parcs entourent la ville et donnent aux citadins accès à une nature contrôlée.

19.   Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? 1790. 20.  Habermas, Jürgen, L’espace public : Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1960.

Renouveau de l’espace public en ville Avec le XXe siècle apparaissent les premières normes d’espaces verts par habitant21 en ville. Elle permettent l’étude et la comparaison des différents quartiers et la mise en évidence de manques dans certaines zones. Le jardin public apparaît alors comme « l’alternative hautement civilisée au débit de boisson » (Werquin, Demangeon, 2006) puisqu’on y pratique le sport et la promenade au lieu de s’enivrer ; il est donné aux adultes comme aux enfants et l’on y vient en famille. À la même époque, on imagine les projets utopiques de cités-jardins, théorisées par l’urbaniste britannique Ebenezer Howard (1850-1928) en 1898 et conçues de manière concentrique autour d’un parc central, mêlant habitations et nature22. Après la seconde Guerre Mondiale, on ouvre les premiers grands parcs publics périurbains aux habitants des agglomérations grandissantes, qui y trouvent de vastes étendues naturelles, des lieux de baignade ou de sport. Leur multiplication s’accentue avec l’expansion rapide des métropoles et des communes périurbaines,

21.   La circulaire ministérielle du 8 février 1973, qui définit les principes, les objectifs et les moyens réglementaires et fonciers d’une politique d’espaces verts est capitale car elle les consacre en tant qu’équipements structurants d’intérêt public. Elle fixe comme objectif la quantité d’espaces verts : 10 m2 par habitant en zone centrale et 25 m2 par habitant en zone périurbaine. Ces objectifs ont été repris comme norme par l’OMS aujourd’hui. 22.   Ebenezer Howard, Tomorrow - A peaceful path to real reform, 1898.

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qui font reculer d’autant les limites avec la campagne, traditionnellement rejointe par les citadins en fin de semaine pour les promenades dominicales. L’explosion de l’automobile après guerre force, dès 1960, à entreprendre de grands travaux pour décongestionner les centrevilles. L’hégémonie de la voiture apparaît en effet rapidement néfaste dans le rapport à la ville : l’urbaniste anglais Buchanan pointe ainsi le problème de la détérioration de la vie sociale dans les espaces publics des centre-villes, le lien entre la cannibalisation de l’espace urbain par la voiture et la diminution de la qualité de vie23. En réaction à cela, la première rue interdite à la voiture est inaugurée en 1970 à Copenhague, aux États-Unis sont créées les premières rues piétonnières commerciales. La multiplication de la voiture et les logiques de périurbanisation favorisent l’essor des parcs périurbains, aux dépens des petits jardins des centres qui voient leur fréquentation décroître fortement. De nombreux d’entre eux s’étiolent, mal aidés par une politique de la ville investissant uniquement dans les réseaux de communication et brillant par l’absence de programmation d’espaces verts dans les quartiers centraux. Barcelone est la première ville d’Europe à réagir de manière globale aux dérives fonctionnalistes. En 1981 elle lance un vaste programme de parcs, jardins, équipements

de proximité (Les cent projets pour transformer Barcelone, en prévision des Jeux Olympiques de 1992), destiné à réduire l’encombrement du centre, redonner de l’air à la ville et rendre sa place au piéton. Barcelone est restée à ce jour un laboratoire urbain exemplaire. Après 1980 et l’abandon du modèle des grands ensembles, l’îlot urbain réapparaît dans les préoccupations de régénération de la ville, accompagné du jardin comme composante essentielle. Le jardin autonome et enclos, de taille variée et accessible depuis la voirie publique devient incontournable dans les programmes de logements. Je jardin public quant à lui évolue vers une libre disposition des espaces, les pelouses sont accessibles, le mobilier s’enrichit et se diversifie. La variété et les fantaisies végétales, l’installation d’équipements de jeux, de sport, favorisent les activités de groupe et donnent une vocation nouvelle aux jardins. Dans une démarche environnementale et la nécessité de repenser la ville de manière durable, les grands projets s’appliquent à considérer et promouvoir les modes de déplacement alternatifs (modes dits actifs, transports en commun) pour réduire activement les effets de la voiture en ville et affirmer les volontés de ville plus saine. La promenade plantée redevient attrayante (promenade plantée de la Bastille, Bercy, 1988) ; la mise en œuvre de jardins aux lieux de jonction, nœuds entre circulations et aux abords des grands équipements

23.   Sir Colin Buchanan, Traffic in Towns, 1963. PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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(gares, musées) permet de lutter contre la banalité des lieux et restaure l’originalité et l’identité de ville en conquérant des territoires innovants. Les jardins minuscules, importés des ÉtatsUnis (« vest pocket garden », aménagés notamment à New York à la fin des années 1950) sont utilisés pour transformer une contrainte en avantage (par exemple en couverture d’un parking souterrain). Ces espaces réduits, à coût souvent élevé au mètre carré, parfois financés par des privés, sont le type spécifique des centre-villes où les surfaces non construites sont rares, et permettent aux municipalités de générer des espaces de qualité sans nécessiter de moyens considérables. Pour compenser les faiblesses de l’habitat ou de l’urbanisme et apporter une nouvelle histoire à certains quartiers, les jardins communautaires, délaissés après les années 1950, réapparaissent et se multiplient, accompagnés de collectifs d’habitants jardiniers. Ce modèle s’épanouit particulièrement dans des quartiers en recherche de liens sociaux, mais se développe aussi dans les quartiers soumis au phénomène de gentrification, dans une démarche écologique et de retour aux relations de proximité. Le désir de retrouver l’identité de la ville se concrétise par la recherche d’éléments historiques et symboliques. Le fleuve comme point d’émergence de la cité est ainsi remis en avant comme un couloir

écologique et social. Les cartographies de la ville se modifient et le réseau fluvial s’épaissit grâce à de grands travaux de reconquête des berges (Bordeaux, Paris, Nantes, Lyon...). Il reprend de l’importance face au réseau routier, prédominant dans les cartographies précédentes. L’imaginaire du fleuve, le décor et la vocation ludique de l’eau promeuvent la promenade et les activités de loisir, et l’eau est l’objet de nouveaux usages. Les canaux permettent de structurer ou fractionner l’espace, les miroirs d’eau mettent en scène et doublent les vues, les cascades permettent de masquer le bruit de la circulation, les fontaines accessibles de se rafraîchir en été. L’eau, lisse invite au repos et au calme, en cascade incite au dynamisme et marque le tempo du lieu. Le fleuve, autrefois utilitaire, puis délaissé au XXe siècle, retrouve aujourd’hui sa place comme composante vertébrale de l’espace public, et s’installe désormais au cœur des grands projets de ville. Dans une démarche similaire, des projets imprégnés historiquement s’installent dans des friches industrielles. Les grandes surfaces disponibles, proches du centre-ville, permettent la gestation de projets de grande envergure. Mêlant histoire propre de la ville et charge émotionnelle des habitants, la friche « paysagée » permet d’accéder au besoin de commémoration éprouvé par les habitants, tout avançant vers la ville nouvelle, postindustrielle. Des exemples remarquables ont pris place notamment dans des projets de restructuration de zones portuaires

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en Europe24, ainsi que plus récemment dans des friches industrielles reconverties en sanctuaires culturels et paysagers25. Nouvelles formes du paysage, les friches industrielles reconverties apportent une réponse écologique et économique à la recherche d’identité propre, de mise en avant de l’histoire et de l’image des villes par l’insertion de parcs paysagers à forte valeur ajoutée.

Adalberto Libera dans la villa Malaparte (1935), ces projets sont des expériences isolées et généralement le modèle du «jardin anglais sur-jardiné» (Latz, 2001) reste largement majoritaire. Les bases d’un mouvement international du paysage apparaissent avec le Californien Garret Eckbo qui décrit, dans l’ouvrage Landscape for Living (1950), la première explication claire et sans équivoque d’un paysage moderne. La théorie est fondée sur six grands principes :

Théorie du paysage moderne

• le rejet des styles historiques

La révolution de l’architecture moderne après les années 1920 met en évidence la faible évolution des théories du paysage. Le style des premiers jardins modernes s’inspire du cubisme, mais le mouvement reste trop confidentiel pour voir émerger un nouveau modèle capable de se propager. Le paysagisme européen ne produit pas d’équivalent aux avant-gardes architecturales et ne connaît pas d’évolution majeure avant les années 1950. L’École du Bauhaus n’a par exemple pas proposé d’enseignement du paysage. Si certains architectes modernes s’intéressent à la question du paysage, tels que Frank Llyod Wright et sa Fallingwater (Kauffmann House, 1934-37) en rendant maison et site inséparables, Le Corbusier et la maison Henfel (1934) ou

• le souci de l’espace et du motif

24.   On peut citer les projets pour le port de Rotterdam, de Saint-Nazaire, le nouveau quartier de la Confluence à Lyon ou le projet pour les chantiers navals de Cassis. 25.   Voir notamment l’incontournable Landschaftspark de Duisburg-Nord, Peter Latz + Partners, ouvert en 1994.

• les objectifs sociaux • l’abandon de l’axe • l’utilisation des plantes comme sculptures • l’interrelation étroite du jardin et de la maison dans le contexte de l’habitat individuel Les premières théories associant le paysage, l’écologie et l’urbanisme apparaissent et renouent avec l’engagement écologique du paysagisme, l’une des clés de son futur. Cette pensée moderne du paysage se développe aux États-Unis mais il faut attendre les années 1970 pour la voir passer outre-Atlantique. Le paysage européen est alors influencé par l’expressionnisme abstrait de Jackson Pollock, Barett Newman ou Milton Avery.

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À la suite des deux premières crises pétrolières, le début des années 1980 voit se développer la prise de conscience de la fragilité de la nature, et la réalité du paysage comme ressource limitée. Le développement durable commence à s’intégrer aux nouveaux paysages et à la nouvelle architecture dans une conception post-industrielle. L’apparition de modèles écartés de la culture fonctionnaliste permet aux architectes, ingénieurs et paysagistes de travailler avec des objectifs scientifiques et culturels communs (engagement postmoderne). La fin des années 1980 et le succès du Land Art venu des États-Unis, de l’Arte Povera italienne, ou de l’art de l’installation insufflent une nouvelle créativité au paysage européen. Le parc ou le jardin deviennent le support de toutes les formes d’art contemporain, et le minimalisme dans le jardin d’art tend à s’imposer. Dans la lignée de ces perceptions nouvelles, le paysage contemporain s’affirme après la prise de conscience du rôle mineur dans lequel un grand nombre des principes modernistes l’ont placé. Ne pouvant plus se résumer à des étendues engazonnées ponctuées de quelques arbres qui figent l’espace non construit, le paysage se renouvelle d’une manière plus humaine et apparaît comme le porte-étendard de préoccupations écologiques et économiques appliquées à l’espace public. Plus accessible et habitable, il a su regagner les

faveurs du grand public et a favorisé une incroyable créativité des professionnels. Une nouvelle génération de concepteurs, arrivée à maturité à la fin du XXe siècle a su renouveler les concepts et réaffirmer la profession qui manquait d’un discours étayé et partagé.

Planification du paysage La qualité de vie en ville, la qualité de la ville elle-même est une revendication majeure dans les préoccupations de tous les acteurs et usagers de l’espace public. Le terme de «qualité de ville» est employé régulièrement dans les discours et les images des politiques de la ville. Il semble être devenu une figure rhétorique indispensable et est assimilé à la recherche d’une harmonie urbaine, à l’embellissement des espaces et à la quête d’une vie quotidienne de qualité pour les habitants. Utilisé comme un label à atteindre, il révèle un espace public parfois mal adapté, peu mis en valeur, disposant d’une marge importante de progression. Le mouvement d’extension rapide des agglomérations durant les Trente Glorieuses perdure encore aujourd’hui, malgré le ralentissement démographique et la fin de l’exode rural. La quête d’un confort croissant, la dé-cohabitation des

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ménages, le désir d’isolement expliquent l’engouement pour l’habitat pavillonnaire, qui requiert à mesure qu’il se développe toujours plus d’espaces26.

re-concentration et à la remise en valeur des grandes formes urbaines, autant qu’à la requalification des espaces domestiques et quotidiens.

