Mémoire ferdinand 2

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L’Attrait de l’Ombre Comment les artistes engagent-ils l’étrangeté dans leurs oeuvres

Ferdinand STEPHANE-COLDEFY CFPI 2014


L’Attrait de l’Ombre Comment les artistes engagent-ils l’étrangeté dans leurs oeuvres

Ferdinand STEPHANE-COLDEFY CFPI 2014


A un ami de la Lumière Si ne veux que s’émousse l’acuité du regard et du sens, Traque le soleil dans l’ombre !

Le Gai Savoir, Friedrich NIETZSCHE


L’

époque que nous vivons est une période trouble, pleine de faux semblants, d’assimilations et de considérations convenues, une recherche perpétuelle du consensus. Une société du groupe, de la collectivité, de minorités, de marginalisations, stigmatisations, bien souvent appuyées de généralisations douteuses. Une société traitée en masse, soumise à un ordre qui lui impose son rythme, ses règles et normes quand il ne fonctionne qu’en cercle fermé. Par là il faut entendre que la masse soumise ne peut espérer participer à cet ordre car elle lui est étrangère et qu’il ne fonctionne que pour lui même, la masse sert un ordre qui se nourrit d’elle sans lui donner de retour, il est sa propre finalité. La masse, elle, est triée, catégorisée, étiquetée, de sorte qu’elle nourrisse le sentiment d’avoir à son niveau sa part d’action à apporter à cet ordre. Un leurre, car les véritables questions et recherches à mener sont ailleurs. Ainsi elle se divise, forme des communautés se comparant (en dépit de critères communs) les unes aux autres, cherchant à s’affirmer et à revendiquer son existence. Un faux combat pour une vie trompeuse.


Enfin vient l’individu, qui court sans relâche, après un besoin d’appartenance, de reconnaissance, cherchant dans un langage pauvre à se définir par quelques termes aseptisés, pour que son existence soit reconnue est acceptée au sein de la masse. Ce génère alors le jeu social, formulant une multitude de « standards d’être », parmi lesquels il faut se rationnaire, s’identifier et prouver sa valeur. Cela passe par différents modes de communication, codes vestimentaires, opinions politiques, cercle professionnel, loisirs, foi... ne visant qu’à apparaître une caricature permettant une identification aisée d’autrui, que l’on ne se mélange pas par erreur, savoir sans connaître, à qui on a à faire.

Cette masse parle la langue que défini Jacques Lacan comme celle de « l’inconscient collectif » : […] le discours sans signification, le «flatus vocis», le bruit et la fureur des paroles humaines, le discours insensé pour autant qu’il relie dans sa vibration générale ceux qui en sont les supports. Dans l’ensemble, la collectivité ne sait pas ce qu’elle dit, et, à la vérité, on s’en passe fort bien. Le discours garde une valeur indépendamment de tout sens assumé. Comme le dis quelque part Mallarmé : « Le discours humain et quelque chose comme cette monnaie à l’image effacée qu’on se passe de la main à la main ». Et ça sert à quelque chose. Ça sert à ce qu’on ne se coupe pas le cou à tout les coups ! On tiens des propos d’autobus, et grâce à cela, bon Dieu, on a l’air de s’entendre, c’est déjà bien suffisant.»

« standards d’être »

L’homme est codifié tant dans son apparence, son corps, son langage et ces émotions, pour que notre vie commune et partagée s’en trouve simplifiée, lissée. Et bien que tout ce fonctionnement soit né de la volonté de mieux vivre ensemble, il engendre trop facilement une annihilation de la complexité, des nuances uniques et appréciables de chaque individu ainsi que la compréhension que ce dernier se doit d’en avoir. L’individu est sacrifié au groupe, ne se définissant plus intimement que part les critères collectifs. Aussi, ainsi définit, l’individu n’est plus que social, sa vie n’a plus d’intérêt que par son contexte et le prix qui lui est fixé à l’heure de la comparaison, omni présente. C’est ici je pense, que l’étrangeté entre comme un remède, une voie d’accès (parmi d’autres), vers un retour au soi, une redéfinition de l’individu par lui même. L’étrangeté dont je vais parler ici tiens de paradoxes symboliques et conceptuels comme constituants d’un espace et d’une temporalité particulière qui leur est propre. Comment par le moyen de l’op-

position entre deux domaines ou conceptualisations, l’artiste parviens à créer une faille, un interstice, plongeant la réalité et le rythme dans un trou noir, pour que l’œuvre devienne une porte, une fenêtre ouverte sur un espace du dehors, une dimension indépendante et parallèle s’appuyant sur la réalité de symboles et de langage pour venir s’en affranchir, favorisant une échappatoire.

