NADIA M OUNAJ J ED Post-DubaĂŻ. Photo-essai sur les espaces mouvants
194 Paysages infra struct u r e l s Ce sont ses paysages infrastructurels et ses espaces semi-mobiles qui font de Dubaï un lieu « constructiviste ». En l’occurrence un réseau de routes et d’autoroutes qui se connectent, s’ordonnent et façonnent le tissu urbain. Cette expérimentation urbaine futuriste éternellement en devenir que l’on nomme Dubaï ressemble à une terre d’utopie insulaire amalgamant une multiplicité de micro-îles non stabilisées dans le grand dessein ou l’esprit de l’architecte. Pendant ce temps, les lignes du métro aérien (récemment mises en place en 2009) gagnent en visibilité, esthétiquement et spatialement, renforçant l’impression de formes planantes composant un paysage néocinétique couvrant le tissu primaire de la ville. Paradoxalement, cette dimension machinique, ou utopie de la ville-machine, ne va pas sans une utopie de la ville-corps fonctionnant tel un organisme vivant. Différentes vagues de développement urbain se superposent les unes aux autres, propulsant toute vie dans un univers multi-insulaire. Au beau milieu de ce tournant qui nous fait passer d’une vision utopique à une metropolis bien réelle, nous nous retrouvons irrémédiablement à x niveaux, ou sous-couches, de retard, sur ce développement.
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Espaces tra n s i toi r e s La majorité des espaces à Dubaï sont conçus pour être au service de la prédominance outrancière des véhicules, les espaces restants étant relégués à la marge, au détriment d’une véritable relation entre les gens et l’espace public. Malgré la sophistication du tissu urbain, beaucoup de rues restent inaccessibles aux piétons. Paradoxalement, des espaces oubliés ou marginaux se voient comme redessinés en permanence sous les traces des passants. À chacun sa manière de naviguer en
ces lieux, et donc de réinventer Dubaï. Complexité et multiplicité régissent l’espace multi-insulaire. Illustrant cette situation, les « ponts-jumeaux » soulignent le parallélisme (autonome s’il en est) entre mouvements de véhicules et mouvements de piétons. Un « pont de sable » est devenu le passage alternatif (ainsi fétiche) pour traverser la rive dans le quartier ultramoderne de Business Bay.
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199 affichant son pouvoir d’intensification et de sublimation. Les deux panneaux célèbrent un corps catégorique en mêlant directement le regard à l’objet du désir. Par ailleurs, la forte sensibilité locale aux phénomènes d’échanges linguistiques et de traduction – provoquant son lot d’inventions comme d’incongruités – peut se lire implicitement à travers la traduction (phonétique) en arabe du nom de marque de luxe « Dior » – ou plutôt de son logo. La traduction peut donner lieu à un spectacle de la langue qui s’exprime dans la singerie et la prise de pouvoir d’une langue sur l’autre.
Espaces pu b l i ci ta i r e s Les panneaux publicitaires demeurent des signifiants culturels produits sur un espace de visualité qui, à l’image du reste de Dubaï, est de l’ordre de l’hypervision ; un paysage toujours plus dominé par les dispositifs publicitaires et leur itération autoritaire. Cette planche montre deux panneaux publicitaires dédiés à la mode et au luxe : une singulière fascination fétichiste pour les sacs à main et les produits cosmétiques. L’image exulte,
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E s pac es t ran s ito ires Si les panneaux publicitaires peuvent incarner un certain « futur » de Dubaï, futur de papier glacé et de paillettes, la réalité parallèle des habitants, qui sont les premiers sujets à l’urbanisation sans fin, se donne jour dans une esthétique de la construction (monumentalisme). Une esthétique paradoxalement très brute et inachevée, à l’image d’une forêt d’obus et d’enveloppes de béton, de plaques suspendues et de façades percées. Un phénomène d’inachèvement urbain ou de « ruines à l’envers » (ruins in reverse), pour reprendre les mots de l’artiste Robert Smithson, qui pourrait bien être la manifestation même de l’Utopie.
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Duba ï au trava i l Dubaï est un site de re-production, avec ses fragilités en évolution constante – une cité au travail. Le rythme de la ville reflète différents schémas de construction appliqués à une vitesse transformatrice. L’inactuelle manifestation du sempiternel conflit entre l’homme et la machine. La force de
travail derrière le développement sans frein de Dubaï représente une masse insondable d’ouvriers employés du bâtiment et de l’urbanisation. Avec des grues en guise d’arbres, ainsi se dévoile le paysage de la spéculation économique et du succès immobilier.
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205 E s pac e s tr a nsito ir es Objet de désir capturé depuis le ciel. La cité utopique se présente au reste du monde avec ses constructions iconiques, ses micro-îles et ses paysages infrastructurels. On oublie cependant trop vite les lieux plus intimes de
Dubaï, ses « poches » cachées et autres espaces refoulés. Comme toute autre cité, Dubaï cultive non pas un seul, mais mille visages (parmi les activités transitoires illustrées par cette planche : les espaces de skateboard).
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207 Espac es public ita ir es Les panneaux publicitaires ne sont pas que la visualisation ou la représentation d’un espace, mais tout aussi bien sa réalisation. Leur prééminence dans le paysage urbain signe une croyance profonde dans un système de commu nication visuelle, sinon dans une certaine culture du matérialisme. La vie de luxe, l’immobilier et les voitures semblent régner en maîtres. Cette planche nous frappe en ceci que l’espace de visualisation publicitaire se juxtapose physiquement au « masque » de la ville elle-même. Les unes de catalogues hôteliers n’en finissent plus d’illustrer le « Dubai Water Canal Project ». Projet-roi, au centre de toutes les discussions, son intitulé recèle cette tension à l’œuvre entre continent et océan, entre le territoire propre et les mouvements ou les glissements micro-insulaires.