Pour la période allant de 1960 à 1990 et dans les 21 agglomérations françaises disposant d’une agence d’urbanisme, la densité moyenne a ainsi chuté de 58 à 38 habitants par kilomètre carré, soit une baisse de 40 %. La surface consommée par habitant a de même été multipliée par 2,3 en progressant de 160 mètres carrés en 1960 à 360 mètres carrés consommés par habitant27 en 1990. Les agglomérations se sont étendues sur un maillage peu dense, composé à ce jour de deux tiers d’espaces affectés aux surfaces minéralisées (immeubles, routes, parkings) et un tiers d’espaces dits verts28. Le dilemme aujourd’hui de la ville distendue incite aujourd’hui à la repenser en qualifiant précisément les espaces qui la composent. Cela présuppose à la

En réponse à cette nécessité de retisser la ville, les projets menés par les communes et communautés urbaines sont de plus en plus tournés vers le paysage. La mise en place des premières planifications du paysage, par l’élaboration de «plan vert», «plan lumière» «plan bleu», de «trame paysagère» dans les métropole traduit une volonté de redéfinir la ville à travers la composition de son espace public, pensé et géré non plus à l’échelle ponctuelle de chaque espace, mais bien de manière globale. L’homogénéisation du mobilier urbain, la mise en place de chartes du paysage et de nouveaux modes d’intervention permet à la fois d’unifier l’espace public en y affirmant une identité métropolitaine, mais également de renforcer le sentiment d’appartenance auprès des habitants.

26.   Vincent Fouchier, « Mesurer l’étalement urbain, la dédensification, le desserrement, différentes formes de gain d’espace en Île-de-France », 2000. 27.   Gérard Larcher, « Ville et campagne ensemble : actes du colloque sur les espaces périurbains », mars 1999. 28.   La circulaire du 8 février 1973 définit les espaces verts de manière très extensive : les parcs, jardins, squares, les plantations d’alignement et les arbres d’ornement intramuros, de même que les bois, les forêts, les espaces naturels et ruraux périurbains sont considérés comme des espaces verts (chlorophylliens). Ministère de l’agriculture, février 2004, L’occupation physique du territoire de 1992 à 2002 en chiffres – France métropolitaine ; enquête utilisation du territoire dite Teruti.

Aux côtés des grands projets d’urbanisme ou culturels, éclosent des projets paysagers ambitieux, mêlant parc public, espace de manifestations, terrains de sports et curiosités culturelles. L’aménagement de l’espace public prend une forme nouvelle, d’une part en laissant une large place au végétal, non plus comme élément structurant, mais comme matériau de composition de premier ordre ; d’autre part en permettant la multiplicité et la multiplication des usages. Les végétaux, portés à la même valeur que les matériaux minéraux

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de l’urbain, sont ainsi sélectionnés pour leur caractère spectaculaire, majestueux, coloré, doux, odorant... Ils permettent d’enrichir la relation du citadin à la ville, et naturellement de favoriser la générosité des usages. La qualité de l’espace public est perçue de prime abord par les matériaux utilisés, la richesse de la composition, et en second temps par la relation qui s’installe entre l’acteur du lieu et le lieu lui-même. L’installation d’équipements de sport, de jeux, d’initiation aux sens, d’informations, permettent de qualifier d’autant plus l’espace paysager, et non plus le réduire à la fonction de poumon vert ou de lieu de détente. On peut noter en ce sens que l’espace public en ville ne se veut plus de l’ordre du «paysage à voir» (Berque, 1995), occidental dans ses fondements, ou bien seulement du «paysage à vivre», mais bien un mixte des deux notions, capable d’inviter et d’affirmer l’usager dans un cadre séduisant. Le paysage intégré à la ville permet de concrétiser mieux que jamais les dynamiques de cohésion de la cité. En s’insérant entre les tracés de voirie, en générant des espaces librement accessibles et fondus dans l’urbain, le paysage prend de nouvelles formes et s’éloigne du square ou du parc urbain classiques, fermés par une haie et des grilles, espaces isolés au cœur de la ville. Le parc urbain se mêle à la voirie et intègre la notion d’étape dans les parcours des visiteurs, devient

le lieu d’usages multiples, voire l’articulation entre plusieurs éléments extérieurs (centres sociaux, culturels, crèches, écoles, gares, etc.). Il est pensé pour vivre avec la ville et ses habitants et accueille manifestations et évènements temporaires. Il permet alors une multitude d’actions : il se mue en salle de concert extérieure, devient galerie d’exposition de plein air, lieu d’expérimentation ou de découverte. La réalité de la ville en mouvement enfin assumée permet d’accorder le paysage et les lieux-mêmes du mouvement. Les voies de circulation ne se définissent plus seulement comme un réseau de conduites menant un point A à un point B, mais aussi et surtout comme l’ensemble des lieux par lesquels on découvre et l’on connaît la ville. À cela il faut ajouter la dimension piétonne comme l’état naturel de l’homme debout sur ses jambes, capable et nécessiteux d’apprécier l’environnement de sa mobilité. Cela explique l’engouement pour le paysage appliqué au parcours, et l’explosion de parcs linéaires. Le paysage s’applique aux parcours et envahit les voies de tramway, se développe en coulées vertes et voies piétonnes végétalisées, s’étend dans des parcs en longueur. La forme du jardin fermé et intimiste, inséré dans la densité construite, persiste néanmoins et se multiplie pour répondre à un besoin d’espaces verts de proximité, à deux pas du logement ou du lieu de travail. Ses dimensions parfois très modestes permettent de recentrer les coûts sur la

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qualité des matériaux et des finitions, la richesse de la composition et le choix des essences. La charge historique du lieu et le cadre permettent de générer un imaginaire exposé aux riverains, transmis par le biais de scénographies lumineuses, d’interventions artistiques ou de démarches écologiques ne nécessitant pas de moyens démesurés. La dimension culturelle ainsi appliquée au jardin apporte un attrait et une réponse supplémentaire pour lutter contre le cloisonnement, la ségrégation et la fragmentation de la ville. La question de la limite pour les jardins clos est traitée avec davantage de finesse : la rupture des espaces est formalisée par les seuils et les transitions. Reconnu pour ses fonctions esthétique, sociale, environnementale, écologique et symbolique29, le paysage en ville est un point clé des politiques urbaines pour les habitants, mais aussi pour des enjeux plus larges de rayonnement médiatique et économique. Support supplémentaire des activités culturelles de la ville, il permet de renforcer l’identité et de se démarquer en proposant des cadres d’évènements singuliers. La fête des Lumières à Lyon en est un excellent exemple. À l’origine déployée autour et sur les monuments urbains, elle a rapidement rejoint les jardins lyonnais, avec par exemple une multitude de projets disséminés sur les collines de Fourvière et de la Croix Rousse et leurs jardins récents.

29.   Stéphane Autran, « Les infrastructures vertes à l’épreuve des plans d’urbanisme », 2004.

De même, la mise en place de navettes fluviales ou la multiplication de visites de la ville par les voies cyclables sont l’aboutissement d’une rigueur et d’une continuité des espaces paysagers, conférant une image forte à la ville. L’approche de la création et de la gestion des espaces dans la ville s’en trouve modifiés, ainsi les aménageurs et les planificateurs « passent d’un système de régulation dans lequel l’interventionnisme des collectivités territoriales sous tutelle de l’État était de règle, à une approche plus flexible, où l’aménagement urbain devient le fait d’un complexe d’acteurs de jour en jour plus nombreux. [...] Cette mutation fondamentale fait passer l’évolution urbaine dans une aire de démocratisation sans précédent » (Girardin, 2001). Il faut comprendre là que le mode de création de l’espace public s’en trouve profondément bouleversé : d’un système de commande publique standardisée, puis de réalisation par les services techniques municipaux, l’aménagement des espaces publics s’est ouvert à de nombreux corps de métiers et à la participation des populations. La commande en passe désormais par la sollicitation de différents corps de professionnels (paysagistes, architectes, scénographes, éclairagistes, artistes, etc.) dans des concours qui privilégient la polyvalence et la multiplicité des solutions d’aménagements. D’autre part, la consultation des riverains, la publication de rapports d’avancement des projet et l’im-

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plication de la population dans des ateliers participatifs aspire à valoriser une synergie entre concepteur, aménageur et usager pour l’espace public. Cette dynamique, si elle est désormais bien ancrée dans la politiques des villes d’importance en France, reste toutefois marginale dans les communes périurbaines et rurales.

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TITRE qu'est-ce que c'est commentaire DĂŠtail du Nouveau Plan de Rome, Giambattista Nolli, 1748.



CHAPITRE 2 LA VILLE SYNTHÈSE

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Renier « l’espace vert » de la ville moderne La croissance exponentielle des villes à l’époque industrielle conduit à rationaliser le territoire urbain pour gérer son expansion et en diriger le développement. La révolution des transports de masse conduit à faire émerger un urbanisme des réseaux, où le transport, et non plus l’équipement, façonne et galvanise la ville. Ce principe fonde les bases de l’urbanisme fonctionnaliste du XXe siècle défendu par les Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne. Le transport et l’automobile en tête structurent la forme et les paysages urbains, et l’infrastructure détermine le concept de zonage des fonctions dans la ville. On croit alors que la spécialisation spatiale, permise par le transport individuel rapide et des réseaux efficaces, est la seule manière de rationaliser le tissu urbain. L’urbanisme fonctionnel s’applique à désimbriquer les fonctions («habiter, travailler, se divertir») et homogénéiser la ville par secteurs spécialisés. Cela conduit à la fragmentation des fonctions et des échelles territoriales : la sectorisation permet une concentration de fonctions identiques dans de grands ensembles (logements, cité administrative, cité hospitalière, judiciaire, universitaire, etc). L’urbanisme rationnel et aseptisé, où l’efficacité détermine tous les aménagements. Dans le même temps, il déstructure les relations sociales ancestrales et la hiérarchie des espaces, en promouvant la ville générique.

L’urbaniste et professeur Michael Trieb dénonce en 1979 pour l’association ICOMOS30 cette perte d’unité de la ville, et la modification du paysage urbain, qui résulte désormais de la seule juxtaposition, sans hiérarchie, de fonctions spécialisées. Il dénote une dégradation du «visage de la ville», par les processus de renouvellement rapides et peu qualifiés dans l’espace. Il apparaît que le meilleur fonctionnement des parties est privilégié, au détriment du bon fonctionnement et des conséquences sur l’ensemble. Cela provient de la prise en compte, dans la logique sectorielle, d’une seule problématique et de la réponse efficace à celle-ci sans aucune qualification de l’articulation (Ariella Massoungi, 1996). Dans ce modèle, l’espace public perd de sa valeur en devenant soit purement fonctionnel (gérer les flux, supporter des manifestations), soit résiduel face aux réseaux de communication. L’idée de paysage est alors totalement évacuée, la ville générique ne produisant qu’un paysage reproductible et sans composition. La hiérarchisation des réseaux routiers devenant la référence dans la ville, l’échelle du piéton disparaît au profit d’une perception de la ville depuis le poste de conduite. La singularisation des espaces extérieurs et la réflexion globale de l’espace public deviennent alors des processus marginaux.