Manipuler la lumière convenue, les spots régulés de l’inconscient collectif, par choisir de ramener un peu d’ombre, de mystère et d’inexploré dans un monde trop clair et expliqué à outrance. En ce sens l’œuvre étrange n’est pas une réponse, bien au contraire elle est interrogative, une proposition, un point de départ pour une réflexion que le spectateur se doit de mener seul, grâce ou en opposition aux clefs que l’artiste lui propose.


TABLEAU EDWARD HOOPER AUTOMATE - 1927

La peinture d’Edward HOPPER est empreinte de cette solitude retrouvée, bien que souvent teintée de désarmement et de détresse vis à vis de cette condition. Dans le tableau Automat, on observe une jeune femme attablée dans un café. Le thème, les couleurs, le traitement des surfaces ainsi que la touche du peintre font état d’une scène banale de la vie ordinaire, or quelque part un décalage se créé, une porte s’ouvre et nous fait pénétrer dans une dimension fantastique. Tout d’abord, il y a cette femme, seule, songeuse, assise dans un coin. Elle a les yeux perdus dans son café, on croit le reste de l’établissement comme désert. On la sent dans l’attente, le doute. Bien que solitaire, elle garde les us et coutumes d’un monde qui n’a déjà plus la main mise sur la réalité qui lui appartient à cet instant. On remarque cela, part cette main qu’elle a pris le soin de déganter pour tenir sa tasse. Mais elle demeure abandonnée du monde et du rythme de celui ci, car déjà au dehors, tout n’est plus que néant. Une toile de ténèbres, tendue, pour tout paysage. Ce café pourraitêtre un point lumineux flottant dans l’espace noir.

Et pourtant sur cette vitrine se reflètent les luminaires du café, formulant une symbolique de mise en abîme. Un rappel, un reflet, renvoyé sans fin dans le néant comme un écho. C’est ici que l’étrangeté intervient, quand le monde et la jeune femme semblant en rupture, se répondent, identiquement uniques dans leur course. Les hors champs participent à cette idée. L’image semble extraite d’une histoire dont nous, spectateurs, ne connaissons ni les tenants ni les aboutissants, mais suspectons sont existence de part le cadrage donné par l’artiste. L’aspect cinématographique de l’image nous la présente comme extraite d’un scénario, elle est une porte ouverte vers l’imaginaire du spectateur, et finalement, ne peut être appréciée que par elle même, il faut lui rendre l’histoire dans laquelle elle s’inscrit, celle que l’on peut/veux lui donner. Ce tableau est teinté d’étrangeté par la banalité de la scène représenté, qui sensiblement bascule et semble revêtir le manteau de ces instants spéciaux, décisifs.


Cette série de photographie est un inventaire de sentiments, de destructions et de naissances, d’incarnations d’êtres sublimés, de divinités. Au spectacle de ces images, nous sommes projetés entre vie et mort, nous flottons avec ce corps nu dans un non lieu, une transition, un lieu de passage affranchi de toute considération temporelle ou matérielle. Les corps nus sculptés par la lumière s’enveloppent de cette cendre, ce voile gris qui se projette et dont les corps semblent se libérer autant qu’ils s’en habillent. On assiste ici à des attitudes, des sentiments qui s’incarnent du chaos et semblent être voués à mourir et renaître en continu, comme piégés dans un cycle semblable à celui que connaît chaque Humain, voué à se réinventer à chaque âge, chaque décision ou événement. La lumière porte le corps, le tire, dans cet univers d’ombre et de vide. Elle est calculée, voulue, choisie, s’émancipe de l’inconscient collectif se saisissant des armes dont il se paraît pour les retourner contre lui insidieusement, intimement, silencieusement.