30.   Trieb, 1979 : L’architecture de la ville et l’espace public, Momentum vol. 18-19, Icomos, pp. 25 à 30.

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À la fonction habiter, on associe la forme du logement standard composé en grands ensembles. Chaque fonction publique prend place dans une autre machine architecturale, et la fonction mal définie du paysage dans l’espace public passe également à la moulinette fonctionnaliste. Par conséquent, « la tendance techniciste et fonctionnelle minorise les dimensions esthétiques des paysages pour poser que l’espace doit être défini par la seule statistique des fonctions » (Chabason, 1994), et tout l’espace de divertissement extérieur, s’il n’est composé de béton et de bitume, se retrouve sous la dénomination d’«espace vert».

la nature » : l’entretien y est hebdomadaire et sévère, de telle sorte que cette parodie de nature n’en conserve que la couleur. Ce dépaysagement (Berque, 1991) est appliqué partout dans l’espace public, permettant d’absorber les nombreuses surfaces résiduelles (les junkspaces de Rem Koolhaas), en y appliquant partout le même traitement : l’engazonnement ou la simagrée d’aménagement. L’ambition utopique de l’espace vert, réduite à cet aride décorum, ne suffira pas à compenser le manque de fondement et de pensée du paysage à cette époque, de telle sorte qu’elle n’aura produit « que des territoires fragmentés et éclatés, voire chaotiques » (Donadieu).

L’espace vert, lisse, invariable et géométrique, remplace le tableau pittoresque des jardins traditionnels. L’«écrin de verdure» est vanté dans la conception des grands ensembles, mais consiste essentiellement en une idée anesthésiée et stérile de la nature. Les aplats de vert doivent suffire pour en apporter les bienfaits à proximité du lieu de vie, et consiste essentiellement en un engazonnement des surfaces, la plantation d’arbres sur tronc à espacement régulier et à la composition architecturée de massifs d’arbustes persistants et non florifères (Blanc, Cohen, Glatron, 2004), garantissant une égale apparence au mépris des saisons. « Le spectacle de l’espace vert devait suffire à fonder le rapport du citadin à

À l’issue de ce traitement de choc, la ville fonctionnaliste est alors définie par ses réseaux de transports d’une part et l’architecture de ses bâtiments d’autre part. Dans le cas de l’espace vert, ainsi que le fait remarque Alain Berque, « l’aménagement opérationnel a remodelé le territoire trente années durant. L’aménagement creusait un gouffre incompréhensible entre l’environnement factuel et le paysage sensible, parquant la nature à l’écart de l’homme » (Berque, 1995). L’espace public est alors résiduel et forme le non-lieu défini par Marc Augé, interchangeable et monotone. La ville fonctionnaliste a introduit un type de sousespace public non-anthropologique, sans identité et non appropriable.

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L’édifice public dans la cité Comme pour l’espace public et la dissolution de l’aménagement paysager dans l’espace vert, l’édifice, le bâtiment institutionnel, subit à la même époque une crise de représentation dans la ville. La production de masse et la standardisation de l’architecture par la préfabrication, la banalisation de trames constructives, afin de répondre à la demande du nombre, de l’urgence, du social (Munier, 1996), a conduit à écarter les aspects monumentaux et le rôle urbain de l’édifice, pour en provoquer la perte de la qualité de l’identité. Jalon de l’État, « borne de la démocratie » (Grumbach, 1996), le bâtiment public dans la cité subit « un appauvrissement sémantique [...] qui n’a d’égal que l’appauvrissement sémantique de la ville elle-même » (Choay, 1998). L’urbanisme du XIXe siècle avait attaché la plus grande importance à signifier la présence et la représentation de l’État dans chaque édifice par l’élaboration de modèles architecturaux identifiables et symboliques pour les écoles (écoles Ferry), gares, mairies, etc, et cela sur tout le terri-

toire31. La modernité a quant à elle effacé la spécificité d’image de tous les édifices de la fonction publique, au point qu’il est devenu parfois impossible de distinguer, à première vue, un collège d’un lycée ou d’une école (« le drame des collèges Pailleron », Brévan, 1996), d’un hôpital ou d’un bâtiment administratif. En outre, les gains de productivité ont permis d’accélérer la construction, mais « ce qui était gagné en rapidité d’exécution était presque toujours perdu en qualité. Il en résultait un décalage croissant entre la matière construite et les racines du site qui les accueille » (Girardin , 2001). Cette mise à distance du site et de ces spécificités étaient le résultat d’une technicisation des modalités de conception de la ville. La commande, l’aménagement, la planification ou la construction relevant d’administrations distinctes, de telle sorte que presque toujours, la maîtrise d’ouvrage urbaine était différente de la maîtrise d’ouvrage architecturale (Grumbach, 1996), a amené à concevoir la ville sans vision globale des articulations ville-architecturepaysage.

31.   Le cours Durand, mis en place à l’École Polytechnique au début du XIXe siècle, définit les codes architecturaux de tous les édifices d’État. « Il leur avait donné une espèce de guide, définissant un palais de justice, une mairie, une préfecture, un hôpital : le nombre de colonnes, la hauteur, le fronton, les proportions, le système d’articulation d’espace intérieur... une espèce de système génératif, de grammaire générative, qui permettait à tous les fonctionnaires de la réaliser quelque chose ayant le sens de participer à une œuvre commune et un système de représentation dont les écoles de la Troisième République sont l’un des grands fleurons.» (Grumbach, 1996). PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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Ce constat a amené à partir des années 1980 à revoir l’image du bâtiment public et à développer des formes d’architecturesobjets, complexes, voire décomplexées. Évoquons les courants du déconstrucutivisme, post-modernisme et autres architectures plurielles, qui rompent avec les critères du style international. Si elles ont été le contre-pied de la standardisation fonctionnaliste, ces architectures n’ont toutefois pas réussi à endiguer la crise de représentation décrite ci-avant. La ville générique a laissé place à un urbanisme de la collection d’objets architecturaux, suffisants et autonomes, mais peinant à entretenir des articulations et interrelations fortes et générer la cohésion du tissu urbain. Cette idée contient sans doute elle-même la clé de l’aménagement de l’espace urbain : penser le tout avant la partie, et conformer l’architecture aux attentes du contexte social, urbanistique, paysager, etc. Adolf Loos déclara « la vanité nerveuse, la vaine vanité qui pousse chaque architecte à faire autre chose que le voisin était inconnue des grands maîtres » (Loos, cité par Ségaud, 1996). Si l’on n’en est plus à définir et faire respecter les codes d’une hypothétique «bonne architecture», il est désormais nécessaire de comprendre que l’architecture, avant même son implantation sur le site, doit être partie prenante et nourrir le projet urbain, pensé et amont.

Autrement dit, l’exemple de la ville d’urbanisme niant le monument, ou bien la ville d’architecture niant le projet urbain, ont présenté leurs limites par le fait qu’ils négligeaient à la fois le contexte existant et le résultat sur la structure et l’image de la ville. En quelque sorte, pendant plusieurs décennies, la ville en a oublié son paysage.

L’espace public continu ou l’essence démocratique Sorti du modernisme, comment procéder pour rétablir structure et image de la ville ? Notons ici l’enjeu de réparation qui saille dans les métropoles françaises, quoique celle-ci soit déjà largement entamée depuis deux, voire trois décennies. Mais gardons aussi à l’esprit l’ambition de changer le regard et les méthodes de l’aménageur dans les communes de toutes tailles, soumis à une plus forte inertie urbanistique à mesure que la taille de la ville est modeste. Ainsi dans de nombreuses villes de moyennes et petite dimension, au contraire des métropoles les plus novatrices, les services de l’aménagement œuvrent encore selon des orientations très clairement asservies à la voirie et la logique de réseaux. Par ailleurs, rejetons le lieu commun du paysage « ambulancier de l’urbanisme moderne » (Marot, 1995), qui dénote un rapport de force et de temps inégal, les paysagistes ayant dû «prendre les trains en

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marche, rattraper les coups partis et tous les gestes infirmiers de la couture, de la réparation» (Marot). Si cet état de fait démontre que les paysagistes ont eu le mérite de rester pragmatiques (Donadieu, 1999) en s’accommodant des miettes qui leur ont été laissées, définir le paysage comme un moyen d’arranger l’urbanisme failli s’accompagne parfois d’une pénible condescendance envers la discipline. Préférons en revanche le principe de médiation (Donadieu) entre les arts de l’aménagement, que le paysage en tant que projet à part entière est sans doute à même d’accomplir, cela afin de penser un territoire plus cohérent. L’enjeu principal consiste désormais à retisser les liens perdus (sociaux, fonctionnels, paysagers), consolider la structure urbaine pour amener cohésion et lisibilité du territoire. À l’image de l’urbanisme qui a précédé la Modernité, il apparaît que l’équipement assure un rôle essentiel dans la charpente urbaine. Ainsi que l’affirme Antoine Grumbach, « fabriquer un bâtiment public c’est fabriquer un système générateur qui récupère et définit la ville ». Cela confère au bâtiment public une mission double : «servir ce pour quoi il a été fait, être plus intelligent dans son économie spatiale pour les services qu’il a à rendre, mais son autre responsabilité est aussi de fabriquer la ville, d’avoir une action sur la forme de la ville, le dispositif spatial qui va contribuer à faire la ville» (Grumbach, 1996). En d’autres termes, le bâtiment public est

aussi bien interne, dans les fonctions qu’il produit, que hors les murs ; il se prolonge dans l’espace public et le paysage urbain qu’il remet en cause. Il s’agit donc de réfléchir le territoire urbain comme un espace continu, de l’espace public extérieur à l’espace public intérieur des édifices. Le plan de Nolli pour la ville de Rome32 en est justement la plus exacte métaphore, représentant l’espace urbain à seulement deux valeurs : le grisé et le blanc, pour l’espace privé et l’espace public, peu importe qu’ils soient intérieurs ou à découvert. De la sorte, Giambattista Nolli supprime les circonvolutions et autres recoins parfois présents entre l’espace public de la rue ou la place et l’intériorité des édifices, pour recentrer les rapports entre domaines public et privé : il y a le territoire de ce qui est accessible au citoyen (l’habitant de la cité), et les espaces pochés qui ne le sont pas. Cette simplification des tissus constitutifs de la ville simplifie également sa compréhension et son appréhension, et donc la capacité de se l’approprier par les habitants. Cela nous ramène au régime fondamental de la cité, point de rencontre entre citoyens et État, le dialogue entre les deux instaurant l’espace public (la res publica). C’est bien là l’œuvre de la démocratie. L’espace public continu, le territoire contenant : comment ne pas déceler ici la définition expresse d’un paysage, le paysage 32.   Giambattista Nolli, Nuova Pianta di Roma, gravé et édité en 1748.

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urbain qui constitue l’expression flagrante de la ville lorsqu’on la parcourt ? On touche précisément là à cette atmosphère, cette chose sensible, mal définie et peu quantifiable, qui nous fait différencier sans équivoque Bordeaux de Strasbourg, Marseille de Montpellier, Clermont-Ferrand du Puyen-Velay, par les successions et formes d’espaces singulières, le caractère des façades et la localité des matériaux, l’imprégnation de l’histoire... C’est ce paysage urbain, le pittoresque du lieu, qu’il convient d’accompagner dans ses transformations afin qu’en émanent la cohérence et la lisibilité évoquée plus haut. Face aux écarts occasionnés par les décennies précédentes, le projet de paysage urbain apparaît être un outil puissant pour re-fonder l’urbanisme au plus près de sa vocation première. Reconnaissons derrière cela la recherche sociale et politique de qualité de ville, vantée unanimement dans tous les discours. Dans le projet de paysage, « la culture paysagiste a trouvé, à côté de ses missions traditionnelles – le décor de l’espace public urbain – une nouvelle opportunité, celle de participer en tant que processus de maîtrise du devenir spatial et social d’un territoire ; utopie déroutante, mais suffisamment réaliste pour avoir produit des résultats concrets » (Donadieu, 1999). Le paysage permet en effet par la succession d’espaces et l’aménagement de chaque morceau de l’espace public à travers un projet global d’en assurer finalement l’unité. Cette unité doit être planifiée

en intégrant chaque sous-partie de l’espace public (voirie, places, jardins, berges) comme élément participant d’une «scénographie généralisée» de la ville (ibid.). De la cohabitation de systèmes juxtaposés (réseau de voirie autoroutière et routière, voies de transport en commun, voies cyclables, places, jardins, parkings, bâtiments du service public, etc.) il convient de la sorte de gérer les nécessités de la ville (mobilité, services, logement, loisir, commerces, travail, etc.) sans sectoriser les fonctions, mais plutôt de les articuler dans un espace commun.

Vers une politique du paysage La modernité, brandissant la tabula rasa comme méthode pour accéder à l’espace absolu (Berque, 1995) de l’utopie fonctionnaliste, s’est rapidement heurtée à la résistance sociale lors de grands projets d’aménagement, notamment lorsque ceux-ci devaient impliquer la démolition massive de quartiers anciens. C’est ainsi que le quartier du Vieux-Lyon, devant être partiellement rasé pour la construction d’une autoroute, a été l’objet de vifs mouvements de protestation et est devenu le premier secteur sauvegardé de France en 1964. Cet événement démontre l’éclosion d’une conscience citoyenne et collective de la valeur patrimoniale des quartiers anciens et de l’existence de paysages urbains à défendre.

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C’est au cours des années 1970 que l’action publique a commencé à intégrer la question du paysage dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme. Face à la demande sociale croissante de qualité de vie en ville, devant les premières manifestations violentes de l’échec des grands ensembles33, parallèlement à l’émergence d’une pensée écologiste34, l’État français fonde les bases d’une première politique du paysage. La création, en 1976, de l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles35 formant au diplôme de paysagiste dplg reconnaît la légitimité du paysage comme discipline de recherche et de projet. L’établissement du projet paysage dans l’aménagement s’appuie notamment sur la reconnaissance du paysage comme un patrimoine (naturel ou urbain) ainsi que sur l’exceptionnelle fécondité d’une toute nouvelle génération de 33.   Les premières émeutes des banlieues en France ont lieu en 1979 dans le quartier de la Grappinière à Vaulxen-Velin et en 1981 dans le quartier des Minguettes à Vénissieux. Elles seront suivies dans les années suivantes d’un mouvement généralisé de protestation devant les conditions de vie dans les grands ensemble, puis à la reconnaissance du «problème des banlieues» à la fin des années 1980. 34.   Les deux premiers chocs pétroliers en 1973 et 1979 sont les dates importantes des premières recherches scientifiques et théoriques sur les dérives des Trente Glorieuses, notamment sur le climat et la santé. Si la pensée écologiste existe depuis bien plus longtemps, c’est à cette époque qu’elle fédère une partie des scientifiques internationaux qui publient les premiers rapports alarmants à ce sujet. 35.   L’ENSP de Versailles est créée à l’emplacement de l’ancienne École nationale d’Horticulture (déménagée à Angers) sur le site du Potager du Roi. L’ENSP forme aujourd’hui en 4 ans après bac + 2 les paysagistes dplg sur son site de Versailles ainsi que sur le campus de Marseille ouvert en 2006.

théoriciens, qui multiplient les publication sur la pensée et la réalisation d’un nouveau paysage. L’approche paysagère s’étaie et se définit peu à peu, et s’expose comme une réponse adaptée aux crises sociales, urbanistiques et environnementales de la fin du XXe siècle. En 1979, le Ministère de l’Environnement crée la Mission du Paysage, relayée en régions par les Conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE), puis par les parcs naturels régionaux et les directions départementales de l’équipement (DDE). La mission prévoit la prise en compte des paysages dans l’aménagement et la gestion du territoire, et sera synthétisée par l’instauration de la Loi Paysage en 1993, qui vise à protéger et mettre en valeur les paysages qu’ils soient naturels, urbains, ruraux, banals ou exceptionnels. L’instauration des politiques de concours reconnaît par ailleurs la profession des paysagistes en tant que concepteurs et débute par le lancement dans les années 1980 de grands projets de parcs parisiens (parc Sausset, parc de la Villette, jardin des Tuileries, puis de la Courneuve, parc André Citroën, entre autres). Les professionnels s’organisent à travers la création de la Fédération Française de Paysage en 1982 qui vise à promouvoir les ambitions du paysage en France et cadre l’exercice de la profession de concepteur du paysage. Enfin l’institution des Trophée du Paysage (1989) et Grand Prix du Paysage (1990) est le point

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d’orgue d’une politique qui reconnaît enfin le paysage parmi les professions de l’aménagement du territoire (architecture, urbanisme, ingénierie).

(ZPPAUP, AVAP) ainsi que dans les documents d’urbanisme (SCOT, POS, PLU), qui prévoient la prise en compte de l’insertion paysagère des nouvelles constructions. L’on en vient également à révéler l’intérêt de lieux que la Modernité avait étouffés (rivières bétonnées souterraines, berges des fleuves rendues inaccessibles, etc.) et la symbolique de l’eau devient un élément majeur dans les plans de paysage. Ces lieux deviennent des sources d’inspiration pour les projets urbains, invoquant le souvenir ou l’imaginaire afin d’établir une narration de la ville à travers son espace public.

La politique du paysage ainsi engagée se concrétise à deux niveaux : par les grands projets de création de nouveaux parcs urbains et périurbains, afin de répondre à la demande sociale de nature des citadins, et par la réalisation de projets urbains de paysage dans les plus grandes villes de France. En ville, la réalisation des plans de paysage s’appuie en particulier sur la reconnaissance de «lieux où sont exaltés les idéaux d’urbanité» (Donadieu). Il s’agit d’identifier dans le tissu urbain les trames qui constituent l’identité singulière de la ville, notamment en affirmant l’importance des centres anciens et en réhabilitant les lieux structurants de l’histoire, des symboles, de la culture sociale. Il est établi que les centres anciens et plus largement les figures architecturales et urbanistiques forment les paysages urbains qui fondent l’identité typique des villes. Ces paysages, ainsi que les aménagements des parcs et jardins anciens sont reconnus comme les fragments d’un patrimoine paysager, au même titre que les paysages ruraux et naturels. Cette reconnaissance se traduit notamment dans la Charte de Florence 198236, dans l’ajout de la dimension paysagère dans les secteurs sauvegardés

Ce processus d’exploration du territoire, par ses formes et son contenu, procède de l’analyse inventive qu’invoque Bernard Lassus37 pour donner du sens à l’aménagement urbain, et passer « du territoire au lieu » (Donadieu). Cette analyse de l’espace, tant cartographique que par la prospection sur site et la rencontre de ses dynamiques, vise à discerner les structures, les limites, les mécanismes sociaux du site pour réinventer un imaginaire et nourrir le projet urbain. Elle se révèle être un riche outil de connaissance de la ville, exposée aux habitants par le projet. Le travail conjoint d’historiens, paysagistes, sociologues, architectes, etc., dans ces études mène à la définition d’un substrat paysager (Donadieu) comme support des aménagements futurs.

36.   La Charte de Florence reconnaît la valeur patrimoniale des jardins historiques comme « une composition architecturale et végétale qui, du point de bue de l’histoire ou de l’art, présente un intérêt public ».

37.   Bernard Lassus, « L’analyse inventive et l’entité paysagère », 1989.

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Mettre en scène l’aménagement La mise au devant de la scène du projet de paysage comme moyen de renouvellement urbain intervient au moment où l’explosion du modèle pavillonnaire provoque un déplacement des populations des centre-villes vers les zones périurbaines. Ce phénomène s’accompagne de profondes transformations des quartiers centraux, par le changement d’activités d’anciens quartiers industriels ou le lancement de vastes opérations d’extension urbaine, qui conduisent à renouveler localement la gestion et la planification urbaines. Ce changement des politiques de la ville sollicitent notamment les valeurs environnementales pour définir des plans verts, réseaux verts, corridors naturels, ceintures et autres plans de paysage... À l’appel des élus, de paysagistes sont invités à réfléchir aux grandes directions à prendre, en cherchant grâce à des valeurs esthétiques de l’aménagement à produire une trame et les lieux d’un espace public de qualité. Le projet de paysage est convoqué pour procéder au réenchantement de la ville, à en augmenter l’attractivité et à résorber les points noirs de l’aménagement non qualifié. Des plans urbains sont réalisés, traitant de thématiques identifiées comme les enjeux essentiels de la lisibilité, la cohérence, du sentiment d’appartenance et l’identité, la qualité du cadre de vie dans la ville. On peut citer par exemple le mobilier urbain, la mise en lumière des monuments, les matériaux

employés dans les aménagements, la végétalisation des espaces publics, les modes de gestion par les services techniques, etc., comme autant de points d’entrée pour constituer une trame paysagère. Si l’espace public se concrétise dans de multiples dimensions, on reconnaît alors la capacité des plans et du projet de paysage à procéder à l’articulation intelligente de ces nombreux enjeux. Le paysage « apparaît comme un instrument efficace du dialogue politique sur l’aménagement, son emploi permet largement la discussion sur les objectifs et la manière d’aménager le territoire » (Bersani, Thaud, 2000). Le paysage endosse alors le rôle de médiation que mentionne Pierre Donadieu entre difficultés urbaines et ambitions politiques, sociales, architecturales, etc. Cette instauration du paysage médiateur consiste, après la réalisation de plans directeurs, à définir les occurrences d’une boîte à outils de l’aménagement et l’exploitation de l’espace public. Ainsi que le définit Alexandre Chemetoff, « au fond, le rôle de la restructuration des espaces publics n’est pas tant d’améliorer l’environnement, mais de rendre possible l’émergence d’une règle du jeu. [...] L’espace public, ce n’est pas un sol. C’est une règle, une règle de domanialité, un partage du territoire, la découpe d’un trait de propriété ; c’est aussi un volume, la colonne d’air au-dessus de l’espace public, et l’épaisseur de terre qui est en dessous... » (Chemetoff, 1998).

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En guise d’illustration à ces nouveaux modes de gestion et planification urbaines, l’agglomération de Lyon se présente comme l’exemple significatif d’une politique de l’aménagement rondement menée depuis vingt-cinq ans. Les successions politique et la répartition des pouvoirs entre municipalité et la Communauté de Commune (la Courly, devenue Grand Lyon) n’ont pas entravé la réalisation continue d’un projet de paysage solide précurseur à plus d’un titre. En 1989, Michel Noir, maire de Lyon et président de la Communauté urbaine (Courly), charge Henry Chabert de définir les bases d’une politique de remise en valeur des espaces publics de l’agglomération. À cette époque, Lyon est une ville au visage marqué par une autoroute urbaine qui coupe la ville de ses fleuves et divise des quartiers. L’échangeur de Perrache cloisonne le sud de la ville et de nombreuses places publiques sont utilisées pour le stationnement. Les quais du Rhône et de la Saône sont parcourus de voies express et sont occupés par des parkings. L’objectif pour Henry Chabert est d’imaginer comment réduire la place de la voiture en surface, en exploitant notamment les parcs de stationnement sous- terrains. Rapidement, 24 espaces publics sont réalisés sur la Presqu’île où des places et rues sont réaménagées. Parallèlement, la Communauté procède à la rénovation urbaine de plusieurs quartiers, dont on limitera ici la liste aux quartiers

centraux. Le Vieux Lyon fait l’objet d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) dès 1981 et lance le début de la complète restauration du quartier ancien, qui aboutit en 1998 à son classement au patrimoine mondial de l’Unesco. Les années 1990 sont les années de rénovation des arrondissements centraux de la Presqu’Île, puis du quartier des pentes et du plateau de la Croix-Rousse après sont classement en Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), qui se prolongera au début des années 2000 avec la rénovation des traboules et la réhabilitation par Alain Marguerit de la montée de la Grande Côte. Le projet de la Cité internationale, conçue par Renzo Piano dans sa partie architecturale et accompagnée par Michel Corajoud dans ses dimensions paysagères, est achevée en 2006 et forme l’extrémité nord du projet de Berges du Rhône, conçu par l’équipe In Situ/Jourda/ Coup d’éclat et achevé en 2007. À l’extrémité sud du tracé des berges, le parc de Gerland est aménagé par Michel Corajoud. Plus récemment, le quartier de Vaise a connu la première phase de sa rénovation, qui se poursuit aujourd’hui avec le projet des Rives de Saône. Aujourd’hui le quartier de Guillottière fait l’objet d’une importante action à travers les aménagements des îlots Mazagran. Pour l’élaboration de son projet de paysage, la Courly procède suivant une planification thématique : le plan bleu intègre les enjeux de reconquête des berges des deux fleuves ; le plan vert est consacré à la création et