Dans ces images, l’être trouve un temps d’accalmie. Par cette fumée et cette lumière, il se lie avec l’espace, s’y confond. Affranchi de tout repère, le corps trouve une forme nouvelle, minérale et vaporeuse, s’adaptant à ses besoins, ses envies et ses sentiments. Le corps n’est plus prison, limitation matérielle, il deviens reflet et complément de l’esprit. L’œuvre est littéralement passage. La série deviens une illustration de la citation de Nietzsche que j’ai voulu pour ouverture de cet exposé. Livré à sa lumière, l’être se débat, se déchire, se découvre s’accorde et s’accepte.

AFFRANCHIS OLIVIER VALSECCHI DUST - 2010


REINVENTION PIERRE & GILLES MERCURE - 2001

Cette image est codifiée, organisée de manière classique, cependant de par sa nature photographique, ces codes auxquels nous sommes habitués prennent un sens nouveau. Outre la représentation classique du dieu Mercure que l’on reconnaît grâce à son attirail et la symbolique qu’il transmet, on se retrouve projeté dans un lieu inconnu sur lequel ne nous sont donnés que peux d’indications. La symbolique, bien qu’étant la même, le lieu et les accessoires du personnages sont clairement factices. Nous sommes balancés

entre un univers sacré et millénaire, et un environnement de plantes en plastique et de déguisement kitsch. On ne sait plus si la sacré est accessoire ou s’il peut, au contraire, naître de choses communes et « non nobles ». En usant de symboles, les artistes usent d’un langage commun et intemporel, or ils le détournent, lui donnent une lecture autre qui permet d’accéder à un second degrés de langage. L’étrangeté nait d’une désaccoutumance à des images convenues et admises par la culture collective.


MÉTAMORPHOSE

CHARLES FREGER CERBUL, CORLATA, ROUMANIE - 2010-2011 Dans sa série Wilder Mann, Charles FREGER et parti à travers l’Europe de l’est pour photographier ces costumes traditionnels oubliés, appartenant à un temps ou par le biais d’un culte quasi animiste, l’homme expliquait le cycle des saisons et ce qui échappait à son entendement. Ses prises de vue sont extrêmement étudiées et il est reconnu pour son perfectionnisme, ce qui nous propose déjà un paradoxe car les costumes utilisés dans des danse traditionnelles ou caractérisés par une attitude se retrouvent figés dans une mise en scène photographique calculée et pointilleuse. De plus, les costumes mis en scène surgissent de ce passé de l’homme disparu dans l’oubli (je parle ici de populations urbaines sensées être « représentatives » du « modèle de l’Homme contemporain »).Elevés dans des principes judéo-chrétiens, ces idoles du passés ressurgissent et nous questionnent, complexifient nos racines et teintent notre histoire de couleurs insoupçonnées

L’artiste, par le biais d’un langage contemporain, donne à voir, se réapproprie d’anciens symboles pour mieux, différemment ou en alternative à notre langage courant, destitué de toute profondeur et subtilités.


Le symbole est le langage (...) Le symbole est le langage choisi par ces artistes pour mieux rompre avec l’ordre établi. Par le recours à cette langue intemporelle et commune, ils impose une distance, une dimension au delà des mots et concepts, une ombre posée sur un parterre trop connu. L’usage du symbole est au delà du mot, car il convoque en soi une appellation plus ancienne, connue et inconnue à la fois, qui fait vibrer l’être au rythme lourd des choses anciennes, intouchables et inexplicables, le Mystère. Si l’étrangeté s’apparente souvent au domaine du sacré et du religieux, est-ce peut être qu’elle est une sorte de foi, de célébration mais qui aurait échappé à sa tentative de conceptualisation ou rationalisation par l’homme, et donc, ne serais pas religieuse ou sacré au sens propre du terme. Peut-être qu’il n’y à pas de mot pour la définir, juste des images et des histoires silencieuses.

(...) juste des images et des histoires silencieuses.



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