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la revalorisation des espaces publics ; le plan Lumière s’appuie sur la tradition du 8 décembre pour penser l’éclairage des monuments à l’échelle de la ville ; le plan Presqu’île traite des problématiques propres au centre-ville. L’objectif est d’assurer une approche globale dans toutes les décisions relevant de l’espace public et constituer une maîtrise d’ouvrage unique, relevant à la fois de la municipalité et de la Communauté de Communes (Courly devenue Grand Lyon). Cela pose rapidement des difficultés en raison des compétences attribuées à chacune sur le territoire : la Courly est responsable des travaux de voirie, de signalisation, plantations d’alignement et de propreté urbaine, tandis que la ville de Lyon est chargée de l’éclairage public et des espaces verts. Des services «espaces publics» spécifiques sont créés à la Courly ; pour chaque opération, un responsable unique conduit l’élaboration du programme et assure la coordination des intervenants. Il existe ainsi un seul maître d’ouvrage disposant de toutes les compétences, des conventions de délégation et des participations financières étant établies au cas par cas pour chaque opération38. Un groupe de pilotage « espaces publics », présidé par Henry Chabert rassemble tous les acteurs (élus, techniciens, associations) et valide les projets aux différentes phases de leur avancement. Afin

de les impliquer au maximum, on consulte régulièrement les habitants en leur présentant systématiquement les programmes et projets. Évolution majeure et alors que l’essentiel des aménagements étaient conçus et réalisés par les services techniques de la communauté urbaine, la Courly fait désormais appel à de nombreux acteurs extérieurs : paysagistes, architectes, urbanistes, designers et artistes sont sélectionnés sur concours pour garantir une forte valeur ajoutée et assurer la singularité des espaces de la ville. Dans un souci de durabilité des aménagements et dans une vision à moyen et long terme, une note de gestion prenant en compte le devenir et l’entretien des projets après leur réalisation est demandée aux concepteurs. La logique de pensée globale aboutit à la création d’un vocabulaire urbain nouveau. Un catalogue évolutif présentant revêtements de sols, mobiliers urbains, végétaux et intégrant un cahier des charges est élaboré pour conduire les projets de la Communauté urbaine, et proposé à titre indicatif pour les objets relevant des compétences communales. Un concours international est lancé en 1990 pour la création d’une ligne de mobilier urbain. L’architecte Jean-Michel Wilmotte est lauréat et conçoit les bancs de jardin et bancs urbains, les bornes, potelets, barrières et mâts, ainsi que les luminaires de la Communauté

38.   Détails tirés de l’ouvrage Aménager les espaces publics : le mobilier urbain, A. Boyer et E. Rojat-Lefebvre, 1994. PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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urbaine39. Il étudie notamment un modèle de mât multifonctions regroupant éclairage, signalétique et mobilier courant, dans une démarche de réflexion sur l’ensemble du mobilier urbain et la lutte contre l’encombrement de l’espace public. Une démarche identique est adoptée lorsqu’une autorisation par la Courly est rendue obligatoire pour toute nouvelle installation de mobilier, afin d’en maîtriser la prolifération et forcer la réflexion des communes. Une seconde forme de mobilier est lauréate, dessinée par le couple FrançoiseHélène Jourda et Gilles Perraudin. Figurant des lignes plus oniriques puisées dans les formes végétales, elle sera réservée aux lieux dont l’identité est à affirmer. Une démarche identique d’harmonisation est empruntée par le SYTRAL (Syndicat des Transports de Lyon) et Lyon Parc Auto qui redéfinissent leur signalétique pour renforcer l’identité de leur réseau. En 1999, durant le mandat de Gérard Collomb et dans la continuité des mandats précédents, la municipalité de Lyon met en œuvre un schéma directeur de végétalisation, de décoration paysagère et florale. Il a pour objectif la création d’une palette végétale propre à la Ville, de développer la diversité et la particularité des lieux en implantant des collections d’essences végétales spécifiques, de simplifier et réorganiser la

39.   Le mobilier Wilmotte est utilisé pour la première fois en 1992 dans le projet de la nouvelle place de la Bourse, singulière par sa densité végétale et l’utilisation d’arbres et arbustes en pots (conception Alexandre Chemetoff).

maintenance et l’entretien autour de principes écologiques et économiques. Gilles Clément et Patrick Berger sont invités à la réalisation du Plan de végétalisation, qui dresse un cahier des charges permettant de maîtriser dans le temps l’ensemble des actions de fleurissement de la ville. Faisant appel à des concepteurs internes ou extérieurs, le Plan de végétalisation doit permettre une approche simplifiant la gestion en utilisant des plantations mieux adaptées aux conditions de végétation dans la ville, un fleurissement plus durable dans le temps et de nouvelles pratiques horticoles qui limitent les interventions d’entretien (taille, désherbage, traitements phytosanitaires, arrosages, tontes, etc.). Par exemple, il promeut le développement de ligneux (arbres et arbustes), des vivaces et graminées nécessitant moins d’entretien que les variétés annuelles, et les bulbes associés aux surfaces herbacées ; il préconise l’utilisation de prairies fleuries à la place de pelouses dans les zones supportant la gestion extensive (grandes surfaces), et permet de mieux maîtriser la demande en matière de fleurissement annuel en orientant les choix sur des plantes à coût de production plus économique. Le détail des actions menées par la Communauté urbaine de Lyon pourrait se poursuivre encore, mais il apparaît déjà la détermination qui a été employée à en requalifier l’espace public et le paysage. Il ressort également la nature pluridisci-

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plinaire des actions, menées transversalement afin d’aboutir à des cahiers des charges couvrant toutes les problématiques de l’aménagement de l’espace public.

Du territoire au lieu ou la redécouverte de l’espace public Par la force de synthèse qu’il propose, le projet de paysage se révèle être un puissant outil de connaissance du territoire. Il permet de répertorier et distinguer les composantes spatiales et visuelles autant que de révéler l’équilibre dynamique des espaces habités. L’étude et l’analyse permettent d’en revenir à l’essence de l’espace paysage, du paysage-tableau au paysage de l’homme, en résonnant dans la ville avec les visiteurs et habitants. « Le paysage est le symbole du groupe et des idéaux. Un territoire ne devient pays, lieu ou paysage que par la valeur symbolique qui lui confèrent les rites de propriété effectués par les membres d’un groupe social » (Conan, 1994). Il revient que le projet paysager, de l’étude à la réalisation, doit s’inscrire dans une démarche de communication et d’implication des populations. Ainsi « la reconnaissance de la valeur du paysage dicte une morale de l’aménagement » (Conan), dont découlent deux attitudes vis-à-vis du territoire de projet. Il s’agit de balancer deux approches résultant de l’analyse sensible des lieux, que l’on peut définir, premièrement, comme la sanctuarisation d’éléments d’un

paysage patrimonial – attitude protectionniste – et deuxièmement comme l’élaboration d’un projet qui dépasse la singularité des espaces et contraint l’aménagement dans une vision paysagère plus large. Sans tomber dans la réglementation et la conduite stricte de normes, cette seconde attitude s’attache à garantir la cohérence d’ensemble, par des principes de composition, de modes de gestion, de méthodologie de projet, à garantir l’évidence du tout et favoriser une démarche du composer avec (Girardin, 2001). Une fois concrétisée dans des projets d’aménagements, qu’ils soient paysagistes, architecturaux, ou des interventions artistiques, cette vision paysagère de la ville offre au public la redécouverte de son cadre de vie. La patrimonialisation des paysages historiques, mise en exécution par les rénovations urbaines, renoue avec l’essence historique des lieux et des habitants : elle permet, par l’évocation de souvenirs, de coutumes, et la mise en valeur des richesses de renforcer le sentiment d’appartenance et de fierté locale. Redorer l’image des formes historiques, qu’elles soient savantes ou vernaculaires, inscrit en outre le projet de ville en continuité avec elle-même. Il ne faudrait pas pour autant tomber dans l’excès de la protection, qui a tendance à figer une image de carte postale et à déconnecter les quartiers anciens touristiques des réalités et de la vie modernes. Ainsi le projet de paysage doit-il faire preuve de discernement entre ce qui est fédérateur ou précieux pour raconter

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l’histoire des lieux et des hommes – la narration de la ville – et ce qui est ancien mais insuffisamment riche pour s’inscrire dans cette histoire. Par ailleurs, l’insertion d’aménagements contemporains révélateurs de leur temps (et non des pastiches et reconstitutions pour la seule portée touristique) est l’unique garantie d’intégration de ces sites au projet de ville habitable – mais ces questions relèvent d’un autre débat. La seconde attitude, qui réalise la gestion paysagère en amont des aménagements, « [renoue] avec l’art de la composition urbaine et [envisage] les tracés qui sont de l’ordre du paysage avant d’être des rapports de composition de monument à monument ou de façade à façade » (Steinbach, 1984). Cela se matérialise notamment dans les actions de préverdissement, par opposition au paysage après-coup (Désormaux, 1999) et qui consistent à « paysager pour mettre en place une trame végétale qui soit suffisamment forte pour servir de réceptacle à une action d’urbanisation » (Désormaux). Cette posture semble particulièrement pertinente lors d’aménagement de nouveaux quartiers ou des fameuses zones d’aménagement concerté (ZAC), qu’il faudrait concevoir en étroite relation avec le tissu paysager environnant, et non comme une enclave flambant neuve retournée sur elle-même. Le paysage s’affirme également comme force régulatrice des projets de l’urbanisme ou de l’équipement, en orientant les

objectifs au delà de la seule réponse fonctionnelle et en intégrant plus volontiers la temporalité dans les stratégies spatiales. Le paysage construit en effet le reflet de l’histoire (la trace) autant que le manifeste des temps présents, et forme un engagement à l’égard des temps à venir (la morale de l’aménagement évoquée plus haut). C’est également un processus souple et modifiable, car focalisé sur les sens plus que la forme – la substance des lieux plus que leur fonction. Le matériau végétal, en tant que médium de l’expression paysagère, illustre parfaitement la durée nécessaire pour l’établissement d’un équilibre en perpétuel renouvellement. Témoigner du paysage comme processus évolutif et non fini, comme le théorise Gilles Clément lorsqu’il décrit le Jardin en mouvement40, c’est accepter que le modèle de base puisse être remis en cause, qu’il se transforme à mesure que la ville évolue. Le paysage de l’espace public se fait la métaphore de l’homme sensible, accordé à son milieu, perméable et expressif. Penser le paysage invite à produire une nouvelle relation à l’horizon, aux éléments, introduire la sensorialité des espaces et matériaux, exprimer l’épaisseur du lieu par la culture et l’art : faire le projet de paysage de la ville, c’est « garantir l’urbanité de l’espace public, c’est-à-dire sa capacité à attirer et à rassembler » (Donadieu, 1999).

40.   Gilles Clément, Le jardin en mouvement : De la Vallée au Champ, 1991. PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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DĂŠtail de Polyphon Gefasstes Weiss, Paul Klee, 1930.



CHAPITRE 3 OPTIMISATION

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Densifier et hybrider En 2014, les problèmes de surconsommation d’espace et l’étalement urbain des agglomérations françaises ne sont plus remis en doute. Les agglomérations grossissent par leur contours et des communes périphériques, de plus en plus éloignées, subissent le phénomène de rurbanisation, qui s’accompagne le plus souvent par la construction à perte de vue de lotissements de maisons individuelles. De la cité dortoir à la constitution d’edge cities41, les zones rurales situées dans l’aire d’influence des villes s’urbanisent. Cet urbanisme diffus est le résultat d’une politique incitative envers le modèle pavillonnaire depuis les années 1950, accentuée par un rejet du centre-ville pour le lieu de vie. L’accessibilité financière des terrains, la construction des réseaux de voies rapides desservant les zones les plus reculées et la révolution de la mobilité causée par l’automobile ont convaincu la classe moyenne, émergeant après les années 1960, de s’installer à la périphérie des villes. L’automobile permettant de réduire les distances, les agglomé-

41.   L’installation pour le logement d’un grand nombre d’habitants dans des communes à l’origine rurales, accompagnée progressivement par la création de pôles d’activité, de services et de commerces à proximité des habitations entraînent la constitution récente de nœuds urbains à distance de la ville d’origine. Ces edge cities sont les formes urbaines de la fin du XXe siècle engendrées par l’explosion du modèle pavillonnaire et de l’habitat diffus. À l’origine tournées vers le centre-ville, les périphéries parfois lointaines prennent peu à peu leur indépendance économique et sociale, l’urbanisation passant de la ville à la campagne.

rations ont rapidement vu leurs dimensions augmenter considérablement, et les centre-villes ont peu à peu perdu de leur population. Cette situation était vraie jusqu’à récemment, où le renouvellement actif des villes d’importance depuis une vingtaine d’années a permis d’enrayer la désertion des quartiers centraux et d’y redonner de l’intérêt. Cependant, l’urbanisation extensive des périphérie se poursuit avec beaucoup de virulence, généralement aux dépens de surfaces agricoles. Comment expliquer cet engouement toujours vif pour l’habitat en banlieues ? La raison première, qui a sans doute expliqué la première vague d’émigration des centres vers les périphéries, a été le malaise vécu dans les quartiers centraux fatigués et asphyxiés d’après-guerre. La démocratisation de l’automobile dans les années 1960 a alors permis de compenser la moindre accessibilité aux services qu’offraient à l’origine les communes périphériques, et de maintenir des temps de trajet domicile-travail supportables. L’équilibrage progressif des niveaux d’équipement (services publics, commerces, réseaux routiers, équipements culturels, etc.) a ensuite accéléré le mouvement à partir des années 1980. C’est enfin l’explosion des technologies de l’information et de la communication qui a consolidé la dynamique de rurbanisation et l’attraction des communes excentrées. La possibilité offerte au plus grand nombre de disposer

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d’un jardin, la proximité à des sites naturels et la garantie d’un mode de vie urbain à la campagne ont conforté le rêve du pavillon de banlieue dans la majorité des esprits. La construction massive de logements à la périphérie, l’échec des grands ensembles, l’inertie de renouvellement des quartiers urbains font cependant peser une pression très forte sur le logement en ville. Cette crise du logement et le prix élevé de l’immobilier génèrent, en parallèle à une rurbanisation de confort chez les classes moyennes et élevées, l’éloignement forcé de ménages n’ayant pas les moyens de vivre en ville ou à sa plus proche périphérie, et s’installent à des distances importantes pour disposer d’un logement abordable. À Paris, ce double mouvement d’éloignement volontaire ou subi vers les périphéries est particulièrement évident lorsque l’on constate qu’un habitant de région parisienne sur trois met plus de 45 minutes pour se rendre à son travail quotidiennement42. Cette dynamique d’expansion incontrôlée des aires urbaines se heurte aujourd’hui aux coûts économique (prix de l’énergie), écologique (pollution, réchauffement climatique, conséquences sur la santé), social (dépendance aux transports, coûts d’utilisation en hausse, temps de trajets) non soutenables à moyen terme. Il est ainsi urgent de renouveler le mode de développement urbain pour répondre aux enjeux d’économies tous horizons du XXIe siècle. 42.   Étude Randstad sur le temps de trajet domiciletravail en France, juin 2014.

Il s’agit en particulier de stopper l’étalement urbain, endiguer la construction pavillonnaire et densifier les aires urbaines existantes, notamment dans les villes centrales. En effet, spécialement dans un contexte de désindustrialisation qui libère de vastes emprises, il persiste une grande disponibilité foncière à proximité des quartiers centraux43 et les nombreux exemples internationaux de vies harmonieuses par de fortes densités de population prouvent qu’il est possible de faire la ville sur la ville, en densifiant l’habitat urbain. L’enjeu pour ces villes est donc de valoriser la densité et convaincre des atouts de la vie citadine, sous une forme réinventée, pour faire de l’ombre au modèle tenace du pavillon de banlieue. Dans cet objectif, quels sont les atouts à faire valoir pour un légitime retour à la ville et une densification des centres ? En premier lieu, il convient de reconnaître la proximité spatiale et la disponibilité des services (commerces, services publics, culture), leur variété et leur niveau d’excellence, permis par la logique du plus grand nombre et la possibilité, en particulier pour l’enseignement et l’offre culturelle, de proposer des filières éminentes ou de rayonnement international, ou à l’opposé de représentation très spécialisée ou confidentielle. Ces différentes structures profitent des savoir-faire et infrastructures 43.   Le cas de Paris faisant certainement exception, la pression immobilière intense ayant depuis longtemps urbanisé l’essentiel des emprises du centre de l’agglomération.

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disponibles uniquement dans les centres urbains, ainsi que des capacités de mobilité supérieures. Cela forme le second atout, à savoir l’accessibilité depuis les villes aux réseaux de communication principaux (avion, lignes à grande vitesse) qui relient aux multiples destinations auxquelles ouvre la mondialisation. Cette ouverture sur le monde est réalisée aussi par la disponibilité des technologies de pointe de la télécommunication, quoique l’offre devienne accessible dans les contrées de plus en plus reculées. La mobilité s’exprime aussi au niveau local, par le développement de l’offre et des prestations des réseaux de transports en commun. Le troisième atout de la ville, c’est l’épaisseur des lieux de vie (histoire, culture) et la qualité de l’aménagement de l’espace public, qui peuvent prévaloir de la plus faible dimension des espaces privés, en offrant une toute autre expérience au jour le jour. C’est bien à ce dernier point que l’on s’intéresse ici, et sur la manière dont le projet de paysage, décrit dans le chapitre précédent, peut permettre de réenchanter la ville. Il en passe par une dynamique double à insuffler, d’ordre fonctionnel d’une part, d’ordre qualitatif d’autre part. Il s’agit dans un premier temps de questionner la constitution de la ville et notamment l’espace public grâce au projet de paysage ; dans un second temps d’appuyer et renforcer la prin-

cipale qualité de la ville, à savoir la multiplicité et la disponibilité des fonctions. Sur ce second point, il est nécessaire de revenir de la logique de secteur, qui n’a fait qu’éclater les fonctions, éparpiller l’urbain et mettre en concurrence les espaces et les hommes (centres-périphéries, petits commercesgrandes surfaces, etc.). Au contraire, intégrons les fonctions, renforçons les services par la consolidation des équipements, et soutenons les dynamiques environnementales par l’extension de l’offre de transport en commun, et la préférence systématique des modes actifs sur l’automobile. Michel Corajoud regroupe sous le terme d’hybridation44 cette ambition de ville intégrée, et propose de faire collaborer l’architecture et le paysage, le bâtiment et l’espace public dans le projet commun. Cette hybridation, qui rejoint le principe de l’espace public continu énoncé plus haut, consiste à reconnaître l’interrelation et l’interdépendance des espaces les uns aux autres afin de donner du sens à l’aménagement des villes. Dans cette acceptation, le paysage comme mode de projet global est capable de nourrir directement l’architecture à travers sa capacité à articuler les espaces tout en mettant en exergue les singularités.

44.   Michel Corajoud : « Le paysage comme condition d’architecture » dans Le paysage, c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, 2010. PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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L’espace singulier ou l’art du paysage L’exemple de Lyon, comme celui de bien d’autres villes en France, démontre que la démarche de renouvellement est déjà bien engagée, par l’emploi de politiques du paysage urbain et de sa planification. On peut reconnaître aujourd’hui l’efficacité de telles politiques, qui ont contribué largement à renouveler les centre-villes et repenser la gestion urbaine par la concertation de tous les acteurs de l’aménagement autour d’un projet commun, et aussi par la réalisation de projets novateurs et fédérateurs. La question posée ici est alors : comment est-on passés de la planification à la conception des espaces localisés et quel chemin reste-t-il à parcourir pour approfondir encore le renouvellement urbain ? Une partie de la réponse se trouve sans doute dans le rapport d’intimité entre l’architecture et l’espace public. Les crises actuelles imposent le bon sens à tous les niveaux de l’aménagement, et plus largement le principe d’économie permet-il de recouvrir la plupart des enjeux actuels. Cela se traduit en premier lieu dans la mesure fine de l’insertion d’un ouvrage (aménagement ou bâtiment) dans le projet de paysage. Ainsi la morale de l’aménagement évoquée plus haut invitera à ne pas s’imposer et à renier l’objet pour l’objet, et privilégier les actions moins spectaculaires mais autrement plus riches en sens. Selon Michel Corajoud, « nous découvrons que la mesure, que la difficulté d’un projet sur l’espace n’est pas celle d’y mettre des choses,

mais le plus souvent, celle de ne pas le faire »45. Cet énoncé simple révèle la plus forte intransigeance dont le concepteur doit faire preuve pour éradiquer les amusements de faible portée qui accaparent beaucoup d’énergie pour ne produire en résultat que des effets de style ou de la décoration. On pourra reconnaître là une conception assez proche du mouvement moderne dans le projet, qui réhabilite l’intemporel less is more, à la différence près qu’il s’agit désormais, comme le souligne Augustin Berque46, de se concentrer sur la substance des choses et la véracité de leur signification, plutôt que sur leur valeur de fonctionnalité seule. Faire sens, nous l’avons déjà évoqué, peut se faire par la sollicitation du paysage et sa souplesse dans des contextes urbains constitués par la rigidité et la finitude (toute relative) des architectures. Il faut comprendre en cela le paysage comme lui-même un média en perpétuel renouvellement dont la dynamique se forme grâce à la spontanéité des végétaux (croissance, réactions au climat), leur entretien, leur éventuel replacement, ainsi que par les usages associés à l’espace public qui, par essence, évoluent au fil du monde. Constatons ici une responsabilité partagée entre le concepteur paysagiste et le gestionnaire, celle de prendre en compte le mouvement perpétuel des jardins, des places et 45.   Michel Corajoud, à propos du parc Sausset, dans Le paysage : une expérience pour construire la ville, 2003. 46.   Augustin Berque, Les raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse, 1995.

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des chemins, qu’il convient de prévoir et accompagner sans aller contre, et ne pas hésiter à questionner encore et encore afin qu’il correspondent aux réalités de leur temps. C’est bien là toute la difficulté du paysage : « tout ce qu’il considère est fuyant, gauche, indiscipliné, circonstanciel » (Corajoud, 2003), et le plus grand tort serait de le vouloir figer et de contraindre les forces qui l’animent. Parlons alors d’animation. Le paysage est vivant, humain, climatique : une multitude de forces l’animent, tout l’enjeu est de prendre possession de cette énergie du paysage, et d’en chorégraphier les effets à travers les espaces qu’il parcourt. Chorégraphier l’espace, c’est rechercher la synergie des lieux, l’articulation des différents espaces en convoquant un imaginaire commun, contenu dans un récit fondateur (Kalaora47, 1994), une métaphore pour le site (Briffaud48, 2002), pour « reconnaître ce que le paysage a toujours été, une production sociale » (Davodeau, 2007). Par le terme de production, comprenons un objet de culture, fondamentalement, en reconnaissance de celle existante à travers le lieux (par l’analyse inventive de Bernard Lassus), et par l’artialisation du territoire (Alain Roger), c’est-à-dire la mise en art de l’espace grâce au processus de paysage. Cela répond au fréquent besoin d’identité du territoire, et l’on convie le paysage afin de produire une image sensible du lieu, représentée dans la 47.   Bernard Kalaora, cité par Hervé Davodeau dans Éclairer la boîte noire du paysage, 2007. 48.  Ibid.

ville, accessible aux habitants et visiteurs. Ainsi, « le regard artistique peut être d’une grande utilité, dans la mesure où celui-ci peut faire accéder à la représentation un espace ordinaire, en révélant les qualités, en l’inscrivant dans un imaginaire partageable et, de la sorte, en le transformant en haut lieu » (Pousin, 2004). En procédant ainsi, le projet de paysage ambitionne constamment de valoriser les qualités du moindre espace afin d’en faire un espace de visibilité (Salles, 1998), et par là éradiquer les zones d’ombres de l’aménagement. Par cette idée de visibilité et de qualification systématique, grâce au projet sans doute, mais plus simplement par la considération permanente d’une valeur artistique en toute chose, on retrouve cette métaphore de l’espace public continu, uni par un même niveau de considération et une exigence de sens en tout point. La continuité doit être considérée dans l’espace, mais a fortiori dans le temps : le projet de paysage, par l’analyse, la déduction, se comporte à la manière d’un état des lieux et participe à la constitution d’un héritage qu’il faut transmettre. De fait, « il ne s’agit pas de développer un projet-objet, mais un projet dans le temps » (Chemetoff, 1998). Revenons à l’objectif de chorégraphie de la ville, ainsi « il ne faut pas oublier que la ville est structurée par une trame matérielle, qui structure la scène et les acteurs, et une trame relationnelle, qui motive les mouvement sur cette scène » (Mosbach, Claramunt, 1997). Consi-

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dérer l’espace public comme le théâtre des actions quotidiennes autant que des événements exceptionnels implique de concevoir à travers le projet de paysage le scénario de ce spectacle de la ville. Cela amène à écrire la narration, l’histoire du lieu, mais aussi la mise en scène des espaces entre eux par leur rapports de continuité, de réponse les uns aux autres, d’isolation parfois, par les phénomènes optiques engendrés par les formes et les distances, la disposition du point de vue, etc. Comme le rappellent Jean-Luc Larcher et Thierry Gelgon49, « pour refléter l’ensemble de l’espace, l’œil effectue un balayage rapide à l’intérieur d’un cadre défini par la pyramide optique ». L’examen attentif des propriétés optiques, que l’Antiquité avait bien comprises, offrent au concepteur un catalogue d’effets produits par une géométrie réfléchie de l’espace. Par exemple, « les lignes verticales, synonymes de chute, pourront être perçues comme fatigantes ; les lignes horizontales sont synonymes de stabilité, de repos, mais elles paraissent souvent monotones. Les lignes obliques synonymes de mouvement sont des éléments d’instabilité. Les lignes courbes synonymes d’agréables, connotent une certaine douceur de vivre, les lignes brisées sont synonymes de désordre et d’instabilité. Ce vocabulaire sert au jeu des compositions, il est l’un des instruments de composition du concepteur paysagiste » (Larcher, Gelgon). Ces compétences dont doit faire preuve le concepteur, parmi tant 49.   J-L. Larcher et T. Gelgon : Aménagement des espaces verts urbains et du paysage rural, 2012.

d’autres savoir-faire, permettent là encore de donner sens aux formes et d’assurer la conception des aménagements en connaissance des effets sensibles du paysage. La sensibilité de la vision s’impose sans doute assez largement sur celle des autres sens, mais il ne faudrait pas pour autant oublier la richesse des sensations du toucher, de l’odorat ou de l’ouïe pour ne citer qu’eux, dont les matériaux du paysage et en particulier les essences végétales regorgent de variétés. Leur assemblage intelligent donne à vivre une expérience multi-sensorielle de l’espace, et offre à réaliser, dans l’espace public, le paysage du corps. Cette perception du paysage par le corps de l’interactivité peut s’exercer également lors de la conception de l’espace. C’est peutêtre la seule manière de percevoir exactement le genius loci (le génie du lieu) dans sa totalité. En effet « le projet de paysage traite de la qualité du cadre de vie, de la complémentarité entre le bâti et le paysage, il permet de prendre la mesure du temps. Il faut fortifier un sentiment d’identité, une fierté à habiter son quartier, et donner une image positive de l’ensemble de l’agglomération » (Dominique Perrault, 1998). Ce sentiment d’identité, l’identification de l’habitant au projet est possible lorsqu’il aura, d’une manière ou d’une autre, pu apporter sa pierre à l’édifice, que ce soit par la participation à une décision, à la réalisation de certains travaux, ou lorsqu’il aura été invité à partager par sa propre histoire à l’histoire du lieu. « Risquons-nous à penser que l’architecture du paysage, parce qu’elle

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contient tous les temps, doit retrouver sa place dans les études et la forme de la ville et dans une projet urbain, afin d’en faire ce grand « art populaire » qu’appelait de ses vœux Camillo Sitte dans les années 80 » (Adamczyk, 1999). Dans le palimpseste50 de la ville, l’identité d’un lieu émane autant des figures historiques encore présentes que du mode de vie des habitants présents, aussi intégrer ces différences strates pour révéler l’imaginaire et générer le projet, revient à réaliser l’œuvre ouverte51 de la ville avec ses habitants : rendre la ville à ses citoyens, en quelque sorte, voilà un bel accomplissement de la République. L’appropriation qui devrait résulter d’un projet dans l’espace public – témoignage populaire de la qualité du projet – distille une nouvelle dimension, perceptible dans le résultat de la complète réalisation et de l’appropriation du lieu par les habitants : « il existe une manière non intentionnelle de vivre le paysage au quotidien. Fondée sur l’instauration spontanée d’une intimité fusionnelle entre l’individu et son 50.   « Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri.» Charles Beaudelaire, Les paradis artificiels, 1858. 51.   « Toute œuvre d’art alors même qu’elle est une forme achevée et close dans sa perfection d’organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu’elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d’une œuvre d’art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale.» Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, 1962.

lieu de vie ordinaire, cette manière quotidienne d’être au paysage – et de l’habiter finalement – institue l’être-habitant non plus en tant qu’acteur ou spectateur d’une scène paysagère, mais en tant qu’élément constitutif du paysage proprement dit. Cette forme de relation paysagère, [...] c’est ce que nous nommons l’incorporation paysagère » (Bigando, 2006). Cette incorporation paysagère, ou l’intégration de l’habitant comme partie du paysage, accompagne l’artialisation dans la recherche de sens à l’aménagement. Cette incorporation explique parfois le bon fonctionnement de certains espaces, pourtant dénués de quelque culture que ce soit, voire à première vue particulièrement hostiles. L’incorporation résulte de l’incroyable adaptabilité et de la grande sociabilité de l’homme, qui peut survenir à peu près dans n’importe quel endroit, malgré un environnement parfois ingrat. Ce facteur humain, peu prévisible, peut toutefois être grandement favorisé par l’implication, par le concepteur, des personnes qui vivront les lieux au quotidien, par choix ou par la proximité de leur lieu de vie, de travail, etc. La médiation du paysage décrite à l’échelle du territoire, dans la planification de la ville, reste vraie dans le détail de chaque espace qui le compose. Le projet de paysage se définit alors comme « une articulation intellectuelle entre une démarche de lecture et de problématisation et une démarche de création et de médiation, entre une logique d’invention et une attitude d’écoute. [C’est] aussi [...] maîtriser le statut spécifique du projet de paysage qui se construit à partir

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de cet échange, mais qui construit également en retour une nouvelle demande » (ENSP Bordeaux52, 2014). Cette définition traduit le rôle multiple du professionnel du paysage, en tant que concepteur, chercheur et médiateur. La suggestion, à travers le projet de paysage, de formes ou confirugrations novatrices, confortables et sensée permet à travers d’envisager le progrès, la ville de demain.

La nouvelle donne de l’équipement Quelle place donner à l’équipement public dans le projet de paysage ? L’intention d’espace public continu, on l’a dit, place l’équipement dans le prolongement immédiat des aménagements du paysage. Le bâtiment de service public est alors intégré au système à la manière d’une alvéole dans les tissus de la ville. Cette alvéole contient la ou les fonctions à remplir, elle est le prolongement de l’aménagement plus vaste à l’extérieur qui prend sa source dans le projet de paysage urbain. Le bâtiment public alors « [devient] moteur de la dynamique de la ville [...]. [C’est lui] qui donne une signification à la vie de la ville » (Aldo Rossi, cité par Sabine Kraus, 2008). On comprend ici l’immense responsabilité de l’équipement dans l’espace public.

52.   Citation relevée sur le site internet de l’ENSP de Bordeaux.

Il ne saurait à ce titre pas se confondre dans la ville, c’est-à-dire que le bâtiment public doit se réaliser dans l’articulation avec l’espace urbain, tout en restant une figure identifiable en tant que représentant de l’État au service des citoyens. II ne s’agit en effet plus de penser le bâtiment comme le monument à la gloire d’une figure politique (gouvernement, mairie, conseil général), mais bien au contraire de galvaniser la citoyenneté dans le lieu public. En d’autres termes, l’équipement ne saura s’imposer sur la ville comme l’objet spectaculaire d’une politique, mais plutôt représenter le point d’orgue de l’espace public par des qualités architecturales permettant de préférer l’invitation et la projection de la citoyenneté plutôt que l’intimidation du pouvoir. Il est difficile par là de préciser quels attributs architecturaux l’édifice public devrait ou ne devrait pas arborer, puisque là n’est pas une question de forme, mais bien une question de processus, de symbolique et de genèse du projet. À la manière du projet de paysage, l’architecture de l’équipement devrait savoir se soumettre à l’atmosphère et aux dynamiques qui règnent sur le site de la construction, s’imprégner avec véhémence de son histoire et de ses récits, les valeurs sociales, la culture et les identités qui le composent. Gageons que la moindre petite parcelle recluse dans un coin de ville, le moindre misérable espace à l’arrière d’une friche, par l’épaisseur d’humanité que le territoire recouvre, saurait raconter une histoire, aussi modeste soit-elle, assez

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éloquente pour démarrer le processus et nourrir le projet. Encore une fois, il s’agit de s’inscrire le plus possible en continuité53 et non en rupture, déconnecté des lieux et des personnes. Il s’agit constamment de comprendre le lieu et de rester humble vis-à-vis de lui en insérant le projet en résonance avec lui. À ce titre, l’objet architectural auto-centré, l’extravagance au service d’une politique ou bien la réalisation d’une forme architecturale seulement justifiée par le style ont sans doute assez peu d’autre lien au site que le partage du sol, et ne sauraient participer au projet de paysage défendu ici. Cela ne voudrait dire en revanche que l’architecture de l’équipement soit relativement circonscrite à des formes et des figures consensuelles et molles, consciencieusement inscrites dans un rapport de proportions, de couleurs et de matériaux proches de l’existant. L’audace architecturale a toute sa place dès lors qu’elle résulte de la parfaite connaissance des enjeux locaux, de l’intégration dans cette histoire commune du projet urbain, voire de la transmission d’un message tranché. L’expérience démontre que les formes les plus composées ont pu être non seulement acceptées, mais portées par la conscience

53.  Gilles Clément exprime tout l’histoire de son mode d’intervention par la phrase suivante : « Agir le plus possible avec, le moins possible contre ». Il exprime là en particulier le mode de gestion et de reconnaissance des mouvements des végétaux dans la composition d’un paysage, mais reflèterait également la participation de l’histoire et des personnes dans le projet d’architecture, comme le ferait un Patrick Bouchain par exemple.

collective, dès lors qu’elles avaient été expliquées, renseignées, et qu’elles avaient impliqué la population dans une histoire commune. Citons en exemple récent l’intervention réalisée à travers la ville de Marseille lors de son avènement Capitale de la Culture européenne en 2013. Si certains reprocheront le coût extravagant et les insuffisances dans le discours et les formes pour défendre l’architecture du Mucem54, ou, plus encore de la villa Méditerranée55, personne en revanche ne saurait remettre en cause la réussite des projets du Vieux Port56, de la rénovation du fort Saint-Jean57 ou de la requalification de la friche de la Belle de Mai58. Ces trois projets, littéralement hybrides entre équipement culturels et projets d’espace publics, ont été chacun réalisés dans le cadre d’un projet plus vaste de rénovation urbaine, d’ouverture de patrimoine historique à la population, de mise à la disposition de lieu de création innovant. Tous ont été pensés en articulation avec des actions menées parmi les populations (associations, projet participatif, chantiers d’insertion) et à destination d’elles (publications, visites organisées, appel à idées, ateliers) et s’insèrent dans une trame paysagère et

54.   Maîtrise d’œuvre principale : Rudy Riccioti. 55.   Maîtrise d’œuvre principale : Stefano Boeri. 56.   Maîtrise d’œuvre principale : Michel Desvigne, Foster + Partners. 57.   Maîtrise d’œuvre principale : François Botton, Roland Carta, Rudy Ricciotti. 58.   Maîtrise d’œuvre principale : ARM Architecture (Patrick Bouchain ayant été mandaté en tant que Maître d’ouvrage expert).

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culturelle planifiée à l’échelle de la métropole. Ces exemples rendent évidentes les notions d’humanité et d’épaisseur du site, et répondent chacun à leur manière par des solutions à l’effet artistique saisissant, pleines de sens lorsqu’on les visite et les pratique, et pourtant dénuées d’exubérance.

Pour une architecture du paysage À l’heure où le bon sens dans l’aménagement s’avère être la meilleure manière d’aborder le projet, dans le contexte difficile que l’on connaît, entreprendre le projet de la ville par le dialogue et la considération globale des problématiques grâce au plan urbain apparaît être une voie pertinente pour agir contre les difficultés sociales avec la plus grande efficacité. Entreprendre la ville par le projet de paysage s’est avéré fructueux tant dans l’augmentation en qualité et en signification du cadre de vie que dans la capacité à gérer la densification nécessaire de la ville pour les décennies à venir. En effet « vivre l’architecture comme un paysage, c’est ramener à sa juste place l’objet construit, comme élément d’un tout.[...] L’enjeu de l’architecture contemporaine, offrir à tous un cadre de vie agréable, passe par la prise en compte de cette idée de paysage construit » (Bertholon, 1997). Poursuivre ce mouvement dans l’architecture, c’est-à-dire entreprendre l’architecture avant tout par son projet de paysage,

est peut-être la nouvelle donne de l’édifice public, et par là la nouvelle donne de l’espace public. En quelque sorte, initier comme point d’entrée dans la conception des ouvrages, non pas la seule fonctionnalité, mais bien l’intime adéquation avec son environnement physique symbolique et humain, ce serait là le moyen de renoncer une fois pour toute à l’attitude fonctionnaliste et d’inventer un nouveau mode de faire. Parce que « les urbanistes et les paysagistes sont plus portés que les architectes à prendre en compte la longue durée de la ville ; le travail des paysagistes sur la matière vivante faisant de leur intervention même, par essence, l’initiation d’un processus plutôt que l’achèvement d’un projet » (Desvigne, 1999). En ce sens, repenser la commande pour prendre en compte ce processus, et reconsidérer la construction comme faisant partie d’un mouvement perpétuel, pourrait permettre d’étaler plus facilement dans le temps – et en argent – des projets qui, d’un bloc, ne verraient pas le jour. À cette problématique de l’économie, la collaboration de l’architecture et du paysage dans espace hybride pourrait laisser entrevoir une plus grande exploitation des surfaces, des volumes, à l’échelle de la parcelle. Par exemple, associer équipement et jardin public sur une seule et même parcelle, entreprendre la combinaison de deux programmes au lieu d’un, pourrait permettre d’étudier avec plus d’attention les ouvertures et les superposi-

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tions. Cela permettrait d’exploiter avec plus d’efficacité le projet de construction, par l’aménagement de la cinquième façade par exemple. Dans un cadre urbain dense, où le foncier manque pour multiplier les programmes par juxtaposition (à plat), il est évident que la compilation, sur une emprise partagée, d’un espace public et d’une fonction d’équipement plutôt qu’à deux emplacements distincts peut donner lieu à des économies en argent (une seule emprise au lieu de deux, études de sol et terrassement réalisés qu’une seule fois, etc.), et assure une économie d’espace substantielle. Les centres-villes d’Asie ou d’Amérique du Nord caractérisées par un prix du foncier exorbitant regorgent de ces exemples de pocket gardens, dessinés au recoin d’une ruelle, au-dessus d’un parking, voire en toiture des bâtiments. À ce jour pourtant, dans l’immense majorité des villes la toiture des bâtiments, même de faible hauteur et qui pourrait être rendue accessible, reste désespérément réduite à sa terne fonction de couverture imperméable. Cette situation laisse entrevoir encore de grandes possibilités de réinventer la ville... De plus, s’il fallait encore ajouter un argument, la mise en place, à l’échelle du territoire, de processus de reconnaissance des sites par le projet de paysage permet de déceler, très en amont des phases de conception du bâtiment, « des problèmes liés au site et à l’environnement [ce qui] est non seulement indis-

pensable à la bonne conduite des phases décisionnelles ultérieures, mais également profitable, tant sur le plan de la qualité de traitement de l’espace que sur le plan des économies réalisées » (Samel, 1980). En effet la connaissance grandissante des territoires, de la géologie à l’histoire, permet de prévoir avec toujours plus de précision les difficultés qui pourraient entraver la construction, mais se heurte aujourd’hui à la trop faible mise en partage de ces connaissances. Là encore, cela laisse entrevoir un grand potentiel de développement de la distribution de l’information sur les territoires – chantier engagé dans l’élaboration des Atlas de paysages depuis plus de vingt ans59.

59.   Les Atlas de paysages sont des documents de connaissance partagée qui permettent de traduire sur le territoire le terme de paysage défini par la Convention européenne du paysage : « partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». C’est pourquoi ils sont un indispensable préalable à la définition des politiques du paysage. Les Atlas de paysages recomposent les informations sur les formes du territoire en identifiant les composantes du paysage (unités et structures paysagères des Atlas), les perceptions et représentations sociales (indicateurs sociaux d’évolution du paysage) ainsi que les dynamiques pour constituer un état des lieux des paysages approprié par tous les acteurs du paysage. Cette élaboration des Atlas de paysages a été initiée en 1994 par le Ministère de l’Aménagement du Territoire, de l’Équipement et des Transports.

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CONCLUSION

« Dans le paysage, il n’y a pas de limite si dure, si close qu’elle ne se fissure et s’ouvre sur des espaces mitoyens. Il n’y a pas de discrimination véritable entre les différents lieux. Les éléments du paysage se sont toujours caractérisés par leur faculté de débordement, par la diversité et la complexité des pactes qui les lient aux éléments voisins. Dans le paysage, il n’y a pas de contour franc, chaque surface et chaque forme vibrent et s’ouvrent sur le dehors ! Les choses du paysage ont une présence au delà de leur surface. Cette émanation particulière s’oppose à toute discrimination véritable. C’est donc aux situations limites que l’on trouve le gisement de toutes les qualités. Celles qui affirment la présence des choses et celles qui, dans le même temps, les estompent pour les faire coexister et les fondre dans un milieu. » M. Corajoud, dans sa Lettres aux Étudiants, 2000.

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Dans l’urbanisme classique, la ville s’organisait essentiellement dans un rapport entre ses équipements et les figures structurelles de l’espace public. Il en résultait une relative opposition entre architecture et paysage, chaque discipline relevant d’une part de la conception des édifices, d’autre part de la conception des espaces extérieurs, mais équilibrée par une pensée réfléchie et hiérarchisée en commun. L’arrivée du mouvement moderne en architecture et en urbanisme a profondément bouleversé ces rapports de construction de l’urbain. Sur le modèle générique d’une ville gérée et générée par ses réseaux, le fonctionnalisme a peu à peu désarticulé les espaces les uns avec les autres, en éclatant les fonctions, pour aboutir au cloisonnement généralisé. C’est l’espace public qui en a eu le plus à pâtir, blessé par des infrastructures déshumanisées et le désintérêt navrant envers des dynamiques qui dépassent les seules forme et fonction. L’espace public est devenu résiduel aux systèmes, et a donné naissance à des sousespaces de la ville sans valeur, vides de sens. L’édifice public, autrefois générateur de vie et de ville, a également perdu de son influence sur l’urbain, passé au crible de la pure fonctionnalité il s’est mué en simple contenant, une machine comme une autre. Face à cette agonie de la ville et l’évident échec du modèle fonctionnaliste, des politiques de réparation ont été lancées, mettant en avant le projet de paysage pour redonner structure et sens à la ville, et le

paysagiste pour raconter l’histoire et l’identité de ses habitants. En France, de grands projets d’aménagements de l’espace public depuis la fin des années 1980 sont nés directement de ces plans de paysage, et ont entamé le lent processus de renouvellement urbain. Ainsi que l’avait écrit en 1977 François Dagognet, « le paysage est une méthode, on trouve moins en lui que par lui », qui dépasse la simple coordination de matériaux sur un sol. Le paysage résulte d’une pensée constructive élaborée à l’échelle de la communauté, de la ville, qui se répercute ensuite dans tous les aménagements à travers la médiation qu’il propose. C’est une force de projet qui galvanise toutes les composantes, l’épaisseur du lieu, œuvre pour la communauté pour donner du sens aux espaces et rassembler les hommes. Le paysage c’est le projet de réalisation de l’espace public continu, qui remet l’homme dans son droit de cité et d’interagir avec son milieu de vie, c’est aussi la redécouverte d’un art de la composition urbaine que la modernité avait effacé. Lorsque Michel Corajoud explique, dans une lettre à ses étudiants, l’incroyable pouvoir de cohésion du paysage, bien qu’il reste capable de laisser s’exprimer toute la luminosité de chaque élément qui le compose, on devrait faire l’analogie avec le tableau d’un idéal de ville, continue et démocratique. Le paysage porte-t-il en effet en lui cette utopie, et permet-il, dès lors qu’il est sollicité, d’y accéder un peu plus.

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Face au monde en crise de ce siècle, il ne paraît pas futile d’aller à la rencontre de cette utopie et d’entreprendre un espace de vie, de la ville à la campagne, plus juste. On l’a vu, le paysage peut être un point d’entrée à l’architecture. Il est dans ce cas peutêtre également un moyen de participer à la densification et l’hybridation, en proposant des moyens. Il est enfin sans doute le vecteur de nouveaux modes de conception et d’aménagement-construction, centrés sur le processus plus que sur l’objet abouti – comme peut le faire l’art contemporain – et qui définissent un projet d’espace-temps plutôt que d’espace-objet.

Michel Corajoud écrivait, à propos du projet de parc à Villeneuve à Grenoble, le paysage comme une expérience pour construire la ville :

« Je devais laisser s’exprimer l’architecture bien au delà des pans qui la ferment. La façade n’est pas la tranche initiée où s’affrontent deux mondes hostiles (dedans/dehors, espace-pierre/espace vert). C’est un lieu où se règlent, dans l’épaisseur, les subtiles entrées de l’ombre et de la lumière. »

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PFE 2014-2015 - DEM MAT - NICOLAS JULIEN

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Nicolas Jlien

Imprimé le 16 mars 2015 à L'École Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon

DE PAYSAGE EN ARCHITECTURE – Le paysage comme projet urbain

PROJET-DE-FIN-D’ÉTUDES-----sous-la-direction-d’études-de-BENJAMIN-CHAVARDES D O M A I N E - D ’ É T U D E S - D E - M A S T E R - « - M AT É R I A L I T É - E N - P R O J E T- » s o u s - l a - d i r e c t i o n - d e - C H A N TA L L D U G AV E - & - W I L L I A M H H AY E T É C O L E - N AT I O N A L E - S U P É R I E U R E - D ' A R C H I T E C T U R E - D E - - LY O N é q u i p e - e n c a d r a n t e - : - - B E N J A M I N - C H AVA R D E S - - - C H A N TA L D D U G AV E W I L L I A M - H AY E T- - - C É C I L E R R É G N A U LT- - - W I L L I A M - VA S S A L

DE PAYSAGE ENLEARCHITECTURE PAYSAGE COMME PROJET URBAIN NICOLAS JULIEN

1. Énoncé critique


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